Abstracts
Résumé
Comment le trust de la common law peut-il prendre forme dans un contexte civiliste? La propriété fiduciaire n’est après tout pas impensable dans un tel contexte. Elle peut s’envisager comme une propriété finalisée et, plus précisément, comme une modalité de la propriété. Le législateur québécois, en imaginant la fiducie comme un patrimoine d’affectation, a inscrit cette finalité au coeur même d’un concept de patrimoine qui en sort renouvelé. La question se pose toutefois de savoir à quel point la fiducie québécoise a rompu tous les liens avec la propriété et quels sont les limites et défis théoriques d’une telle conception. Qui est cet autrui dont le fiduciaire administre les biens? De qui acquiert-on lorsqu’on acquiert un bien tenu en fiducie? La fiducie québécoise doit-elle s’analyser comme une modalité de la propriété ou comme un intermède à la propriété?
Abstract
How can the trust drawn from the common law take shape within a civilian context? Fiduciary ownership is not unthinkable within a civilian context. It may be considered as purposive ownership or, to be more precise, as a modality of ownership. Quebec’s legislator, imagining the fiducie as a patrimony by appropriation, has impressed this purposive character within the very heart of the concept of patrimony, which emerges as a renewed concept. However, the question arises of discerning the extent to which Quebec’s fiducie has severed all ties to ownership, and of the theoretical limits and challenges presented by a conception of this kind. Who is this ‘other’ whose property is administered by the trustee? From whom does one acquire property when it has been held in a fiducie? Should Quebec’s fiducie be analyzed as a modality of ownership or as an interlude in ownership?
Article body
Introduction
Présente en droit romain[1], la fiducie a progressivement disparu de la plupart des systèmes civilistes, du moins sous une forme nommée[2]. Les dernières décennies ont toutefois donné une vitalité nouvelle à l’institution dans plusieurs pays de tradition civiliste ou mixte[3]. Pourtant, cette renaissance de la fiducie civiliste s’inspire souvent moins de la fiducie romaine que du trust de la common law[4], ce qui ne va pas sans nécessiter une certaine adaptation des concepts civilistes. Alors que le trust de la common law est fondé sur le dédoublement de la propriété entre le fiduciaire et le bénéficiaire — le premier ayant la propriété légale, le second la propriété équitable — la crainte d’une propriété divisée a souvent fait en sorte de condamner le recours à la fiducie en droit civil et, plus spécifiquement, l’admission d’une propriété fiduciaire.
L’idée de propriété associée à la fiducie a souvent été dénoncée en droit civil, certains y voyant une propriété dénaturée, la propriété fiduciaire étant limitée dans sa durée et dans son étendue. Plusieurs schémas théoriques semblent pourtant envisageables pour comprendre et traduire le trust dans un contexte civiliste, ce qui peut être illustré à travers les exemples français et québécois.
Le premier objectif de cet article est de montrer que la propriété fiduciaire est une possibilité en droit civil, tant d’un point de vue théorique que pratique. La propriété fiduciaire n’est pas impensable dans un système romano-germanique. La fiducie française, qui a récemment fait son apparition dans le Code civil français sous une forme nommée, suite à l’adoption de la Loi no 2007-211 du 19 février 2007 instituant la fiducie, semble constituer un exemple législatif d’une telle reconnaissance[5]. Cette propriété fiduciaire, dans laquelle certains ont vu une propriété avec charge, peut plutôt être envisagée comme une modalité du droit de propriété, autrement dit, comme une manière d’être particulière de la propriété.
Le second objectif de cette étude est d’explorer la pertinence d’une fiducie détachée de la propriété. Le Code civil du Québec a fait de la fiducie un patrimoine d’affectation sur lequel aucun des protagonistes n’a de droit réel. La question se pose toutefois de savoir à quel point le législateur québécois a complètement détaché la fiducie de la propriété, par le prisme du patrimoine d’affectation. En effet, une telle séparation ne va pas sans poser de sérieux problèmes théoriques. Peut-on vraiment considérer que les biens transférés en fiducie n’ont plus de propriétaire? Si tel est le cas, de qui acquiert-on lorsque l’on acquiert un bien tenu en fiducie et qui est cet autrui dont le fiduciaire administre les biens? Il s’agira ici de tenter, sinon de résoudre les contradictions que pose une fiducie détachée de la propriété, du moins de soulever un certain nombre d’interrogations liées à la rupture potentielle que réaliserait la fiducie québécoise par rapport à la propriété.
Deux solutions d’« acclimations » de la fiducie dans un contexte civiliste seront donc explorées ici : d’une part, celle de la fiducie analysée comme une propriété fiduciaire, simple modalité de la propriété (I), et d’autre part, celle de la fiducie comme intermède à la propriété, ou autrement dit, comme parenthèse ou entracte à la propriété (II).
I. La fiducie comme modalité de la propriété
Nous soumettons que la propriété fiduciaire est possible d’un point de vue théorique en droit civil (A) et que cette possibilité théorique, qui trouvait certainement un écho dans la fiducie du Code civil du Bas-Canada, trouve désormais une illustration pratique dans le droit positif français (B).
A. La possibilité théorique d’une propriété fiduciaire en droit civil
La propriété fiduciaire peut s’analyser comme une propriété aux contours aménagés. Elle constitue une propriété orientée, finalisée. Comme l’écrivent les professeurs Zenati-Castaing et Revet, « [l]a propriété est fiduciaire lorsqu’une personne devient propriétaire afin d’exécuter une mission, à l’issue de laquelle la chose est rétrocédée à l’aliénateur initial ou un tiers par lui désigné »[6]. Or, comme on l’a justement souligné, « [l]es spécificités du droit de propriété s’expliquent par la fonction technique qu’elle remplit sans remettre en cause son essence »[7]. Le fiduciaire ne peut certes pas agir avec une liberté absolue, puisqu’il doit poser des actes en accord avec la finalité de la fiducie, telle qu’elle a été fixée par le constituant[8]. Toutefois, la propriété est loin d’être le droit totalement absolu que le juriste civiliste se plaît souvent à décrire et le législateur peut, selon la définition même de la propriété, y poser des « limites » et « conditions d’exercice »[9].
La propriété fiduciaire n’est pas source de richesse pour le fiduciaire, puisqu’il doit agir dans l’intérêt d’un tiers, le bénéficiaire, plutôt que dans son propre intérêt[10]. Cela justifie, selon plusieurs auteurs, de voir dans l’institution fiduciaire non pas la présence d’un droit subjectif de propriété mais le simple exercice de pouvoirs juridiques[11]. Pourtant, il n’est pas certain qu’un droit subjectif en général ou que la propriété en particulier doive nécessairement être exercé dans son propre intérêt. De plus, la notion de pouvoir n’a pas totalement acquis son autonomie vis-à-vis du concept de droit subjectif[12].
Sans doute, la propriété fiduciaire n’est-elle pas une propriété perpétuelle[13]. Cependant, la doctrine civiliste a déjà montré que la perpétuité n’est pas essentielle à la propriété[14]. La loi ne requiert nullement la perpétuité de la propriété et des propriétés non perpétuelles, telles que la propriété intellectuelle, ont déjà été reconnues[15]. De plus, l’idée a été avancée selon laquelle lorsque la propriété fiduciaire s’éteint, ce n’est pas la propriété qui prend fin, mais uniquement cette modalité ou manière d’être spécifique de la propriété qu’est la propriété fiduciaire[16].
