Abstracts
Résumé
Les étudiants d’aujourd’hui devront, demain, affronter les défis socio-environnementaux de ce début de siècle. Pour les préparer à devenir des acteurs des transitions soutenables, les projets tutorés qui leur sont confiés présentent de nombreux atouts, mais leur intérêt peut être renforcé. Cet article questionne la manière dont la pensée complexe d’Edgar Morin et sa transdisciplinarité intrinsèque peuvent enrichir la pratique des projets tutorés dans l’enseignement supérieur. Quatre projets encadrés ces dernières années sont réexaminés à la lumière de la littérature sur l’éducation à la soutenabilité, l’interdisciplinarité et la pensée complexe. À l’issue de ce travail, nous présentons une proposition théorique et quatre propositions pratiques visant à mieux former les futurs acteurs des transitions soutenables.
Mots-clés :
- Transition soutenable,
- projet tutoré,
- interdisciplinarité,
- pensée complexe,
- pédagogie,
- économie circulaire
Abstract
Tomorrow, today’s students will have to face the socio-environmental challenges of this new century. To prepare them to become actors of sustainability transitions, the graduation projects assigned to them have numerous benefits, but their interest can be further enhanced. This article examines how Edgar Morin’s complex thinking and its intrinsic transdisciplinarity can enrich the practice of graduation projects in higher education. Four graduation projects from recent years are re-examined in light of the literature on education for sustainability, interdisciplinarity and complex thinking. As a result of this work, we present a theoretical proposal and four practical proposals aimed at better training future actors of sustainability transitions.
Keywords:
- Sustainability transition,
- graduation project,
- interdisciplinarity,
- complex thinking,
- pedagogy,
- circular economy
Resumen
Los estudiantes de hoy tendrán que enfrentarse a los retos socioambientales de principios de este siglo. Con el fin de prepararlos para convertirse en actores de transiciones sostenibles, los proyectos tutelados cuentan con muchas bazas, pero su interés puede verse reforzado. Este artículo examina cómo el pensamiento complejo de Edgar Morin y su intrínseca transdisciplinariedad pueden enriquecer la práctica de los proyectos tutelados en la enseñanza superior. Se reexaminan cuatro proyectos en los últimos años a la luz de la bibliografía sobre la educación para la sostenibilidad, la interdisciplinariedad y el pensamiento complejo. Al final de este trabajo, se presenta una propuesta teórica y cuatro propuestas prácticas destinadas a formar mejor a los futuros actores de las transiciones sostenibles.
Palabras clave:
- Transición sostenible,
- proyecto tutelado,
- interdisciplinariedad,
- pensamiento complejo,
- pedagogía,
- economía circular
Article body
Face aux défis du XXIe siècle, l’humanité doit conduire urgemment des transitions radicales qui soient à la fois environnementales, sociales, énergétiques, économiques, démocratiques, culturelles. Pour que ces transitions soient considérées « soutenables » les principaux systèmes sociotechniques (alimentation, énergie, habitat, transport…) doivent muer vers des modes de production et de consommation eux-mêmes soutenables (Markard et al., 2012). Dit autrement, l’impact de l’ensemble des activités humaines doit revenir en deçà des limites planétaires afin de restaurer la viabilité des écosystèmes sur lesquels une partie de l’humanité exerce une pression trop forte. Ce sont principalement les jeunes générations qui seront en charge d’opérer ces profondes transformations et donc, en premier lieu, les étudiants de l’enseignement supérieur qui entreront à brève échéance dans la vie active. L’enjeu est de construire des sociétés qui soient plus justes, plus solidaires et qui aient plus de sens, mais aussi qui soient plus sobres en termes de consommation d’énergie, de biens matériels et de ressources, notamment non renouvelables.
Les établissements d’enseignement supérieur ont un rôle crucial à jouer en concevant de nouvelles visions de la société et en formant les futurs professionnels et écocitoyens responsables (Mokski et al., 2022; Serrano-Bedia & Perez-Perez, 2022). Des questions se posent donc quant aux changements structurels à opérer pour une éducation à la soutenabilité (Kurucz et al., 2013; Zacchia et al., 2022) et aux modalités pédagogiques les plus pertinentes[1] pour permettre à ces étudiants d’appréhender la complexité des défis (Balsiger, 2015; Marouli, 2021) et construire une nouvelle « identité terrienne » (Morin, 2000). Dans le passé, les pédagogues ne sont pas restés passifs. Dès les chocs pétroliers des années 1970, des réponses ont été apportées via des programmes d’éducation à l’environnement ou à la soutenabilité (Carew & Mitchell, 2008; Stubbs & Cocklin, 2008). À la fin des années 1980, l’éducation au développement durable (Cruz et al., 2006; Gatti et al., 2019) a permis une sensibilisation aux générations futures et à l’équilibre entre respect de la nature, justice sociale et viabilité économique (Marouli, 2021; Mokski et al., 2022). Depuis 2015, les publications des Nations Unies orientent fortement les programmes éducatifs avec les 17 objectifs de développement durable de l’Agenda 2030 et les six principes d’éducation au management responsable (PRME) du Global Compact. Plus récemment, l’économie circulaire et ses modèles d’affaires (Kirchherr & Piscicelli, 2019; Mendoza et al., 2019; Serrano-Bedia & Perez-Perez, 2022) ont été mobilisés pour élaborer des démarches pédagogiques et concevoir les outils des transitions soutenables (Bolton & Hannon, 2016; Hernández-Chea et al., 2021). Le développement durable et l’économie circulaire font cependant l’objet de critiques. Du fait de leur anthropocentrisme, de leur caractère peu opérationnel et de leur manque de radicalité face aux défis globaux, ils s’avéreraient incapables d’opérer les profondes transformations nécessaires (Starik & Rands, 1995; Borland et al., 2016; Kirchherr et al., 2017; Korhonen et al., 2018; Wallenhorst & Pierron, 2019).
