Abstracts
Résumé
Le 8 septembre 1760, la capitulation de Montréal marque la fin de la souveraineté française au Canada. Durant la période militaire, le droit d’origine française a toutefois continué de s’appliquer. La Proclamation royale du 7 octobre 1763 se contente de déclarer que les habitants de la nouvelle province de Québec pourront désormais bénéficier des « bienfaits des lois » du royaume d’Angleterre tout en précisant que les tribunaux jugeront « suivant la loi et l’équité, conformément autant que possible aux lois anglaises ». Bien que l’ordonnance du 17 septembre 1764 établisse la Cour du Banc du Roi et la Cour des plaidoyers communs, le droit applicable par ces juridictions reste confus. De nombreux auteurs ont longtemps considéré que l’ordonnance de 1764 avait introduit « en bloc, et sans même en faire la promulgation, tout le droit civil et criminel de l’Angleterre ». Dans le même temps, d’autres ont soutenu l’opinion inverse, selon laquelle les principales règles du droit civil français auraient été maintenues en pratique. Cet article cherche précisément à répondre à ces interrogations. Si le droit français continue de s’appliquer, même aux sujets d’origine britannique, cette application est définitivement généralisée après l’entrée en vigueur de l’Acte de Québec, le 1er mai 1775, et bien que certaines dispositions du droit anglais soient parfois réclamées. En définitive, il ressort clairement que la nature du droit invoqué par les parties dépend étroitement de la cause à défendre et des moyens les plus utiles à celle-ci.
Abstract
The capitulation of Montreal on 8 September 1760 marks the end of French sovereignty in Canada. During the military period, the law originating from France was nonetheless still applied. The Royal Proclamation of 7 October 1763 merely declared that the inhabitants of the new Province of Quebec would henceforth enjoy the “Blessings of the British Laws”, while at the same time specifying that courts will adjudicate criminal and civil matters “according to law and equity, and, as near as may be, agreeable to the Laws of England.” Although the Ordinance of 17 September 1964 established the Court of King’s Bench and the Court of Common Pleas, the applicable law of these jurisdictions remained unclear. Many authors have long held that the 1764 ordinance introduced all of England’s civil and criminal law at once, without promulgating it. Others have supported the opposite view, that in practice the main rules of French civil law were maintained. This article aims to address these queries. If French law continued to apply, even to subjects of British origin, this application was definitively generalized after the Quebec Act on 1 May 1775 came into force, despite the fact that it was sometimes requested that English law apply. In the end, it becomes clear that the nature of the law invoked by the parties strictly depends on the cause to be defended and the best ways by which to do this.
Article body
L’incertitude qui règne au sujet des lois et les doutes que l’on entretientau sujet de la légalité du maintien des anciennes lois et coutumes en usage autemps du gouvernement français, constituent le premier et l’un des principauxembarras[1]
Introduction
Le 8 septembre 1760, la capitulation de Montréal, un an après celle de Québec, marque la fin de la souveraineté française au Canada. Parmi les conditions négociées, le marquis de Vaudreuil demande que « les François et les Canadiens » puissent continuer à « estre gouvernés suivant la Coutume de Paris et les loix et usages établis par ce pays »[2]. Le général Amherst lui répond laconiquement qu’ils « deviennent Sujets du Roy »[3]. Le changement de souveraineté est consacré, le 10 février 1763, par la signature du traité de Paris qui, en son article 4, stipule la cession du Canada à l’Angleterre. Durant la période militaire qui suit la Conquête, le droit applicable au Canada reste très difficile à définir en raison du peu de renseignements fournis par les archives[4] et du fait que les juges militaires ignorent les subtilités juridiques, tant anglaises que françaises. Toutefois, la plupart des auteurs s’accordent à considérer que le droit d’origine française a continué de s’appliquer durant cette période militaire (1759-1764) sauf en matière pénale[5]. Il est vrai qu’un certain esprit de conciliation est clairement perceptible et que la volonté d’appliquer les lois et coutumes du pays pour régler les différends entre les habitants est manifeste. Toutefois, lorsque l’affaire oppose deux individus d’origine britannique, le droit anglais trouve naturellement application. Par exemple, un propriétaire s’est réservé la faculté de venir habiter sa maison, mise en location par un bail conclu pour un an, sous réserve d’un préavis de trois mois. Le locataire demande alors à pouvoir bénéficier d’un préavis similaire dans le cas où il souhaiterait quitter les lieux. Le propriétaire invoque alors la common law et soutient que le bail « est fait pour une année, que telles sont les loix suivies en Angleterre »[6]. La Cour militaire lui donne raison. La Proclamation royale du 7 octobre 1763 déclare que les habitants de la nouvelle province de Québec pourront bénéficier des « bienfaits des lois » du royaume d’Angleterre et que les tribunaux jugeront « suivant la loi et l’équité, conformément autant que possible aux lois anglaises »[7]. Elle accorde également aux gouverneurs le pouvoir de créer et d’établir des tribunaux afin d’« entendre et juger toutes les causes aussi bien criminelles que civiles »[8]. L’entrée en vigueur de cette Proclamation royale, le 10 août 1764, marquerait donc la fin de l’application du droit français tandis que la vie juridique de la colonie ne se réorganise véritablement qu’à compter de la mise en place du gouvernement civil[9]. À partir de cette date, un régime hybride est instauré en droit privé, suscitant nombre de critiques et de tergiversations (A). En 1774, l’adoption de l’Acte de Québec rétablit officiellement le droit privé de la Nouvelle-France. Toutefois, l’organisation du système judiciaire et les règles de procédure conservent de nombreuses caractéristiques anglaises, nécessitant une nouvelle période d’adaptation et provoquant de multiples controverses (B).
I. L’administration de la justice de 1764 à 1777
L’étude des institutions judiciaires établies à la suite de l’ordonnance du 17 septembre 1764 établissant des Cours civiles (1) nous permet de mieux comprendre la nature du droit applicable durant cette période (2).
A. L’évolution de l’organisation judiciaire
L’ordonnance de 1764, qui crée plusieurs institutions dans la province (a), ne dissipe pas certaines incertitudes relatives à la place désormais acquise par le droit anglais (b)
1. Les différentes cours
L’ordonnance du 17 septembre 1764, établissant des Cours civiles, institue deux institutions principales. Elle crée d’abord « une cour supérieure de judicature ou cour du Banc du Roi »[10]. Celle-ci est présidée par le juge en chef de la province, tenu de « juger toutes les causes civiles et criminelles suivant les lois d’Angleterre et conformément aux ordonnances de cette province »[11]. Est également créée une « cour de judicature inférieure, ou cour des plaids communs »[12], qui est aussi dénommée Cour des plaidoyers communs en français. Elle est chargée de juger tous les litiges dont la valeur dépasse un montant de dix louis (c’est-à-dire dix livres). Une observation du gouverneur Murray apporte d’utiles précisions quant à la portée de cet établissement. En effet, il affirme que la Cour des plaids (ou plaidoyers) communs est destinée à répondre aux demandes des Canadiens, ces anciens sujets du Roi de France, devenus depuis la Conquête les nouveaux sujets de Sa Majesté britannique[13]. Il semble insinuer que le droit d’origine française y sera applicable puisqu’il précise que cette juridiction a été établie dans l’attente que ces derniers se familiarisent suffisamment « avec nos lois et nos méthodes concernant l’administration de la justice dans nos cours »[14]. L’ordonnance de 1764 mentionne d’ailleurs que les juges de la Cour des plaidoyers communs doivent
décider suivant l’équité en tenant compte cependant des loisd’Angleterre en autant que les circonstances et l’état actuel des choses lepermettront, jusqu’à ce que les [sic] gouverneur et le Conseil puissent rendre desordonnances conformes aux lois d’Angleterre, pour renseigner lapopulation[15].
Par conséquent, si l’application du droit anglais par ces tribunaux restel’objectif à atteindre[16], la prise enconsidération de l’équité par les juges paraît laisser place à l’application denormes d’origine française. L’ordonnance encadre cette possibilité en précisantque « [l]es lois et les coutumes françaises seront autorisées et admises danstoutes les causes soumises à cette cour, entre les natifs de cette province, sila cause de l’action a été mue avant le premier jour d’octobre mil sept centsoixante-quatre »[17].
Des règles particulières pour l’audition des affaires de moindre importance sont également prévues. Ainsi, les juges de paix peuvent entendre, seuls, les causes dont l’enjeu est de moins de cinq livres et, avec un collègue, celles où il n’excède pas dix livres. La cour des sessions trimestrielles de la paix, où ils siègent à trois, est compétente pour les litiges d’une valeur d’au moins dix livres, si celle-ci n’excède pas trente livres. Le fonctionnement de cette institution a initialement été discrédité par le comportement de quelques individus. À Montréal, sur les dix candidats choisis en 1764, sept sont remplacés dès 1765[18]. Cette cour est finalement abolie en 1770, même si elle fonctionnait sans doute correctement à cette époque, mais ses compétences en matière pénale sont toutefois maintenues. Après cette date, dans le district de Montréal, elles sont généralement exercées par trois protestants d’origine française arrivés peu avant ou peu après la Conquête, car leurs collègues anglophones se désintéressent de cette tâche[19]. Par ailleurs, l’ordonnance de 1764 précise que
[s]’il arrive quelque dispute au sujet de bris ou de réparation declôtures, sur la plainte qu’il en recevra, le bailli sommera de comparaître,le défendeur qui devra choisir trois personnes désintéressées ; le plaignanten choisira trois autres et ces six arbitres présidés par le baillirègleront la dispute [...] et la personne trouvée en faute devra payer unesomme n’excédant pas un schilling à celle qui aura eu gain de cause[20].
La Cour des plaidoyers communs[21] siège initialement deux fois par an à Québec, lors de sessions qui débutent le 21 janvier et le 21 juin. En pratique, elle siège également deux fois par année dans le district de Montréal[22]. Une ordonnance de 1770 autorise ce tribunal à tenir des sessions hebdomadaires[23] tandis qu’un quatrième juge est adjoint à cette juridiction, qui désormais siège à Québec et à Montréal, deux des juges devant alors résider en permanence dans cette dernière ville. Par conséquent, l’ordonnance de 1770 crée désormais deux Cours des Plaidoyers communs distinctes, disposant chacun de leur « juridiction propre, indépendante ». Les affaires peuvent y être examinées par un[24] ou deux juges, selon le montant de la somme en litige[25]. Les magistrats de la Cour des plaidoyers communs[26] n’ont pas de formation juridique[27] puisque, parmi les premiers juges nommés, John Fraser était militaire[28], Adam Mabane médecin[29], alors que François Mounier[30] et Jean Marteilhe, qui les rejoignent à cette fonction en 1770, sont deux marchands d’origine huguenote[31]. À cette époque, les membres de la cour sont tous bilingues et, en vertu des règles en vigueur, ne peuvent être catholiques.
Plusieurs degrés de juridictions sont prévus par l’ordonnance de 1764. Si l’enjeu du différend est d’une valeur d’au moins vingt louis sterling, il est possible de faire appel du jugement rendu par la Cour des plaids ou plaidoyers communs à une « cour supérieure de judicature ou cour du Banc du Roi »[32] établie à Québec. Si le montant en litige est supérieur à trois cents louis sterling[33], la faculté d’en appeler devant le gouverneur et le Conseil est alors ouverte[34].
Lorsque la valeur du litige excède dix livres, le choix de la cour de première instance est laissé au plaignant. Rien n’empêche un individu d’origine britannique de saisir la Cour des plaidoyers communs (et vice-versa), mais il lui est initialement possible de demander un bref d’évocation (« writ of certiorari ») destiné à permettre le transfert de sa cause auprès de la Cour du Banc du Roi. S’il est d’origine canadienne, le défendeur est alors désavantagé puisqu’il ne peut pas a priori invoquer le droit français, utiliser la langue française ou recourir à un avocat francophone devant cette Cour[35]. À la suite de plaintes de la part d’avocats francophones, il a été définitivement mis fin à cette procédure du « writ of certiorari » en 1766, comme étant contraire à l’esprit de l’ordonnance de 1764[36]. Sans doute, la Cour du Banc du Roi n’a-t-elle eu, en définitive, qu’une activité réduite en matière civile. En effet, la population étant canadienne dans son immense majorité, il est à supposer qu’elle ait été peu saisie en première instance[37]. Reste à connaître l’ampleur des saisies en appel. Malheureusement, comme Seaman Scott et Hilda Neatby, nous n’avons pas pu travailler sur les registres de la Cour du Banc du Roi en matière civile de la période intermédiaire en raison de leur disparition[38]. Il semble toutefois que le juge en chef Gregory (1764-1766) ait utilisé exclusivement le droit anglais au sein de cette juridiction. Ce n’est qu’après l’arrivée du juge en chef Hey, en 1766, que le droit français a été admis, en appel, tandis que le droit anglais y restait dominant[39]. Plusieurs hypothèses ont toutefois été émises à propos de la situation prévalant après 1766. Selon certains auteurs, les appels auraient généralement été formés conformément à la nature du droit appliqué en première instance afin d’éviter des contradictions de règles. La même loi aurait donc été désormais appliquée en première instance et en appel[40]. D’autres auteurs ont soutenu que les décisions des Cours des plaidoyers communs, fondées sur le droit français, étaient systématiquement renversées en appel, la Cour du Banc du Roi appliquant rigidement le seul droit anglais[41].
L’ordonnance de 1777 énonce que, désormais, la décision de la Cour des plaidoyers communs est définitive, sauf quelques exceptions, lorsque la valeur de la cause en litige est inférieure ou égale à dix livres sterling. Si la valeur en litige dépasse cette somme, il est alors possible d’interjeter appel devant le gouverneur et son Conseil[42]. Par conséquent, il est clairement établi que la Cour du Banc du Roi n’intervient plus en appel des décisions rendues par les Cours des plaidoyers communs. Sa compétence, en matière civile, disparaît donc.
La consultation de plusieurs listes de causes en appel devrait permettre de tirer quelques enseignements sur cette période[43]. Ainsi, après examen de vingt-et-un appels de causes jugées par la Cour des plaidoyers communs de Québec, entre 1764 et 1774[44], et de quarante-et-une causes jugées par la même juridiction entre 1774 et 1787[45], il ressort que moins du quart ont été favorablement accueillis. La proportion est encore plus faible pour les causes antérieures à la promulgation de l’Acte de Québec. L’étude d’une autre liste comportant vingt-et-un appels exercés à l’égard de décisions émanant des Cours des plaidoyers communs de Montréal et de Québec[46] sur la période s’étendant de 1777 à 1780[47] démontre l’existence d’une proportion similaire de cas renversés, alors que l’Acte de Québec a entre-temps officiellement réintroduit l’usage du droit français en matière civile dans la province. Il est toutefois difficile de tirer des conclusions hâtives à partir de ces constatations. À supposer même que le droit français se soit toujours appliqué en première instance, le faible taux de jugements renversés en appel ne nous permet pas de tirer des conclusions certaines. En effet, il peut arriver que les solutions dégagées par les droits français et anglais soient convergentes. Au surplus, l’application de ce dernier, au sein de la colonie, a fait l’objet d’opinions aussi nombreuses que contradictoires.
2. La controverse concernant l’introduction du droit anglais
Comme le reconnaît, en 1772, le solliciteur général Alexander Wedderburn, une certaine « incertitude au sujet des lois de la province »[48] s’installe rapidement[49]. Ainsi, Guy Carleton et Wiliam Hey soulignent la nécessité de « résoudre une très sérieuse difficulté ». Il s’agit en effet de déterminer « quel système de lois – lois anglaises, françaises ou anglo-françaises – faudra-t-il ordonner aux juges d’adopter à l’avenir pour rendre leurs décisions ? »[50]. Dans son rapport du 22 janvier 1773, le procureur général Thurlow constate même que trois opinions différentes ont eu cours. Selon la première, « le système de lois d’Angleterre dans son ensemble est actuellement établi et en vigueur à Québec »[51]. D’autres auteurs considèrent que « les lois canadiennes n’ont pas été abrogées »[52]. Enfin, il a également été soutenu que la Proclamation royale du 7 octobre 1763[53] et les mesures auxquelles elle a donné lieu, n’auraient « fait qu’introduire les lois criminelles d’Angleterre au Canada et confirmer l’usage des lois civiles de ce pays »[54]. Certains articles de la capitulation de Montréal contribuent à cette ambiguïté. En effet, le conquérant y a garanti aux habitants « L’Entiere paisible propriété et possession de leurs biens, Seigneuriaux et Roturiers Meubles et Immeubles, Marchandises, Pelleteries, et Autres Effets, même Leurs batiments de Mer »[55]. Par conséquent, la mention des « biens seigneuriaux » paraît conserver le régime seigneurial voire les règles successorales propres aux fiefs[56].
Tandis que des travaux majeurs ont, depuis plusieurs années, favorisé une meilleure connaissance du système criminel et des lois pénales applicables après la Conquête[57], l’étude du droit civil apparaît comme le parent pauvre de cette recherche. La matière reste l’objet d’une importante controverse historique[58], qui contribue à dissuader certains chercheurs à se consacrer à la résolution de cette question. La plupart des auteurs relèvent que, si l’ordonnance du 17 septembre 1764 a officiellement introduit les lois anglaises[59], la pratique n’aurait pas suivi[60]. Un droit hybride se serait alors appliqué[61]. Les principales règles du droit civil français se seraient même maintenues[62].
La question a même été débattue en justice puisque, dans l’arrêt Stuart c. Bowman, il s’agissait précisément de déterminer si le droit anglais avait été appliqué durant la période précédant l’Acte de Québec. Le juge Mondelet a alors estimé que
[d]epuis que le Canada appartient à l’Empire Britannique, les tribunauxde ce pays n’ont jamais été appelés à décider une question d’une aussi hauteimportance que l’est celle qui se présente ici, je veux dire la grandequestion de savoir si les lois civiles de l’Angleterre ont, à aucune époque,été introduites en cette Province[63].
En appel, et contrairement au jugement de première instance, le juge Aylwinconclut que le droit anglais s’est appliqué en matière civile jusqu’en1774[64]. L’arrêt Wilcox c. Wilcox s’est également intéresséaux implications juridiques de cette question historique. En appel, le juge enchef L.H. Lafontaine soutint, quant à lui, l’idée selon laquelle lois françaisesn’ont jamais été remplacées par les lois anglaises[65].
En définitive, Evelyn Kolish observe que, « selon l’historiographie traditionnelle, ce mandat assez ambigu (issu de l’ordonnance de 1764) aurait permis aux juges de la Cour des plaidoyers communs d’utiliser le droit du pays, mais, en l’absence de recherches systématiques dans les archives judiciaires de l’époque, cette interprétation reste problématique »[66]. Cette nécessité d’approfondir notre examen de la pratique judiciaire de l’époque est également soulignée par Donald Fyson[67], Jean-Philippe Garneau[68] et John A. Dickinson[69]. Tel est précisément l’objet des recherches dont nous livrons ici le résultat : mieux comprendre la situation juridique à la suite de l’adoption de l’ordonnance de 1764 établissant des cours civiles.
B. Le droit applicable devant la Cour des plaidoyers communs
Le statut particulier de la Nouvelle-France, au lendemain de la Conquête britannique, influe nécessairement sur l’attitude adoptée par les Cours des plaidoyers communs (a). L’examen des fonds des Cours des plaidoyers communs de Québec et de Montréal nous permet d’identifier non seulement le droit appliqué par ces juridictions (b), mais également de mieux définir les fondements juridiques sur lesquels reposent les arguments des parties (c). À cet égard, l’attitude des justiciables d’origine britannique ou de leurs avocats mérite une attention particulière (d).
1. Les conséquences juridiques de la Conquête[70]
De nombreux avocats soulignent la situation particulière qui prévaut après la Conquête. Ainsi, dans une affaire où il poursuit un nommé Grand Champ pour avoir prononcé des calomnies et mensonges au sujet de son client, Panet observe la situation spécifique du Canada. Il commence par établir que l’affaire aurait peut-être due être préférablement portée devant les juges de paix, mais il constate que l’ordonnance de 1770 a modifié les attributions de ces derniers et que désormais ceux-ci diffèrent sensiblement de « ceux qui sont en Angleterre »[71]. Il justifie cette différence dans le fait que le Canada est « un pays nouvellement gouverné par les loix d’Angleterre », auxquelles les juges eux-mêmes pourraient toujours déroger « en jugeant soit suivant la loi du pays, soit par équité »[72]. Par conséquent, la spécificité de la situation canadienne permettrait de justifier le statut juridique qui y prévaut et entraînerait l’application d’un droit local ou d’une mesure découlant d’un principe d’équité. À cet égard, la conquête du Canada par les Britanniques suscite de nombreuses interrogations juridiques. Ainsi, il est possible de relever de nombreuses occurrences ponctuelles, de la part des avocats, relatives au nouveau statut de la province. La situation de celle-ci paraît donc justifier l’application d’un droit qui lui serait propre.
Par exemple, avant la promulgation de l’Acte de Québec, l’une des parties à un procès dénonce l’application systématique des lois d’Angleterre. « Le droit des gens et le droit public » sont alors invoqués pour appuyer l’idée selon laquelle, « dans un pays conquis où le conquérant n’introduit aucune loi nouvelle, celles du vaincu y est promulguée et suivie »[73]. En 1781, l’avocat Panet soutient aussi qu’il faut considérer le Canada « comme païs conquis et non comme partie primitive et ancienne de l’île et Royaume d’Angleterre ». Il précise qu’il s’agit là d’une « juste distinction que les nations policées ont toujours faite lors des conquêtes des colonies étrangères, en leur conservant comme au Canada les loix des terres et des propriétés »[74]. Dans un autre procès, l’une des parties soutient que la conquête n’aurait changé « que le droit public et non le droit particulier »[75] et demande en conséquence l’application « du droit, de l’usage et de la coutume de Paris qui ont toujours fait le droit, l’usage et la Coutume du Canada »[76]. L’un des avocats du Britannique William Grant s’appuie même sur l’autorité du droit anglais pour faire accepter ce principe[77]. En effet, il reproduit mot pour mot un passage où Blackstone, dans ses fameux Commentaires, établit, concernant la situation américaine, une distinction très nette entre les terres inhabitées, conquises par droit d’occupation, et celles obtenues par suite de conquête ou cession. Dans ce dernier cas, les lois en vigueur sont maintenues jusqu’à ce qu’elles soient formellement modifiées[78].