En réalité, la propriété civiliste est une institution malléable, qui peut parfaitement s’adapter aux types de modifications que la propriété fiduciaire implique. Cette dernière constitue une propriété particulière, puisque le propriétaire fiduciaire est soumis à certaines restrictions relativement à ses pouvoirs sur la chose. Il n’en demeure pas moins que l’on y retrouve les attributs traditionnels de la propriété que sont l’usus, le fructus et l’abusus, le fiduciaire ayant en principe tous les pouvoirs sur les biens en fiducie[17].
Le fait que le droit à l’usage, à la jouissance et à la disposition des biens en fiducie puisse être limité en raison de la finalité de la fiducie ne supprime pas la présence potentielle de ces attributs traditionnels de la propriété. De plus, de telles limites sont parfaitement compatibles avec la définition même de la propriété, qui permet d’imposer des restrictions aux droits du propriétaire[18]. En effet, la propriété est moins l’exercice effectif de toutes les prérogatives que confère la propriété, que la vocation à les exercer. Finalement, on retrouve également dans la propriété fiduciaire la présence de l’exclusivité — puisque le fiduciaire n’a besoin du concours de personne pour exercer ses pouvoirs sur les biens en fiducie[19] — qui est la marque de la propriété[20].
B. La reconnaissance pratique d’une propriété fiduciaire : l’exemple du droit civil français
Après plusieurs projets de loi avortés[21], le Code civil français comporte désormais un nouveau titre intitulé « De la fiducie », intégré dans le livre III portant sur les « différentes manières dont on acquiert la propriété »[22]. L’article 2011 de ce code définit la fiducie comme une « opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires » [nos italiques][23].
Le concept de patrimoine d’affectation est simplement évoqué dans le Code civil français, par le biais du patrimoine fiduciaire[24]. En effet, la fiducie française ne prévoit pas de véritable patrimoine autonome, le patrimoine fiduciaire n’étant totalement séparé ni du patrimoine personnel du fiduciaire ni du patrimoine personnel du constituant. C’est ainsi que l’article 2025 alinéa 2 Ccf dispose qu’en cas d’insuffisance du patrimoine fiduciaire, les créanciers de la fiducie peuvent poursuivre le paiement de leur créance sur le patrimoine du constituant. De plus, les parties peuvent prévoir par convention contraire que le gage général des créanciers de la fiducie sera limité au patrimoine du fiduciaire[25]. Dès lors, il s’agirait — plutôt que d’un patrimoine d’affectation en tant que tel — d’une forme de patrimoine de division, formant un sous-patrimoine au sein du patrimoine du fiduciaire.
On a pu se demander à quel titre les biens sont transférés en fiducie[26], et notamment si ces biens seraient uniquement « confiés » au fiduciaire par le constituant, ce qui écarterait la solution de la propriété. La solution la plus plausible est pourtant d’admettre, conformément à l’analyse classique du transfert de biens[27], que le transfert en fiducie réalise un transfert de biens en propriété, ce qui dans ce cas fait du fiduciaire un type de propriétaire. Telle est d’ailleurs la position du sénateur Philippe Marini, instigateur du projet de loi sur la fiducie[28].
Si certains auteurs y ont vu une propriété dévoyée[29], notamment en raison du fait qu’une telle propriété ne s’exerce pas dans l’intérêt du fiduciaire, il est pourtant possible d’y voir plutôt une propriété aux contours aménagés, les droits du fiduciaire s’exerçant « de manière fiduciaire, c’est-à-dire dans l’intérêt d’autrui »[30]. Une partie importante de la doctrine civiliste n’hésite plus à reconnaitre l’existence d’une propriété fiduciaire en droit civil français[31] et l’idée d’une propriété « avec charge » a notamment été évoquée[32].
La notion de modalité de la propriété peut être utilement explorée pour expliquer la fiducie française. Comme le soulignait le doyen Carbonnier, les modalités du droit de propriété « sont des manières d’être qui affectent le droit de propriété et se traduisent toujours, en définitive, par des restrictions aux pouvoirs du propriétaire, sans que la propriété soit, pour autant, démembrée »[33]. Le savant auteur citait comme exemples de ces modalités de la propriété, non seulement la copropriété et l’indivision, mais aussi la propriété inaliénable et la propriété affectée, « modelée par une affectation »[34]. La propriété fiduciaire mise en place par la loi française semble s’inscrire parfaitement dans le moule de la modalité, s’agissant d’une propriété affectée et finalisée[35]. Il est en effet possible de retrouver dans la propriété fiduciaire du droit français la présence des attributs traditionnels de la propriété, le fiduciaire étant investi du droit d’user des biens en fiducie, d’en percevoir les fruits et de les céder[36].
Une partie de la doctrine continue pourtant à émettre des réserves quant à la qualification de propriété fiduciaire, mode ou manière d’être particulière de la propriété, pour rendre compte de la fiducie. Ainsi a-t-on évoqué l’idée selon laquelle le fiduciaire a des pouvoirs limités et qu’il est moins un propriétaire absolu, seul maitre de sa chose dont il disposerait librement, qu’un « gestionnaire » dans le cas de la fiducie-gestion, ou un « conservateur » dans le cas de la fiducie-sûreté[37]. On a pu questionner la présence de l’exclusivité dans la propriété fiduciaire, le fiduciaire pouvant être exclu de ce rapport aux biens par l’effet d’une décision du constituant ou d’un tiers bénéficiaire[38].
Ces doutes quant à la qualification de propriété, s’agissant de la propriété fiduciaire, peuvent amener à envisager l’hypothèse d’une rupture pure et simple de la fiducie vis-à-vis du concept de propriété. Le schéma de la fiducie québécoise, tel qu’il résulte du Code civil du Québec, n’est pas tout à fait le même que celui de la fiducie française et la question d’une scission de la fiducie québécoise avec la propriété s’y pose avec davantage d’acuité. La fiducie québécoise réaliserait-elle alors une sorte d’intermède ou de parenthèse à la propriété?
II. La fiducie comme intermède à la propriété?
Le Code civil du Québec a fait de la fiducie un patrimoine d’affectation détaché de la notion de droit réel (A), ce qui pose la question à savoir si la fiducie civiliste peut rompre tous les liens avec la propriété (B).
A. La reconnaissance d’un patrimoine d’affectation détaché du droit réel : l’exemple du droit civil québécois
Contrairement à la fiducie française, la fiducie québécoise a reconnu l’existence d’un véritable patrimoine d’affectation autonome. Or, il est généralement admis que le concept de patrimoine d’affectation constitue à la fois une alternative et un rempart à la propriété fiduciaire, qui serait un concept trop marqué par la common law[39]. Surtout, la fiducie du Code civil du Québec est détachée de la notion de droit réel, puisqu’aux termes de l’article 1261 CcQ, le patrimoine fiduciaire constitue un patrimoine « autonome et distinct de celui du constituant, du fiduciaire ou du bénéficiaire, sur lequel aucun d’entre eux n’a de droit réel », ce qui faisait dire au doyen John Brierley que la notion de droit réel était tout simplement « dépassée » dans le cadre de la fiducie du nouveau code[40]. Finalement, la fiducie du Code civil du Québec fait référence aux règles sur l’administration du bien d’autrui, ce qui pourrait avoir pour effet de faire du fiduciaire un simple administrateur de biens[41].