Jusqu’à présent, il subsiste un décalage entre l’importance de l’éducation à la soutenabilité[2] et la réalité de sa mise en oeuvre dans l’enseignement supérieur. Cette éducation n’apporte encore le plus souvent que des réponses fragmentées et partielles, via des cours électifs ou des conférences thématiques par exemple. Reposant sur trois piliers ou 3P (Planet, People, Profit/Prosperity), deux conceptions de la soutenabilité, faible versus forte, s’opposent. La version faible place les trois dimensions au même plan alors que dans la perspective forte, objet de notre recherche, les trois dimensions sont emboîtées : l’ensemble des activités économiques (Profit/Prosperity) réalisées au service des humains (People) doivent être maintenues en deçà des limites planétaires, c’est-à-dire des capacités de régulation de la biosphère (Planet). De nombreux auteurs plaident pour une approche intégrée, inter/transdisciplinaire[3] et systémique de l’éducation à une soutenabilité forte dans l’enseignement supérieur (de Souza Marins et al., 2019; Figueiró et al., 2022; Mokski et al., 2022; Zacchia et al., 2022). Pour être globale cette éducation doit s’adresser à la fois à la tête, au corps et au coeur (intellectuelle, sensorielle, émotionnelle) (Wallenhorst & Pierron, 2019; Marouli, 2021). Pour ce faire et pour annuler la coupure nature-culture, les dimensions économiques et technologiques, actuellement dominantes, doivent incorporer des connaissances scientifiques relatives à la nature et évoluer vers une vision plus humaine en renforçant la formation philosophique, éthique et critique (Morin, 2000; Wallenhorst & Pierron, 2019).
Notre ambition étant de former de futurs acteurs de transitions soutenables et des citoyens réflexifs, nous avons éprouvé le besoin de confronter nos pratiques passées à la littérature actuelle sur l’éducation à la soutenabilité afin d’enrichir notre pédagogie. Notre expérience d’enseignant-chercheur dans l’encadrement de nombreux projets tutorés[4] nous conduit à penser que cette activité pédagogique, au programme de nombreux masters, présente de réels atouts. Toutefois, face aux exigences d’une éducation à la soutenabilité forte, des progrès restent à accomplir en termes d’interdisciplinarité, d’appréhension de la complexité de ces projets et d’action collective dans ces contextes. À ce titre, les travaux d’Edgar Morin sur la pensée complexe (Morin, 1996) et sur l’éducation du futur (Morin, 1999a, 1999b, 2000, 2014) offrent des perspectives d’enrichissement tout à fait intéressantes dont hélas l’enseignement ne se saisit encore que trop rarement (Bouiss, 2021). La question de recherche qui a guidé notre travail peut donc se formuler ainsi : « De quelle manière la pensée complexe et sa transdisciplinarité intrinsèque peuvent-elles enrichir la pédagogie des projets tutorés, dans l’enseignement supérieur, afin de former les acteurs des transitions soutenables ? »
Pour répondre à cette question, la section qui suit présente la littérature qui nous semble pertinente pour un changement de paradigme pédagogique. Notre méthodologie présente ensuite une sélection de projets tutorés encadrés dans le passé et que nous réexaminons au regard de la littérature. La section résultats compare les pratiques passées avec les ambitions d’une éducation à la soutenabilité forte tandis que la discussion porte sur les voies de progrès identifiées en mobilisant la pensée complexe. Notre contribution théorique montre les apports de la pensée complexe (Morin, 1996) aux projets tutorés (van der Marel, 2022) et les apports de ceux-ci aux savoirs nécessaires à l’éducation du futur (Morin, 2000). Quatre propositions pratiques visent ensuite à enrichir la pédagogie des projets tutorés pour mieux former les acteurs des transitions soutenables.
Changer de paradigme pédagogique
Les problèmes de soutenabilité sont des problèmes complexes car ambigus, difficiles à formuler et aux objectifs antagonistes. Ils sont l’objet d’interprétations contradictoires, ont des solutions multiples, mais incompatibles et leur horizon temporel est incertain (Weber et al., 2021). Pour permettre à des étudiants de comprendre et traiter ces problèmes qui ne peuvent pas être résolus par des modes traditionnels de prise de décision, la littérature s’accorde sur la nécessité de relier soutenabilité et interdisciplinarité ainsi que soutenabilité et éducation (Cruz et al., 2006; Balsiger, 2015; de Souza Marins et al., 2019; Braßler & Sprenger, 2021; Weber et al., 2021; Mokski et al., 2022; Figueiró et al., 2022). Afin d’examiner comment l’enseignement supérieur pourrait mieux répondre aux défis de l’éducation à la soutenabilité, cette section commence par repréciser les principes pédagogiques éprouvés sur lesquels s’appuient les projets tutorés, montre ensuite comment l’interdisciplinarité peut les enrichir et propose enfin la pensée complexe comme paradigme intégrateur.
Des principes pédagogiques éprouvés
Dans la lignée constructiviste initiée par des auteurs comme Piaget, Dewey et Vygotsky, les travaux relatifs à l’éducation à l’environnement et à la soutenabilité s’accordent sur deux principes. Tout d’abord, une pédagogie centrée sur l’apprenant cognitivement actif dans la construction de ses savoirs au sens large (savoir-faire, savoir-être…). Ensuite, des apprentissages basés sur des expériences en interaction avec le milieu social via des démarches de résolution de problème ou de recherche-action (Marouli, 2021; Braßler & Sprenger, 2021). Les expériences de terrain permettent en effet aux étudiants de se confronter aux questions qui émanent de situations concrètes, de contextualiser les savoirs théoriques et de les relier à ceux issus de l’expérience pour les ancrer plus profondément (Leal Filho et al., 2018). Elles stimulent les apprenants intellectuellement, physiquement et émotionnellement, développent leur sens des responsabilités collectives et les sensibilisent aux vertus et difficultés de l’action collective. L’implication des étudiants dans des activités auxquelles ils peuvent donner du sens accroît leur engagement et leur motivation (Stubbs & Cocklin, 2008). Les bénéfices des apprentissages, au cours de ces activités collaboratives, sont non seulement cognitifs, mais également relationnels et affectifs (Gatti et al., 2019). Les apprenants sont ainsi amenés à intégrer une multiplicité de connaissances, de points de vue, d’intérêts et de valeurs, ce qui favorise la prise de distance et le développement de l’esprit critique (Carew & Mitchell, 2008; Kopnina, 2020). Comme la pensée critique stimule la créativité, de nouvelles façons de penser contribuent à former des citoyens actifs et des agents du changement (Figueiró et al., 2022). Face aux craintes, voire à l’écoanxiété, que génèrent les crises actuelles, les activités collaboratives montrent que des réponses sont possibles. Elles sont sources d’espoir pour les étudiants, voire d’enthousiasme pour entreprendre des changements (Marouli, 2021). De manière pratique, ces principes pédagogiques peuvent être mis en oeuvre dans des activités telles que les études de cas, les simulations, les jeux sérieux, les jeux d’entreprise ou les expériences de consultance (Erzurumlu & Rollag, 2013; Gröschl & Gabaldon, 2018; Serrano-Bedia & Perez-Perez, 2022).