Par ailleurs, les autorités politiques anglaises ne paraissent pas totalement opposées à ces idées[79]. En effet, en 1766, le procureur général Charles Yorke et le solliciteur général William de Grey relèvent, comme une maxime juridique fort ancienne, le principe selon lequel « un peuple conquis conserve ses anciennes coutumes jusqu’à ce que le conquérant introduise de nouvelles lois »[80]. Cette idée avait déjà été exposée par Francis Masères, qui devient procureur de la province de Québec en 1766[81], ainsi que par Guy Carleton et William Hey, qui soulignent « l’impossibilité d’abroger en bloc les lois d’un pays bien cultivé et colonisé depuis nombre d’années pour y substituer une législation nouvelle »[82]. Un rapport du solliciteur général, Alexander Wedderburn, daté du 6 décembre 1772, soutient également que le droit de conquête n’entraîne pas pour conséquence la possibilité, pour le conquérant, d’imposer les lois selon sa seule volonté[83]. En 1773, le procureur général Edward Thurlow affirme même que « [l]e conquérant a hérité de la prérogative de souveraineté en vertu d’un titre pour le moins équivalent à celui que les conquis revendiquent à l’égard de leurs droits personnels et de leurs anciennes coutumes »[84]. C’est la raison pour laquelle il en conclut que « les nouveaux sujets acquis par la conquête ont le droit d’attendre de la bonté et de la justice de leur conquérant, le maintien de toutes leurs anciennes lois »[85].
Toutefois, l’incertitude perdure. Une ordonnance de novembre 1764, pourtant destinée à « tranquilliser le peuple au sujet de ses possessions » est particulièrement ambiguë à cet égard[86]. En effet, elle commence par énoncer que « les droits successoraux en matière de biens-fonds et de biens de toutes sortes », établis avant le traité de Paris et « suivant la coutume de cette colonie », sont maintenus[87]. Toutefois, elle semble, dans le même temps, limiter la reconnaissance de cette protection juridique à la date du 10 août 1765 et admet que la promulgation ultérieure d’une « loi formelle » reste toujours susceptible de remettre en cause le maintien de ces droits[88].
En 1766, le gouverneur intérimaire Irving continue de souligner que « [s]i les juges de la cour inférieure étaient investis de l’autorité plus certaine de s’en tenir aux coutumes de Paris pour émettre leurs décisions, le système actuel d’administration de la justice deviendrait facile au peuple »[89]. L’année suivante, Carleton recommande, dans le même sens, l’abrogation de l’ordonnance du 17 septembre 1764 afin de « maintenir pour le moment les lois canadiennes presque intactes »[90]. En effet la situation actuelle, où existerait une certaine différence entre « les lois anciennes et celles qui ont été introduites récemment », serait préjudiciable. Bien qu’un changement juridique réel ait été introduit, Carleton observe cependant que « les hommes sont si peu clairvoyants que je n’ai encore rencontré qu’un seul Canadien qui a réalisé les conséquences d’une telle révolution »[91]. Hillsborough, premier secrétaire d’État pour les colonies, tente de rassurer Carleton en lui certifiant que l’intention du Roi n’a jamais été de « bouleverser les lois et les coutumes du Canada à l’égard de la propriété ». Au contraire, il soutient même que la justice doit y être rendue conformément à ces dernières[92]. Dans un rapport confidentiel daté de 1769, il constate pourtant que « les lois et les coutumes du Canada concernant la propriété n’ont pas encore été admises dans les cours », rendant les sujets inquiets[93].
Dès lors, il semble que les intentions de la monarchie britannique aient été favorables à une pleine reconnaissance de l’ancien système de droit[94]. Ainsi, des instructions adressées à Carleton en 1771 recommandent l’adoption de « l’ancien système de concéder les terres, qui a prévalu sous la domination française avant la conquête et la cession de ladite province »[95]. L’avocat général James Marriott préconise aussi le vote par le Parlement anglais d’un projet de loi autorisant la validité des « anciennes lois du Canada de même que les coutumes et usages de ce pays » en matière de droit civil. Les seules exceptions à cette application générale seraient « les cas où les parties par une convention formelle auront consenti à s’en départir » et ceux où « la pratique de la loi anglaise aura été suivie comme dans les cas de transport entre un sujet Canadien et un sujet originaire de l’Angleterre »[96]. Ces recommandations seront suivies et définitivement consacrées par l’Acte de Québec. Comment s’est manifestée cette volonté dans la pratique ? Quel droit a été retenu pour rendre les décisions de justice avant cet Acte ?
2. Les décisions de la Cour des plaidoyers communs
À plusieurs reprises, la Cour des plaidoyers communs de Montréal a dû se prononcer sur la validité d’actes juridiques passés avant 1764. Par exemple, dans un procès tenu en 1767, le demandeur veut contraindre la partie adverse à lui verser une rente viagère, dont le montant a été préalablement déterminé par des arbitres. À défaut, il convient que la défenderesse pourrait lui accorder la moitié des biens de la succession de son mari, tout en se réservant la jouissance de l’autre moitié jusqu’à la fin de ses jours. Dans ses répliques, Sanguinet, avocat de la défense, fait alors valoir que, par un acte de donation, en date du 14 janvier 1762, l’intimée et son mari se sont réservés la gestion et l’administration de leurs biens. Au regard de cette donation au dernier vivant, la Cour des plaidoyers communs de Montréal fait donc droit à la défenderesse[97]. En 1767, la juridiction montréalaise prononce aussi l’annulation d’un testament, daté du 8 août 1762, qui avait pour principale conséquence l’exhérédation des enfants[98]. Par conséquent, après l’entrée en vigueur du nouveau système judiciaire, ces derniers ont continué à faire respecter les règles de l’ancien droit français pour des actes préalablement conclus. Cette attitude est conforme à ce que prévoyait l’ordonnance établissant des Cours civiles.
Dans ces conditions, il est alors intéressant d’examiner, dans les fonds des Cours des plaidoyers communs, les règles applicables aux causes nées après 1764. L’examen de l’ensemble des jugements rendus par ces juridictions, bien que ces derniers ne soient guère motivés, nous conduit alors à un constat surprenant. En effet, nous avons clairement pu établir que les règles de l’ancien droit français continuaient de s’appliquer durant cette période intermédiaire. Ainsi, même après 1764, la Cour des plaidoyers communs de Montréal n’hésite pas à s’appuyer sur la coutume de Paris pour rendre ses décisions[99].
Plusieurs causes entendues devant la juridiction montréalaise prouvent cette assertion. Par exemple, en 1767, une affaire de succession déchire la famille Charlan, dont les enfants se livrent à une bataille judiciaire. En effet, au décès de leur mère, deux soeurs, par l’intermédiaire de leurs maris respectifs, saisissent la justice afin de contester l’acte de donation signé le 17 avril 1766 par Angélique Hardouin, veuve Charlan, au profit de son fils. À cette fin, Paul Prevot et sa femme Agathe Charlan ainsi que Jean Louppré et son épouse Louise Charlan invoquent plusieurs motifs. Selon eux, leur mère et belle-mère, âgée alors de soixante-dix-huit ans, était en état de démence lors de la signature de cet acte de donation, passé dix-sept jours seulement avant son décès. C’est la raison pour laquelle les demandeurs réclament que les biens laissés par cette dernière soient partagés en trois parts égales entre les parties. La Cour des plaidoyers communs se fonde, quant à elle, sur l’application de « l’article 277 de la coutume suivie en ce pays » et de « l’article 4 de l’ordonnance concernant les donations »[100]. Or, la coutume de Paris pose, en son article 277, le principe selon lequel « [t]outes donations, encore qu’elles soient conçûes entre-vifs, faites par personnes gisans au lit malades de la maladie dont ils décèdent, sont réputées faites à cause de mort et testamentaires, et non entre-vifs »[101]. La Cour établit alors que la donation contestée n’est, en définitive, « réputée faite qu’à cause de mort ». Par conséquent, la juridiction montréalaise annule ladite donation et « remet les parties au même et semblable état qu’elles ont dû être comme héritiers de ladite Angélique Hardouin leur mère et belle mère »[102]. Cette affaire démontre que la Cour des plaidoyers communs de Montréal s’est explicitement fondée sur la coutume de Paris pour rendre sa décision au cours de la période qui a suivi la création des cours civiles. Pourtant, le droit d’inspiration française n’était censé s’appliquer, à cette époque, qu’à l’égard des affaires nées antérieurement à 1764. Or, en l’espèce, l’acte de donation a été conclu deux ans après cette date.
Par ailleurs, dans une autre décision, rendue le 4 juillet 1770, la Cour des plaidoyers communs de Montréal s’est également fondée sur le fait qu’une disposition testamentaire contrevenait à la coutume de Paris pour débouter le demandeur de son action[103]. Par conséquent, il est possible de donner raison au juge Lafontaine qui déclarait, au milieu du dix-neuvième siècle, que les tribunaux « adoptaient le plus souvent en matière personnelle, et presque toujours, si ce n’est même toujours, en matière réelle, les anciennes lois du pays, c’est-à-dire les lois françaises, comme règles de leurs décisions »[104].
Toutefois, il est nécessaire d’admettre qu’il est souvent difficile de déterminer le droit sur lequel se fonde la Cour en raison du caractère succinct des jugements. Principalement contenues dans les registres des Cours, ces décisions se contentent de résumer sommairement les faits et d’exposer le résultat de l’audience. Par ailleurs, sur bien des points abordés par la juridiction, la proximité des solutions, issues de la coutume de Paris et des principes de droit anglais, ne permet pas de tirer une conclusion suffisamment claire quant à l’origine de la norme appliquée. Ainsi, dans une affaire portée à la connaissance de la Cour des plaidoyers communs de Québec en 1774, l’avocat Berthelot Dartigny soutient que le testament établi en faveur du chirurgien Pichon est, tout à la fois, admis dans « le païs de droit écrit »[105] et « conforme aux loix d’Angleterre »[106]. Dans une autre affaire, il établit encore, de manière simpliste, que « toutes les loix et coutumes et notamment celles d’Angleterre et de France tirent leur origine du droit romain »[107]. En toute hypothèse, certaines dispositions d’origine française ou issues du droit anglais se trouveraient parfois en parfaite conformité[108].
Il nous a toutefois été possible d’examiner un grand nombre de dossiers judiciaires. Or, la consultation des plaidoiries des avocats laisse, quant à elle, apparaître avec certitude que les parties en procès invoquent bien souvent l’application du droit d’origine française durant la période intermédiaire.
3. La nature du droit invoqué par les avocats
Devant les Cours des plaidoyers communs, les parties n’hésitent pas à invoquer l’application de règles issues de l’ancien droit français. Un intéressant procès, qui a fait l’objet d’une longue procédure devant la Cour des plaidoyers communs de Québec en 1770, a opposé l’écuyer Jean Lees à Charlotte Aubert, dont l’époux, M. d’Albergaty, se trouve absent de la province. L’avocat de cette dernière, maître Berthelot Dartigny, n’hésite pas à recourir à plusieurs dispositions de l’ancien droit français afin de tenter de convaincre la Cour que la femme, considérée comme une mineure, ne peut pas être tenue responsable des dettes de son mari. À cette fin, après avoir soutenu que la demande était « trop contre le droit, les loix et les coutumes », il invoque l’application de l’ordonnance royale de 1667[109]. Il cite également le Dictionnaire de droit et pratique de Ferrière[110] et le Recueil de jurisprudence de Guy du Rousseaud de Lacombe[111], et s’appuie même sur la Bible pour tenter de démontrer que la puissance maritale est de droit naturel et divin[112]. Enfin, il se fonde aussi sur la coutume de Paris pour établir que « [l]’obligation de la femme mariée sans autorisation est nulle et sans effet en toutes les coutumes »[113]. Il en conclut alors que la puissance maritale constitue « un droit et une autorité que le mary acquiert sur la femme et sur ses biens du jour de la célébration du mariage, suivant le droit écrit »[114]. Il précise alors que, dans cette perspective, le mari obtient donc « l’administration des biens dotaux de sa femme suivant la coutume de Paris toujours suivie dans ce païs jusqu’à ce jour »[115]. Par conséquent, Berthelot Dartigny considère que la coutume de Paris a toujours force de loi en 1770.
Dans beaucoup d’autres procès, qui ont eu lieu entre 1764 et 1774 et dont l’action n’était pas née à une date antérieure, il est également possible d’observer que plusieurs parties invoquent cette application de la coutume de Paris. Ainsi, dans une affaire ayant opposé François Joseph Cugnet à Jacques Perrault, en 1768, le défendeur ne conteste pas l’invocation de la coutume de Paris, faite par le demandeur, mais simplement son applicabilité en l’espèce[116].
Peu de temps avant l’adoption de l’Acte de Québec, l’avocat Panet paraît établir une typologie des lois invocables en fonction de la condition des parties en litige. Il semble privilégier un système juridique privilégiant une certaine personnalité des lois, avec un droit de nature personnelle. En effet, le 1er février 1774, il conteste le verdict rendu quatre jours plus tôt par un jury chargé de déterminer la qualité de débiteur de l’acheteur d’une certaine quantité d’eau de vie[117]. Au nom du défendeur, il relève que la Cour des plaidoyers communs de Québec doit dire le droit « soit suivant les loix d’Angleterre, soit suivant les Coutumes de Canada » et dispose par ailleurs du « pouvoir de décider par équité »[118]. L’avocat précise alors qu’en l’espèce, puisque les deux parties sont natives du Canada, « réclamer d’autres coutumes que celles de leur pays natal, seroit odieux à l’univers »[119]. Ainsi, la Cour des plaidoyers communs, qui selon lui « partage les successions canadiennes et juge toujours les natifs suivant leurs coutumes »[120], ne peut appliquer, ici, une autre loi. Par conséquent, l’audition du fils de la veuve Dorion, qui a été entendu sous serment en qualité de témoin pour sa mère, malgré l’opposition du défendeur, serait directement en contradiction avec « la nature et la coutume des parties »[121]. En effet, Panet souligne que le droit d’origine française restreint la possibilité d’accepter des témoignages de parents. Il n’est donc pas possible pour des parents d’être témoins, dans les affaires civiles, en faveur de leurs père, mère, frères et autres proches jusqu’au quatrième degré. Par conséquent, quand bien même la loi anglaise permettrait éventuellement à un fils de déposer pour sa mère, cette règle ne doit pas s’appliquer en l’espèce. Autrement, une telle application reviendrait indirectement à accorder au plaideur le choix des lois[122].
Il est incontestable que les parties doivent être régies par une loi commune. En l’espèce, comme la composition du jury, entièrement formé de francophones, le laisse suggérer, les deux parties sont d’origine canadienne. Par conséquent, elles sont a priori susceptibles de se soumettre volontairement à l’application de règles d’origine française, dans la mesure bien sûr où celles-ci seraient encore invocables à cette époque dans la province. Pourtant, une difficulté supplémentaire survient lorsque l’une, au moins, des parties au procès est d’origine anglaise. Quelle règle convient-il alors d’appliquer ?
4. Le droit applicable aux parties d’origine britannique
Dans le contexte troublé de la période transitoire 1764-1774, on serait porté à penser que l’application de la coutume de Paris est permise aux parties d’origine française afin de faciliter leur adhésion au nouveau régime. Il pourrait également exister des occasions d’appliquer un droit d’origine britannique, dans la mesure où ces règles ont été introduites en 1764. Ainsi, dans l’hypothèse où toutes les parties sont d’origine anglaise, il est possible d’envisager l’application d’un tel droit. Par ailleurs, il serait également tentant de considérer que la loi du lieu du domicile du défendeur, ou plutôt la loi liée à l’origine française ou britannique du défendeur, pourrait prévaloir dans le cas où anglophones et francophones seraient parties à un même procès devant la Cour des plaidoyers communs. Qu’observe-t-on sur ce point dans les documents judiciaires de cette période ?
L’examen attentif d’un procès qui s’est déroulé devant la Cour des plaidoyers communs de Québec nous permettra de mieux éclairer cette zone d’ombre. En effet, une affaire a opposé Andrew Cameron, demandeur, à Berthelot Dartigny défendeur et avocat de profession. Non seulement le nom du demandeur est à consonance anglophone, mais son écrit rédigé dans la langue de Shakespeare semble confirmer son origine britannique. Or, il peut paraître paradoxal de constater que ce plaignant invoque, à l’appui de sa demande, la coutume de Paris, dont il réclame l’application de l’article 105 relatif à la compensation des dettes[123] tandis qu’il cite également la doctrine d’origine française[124]. De manière similaire, en 1771, un avocat d’origine anglaise[125] réclame l’application de « la coutume de la prévôté et vicomté de Paris, suivie en cette province depuis l’année 1663, en vertu de l’édit du Roy, qui établit le Conseil supérieur, en date du mois d’avril de ladite année »[126].
Toutefois, dans ces deux cas, le défendeur était vraisemblablement d’origine française. Par conséquent, il est possible d’envisager que la partie plaignante, d’origine britannique, ait été contrainte de recourir à l’usage d’un droit d’origine française en raison de la nécessité d’appliquer les règles de droit liées à la nationalité d’origine du défendeur. Par conséquent, qu’en est-il lorsque la partie anglophone est dans la position du défendeur ?
L’examen des dossiers judiciaires a clairement permis d’établir que, même dans les affaires où le défendeur est d’origine anglaise, le droit français tend là encore à s’appliquer. Ainsi, en 1772, dans une affaire de droit seigneurial, le demandeur invoque à l’encontre des sieurs Randle, Meredith, Woder et consorts l’application de l’article 73 de la coutume de Paris pour justifier l’exercice d’un droit de suite[127]. Le jugement, rédigé en anglais eu égard à l’origine britannique des défendeurs, applique effectivement le droit d’origine française[128]. Toutefois, une telle application du droit français ne saurait surprendre. En effet, il est nécessaire, notamment en matière de droit de propriété, de s’accorder sur l’application d’un seul droit[129]. Or, dans la mesure où le droit français est particulièrement prégnant en la matière, c’est ce dernier qui tend alors tout naturellement à s’appliquer. Si cette généralisation concerne les rapports entre parties francophone et anglophone, le droit français en matière de propriété devrait également tendre à s’imposer même dans les conflits où toutes les parties sont d’origine anglaise[130].
Il est bien évident qu’après l’Acte de Québec, cette application générale de la coutume de Paris à toutes les parties, quelques soient leurs origines, s’impose définitivement et avec force. Par exemple, en 1777, dans un procès opposant la veuve et les enfants Perrault à Adam Lymburner, ce dernier conteste l’application de la coutume de Paris. Le différend porte sur le paiement d’un loyer dû par John Lymburner, frère du défendeur, à Jacques Perrault, mari et père des demandeurs. Les deux principaux protagonistes de cette affaire étant décédés, leurs ayant-droits se retrouvent devant la Cour des plaidoyers communs de Québec afin de faire valoir leurs intérêts respectifs. Le défendeur, qui doit prochainement retourner en Angleterre, estime alors qu’il n’est pas responsable des dettes de son frère selon le droit anglais[131]. Par ailleurs, il prétend également que la maison louée, sise à Saint-Augustin, relève de l’autorité du gouvernement de Terre-Neuve. Par conséquent, les droits des parties devraient être déterminés par les lois de ce gouvernement, devenu britannique à la suite du traité d’Utrecht de 1713[132]. Pourtant, la Cour des plaidoyers communs de Québec rejette ces prétentions et établit qu’Adam Lymburner, « étant héritier de son frère et s’étant mis en possession de ses biens tant meubles qu’immeubles, dont il étoit de son vivant possesseur en cette province, il est certainement tenu, profitant de sa succession d’en acquitter les dettes »[133]. Or, cet acquittement doit avoir lieu « suivant les anciennes loix, coutumes et usages de ce païs », l’article 332 de la coutume de Paris trouvant donc naturellement à s’appliquer[134]. La Cour en profite alors pour souligner que cet ancien droit français a toujours été en vigueur dans cette province et n’a fait qu’être réaffirmé par l’Acte de Québec. Celui-ci annule, à compter du 1er mai 1775, la Proclamation royale du 7 octobre 1763 et établit également « qu’à l’égard de toute contestation relative à la propriété et aux droits civils, l’on aura recours aux lois du Canada, comme règle pour décider à leur sujet »[135]. L’Acte de Québec semble même consacrer l’application continue de ce droit en accordant un effet rétroactif aux anciennes lois, permettant ainsi de juger toutes les affaires de propriété selon la même norme que leur origine soit antérieure ou postérieure à 1774. L’Acte de Québec désigne, sans ambiguïté, le droit d’origine française comme le droit commun applicable à l’ensemble de la province et de ses habitants.
II. L’entrée en vigueur de l’Acte de Québec(1er mai 1775)
À la suite du rapport, présenté en 1769 par Guy Carleton et William Hey[136], et de plusieurs pétitions, signées par lessujets d’origine française[137], et malgré lesrécriminations de commerçants anglais[138],l’Acte de Québec[139] entre en vigueur le 1er mai 1775. Il rétablit alorsofficiellement et définitivement le droit civil français[140] dans la province[141], même sicertains aménagements y sont apportés par la suite, notamment en 1777 parl’introduction[142], en matière commerciale,du droit anglais relatif à la preuve[143]. Ainsi,si l’Acte de Québec entraîne uneapplication générale du droit français, en matière de droit privé, il convienttoutefois de constater le maintien de certaines revendications favorables à unereconnaissance partielle du droit anglais.