Le patrimoine d’affectation est un patrimoine impersonnel, détaché de la personnalité juridique, qui tient sa cohésion du but qui lui est imprimé plutôt que de la personne de son titulaire[42]. Cette conception moderne ou objectiviste du patrimoine, initiée par la doctrine allemande de Brinz et Becker[43], remet directement en cause la théorie classique ou personnaliste du patrimoine, telle qu’elle avait été forgée au 19e siècle par Aubry et Rau[44]. Dans la conception classique, le patrimoine désignait l’ensemble des biens d’une personne envisagé comme formant une universalité de droit[45]. Il était indissociablement lié à la personnalité et devait être tout comme elle unique, indivisible et inaliénable[46]. Contrairement à cette conception, le patrimoine d’affectation se compose de deux masses de biens, l’actif affecté à un but déterminé et le passif né à l’occasion de la réalisation de ce but[47]. C’est alors l’affectation au but commun, et non plus la personnalité, qui créé le lien entre les biens et les obligations au sein d’un tel patrimoine[48].
Le patrimoine mis en place par la fiducie québécoise est un véritable patrimoine d’affectation, selon les termes mêmes de la loi[49]. Comme le souligne le doyen Sylvio Normand, « [d]ésormais, en droit québécois, un patrimoine autonome peut donc être constitué sans que personne ne puisse en revendiquer la titularité. Ceci heurte la théorie personnaliste qui clamait haut et fort la nécessité absolue de l’existence d’un droit de propriété sur les biens »[50]. Selon les Commentaires du ministre de la Justice sur le Code civil, la fiducie québécoise constitue la reconnaissance d’un patrimoine sans titulaire, puisque des droits ou des biens peuvent désormais être reconnus sans qu’une personne ne leur serve de support. Pour autant, les biens composant le patrimoine fiduciaire ne sont pas des biens sans maître, « puisque le fiduciaire en a la maîtrise et la détention »[51].
On a par ailleurs considéré en doctrine que la conception du patrimoine d’affectation retenue par le Code civil du Québec diffère du concept européen de patrimoine d’affectation, lequel est davantage vu comme une universalité de fait, autrement dit, comme une masse de biens sans passif correspondant. Selon la professeure Madeleine Cantin Cumyn, « [c]ette manière de concevoir le patrimoine d’affectation découle […] de la préférence en Europe pour une fiducie construite sur la propriété fiduciaire »[52]. Cette dernière observation nous conduit à évaluer le lien entre la fiducie québécoise et la propriété.
Sous le Code civil du Bas-Canada, l’existence d’une propriété fiduciaire avait été expressément reconnue et qualifiée de « propriété sui generis » par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Royal Trust Company c. Tucker[53]. Cette position avait été critiquée en son temps par une partie de la doctrine, pour laquelle la propriété fiduciaire n’est en rien équivalente à celle d’un propriétaire au sens civiliste, sa position étant même l’« antithèse » de la propriété[54], si bien que l’idée d’une propriété fiduciaire aurait conduit à dénaturer les règles du Code civil[55]. Cette thèse d’une dénaturation totale de la propriété nous semble trop forte d’un point de vue théorique parce qu’elle ne prend pas en compte la possibilité d’adaptation de la propriété civiliste, notamment par la voie de la notion de modalité de la propriété[56]. Il n’en reste pas moins que la conception de la fiducie a été fortement renouvelée dans le Code civil du Québec et qu’il faut donc tenir compte de cette évolution.
En droit québécois contemporain, il est majoritairement admis que la fiducie a coupé tous les liens avec la propriété[57]. Il est vrai qu’aux termes de 1261 CcQ, aucun des protagonistes à l’opération n’a de droit réel, cette précision constituant sans doute la différence la plus importante vis-à-vis de la fiducie française. Si plusieurs interprétations de cette précision sont possibles, toutes ne supprimant pas le lien avec la propriété[58], il reste que la position majoritaire tant en doctrine qu’en jurisprudence semble être celle d’une fiducie québécoise qui serait désormais détachée de la propriété et du droit réel, par le biais du concept de patrimoine d’affectation[59].
La conception dominante considère alors, suivant la théorie notamment exposée par la professeure Madeleine Cantin Cumyn, qu’il ne faut plus raisonner en termes de droits subjectifs exercés dans son propre intérêt (ce qui entraine à sa suite la distinction des droits patrimoniaux en droits réels et droits personnels) mais plutôt en termes de pouvoirs (powers) d’administration exercés pour le compte des bénéficiaires[60]. Cette position semble avoir été reprise récemment par la Cour d’appel du Québec, dans une décision du 18 décembre 2009, à propos d’une fiducie-sûreté établie par le tribunal en vertu de l’article 591 CcQ, dans un contexte de garantie d’une créance alimentaire[61].
L’article 1278 CcQ prévoit par ailleurs que le fiduciaire « agit à titre d’administrateur du bien d’autrui chargé de la pleine administration », ce qui est interprété comme un renvoi au titre 7 du CcQ relatif à l’« [a]dministration du bien d’autrui »[62]. Selon les commentaires du ministre de la Justice,
le fiduciaire a la gestion exclusive du patrimoine fiduciaire et les titres relatifs aux biens qui le composent sont établis en son nom ; il agit en toutes choses conformément à l’acte constitutif et à titre d’administrateur du bien d’autrui chargé de la pleine administration. Le renvoi aux règles de l’administration du bien d’autrui a pour effet, d’une part, de conférer au fiduciaire le pouvoir de faire tous les actes se rapportant aux biens gérés, dans la mesure où il l’estime nécessaire ou utile dans l’intérêt de la fiducie ou des bénéficiaires et d’autre part, de l’assujettir à un ensemble de dispositions destinées à garantir son intégrité et la qualité de son administration [nos italiques].[63]
Pourtant, même en tenant pour acquis que le Code civil du Québec a rompu les liens avec la propriété par le biais du patrimoine d’affectation et de la référence négative à la notion de droit réel, des questions subsistent. Cela est dû notamment au lien traditionnel et consubstantiel entre patrimoine et propriété[64]. Selon la vision classique, le propriétaire a un patrimoine, dans lequel se trouvent ses biens dont il est propriétaire, les biens étant eux-mêmes définis comme des objets d’appropriation. Or, avec la fiducie, on a la figure juridique d’un patrimoine détaché de la personne, qui contient des biens sur lesquels personne n’a de droit de propriété, mais qui pourtant avaient un propriétaire avant la création de la fiducie[65] et en auront également un à son extinction[66]. On peut alors se demander si la fiducie crée une sorte d’intermède à la propriété, autrement dit, une parenthèse au cours de laquelle on ne raisonne plus en termes de propriété et de droit réel, mais qui pourtant prend en compte la réalité propriétale, puisque la propriété des biens mis en fiducie sera transférée à l’extinction de la fiducie au bénéfice d’un nouveau propriétaire[67]. L’idée d’une fiducie détachée de la propriété ne va donc pas sans susciter de nouvelles interrogations.
B. La fiducie peut-elle rompre tous les liens avec la propriété?
L’hypothèse d’une fiducie patrimoine d’affectation détachée de la propriété et du droit subjectif n’est pas sans poser des défis théoriques de taille au juriste civiliste. On peut d’abord se demander qui est cet autrui dont le fiduciaire administre les biens. Par définition, les biens sont des objets d’appropriation[68]. Or, si le fiduciaire « agit à titre d’administrateur du bien d’autrui » comme le prévoit l’article 1278 CcQ, cela signifie-t-il qu’il y a un « autrui » propriétaire des biens en fiducie? Un auteur a déjà souligné qu’« [i]l n’apparaît pas satisfaisant, voire cohérent d’expliquer que le fiduciaire est un gérant doté d’un pouvoir au sens strict, c’est-à-dire qu’il exerce une prérogative issue d’un droit dont un autre est titulaire et d’affirmer en même temps que les biens n’appartiennent à personne »[69]. La question se pose alors légitimement de savoir qui serait cet autrui propriétaire, s’il ne s’agit pas du fiduciaire. Ce n’est certainement pas le constituant qui, selon la définition même de la fiducie, n’est plus propriétaire des biens transférés en fiducie[70]. Si l’on prend au mot le législateur et que le fiduciaire administre véritablement des biens qui ne sont pas à lui, alors, l’ombre de la propriété (celle du bénéficiaire? celle de la fiducie elle-même?) plane à nouveau sur la fiducie.