L’apprentissage par projet compte aussi parmi les pratiques pédagogiques plébiscitées. Le projet, au coeur des comportements humains, appelle une dimension projective vers un avenir désiré et implique la reconnaissance de l’incertitude et du risque. Dans une perspective anthropologique, le projet permet également de fonder l’action collective (Boutinet & Bréchet, 2018). Dans le contexte d’une éducation à la soutenabilité, les projets à privilégier seront des projets réels et complexes, à forte pertinence sociale et environnementale, réalisés au sein de petits groupes de travail idéalement pluri/interdisciplinaires et en partenariat avec des entreprises, des institutions, des associations ou d’autres parties prenantes (Figueiró & Raufflet, 2015; Leal Filho et al., 2018; Faludi & Gilbert, 2019; Gatti et al., 2019). Les projets tutorés remplissent souvent ces conditions. Au travers du travail d’équipe, les activités de formulation de problème, de collecte et d’analyse de données, de recherche et de mise en oeuvre pratique de théories dans l’action permettent aux étudiants de synthétiser les connaissances acquises antérieurement (van der Marel et al. 2022). En développant des savoir-faire nouveaux, les étudiants prennent conscience qu’ils acquièrent des compétences professionnelles les préparant à un futur emploi en lien avec la soutenabilité. C’est le cas de compétences comme l’anticipation, la réflexion critique, la stratégie, la résolution intégrée des problèmes ou la connaissance de soi qui sont associées aux apprentissages en lien avec les objectifs de développement durable de l’Agenda 2030 (UNESCO, 2017). En complément de ces compétences, le référentiel UNESCO ajoute la pensée systémique et la collaboration transdisciplinaire, plus difficiles à adresser dans nos systèmes éducatifs. Pour élargir la réflexion au sujet des projets tutorés, nous mobilisons la littérature sur l’interdisciplinarité puis la pensée complexe.
L’interdisciplinarité, principe incontournable d’une éducation à la soutenabilité
L’éducation à la soutenabilité préconise une approche inter- ou transdisciplinaire pour aborder les problèmes de soutenabilité du fait de leur complexité (de Souza Marins et al., 2019; Marouli, 2021; Braßler & Sprenger, 2021; Mokski et al., 2022). En effet, face à un problème complexe, seules des disciplines variées, faisant intervenir des niveaux théoriques, conceptuels, méthodologiques ou empiriques différents, permettent de l’examiner sous différentes perspectives, de mettre au jour leurs interactions et de construire des connaissances nouvelles en intégrant les disciplines de manière innovante (Bernstein, 2015; Zacchia et al., 2022). L’inter/transdisciplinarité est ainsi un mode d’investigation qui combine recherche et action pour apporter une compréhension enrichie et des réponses créatives et socialement pertinentes à des problèmes pressants. Ces réponses résultent d’interactions entre acteurs engagés et responsables, mais également variés (chercheurs, praticiens) (Bernstein, 2015). Ceux-ci peuvent construire, via leurs apprentissages mutuels, une vision systémique du problème en interconnectant ses dimensions éthiques, sociales, environnementales, économiques, technologiques, politiques (Zacchia et al., 2022). En favorisant cette vision systémique, l’interdisciplinarité confronte les étudiants à différents cadres de référence et modes de pensée, elle les aide à développer une réflexion critique, une plus grande créativité, une plus grande ouverture d’esprit, une plus grande conscience de soi et elle leur donne confiance dans leur capacité à affronter les défis actuels et à engager les transitions (Gröschl & Gabaldon, 2018; Mokski et al., 2022).
L’interdisciplinarité ne résout cependant pas toutes les tensions entre théories et pratique, logiques individuelles et logique collective ou entre effets attendus et effets non souhaités. On reconnaît, à travers ces tensions, un certain nombre de notions associées à la pensée complexe.
La pensée complexe comme paradigme pédagogique pour penser, connaitre et agir
S’il est un auteur qui, durant des décennies, a réfléchi aux questions de transdisciplinarité et de complexité et à la manière dont l’éducation pourrait s’en emparer pour préparer les êtres humains à relever les défis du futur, c’est Edgar Morin. En puisant dans de nombreuses théories et disciplines (théorie des systèmes, théorie de l’information, cybernétique, biologie, physique, philosophie, épistémologie…) il a forgé les principes de la pensée complexe qu’il a ensuite mobilisés dans sa « quadrilogie pédagogique » (1999a, 1999b, 2000, 2014). Malgré quelques travaux précurseurs (Génelot, 1992; Martinet, 1993; Thiétart, 2000; Bréchet, 2012) et sans oublier les travaux en modélisation systémique de Le Moigne (1990), la littérature en sciences de gestion ne s’empare que rarement de la pensée complexe (Bouiss, 2021).
Pour Morin (1996, p. 10), « est complexe ce qui ne peut se résumer en un maître mot, ce qui ne peut se ramener à une loi, ce qui ne peut se réduire à une idée simple ». Contrairement à la pensée cartésienne, fondée sur le déterminisme, la disjonction et la réduction, la pensée complexe est une pensée qui distingue et qui relie. Son ambition est d’étudier un phénomène dans sa globalité, dans ses parties et dans les interdépendances entre le tout et les parties (Morin, 1996). « La pensée complexe est ainsi animée par une tension permanente entre l’aspiration à un savoir non parcellaire, non cloisonné, non réducteur, et la reconnaissance de l’inachèvement et de l’incomplétude de toute connaissance » (ibid., p. 12). S’il est impossible de parvenir à une connaissance exhaustive, la pensée complexe implique d’accepter l’incertitude, le hasard, le désordre, lesquels se rencontrent toutefois « au sein de systèmes richement organisés[5] » (ibid, p. 49). Comprendre la genèse d’un phénomène dans un contexte donné nécessite de prendre en compte des dimensions simultanément complémentaires et antagonistes. Face à l’ignorance, aux erreurs, illusions et aveuglements qui trop souvent altèrent la connaissance et corrompent l’action, Morin plaide pour des modes d’investigation qui reconnectent connaissance scientifique, réflexion philosophique et éthique (Morin, 1996, 2000).