A. Le principe de l’application du droit français
Si l’Acte de Québec permet désormais une application des normes d’origine française en droit civil, le cas des causes nées antérieurement à la promulgation de cette ordonnance est susceptible de poser problème.
1. L’application du droit français aux causes postérieures à l’entrée en vigueur del’Acte de Québec
Après l’introduction de l’Acte de Québec dans la province, il convient d’observer que tant les parties que les tribunaux invoquent fréquemment la coutume de Paris pour légitimer leurs prétentions ou fonder leurs jugements. Ainsi, dans l’affaire ayant opposé la dame veuve Bouchaud et le chirurgien Elie Lapparre[144], l’un des points de droit soulevés concerne le délai de prescription d’une action en justice au regard de la coutume de Paris[145]. Dans un autre procès, qui a déchiré la famille Champlain lors d’un partage de succession[146], la coutume de Paris est encore invoquée tandis que la défenderesse soutient que « le droit romain n’a point force de loi stricte en Canada »[147]. Enfin, les dispositions de l’ordonnance civile de 1667, enregistrée par le Conseil souverain en juin 1679, sont très souvent invoquées après l’Acte de Québec. Ainsi, dans plusieurs affaires, l’avocat Panet n’hésite pas, à l’appui de ses prétentions, à en citer l’article 8 du titre 29[148], l’article 2 du titre 20[149] ou bien encore les articles 1 et 7[150].
Les prétentions en faveur de l’application d’autres normes issues du droit français sont également, bien souvent, soutenues après 1774. Par exemple, dans une affaire portée devant la Cour des plaidoyers communs en 1777, mais qui semble concerner des faits survenus durant la période 1764-1774, l’avocat Panet demande l’application de l’ordonnance du commerce, de mars 1673, en faveur du demandeur[151]. Ce dernier tente, en l’espèce, de récupérer le montant d’une créance due par le défunt mari de la défenderesse. Celle-ci rejette cette prétention et invoque son état de minorité. À l’encontre de cette affirmation, Panet invoque l’application de l’article 234 de la coutume de Paris[152], l’ordonnance de 1673[153] et l’autorité du Parfait négociant[154].
Il arrive aussi que la jurisprudence française et les décisions du Roi de France soientinvoquées pour soutenir les prétentions des parties. Par exemple, en 1783, HenryCaldwell, devenu seigneur de la Côte Lauzon, demande l’exécution d’un arrêt duRoi, datant de 1711[155], afin de récupérer à sonprofit certaines des terres situées sur sa concession[156].
Toutefois, des doutes auraient pu naître relativement à la nature du droit applicable,après l’Acte de Québec, en ce quiconcerne des causes nées durant la période intermédiaire.
2. L’application du droit français dans les causes nées antérieurement à l’entrée en vigueurde l’Acte de Québec
L’examen de certains types de litiges doit permettre de répondre à l’incertitude entourant la question précise du droit applicable, après l’Acte de Québec, à des causes nées entre 1764 et 1774. En effet, plusieurs affaires ont été examinées par la Cour des plaidoyers communs de Québec, dans les années qui ont suivi l’Acte de 1774, visant à interpréter des baux préalablement conclus. Il s’agit, dans la plupart de ces différends, de décider si la vente d’un immeuble entraîne automatiquement la rupture du bail en cours.
Lors du conflit ayant opposé Jean Charles Chevalier à Zacharie Macaulay, l’avocat Panet, pour le demandeur, développe une longue argumentation. Celle-ci repose notamment sur des lois romaines[157], des recueils de doctrine juridique[158] et des décisions judiciaires[159]. Concernant le fait que le bail ait été conclu avant l’Acte de Québec, Panet réplique que l’ordonnance de 1764, qui « a réglé la législature de ce païs pour un tems », n’aurait jamais « positivement aboli ni abrogé les loix municipales, notamment celles des propriétés dont tous les droits avoient été conservés aux colons par la capitulation inviolable faite lors de la conquête du Canada »[160]. Quant bien même il y aurait eu quelques doutes à ce sujet, l’avocat souligne que l’Acte de 1774 a définitivement tranché la question. Panet prend alors la peine de préciser que « [s]i le demandeur avoit réclamé son droit avant le 1er mai 1775, le défendeur auroit eu plus de prétexte et de doute à proposer, mais la justice et l’équité lui auroient donné le tort »[161]. Puisque, soutient-il, le propriétaire souhaite récupérer son bien afin de procéder à de nombreuses réparations[162] et d’occuper lui-même la maison, le demandeur devrait être reconnu dans son droit[163]. Dans une affaire similaire, qui a opposé Alexandre Simpson et John McAulay[164], Panet prend à nouveau la défense du propriétaire et invoque l’autorité de Domat[165]. À l’inverse, Monroe, avocat de John McAulay, soutient qu’il n’existe aucune loi ou usage, actuellement en vigueur au Canada, autorisant l’acheteur d’une maison à expulser un locataire en possession d’un bail écrit avant l’expiration de son terme[166]. Finalement, dans cette affaire, la Cour des plaidoyers communs de Québec condamne le défendeur à quitter les lieux dans les huit jours[167]. La juridiction choisit donc, de manière logique, d’appliquer le droit d’origine française à des causes nées avant l’Acte de Québec[168].
B. La persistance partielle de l’invocation du droit anglais
L’existence de différences irréductibles entre les droits français et anglais, notamment en matière de preuve, entraîne certaines revendications favorables à l’application limitée de ce dernier.
1. La question de la validité des témoignages[169]
Dans une intéressante affaire portée à la connaissance de la Cour des plaidoyers communs de Montréal, plusieurs normes conflictuelles ont ainsi été invoquées. Dans ce litige, qui oppose en 1788 Richard Dobie à Maurice Blondeau, la cause doit être renvoyée devant des jurés[170]. Davidson, avocat du demandeur, réclame que soit entendu un témoin afin de prouver qu’une acceptation verbale de la lettre de change contestée a bien eu lieu. Walker, pour le défendeur, s’oppose à cette audition sur le fondement de l’article 2 du titre 5 de l’ordonnance de 1673. À l’inverse, Davidson soutient qu’il s’agit ici d’une « matière de preuve » et que, par conséquent, le témoin doit être admis, conformément à l’article 10 de l’ordonnance de 1785. Ce qui est particulièrement intéressant dans cette affaire, c’est que les opinions des deux juges sont rapportées. Ainsi, Edouard Southouse estime que le témoignage doit être admis, afin de prouver l’acceptation verbale de la lettre de change, tandis que Heurtel de Rouville considère que l’ordonnance de 1673, qui exclut l’audition de témoins, doit s’appliquer. Finalement, après débats, l’avocat Walker consent, dans le but d’« accélérer la décision de cette cause », à ce que le témoin sollicité soit convoqué. En définitive, plusieurs témoins sont finalement entendus dans cette affaire[171], pour laquelle les jurés ont rendu un verdict unanime en faveur du défendeur.
Dans un litige ayant opposé Robert Lester, comme procureur de la veuve Fargues, et François Anderson, ce dernier soutient, pour sa défense, qu’il a bien payé comptant le rhum acheté au défunt Fargues. Cette version est contestée par l’avocat de l’appelante qui affirme que les livres de compte du défunt, qui exerçait la profession de cabaretier, doivent faire foi et que le défendeur est donc débiteur de cette succession. Par conséquent, ce dernier ne peut invoquer aucune prescription à son bénéfice[172] tandis que la certitude de son paiement ne pourrait être prouvée que par le recours à des témoins étrangers[173]. Berthelot Dartigny, avocat de la demanderesse, établit alors, comme un principe général, que « les affaires de commerce en cette province doivent estre jugées suivant les loix d’Angleterre et non suivant la coutume de Paris »[174]. Maître Panet, pour le défendeur, soutient pour sa part, que les livres de comptes ne constituent qu’une présomption simple et non irréfragable[175]. Il considère alors que Pierre Fargues ne peut être considéré comme un marchand[176] et invoque en ce sens l’application de la coutume de Paris[177]. Panet s’oppose fermement aux prétentions du demandeur, selon lesquelles les créances des marchands décédés doivent être plus particulièrement protégées[178]. L’avocat du défendeur considère, au contraire, que « les biens et la liberté des citoyens et des particuliers » seraient dorénavant mis en péril si de tels livres de comptes étaient automatiquement pris en considération par les tribunaux pour donner raison à leurs détenteurs[179].
Panet examine alors attentivement les conditions d’application des droits français et anglais[180]. Si l’Acte de Québec rétablit « les loix, us et coutumes anciennes de ce païs », il reconnaît que l’ordonnance du 25 février 1777 pose le principe selon lequel les faits relatifs aux affaires commerciales doivent être établis conformément aux lois d’Angleterre[181]. Toutefois, l’avocat du défendeur considère qu’en l’espèce il ne s’agit pas de considérer les principes des règles de la preuve mais la seule question de la prescription. Or, celle-ci constitue « un point de droit ou de loi et non un point de fait » et doit donc être décidée en application des seules lois françaises[182]. C’est la raison pour laquelle Panet invoque les articles 126 et 127 de la coutume de Paris pour appuyer ses prétentions[183]. Cette question de savoir si le délai de prescription relève davantage des règles de la preuve ou du droit substantiel a fait l’objet d’une vaste controverse[184]. Une jurisprudence nourrie s’en est également suivie[185] avant que l’arrêt Morrogh c. Munn ne vienne, en 1811, faire prévaloir les règles de preuve anglaises en la matière[186].
2. D’autres cas d’invocation du droit d’origine anglaise après l’entrée en vigueur del’Acte de Québec
Dans plusieurs autres affaires, la question de l’inapplicabilité du droit issu de la coutume de Paris durant la période intermédiaire, de 1764 à 1774, est également soulevée. Ainsi, en 1781, dans une cause relative à la validité d’une clause d’un contrat de mariage conclu dix ans plus tôt, l’avocat Berthelot Dartigny soutient qu’à cette date seules les lois anglaises étaient alors applicables[189].
Une autre affaire oppose, en 1781, deux marchands anglais. Panet, pour le défendeur, tente de repousser l’application de la loi anglaise[190] tandis que Monroe, pour les demandeurs, soutient que l’Acte de Québec ne doit s’appliquer qu’aux sujets canadiens. Par conséquent, puisque ni les demandeurs ni le défendeur ne sont canadiens, il s’ensuivrait qu’étant marchands britanniques, seule la loi anglaise devrait s’appliquer dans leurs rapports de commerce[191]. Dans une autre affaire, Monroe continue de soutenir qu’un sujet britannique doit pouvoir être en mesure de passer son testament selon les lois anglaises[192] et cet acte doit alors pouvoir être exécuté conformément à la législation anglaise[193].
Une intéressante affaire relative au statut de la femme marchande oppose, en 1786 devant la Cour des plaidoyers communs de Québec, Pierre Bouthiller à Philippe Louis Badelard et son épouse Charlotte Guillimin. Ces derniers, représentés par Panet, invoquent l’application de plusieurs articles de la coutume de Paris pour souligner que la « femme mariée ne se peut obliger sans le consentement de son mari »[194]. Par conséquent, les intimés contestent la validité d’un billet antérieurement émis par Charlotte Guillimin. Pourtant, dans sa Réplique, l’avocat Berthelot Dartigny, pour le demandeur, refuse, en l’espèce, toute application de ladite coutume de Paris. En effet, il soutient que ce billet, émis avant l’Acte de Québec, ne peut être régi par cette norme, inopérante depuis 1764 pour des sujets anglais ou relativement au « commerce aux Anglois »[195]. Il rappelle que l’ordonnance pour régler et établir les Cours de justice, publiée le 17 septembre 1764, porte que les juges décideront selon l’équité, eu égard aux lois d’Angleterre, et que la coutume n’aura donc plus de force en cette province. Ce texte est resté en vigueur jusqu’en 1775. Or, c’est précisément durant cet intervalle que Madame Badelard, demeurant à Lorette, a consenti le billet, daté du 20 août 1772, et l’a donné « en paiement des droits paternels échus à la Dame Antill sa fille, comme une valeur réelle par le grand crédit qu’elle avoit dans le commerce »[196]. Ce billet aurait été établi dans le but principal de « ne point sortir de son commerce une somme qui lui paroissoit considérable dans ce moment »[197]. Ainsi, ce billet à ordre, payable après un an sans intérêt, a permis dans le même temps à Madame Badelard de faire produire « de gros profits » à la somme d’argent correspondante[198]. Or, l’avocat rappelle que Monsieur Antill, le gendre de Madame Badelard, « n’est point natif de cette province, il est natif d’Angleterre ». Ainsi, il ne serait pas possible de lui appliquer « les loix et coutumes françoises » que l’ordonnance de 1764 réserve aux causes nées antérieurement à cette date et entre les seuls natifs de la province[199]. Par conséquent, l’avocat souligne que les dispositions de la coutume de Paris sont inapplicables en l’espèce et que Madame Badelard ne peut être considérée sous la puissance de mari. Par ailleurs, quand bien même la coutume de Paris eût été applicable, Berthelot Dartigny soutient que cette épouse doit être considérée comme une marchande publique. À cet égard, il relève qu’elle achète régulièrement des animaux qu’elle fait engraisser sur ses terres et réalise ainsi « un commerce très considérable des différentes denrées et productions des campagnes »[200]. Dans cette hypothèse, la femme « peut s’obliger » et le mari devient alors responsable des faits de cette dernière « pour raison du commerce dont elle se mêle »[201].
Épilogue : L’invocation d’un droit adapté aux intérêts des parties
L’affaire Grant c. Aubert, fondée sur des motifs similaires, a été l’occasion de constater que l’invocation du droit d’origine française ou britannique par les parties a surtout été prétexte pour conforter des revendications déterminées. Par conséquent, une partie serait tentée de demander l’application d’un droit plutôt que d’un autre en fonction de la seule capacité de ce dernier à assurer au mieux la défense de sa cause en litige. Dans cette cause opposant l’écuyer Guillaume Grant[202] à Charlotte Aubert, l’avocat de cette dernière, Berthelot Dartigny, conteste la volonté du demandeur de faire juger l’affaire en vertu des lois anglaises. Il rappelle, par exemple, que le demandeur n’a pourtant pas hésité à recourir à l’usage d’un droit d’origine française dans d’autres affaires antérieures. Par conséquent, l’avocat souligne que seuls ses intérêts du moment guideraient le choix du demandeur en faveur de tel ou tel système de lois. Berthelot Dartigny réexamine alors l’ordonnance de 1764 et constate que celle-ci pose le principe d’un jugement selon l’équité. Ainsi, « la sagesse du gouvernement n’a point prononcé qu’on n’y jugeroit pas aussi suivant les us et coutumes du païs » et les registres de la Cour laissent apparaître que tous les jugements ultérieurs n’ont été rendus que « conformément aux loix françoises »[203]. Toutefois, après un examen des dispositions relatives au statut de la femme mariée, l’avocat constate la parfaite conformité des dispositions du droit français et du droit anglais. En effet, il établit qu’en l’espèce « une femme sous puissance de mari ne peut pas plus s’obliger suivant les us et coutumes d’Angleterre, qu’elle ne le peut suivant ceux du païs »[204].
Il convient de reconnaître ici la justesse des propos de Berthelot Dartigny en ce qui concerne la tendance des parties à invoquer une règle de droit français ou anglais en fonction de leurs seuls intérêts ponctuels[205]. Ainsi, un homme d’origine britannique comme Guillaume Grant a pu invoquer l’application du droit anglais, mais également, dans une autre affaire, celle du droit français. En effet, dans un long litige qui l’a opposé à la famille Saint Ange[206], Grant n’a pas hésité à demander l’application d’un droit d’origine française afin de favoriser la restitution pour lésion d’un ensemble immobilier[207]. Cet achat a été effectué un mois avant l’inauguration officielle du gouvernement civil, soit le 16 août 1764. Les vendeurs, qui étaient les époux Saint Ange, ont accepté que le paiement intervienne sous forme de quatre versements égaux et annuels, sans intérêt. Cependant, après deux versements, Grant demande un délai supplémentaire auprès de Madame Saint Ange, dont le mari est entre-temps décédé en novembre 1767. À la suite du refus de celle-ci, une longue procédure judiciaire est alors engagée. Pour obtenir une réduction des sommes à débourser, Grant invoque plusieurs motifs dont son état de minorité au moment de la signature du contrat[208] et le dol lors de la vente. Ces motifs sont contestés par la partie adverse, qui précise que le droit français prévoit que le marchand est réputé majeur du fait de son commerce, sans possibilité de restitution sous prétexte de sa minorité[209]. Par ailleurs, si les avocats de Grant considèrent que la nationalité de ce dernier ne fait pas obstacle à l’application d’un droit d’origine française[210], la partie adverse tente d’établir que sa démarche « est non seulement nulle suivant la loi françoise, mais encore suivant la loi angloise ». En effet, Grant ne peut « comme ancien sujet déroger à l’ordonnance du 17 septembre 1764 pour se servir des loix françoises au soutien de sa cause » puisque cette disposition législative précise expressément que « les loix françoises ne doivent être suivies qu’entre les seuls natifs de la province »[211]. Ainsi, tandis que le demandeur réclame une restitutio in integrum, prévue par la loi civile de France, le défendeur invoque l’application d’un principe d’équité (« vigilantibus non dormientibus succurrit lex »), reconnu par les règles anglaises. Après plusieurs années de procédure[212], un corps de jurés, composé pour moitié de francophones et d’anglophones, est convoqué, le 16 janvier 1773, devant la Cour des plaidoyers communs de Québec[213] et rend son verdict le 4 février 1773[214]. La Cour rend une décision finale le 6 juillet 1773, par laquelle elle accorde à Grant une réduction du prix d’achat de ces biens immobiliers[215]. Par conséquent, la Cour établit clairement qu’une personne d’origine britannique peut parfaitement, durant la période intermédiaire du Régime militaire, s’appuyer sur des dispositions d’origine française pour favoriser sa cause. Le 26 septembre 1782, la Cour d’appel confirme cette décision [216]. Se fondant sur l’estimation du jury, elle condamne la veuve et les héritiers Saint-Ange à rembourser à Grant une somme de 12 490 livres qu’il aurait payée en trop. L’affaire est ensuite portée devant le Conseil privé à Londres. Dans le jugement rendu, lord Grantly renverse les deux décisions précédentes. Il soutient notamment que la Proclamation royale du 7 octobre 1763 a établi le droit anglais au Canada, sauf pour les causes où les deux parties sont d’origine française, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Le jugement précise :
[A]fter the Proclamation of the 7 octr. 1763 the English Law gave theRule in Canada except only in the Case of French & French which this wasnot [...] the Principle was clear that upon the Conquest of a Country theold Law obtained till a New Code was given, &, that done, the EnglishJurisprudence became the Law of Canada — with the Exception stated, whichhad no effect but in a Case (which this was not) the Case of two Canadiansborn under the Governmt. of France[217].
Pourtant, étrangement, cette solution dégagée dans l’affaire Grant c. Saint-Ange ne semble pas avoir été remise en causeaprès l’Acte de Québec, qui réintroduitofficiellement le droit français dans la province. En effet, dans l’affaireGray v. Grant[218], les juges ont dû, en 1786, se prononcer ànouveau sur la délicate détermination de la loi applicable, dans unecontestation où tous les plaideurs sont d’origine anglaise et qui ne concernedonc aucun Canadien. En première instance, la Cour des plaidoyers communs aestimé qu’en vertu de l’Acte de Québec,toutes les contestations relatives à la propriété doivent désormais être jugéesconformément aux règles françaises, sans exception[219]. En appel, le jugement interlocutoire a confirmé cetteposition tandis que le jugement final l’a renversée, démontrant ainsi lacomplexité de cette cause[220]. Dans une lettreadressée à Londres, le juge en chef William Smith, qui a présidé la Cour d’appelayant rendu cette décision, présente les arguments qui l’ont conduit àappliquer, en l’espèce, le droit anglais et à renverser le jugement de la Courdes plaidoyers communs[221]. L’affaire a étéportée devant le Conseil privé du Roi, mais aucune suite ne semble finalement yavoir été donnée[222].
Une autre cause a été l’occasion de mettre en lumière les différences entre le droit français et anglais. En 1765, Simon Evans et Josephe Decouagne se marient sans avoir préalablement établi de contrat de mariage entre eux. Le 12 mai 1778, Madame Evans présente une requête en séparation contre son mari. Elle réclame notamment le partage des meubles et immeubles et demande le versement d’une pension alimentaire de cinquante livres jusqu’à ce qu’elle ait reçu la moitié des biens. Son mari acquiesce à ces exigences et reconnaît notamment avoir préalablement reçu une somme considérable de son beau-père. Le 27 mars 1779, un jugement prononce la séparation de corps. C’est dans ce contexte que, moins d’un an plus tard, le 3 février 1780, une décision de justice est rendue en faveur des créanciers d’Evans. Or, ces derniers se trouvent alors confrontés à une situation où le sieur Evans ne dispose plus de suffisamment de biens pour honorer ses dettes à l’égard de ses neuf créanciers. Ceux-ci saisissent alors la Cour d’appel et, dans sa requête du 2 décembre 1780, Panet, leur avocat, soutient que la séparation intervenue entre les époux Evans serait « simulée, volontaire et caduque ». En effet, elle serait essentiellement destinée, en définitive, à protéger les biens de ces époux à l’égard des poursuites intentées par leurs créanciers. L’avocat s’interroge alors : « quelles loix doivent régler les effets civils du mariage qu’il y avoit entre monsieur et madame Evans ? Etoient-ce les loix d’Angleterre ? Etoient-ce celles du Canada ? »[223]. En réalité, ce procès met aux prises le droit civil avec le droit commercial, les intérêts de la famille et ceux des créanciers. Or se profile aussi le conflit entre le droit français, qui notamment après l’Acte de Québec doit continuer de régir les questions de propriété et de famille, et le droit anglais, dont le poids est croissant en matière commerciale[224].