Une autre question théorique de taille est de savoir de qui l’on acquiert, lorsqu’on acquiert des biens en fiducie. L’interrogation n’est pas nouvelle et le doyen François Frenette s’étonnait déjà de la fiction qui consiste à admettre, par la voie d’une fiducie sans propriétaire et sans personnalité morale, que « quiconque acquerrait un bien du fiduciaire, n’acquerrait de personne »[71]. Certes, les titres sont au nom du fiduciaire[72]. Mais cela suffit-il à admettre que l’acquéreur acquiert un titre de propriété d’un non-propriétaire, ce qui va à l’encontre du principe traditionnel en droit civil, selon lequel on ne peut transférer plus de droits qu’on en a[73]?
La thèse selon laquelle il faudrait reconnaitre la fiducie comme un nouveau sujet de droit a été présentée en doctrine. Plus spécifiquement, il s’agit de « [c]onsidérer que la fiducie est le sujet des droits et obligations compris dans le patrimoine fiduciaire, alors qu’elle n’a pas le statut de personne morale »[74]. Il faudrait alors « reconnaître cette non-personne comme le sujet des droits et des obligations compris dans le patrimoine fiduciaire. La fiducie doit alors être admise comme une troisième espèce de sujet de droit, à côté de la personne humaine et de la personne morale »[75].
Cette théorie montre à quel point il est difficile de rompre complètement avec la propriété et le lien d’appartenance, même en adoptant une conception d’un patrimoine d’affectation détaché de la propriété. Le problème se reporte en effet ailleurs : dès lors qu’il y a des biens en cause, le civiliste en recherche naturellement le propriétaire, ou à tout le moins la personne ou le sujet de droit auquel rattacher ces biens. Si l’on interprète l’article 1261 CcQ de manière à considérer qu’aucun des protagonistes à l’opération fiduciaire n’est un propriétaire, peut-être que la fiducie elle-même aurait cette qualité[76]? Si cette idée a le mérite de renouer, au moins indirectement, le lien entre fiducie et propriété, et minimalement et plus explicitement, de retisser le lien entre sujet de droit et objet de droit, il reste que la solution implique une révision fondamentale de la conception du sujet de droit, traditionnellement liée à la personnalité juridique. Le pas est franchi pour éviter la notion de personnalité morale et les formalités qui leur sont applicables, ce que le législateur a justement cherché à éviter[77].
Cette thèse n’ayant pas été acceptée à ce jour, la question se pose à nouveau de savoir qui est cet autrui propriétaire, s’il ne s’agit ni du fiduciaire ni de la fiducie elle-même. S’il existe un autrui propriétaire qui n’est pas le fiduciaire, puisque ce dernier administre les biens d’autrui, ni le constituant, qui par définition n’est plus propriétaire des biens qu’il a transférés en fiducie, de qui parle-t-on? S’agirait-il du bénéficiaire, qui pourrait être considéré comme un propriétaire, au moins en devenir, et dont le statut se rapprocherait de celui de l’appelé de la substitution[78]? Serait-il alors possible de considérer que le bénéficiaire a, sinon un droit de propriété actuel durant la fiducie, ce qui justifierait la lettre de l’article 1261 CcQ, du moins une « vocation à la propriété », ce « droit certain » auquel l’article 1265 CcQ fait allusion? Est-ce cette ombre de la propriété future du bénéficiaire qui peut expliquer la terminologie du législateur lorsqu’il dit que le fiduciaire administre les biens d’autrui?
Pendant le temps que dure la fiducie, il semble bien que l’intention du législateur québécois a été de mettre de côté la notion de propriété, au moins dans son acception traditionnelle, par le biais du concept de patrimoine d’affectation. Pourtant, cette mise de côté n’est que partielle et temporaire, puisque la propriété se reconstituera à l’extinction de la fiducie[79], dès le moment où le fiduciaire remettra les biens au bénéficiaire[80]. La fiducie québécoise pourrait alors être analysée moins comme une négation de la propriété que comme une parenthèse à la propriété, voire même comme un nouveau mode d’acquisition de la propriété.
Conclusion
La réponse à notre question initiale de savoir si la fiducie civiliste peut être envisagée comme une modalité de la propriété ou comme un intermède à la propriété n’appelle sans doute pas de réponse univoque. Il ressort de ces développements que la propriété est une institution suffisamment malléable pour s’adapter à la propriété fiduciaire, comme cela est illustré par le droit positif français. En même temps, il est sans doute possible, dans un système juridique donné, de tenter de briser les liens avec la matrice du droit des biens qu’est la propriété et de voir ainsi dans la fiducie un intermède à la propriété, ce qui pourrait être la solution adoptée par le droit positif québécois.
Quelle que soit la voie explorée, le juriste civiliste peine toutefois à détacher totalement l’analyse de la fiducie de la notion de propriété. Cela est clair dans le modèle de la fiducie civiliste française, par la voie d’une reconnaissance de la propriété fiduciaire. Mais cela apparait également dans la solution du législateur québécois qui a fait de la fiducie un patrimoine d’affectation, tout en laissant planer sur elle l’ombre de la propriété.
Les conceptions civilistes en la matière semblent jusqu’à présent si fortement ancrées dans la propriété — qui est le lien par excellence de la personne aux biens, en même temps qu’elle est l’institution par laquelle se fait le transfert de biens d’un patrimoine à un autre — que si la fiducie est envisagée en rupture avec la propriété, cela implique minimalement deux choses. D’une part, cette rupture ne saurait être unique mais emporte avec elle une série de modifications théoriques, dont la principale est la redéfinition du concept de patrimoine, qui en sort totalement renouvelé, mais qui pourrait également s’étendre à d’autres concepts fondamentaux, allant jusqu’à celui de sujet de droit, comme certains auteurs l’ont déjà proposé. D’autre part, cette rupture ne saurait être ni totale ni permanente et pourra tout au plus être vue comme une parenthèse ou un intermède à la propriété, l’ombre de la propriété planant sur la fiducie pendant toute sa durée et la propriété reprenant toute sa vigueur à l’extinction de la fiducie.
Appendices
Notes
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[1]
Le droit romain connaissait à la fois la fiducia cum creditore (fiducie-sûreté) et la fiducia cum amico (fiducie-gestion). Voir notamment : Raymond Monier, Manuel élémentaire de droit romain, 4e éd, t 2, Paris, Montchrétien, 1948 à la p 120; Jean Gaudemet, Droit privé romain, 2e éd, Paris, Montchrétien, 2000 à la p 268. La fiducie romaine, conçue à une époque où le transfert de possession entraînait un transfert de propriété, a été décrite comme l’« ancêtre du dépôt et du gage » : Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet, Les biens, 3e éd, Paris, Presses universitaires de France, 2008 à la p 404.
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[2]
Louis Baudouin, Le droit civil de la province de Québec : Modèle vivant de droit comparé, Montréal, Wilson et Lafleur, 1953 à la p 1244.