De manière plus détaillée, sept principes guides, complémentaires et interdépendants, sont avancés pour penser la complexité (Morin, 1999b, p. 106-110). Ils sont à la base de l’élaboration des sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur (Morin, 2000) (Figure 1).
Une présentation synthétique des sept principes guides et des sept savoirs est donnée en annexes respectivement 1 et 2.
Si la pensée complexe fournit des antidotes à une pensée et à une action « simplifiantes », ses principes sont difficiles à transcrire dans un dispositif pédagogique car abstraits. Aussi, le recours au projet et à l’action réels est une réponse intéressante, mais une pédagogie qui ambitionne d’appréhender la complexité du monde peine à surmonter les cloisonnements disciplinaires tout en restant inscrite dans les contraintes institutionnelles (organisation des cursus, maquettes de formation, etc.). La section qui suit présente donc le travail réflexif conduit pour améliorer nos pratiques d’accompagnement des projets tutorés en référence aux principes de l’interdisciplinarité et de la pensée complexe.
Figure 1
Les notions clés de la pensée complexe
Méthodologie
Notre recherche combine une approche théorique et le réexamen de projets menés à l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE) de Nantes (France). L’approche théorique, dans la section précédente, a identifié les principes pédagogiques favorables à une éducation à la soutenabilité et montré la nécessité de l’inter/transdisciplinarité ainsi que l’intérêt de la pensée complexe à cette fin. Le réexamen des projets passés a pour but de les positionner vis-à-vis de cette littérature afin d’identifier des pistes de progrès.
Réexaminer des projets passés pour enrichir les pratiques à venir
Dans une expérimentation qui a concerné, de 2017 à 2021, neuf projets et plus de 450 apprenants (Boldrini & Elie, 2021), nous en avons retenu quatre à titre d’illustration (tableau 1). Ces projets ont été réalisés par des étudiants en M2 « Économie de l’environnement » en lien, entre autres, avec un cours de 30 heures intitulé « Business models in circular economy and product-service systems ». Ces projets répondent en grande partie aux principes pédagogiques exposés précédemment (tableau 2).
Tableau 1
Quatre exemples de projets de transition vers l’économie circulaire
Abréviations :
M1/2 : Master 1/2
EE : Économie de l’Environnement; MDC : Management Double compétence; MI : Management de l’Innovation; EICN : Élèves ingénieurs Centrale Nantes (option ingénierie de la transition écologique)
FA : Formation en alternance; FC : Formation continue; FI : formation initiale
ESUS : Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale; SCOP : Société COopérative et Participative
Tableau 2
Positionnement des projets réexaminés vis-à-vis de la littérature
Par souci d’homogénéité et pour en limiter le nombre, les projets retenus sont tous des projets de transition vers l’économie circulaire, la plupart ayant aussi fait l’objet de travaux dirigés (TD) et d’ateliers collaboratifs avec des professionnels. Les projets tutorés ont été encadrés par le premier auteur et certains TD coanimés avec une ou deux collègues.
L’objectif des projets était d’une part de répondre à la problématique d’un commanditaire en mettant en oeuvre les connaissances et compétences acquises par les étudiants durant leur formation et, d’autre part, de tester un modèle d’affaires circulaire, conçu par des enseignants-chercheurs de l’IAE et intitulé BM3C2 (cf. www.bm3c2.fr) (Boldrini & Elie, 2021). Les projets tutorés et les TD se sont déroulés durant le même quinquennal, c’est-à-dire avec un référentiel de formation, des profils d’étudiants et un enseignant encadrant identiques. Les contenus des cours associés ont toutefois évolué au fil de l’eau, d’une part pour intégrer les avancées de la littérature scientifique et, d’autre part, pour s’adapter aux particularités des projets.
Collecte, traitement et validation des données
Les principes pédagogiques d’une éducation à la soutenabilité ont été dégagés d’une revue de la littérature. L’identification des articles, publiés dans des revues à comité de lecture, s’est opérée via le service de recherche d’articles scientifiques GoogleScholar et le portail Cairn. Différentes chaînes logiques de recherche ont été utilisées, composées d’une part des termes « éducation » et/ou « enseignement » et/ou « formation » et/ou « apprentissage » et/ou « pédagogie » ou leurs équivalents anglais et, d’autre part, des termes « soutenabilité » et/ou « environnement » et/ou « développement durable » et/ou « écologique » et/ou « économie circulaire » et/ou « modèles d’affaires soutenables » et/ou « modèles d’affaires circulaires ». Les mots-clés « inter/transdisciplinarité » et/ou « complexité » et/ou « pensée complexe » et/ou « projet tutoré » ou leurs équivalents anglais ont été également testés. Les articles ne concernant pas l’enseignement supérieur ou ayant une thématique trop étroite ont été exclus. Inversement, des articles intéressants vis-à-vis de nos questionnements et repérés dans les bibliographies des articles sélectionnés ont été pris en compte. Après lecture des titres, résumés et mots-clés de quelques centaines d’articles, cent articles ont été intégralement passés en revue. Un codage ouvert (Strauss & Corbin, 1990) a permis d’établir des catégories (ex : « principes pédagogiques », « apprentissage collaboratif »…) à partir de mots ou d’ensembles de mots extraits des sources. Leurs propriétés et dimensions ont été détaillées (ex : projet « idéal » : « réel », « complexe », « collaboratif »…). Le codage axial a permis de mettre au jour des relations entre catégories (ex : liens entre « éducation », « soutenabilité » et « interdisciplinarité »). Le codage sélectif a fait émerger les thèmes qui structurent la revue de littérature. Le traitement des données a permis de sélectionner les thèmes objets de la discussion.
Les données issues des expérimentations pédagogiques proviennent principalement des livrables élaborés au cours de celles-ci. Pour les projets tutorés, la collecte de données a puisé dans cinq mémoires. Dans ces documents, les étudiants devaient également établir un bilan collectif et individuel du projet tutoré. Pour les TD et les ateliers collaboratifs, 208 fiches d’évaluation exploitables, remplies à leur terme par les étudiants ou des professionnels, ont été analysées ainsi que quinze rapports d’étudiants-consultants. Les avis des commanditaires des projets ont également été recueillis. Nous extrayons principalement quelques verbatim significatifs de tous ces documents. Étudiants et commanditaires ont été informés au début de chaque année que le cas traité constituait simultanément un terrain utilisé pour un projet de recherche et pour un projet pédagogique d’expérimentation et de didactisation d’un modèle d’affaires circulaire. Ils ont été régulièrement informés de la manière dont nous restituions les résultats de la recherche et de l’expérimentation dans des communications, articles ou lors de la mise en ligne du site www.bm3c2.fr. Les étudiants savaient par ailleurs que si certains de leurs travaux faisaient l’objet d’une évaluation normative (mémoires de projets tutorés), ce n’était jamais le cas en ce qui concernait leurs bilans collectifs ou personnels.
