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Partant du constat que les sciences de gestion et du management n’ont pas assez donné à voir leur apport aux phénomènes de mutation que traversent nos sociétés, l’ouvrage Mutations sociétales et organisations : Des repères théoriques et pratiques pour préparer les organisations au monde qui advient se propose de « donner une vision plus globale, en réunissant des recherches riches et variées, de décrypter le fonctionnement des organisations en mutation, afin de contribuer à la compréhension de ce phénomène » (p. 22). Les mutations sociétales structurelles et conjoncturelles de toutes natures (sociales, technologiques, économiques, environnementales, etc.) sont ainsi interrogées, essentiellement à l’aune des sciences de gestion, dans leur relation avec les organisations. Sont étudiées tant les entreprises privées (multinationales, Petites et Moyennes Entreprises) que publiques (hôpitaux, université, etc.), oeuvrant dans des domaines aussi divers que l’alimentaire, l’art ou le tourisme. Mettant en lumière la multitude de crises (sanitaires avec comme illustration le COVID 19, les évolutions numériques et technologiques, la place croissante des plateformes dans l’économie, les inégalités sociales) que traversent les organisations, les nombreuses contributions du livre, courtes (dix à quinze pages environ) et d’un abord aisé, montrent la manière dont elles réagissent et s’adaptent face à cet environnement mouvant.
Le livre est divisé en quatre parties relativement équilibrées.
La première partie est dédiée aux choix stratégiques pour les organisations confrontées aux crises et mutations sociétales (p. 29-118). Ce sujet est traité sous différentes perspectives complémentaires, d’abord à travers les stratégies mobilisées par les organisations du secteur du tourisme face aux mutations sociétales et aux crises mondiales depuis le début du siècle (Bouchet, Graillot et Lebrun). C’est ensuite le cas des produits « Made in France » (« MIF ») qui est abordé pour illustrer la mutation des attentes des consommateurs vers davantage de responsabilité, mettant en lumière des réponses en termes de RSE, de bénéfices sociaux et environnementaux associés au « MIF » (Gonzalez-Hemon, Notebaert, Bernard et Belvaux). Le COVID 19 est également une crise majeure analysée pour explorer les décalages préjudiciables entre les interventions centrales (au niveau national notamment) et leur application au niveau local destinées à faire face à la pandémie (Bonache et Buttard). Le secteur de la grande distribution (à dominante alimentaire) est interrogé dans son rapport ambivalent au développement durable, oscillant entre opportunisme et réelle mutation, mais qui dispose d’atouts réels mis en lumière ici (Montagnac, Notebaert et Schultz). Le recours à l’innovation stratégique comme outil pour répondre aux crises, notamment sanitaire, est abordé à travers le cas des festivals de musiques actuelles, grâce à une logique d’exploration et de reconfiguration disruptive du business model existant (Lassalle et Pulh). Cette première partie s’achève par une utilisation de la stratégie Bottom of the Pyramid (« BoP ») dans les pays développés, via l’étude du cas de la multinationale Danone en Pologne, qui montre que la « BoP » est nécessaire et à encourager dans cette catégorie de pays trop souvent délaissée (Cheillan et Mercier).
La deuxième partie s’intéresse aux nouveaux modèles d’affaires et financements innovants destinés à s’adapter aux bouleversements (p. 118-188). Elle commence avec une analyse sociologique de la mutation réussie d’une usine aéronautique en usine du futur, pour mieux comprendre les mutations industrielles (Vignal, Galindo et Garbe), avant de s’intéresser à la situation paradoxale des Tiers-Lieux culturels, situés entre une institutionnalisation croissante et des mutations fortes, notamment organisationnelles (Horvath, Bourgeon-Renault, Garcia-Bardidia et Dantan). C’est ensuite l’évolution des modèles théoriques du canal de distribution qui est analysé, en questionnant son passage vers l’approche plateforme et ses répercussions sur les intermédiaires traditionnels (Joyeux et Soki). L’investissement éthique est interrogé sous les angles philosophique, conceptuel et pratique, avec comme illustration notamment l’investissement socialement responsable et de l’investissement Shari’ah compatible (Laaradh, Ghlamallah et Toumi). Cette partie se conclut avec le crowdfunding (ou financement participatif), mis en avant comme solution alternative de financement pour les micro et petites et moyennes entreprises en Afrique (Alidou et Burkhardt-Bourgeois).
Une troisième partie se focalise sur la mutation des fonctions, pratiques et modes de management (p. 189-274). Le métier de contrôleur de gestion, en mutation, est appelé à être repensé à l’aune de la responsabilité sociale et environnementale, via une proposition de typologie de profils de contrôleurs RSE (Renaud et Berland) puis une analyse du rôle émergent et croissant du contrôle de gestion dans le pilotage de la performance extra-financière d’Air France, favorisant notamment un arbitrage des différentes priorités de qualité (Wegmann et Lesobre). Le genre est ensuite abordé dans deux chapitres des mêmes auteures, au prisme des inégalités professionnelles par à une mise en relation entre les stéréotypes de genre et les pratiques de leadership, puis grâce à un état de l’art relatif à son impact au conseil d’administration sur la performance des entreprises cotées (Bertereau, Burkhardt-Bourgeois et Poincelot). La mutation des soins de ville amène à s’interroger sur les pratiques de coordination au service d’une amélioration de leur qualité et efficience, grâce ici au cadre d’analyse de Nizet et Pichault (2012) (Buttard, Lapayre, Peyron et Rymeyko). C’est enfin le management de l’université publique française qui est assimilé au management public collaboratif, un idéal-type alternatif prometteur et potentiel vecteur de transformation (Bollecker et Camous).