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[3]
Par ex, en Louisiane (Louisiana Trust Code, 1964 La Acts, no 338), au Japon (Shintaku Ho (Trusts Act), 1922 no 62) et, suite à la ratification de la Convention relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance (1 juillet 1985, 1664 RTNU 311, RT Can 1993 nº 2), en Suisse (Loi fédérale sur le droit international privé, RO 1988 1776, 18 décembre 1987 aux art 149(a)-(ßd)), et au Luxembourg (Loi du 27 juillet 2003, Journal Officiel du Grand-Duché de Luxembourg, 3 septembre 2003, 2620). Cette étude se limite toutefois aux exemples de la fiducie en droit civil français et québécois.
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[4]
Zenati-Castaing et Revet, supra note 1 à la p 405. Sur le lien entre la fiducie française et le trust, voir notamment : Christian Larroumet, « La fiducie inspirée du trust » (1990) D 119 à la p 120. Sur le lien entre la fiducie québécoise et le trust, voir notamment : Office de révision du Code civil, Comité du droit de la fiducie, Rapport sur la fiducie, Montréal, 1976 à la p 2 (Paul-André Crépeau (président)) [Rapport sur la fiducie]. Voir aussi pour une position plus nuancée sur cette question : M Cantin Cumyn, « La fiducie en droit québécois dans une perspective nord-américaine » dans J Herbots et D Phillippe, dir, Le trust et la fiducie : implications pratiques, Bruxelles, Bruylant, 1997, 73 à la p 74.
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[5]
JO, 21 février 2007, 3052 [Loi no 2007-211].
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[6]
Zenati-Castaing et Revet, supra note 1 à la p 404.
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[7]
Béatrice Kan-Balivet, « Les clés du contrat de fiducie-gestion » (2009) 185 Dr et pat 70 à la p 73. Voir aussi, à propos de la propriété-gestion : Béatrice Balivet, Les techniques de gestion des biens d’autrui, thèse de doctorat en droit, Université Jean-Moulin – Lyon 3, 2004 [non publiée] à la p 172.
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[8]
Sur cette idée : Philippe Marini, « Enfin la fiducie à la française » (2007) D 1347 à la p 1347 [Marini, « Enfin »].
-
[9]
Art 947 CcQ et art 544 CcF. Voir notamment sur ce point : Marquis de Vareilles-Sommières, « La définition et la notion juridique de la propriété » (1905) 4 RTD civ 443 au no 62; Roderick A Macdonald, « Reconceiving the Symbols of Property: Universalities, Interests and Other Heresies » (1994) 39 : 4 RD McGill 761; Gerald Goldstein, « La relativité du droit de propriété : enjeux et valeurs d’un Code civil moderne » (1990) 24 : 3 RJT 505 à la p 507.
-
[10]
Michel Grimaldi, « La fiducie : réflexions sur l’institution et sur l’avant-projet de loi qui la consacre » [1991] 12 Répertoire du Notariat Defrénois, art 35085, 897 à la p 913. Voir aussi Madeleine Cantin Cumyn, « La propriété fiduciaire : mythe ou réalité? » (1984) 15 : 1 RDUS 7 à la p 13 [Cantin Cumyn, « La propriété fiduciaire : mythe ou réalité? »].
-
[11]
Sur la notion de pouvoir : Emmanuel Gaillard, Le pouvoir en droit privé, Paris, Economica, 1985 aux pp 232-33; Madeleine Cantin Cumyn, L’administration du bien d’autrui, Cowansville (Qc), Éditions Yvon Blais, 2000 au para 91 [Cantin Cumyn, L’administration du bien d’autrui]; Madeleine Cantin Cumyn, « Le pouvoir juridique », (2007) 52 : 2 RD McGill 215 à la p 225.
-
[12]
La définition du droit subjectif reste suffisamment large pour y intégrer le pouvoir, notion à laquelle le droit subjectif est d’ailleurs souvent lié. Voir par exemple : Gérard Cornu, dir, Vocabulaire juridique, 7e éd, Paris, Presses Universitaires de France, 2005, sub verbo « droit subjectif » : « prérogative individuelle reconnue et sanctionnée par le Droit objectif qui permet à son titulaire de faire, d’exiger ou d’interdire quelque chose dans son propre intérêt ou, parfois, dans l’intérêt d’autrui » [nos italiques]. Voir aussi : Friedrich Karl von Savigny, Traité de droit romain, t 1, traduit par Guenoux, Paris, Didot, 1851 à la p 7; Raymond Saleilles, De la personnalité juridique, 2e éd, Paris, A Rousseau, 1922 aux pp 547-48. Sur la critique de la notion de pouvoir pour expliquer entièrement la situation du fiduciaire, voir également François Barrière, La réception du trust au travers de la fiducie, thèse de doctorat en droit, Université Panthéon-Assas (Paris II), Paris, Litec, 2004 aux pp 326-27.
-
[13]
La durée de la propriété fiduciaire a été portée de 33 à 99 ans suite à une modification de la loi sur la fiducie, aujourd’hui codifiée à l’art 2018-2 CcF. Voir notamment sur ce point : Encyclopédie juridique Dalloz : Répertoire de droit civil, « Fiducie » par François Barrière au no 56.
-
[14]
Catherine Pourquier, Propriété et perpétuité. Essai sur la durée du droit de propriété, thèse de doctorat en droit, Faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2000 au para 294. Voir aussi Christian Atias, Droit civil : Les biens, 6e éd, Paris, Litec, 2002 au para 76.
-
[15]
En droit civil français, la propriété littéraire et artistique s’éteint soixante-dix ans après la mort de l’auteur (même si le droit moral est perpétuel) : art L121-1, al 3 CPI; art L123-1 CPI. Voir aussi sur le caractère temporaire des droits du breveté: art L611-2 CPI. De plus, tout comme un propriétaire peut abandonner son bien, des parties pourraient fort bien prévoir de façon conventionnelle une propriété à temps limité.
-
[16]
François Frenette, « La propriété fiduciaire », (1985) 26 : 3 C de D 727 à la p 736 [Frenette, « La propriété fiduciaire »]. Voir infra sur la modalité.
-
[17]
Voir par ex art 1265 CcQ et surtout l’art 1278 CcQ aux termes duquel le fiduciaire « a la maîtrise et l’administration exclusive du patrimoine fiduciaire et […] exerce tous les droits afférents au patrimoine ». Voir aussi art 2023 CcF : « Dans ses rapports avec les tiers, le fiduciaire est réputé disposer des pouvoirs les plus étendus sur le patrimoine fiduciaire ». Selon une interprétation, le fiduciaire est privé du fructus. On peut toutefois soutenir que le fiduciaire a le droit aux fruits puisqu’il les perçoit, bien qu’il n’en ait pas la jouissance, puisqu’il « ne peut user de ses prérogatives que dans le seul but de réaliser l’objet de la fiducie » : François Barrière, « Commentaire de la loi no 2007-211 du 19 février 2007 (2e partie) » [2007] 5 Bulletin Joly Sociétés 555 [Barrière, « Commentaire de la loi no 2007-211 (2e partie) »].
-
[18]
Voir Frenette, « La propriété fiduciaire », supra note 16 à la p 736; Vareilles-Sommières, supra note 9 aux pp 477-78.
-
[19]
Voir Grimaldi, supra note note 10 à la p 916; François Barrière, « Commentaire de la loi no 2007-211 du 19 février 2007 (1ère partie) » [2007] 4 Bulletin Joly Sociétés 440 [Barrière, « Commentaire de la loi no 2007-211 (1ère partie) »]. Voir aussi à titre comparatif l’art 1278 CcQ : « Le fiduciaire a la maîtrise et l’administration exclusive du patrimoine fiduciaire » [nos italiques].