La validité de construction et la validité interne (Yin, 2014) de notre recherche sont fondées sur les allers et retours et la cohérence entre la littérature et les expérimentations pédagogiques (projets tutorés, TD, ateliers collaboratifs) réalisées avec plus de 450 étudiants, professionnels ou collègues universitaires.
Le réexamen de projets passés
L’objectif du réexamen de projets passés est double. Tout d’abord, il s’agit de positionner les projets par rapport à la littérature afin d’identifier les caractéristiques favorisant une pédagogie adaptée aux transitions soutenables. Ensuite, il est d’identifier leurs limites actuelles et les progrès possibles à la lumière de l’interdisciplinarité et de la pensée complexe. L’accent portera sur les projets tutorés que nous considérons être une pratique de référence, mais nous traiterons aussi des TD et ateliers collaboratifs qui, rétrospectivement, se sont avérés être des compléments intéressants.
Caractéristiques des projets pour une éducation à la soutenabilité
L’enseignant-tuteur a observé une complexité croissante des projets tutorés encadrés, permise par son gain progressif d’expérience. Cette complexité et les évolutions qu’elle a entraînées étant propices à des missions nouvelles et à des apprentissages encore plus riches, nous avons souhaité repérer les caractéristiques réellement importantes pour la mise en oeuvre des projets tutorés et identifier les liens entre ces caractéristiques et les principes et savoirs de la pensée complexe (tableau 3).
Tableau 3
Les caractéristiques des projets tutorés au prisme de la pensée complexe
Tendre vers des projets interdisciplinaires
L’une des principales difficultés rencontrées a été la mise en oeuvre de l’interdisciplinarité, le profil des étudiants M2 « Économie de l’environnement » de l’IAE étant principalement monodisciplinaire.
Des expériences ont toutefois pu être menées en constituant des groupes bidisciplinaires réunissant les étudiants en économie de l’IAE avec des élèves-ingénieurs en dernière année d’études à Centrale Nantes. Les six mois pendant lesquels ces groupes ont travaillé ensemble ont été une bonne durée pour qu’ils s’imprègnent bien du sujet qui leur avait été soumis, qu’ils confrontent leurs démarches et leurs points de vue, qu’ils explorent des voies inédites en termes de soutenabilité et qu’ils ajustent leurs propositions. La combinaison des savoirs et des raisonnements des sciences de l’ingénieur et des sciences humaines et sociales a permis aux étudiants de mieux appréhender la complexité des projets, d’en avoir une vision plus globale et de percevoir de manière concrète les vertus de l’interdisciplinarité même si elle était, au premier abord, limitée à la bidisciplinarité. Il a été nécessaire, dans ces projets, d’adapter la problématique à traiter sous un angle interdisciplinaire qui soit compatible avec les objectifs d’enseignement et les modalités d’évaluation des formations impliquées. Nous aurions souhaité constituer des équipes-projet réellement multidisciplinaires, avec des étudiants venant de différentes formations. Hélas, il était difficile de rassembler régulièrement ces groupes d’étudiants, des contraintes d’emploi du temps empêchant de trouver suffisamment de créneaux de travail communs, aussi bien pour les étudiants que pour leurs enseignants.
Pour pallier cette limite, une seconde piste vers l’interdisciplinarité a été de compléter les projets tutorés avec des TD impliquant d’autres équipes d’étudiants de l’IAE ayant, de par leur recrutement, un profil intrinsèquement pluridisciplinaire. Les TD ont ainsi été proposés à des étudiants de M1 et M2 « Management de l’innovation » et « Management Double Compétence » en formations initiale, par alternance et continue. Ces TD ont été réalisés principalement dans le cadre de cours de stratégie d’une durée variant de 7 à 27 heures. Les étudiants de M1, quasi vierges de connaissances en stratégie et en économie circulaire au démarrage du TD, étaient, après une courte mise en situation, sensibilisés à leurs notions principales par confrontation directe avec le cas. La mise à disposition de ressources en amont du TD permettait de dédier le temps en classe à la réflexion collective et à la production d’un modèle d’affaires circulaire. En M2, les TD étaient plutôt proposés au terme du cours ce qui permettait de relier et de mettre en pratique, sur un cas concret, l’ensemble des notions de stratégie étudiées précédemment tout en y intégrant des notions nouvelles liées à la soutenabilité. Des ateliers collaboratifs interdisciplinaires ont également été organisés comme, par exemple, celui d’une demi-journée proposé à des doctorants en fin de thèse dans des disciplines variées (psychologie, littérature, biologie, chimie…) dans le cadre d’un dispositif d’ouverture professionnelle.
Des TD ou ateliers d’une durée d’une ou deux demi-journées étant assez faciles à organiser, différents types d’animations pédagogiques ont pu être expérimentés (séances d’idéation, jeux de rôle, équipes d’étudiants-consultants…). Les TD réalisés une année, en complément d’un projet tutoré, pouvaient être réutilisés, l’année suivante, comme support d’étude avec d’autres étudiants. Dans tous les cas les TD étaient conçus de manière telle qu’ils placent les étudiants dans des situations proches de celles des acteurs de la situation réelle (asymétries d’informations, blocages institutionnels, enjeux émotionnels). Les productions d’étudiants, lors des TD couplés aux projets tutorés, ont permis d’enrichir les réflexions et les points de vue des étudiants en charge de ces projets tutorés. La pluridisciplinarité des groupes de TD pouvait apporter des perspectives et des éclairages nouveaux au sujet soumis par les commanditaires des projets. Des membres d’un groupe, par exemple, avaient de bonnes connaissances au sujet d’un port breton en déclin et ont proposé des pistes intéressantes dont le dirigeant de Bathô pouvait s’inspirer pour exposer aux responsables de ce port une configuration de port-village adaptée à sa redynamisation.