De même, dans un autre litige qui a opposé une partie francophone à des anglophones, la solution dégagée après l’Acte de Québec n’est pas forcément conforme aux attentes. Cette affaire concerne la question de la légitimité du paiement d’intérêts, non exigibles en droit français, mais opposables en droit anglais. Devant la Cour des plaidoyers communs de Montréal, l’avocat Meziere, pour le défendeur d’origine française, rappelle que « les intérêts sur de l’argent stérile par sa nature ont été de tous tems prohibés » au Canada[225]. Toutefois, qu’en est-il lorsque l’une des parties est originaire de Londres, où l’intérêt de l’argent est autorisé ? La partie canadienne peut-elle alors se prévaloir de la loi d’origine française pour se soustraire à certaines obligations commerciales ? Meziere, défendant François Cazeau, souligne qu’il est nécessaire de faire respecter « les loix de l’égalité » et que « dans le commerce tout doit être uniforme »[226]. Ainsi, il ne serait pas juste qu’un commerçant ne soit pas tenu de payer intérêt à un autre marchand canadien tandis qu’il devrait en payer à l’égard du commerçant anglais. Les demandeurs d’origine britannique répliquent que le défendeur ne cherche qu’à « sapper les loix du Royaume et du commerce d’Angleterre pour accomoder la loy française à ses intérêts »[227]. En leur nom, l’avocat Panet soutient que le défendeur canadien doit nécessairement « suivre la loi de celui avec lequel il a contracté »[228]. Le 23 octobre 1777, la Cour des plaidoyers communs de Montréal renvoie les parties à un arbitrage afin de déterminer, « si eu égard aux regles de commerce », le paiement des intérêts est dû ou non. Par une requête en date du 30 avril 1778, Panet conteste cet arbitrage, auquel les demandeurs n’ont pas consenti et rappelle que les juges sont « constitués pour prononcer par eux-mêmes sur leurs contestations »[229]. Par une lettre en date du 4 janvier 1779, Panet soutient que Cazeau a mis à l’abri ses biens avant la saisie opérée par le shériff. Par la suite, la procédure est encore longue puisque, le 12 juin 1779, Marguerite Vallée, épouse de François Cazeau, fait encore appel au Conseil privé du Roi pour contester la décision de la Cour d’appel du 7 juin 1779. L’avocat Berthelot Dartigny rédige cet appel le 3 juillet 1779. Toutefois, il semble que, dès le 8 avril 1780, il ait à nouveau été ordonné à Cazeau de payer les intérêts dûs aux commerçants anglais[230].
Par conséquent, on observe que, dans toutes ces affaires, les parties invoquent évidemment les règles qui leur sont, avant tout, les plus favorables[231]. Ainsi, leurs avocats n’hésitent pas à se fonder sur des règles qui proviennent d’un système juridique « étranger » pour eux, dans la mesure où ils ignoraient tout de celui-ci avant la Conquête ou leur arrivée au Québec. Cette invocation d’un droit en fonction des seuls intérêts des parties conduit alors à une sorte de « culture de l’amalgame », qui se développe dans la pratique quotidienne, en marge des conflits politiques au Conseil législatif ou des causes célèbres où les juges ne s’entendent pas sur le système à appliquer[232].
La question relative à la nature du droit applicable après la Conquête a souvent servi de prétexte à des positionnements d’ordre idéologique. Ainsi, John A. Dickinson observe que « la défense du droit s’inscrit dans toutes les luttes nationales et a contribué à empêcher toute réforme qui répondrait aux nouvelles réalités économiques et sociales d’une colonie en transition vers le capitalisme industriel »[233]. Aux revendications en faveur du droit français ou du droit anglais se rattache souvent une sorte de « défense culturelle » où il s’agirait, en définitive, de faire prévaloir une certaine vision sociale. Le droit est alors instrumentalisé au profit d’un idéal politique.
Conscient de ces enjeux, le fort pragmatisme des institutions anglaises établies à la suite de la Conquête nous est rapidement apparu comme une évidence. Loin des préoccupations de nature politique, le droit français trouve alors naturellement à s’appliquer dans la pratique malgré les intentions initialement contraires des administrateurs anglais. Loin de la nouvelle métropole, la réalité l’emporte sur la volonté du conquérant. Le pragmatisme s’impose tandis que les parties elles-mêmes cherchent avant tout à faire prévaloir leurs propres intérêts. Éventuellement, elles s’appuient à cette fin tant sur le droit français qu’anglais pour satisfaire les besoins de leurs causes. Si le droit échappe partiellement à l’emprise du politique, il est alors à son tour instrumentalisé pour répondre à des objectifs conjoncturels.
Appendices
Remerciements
L’auteur remercie vivement Michel Morin, sous la supervision duquel il a effectué la recherche post-doctorale à l’origine de cet article, Jean-Louis Mestre, Jean Leclair, David Gilles et les évaluateurs anonymes de la revue pour leurs précieux conseils et leurs suggestions.
Notes
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[1]
François Masères, Brouillon d’un rapportpréparé par l’honorable gouverneur en chef et le Conseil de la province deQuébec, pour être présenté à Sa Très-Excellente Majesté le roi en sonConseil, au sujet des lois et de l’administration de la justice de cetteprovince, 27 février 1769, reproduit dans Adam Shortt et Arthur GDoughty, dir, Archives Publiques du Canada, Documents relatifs à l’histoire constitutionnelle du Canada,1759-1791, 2e éd, Ottawa, Imprimeur de satrès excellente majesté le Roi, 1921, 304 à la p 330 [Masères, Brouillon]. Francis Masères était alorsprocureur général de la province de Québec.
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[2]
Articles de la Capitulation,Montréal, France et Royaume-Uni, 8 septembre 1760, art 42,reproduit dans Shortt et Doughty, ibid,5 à la p 18 [Capitulation].
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[3]
Ibid à la p 18, art 41. Plusexactement, la réponse d’Amherst est : « Répondu par les Articles précedents, etparticulierement par le dernier ». C’est donc vis-à-vis l’article 41, par lequelles Français demandent d’être exemptés de l’obligation de prendre les armescontre leurs compatriotes, qu’Amherst inscrit : « Ils deviennent Sujets duRoy ». Les autres articles incluent un engagement à respecter tous les droits depropriété des particuliers, seigneuriaux ou autres (art 37) ainsi que ceux despropriétaires d’esclaves (art 47). Toutefois, les droits de la couronne deFrance sont transmis à celle de Grande-Bretagne (art 26) et ceux des communautésde prêtres sont suspendus (art 33) sauf pour leurs droits de propriété (art 34).Avant cette capitulation, dans la région de Québec, le brigadier-général Murrayavait promis le respect des coutumes françaises. Techniquement, cet engagementest annulé par l’article 50. Voir Michel Morin, « Les changements de régimesjuridiques consécutifs à la Conquête de 1760 » (1997) 57 : 3 R du B 689 aux pp689-90 [Morin, « Changements »].
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[4]
Les registres, de la période militaire à Montréal (1760-1764) conservés à laBibliothèque et Archives nationales duQuébec regroupent ceux de la Chambre des milices de Montréal(compétente aussi au criminel) (TL12), ceux des Conseils militaires, en appel,dont Varennes (TL11), Montréal (TL279) et Saint-Sulpice (TL281) et, enfin, laCollection de jugements en appel rendus par Thomas Gage (TL10). Il conviendraitd’y ajouter les registres de la période militaire à Québec (1760-1764),notamment ceux du Conseil militaire de Québec (TL9). Pour un exempled’application du droit durant cette période, voir Arnaud Decroix, « Le conflitjuridique entre les Jésuites et les Iroquois au sujet de la seigneurie du SaultSaint-Louis : analyse de la décision de Thomas Gage (1762) » (2007) 41 : 1 RJT279.
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[5]
Sur ce point, voir William Renwick Riddell, « The First British Courts inCanada » (1924) 33 : 6 Yale LJ 571 ; Alfred Leroy Burt, The Old Province of Quebec, Toronto, RyersonPress, 1933, ch 3 aux pp 35-36 ; Pierre-Georges Roy, Les juges de la province de Québec, Québec,Rédempti Paradis, 1933 à la p x. ContraDouglas Hay, « Civilians Tried in Military Courts: Quebec, 1759-64 » dans FMurray Greenwood et Barry Wright, dir, CanadianState Trials: Law, Politics, and Security Measures, 1608-1837,vol 1, Toronto, University of Toronto Press, 1996, 114.
-
[6]
Wilson c Robinson (20 février1762), Registre d’audience du Conseil desofficiers de Montréal, Appel des sentences rendues par les chambres desmilices de Pointe-Claire, Longueuil, Pointe-aux-Trembles et Lavaltrie,1761-1764, Centre d’archives de Montréal de BAnQ, Bibliothèque etArchives nationales du Québec (TL279, 1871-00-000/11708). Sur cette applicationde la Loi Aede, voir textecorrespondant à la note 157.
-
[7]
George R, Proclamation, 7 octobre1763, reproduit dans Shortt et Doughty, supra note 1, 136 à la p 138.
-
[8]
Ibid.
-
[9]
Les délais entre la ratification du traité de Paris, en février 1763,l’établissement formel d’un gouvernement civil au Canada, en avril 1764, etl’entrée en vigueur de la Proclamationroyalede 1763 s’expliquent en raison duTraité de Paris, 10 février 1763, art 4, reproduit dansShortt et Doughty, supra note 1, 83. Eneffet, ce dernier prévoit d’accorder un laps de temps de dix-huit mois auxCanadiens français qui désirent quitter le pays. Voir Jacques L’Heureux,« L’organisation judiciaire au Québec de 1764 à 1774 » (1970) 1 : 2 RGD266.
-
[10]
JA Murray, Ordonnance établissant des coursciviles, 17 septembre 1764, reproduit dans Shortt et Doughty,supra note 1, 180 [Cours civiles].
-
[11]
Ibid à la p 181.
-
[12]
Ibid.
-
[13]
C’est l’interprétation qu’en firent un certain nombre d’habitants quiconstatèrent avec plaisir que, « dans la [d]écision de nos affaires de familleet autres, il seroit etabli une [j]ustice inférieure, où toutes les [a]ffairesde François à François y seroient decidees ». Voir Québec, Pétition des habitants français au Roi au sujet del’administration de la justice, 7 janvier 1763, reproduit dansShortt et Doughty, supra note 1, 195 àla p 196 [Pétition Justice].
-
[14]
Cours civiles, supra note 10 à la p181, n 4.
-
[15]
Ibid à la p 182.
-
[16]
Une ordonnance du 6 novembre 1764 précise que l’application du droitanglais, en matière de tenure de terres et de droits successoraux, est repousséeà l’année suivante, dans JA Murray, Ordonnance du6 novembre 1764, 6 novembre 1764, reproduit dans Shortt etDoughty, supra note 1, 199 [Ordonnance du 6 novembre].
-
[17]
Cours civiles, supra note 10 à la p182. Guy Carleton et William Hey assureront ensuite qu’en vertu de cette clauseleur permettant de décider selon l’équité, les juges de la Cour des plaidoyerscommuns « admettent les lois du Canada dans les procès entre Canadiens, même sila cause de l’action a été mue depuis septembre 1764 ». Voir Guy Carleton etWilliam Hey, Rapport sur les lois et les cours dejudicature de province de Québec, 15 septembre 1769, reproduitdans Archives Publiques du Canada, WPM Kennedy et Gustave Lanctot, dir,Rapports sur les lois de Québec,1767-1770, Ottawa, Imprimeur de sa très excellente majesté leRoi, 1931, 53 à la p 67 [RapportJudicature].
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[18]
Une lettre publiée dans la Gazette de Québec et datée du 15 octobre 1765critique cette décision : voir Archives duSéminaire de Québec,Fonds George-Barthélémy Faribault(P29), pièce no 267.
-
[19]
Voir Geo Allsopp, Ordonnance pour rendre plusefficace l’administration de la justice et réglementer les cours civiles decette province, 1 février 1770, reproduit dans Shortt etDoughty, supra note 1, 382[Ordonnance Administration] ;Donald Fyson, Magistrates, Police, and People:Everyday Criminal Justice in Quebec and Lower Canada, 1764-1837,Toronto, University of Toronto Press, 2006, aux pp 59, 117 [Fyson, Magistrates].
-
[20]
Cours civiles, supra note 10 à la p 184. Les baillis, élusdans chaque paroisse, doivent veiller à l’entretien des chemins et des ponts,exécuter les mandats d’arrestation et, si le coroner ne peut se rendre sur leslieux, examiner avec cinq notables les cadavres portant des marques de violence,puis faire rapport à ce sujet. Sur ce point, voir Donald Fyson, « The Canadiansand British Institutions of Local Governance in Quebec from the Conquest to theRebellions » dans Nancy Christie, dir, Transatlantic Subjets: Ideas, Institutions and Identities inPost-Revolutionary British North America, Montréal,McGill-Queen’s University Press, 2008, 45.
-
[21]
Pour une description plus complète de cette juridiction, voir Donald Fyson,avec la collaboration de Evelyn Kolish et Virginia Schweitzer, The Court Structure of Quebec and Lower Canada, 1764 to1860, Montréal, Montreal History Group, 1994 ; Luc Huppé,Histoire des institutions judiciaires duCanada, Montréal, Wilson & Lafleur, 2007 aux pp 133-46 ;Evelyn Kolish, « L’histoire du droit et les archives judiciaires » (1993) 34 : 1C de D 289. Voir aussi Evelyn Kolish, Guide desarchives judiciaires (décembre 2000), en ligne : Archivesnationales du Québec <http://www.banq.qc.ca/documents/ressouces_en_ligne/instr_rech_archivistique/garchjud.pdf>.Sur les registres des Cours des plaidoyers communs, voir Seaman Morley Scott,Chapters in the History of the Law of Quebec,1764-1775, Ann Arbor, University of Michigan, 1933 aux pp352-59.
-
[22]
En 1770, une ordonnance constate « la pratique actuelle de la cour desplaids communs de s’ajourner de Québec à Montréal ». Elle précise que cette cour« ne siégeait dans la ville de Montréal qu’à certains jours et à certainesépoques après s’être ajournée à Québec ». Elle était alors considérée comme« une partie ou une branche de la cour des plaids-communs établie à Québec ».Voir Ordonnance Administration,supra note 19 à la p 385.
-
[23]
Le vendredi est désormais réservé pour « entendre et […] juger toutes lescauses dans lesquelles la valeur réclamée par l’action n’excédera pas la sommede douze louis » (ou douze livres) : ibidà la p 388. Une ordonnance de 1777 précise aussi qu’au moins un jourpar semaine doit être consacré à l’examen des causes dont la valeur excède dixlivres sterling, tandis qu’un autre jour de la semaine doit être employé àdécider dans les affaires dont le montant en litige est inférieur ou égal à dixlivres. Voir Guy Carleton, Ordonnance pour établirdes cours de judicature dans la province de Québec, 25 février1777, reproduit dans Shortt et Doughty, supra note 1, 668 [OrdonnanceJudicature]. Sur le coût de la justice devant les cours desplaidoyers communs, voir Scott, supranote 21 aux pp 307-14, 444-49 ; Hilda M Neatby, The Administration of Justice under the QuebecAct, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1937 aux pp333-44 [Neatby, Administration].
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[24]
Lorsque la somme en litige n’excède pas la valeur de douze livres, l’affairepeut être jugée par un seul des juges. Voir Ordonnance Administration,supra note 19 aux pp 382-97.
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[25]
L’ordonnance de 1777 énonce, pour sa part, que la présence de deux juges estrequise lorsque la valeur de la cause en litige excède dix livres sterling. VoirOrdonnance Judicature, supra note 23 à la p 669. C’est sur lefondement de cet article que Joseph Marquis soutient que la cour, qui s’estprononcée à Kamouraska le 22 février 1779, était incompétente car tenue par unseul juge, Pierre Panet, qui faisait alors la tournée de la côte du sud tandisque les deux autres juges, Adam Mabane et Thomas Dunn, accomplissaient latournée de la côte nord. Cette requête rédigée à Québec, le 14 avril 1779, etprésentée par Berthelot Dartigny, avocat du défendeur, a pourtant été écartéepar la Cour des plaidoyers communs de Québec. En effet, celle-ci soutient qu’àKamouraska, il s’agissait simplement non pas de juger la cause, mais seulement« d’entendre et examiner les témoins ». Par conséquent, les prétentions dudéfendeur sont regardées, par la juridiction de Québec, comme « frivoles,dilatoires et mal fondées ». Voir Réponses quefait devant les honorables juges de la Cour des plaidoyers communs dudistrict de Québec : Joseph Marquis défendeur à l’écrit en forme de requêtede Pierre Pinet, demandeur, en date du 29 mars 1779, Centred’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec(TL15, S2, 1980-09-008/13, pièce 1864) et Extraitdes registres de la Cour des plaidoyers communs du district de Québec :Entre Pierre Pinet, capitaine de milice de la Rivière des caps, demandeur,et Joseph Marquis habitant dudit lieu, défendeur, 21 avril 1779,Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales duQuébec (TL15, S2, 1980-09-008/13, pièce 1864).
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[26]
Après 1775, les juges de la Cour des plaidoyers communs de Québec sont lemarchand Adam Mabane, Thomas Dunn et l’avocat-notaire Pierre Panet (remplacé en1778 par son frère Jean-Claude Panet), tandis que ceux de Montréal sont JohnFraser, Hertel de Rouville et Edward Southouse. Peter Livius a été un temps jugeà la Cour des plaidoyers communs de Montréal (1776-1777). Sur ce personnage,voir Neatby, Administration, supra note 23 aux pp 66-86. W Owen et GETaschereau ont également été, pendant une certaine période, juges à la Cour desplaidoyers communs. Une liste de ces juges est fournie par Neatby, ibid aux pp 351-54. Sur ce point, voirégalement Roy, supra note 5.
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[27]
Cette absence de formation juridique, notamment en droit anglais, pourraitparadoxalement avoir eu pour effet de les rendre plus « conciliants » à l’égardde l’application du droit français par ignorance des règles communes oudivergentes. Pour une comparaison avec une colonie britannique, voir John MMurrin, « The Legal Transformation : The Bench and Bar of Eighteenth-CenturyMassachusetts » dans Stanley Nider Katz et John M Murrin, dir, Colonial America: Essays in Politics and SocialDevelopment, 3e éd, New York, Knopf, 1983, 540.
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[28]
Avant de devenir juge, il était officier écossais du vingt-septièmerégiment. Voir Neatby, Administration,supra note 23 aux pp 56-57. Il nousa été possible de retrouver son contrat de mariage avec Marie-Claire Fleury ditDéchambault, fille d’un seigneur canadien : Fondsdu notaire Pierre Mezières, 1er août 1765,Centre d’archives de Montréal de BanQ, Bibliothèque et Archives nationale duQuébec (microfilm 2411, CN 601, S290). Ce contrat de mariage paraît en toutpoint conforme au droit français.
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[29]
Il était, plus précisément, chirurgien rattaché à l’armée. Sur cepersonnage, voir Neatby, Administration, supra note23 aux pp 54-55.
-
[30]
Initialement, il est le seul juge d’origine française puisque le fameuxserment du test a pour principale conséquence d’exclure en principe lescatholiques de l’exercice d’une telle fonction. Après le décès de Mounier, en1769, Hector Theophilus Cramahé, capitaine britannique, puis secrétaire deMurray avant de devenir lieutenant-gouverneur de la province, lui succède. Dès1770, Thomas Dunn, marchand anglais, remplace Cramahé à cette fonction dejuge.
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[31]
Sur ces juges, voir Scott, supranote 21 aux pp 262-67, 347-49 ; Fyson, Magistrates, supra note19 à la p 117. Leur impartialité a été mise en cause par Neatby, Administration, supra note 23 aux pp 118-23. Elle relate notamment l’enquêtemenée à propos des juges de la Cour des plaidoyers communs (ibid aux pp 242-55).
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[32]
Cours civiles, supra note 10 à la p 180. Cette juridictionest chargée « d’entendre et de juger toutes les causes civiles et criminellessuivant les lois d’Angleterre et conformément aux ordonnances de cetteprovince » (ibid à la p 181). Le jugeen chef de la province est, dans la pratique, le seul juge de cette Cour. Àcette fonction se sont succédés William Gregory, nommé en 1764, puis William Heyen 1766.
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[33]
Il peut être fait appel des différends qui font l’objet d’un tel montantdirectement au gouverneur et au Conseil, sans passer par la Cour du Banc du Roi,si l’une des parties le souhaite. Par conséquent, l’opposition de l’une desparties à ce « recours direct » paraît irrecevable. Ibid aux pp 181-82. Voir Evelyn Kolish,Nationalismes et conflits de droits : le débatdu droit privé au Québec, 1760-1840, Ville LaSalle, Hurtubise,1994 [Kolish, Nationalismes] ; Scott,supra note 21 aux pp 209-10 ;Donald Fyson, « Judicial Auxiliaries Across Legal Regimes: From New France toLower Canada » dans Claire Dolan, dir, Entrejustice et justiciables : Les auxiliaires de la justice du Moyen Age auXXe siècle,Québec, Presses de l’Université Laval, 2005, 395 à la p 396 [Fyson, « JudicialAuxiliaries »]
-
[34]
Si la valeur en litige est d’au moins cinq cents livres sterling, il estmême possible d’exercer un recours supplémentaire auprès du Roi en son Conseil(ibid à la p 181). Cettepossibilité est maintenue par l’ordonnance du 25 février 1777. Sur la nécessitéde disposer de « deux bonnes et suffisantes cautions » pour exercer cet appel,voir Entre le sieur Comte Dupré, négotiant encette ville, demandeur, contre le sieur Elie Lapparre défendeur,1767-1768, Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archivesnationales du Québec (TP5, S1, SS1, 1980-09-008/1, pièce 402), notamment larequête de Jean-Baptiste Lebrun qui invoque l’application d’un acte du Parlementanglais (III Jacobi I, c 8 : An Act to avoidunnecessary Delays of Executions, 1605) pour établir que lapossibilité de l’appel repose sur l’existence de deux cautions équivalentes audouble de la somme portée au jugement). Voir aussi Watson et Rashleigh c François Cazeau (notamment les Moyens de refus des cautions de A Panet du 16octobre 1779), Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archivesnationales du Québec (TP7, 1980-09-031/1, dossier 5).