-
[20]
Voir notamment Fréderic Zenati, Essai sur la nature juridique de la propriété : Contribution à la théorie du droit subjectif, thèse de doctorat en droit, Université Jean-Moulin – Lyon 3, 1981 à la p 543; Yaëll Emerich, « Propriété, relation et exclusivité : étude de droit comparé » (2009) 34 : 4 RRJ 1841 à la p 1848.
-
[21]
Voir X Delpech, « Enfin une loi sur la fiducie! » (2007) D 566 à la p 566. Antérieurement à la Loi no 2007-211, supra note 5, des fiducies innomées étaient toutefois reconnues par le droit français, notamment à travers la titrisation des créances (art L214-43 et s Code monétaire et financier [C mon et fin]) ou de cession de créance à titre de garantie (art L313-23 et s C mon et fin). Voir aussi Claude Witz, La fiducie en droit privé français, Paris, Economica, 1981 à la p 41 et s. Sur l’enjeu économique de la reconnaissance de la fiducie en France, voir notamment Philippe Dupichot (entretien), « Fiducie et finance islamique » (2010) D 1064.
-
[22]
La Loi no 2007-211, supra note 5, instituant le contrat de fiducie a été modifiée par la Loi no 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, JO, 5 août 2008, 12471 telle que complétée par l’Ordonnance no 2009-112 du 30 janvier 2009 portant diverses mesures relatives à la fiducie, JO, 31 janvier 2009, 1854. La loi de 2008 a ouvert la fiducie aux personnes physiques et a porté sa durée à un maximum de 99 ans (art 18).
-
[23]
Trois éléments principaux peuvent être tirés de cette définition : 1° la fiducie est une opération par laquelle un constituant transfère des biens à un fiduciaire; 2° le fiduciaire tient ces biens séparés de son patrimoine propre; 3° le fiduciaire agit dans un but déterminé au profit d’un bénéficiaire.
-
[24]
Voir infra sur le patrimoine d’affectation. Voir aussi : Mustapha Mekki, « Le patrimoine aujourd’hui », (2011) JCP G 1258; Pierre Berlioz, « L’affectation au coeur du patrimoine », [2011] 4 RTD Civ 635.
-
[25]
Art 2025, al 2 CcF : « En cas d’insuffisance du patrimoine fiduciaire, le patrimoine du constituant constitue le gage commun de ces créanciers, sauf stipulation contraire du contrat de fiducie mettant tout ou partie du passif à la charge du fiduciaire » [nos italiques].
-
[26]
Sur cette question voir notamment : Rémy Libchaber, « Les aspects civils de la fiducie dans la loi du 19 février 2007, 2e partie » [2007] 17 Répertoire du Notariat Defrénois, art 38639, 1194; Philippe Malaurie et Laurent Aynès, Les biens, 3e éd, Paris, Défresnois, 2007 aux paras 757-67. Pour une réflexion équivalente en droit civil québécois : Yves Caron, « The Trust in Quebec » (1980) 25 : 4 RD McGill 421 à la p 425 et s. Voir également une comparaison de la situation en France (transfert du droit de propriété au fiduciaire) avec celle du Québec (absence de droit réel) : Jean-Philippe Dunand, Le transfert fiduciaire : « donner pour reprendre ». Mancipio dare ut remancipetur; analyse historique et comparatiste de la fiducie-gestion, Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 2000 à la p 384.
-
[27]
Voir notamment : « Biens : droit de propriété et ses démembrements » dans François Chabas, dir, Leçons de droit civil, t 2, vol 2, 8e éd, Paris, Montchrestien, 1994 au para 1348.
-
[28]
Philippe Marini, « La fiducie, enfin! », (2007) JCP E 2050 aux paras 3 et 4, selon lequel la fiducie est un « contrat synallagmatique translatif de propriété », ce « transfert en pleine propriété » étant « cependant doublement limité, dans le temps et dans sa substance ».
-
[29]
Voir Pierre Decheix, « La fiducie ou du sens des mots » (1997) D 35 à la p 36.
-
[30]
Gauthier Blanluet et Jean-Pierre Le Gall, « La fiducie, une oeuvre inachevée » (2007) 26 Revue de droit fiscal 676 au para 10.
-
[31]
Le sénateur Philippe Marini lui-même, à l’origine du projet de loi sur la fiducie, a décrit la fiducie comme translative de la propriété : Marini, « Enfin », supra note 8 à la p 1347. Voir aussi Barrière, « Commentaire de la loi no 2007-211 (2e partie) », supra note 17; Malaurie et Aynès, supra note 26 aux paras 757-67; Grimaldi, supra note 10 à la p 916. Sur le lien entre propriété ordinaire et propriété fiduciaire : Michel Grimaldi et François Barrière, « La fiducie en droit français » dans Madeleine Cantin Cumyn, dir, La fiducie face au trust dans les rapports d’affaires : XVe Congrès International de Droit Comparé, Bruxelles, Bruylant, 1999, 237 à la p 246 et s.
-
[32]
Sur l’idée de propriété avec charge, voir France, Sénat, Rapport sur la proposition de loi tendant à favoriser l’accès au crédit des petites et moyennes entreprises, par Philippe Marini, rapport no 442 (27 mai 2009) à la p 78. Voir aussi : Arnaud Raynouard et Fabienne Jourdain-Thomas, « La fiducie, nouvel outil de gestion et de sûreté », (2010) JCP N 1063 aux paras 11-12. Sur les différentes expressions utilisées pour désigner la propriété fiduciaire : Blandine Mallet-Bricout, « Fiducie et propriété » dans Sarah Bros et Blandine Mallet-Bricout, dir, Liber Amicorum Christian Larroumet, Paris, Economica, 2010, 297 aux paras 21-26 [Mallet-Bricout, « Fiducie et propriété »].
-
[33]
Jean Carbonnier, Droit civil : Les biens, t 3, 19e éd, Paris, Presses Universitaires de France, 2000 au para 78. Voir aussi Sylvio Normand, « La notion de modalité » dans Mélanges offert à François Frenette : Études portant sur le droit patrimonial, Québec, Presses de l'Université Laval, 2006, 255 aux pp 259-66.
-
[34]
Carbonnier, supra note 33 au para 78.
-
[35]
Barrière, « Commentaire de la loi no 2007-211 (2e partie) », supra note 17; Yaëll Emerich, « Les fondements conceptuels de la fiducie française face au trust de la common law : entre droit des contrats et droit des biens », (2009) 61 : 1 RIDC 49 à la p 67. L’idée de modalité de la propriété avait déjà été proposée par François Frenette pour expliquer la propriété québécoise du Code civil du Bas-Canada : Frenette, « La propriété fiduciaire », supra note 16 aux pp 735-36. Sur la notion de modalité de la propriété, voir notamment Normand, supra note 33; Carbonnier, supra note 33 au para 78.
-
[36]
Voir l’art 2023 CcF. Voir aussi Barrière, « Commentaire de la loi no 2007-211 (1ère partie) », supra note 19; Witz, supra note 21 au para 276 : « En tant que propriétaire du bien à gérer ou affecté en garantie, le fiduciaire est seul habilité à exercer l’intégralité des attributs attachés à ce bien ».
-
[37]
Voir notamment Blandine Mallet-Bricout, « Le fiduciaire propriétaire ? » (2010) JCP N 1073 au para 7 et Mallet-Bricout, « Fiducie et propriété », supra note 32 au para 6 : « [L]’esprit qui anime ces dispositions est inverse de celui que l’on reconnaît à l’article 544 C.c. ».
-
[38]
Voir notamment ibid au para 8. Toutefois, dans ce cas, on peut se demander si ce n’est pas simplement la propriété fiduciaire qui cesse, du fait même de cette exclusion de l’exclusivité des pouvoirs sur la chose.