Apports des projets tutorés
Que ce soit au cours des projets tutorés mais aussi, dans une moindre mesure, des TD, le travail des étudiants n’a pas consisté à appliquer de manière prescrite des connaissances stabilisées, mais, au contraire, à confronter et à combiner, de manière progressivement autonome, les données lacunaires du terrain aux savoirs théoriques issus de la science qui était elle-même en train de se faire en ce qui concerne l’économie circulaire et le management des transitions soutenables. Les étudiants ont vu leurs représentations initiales bousculées. Ils ont dû reconstruire/traduire leurs connaissances et en générer de nouvelles. Ils ont pris conscience du rôle de coordination d’acteurs hétérogènes pour faciliter la coopération inter-organisationnelle et de création de la confiance en réduisant les distances cognitives et relationnelles. Le travail pour des organisations tierces les a sensibilisés au rôle d’agent de changement et ils s’en sont forgé une première expérience. Les projets tutorés les ont rendus confiants dans le fait qu’ils puissent devenir à brève échéance des intermédiaires de transitions soutenables. Les mémoires de projets tutorés bidisciplinaires ne sont pas la simple juxtaposition de productions disciplinaires distinctes, mais bien une production commune interdisciplinaire. De manière générale, les étudiants montrent, dans le bilan des projets, qu’ils en ont bien perçu l’intérêt et les enjeux comme en témoignent les verbatim suivants :
« Nous apprenons bien mieux en pratiquant qu’en apprenant machinalement des pages et des pages de cours. »
M2 EE, 17/01/21
« Le projet présente bien une situation à laquelle nous pourrions être confrontés dans [le] futur. »
M2 EE, 17/01/21
« Ce travail d’équipe (…) nous a permis de comprendre les différentes notions du cours de stratégie et ses interactions (…) C’est en rédigeant le rapport que tout a pris sens pour chacun d’entre nous. »
M1 DC FC, 05/02/21
« J’ai pu, à la suite de vos cours, développer une activité d’achat/collecte et revalorisation de déchets industriels avec des amis. »
M2 EE, 15/02/21
Les verbatim récoltés au terme des TD (Boldrini & Elie, 2021) donnent des résultats assez similaires.
Les productions des étudiants permettent également aux commanditaires des études de bénéficier de connaissances, méthodes et outils récents. Les idées neuves qu’ils y trouvent sont des sources d’inspiration et de perspectives nouvelles :
« C’est la première fois qu’on m’explique aussi bien ce que j’ai à faire »
dirigeant, 17/02/21, au terme de la soutenance du mémoire de trois étudiants M2 EE
En ce qui concerne les TD, la plupart ont été coanimés par un enseignant-chercheur et une ou deux consultantes partenaires. Cette équipe garantissait une pluralité de regards disciplinaires et une connexion permanente entre mondes universitaire et socio-économique. Elle permettait d’observer plusieurs groupes d’étudiants simultanément mieux que n’aurait pu le faire un enseignant seul et de repérer des difficultés à analyser par la suite. La coanimation était aussi un dispositif d’apprentissage mutuel et de montée en compétences pour chacun des intervenants. En effet, une personne initialement observatrice d’une séquence pédagogique devenait progressivement, après plusieurs TD, coanimatrice puis, en permutant les rôles, animatrice accompagnée par plus expérimenté, puis enseignant ou animateur autonome. La coanimation a toutefois été un luxe possible uniquement le temps d’une expérimentation d’un an financée par un « fonds d’initiatives pédagogiques » de l’université. Un intérêt notable de cette expérimentation, pour l’enseignant-chercheur coordinateur, est d’avoir pu imbriquer intimement, ce qui est rare, ses trois missions principales (enseignement, recherche, diffusion/valorisation de ses résultats).
Former les futurs acteurs des transitions soutenables
Dans leur étude critique, Kurucz et al. (2013) préconisent de réorienter l’éducation à la soutenabilité autour de quatre axes (pédagogique, curriculaire, organisationnel et contextuel) que nous reprendrons pour structurer les réponses apportées à notre question de recherche. Pour la dimension pédagogique, nous examinerons les apports de la pensée complexe à la pédagogie des projets tutorés et les apports de ceux-ci aux sept savoirs. Cela constituera notre contribution théorique. Elle sera suivie de quatre propositions pratiques. Tout d’abord, nous montrons que bien que nous considérions les projets tutorés comme une pratique de référence, elle ne peut être qu’une modalité parmi d’autres dans un continuum éducatif (axe curriculaire). Ensuite, le réexamen des projets passés ayant révélé une interdisciplinarité insuffisante vis-à-vis des préconisations de la littérature, nous aborderons les moyens de la renforcer et les conséquences sur l’encadrement des projets (axe organisationnel). Enfin, nous examinerons comment l’institution peut favoriser ou entraver l’éducation à la soutenabilité notamment en facilitant ou pas l’intégration de ces dimensions (axe contextuel).
Une approche renouvelée des projets tutorés au prisme de la pensée complexe
Nous avons montré que les projets tutorés réexaminés confrontaient bien les étudiants à la complexité des questions de soutenabilité du fait du nombre d’acteurs, de variables, d’incertitudes et de tensions à prendre en compte (Cruz et al., 2006). Face aux tensions et antagonismes (principe dialogique), des caractéristiques du collectif peuvent être inhibées ou émergentes. « Le tout est moins que la somme des parties » (Morin, 1990) si des idées, des points de vue, des compétences, etc. ne peuvent pas s’exprimer ou ne parviennent pas à dépasser les interprétations conventionnelles, au sujet de la création de valeurs soutenables par exemple. Au contraire, « le tout est plus que la somme des parties » (principe systémique, émergences) (Morin, 1990) si l’action collective débouche sur des propositions novatrices. La dimension créative de l’action collective façonne le projet tutoré mais également les étudiants. Le projet tutoré et les étudiants sont ainsi chacun causateur et producteur de ce qui le produit (principe de la boucle récursive) (Morin, 1999a). La finalité, la singularité et le caractère novateur du projet tutoré impliquent que l’étudiant soit sujet dans la reconstruction/traduction de la connaissance qu’il élabore (principe de restauration du sujet connaissant) (Morin, 1999b). Il s’autoproduit et s’autonomise en puisant de l’énergie, de l’information et de l’organisation dans son environnement (principe d’auto-éco-ré-organisation) (Morin, 1999b). C’est par les nombreuses interactions et prescriptions réciproques de ses acteurs que le projet s’élabore et que l’action collective s’organise (principe de la boucle rétroactive) (Morin, 1999b). Chaque étudiant représente une partie du groupe projet, mais les règles, les prescriptions réciproques, les régulations, les apprentissages qui fondent le collectif sont « incorporés » par chacun d’eux car « la partie est dans le tout et le tout est dans la partie » (principe hologrammique) (Morin, 1999a).