-
[35]
Le premier juillet 1766, une ordonnance autorise les catholiques à exercerles fonctions d’avocat devant toutes les cours, plutôt que devant la seule Courdes plaidoyers communs : Québec, Ordonnance pourmodifier et amender une ordonnance de Son Excellence le gouverneur et duConseil de Sa majesté de cette province, rendue le dix septième jour deseptembre 1764, 1er juillet 1770, reproduitdans Shortt et Doughty, supra note 1,219.
-
[36]
Hilda Neatby, Quebec: The Revolutionary Age, 1760-1791, Toronto,McClelland and Stewart, 1966 à la p 53 [Neatby, Revolutionary].
-
[37]
La saisine de la Cour du Banc du Roi, en première instance, interviendraitle plus souvent afin d’entendre des causes devant jury en matièrecivile.
-
[38]
« No original record book has been found » :Scott, supra note 21 àla p 365. « The official records of this court areapparently destroyed or lost » : Neatby, Administration, supra note 23 à la p 358. Les registres conservés, auxBibliothèque et Archives nationales du Québec pour la Cour du Banc du Roi pourle district de Québec, sont regroupés dans la série TL18. Celle-ci comprendplusieurs sous-séries, notamment TL18, S1, pour les matières criminelles engénéral (1765-1816), TL18, S1, SS1, comprenant des dossiers criminels(1765-1816), TL18, S2, pour les matières civiles en général (1794-1849) et TL18,S2, SS11, pour certains procès-verbaux d’audiences (1795-1808).
-
[39]
Au sujet de l’application du droit privé de la Nouvelle-France lors del’appel d’une décision de la Cour des plaidoyers communs, Hey affirme devant laChambre des Communes britannique : « I havethought myself obliged, in my capacity of chief justice, in every case ofappeal, to determine by the same rule ; because it seemed to me a grossabsurdity, that I should sit to determine the merits of a cause, governed byone kind of law, which they had determined under the provisions ofanother » : J Wright, Debates ofthe House of Commons in the year 1774, on the Bill for Making more EffectualProvision for the Government of the Province of Quebec, Drawn up from the Notes of the Right Honourable SirHenry Cavendish Bart, Londres, Ridgway, 1839 à la p 151.
-
[40]
Voir Scott, supra note 21 à la p390 ; L’Heureux, supra note 9 à la p302.
-
[41]
Voir Burt, supra note 5 à la p 159; Neatby, Administration, supra note 23 à la p 4.
-
[42]
Ordonnance Judicature, supra note 23 aux pp 668-71. Déjà, en 1773, àla suite du départ du juge en chef Hey, le Conseil avait adopté une ordonnanceafin de transférer la compétence d’appel de la Cour du Banc du Roi, en matièrecivile, au gouverneur et au Conseil : L’Heureux, supra note 9 à la p 303.
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[43]
Sur la cour d’appel, voir Scott, supranote 21 aux pp 367-81 ; Neatby, Administration, supranote 23 aux pp 134-41.
-
[44]
Sur vingt-et-un appels, la décision de la cour de première instance n’a étérenversée qu’à trois reprises, tandis que cinq affaires n’ont donné lieu à aucunjugement : List of Appeal Causes from the Court ofCommon Pleas for the District of Quebec to the Supreme Court or Court ofKing’s Bench from 1764 to 1774, tel que cité dans Scott,supra note 21 à la p 209,n 14.
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[45]
La cour d’appel renverse le jugement rendu en première instance dans dixcas. Le jugement est confirmé dans dix-sept autres cas. Enfin, plusieurs casd’abandons de procédures ont été observés et six causes sont en attente d’êtreexaminées : « A List of Appeal Causes from the Court of Common Pleas for theDistrict of Quebec from 1774 to the 23 August 1787 » dans Bibliothèque et Archives du Canada, CO42/54(microfilm B41, fol 19) [« List of Appeal Causes »].
-
[46]
Seize proviennent de la Cour des plaidoyers communs de Montréal et cinq decelle de Québec : ibid.
-
[47]
Dans quatorze cas, le jugement de première instance a été confirmé. Danscinq cas, le jugement de première instance est renversé tandis que dans deuxcauses, l’appel a été abandonné peu de temps après avoir été introduit : « Listede 21 appels examinés par la cour d’appel de 1777 à 1780 » dans British Library,Haldimand Papers, Minutes of the Council atQuebec, 1779-1784, MG 21, Add Mss 21 739, B-79 (Bibliothèque et Archives du Canada, microfilmH 1442, fol 78).
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[48]
Québec, Rapport du solliciteur général AlexWedderburn, 6 décembre 1772, reproduit dans Shortt et Doughty,supra note 1, 402 à à la p 410[Wedderburn]. Alexander Wedderburnest nommé solliciteur général de Grande-Bretagne en 1771 et procureur général en1778.
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[49]
Neatby (Administration, supra note 23 à la p 3) décrit la situationjuridique, au Canada, après 1764, comme « a sortof noisy chaos » tandis que Gerald S Graham observe « the uncertainty of the laws » (British Policy and Canada, 1774-1791:A study in 18th Century TradePolicy, Londres, Longmans, Green and Co, 1930 à la p 22). De soncôté, Kolish (Nationalismes, supra note 33 à la p 37) mentionne égalementle « chaos judiciaire » ambiant.
-
[50]
Rapport Judicature, supra note 17 à la p 68.
-
[51]
Québec, Rapport du procureur général EdwdThurlow, 22 janvier 1773, reproduit dans Shortt et Doughty,supra note 1, 416 à la p 419[Thurlow]. Dans leur « Rapport surles lois et les cours de judicature de la province de Québec », Guy Carleton etWilliam Hey (Rapport Judicature,supra note 17 à la p 61)soutiennent que « [l]es lois du Canada [...] ont fait place — c’est du moinsl’opinion commune — aux lois de l’Angleterre adoptées en bloc sans distinction,modification ou révision ».
-
[52]
Thurlow, supra note 51 à la p420.
-
[53]
Un arrêt de la Cour du Banc du Roi, rendu à Londres par lord Mansfield, estvenu encadrer sa portée : Campbell cHall (1774), 1 Cowp 204,98 ER 848, reproduit dans Shortt et Doughty, supra note 1 aux pp 506-15. Si la Proclamation royale de 1763 n’a pas eu pour effet d’introduireles lois anglaises dans la province, il convient d’en conclure que l’ordonnancede 1764 n’a pu avoir ce pouvoir sous peine d’illégalité. En effet, le gouverneuret le Conseil ne sont pas compétents pour procéder à un tel changement. Sur cepoint, voir Morin, « Changements », supra note 3 aux pp 689-90, 692-94 ; Neatby, Revolutionary, supra note 36 aux pp 47-49 ; WS Wallace, « The Beginnings ofBritish Rule in Canada » (1925) 6 : 3 CanadianHistorical Review 208 [Wallace, « Beginnings »] ; L’Heureux,supra note 9 aux pp268-73.
-
[54]
Thurlow, supra note 51 à la p 421.
-
[55]
Capitulation, supra note 2, art 37 aux pp 16-17,
-
[56]
Pour plus de précisions sur ces questions, voir l’étude de Michel Morin àparaître dans un volume portant sur l’histoire du droit québécois et ontarien de1760 à 1867, édité par Blaine Baker et Donald Fyson et publié par la OsgoodeSociety for Legal History en 2011.
-
[57]
Sur l’application du droit criminel, voir André Morel, « La réception dudroit criminel anglais au Québec (1760-1892) » (1978) 13 : 2-3 RJT 449 [Morel,« Criminel »] ; Douglas Hay, « The Meanings of the Criminal Law in Quebec,1764-1774 » dans Louis A Knafla, dir, Crime andCriminal Justice in Europe and Canada, Waterloo, Wilfrid LaurierUniversity Press, 1981, 77 ; Jean-Marie Fecteau, Un nouvel ordre des choses : la pauvreté, le crime, l’Etat au Québec, de lafin du XVIIIe siècle à 1840, Outremont (Qc), VLB éditeur, 1989aux pp 88-97 ; Fyson, Magistrates,supra note 19 aux pp 15-52, oùl’auteur démontre que, malgré les changements apportés par la Conquête, unegrande continuité historique est perceptible en matière criminelle.
-
[58]
Voir Justice Wood Renton, « French Law within the British Empire » (1909) 10: 1 Journal of the Society of ComparativeLegislation 93 aux pp 99-103 ; Scott, supra note 21 aux pp 381-88 ; « The Benefitof English Law » dans Neatby, Revolutionary, supranote 36 aux pp 45-55 ; « Controversy in Quebec over the Laws and the Form ofGovernemnt » dans Hilda Neatby, The Quebec Act:Protest and Policy, Scarborough, Prentice-Hall of Canada, 1972,12 [Neatby, Protest] ; André Morel,« La réaction des Canadiens devant l’administration de la justice de 1764 à1774, une forme de résistance passive », (1980) 20 R du B 53-63 ; Morin,« Changements », supra note 3 aux pp689-700 ; Jean-Philippe Garneau, Droit, famille etpratique successorale : les usages du droit d’une communauté rurale auXVIIIe siècle canadien, thèse de doctorat en histoire, Uqam, 2003aux pp 60-71 ; Jean-Philippe Garneau, « Droit et “affaires de famille” sur laCôte-de-Beaupré : histoire d’une rencontre en amont et en aval de la Conquêtebritannique » (2000) 34 : 2 RJT 515.
-
[59]
Pierre-Georges Roy (supra note 5 àla p 10) affirme aussi que « le système inauguré en 1764 introduisait les loisanglaises dans la colonie ». Jean-Gabriel Castel (The Civil Law System of the Province of Quebec: Notes, Cases, and Materials,Toronto, Butterworths, 1962 à la p 21) soutient également que, « [a]sfor the civil law, the Proclamationwas taken literally and English law was introduced. Chaos reigned […] ». Pour Michel Brunet(Les Canadiens après la Conquête, 1759-1775 :De la Révolution canadienne à la Révolution américaine, Montréal,Fides, 1969 à la p 99), cette ordonnance de 1764 « changea subitement le systèmelégal de la colonie et modifia radicalement l’administration de la justice ».Evelyn Kolish (Nationalismes, supra note 33 aux pp 31-32) relève aussi que« l’introduction soudaine », à la suite de l’ordonnance, « du droit anglais enbloc dans le pays ne pouvait qu’engendrer un certain chaos » et que le « recoursà l’ancienne pratique [est donc] devenu illégal ». Plus récemment, Luc Huppé(supra note 21 à la p 137) observeégalement que, « [t]ant dans ses structures que dans son contenu, le régimejuridique des habitants de la province de Québec doit donc changer du tout autout ».
-
[60]
Après avoir établi que l’ordonnance de 1764 a introduit « en bloc, et sansmême en faire la promulgation, tout le droit civil et criminel del’Angleterre », Paul-Émile Lamarche considère que « les lois anglaises et leslois françaises furent appliquées indistinctement et d’une façon désordonnée » :Paul-Émile Lamarche, « Le droit civil français sous la domination anglaise »,présenté à l’occasion de la réunion solennelle de fin d’année du barreau,Montréal, 29 avril 1911, dans Paul-Émile Lamarche, Oeuvres-Hommages, Montréal, Bibliothèque de l’Action française1919, 18 aux pp 40-41.
-
[61]
Wallace (« Beginnings », supra note54 à la p 210) observe que « [a]s for the promise of Englishlaw, if it implied, as it seemed to imply, that the French law was to beabolished, the best that can be said for it is that it wasimpracticable ». Gerald Graham (supra note 49 aux pp 19-21) indique également, en citantl’ordonnance de 1764, que « this most significantof the articles implied apparently the total abolition of Frenchlaw ». Il croit alors qu’en matière commerciale, où « the greatest confusion prevailed », s’estprogressivement instauré « a hybrid creation ofFrench Canadian custom and English law ». William Smith souligneégalement que, durant la période qui a suivi l’ordonnance de 1764 et avantl’Acte de Québec, la plupart deslois et coutumes françaises continuaient de s’appliquer concurremment avec lesnormes britanniques : William Smith, « The Struggle over the Laws of Canada,1763-1783 » (1920) 1 Canadian HistoricalReview 166 à la p 171.
-
[62]
Hilda Neatby (Revolutionary,supra note 36 aux pp 49, 53)retient que, durant cette période, « officially,all courts might apply English law ». Toutefois, elle précise que« there is indeed every reason to suppose thatCanadian civil laws and customs remained practicallyundisturbed ». Elle mentionne que « thejudges and the governor connived at this, and it became an understood thingthat in the courts of common pleas, which were mainly for the new subjects,French-Canadian laws and customs would be followed » : Neatby,Administration, supra note 23 à la p 4.
-
[63]
Stuart c Bowman (1851), [1852] 2LCR 369 aux pp 405-06 (CS Qc), juge Mondelet [Stuart (CS Qc)].
-
[64]
« The introduction of the Laws of England in Civil cases,into Canada, is a matter of fact that cannot be denied, and it is certainthat the old Law of Canada was only restored and reintroduced by the Statuteof the 14th Geo. III, cap.87 » : Stuart c Bowman,[1853] 3 LRC 309 à la p 387 (BR Qc). Dans cet arrêt en appel, lesjuges Rolland, Panet et Aylwin renversent le jugement antérieur des juges Smith,Vanfelson et Mondelet (Stuart (CS Qc),supra note 63).
-
[65]
Il énonce que ces dernières n’ont été introduites « ni par le changement dedomination, ni par la proclamation de 1763, encore moins par l’ordonnance de1764 » : Wilcox c Wilcox, [1858] 8 LRC34 à la p 52 (BR Qc) [Wilcox]. Surcette affaire, voir aussi les opinions antérieures qui ont servi de fondement àce jugement : Wilcox c Wilcox,(Appendix), [1858] 2 LC Jur i, juge en chef Hey ; l’analyse deScott (supra note 21 aux pp136-45).
-
[66]
Kolish, Nationalismes, supra note 33 à la p 21.
-
[67]
Il constate que « the discussion of the hybridlegal system has often been based more on an examination of the law intheory than in practice and, when the practice has been studied, onexceptional cases and the upper reaches of the legal system » :Fyson, « Judicial Auxiliaries », supranote 33 à la p 384.
-
[68]
Si on connaît bien le discours public et les attitudes de la classepolitique, on sait peu de choses des avocats qui plaident au nom de la loidevant les juges, encore moins de leur travail de médiation à la chambred’audience ou au-dehors
Jean-Philippe Garneau, « Appartenance ethnique, culture juridique etreprésentation devant la justice civile de Québec à la fin du XVIIIesiècle » dans Claire Dolan, dir, Entre justiceet justiciables : Les auxiliaires de la justice du Moyen Âge auXXesiècle, Québec, Presses de l’Université Laval, 2005, 405 à la p410 -
[69]
Les actes de la pratique judiciaire et notariale que les historiensd’autrefois considéraient sans intérêt, sont beaucoup plus riches que lacorrespondance officielle et la législation
John A Dickinson, « L’administration “chaotique” de la justice après laConquête : discours ou réalité ? » dans Giovanni Dotoli, dir, Canada : Le rotte della libertà.Atti del Convegnointernazionale, Monopoli, Fasano, Schena, 2006, 117 à la p127, n 41 -
[70]
Sur la question du droit applicable à une nouvelle colonie, voir JE Côté,« The Reception of English Law » (1977) 15 : 1 Alta L Rev 29. À propos de lasituation québécoise, voir Scott, supranote 21 aux pp 61-71 ; Reginald Coupland, The Quebec Act: A study in Statesmanship,Oxford, Clarendon Press, 1968 aux pp 6-17, 35-40 ; Morin, « Changements »,supra note 3 aux pp 689-700. Cedernier démontre que certaines règles de droit public ne sont pasautomatiquement abolies après la Conquête si elles restent compatibles avec lesnormes établissant la souveraineté du nouveau monarque (ibid aux pages 692, 694).
-
[71]
Dans ce pays, « la forme exacte et de rigueur » y serait ainsi « mieuxsuivie qu’en Canada » : Réponses que fournitpardevant les honorables juges de la Cour des plaidoyers communs, PierreDumesnil à l’écrit d’exceptions et moyens de nullité fourni par le nomméGrand Champ (non daté, vers 1775), Centre d’archives de Québec deBAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, (TL15, pièce 1589). Sur lesfonctions des juges de paix dans la province de Québec, voir L’Heureux,supra note 9 aux pp313-16.
-
[72]
Ibid.
-
[73]
Le défendeur en conclut que « les loix constituées et suivies en Canadaavant sa réddition » n’ayant point été abrogées, il en résulte qu’« ellesdoivent y être en force ». Ces anciennes lois s’appliqueraient particulièrementaux « nouveaux sujets qui n’ont eu aucun moyen, aucune occasion de s’instruiresur toutes autres » : Répliques que fournit pardevant les honorables juges de la Cour des plaidoyers communs du district deQuébec, Charles Liard fils à l’écrit du Sieur Sigismond Debuit(non daté, vers 1771), Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque etArchives nationales du Québec (TL15, 1980-09-008/6, pièce 1149).
-
[74]
Entre Dame Charlote Aubert veuve de MonsieurDalbergaty et Michel Louis Antoine de Salaberry, ecuyer, curateur d’IgnaceAubert ecuyer, demandeurs, et Mr David Allger, défendeur : Réponses desdemandeurs aux exceptions du défendeur, Québec, (5 décembre1781), Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationalesdu Québec (TL15, S2, 1980-09-008/14, pièce 1924).
-
[75]
Sous l’Ancien Régime, l’adjectif « particulier » était souvent utilisé paropposition à « public ». Par exemple, le « service particulier » désignaitl’opposé du « service public ». Jean-Louis Mestre, « La notion de service publicd’après les débats de l’Assemblée constituante » dans Études et documents du Conseil de l’État,no 40, 1989, 187.
-
[76]
Moyens en cassation de vente d’une terre etrestitution des fruits d’icelle que Marie Françoise Gosselin veuve enpremières noces de feu Lambert Cornohou épouse de François Laroche,demanderesse, produit à l’honorable Cour, contre le nommé Louis Laverdierehabitant de la paroisse St Jean en l’isle d’Orléans, province de Québec,acquéreur de la dite terre, et défendeur (non daté, vers 1773),Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales duQuébec (TL15, 1980-09-008/8, pièce 1355).
-
[77]
« For it is an uncontroverted principle in theEnglish Law that in conquered or ceded countries that have already laws oftheir own, the King may indeed alter and change those laws, but till he doesactually change them the antient laws of the country remain, unless such asare against the law of God, as in an infidel country » : Reflexions on thesuit instituted by William Grant against the widow and heirs of StAnge, 19 avril 1773, Centre d’archives de Québec de BAnQ,Bibliothèque et Archives nationales du Québec, (TL15, S1, 1980-088/6, pièce1254) à la p 3 [William Grant]. Déjà,en 1608, l’arrêt Calvin’s Case ((1608),7 Co Rep 1a, 77 ER 377) pose le principe selon lequel le droit d’un pays conquisreste en vigueur tant qu’il n’a pas été abrogé par le nouveau pouvoir.
-
[78]
L’extrait du mémoire de Grant (WilliamGrant, supra note 77)reproduit dans la note précédente provient presque mot pour mot de WilliamBlackstone, Commentaries on the Laws ofEngland, 9e ed, Londres, W Strahan, T Cadelland D Prince, 1783, vol 1 à la p 108.
-
[79]
Pour une comparaison avec une autre colonie, passée de la tutelled’Amsterdam à celle de Londres, voir Simon Middleton, From Privileges to Rights: Work and Politics in ColonialNew York City, Philadelphie, University of Pennsylvania Press,2006 aux pp 53-95.
-
[80]
Ce principe serait particulièrement vrai dans le cas du Canada, quiconstitue « une ancienne et grande colonie depuis longtemps peuplée etcultivée » : Wm De Grey et C Yorke, Rapport duprocureur général et du solliciteur général au sujet du gouvernement civilde Québec, 14 avril 1766, reproduit dans Shortt et Doughty,supra note 1, 222 à la p226.
-
[81]
Francis Masère, Considérations sur lanécessité de faire voter un acte par le Parlement pour régler lesdifficultés survenues dans la province de Québec, 1765, reproduitdans Shortt et Doughty, supra note 1,229 à la p 236.
-
[82]
Rapport Judicature, supra note 17 à la p 66. Il convientd’observer que le juge en chef chargé de la Cour du Banc du Roi, William Hey, etle solliciteur général, Francis Masères, entrés en fonction en 1766, sontbilingues et ont de bonnes connaissances juridiques.
-
[83]
Wedderburn, supra note 48 à la p403.
-
[84]
Thurlow, supra note 51 à la p 425.
-
[85]
Ibid à la p 424.
-
[86]
Ordonnance du 6 novembre, supra note 16 aux pp 199-200
-
[87]
Ibid.
-
[88]
Ibid. C’est égalementl’interprétation qu’en fait, vers 1768, Francis Masères, procureur général de laprovince de Québec, qui considère que toutes les terres dont les propriétairessont morts après cette date se trouvent désormais assujetties à la loianglaise : Masères, Brouillon, supra note 1 à la p 310.