-
[39]
Voir John E C Brierley, « Regards sur le droit des biens dans le nouveau Code civil du Québec » (1995) 47 : 1 RIDC 33 au para 17 [Brierley, « Regards »]; Madeleine Cantin Cumyn, « The Quebec Trust: A Civilian Institution with English Law Roots » dans John Michael Milo et Jan M Smits, Trusts in Mixed Legal System, Ars Aequi Libri, Nijmegen, 2001, 73 à la p 80.
-
[40]
Brierley, « Regards », supra note 39 à la p 42. Avant la codification de 1994, le Code civil du Bas-Canada reconnaissait un rôle limité à la fiducie-gestion, par la voie des libéralités, alors que la fiducie-sûreté s’était développée par le biais de l’utilisation de la Loi sur les pouvoirs spéciaux des personnes morales, LRQ c P-16. Le Code civil du Québec a élargi le domaine de la fiducie, en donnant un cadre juridique aux fiducies personnelles, aux fiducies aux fins d’affaires ou à d’autres fins de nature privée et aux fiducies d’utilité sociale : Jacques Beaulne, Droit des fiducies, Montréal, Wilson & Lafleur, 1998 au para 7. Sur la fiducie-sûreté, voir notamment Louis Payette, Les sûretés réelles dans le Code civil du Québec, 4e éd, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2010 à la p 944 et s.
-
[41]
Sur l’idée d’un administrateur-propriétaire et sur l’absence d’incompatibilité entre le fait d’être administrateur de biens en qualité de propriétaire plutôt qu’en qualité de représentant comme c’est le cas le plus souvent, voir cependant Balivet, supra note 7 à la p 143.
-
[42]
Voir notamment Carbonnier, supra note 33 au para 4; Pierre Charbonneau, « Les patrimoines d’affectation : Vers un nouveau paradigme en droit québécois du patrimoine » (1983) 85 : 9-10 R du N 491.
-
[43]
Serge Guinchard, Essai d’une théorie générale de l’affectation des biens en droit privé français, thèse de doctorat en droit, Université Jean Moulin – Lyon 3, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1976 au para 1.
-
[44]
Frédéric Zenati, « Mise en perspective et perspectives de la théorie du patrimoine » [2003] 4 RTD Civ 667. Voir aussi Nicholas Kasirer, « Translating Part of France’s Legal Heritage: Aubry and Rau on the Patrimoine » (2008) 38 : 1 RGD 453 au para 4.
-
[45]
C Aubry et C Rau, Droit civil français, t 2, 7e éd, Paul Esmein, dir, Paris, Librairies Techniques, 1961 à la p 14.
-
[46]
Dans une perspective critique, voir Anne-Laure Thomat-Raynaud, L’unité du patrimoine : Essai critique, Paris, Defrénois, 2007 aux paras 65-66.
-
[47]
Beaulne, supra note 40 à la p 26.
-
[48]
Brigitte Roy, « L’affectation des biens en droit civil québécois » (2001) 103 R du N 383 aux pp 426-27. Voir aussi Thomas Naudin, La théorie du patrimoine à l’épreuve de la fiducie, mémoire de maîtrise en droit privé, Université de Caen, 2007 [non publié] aux paras 42-43.
-
[49]
Art 1261 CcQ : « Le patrimoine fiduciaire, formé des biens transférés en fiducie, constitue un patrimoine d’affectation autonome et distinct de celui du constituant, du fiduciaire et du bénéficiaire » [nos italiques]. Voir aussi Brierley, « Regards », supra note 39 à la p 45 et s.
-
[50]
Sylvio Normand, Introduction au droit des biens, Montréal, Wilson & Lafleur, 2000 à la p 25 [Normand, Introduction]. Voir aussi : Québec, Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice : le Code civil du Québec, t 1, Québec, Publications du Québec, 1993 aux pp 748-50 [Commentaires du ministre].
-
[51]
Ibid.
-
[52]
Madeleine Cantin Cumyn, « Pourquoi définir la fiducie comme un patrimoine d’affectation? » dans Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, Colloque du Trentenaire, 1975-2005 : Regards croisés sur le droit privé, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2008, 131 à la p 140. Voir aussi Emmanuel Ravanas, « Les difficultés d’introduction de la fiducie québécoise dans un pays de tradition civiliste connaissant l’institution de la réserve héréditaire : L’exemple de la France » (2007) 109 R du N 265 à la p 283 et s; Mario Naccarato, « La fiducie : réflexion sur la réception judiciaire d’un nouveau code » (2007) 48 : 3 C de D 505 à la p 510 et s.
-
[53]
[1982] 1 RCS 250 aux pp 272-73, 12 ETR 257 [Tucker] (conclusion du juge Beetz) :
Le constituant n’est plus le propriétaire des biens transportés en fiducie [...]. La propriété ne repose pas sur le bénéficiaire du revenu qui n’a vis-à-vis du fiduciaire qu’un droit de créance. Elle ne repose pas non plus, durant la fiducie, sur le bénéficiaire du capital : dans un grand nombre de cas il vient au deuxième ou troisième rang et n’est pas encore né ni conçu. Lorsqu’enfin la propriété tenue en fiducie lui est transféré [...] c’est que la fiducie s’est terminée. Il ne reste donc que le fiduciaire sur la tête de qui puisse porter la propriété des biens de la fiducie. Sans doute ne s’agit-il pas du droit de propriété traditionnel puisque, par exemple, il est temporaire et ne comporte pas de fructus. C’est un droit de propriété sui generis.
Pour une analyse de cette affaire, voir notamment Michael McAuley et Jeffrey Talpis, « The Quebec Trust in the “Real World” », dans Conférences sur le nouveau Code civil du Québec. Actes des Journées louisianaises de l’Institut canadien d’études juridiques supérieures, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1991, 55. Voir aussi : John E C Brierley, « L’affaire “Tucker” sous les feux du droit comparé » (1984-85) 15 : 1 RDUS 3.
-
[54]
Cantin Cumyn, « La propriété fiduciaire : mythe ou réalité? », supra note 10 à la p 12. Contra P-B Mignault, « À propos de la fiducie » (1933-34) 12 R du D 73 à la p 76.
-
[55]
Cantin Cumyn, « La propriété fiduciaire: mythe ou réalité? », supra note 10 à la p 13 : « [O]n ne conçoit pas en droit civil qu’une personne puisse être titulaire d’un droit réel ou d’un droit personnel sans que ce droit représente pour elle personnellement un avantage pécuniaire et, à ce titre, constitue un actif dans son patrimoine ».
-
[56]
Voir ibid.
-
[57]
La fiducie créée par le Code civil du Québec semble avoir évité le lien entre fiducie et propriété : John E C Brierley, « De certains patrimoines d’affection », dans La réforme du Code civil, t 1, Québec, Presses de l’Université Laval, 1993, 735 à la p 747. On remarquera pourtant la place de la fiducie dans le Code civil du Québec, qui est réglementée dans le livre 4 intitulé « Des biens », plutôt que dans le livre suivant portant sur les obligations.
-
[58]
Cela pourrait notamment signifier que la propriété n’est pas un droit réel, ou du moins pas un droit réel au sens traditionnel. Voir Yaëll Emerich, La propriété des créances : approche comparative, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 2007 à la p 298 et s.