En vue d’une éducation à la soutenabilité, les projets tutorés sont donc un terrain de choix pour mettre en pratique la pensée complexe et inversement. Ils transforment les étudiants sur les plans cognitif, affectif et axiologique ainsi que dans leur manière d’appréhender le réel (Figueiró et al., 2022), ces transformations se reflétant ultérieurement dans les organisations et la société (Cruz et al., 2006). Les langages disciplinaires différents pouvant être sources d’incompréhension, les principes de la pensée complexe, du fait de leur construction transdisciplinaire, pourraient constituer un langage commun dans les groupes hétérogènes (Mokski et al., 2022).
Les contributions des projets tutorés aux sept savoirs
Les projets tutorés présentés contribuent, nous semble-t-il, à plusieurs des sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur (Morin, 2000), et davantage pour ceux qui sont interdisciplinaires. Les réflexions stratégiques à leur propos ne peuvent pas faire l’impasse sur un certain nombre de couples antagonistes et complémentaires : actions à court versus long terme, locales versus globales, approche techno-scientifique qui exclut la nature versus écocentrique qui lui donne un statut de partie prenante, conception programmée du nouvel ordre d’une organisation ou de l’état final d’une transition versus acceptation, chemin faisant, des aléas, des tensions, des contradictions qui peuvent être sources d’émergences, de créativité, de progrès du savoir. Les projets réels obligent ainsi les étudiants à « affronter les incertitudes » (Morin, 2000). L’action collective en groupes pluridisciplinaires révèle les différents savoirs en présence, mais également leurs limites. Cela met inévitablement au jour « les cécités de la connaissance » (Morin, 2000) ce qui peut réduire les risques « [d] ’erreur» et « [d] ’illusion » (Morin, 2000). Les nouvelles représentations mentales, que l’on peut penser être plus conformes aux « principes d’une connaissance pertinente » (Morin, 2000), ont ainsi des chances de déboucher sur des actions et des comportements également plus pertinents (Marouli, 2021).
Le dépassement des inévitables tensions implique un processus démocratique dans les prises de décision (Balsiger, 2015). Les savoir-être (capacité d’écoute, tolérance, respect mutuel, critique bienveillante, humilité) sont également déterminants à la réflexivité collective et sont précieux pour « enseigner la compréhension » (Morin, 2000). L’intercompréhension d’étudiants reliés cognitivement, humainement et émotionnellement passe par un processus d’empathie, d’identification et de projection (Marouli, 2021), elle participe ainsi de la « compréhension humaine » (Morin, 2000). L’importance accordée à la cocréation de valeurs soutenables autant que possible aux niveaux micro, meso et macro, avec une approche cycle de vie, implique de porter une attention permanente à une variété assez large de parties prenantes, avec un périmètre géographique et temporel étendu. Ainsi, les projets tutorés contenaient, nous semble-t-il, les germes d’une « éthique du genre humain » (Morin, 2000). En revanche, ils n’avaient pas directement pour ambition d’« enseigner la condition humaine », ni « l’identité terrienne » (Morin, 2000) bien qu’ils puissent aussi interpeller les étudiants sur ces sujets.
En complément de notre contribution théorique, nous formulons quatre propositions pratiques pour une pédagogie des projets tutorés.
Proposition 1. Une éducation à la soutenabilité graduelle, mais universelle
Notre étude a montré l’intérêt remarquable des projets tutorés de six mois pour une éducation à la soutenabilité. Elle a aussi révélé que les TD ou ateliers collaboratifs de courte durée n’en n’étaient pas dénués. Le travail de terrain est propice en soi à l’interdisciplinarité par son ancrage empirique indissociable de la construction d’un point de vue distancié (Vinck, 2000). Il est cependant difficile de réunir régulièrement et pendant plusieurs mois des équipes réellement pluridisciplinaires émanant parfois d’établissements différents. On a vu que des TD pouvaient parfois compléter les projets tutorés et pallier cette difficulté. La durée et le volume horaire à consacrer aux projets tutorés impliquent qu’ils soient intégrés au programme des formations comme c’était le cas pour les étudiants en économie, management ou école d’ingénieurs. Les étudiants acquièrent ainsi des connaissances et compétences pertinentes pour leur vie professionnelle et ils constatent la faisabilité de projets soutenables (Mokski et al., 2022). Mais quid des formations éloignées des sciences sociales ou de l’ingénierie où les étudiants ne reçoivent aucune éducation à la soutenabilité alors qu’elle devrait pourtant les concerner tous ? Un ou quelques TD ou ateliers collaboratifs de vulgarisation, autonomes, à forte interdisciplinarité, combinant contenus théoriques et approche pratique et facilement accessibles à tout étudiant indépendamment de sa discipline sont une réponse possible (Mokski et al., 2022). En effet, ces activités pédagogiques familiarisent les étudiants non-experts de différentes disciplines au travail conjoint sur des systèmes complexes et dans un laps de temps court (Weber et al., 2021). Cela a été le cas avec l’atelier d’ouverture professionnelle destiné à des doctorants en fin de thèses réalisées dans des disciplines variées. Ce type d’événement nécessite toutefois un soutien de l’établissement via la promotion qu’il peut en faire et la facilitation de son organisation. Le soutien de l’éducation à la soutenabilité devient encore plus nécessaire lorsqu’un établissement d’enseignement supérieur a pour ambition, via sa gouvernance, de devenir un campus soutenable en mobilisant tous ses étudiants, personnels et partenaires (Mendoza et al., 2019; Serrano-Bedia & Perez-Perez, 2022).
De multiples formats sont donc possibles pour une éducation interdisciplinaire de tous à la soutenabilité. Ils peuvent être déployés progressivement depuis le simple module autonome jusqu’aux transformations globales de l’établissement (Braßler & Sprenger, 2021; Mokski et al., 2022).