-
[89]
Paemi Irving, Le gouverneur intérimaire Irvingaux Lords du commerce, 20 août 1766, reproduit dans Shortt etDoughty, supra note 1, 242.
-
[90]
Guy Carleton, Carleton à Shelburne,24 décembre 1767, reproduit dans Shortt et Doughty, supra note 1, 262 a la p 265 [Carleton 1767].
-
[91]
Carleton considère toutefois que les Canadiens s’apercevront progressivementde la force de ces changements et finiront par se rendre compte que « lapratique suivie jusqu’aujourd’hui à l’égard des héritages est complètementchangée ». En effet, « la propriété et les intérêts de chaque famille dans laprovince » sont désormais atteints et il ne peut manquer de s’ensuivre une« consternation [qui] deviendra générale ». Ibid à la p 264. C’est la raison pour laquelle lelieutenant-gouverneur préconise, à plusieurs reprises, de « maintenir lesCanadiens dans la possession paisible de leurs propriétés, suivant leurs proprescoutumes », Guy Carleton, Carleton àShelburne, 20 janvier 1768, reproduit dans Shortt etDoughty, supra note 1, 268 à la p269. Voir aussi Guy Carleton, Carleton àShelburne, 12 avril 1768, reproduit dans Shortt et Doughty,supra note 1, 274 à la p 275 ;Québec, Projet d’ordonnance concernant le mode detenure des terres sous le gouvernement français, 1 janvier 1767,reproduit dans Shortt et Doughty, supranote 1, 266.
-
[92]
Whitehall, Hillsborough à Carleton,6 mars 1768, reproduit dans Shortt et Doughty, supra note 1 aux pp 272-73.
-
[93]
Hillsborough et al, Rapport des LordsCommissaires du commerce et des plantations, concernant l’état de laprovince de Québec, 10 juillet 1769, reproduit dans Shortt etDoughty, supra note 1, 357 à la p 362.Une pétition est d’ailleurs rédigée par les nouveaux sujets afin d’être« [r]endus à [leurs] coutumes et a [leurs] usàges » : Québec, Pétition pour obtenir le rétablissement des lois etcoutumes françaises, vers 1770, reproduit dans Shortt et Doughty,supra note 1, 399.
-
[94]
Dès 1764, de nombreux habitants observent que, « par la façon dont lajustice nous a été rendüe jusqu’à présent », l’intention du nouveau gouvernementest de maintenir « les Coutumes de nos Pères ». Ils témoignent ainsi de leurattachement aux règles de droit d’origine française et demandent que celles-cisoient maintenues « autant que cela ne seroit point contraire aux Loixd’Angleterre et au bien général » : PétitionJustice, supra note 13à la p 196.
-
[95]
Londres, Instructions additionnelles àCarleton, 1771, reproduit dans Shortt et Doughty, supra note 1, 401.
-
[96]
Londres, Rapport de l’avocat général JamesMarriott sur un code de lois pour la province de Québec, 1774,reproduit dans Shortt et Doughty, supranote 1, 457 [Marriott].
-
[97]
Joseph Lefebvre dit Beaular, demandeur, cElisabeth Guay veuve de Louis Lefebvre, défenderesse (17 septembre 1767),Greffe de Montréal, Registre des procédures et des jugements,1765-1773, Centre d’archives de Montréal de BAnQ, Bibliothèque etArchives nationales du Québec (TP5, S2). La décision semble conforme auxexigences posées par la coutume de Paris, notamment en ses articles 238, 280 et281. L’article 280 précise en particulier les conditions pour que des conjointspuissent s’accorder une « donation mutuelle » qui bénéficie au « survivantd’iceux conjoints sa vie durant seulement » : TK Ramsay, Notes sur la coutume de Paris, Montréal,Imprimerie de la Minerve, 1863 aux pp 65-66.
-
[98]
Par conséquent, la Cour des plaidoyers communs de Montréal ordonne quel’exécuteur testamentaire rende compte par devant des arbitres des biensrelatifs à la succession. Voir Veuve Grenhiltutrice c Joseph Lafond, Marie-Joseph Chevrefils et Gabriel Chevrefils(7 juillet 1770), Registre desprocès-verbaux d’audience, Matières civiles supérieures,1770-1779, Centre d’archives de Montréal de BAnQ, Bibliothèque etArchives nationales du Québec (TL275, S4).
-
[99]
Ce constat, réalisé à partir du dépouillement des fonds judiciaires, permetde confirmer l’affirmation de Seaman M Scott, selon laquelle le droit françaisaurait été appliqué dans la majorité des causes (Scott, supra note 21 à la p 383). Voir aussiibid aux pp 203-13,382-88.
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[100]
Paul Prevot et Agathe Charlan sa femme, JeanLouppré et Louise Charlan sa femme c J Bte Charlan (24 février1767), Centre d’archives de Montréal de BAnQ, Bibliothèque et Archivesnationales du Québec (TP5, S2) [Charlan]. L’ordonnance sur les donations ne semble pas avoir étéenregistrée par le Conseil supérieur de la Nouvelle-France : France, Ordonnance, février 1731,no 415, reproduit dans Isambert, Decrusy etTaillandier, dir, Recueil général des ancienneslois françaises depuis l’an 420, jusqu’à la Révolution de 1789, t21, Paris, Farnborough (R-U) ; Leprieur, Gregg Press, 1966, à la p 343.
-
[101]
Ramsay, supra note 97 à la p64.
-
[102]
La Cour précise que, sur les biens de la succession de ladite Hardouin,doivent être prélevés non seulement les frais funéraires, mais aussi les soinset les médicaments, sur présentation des factures payées par le défendeur, et lapension alimentaire correspondante au temps durant lequel ladite Hardouin a logéchez son fils : Charlan, supra note 100.
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[103]
Dans cette affaire, maître Panet, pour le défendeur, s’était efforcé deprouver que la clause mentionnée dans la réplique du demandeur était, tout à lafois, « contraire aux loix, à la coutume et aux bonnes moeurs » en raison del’aliénation perpétuelle qu’elle emporte. La Cour des plaidoyers communsreconnaît alors que l’acte en question désigne bien « un constitut dont lanature est d’aliéner le fond à perpétuité ». Par conséquent, elle admet que laclause déroge à la coutume et en conclut au rejet de la demande. Emery Jarry c F Duême (4 juillet 1770),Centre d’archives de Montréal de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales duQuébec (TL275, S4).
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[104]
Wilcox, supra note 65 aux pp 50-51.Le juge mentionne ici les tribunaux de la période s’étendant de 1764 à 1774,sans préciser qu’il s’agit des Cours des Plaidoyers communs. Toutefois, il estévident que l’activité juridictionnelle était dominée par ces dernières dans laprovince.
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[105]
En effet, il est toujours libre « à un testateur sans enfans de nommer pourson héritier universel et général qui bon luy semble » : Réponse de Jean Baptiste Pichon défendeur à l’écrit deréplique de Joseph Guion fils de Claude Guion et consorts demandeurs parrequette d’intervention dans l’action formée par ledit Jean Baptiste Pichoncontre Joseph Decarreau défendeur, Québec, le 10 décembre 1774,Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales duQuébec (TL15, S2, 1980-09-008/10, pièce 1547).
-
[106]
L’avocat en conclut que « [c]’est donc suivant les loix du païs de droitécrit, conformes à celles d’Angleterre pour les testamens, que la cause doitestre jugée » : ibid.
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[107]
Répliques que donne devant les honorablesjuges de la Cour des plaidoyers communs du District de Québec : DameCharlotte Aubert épouse de Monsieur Dalbergaty versa défenderesse, a vusérit de réponses de Monsieur Guillaume Grant écuyer, demandeur,2 juin 1772, Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archivesnationales du Québec (TL5, S1, SS1, 1980-09-008/3, pièce 710) [Aubert].
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[108]
Cette observation a notamment été formulée par Grey et Yorke (supra note 80 à la p 226) : « [à] l’égard detoute action personnelle intentée pour dettes, promesses, contrats etconventions, en matière commerciale ou autre et pour des torts propres à êtrecompensés par des dommages-intérêts ». En effet, dans ces cas, il conviendraitde « ne pas perdre de vue que les principes essentiels de la loi et de lajustice sont partout les mêmes ». Carleton (Carleton1767, supra note 90 à la p 262) soutient également que, si les lois etcoutumes de France et d’Angleterre sont profondément différentes, elles sontcependant, toutes deux, « basées sur le droit naturel et l’équité ».
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[109]
En effet, maître Berthelet Dartigny soutient que l’article 8 du titre 34 del’ordonnance de 1667 (il mentionne par erreur l’année 1664 au lieu de 1667)précise que les femmes ne peuvent être contraintes par corps si elles ne sontmarchandes publiques. Deffenses à la demande deMonsieur Jean Lees écuyer, et réponse à la signification faite par Monsieurle Député Provost Maréchal, que donne devant la Cour des plaidoyers communsde Québec, Dame Charlotte Aubert épouse de Monsieur d’Albergatyabsent, Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque etArchives nationales du Québec (TP5, S1, SS1, 1980-09-008/2, pièce 568) aux pp5-6 [Lees]. Il se rapporte ici à lafameuse Ordonnace civile touchant la réformationde la justice (avril 1667 dans Isambert, Decrusy et Taillandier,supra note 100, t 28,no 503, 105).
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[110]
Claude-Joseph de Ferrière Dictionnaire dedroit et de pratique, contenant l’explication des termes de droit,d’ordonnances, de coutumes et de pratique : avec les jurisdictions deFrance, Clark (NJ), The Law Book Exchange, 2008, t 1 aux pp 213(« Billet à ordre »), 698 (« Femme séparée ») ; t 2 à la p 215 (« Marchands etnégociants »). Lees, supra note 109. L’ouvrage de Ferrière a étépublié pour la première fois en 1740.
-
[111]
Me Guy du Rousseaud de la Combe, Recueil dejurisprudence canonique et bénéficiale, par ordre alphabétique : avec lespragmatiques, concordats, bulles & indults des papes, ordonnances, Edits& Declarations de nos Rois ; Arrêts & Règlements intervenus surcette Matiere dans les differens Tribunaux du Royaume, jusqu’àprésent, Paris, Delalain, 1755, sub verbo « femme séparée ».Lees, supra note 109.
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[112]
Il cite la Génèse, mais aussi des épîtres de Saint Paul aux Éphésiens et auxCorinthiens : Gen 3, 16 (« Il dit à lafemme : J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avecdouleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi ») ;Ephes 5, 23 (« le mari est le chefde la femme, comme Christ est le chef de l’Eglise ») et 1 Cor 11, 3 (« Je veux cependant que voussachiez que Christ est le chef de tout homme, que l’homme est le chef de lafemme, et que Dieu est le chef de Christ »). Lees, supra note109.
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[113]
L’avocat mentionne les articles 223 et 224 de la coutume de Paris. Il auraitégalement pu indiquer l’article 234, qui établit qu’« [u]ne femme mariée ne sepeut obliger sans le consentement de son mari, si elle n’est séparée par effet,ou marchande publique » : Ramsay, supranote 97 à la p 48.
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[114]
Lees, supra note 109 à la p 5.
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[115]
Ibid à la p 5. L’écuyer WilliamGrant, en son nom et en celui de Kenneth McCulloch réclame le paiement d’unbillet daté du 30 octobre 1767 et par lequel la défenderesse s’est engagée àpayer dans les deux mois. Sur cette affaire, voir : Aubert, supra note 107.
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[116]
Au cours de ce procès, le demandeur a invoqué l’application de l’article 105de la coutume de Paris, qui dispose qu’en matière de compensation, celle-ci « alieu d’une dette claire et liquide, à une autre pareillement claire et liquide,et non autrement » : Ramsay, supra note97 à la p 11. Le défendeur réplique, de manière peu convaincante, que « laqualité prise par le demandeur dans le bail » n’étant « ni claire ni liquide »,il n’y a donc pas lieu d’appliquer cet article : Répliques que fait pardevantles honorables juges de la Cour des plaidoyers communs Jacques Perraultdéfendeur aux réponses de M François Joseph Cugnet demandeur (le4 février 1768), Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archivesnationales du Québec (TP5, S1, SS1, 1980-09-008/2, pièce 488).
-
[117]
Les douze jurés appelés à se prononcer sont Jacques Perrault, PierreMarcoux, Liberal Dumas, Pierre Marchand, Pierre Dufault, Jean-Baptiste Dumont,Michel Fortier, Ignace Delpenne, Denis L’Arché, Louis Bornuis, Jacques Geunaultet Charles Revirin. Ils ont déterminé que l’eau de vie resterait pour le comptede Monsieur Le Comte Dupré et exonèrent par conséquent la veuve Dorion,demandeuse, de tout paiement : (28 janvier 1774), Centre d’archives de Québec deBANQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, (TL15, Piece1410).
-
[118]
Humbles représentations que fait à l’honorableCour des Plaidoyers communs du district de Québec, Monsieur Jean Baptiste LeComte Dupré négociant défendeur contre la Dame Veuve Doriondemanderesse (1er février 1774), Centred’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec(TL15, 1980-09-088/8, pièce 1410).
-
[119]
Ibid.
-
[120]
Ibid.
-
[121]
Ibid.
-
[122]
Au surplus, l’avocat précise que cette introduction de lois, laissée à laseule volonté des parties et selon leurs propres intérêts, reviendrait àbouleverser l’ordonnancement juridique traditionnel. Ainsi, accepter cetteparticularité du droit anglais en l’espèce pourrait avoir des conséquencesconsidérables puisque l’avocat rappelle que les enfants, en Angleterre, sontconsidérés autrement qu’au Canada. Par exemple, « la succession de leur pere estautrement partagée que celle d’un canadien ». À cet égard, Panet fait observerque la demanderesse « doit à son fils les droits de son pere ; qu’en 1769 elleacheta de l’eau de vie avec ses enfans ; enfin qu’il peut y avoir des sociétésentr’eux outre celle de la filiation » : ibid.
-
[123]
The plaintiff humbly insists that the law is clearlyascertained and established in this point by the105th article of the Custom of Paris uponcompensation : “Compensation a lieu d’une dette claire etliquide à une autre pareillement claire et liquide, et nonautrement”
Andrew Cameron Pltff, and Berthelot d’Artigny Deff: TheReplication of the Plaintiff, Centre d’archives de Québec deBANQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, (TL15, S2,1980-09-008/14, pièce 1914) -
[124]
Ibid. Il invoque l’autorité deJean-Baptiste Denisart (Collection de décisionsnouvelles et de notions relatives à la jurisprudence actuelle,9e éd, Paris, Veuve Desaint, 1777 à la p 560) : « Lacompensation est une libération ou un acquittement réciproque entre deuxpersonnes qui se trouvent créancières et débitrices l’une de l’autre, laquelletient lieu de deux payemens, et en évite le circuit ».
-
[125]
Collins et Terras v Franks (28 mai1771), Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationalesdu Québec (TL15, 1980-09-008/4, pièce 954). En effet, le document, bien querédigé en français, est signé par « Williamsattorney for the plt ». Il est à présumer qu’outre l’avocat,l’une des deux parties plaignantes est d’origine britannique.
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[126]
Ibid. Dans le même sens, l’avocatPanet soutient que « le Canada a été établi et a suivi les mêmes loix del’ancienne France, notamment par un édit de 1663 enregistré au Conseil duCanada, par lequel édit ce pais a été établi pour suivre les mêmes loix etcoutumes de Paris » : Entre Jean CharlesChevalier, demandeur, et Zacharie Macaulay, défendeur : Répliques auxdéfenses (17 juin 1778), Centre d’archives de Québec de BANQ,Bibliothèque et Archives nationales du Québec,(TL15, S2, 1980-09-008/11, pièce 1740) [Chevalier].
-
[127]
Il cite cet article de la coutume de Paris (en lui donnant par erreur lenuméro 173) comme établissant que « le seigneur censier peut poursuivre lenouvel acquéreur pour exhiber ses titres et payer les ventes, saisines etamendes » : Mémoire précis qu’a l’honneur deprésenter pardevant les honorables juges de la Cour des plaidoyers communsdu district de Québec, Jean Baptiste Desbergeres ecuyer sieur de Rigauville,seigneur de Berthier, au soutien de l’action par lui intentée en demande delots et ventes, contre Messieurs Randle, Meredith, Woder et consorts, pourraison de l’acquisition qu’ils ont faite du sieur Henry Boone, d’une terresituée dans la seigneurie de Berthier, Centre d’archives deQuébec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (TL15, pièce1347).
-
[128]
Jean Baptiste Desbergers de Rigauville esqpltf vs Randle Meredith merchant, defendant, Jugement, 19 octobre1772, Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationalesdu Québec (TL15, 1980-09-008/8, pièce 1347).
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[129]
Il serait également possible, comme le fait l’avocat général James Marriott,de distinguer un droit commun en matière de droit immobilier et un droitpersonnel pour les biens meubles. Ainsi, l’acquisition des terres se réaliseraiten vertu de la loi française progressivement considérée comme « le droitcoutumier anglais et local de la province », quelques soient le statut etl’origine des parties. Toutefois, l’avocat général préconise implicitementl’application de la loi anglaise, pour tous les habitants, en matière de loirelative aux meubles, puisqu’il souhaite que cette dernière soit uniforme afind’éviter la confusion et qu’il rejette l’idée d’appliquer, en l’espèce, la loifrançaise aux colons anglais : Marriott, supra note 96 auxpp 461-63.
-
[130]
Sur ce point, le procureur général et le solliciteur britanniques observentque « [l]es sujets britanniques qui achètent des terres dans cette coloniepeuvent et doivent se conformer aux règles locales suivies à l’égard de lapropriété au Canada » : Grey et Yorke, supra note 80 à la p 227.
-
[131]
Il soutient que « he will be found ultimately not to be responsible for, hebeing only executor to his brother under an English will, and not bound forhis debts beyond the assets in his hands, none of which he nowhas » : Between The Widow and Heirs Perrault plaintiffs and AdamLymburner deft, To the Honourable the Judges of the said Court, The Petitionof the said defendant (15 octobre 1777), Centre d’archives deQuébec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, (TL15, S2,1980-09-008/13, pièce 1865).
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[132]
But as the pretended debt is stated to arise from an occupation underthe authority of the Government of Newfoundland, the rights of the partiesmust be determined by the laws and regulations of that Government
ibid -
[133]
Dame Veuve et héritiers Perrault, demandeurs,contre Adam Lymburner, défendeur, Centre d’archives de Québec deBAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (TL15, S2, 1980-09-008/13,pièce 1865).
-
[134]
Cet article 332 précise que « [l]es héritiers d’un défunt en pareil degré[collatéral], tant en meubles qu’immeubles, sont tenus personnellement de payeret acquitter les dettes de la succession, chacun pour telle part et portionqu’ils sont héritiers d’icelui défunt, quand ils succèdent également » : Ramsay,supra note 97 à la p 88.
-
[135]
Acte de Québec de 1774 (R-U), 14Geo III, c 83, reproduit dans Shortt et Doughty, supra note 1, 552 à la p 555 [Actede Québec].
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[136]
Dans leur rapport, Carleton et Hey soutiennent « qu’il est absolumentnécessaire pour assurer la tranquillité future de la province, d’abrogerentièrement l’ordonnance et de ramener la province dans la situation où elle setrouvait avant l’introduction de la nouvelle législation ». Ainsi, ilspréconisent « [q]ue les anciennes lois – celles qui provenaient de la coutume deParis, ainsi que les édits du roi et les ordonnances du gouverneur et del’intendant (sauf les lois criminelles et celles qui se rapportent au commerce)qui étaient en vigueur le 13 septembre 1759, soient réputées lois de la provinceet maintenues en vigueur dans toute l’étendue de ladite province ». Rapport Judicature, supra note 17 aux pp70-71. Pour sa part, le juge en chef estime que le rétablissement des loisfrançaises devrait être limité aux droits immobilier, successoral etmatrimonial, une opinion à laquelle se rallie le procureur général, FrancisMasères (ibid aux pp 76-86).
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[137]
L’objet principal de ces pétitions consiste à réclamer la conservation deleurs anciennes lois, coutumes et privilèges : Pétition des sujets français, reroduit dans Shortt et Daughty,supra note 1, 490 ; Mémoire des pétitionnaires françaisci-dessus, décembre 1773, reproduit dans Short et Doughty, supra note 1, 493.
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[138]
Dans un mémoire très détaillé, ces derniers soutiennent que les ordonnancesdes 17 septembre et 6 novembre 1764 les ont convaincu que le droit anglais avaitété introduit dans la province et que ce n’est qu’à cette condition qu’ils y ontentrepris leurs activités commerciales : Mémoiredes marchands de Londres engagés dans le commerce avec Québec,reproduit dans Shortt et Doughty, supranote 1, 495 aux pp 495-98. Voir aussi Londres, Pétitions pour obtenir l’abrogation de l’Acte de Québec, 1775,reproduit dans Shortt et Doughty, supranote 1, 571 ; Londres, Pétition desmarchands pour obtenir l’abrogation de l’Acte de Québec, 2 avril1778, reproduit dans Shortt et Doughty, supra note 1, 681 aux pp 681-83.
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[139]
Acte de Québec, supra note 135.Pour une analyse de ce dernier et de son application, voir Memoranda et esquisses de projets de loi concernantl’Acte de Québec, reproduit dans Shortt et Doughty, supra note 1, 518 ; Neatby, Administration, supra note 23 ; Neatby, Revolutionary, supranote 36 aux pp 125-41 ; Neatby, Protest, supra note 58 auxpp 33-67 ; Kolish, Nationalismes,supra note 33 aux pp 45-75 ; DavidMilobar, « Quebec Reform, the British Constitution and the Atlantic Empire:1774-1775 » dans Philip Lawson, dir, Parliamentand the Atlantic Empire, Edinbourg, Edinburgh University Press,1995, 65 ; Murray Greenwood, « Lower Canada (Quebec): Transformation of CivilLaw, from Higher Morality to Autonomous Will, 1774-1866 » dans DeLloyd J Guth etW Wesley Pue, dir, Canada’s LegalInheritances, Winnipeg, Canadian Legal History Project, 2001,132 ; Jean-Pierre Wallot, Claude Bariteau et Brian Young, L’Acte de Québec, coll Cahiers du PÉQ,no 21, Montréal, Programme d’études sur le Québec del’Université McGill, 2001.