-
[59]
Telle était d’ailleurs la position de l’Office de révision du Code civil : Rapport sur la fiducie, supra note 4 à la p 4 :
Si l’on analyse la fiducie dans un contexte de droit civil, il est immédiatement apparent que les droits que le fiduciaire exerce quant aux biens mis en fiducie ne sont pas ceux d’un propriétaire, encore qu’il ait tous les pouvoirs d’administration et d’aliénation. La propriété ne peut non plus reposer sur le bénéficiaire qui est plutôt dans la situation d’un créancier à l’égard de la fiducie. Quant au constituant, il est essentiel qu’il se départisse des biens qu’il met en fiducie. Le rapport propose de considérer que les choses ou les droits mis en fiducie constituent un patrimoine distinct de celui du fiduciaire dont ce dernier a la gestion exclusive [nos italiques].
-
[60]
Cantin Cumyn, L’administration du bien d’autrui, supra note 11 à la p 4 : « L’administrateur n’exerce pas un droit, mais un pouvoir sur le bien d’autrui ».
-
[61]
Droit de la famille - 093071, 2009 QCCA 2460 au para 56, [2010] RDF 1 [Juge Kasirer] :
In Quebec law, the trustee has neither “legal ownership” of the trust property [...], nor “sui generis ownership” [...]. This is important in imagining the limited character of the trustee’s control over the trust assets where the potential for conflict is in the air. Instead of a proprietary entitlement, the trustee has “powers” (pouvoirs) of administration to be exercised on behalf of the beneficiaries, as opposed to “legal rights” (droits subjectifs) to be exercised in his or her own interest [nos italiques, notes omises].
-
[62]
Voir aussi l’art 1299 CcQ : « Toute personne qui est chargée d’administrer un bien ou un patrimoine qui n’est pas le sien assume la charge d’administrateur du bien d’autrui ».
-
[63]
Commentaires du ministre, supra note 50 à la p 747. Voir aussi : François Rainville, « De l’administration du bien d’autrui », dans La réforme du Code civil, t 1, Québec, Presses de l’Université Laval, 1993, 783 à la p 785 : « La pleine administration du bien d’autrui suppose pour son administrateur la possibilité d’exercer sur ces biens tous les droits et pouvoirs que possède une personne physique capable sur ses propres biens » [nos italiques].
-
[64]
Voir notamment Muriel Fabre-Magnan, « Propriété, patrimoine et lien social » [1997] 3 RTD civ 583.
-
[65]
En effet, aux termes de l’art 1260 CcQ, la fiducie résulte d’un acte par lequel le constituant transfère des biens de son patrimoine à un autre patrimoine qu’il constitue.
-
[66]
A la fin de la fiducie, le fiduciaire doit, selon les dispositions de l’art 1297 CcQ, « remettre les biens à ceux qui y ont droit. À défaut de bénéficiaire, les biens qui restent au terme de la fiducie sont dévolus au constituant ou à ses héritiers ». Quant aux biens d’une fiducie d’utilité sociale qui prend fin par suite de l’impossibilité de l’accomplir, ils sont « dévolus à une fiducie, à une personne ou à tout autre groupement de personnes ayant une vocation se rapprochant le plus possible de celle de la fiducie ». Voir aussi l’art 1296 CcQ : « La fiducie prend fin par la renonciation ou la caducité du droit de tous les bénéficiaires tant du capital ou des fruits et revenus. Elle prend fin aussi par l’arrivée du terme ou l’avènement de la condition, par le fait que le but de la fiducie a été atteint ou par l’impossibilité, constatée par le tribunal de l’atteindre ».
-
[67]
La fiducie réaliserait-t-elle alors une nouvelle forme de transmission des biens, aux côtés notamment du contrat et de la succession? Il s’agit d’ailleurs d’une des voies possibles d’interprétation de la fiducie française, qui a été intégrée au sein du livre troisième intitulé « Des différentes manières dont on acquiert la propriété ».
-
[68]
Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues : Les obligations, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2003, sub verbo « bien ». Voir aussi : Cornu, supra note 12 sub verbo « bien ».
-
[69]
Balivet, supra note 7 à la p 162.
-
[70]
Aux termes de l’art 1260 CcQ, « le constituant, transfère de son patrimoine à un autre patrimoine qu’il constitue, des biens ».
-
[71]
Frenette, « La propriété fiduciaire », supra note 16 à la p 737.
-
[72]
Art 1278 CcQ.
-
[73]
Sur l’adage nemo plus juris, voir notamment Albert Mayrand, Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées en droit, 4e éd mise à jour par Mairtin Mac Aodha, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2007 à la p 380.
-
[74]
Madeleine Cantin Cumyn, « La fiducie, un nouveau sujet de droit? », dans Jacques Beaulne, dir, Mélanges Ernest Caparros, Montréal, Wilson et Lafleur, 2002, 129 à la p 142 [Cantin Cumyn, « La fiducie »].
-
[75]
Ibid à la p 143.
-
[76]
Sur la thèse de la quasi-personnification de la fiducie voir aussi : Marcel Faribault, Traité théorique et pratique de la fiducie ou trust du droit civil dans la province de Québec, Montréal, Wilson et Lafleur, 1936; Pierre Lepaulle, Traité théorique et pratique des trusts en droit interne, en droit fiscal et en droit international, Paris, A Rousseau, 1932 à la p 42; Pierre Lepaulle, « An Outsider’s View Point of the Nature of Trusts » (1928-29) 14 : 1 Cornell LQ 52 à la p 56; Madeleine Cantin Cumyn, « The trust in a civilian context: The Quebec case » (1994) 3 : 2 J Int’l Trust and Corporate Planning 69 aux pp 71-72 : « Although the trust is not classified as a moral person it will, as a patrimony by appropriation, operate in a similar way. It will be the owner of the trust property. It will be able to enter into contracts and incur debts or other obligations » [nos italiques]. Voir aussi les développements à ce sujet du juge Beetz dans Tucker, supra note 53 aux pp 264-73.
-
[77]
Voir John E C Brierley, « Substitutions, stipulations d’inaliénabilité, fiducies et fondations » [1988] 3 CP du N 243 à la p 267; Cantin Cumyn, « La fiducie », supra note 74 à la p 139.
-
[78]
L’art 1243 CcQ indique que l’appelé est par l’ouverture de la substitution, « saisi de la propriété des biens », alors qu’avant l’ouverture, c’est le grevé qui est, aux termes de l’art 1223 CcQ, « propriétaire des biens substitués » [nos italiques].
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[79]
Le lien doit être fait ici avec ce que certains auteurs québécois tels que François Frenette et Sylvio Normand ont appelé la vis attractiva, quatrième attribut de la propriété aux côtés de l’usus du fructus et de l’abusus — qui est sa faculté de se reconstituer pleine et entière à l’extinction d’un démembrement. Voir François Frenette, « Du droit de propriété : certaines de ses dimensions méconnues » (1979) 20 : 3 C de D 439 à la p 446; Normand, Introduction, supra note 50 aux pp 85-91. On peut s’interroger pour savoir si la vis attractiva trouverait alors une nouvelle application dans le contexte de la fiducie. Si tel était le cas, ceci ne ferait que confirmer le fait que l’ombre de la propriété du bénéficiaire plane alors sur la fiducie québécoise.
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Nous raisonnons ici sur le cas typique en matière de fiducie, qui consiste en la remise des biens aux bénéficiaires à l’extinction de la fiducie (art 1297 CcQ). Exceptionnellement cependant, les biens seront remis, aux termes de l’art 1297, al 2 CcQ au constituant ou à ses successeurs (la propriété se reconstituant alors sur leur tête) voire à une autre fiducie ou à une personne morale ou un groupement de personnes (art 1298 CcQ), la propriété se reconstituant alors éventuellement au bénéfice de cette nouvelle personne ou étant à nouveau reportée dans le temps.