Enfin, une quatrième partie explore les nouvelles compétences pour répondre aux défis sociétaux (p. 275-363). La mutation des comportements d’achat peut être encouragée par la représentation sociale chez les consommateurs français des vêtements recyclés, dont les éléments constitutifs sont mis en lumière (Oueslati, Niglis et Bernard). Le thème de la résilience est ensuite abordé dans deux chapitres. D’abord dans le secteur de la santé, avec comme cas d’étude les EHPAD, dont la performance peut être favorisée par la résilience organisationnelle comme nouvelle compétence (Catelin et Roybier). Puis les déterminants de la résilience permettant de mieux faire face aux crises – ici sanitaire – sont analysés : pour les organisations ont été identifiés les capacités internes ainsi que les rapports avec les parties prenantes, et pour les consommateurs, il s’agit d’une augmentation de l’exigence de responsabilité sociétale de la part des entreprises (Ben Slimene, Ferchakhi et Oueslati). Concernant le secteur de la santé, une recherche action dans le service de gériatrie d’un hôpital met en avant les apports de la psychodynamique du travail pour alimenter le débat sur la souffrance au travail (Collard, Hemairia Clerc et Boichot). La mutation du système de formation vers une libéralisation est analysée à l’aune de logiques institutionnelles, qui se fait au détriment de salariés contraints de mobiliser une variété de logiques entre alignement et désalignement (Mainhagu et Durat). Le dernier chapitre se focalise sur les impacts des normes d’accessibilité sur les établissements accueillant du public dans le déroulement d’un projet d’architecture (Ruat et Pigé).
La variété des thèmes étudiés et des perspectives mobilisées pour le faire font de cet ouvrage un outil utile à la compréhension des mutations sociétales prises dans une acception particulièrement large pour les organisations. Mobilisant des théories et des méthodes scientifiques diverses (quantitatives et qualitatives), la pluralité de points de vue permise par un nombre de chapitres important (23, pour 54 chercheurs) et riches peut susciter l’intérêt de lecteurs très divers, scientifiques ou simplement citoyen curieux des évolutions les plus actuelles des organisations. L’enjeu global de l’ouvrage, résumé dès l’introduction, est ainsi d’être : « un plaidoyer aux lecteurs pour une métamorphose des organisations confrontées à la complexité des mutations sociétales » (p. 22). L’ouvrage, dans sa pluralité de contributions, conduit à identifier plusieurs effets de ces mutations sur les organisations, notamment l’idée que « la numérisation rendrait les organisations plus résilientes et plateformeriserait la distribution », et que « la prise de conscience environnementale conduirait contrôleurs et distributeurs à passer respectivement du financier à l’extra-financier et de la parole aux actes » (p. 351). A l’inverse, les organisations joueraient un rôle dans les mutations sociétales, grâce par exemple au management collaboratif qui donne davantage d’importance aux parties prenantes. L’ouvrage ouvre pour finir sur l’idée que les débats soulevés ne sauraient se limiter aux frontières académiques, et que les enjeux des bouleversements sociétaux à l’oeuvre débordent dans le débat public et ont une dimension politique qui ne doit plus être négligée.
Appendices
Note biographique
Hamza Asshidi est maître de conférences en Sciences de gestion à l’UFR Société, Culture et Langues Étrangères (SoCLE) et chercheur au CERAG, Université Grenoble Alpes, en France. Ses recherches portent sur l’éthique et la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), et plus globalement sur le management international, interculturel et stratégique des organisations. Il a contribué à six ouvrages de management international, et participé à plusieurs conférences internationales. Il a publié un article dans Management International/International Management/Gestion International. Il fait partie du projet InterCCom, et contribue à la plateforme de jeux sérieux numériques GENAGAME depuis 2019.
Bibliographie
- Nizet J. & Pichault, F. (2012), La coordination du travail dans les organisations, Dunod, Paris, 2012.
Appendices
Biographical note
Hamza Asshidi is a lecturer in Management at the Faculty of Societies, Cultures and Foreign Languages (SoCLE) and a researcher at the CERAG, at Grenoble Alps University France. His research focuses on ethics and Corporate Social Responsibility (CSR), and more generally on the international, intercultural and strategic management of organisations. He has contributed to six books on international management and taken part in several international conferences. He has published an article in Management International/International Management/Gestion International. He is part of the InterCCom project and has been contributing to the GENAGAME serious digital games platform since 2019.
Appendices
Nota biográfica
Hamza Asshidi es profesor titular en administración de empresas de la facultad de Sociedad, Cultura y Lenguas Extranjeras (SoCLE), e investigador en el CERAG, Universidad de Grenoble Alpes, en Francia. Su investigación se centra en la ética y la responsabilidad social de las empresas (RSE), y más en general en la gestión internacional, intercultural y estratégica de las organizaciones. Ha publicado un artículo en Management International / International Management / Gestión Internacional. Ha colaborado en seis libros sobre gestión internacional y participado en varias conferencias internacionales. Ha formado parte del proyecto InterCCom y contribuye a la plataforma de juegos serios digitales GENAGAME desde 2019.