-
[140]
L’Acte de Québec (supra note 135 à la p 555) précise que,désormais, « à l’égard de toutes contestation relative à la propriété et auxdroits civils, l’on aura recours aux lois du Canada, comme règle pour décider àleur sujet ».
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[141]
Hilda Neatby (Revolutionary,supra note 36 à la p 135) observeque « as no statement was made about what law hadexisted since 1764, this threatened to confound the confusion alreadyexisting ». Concernant le droit pénal, voir Morel, « Criminel »,supra note 57 ; Neatby, Administration, supra note 23 aux pp 298-319 ; Jean-Marie Fecteau et DouglasHay, « ‘Government by Will and Pleasure Instead ofLaw’: Military Justice and the Legal System in Quebec, 1775-83 »,dans F Murray Greenwood et Barry Wright, dir, Canadian State Trials: Law, Politics, and Security Measures,1608-1837, Toronto, University of Toronto Press, 1996,129.
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[142]
La plupart des auteurs emploient le terme de « réintroduction », mais dansla mesure où ce droit ne semble pas avoir fait l’objet d’une véritableapplication antérieure, il nous apparaît donc plus logique de parler plutôtd’une « introduction nouvelle » de ce droit. La seule réserve à cetteaffirmation réside dans la procédure antérieurement suivie par la Cour du Bancdu Roi, mais en l’absence des archives de cette dernière et de son rôlerestreint par rapport à celui de la Cour des plaidoyers communs, il apparaîtdonc que le droit anglais n’avait eu qu’une place résiduelle dansl’ordonnancement juridique du droit privé.
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[143]
Voir notamment Ordonnance pour réglementer laprocédure dans les cours de judicature civile de la province deQuébec, 25 février 1777, art 7, reproduit dans Shortt et Doughty,supra note 1, 671 à la p 673[Ordonnance Réglementer] : « Pourétablir la preuve des faits, en matière commerciale, l’on aura recours danstoutes les cours de juridiction civile dans la province de Québec, aux règlesrégissant la preuve prescrite par les lois anglaises ». L’article 10 del’Ordonnanceinstituant les procès par jury, 21avril 1785, reproduit dans Shortt et Doughty, supra note 1, 765 à la p 768, précise aussi que, « [d]ans lapreuve de tous faits concernans les afaires de comerce, on aura recours danstoutes les cours de juridiction civile en cette Province, aux formes admises,quant aux témoignages dans les loix anglaises ».
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[144]
Cette affaire a donné lieu à des défenses, en date du 11 mars 1788, à unjugement du 19 mars 1788 et à des observations finales sur les preuves et leslois, signées de l’avocat Panet et datées du 13 juillet 1788. Voir Entre La Dame veuve Bouchaud, commune en biens ettutrice, demanderesse, et Elie Lapparre, maître chirurgien à Québec,défendeur, Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque etArchives nationales du Québec (TL15, S2, 1980-09-008/11, pièce 1739).
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[145]
Ce sont les articles 125, 126 et 127 qui déterminent une prescriptionannuelle, en faveur des médecins, chirurgiens et apothicaires, et uneprescription de six mois ou un an selon les professions commerciales : Ramsay,supra note 97 aux pp20-21.
-
[146]
Le différend porte principalement sur l’application du droit d’aînesse et larépartition consécutive des parts de l’héritage relatif à la seigneurie deChamplain. Cette affaire comporte notamment d’intéressantes défenses et unedemande d’exécution contre les biens du demandeur, rédigées par Panetrespectivement le 22 novembre 1780 et le 23 février 1782. Voir En la Cour des plaidoyers communs entre Jean BaptistePezard Champlain, demandeur, et Marie Joseph Champlain,défenderesse, Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèqueet Archives nationales du Québec (TL15, S2, 1980-09-008/14, pièce1921).
-
[147]
Ibid. La réponse de la partiedéfenderesse a été rédigée par l’avocat Panet.
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[148]
À propos de la remise d’un compte de tutelle, voir Entre le sieur Pierre Perrault émancipé par mariage etDlle Joseph Perras son épouse majeure : ledit sieur Perrault assisté dusieur Charles Voyer son curateur, demandeurs, et le sieur Jacques Perrasnégociant, défendeur, Motion des demandeurs, Québec, 4 octobre1780, Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationalesdu Québec (TL15, S2, 1980-09-008/16, pièce 1999).
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[149]
À propos d’une preuve testimoniale, voir Messieurs Drummond et Jordan, demandeurs, et Monsieur Constant Freeman,défendeur, Québec, 1er août 1781, Centred’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (TL15, S2, 1980-09-008/17, pièce 2089) [Drummond].
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[150]
À propos de l’interrogatoire des parties, voir Monsieur Philippe Badelart, chirurgien au service de Sa Majesté, demandeur,et Dame Charlotte Aubert veuve du Marquis Dalbergaty, défenderesse, Del’interrogatoire sur faits et articles, Québec, 12 janvier 1782,Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales duQuébec (TL15, S2, 1980-09-008/20, pièce 2253).
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[151]
Répliques que fournit pardevant les honorablesjuges de la Cour des plaidoyers communs du district de Québec le sieurPierre Dambourgès negociant demandeur à l’écrit de défenses de la veuveGosselin defenderesse, Québec, 30 avril 1777, Centre d’archivesde Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (TL15, S2,1980-09-008/11, pièce 1693).
-
[152]
Cet article pose le principe selon lequel « [u]ne femme mariée ne se peutobliger sans le consentement de son mari, si elle n’est séparée par effet, oumarchande publique ; auquel cas étant marchande publique, elle s’oblige et sonmari touchant le fait et dépendances de la dite marchandise publique » : Ramsay,supra note 97 à la p 48.
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[153]
L’article 6 du titre premier (Des apprentis,négocians et marchands, tant en gros qu’en détail) de l’Ordonnance du commerce de mars 1673 préciseque « [t]ous négocians et marchands en gros et en détail, comme aussi lesbanquiers, seront réputés majeurs pour le fait de leur commerce et banque, sansqu’ils puissent être restitués sous prétexte de minorité » : Ordonnance du commerce, mars 1673,no 728, reproduit dans Isambert, Decrusy etTaillandier, supra note 100 à la p 94[Ordonnance du Commerce]. Panetavait déjà invoqué, devant la Cour des plaidoyers communs de Québec en 1772,l’application de cet article de l’Ordonnancedu commerce de 1673 dans son mémoirerédigé en faveur de la veuve Saint-Ange à propos d’une cause née avantl’ordonnance du 17 septembre 1764. En effet, l’action de William Grant vise àcontester le prix d’un bien acquis le 16 août 1764 : William Grant, supra note 77.
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[154]
Cet ouvrage de Jacques Savary, publié pour la première fois en 1675, a étéréédité en 1679 et fut traduit en allemand, en hollandais, en anglais et enitalien. Sur cet écrit, voir Henri Hauser, « Le parfait négociant de JacquesSavary » dans Henri Hauser, Les débuts ducapitalisme, Paris, Librairie Félix Alcan, 1931, 266. JacquesSavary a activement participé à la rédaction de l’ordonnance de 1673, qui a mêmeété surnommée Code Savary par Pussort,l’oncle de Colbert.
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[155]
Arrêt du Roi qui déchoit les habitants de lapropriété des Terres qui leur auront été concédées, s’ils ne les mettent envaleur, en y tenant feu et lieu, dans un an et jour de la publication dudit Arrêt, 6 juillet 1711, dans Sir Robert Shore Milnes, dir,Édits, ordonnances royaux, déclarations etarrêts du conseil d’État du Roi, concernant le Canada, v I,Québec, Imprimeur du Roi, 1803, p 323.
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[156]
Il revendique notamment la révocation de trois concessions de terres auprofit de Joseph Baudoin, de Joseph Hallé et des héritiers Daniel : Aux honorables juges de la Cour des plaidoyers communsde Québec, Québec, 23 août 1783, Centre d’archives de Québec deBAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (TP5, S1, SS1,1980-09-008/1, pièce 443).
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[157]
Il cite la Loi Aede et la Loi Emptorem. Cette Loi Aede permet au propriétaire, avantl’expiration du bail conclu avec son locataire, de reprendre possession deslieux loués afin de les occuper lui-même. Elle a été abrogée par l’Acte pour abolir la Loi Aede, SPC 1853, 16Vict, c 104.
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[158]
Il mentionne le recueil de Rousseaud de la Combe, supra note 111.
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[159]
Il cite une sentence rendue par la prévôté de Québec entre François La Juset Jean Durant le 18 mars 1750. Il invoque également une affaire qui a opposé,la semaine précédente, devant la Cour des plaidoyers communs de Québec, lessieurs Bois et McCord. Dans cette cause, le bail avait également été concluavant l’Acte de Québec et maître Panetrelève que la Cour a « équitablement condamné McCord à sortir le quinze de juinen recevant un dédommagement qui n’avoit pas été offert par le congé » :Chevalier, supra note126. L’affaire Mrs King et McCord, demandeurs,contre sieur James Blake, défendeur, avait été portée jusqu’à lacour d’appel. Tandis qu’en première instance, la Cour des plaidoyers communs deMontréal avait fixé le délai du préavis, par lequel le propriétaire annonce aulocataire son intention de pouvoir occuper la maison par lui-même, à trois mois,cette durée a été doublée par la cour d’appel, en un arrêt du 20 septembre1778 : Mrs King et McCord, demandeurs, contresieur James Blake, défendeur, 20 septembre 1778, Centred’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec(TP7, 1980-09-031/1, dossier 4).
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[160]
Chevalier, supra note 126.
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[161]
Ibid.
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[162]
L’avocat précise que ladite maison « menace ruine en son mauvais état »(ibid).
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[163]
De plus, Panet rappelle que le défendeur a préalablement été libred’acquérir tandis qu’un congé lui a été signifié dans les règles. En effet, cecongé, « bon, valable, raisonnable par les délais et les indemnités qu’ilcontient », est tout à fait « autorisé par les loix et la propriété dudemandeur » (ibid).
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[164]
En l’espèce, les deux parties sont anglophones.
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[165]
Il cite les « Loix civiles », selon lesquelles la vente rompt le bail. Ainsile changement de propriétaire d’une maison peut avoir pour conséquence quel’acheteur expulse le preneur, fermier ou locataire. Toutefois, le bailleur peutalors être tenu de lui verser des dommages et intérêts. Alexandre Simpson, demandeur, contre John McAulay,défendeur, Répliques,Québec, 28 avril 1779, Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque etArchives nationales du Québec (TL15, S2, 1980-09-008/13, pièce 1862) (de soncôté, John McAulay est défendu par les avocats Berthelot et Monroe).
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[166]
« There is no law or usage now existing inCanada which can authorize the purchaser of a house to eject a tenant who ispossessed of a written lease until the expiration of this term, unless it isotherwise agreed upon in such lease between the partys » : Alexander Simpsonof the City of Quebec Tavernkeeper,plaintiff, and John McGawley of the same place,physician, defendant, Québec, 27 avril 1779, Centre d’archives deQuébec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (TL15, S2,1980-09-008/13, pièce 1862). Dans le cas où cette règle de droit seraitcependant retenue, Monroe relève alors que le délai devrait être établi à sixmois au lieu de trois.
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[167]
Arrêt de la Cour des plaidoyers communs du 6 mai 1779. Cet arrêt est notifiéà McAulay le 11 mai 1779 par l’huissier Lafrance. Un reçu, du 3 juillet 1779,témoigne qu’à cette date des ouvriers ont nettoyé la maison et la cave. Parailleurs, l’affaire est introduite devant la Cour d’appel le 26 juin 1779.Ibid.
-
[168]
Toutefois, Neatby (Administration,supra note 23 à la p 118) observeque la pratique de la Cour des plaidoyers communs de Québec a été extrêmementvariable quant à la possibilité d’accorder au propriétaire une reprise de sonlogement, entraînant une éventuelle rupture de bail. Il ne serait donc paspossible de généraliser certaines décisions de justice et d’émettre desconclusions prématurées à ce sujet.
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[169]
Sur les différences entre les normes d’origine française et anglaise enmatière de droit civil, voir Scott, supranote 21 aux pp 24-36 ; Neatby, Revolutionary, supranote 36 aux pp 46-50.
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[170]
Richard Dobie c Maurice Blondeau,27 mars 1788, Centre d’archives de Montréal de BAnQ, Bibliothèque et Archivesnationales du Québec (TL16, S4) [Dobie]. La composition mixte du jury (George Haufil, EtienneFournier, Isaac Todd, Jean-Baptiste Ademard, Robert Fruckshauk, NicolasBerthelet, Simon McTavish, Jean-Baptiste Durocher, James Turner l’ainé, LouisLaville, Laurent Ermatinger et Etienne Dumeynier) accrédite l’idée d’une mise enprésence de parties francophone et anglophone.
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[171]
Hugh Ross, Jean Gregory, Paul Godin, Alexandre Henry, Pierre Boutheiller,Jean-Baptiste Durocher et Jean-Baptiste Adhemar, pour le demandeur, et NicolasMarchesaux et Edouard William Gray pour le défendeur. Il est à supposer, ici,que le dénommé Jean-Baptiste est un homonyme de celui appelé comme juré car, àdéfaut, il pourrait difficilement être juge et partie. Voir ibid.
-
[172]
Berthelot Dartigny soutient que le défendeur, dans l’exercice de saprofession de cabaretier, doit être considéré comme un marchand, puisqu’ilrevend la marchandise achetée. À l’appui de son argumentation, l’avocat citel’article « Marchands et négociants » du Dictionnaire de droit et pratique (Ferrière, supra note 110 à la p 215) et relève que lafin de non recevoir dans un délai de six mois ou d’un an, invoquée par ledéfendeur, n’a point lieu de marchand à marchand : Mr Robert Lester procureur de Madame veuve du sieur Pierre Fargues,demandeur, contre le sieur François Anderson, défendeur, Répliques auxdeffenses du 13 juin courrant, Québec, 20 juin 1781, Centred’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec(TL15, S2, 1980-09-008/18, pièce 2135).
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[173]
Berthelot Dartigny demande à la Cour des plaidoyers communs de ne pasaccepter le serment du défendeur à l’appui de ses dires. En effet, un telserment contreviendrait trop fortement au recouvrement des créances desmarchands décédés. L’avocat du demandeur ne remet d’ailleurs pas en causel’éventuelle bonne foi du défendeur, qui peut « croire avoir payé, et ne l’avoirpoint fait », mais souligne les dangers de l’admission d’un tel serment. Eneffet, il serait désormais à craindre que chaque débiteur puisse prétendre« avoir droit de payer par son serment ». Ibid.
-
[174]
Ibid.
-
[175]
En effet, il établit « qu’aucune loi ne statut que les seuls livres de feuMonsieur Fargues sans témoin fassent loi et preuve certaine ; ils ne servent quede faible présomption » : Mr Robert Lesterprocureur de Madame veuve du sieur Pierre Fargues, demandeur, contre lesieur François Anderson, défendeur, Réponses du défendeur aux répliques dudemandeur, Québec, 11 juillet 1781, Centre d’archives de Québecde BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (TL15, S2,1980-09-008/18, pièce 2135) [LesterRéponses].
-
[176]
Ainsi, Panet estime que l’autorité de Ferrière sur cette question(« Marchands et négociants », supranote 110 à la p 215 ; Nouvelle introduction à lapratique, 1745 aux pp 211-12) a été invoquée mal à propos parBerthelot Dartigny. Si dans leurs rapports de marchands à marchands, lesindividus sont obligés de tenir des livres de comptes, il n’en est pas de mêmeen l’espèce. En effet, Panet souligne que « jamais un cabaretier n’a été mis aurang des marchands ». Ainsi, bien loin d’être contraints de tenir des livres,les cabaretiers en sont exemptés. Il leur serait même interdit d’en tenirpuisque l’article 128 de la Coutume de Paris stipule qu’ils « n’ont aucuneaction pour vin et autres choses par eux vendues en détail en leurs maisons »[Lester Réponses, supra note 175]. Toutefois, la jurisprudencedes Cours des plaidoyers communs, notamment de Montréal, n’a pas toujours étéconforme à cette règle. Sur ce point, voir Neatby, Administration, supranote 23 à la p 118.
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[177]
Il conteste la portée de l’arrêt du 12 juillet 1672, cité par le demandeur,et établit qu’en tout état de cause « cet arrêt unique ne pourroit pas détruirela coutume qui est une loi arrêté par les états de la France, qui a établi cettecolonie » : Lester Réponses, supra note 175.
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[178]
Dans cette perspective, celles-ci deviendraient toutefois incertaines si lesdébiteurs étaient autorisés à prétendre, sous serment, les avoir déjà payées. Eneffet, en application de ce principe de droit français, le débiteur poursuiviaprès la prescription du délai doit prêter un serment décisoire visant àconforter l’allégation selon laquelle il a préalablement réglé sa dette. Voiribid.
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[179]
Il serait désormais à redouter que « de simples livres d’un marchand décédémontrant de vieux comptes que ses grandes occupations et sa longue maladie l’ontempêché d’expliquer » soient en mesure d’avoir « la force et l’autorité de fairepayer deux fois toutes les ventes qu’il paroit avoir faites ». Dans cettehypothèse, l’avocat s’exclame alors : « Qu’en ce cas, les veuves des marchandsdeviendroient riches ! et que les particuliers deviendroient pauvres ! Chacunvoudroit être marchand » (ibid).
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[180]
Il observe que le demandeur tente d’expliquer les lois françaises en safaveur tout en les rejetant pour adopter un droit anglais, dont il ne citeaucune disposition. Voir ibid.
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[181]
Panet mentionne l’Acte de Québec(supra note 135) et l’Ordonnance Réglementer (supra note 143 aux pp 671-78, art7).
-
[182]
À l’appui de cette argumentation, il soutient que le serment du défendeur nepeut, en définitive, être admis qu’à la suite de l’examen de ce point de droitrelatif à la prescription. Par conséquent, « le serment décisoire dépend de laloi ». Il s’agit donc d’un « point de loi ou de prescription à décider selon lesloix actuelles, sans égard à ce que la Cour législative jugera à propos destatuer pour l’avenir ». LesterRéponses, supra note175.
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[183]
À l’appui de sa défense, l’avocat rappelle les faits selon lesquels ledéfendeur, avant d’aller en Angleterre, a acheté du rhum auprès de PierreFargues. Le paiement a été réalisé comptant, puis à la demande d’une personnequi voulait savoir s’il était encore en possession de « plusieurs petites piècesd’or », le défendeur a répondu qu’il les avait données à Pierre Fargues pourfinancer son achat. Au moment de son départ, François Anderson a encore préciséà des témoins, en signant sa procuration à son épouse, qu’il quittait Québecsans aucune dette. Enfin, maître Panet soutient que « les livres de feu MrFargues ne sont pas exacts ». En effet, « ils n’étoient intelligibles qu’à lamémoire de Mr Fargues » et il s’avère que « le demandeur ne les entend pas bien,parce que le Journal qui paroit débiter le défendeur et plusieurs autres du mêmejour 4. 8bre. 1779 porte au bas ces mots : Rum acts sales settled to this dayc’est-à-dire les comptes de vente de rum réglés ou fini à ce jour ». Parconséquent, les prétentions du demandeur se fonderaient sur une mauvaiseinterprétation de ces livres de comptes. Ainsi, le défendeur est faussementdébité à la date erronée du 2 octobre 1779, tandis que divers comptes de feuPierre Fargues ont été malencontreusement opposés à la succession Duflos et àl’encontre des sieurs Provots, Beaugi, Tanerede et de plusieurs autres personnesqui ont, depuis ce temps, justifié des quittances de leur paiement effectuéauprès de Pierre Fargues. Ibid.
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[184]
La jurisprudence de la Cour des plaidoyers communs de Québec estparticulièrement fluctuante sur ce point. Hilda Neatby parle même à ce propos dedécisions « versatiles » (Administration, supranote 23 aux pp 117-18).
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[185]
L’historique de cette évolution est rapporté par Michel Morin, « Laperception de l’ancien droit et du nouveau droit français au Bas-Canada,1774-1866 » dans H Patrick Glenn, dir, Droitquébécois et droit français : communauté, autonomie, concordance,Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1993, 1 aux pp 14-15, n 86 [Morin,« Perception »].
-
[186]
La Cour du Banc du Roi, dans cet arrêt du 19 avril 1811, relève que le délaide prescription d’un an constitue une règle de preuve. Or, en matièrecommerciale, comme c’est le cas en l’espèce, l’autorité britannique a introduitle droit anglais dans certaines questions relatives aux modes de preuve. Parconséquent, la Cour allonge le délai de prescription à six ans : Morrogh v Munn (1811), Stu KB, Québec,Neilson & Cowan, 1834 aux pp 44-46. Toutefois, l’affirmation de ce principene signifie pas pour autant que toutes les prescriptions, en matièrecommerciale, soient désormais régies par les règles anglaises de la preuve. Surce point, voir Morin, « Perception », supra note 185 à la p 15.
-
[187]
En 1778, le défendeur a souhaité invoquer devant la Cour des plaidoyerscommuns de Québec l’application de la preuve par témoins afin de faire constaterque les deux parties en présence pouvaient aisément se loger dans la mêmemaison, objet du différend. L’avocat du demandeur rappelle alors que la preuvetestimoniale, en matière civile et de propriété, n’est pas admissible au-delàd’une certaine somme. S’appuyant sur la LoiEmptorem et l’ordonnance du Conseillégislatif de 1777, il souligne alors que la preuve par témoins estessentiellement applicable en matière commerciale. Voir Chevalier, supra note 126.
