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Selon les experts de l’Organisation mondiale de la Santé (1985), «le diabète sucré est une élévation plus ou moins importante, plus ou moins permanente, de la glycémie, relevant de causes diverses». Derrière cette définition floue se cachent plusieurs questions auxquelles les spécialistes du diabète sucré essaient de répondre depuis plusieurs décennies: d’un point de vue phénoménologique, qu’est-ce qui prédomine dans l’explication de l’hyperglycémie, de la sécrétion insuffisante d’insuline ou de l’insuffisance de son action? Du point de vue du risque provoqué par l’excès de glucose, comment celui-ci agit-il pour à la fois atteindre spécifiquement les capillaires de la circulation générale distale et potentialiser le risque cardiovasculaire?
Dans ce numéro de médecine/sciences, ces différentes questions posées à propos du diabète sucré sont orientées par une actualité qui nous concentre plus sur les causes et les conséquences du diabète de type 2, non insulinodépendant, que vers le diabète de type 1, insulinodépendant, dont la pathogénie est relativement univoque – une hyperglycémie majeure, due à une carence absolue en insuline secondaire à la destruction massive des cellules β des îlots de Langerhans par un processus auto-immun [1]. Le nombre de nouveaux cas de diabète de type 2 a fait parler d’«épidémie» [2]. En général, l’apparition d’un diabète de type2 passe par une phase préalable pendant laquelle le sujet développe une obésité, plutôt de type masculin, caractérisée par l’accumulation de graisse dans les viscères. Jean Vague avait écrit, dans un article publié en 1947, que ce type d’obésité était associé et permettait de prédire les complications métaboliques et vasculaires: le diabète, la dyslipidémie de type mixte, l’hypertension artérielle, et les troubles de la coagulation favorisant la thrombose [3]. Pendant cette première phase, préalable à l’installation d’un diabète de type 2, les facteurs de risque cardiovasculaire s’installent de façon concomitante et proportionnelle à l’hyperglycémie et à l’excès d’insuline [4]. Ainsi, rechercher une ou des causes au diabète de type 2 suppose de formuler l’hypothèse selon laquelle elles peuvent être de même nature que celles des complications cardiovasculaires qui lui sont associées (voir l’article de Corinne Lacquemant et al., p.809 de ce numéro). Plus tard dans leur évolution, seule une fraction des sujets concernés deviennent de «vrais diabétiques», en même temps que leur sécrétion d’insuline s’épuise [4]. Ainsi, nous, les descendants des survivants aux périodes de disette, avons à un degré variable un «génotype d’épargne» qui se retourne contre notre santé depuis que nous affrontons l’abondance en aliments et l’absence d’exercice physique caractéristiques de notre société [5]. Il est possible également que la capacité de rapidement barrer le chemin à l’infection et de cicatriser vite ait sélectionné dans nos gènes, avant l’apparition des antibiotiques (ils sont disponibles depuis à peine deux générations), les polymorphismes favorisant l’inflammation. Il sera question de celle-ci à propos des nouveaux ligands utilisés pour modifier pharmacologiquement les métabolismes lipidique et glucidique (voir l’article de Daniel Duran-Sandoval et al., p.819 de ce numéro). À côté de cet aspect pharmacologique, l’effet toxique, diabétogène, d’un dérangement dans le métabolisme des lipides sur la sécrétion, mais aussi l’action de l’insuline sont détaillés dans l’article de Jean Girard (p. 827 de ce numéro). Corinne Lacquemant et al. expliquent pour leur part que les adipocytes ne constituent pas seulement une masse inerte où l’énergie est stockée, mais qu’ils sont aussi source de médiateurs circulants dont l’expression est conditionnée par des polymorphismes multiples actuellement à l’étude. Jacqueline Capeau, quant à elle, détaille les voies utilisées par l’insuline pour transmettre ses signaux à ses tissus-cibles, et là où l’insulinorésistance pourrait se nicher au niveau cellulaire (p. 834 de ce numéro).
Si l’on revient à une vision classique de la pathogénie du diabète de type 2 (si la glycémie monte de façon inappropriée, c’est qu’il existe une insuffisance relative de la sécrétion d’insuline), on lira avec intérêt les mises au point de Bernard Portha sur le rat GK (p. 847 de ce numéro), un modèle animal de déficit inné en sécrétion d’insuline, et celle de Gilberto Velho et al. (p.854 de ce numéro) sur les diabètes non insulinodépendants monogéniques, les MODY. Mais, comme rien n’est simple dans la pathogénie d’une anomalie biologique où le scénario initial se résumait aux déficits de sécrétion et/ou d’action d’une hormone, l’insuline, Bernard Thorens (p. 860 de ce numéro) actualise le rôle et les potentialités thérapeutiques des incrétines: l’axe entéro-insulaire décrit il y a quelques lustres [6].
Étienne Larger (p. 840 de ce numéro) détaille un aspect jusqu’à maintenant peu mis en lumière de la pathogénie de la micro-angiopathie diabétique: les relations entre diabète et angiogenèse. Certes, la phase terminale des complications de la micro-angiopathie diabétique se conclut par une néoangiogenèse inappropriée et peu fonctionnelle, mais, ce qui n’était guère connu, les capacités de revascularisation après l’obstruction d’un vaisseau par l’athérothrombose sont réduites par l’hyperglycémie.
Ce numéro consacré en grande partie au diabète constituera sans nul doute une précieuse source de renseignements pour le lecteur désireux d’appréhender, au mieux, la complexité des mécanismes physiopathologiques mis en oeuvre au cours de la maladie diabétique.
Nul doute que d’autres aspects thérapeutiques seront abordés dans les mois à venir dans médecine/sciences.
Appendices
Références
- 1. Atkinson MA, MacLaren NK. The pathogenesis of insulin dependent diabetes. N Engl J Med 1994; 331: 1428-36.
- 2. Zimmet P, Alberti KGMM, Shaw J. Global and societal implications of the diabetes epidemic. Nature 2001; 414: 782-7.
- 3. Vague J. La différentiation sexuelle, facteur déterminant des formes de l’obésité. Presse Med 1947; 30: 339-40.
- 4. Saad M, Knowler WC, Pettitt DJ, Nelson RG, Mott DM, Bennett PH. Sequential changes in serum insulin concentration during development of non-insulin-dependent diabetes. Lancet 1989; i: 1356-9.
- 5. Neel JV. Diabetes mellitus: a «thrifty» genotype rendered detrimental by «progress». Am J Hum Genet 1962; 14: 353-62.
- 6. Unger RH, Eisentraut AM. Entero-insular axis. Arch Intern Med 1969; 123: 261-6.