-
[188]
Maître Panet, pour les défendeurs, expose que le demandeur doitnécessairement prouver l’existence de sa créance par le recours à plusieurstémoins capables. L’avocat opère alors une distinction, en vertu des loisd’Angleterre, entre les procès pertestis devant les juges et ceux qui ont lieu devant un corps dejurés. Dans le premier cas, la preuve des faits doit être rapportée par au moinsdeux témoins tandis que, dans le second, un seul témoin, « s’il est de crédit »,peut être en mesure de rapporter la « preuve d’un simple fait » : Entre Mr William Lindsay de Québec négociant commeprocureur de Mr James Bonbenous négociant de Bristol, demandeur, etMessieurs Daniell et Dalton négociants de Québec, défendeurs, Exceptions auxmoyens de nullité de l’ordre daté du 26 de ce mois août contre le sieurJohne Dormer comme témoin pour apporter les livres de ses constituans etreproches pour les défendeurs contre ce témoin, Québec, 28 août1784, Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationalesdu Québec (TL15, S2, 1980-09-008/30, pièce 2782). Cette position est conformeavec celle défendue par Blackstone (supra note 78 aux pp 370-71), qui soutient qu’un témoignagecrédible constitue une preuve suffisante devant un jury : « One witness (if credible) issufficient evidence to a jury ofany single fact; though undoubtedly the concurrence of two or morecorroborates the proof ». Plusieurs exemples d’applicationpeuvent être trouvés dans les fonds de la Cour des plaidoyers communs. Ainsi, en1770, un seul témoin s’est présenté devant les jurés : « Mr La Croix aprèsserment fait a dit qu’il reconnaissoit le compte produit et que c’était lui-mêmequi avait délivré les articles y contenus ». Voir Jacques Corlier c Thimoley Monbrun, Montréal, 8 mars 1770,Centre d’archives de Montréal de BAnQ, Bibliohèque et Archives nationales duQuébec (TP5, S2). De même, dans une autre affaire, où il s’agissait dedéterminer le degré de recevabilité du témoignage du dénommé John Jones, il estprécisé qu’un seul témoin peut être entendu devant un corps de jurés. Lacrédibilité du témoignage de ce dernier est alors déterminée par le jury réuniet en mesure de décider et d’établir, souverainement, l’ensemble des faits enquestion : Drummond, supranote 149. Un témoin peut également réclamer et obtenir uneindemnisation pour le temps passé à témoigner. Ainsi, Pierre Rolland a réclaméune indemnité « pour le temps que les deffendeurs lui ont fait perdre dans leurprocès ». Il s’agissait d’un procès où Louis Delaunay et sa femme étaientopposés à Françoise Danis, demanderesse, et où Pierre Rolland était intervenu enqualité de témoin. Voir Pierre Rolland c LouisDelaunay et sa femme, Montréal, 30 novembre 1770, Centred’archives de Montréal de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec(TL275, S3).
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[189]
Pour la demanderesse, Berthelot Dartigny expose le contenu du contrat demariage passé le 21 juin 1771 devant maître Panet, notaire de Québec, etsoutient, à plusieurs reprises, que les lois d’Angleterre étaient en vigueurdans cette province depuis 1764. Voir MargueriteSuzanne Roy veuve de Jacques Amelot, demanderesse, contre Michel Lepine ditLalime et Marie Louise Amelot son épouse, défendeurs, Répliques,15 juin 1781, 4 juillet 1781 et 27 novembre 1781, Centre d’archives de Québec deBAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (TL15, S2, 1980-09-008/20,pièce 2246).
-
[190]
Il reconnaît qu’une loi du 25 février 1777 a réintroduit le droit anglais enmatière de preuve. Toutefois, il considère que cette disposition nes’appliquerait qu’aux faits concernant le commerce et non aux modes de preuved’une convention, qui doivent être rapportés dans un acte écrit. Voir Drummond, supra note 149.
-
[191]
Mess Drummond and Jordan of Quebec Merchants,Plffs, vs Constant Freeman of the same place Merchant, defendt,Québec, 3 août 1781, Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque etArchives nationales du Québec (TL15, S2, 1980-09-008/17, pièce 2089).
-
[192]
L’Acte de Québec (supra note 135 à la p 556) précise qu’untestament peut être « fait conformément aux lois du Canada ou conformément auxformes requises par les lois d’Angleterre ». Sur ce point, voir ClaudeChampagne, La pratique testamentaire à Montréal,1777-1825, coll Cahiers de Thémis, no 1, Montréal, RevueJuridique Thémis, 1972 ; André Morel, Les limitesde la liberté testamentaire dans le droit civil de la province deQuébec, Paris, LGDJ, 1960.
-
[193]
John Collins, esquire tutor to ElizabethPaterson, and Agnes Wallace, plaintiffs vs Ralph Gray & Hugh Ritchie,executors of the last will and testament of William Paterson decesed,defendants, Québec, 8 février 1780, Centre d’archives de Québecde BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (TL15, S2,1980-09-008/14, pièce 1922). Quelques années plus tard, dans une affaireopposant des marchands anglais, les demandeurs soutiennent à nouveau qu’aucunedes parties n’est canadienne. Par conséquent, sujets de Sa Majesté, cesmarchands anglais ne devraient pas être soumis à l’Acte de Québec, réservé en définitive aux seuls sujetscanadiens afin de leur conserver leurs usages, lois et coutumes. Voir Drummond, supra note 149.
-
[194]
Art 234 de la Coutume de Paris : Ramsay, supra note 97 à la p 48. L’article 233, également invoqué parles défendeurs, précise que le mari est maître des actions mobiliaires etpossessoires de sa femme. Ainsi, une femme mariée ne peut par exemple ester sansautorisation de justice ou de son mari. Voir EntreMr Louis Bouthiller, demandeur, contre Mr Philippe Louis Badelart et DameCharlotte Guillimin son épouse, défendeurs, Défenses, Québec, 17juin 1786, Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archivesnationales du Québec (TL15, pièce 761).
-
[195]
Entre Mr Bouthiller, demandeur, contre MrPhilippe Louis Badelart et Dame Charlotte Guillimin son épouse, défendeurs,Réplique, Québec, 1er juillet 1786, Centred’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec(TP5, S1, SS1, 1980-09-008/3, pièce 761).
-
[196]
Ibid.
-
[197]
Ibid.
-
[198]
Ibid.
-
[199]
Ironiquement, Berthelot Dartigny relève que « Mr Antill Anglois de nationquoique habile avocat, n’a jamais pu imaginer qu’on voulut le payer [...] avecdeux articles de la coutume de Paris » : ibid.
-
[200]
Ibid.
-
[201]
Berthelot Dartiguy cite improprement l’article 226 de la Coutume de Paris.En réalité, c’est l’article 236 qui établit que « la femme marchande publique sepeut obliger sans son mari, touchant le fait et dépendance de la ditemarchandise » : Ramsay, supra note 97aux pp 48-49.
-
[202]
William Grant est fréquemment désigné par la transcription française de sonprénom. Ainsi, les nombreuses pièces de procédure mentionnent plutôt lepatronyme de Guillaume, exemple parfait de métonomasie.
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[203]
Aubert, supra note 107.
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[204]
Ibid. À l’appui de cette opinion,il souligne l’origine commune de ces législations. En effet, il relève que« toutes les loix et coutumes et notamment celles d’Angleterre et de Francetirent leur origine du droit romain ». Par conséquent, le principe selon lequella femme mariée ne peut s’obliger serait également reconnu par les deux systèmesde normes, fondant ainsi cette prétention tant en droit qu’en équité.
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[205]
C’est également l’observation que fait Francis Masères, procureur général dela province de Québec : Masères, Brouillonsupra note 1 à la p 325. L’avocatgénéral James Marriott établit aussi un constat similaire : Marriott, supranote 96 à la p 458. Guy Carleton et William Hey déplorent égalementque « [d]es gens malhonnêtes » puissent tirer profit de l’incertitude,introduite par l’ordonnance du 17 septembre 1764, afin de suivre « celle deslois qui se prête le mieux, selon ses dispositions, à les favoriser ou àdissimuler leurs fraudes » : RapportJudicature, supra note17 à la p 68. Certains historiens ont repris ces constatations. Ainsi, HildaNeatby relève que « [t]here were cases in the common pleas where Canadianspleaded English law even against French suitors and the English pleadedFrench law, leaving the judges, no doubt, full scope for the practice of“equity” » : Neatby, Revolutionary, supranote 36 à la p 53.
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[206]
Après avoir débuté devant la Cour des plaidoyers communs de Montréal,l’affaire a finalement été renvoyée à celle de Québec au début de l’année 1772.En effet, dès le mardi 5 février 1771, devant la Cour des plaidoyers communs deMontréal, Pierre Panet, pour Charles Le Pailleur, chargé de procuration desdéfendeurs, demande la récusation de John Fraser, un des juges, en raison d’unlien de parenté avec le plaignant. Il réclame que l’affaire soit plaidée àQuébec. Lors de la séance du 11 juin 1771, Mezière, pour l’appelant, consent que« l’action soit plaidée au fond ici ou à Québec ». Enfin, lors de la séance du10 décembre 1771, Panet présente à la Cour un acte de consentement, signé parles parties à Québec le 21 octobre précédent, afin que l’examen de la cause soitrenvoyé dans cette même ville. Par conséquent, la Cour de Montréal ordonne quele greffier transmette toutes les pièces à son confrère de Québec : Mr Wm Grant c Charles Le Pailleur fondé de procurationde la dame Veuve et héritiers St Ange Charly, 5 février 1771, 11juin 1771 et 10 décembre 1771, Centre d’archives de Montréal de BAnQ,Bibliothèque et Archives nationales du Québec (TL275, S4,1994-08-001/20).
-
[207]
L’avocat Hen Kneller établit que « thecontract in question then is purely french, drawn in that language, executedin that form and wholly transacted under that law ». VoirWilliam Grant, supra note 77. Àl’appui de cette affirmation en faveur de l’application du droit français, onpeut trouver un très savant et long mémoire : William Grant ecuyer contre le sieur Le Pailleur au nom et comme fondé deprocuration de la Dame Veuve et héritiers St Ange Charly, Reflexions on thesuit instituted by William Grant against the widow and heirs of St Ange,Mémoire de François Joseph Cugnet seigneur de St Etienne, secrétairefrançais du gouverneur et Conseil de Sa Majesté en cette province et AntoineJean Saillant notaire et avocat, consultés par Monsieur William Grantseigneur de St Roch, Montréal, 4 août 1764, Centre d’archives deQuébec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (TL15, pièce 1254)[Grant v Gray].
-
[208]
À compter du 1er janvier 1765, il est établi quedésormais « toute personne arrivée à l’âge de vingt-et-un ans accomplis » seraconsidérée majeure, « conformément aux lois de la Grande-Bretagne » : dansOrdonnance du 6 novembre, supra note 16 à la p 200. Auparavant, l’âgede majorité était de vingt-cinq ans en Nouvelle-France. Toutefois, William Grantétait âgé de vingt ans au moment des faits.
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[209]
Un mémoire en faveur de la veuve et des héritiers Saint Ange commence parciter le contenu de l’ordonnance sur le commerce de 1673, qui en son article 6du titre Ier précise que « [t]ous negocians et marchands engros ou en détail comme aussi les banquiers seront réputés majeurs par le faitde leur commerce et banque, sans qu’ils puissent être restitués sous prétexte deminorité » : Ordonnance du Commerce,supra note 153 à la p 94. Il citeégalement plusieurs juristes, dont Ferrière, Couchot, Savary et Domat :William Grant, supra note 77 aux pp 18-20.
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[210]
The circumstance of Mr Grant’s being a British subject and Mr St Ange aFrench one does in no degree militate with the nature of the contractitself
ibid à la p 3 -
[211]
Ibid à la p 5. L’avocat généralJames Marriott voit dans ce procès la preuve d’un « mélange bizarre des loisanglaises et des lois françaises dans la province », signe certain de « laconfusion qui résulte de l’incertitude à cet égard » et de la nécessité d’ymettre fin : Marriott, supra note 96 àla p 458.
-
[212]
Plusieurs séances de la Cour des plaidoyers ont été consacrées à cetteaffaire tant à Montréal (5 février, 8 juin et 11 juin 1771) qu’à Québec (27 et28 octobre, 24 novembre et 15 décembre 1772).
-
[213]
Les douze jurés sont Edward Harrison, John McCord, Malcom Fraser, PeterFargues, Simon L’Ecuyer, John Aitkin, Jacques Perrault, Jacques Perras, LouisFremont, Pierre Marchand, Jean-Baptiste Dufour et Ignace Debienne. Les juréssont chargés de constater les points suivants : la valeur des biens vendus àWilliam Grant le 16 août 1764 ; l’âge de ce dernier à cette date ; la conformitéde la condition des biens à ce qui est prévu au contrat (en particulier l’îleaux canards constitue-t-elle bien un fief, comme prévu au contrat, ou une simpleroture ?) et, enfin, l’examen du dol. Ainsi, a-t-il été fait usage ou non, parle propriétaire à l’égard de Grant, « de quelques dols personnels, soit parinductions, circonventions, surprises, acceptions, impositions, tromperies,artifices, faussetés, feintises, precipitations ou misteres dans la vente qu’illui a faite de ses biens » ? En d’autres termes, Grant a-t-il été induit « parmauvaises voyes quelconques qui soient contre la conscience, la bonne foy,contre les bonnes moeurs ou contre l’honneur de parties et qui n’ont defondement que le dol et la surprise » ? Cours des plaidoyers communs, 19 janvier1773, Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationalesdu Québec (TL15, pièce 1254).
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[214]
Les jurés établissent une valeur des biens inférieure à celle prévue aucontrat de vente. Ils reconnaissent que l’île aux canards a été vendue commefief tandis qu’elle n’est qu’en roture et que Grant était âgé de « 20 ans etenviron deux mois » au moment de la vente, « suivant le témoignage du sieur JeanGrant ». Toutefois, les jurés constatent aussi que Grant, qui était alors« connu pour un jeune homme qui ne manquait pas de bon sens, et même qui avaitde l’expérience dans les affaires », devait avoir des raisons d’y consentir. Eneffet, les jurés énoncent que Grant n’aurait vraisemblablement « jamais donné unpareil prix pour les biens de Mr St Ange s’il n’avait pas pensé en retirer desgrands avantages, surtout par l’espérance qu’il paraît que Mr St Ange lui adonné qu’un moulin pouvoit être bâti sur l’isle Bourbon ce qui n’était paspraticable ». Cours des plaidoyers communs, 4 février 1773, Centre d’archives deQuébec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (TL15, pièce1254).
-
[215]
Le prix du bien avait été contractuellement fixé à 100 000 livres tournois,le jury l’a évalué à moins de 50 000 et la Cour le détermine définitivement à 80000 livres tournois, en tenant compte des circonstances énoncées par les jurés.Ibid.
-
[216]
Scott établit que la veuve Saint Ange a saisi la Cour du Banc du Roi.Toutefois, il n’a pas été possible à cet historien de retrouver une trace decette saisine ni de celle d’une procédure auprès du Conseil Privé, bien qu’il ensoupçonne l’existence : dans Scott, supranote 21 aux pp 210-12. Pour notre part, il a été possible dedéterminer qu’un appel au Conseil du gouverneur a bien eu lieu, qui confirme lejugement de première instance : « List of Appeal Causes », supra note 45. Les différentes pièces de cetappel, qui s’est déroulé de 1780 à 1782 et durant lequel la famille Saint-Ange aété représentée par Panet, et Grant par Monk, sont disponibles dans les fonds dela cour d’appel. Voir William Grant ecuyer c lesieur le Pailleur au nom et comme fondé de procuration de la Dame Veuve ethéritiers St Ange Charly, Centre d’archives de Québec de BAnQ,Bibliothèque et Archives nationales du Québec (TP7, 1980-09-031/2, dossier10).
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[217]
Ce jugement du Conseil privé est rapporté par William Smith : The Diary and Selected Papers of Chief Justice WilliamSmith, 1784-1793, Toronto, The Champlain Society, 1965 aux pp98-99 (2 juin 1786). Voir aussi ibid àla p 85 (9 mai 1786). Michel Morin a retracé ce jugement dans les fonds duPublic Record Office. Ainsi, il luia été possible de relever la recommandation faite devant le Conseil privé (lesjugements de la Cour des plaidoyers communs et de la Cour d’appel « should be both reversed », l’action étantalors rejetée (At the Council ChamberWhitehall, 2 juin 1786, dans PublicRecord Office, PC Z/131, 61837, fol 302, 304, 317-18) ainsi quela décision finale (At the Court at StJames’s, 16 juin 1786 dans PublicRecord Office, PC Z/131, 61837, fol 302, 304, 317-18).
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[218]
Supra note 207. Sur ce jugement etses conséquences, voir Neatby, Administration, supranote 23 aux pp 223-31 ; Kolish, Nationalismes, supranote 33 aux pp 68-70.
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[219]
Dans l’affaire Watson c McCarty, laCour des plaidoyers communs de Montréal s’était déjà appuyée explicitement surl’article 179 de la Coutume pour établir qu’il n’existe aucun droit depréférence sur les meubles, en cas de déconfiture, même lorsque les parties sontanglophones : Brook Watson c WilliamMcCarty, 30 janvier 1777, Centre d’archives de Montréal de BAnQ,Bibliothèque et Archives nationales du Québec (TL16 S4, Matières civiles supérieures, Registres desprocès-verbaux d’audiences, 14 janvier 1786 – 20 janvier 1789,fol 158-161).
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[220]
« List of Appeal Causes », supranote 45.
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[221]
Il rejette « l’adoption exclusive » des règles françaises ou anglaises etregarde l’application, par la Cour des plaidoyers communs, du droit français àdes parties anglaises comme « aussi nouvelle que pernicieuse » : Québec,Le juge en chef Smith à Nepean, 2janvier 1787, reproduit dans Shortt et Doughty, supra note 1 aux pp 827-30. Par conséquent, selon William Smith,lorsque toutes les parties sont anglaises, le droit anglais doit naturellementtrouver à s’appliquer Grant vs Gray,supra note 207 aux pages208-11.
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[222]
Après son introduction en 1790, la cause n’a pas été poursuivie, avantd’être abandonnée en novembre 1796 : ibid à la p xxv, n 2.
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[223]
Josephe Decouagne veuve de Simon Evans c lescréanciers de feu son mari, excepté Thomas Dunn écuyer, Réponse aux griefs d’appel, Québec, 2décembre 1780, Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archivesnationales du Québec (TP7, 1980-09-031/1, dossier 1 (1777)). M Thomas Dunnécuyer, membre du Conseil législatif, prend également part à l’action intentée àtitre de créancier, au moyen d’une procédure distincte. Il est alors défendu,lui aussi, par Panet qui affirme que le jugement de séparation « ne peutsubsister ayant été rendu entre mari et femme au préjudice des véritablescréanciers et étant absolument nul » (ibid).
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[224]
Dans sa plaidoirie du 18 décembre 1780, Cugnet soutient alors que « leseffets civils de son mariage ne peuvent dépendre des loix et coutumesfrançaises » : Josephe Decouagne veuve de SimonEvans c les créanciers de feu son mari, excepté Thomas Dunnécuyer,Plaidoirie de Cugnet, Québec, 18décembre 1780, Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archivesnationales du Québec (TP7, 1980-09-031/1, dossier 1 (1777)).
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[225]
Brook Watson et Robert Rashleigh (négociantsde Londres) contre François Cazeau (négociant de Montréal),Centre d’archives de Québec de BAnQ, Bibliothèque et Archives nationales duQuébec (TP7, 1980-09-031/1, dossier 5)
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[226]
Ibid.
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[227]
Ibid.
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[228]
Ibid.
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[229]
Ibid.
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[230]
Ibid. Dans une affaire qui apourtant opposé deux anglophones, l’intimé, défendu par Panet, a encore soutenu,devant la Cour d’appel du Québec, qu’il ne devait payer aucun intérêt àl’appelant. En effet, non seulement « les loix et coutumes de ce pais necomptent aucuns intérêts sur des comptes courans », mais le demandeur nejustifie par ailleurs « d’aucun écrit qui oblige l’intimé de payer desintérêts ». Voir Entre James Blake et ThomasPeters, Réponses aux griefs d’appel, Québec,1er octobre 1779, Centre d’archives de Québec de BAnQ,Bibliothèque et Archives nationales du Québec (TP7, 1980-09-031/1, dossier6).
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[231]
Jean-Philippe Garneau, « “Une masquerade de Jurisprudence Françoise”? Droitcivil et pratique judiciaire dans la province de Québec à la fin duXVIIIe siècle » dans Benoît Garnot, dir, Normes juridiques et pratiques judiciaires du Moyen Âgeà l’époque contemporaine, Dijon, Éditions universitaires deDijon, 2007, 431.
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[232]
Voir Jean-Philippe Garneau, « Une culture de l’amalgame au prétoire : lesavocats de Québec et l’élaboration d’un langage juridique commun au tournant desXVIIIe et XIXe siècles » (2007) 88 : 1 CanadianHistorical Review 113 ; Jean-Philippe Garneau, « Droit,pluralisme culturel et genèse du barreau québécois : analyse prosopographique dedeux générations d’avocats (fin XVIIIe -débutXIXe siècles) » dans Vincent Bernaudeau et al, dir,Les praticiens du droit du Moyen Âge àl’époque contemporaine : Approches prosopographiques, Rennes,Presses universitaires de Rennes, 2008, 209. Sur la « mixité » du système établià l’issue de l’Acte de Québec, voirJean-Maurice Brisson, La formation d’un droitmixte : l’évolution de la procédure civile de 1774 à 1867,Montréal, Thémis, 1986.
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[233]
Dickinson, supra note 69 à la p127.