Proposition 2. Du tuteur enseignant à l’équipe pluridisciplinaire qui coencadre
La posture de l’enseignant qui encadre des projets tutorés et des TD tels que ceux que nous avons examinés diffère de celle de ses pratiques d’enseignement habituelles. Son rôle de tuteur consiste moins à transmettre des connaissances formalisées qu’à stimuler les capacités d’auto-apprentissage des étudiants en organisant des espaces où ils cocréent des connaissances, avec lui et les autres parties prenantes (Marouli, 2021). Pour ce faire, il doit créer des environnements stimulants qui incitent à la réflexion, au dialogue et à la participation, fournir du feedback et aider à naviguer entre vision globale du projet et gestion de l’une ou l’autre de ses composantes (van der Marel et al. 2022). Ces rôles risquent toutefois de buter sur les propres limites disciplinaires et cognitives du tuteur. Il serait alors opportun de substituer au couple un enseignant-tuteur / une classe une équipe pluridisciplinaire de tuteurs qui collaborent pour coencadrer un groupe d’étudiants qui est également pluridisciplinaire (Vinck, 2000; Gröschl & Gabaldon, 2018). Un équilibre est toutefois à trouver entre l’autonomie des étudiants dans la construction de leurs savoirs et une certaine directivité pour qu’ils ne se perdent pas dans la masse d’informations ou à cause de leur inexpérience (van der Marel et al. 2022). Pour éviter que les étudiants piétinent ou se dispersent trop, le tuteur peut proposer un cadrage, mais un cadrage qui soit assez souple pour laisser du jeu aux étudiants afin qu’ils puissent faire émerger, sous réserve de pouvoir les justifier, des problématiques ou des points de vue que l’enseignant ou le commanditaire du projet n’avaient pas imaginés (Balsiger, 2015). C’est en créant ces espaces d’apprentissage autour de la problématique soumise, avec une liberté d’action croissante au fil du temps et de leur prise d’autonomie, que les étudiants, mais aussi l’enseignant et les autres acteurs, coproduisent de la connaissance interdisciplinaire (Popa et al., 2015; Marouli, 2021).
Lors des TD, la coanimation a été un dispositif de montée en compétences pour chacun des intervenants (enseignant-chercheur et consultante.s) comme cela a déjà été mentionné. Pour les projets tutorés, cette équipe devrait idéalement réunir le commanditaire et d’autres parties prenantes (Marouli, 2021). En effet, les acteurs de terrain enrichissent également le projet par leurs réflexions et expériences (Polk, 2015; Popa et al., 2015). Réciproquement, les projets tutorés, en affinant la compréhension que les commanditaires ont du sujet confié, sont des vecteurs intéressants, mais sous-estimés de diffusion/valorisation de la recherche (Figueiró et al., 2022). De plus, la présence du commanditaire ou d’acteurs externes, aux revues de projet et aux restitutions publiques en fin de projet, constituent de puissants aiguillons de motivation et de fortes sources de confiance pour les étudiants (Balsiger, 2015).
Proposition 3. Un soutien institutionnel nécessaire pour renforcer l’interdisciplinarité
Nous avons plusieurs fois évoqué la difficulté pour introduire l’interdisciplinarité dans les projets et suggéré un soutien institutionnel pour y remédier. En effet, une interdisciplinarité authentique en cours de formation constitue une base solide pour un futur travail interdisciplinaire dans le champ de la soutenabilité (Braßler & Sprenger, 2021). Comme le processus d’acquisition des compétences n’est pas linéaire, l’élaboration des programmes et l’organisation des projets tutorés devraient pouvoir se réaliser sous des formats diversifiés (Marouli, 2021), tels que des sessions interdisciplinaires réunies dans des lieux et avec des temporalités variables. Ces rencontres créatives et d’éveil à la complexité peuvent être facilitées par l’adaptation, à l’échelle de l’établissement, des espaces et des calendriers (modularité, mutualisation) et le soutien à une ingénierie pédagogique qui invente les pratiques les mieux adaptées à l’acquisition des compétences listées par l’UNESCO (2017). Néanmoins, les établissements qui tentent d’instaurer plus d’interdisciplinarité peuvent rencontrer des obstacles aussi bien du côté des étudiants que des enseignants. Les premiers peuvent être perturbés ou effrayés par des modes d’apprentissage trop différents de ceux auxquels ils sont habitués, les seconds à cause de pratiques, codes de conduite, valeurs, jargon qui nuisent à l’intercompréhension sans compter le temps et les efforts à y consacrer pour surmonter ces obstacles (Braßler & Sprenger, 2021). Toute avancée vers une plus grande interdisciplinarité passera par un changement des structures et des contextes dans lesquels les enseignants travaillent (Gröschl & Gabaldon, 2018). Figueiró et al. (2022) soulignent l’importance des mécanismes d’incitation mis en place par les dirigeants des établissements, comme le soutien à la recherche interdisciplinaire. Cela peut aussi passer par le financement d’expérimentations pédagogiques comme celle objet de cet article. La possibilité de coanimer des TD durant celle-ci a, par exemple, été un moyen d’intéresser des collègues, de leur mettre le pied à l’étrier et d’enrichir les approches pédagogiques de tous les participants (Serrano-Bedia & Perez-Perez, 2022). Les établissements peuvent encore veiller à ce que tous les étudiants, notamment ceux éloignés des questions de soutenabilité, puissent malgré tout acquérir des connaissances sur le sujet (Mokski et al., 2022), par exemple via la mise à disposition de ressources et tutoriels qui cadrent l’apprentissage et le travail d’équipe des étudiants pour qu’ils puissent produire un livrable interdisciplinaire à propos d’un problème de soutenabilité (Braßler & Sprenger, 2021).
Proposition 4. Ancrer les projets de soutenabilité dans l’écosystème de l’établissement
Si l’apprentissage interdisciplinaire et expérientiel implique des changements majeurs dans les structures de l’enseignement supérieur (Mokski et al., 2022), le travail sur des projets réels, avec des organisations et des acteurs locaux, nécessite également que l’établissement tisse des relations de confiance au sein de l’écosystème de son territoire et communique au sujet de ses ambitions pédagogiques et de la place d’acteur du changement qu’il entend prendre dans les transitions à mener. Si des éléments contextuels comme la législation ou la culture régionale sont plus ou moins propices aux projets de soutenabilité (Figueiró et al., 2022), la qualité des terrains d’investigation, pour les étudiants, dépendra surtout des relations partenariales tissées en amont par leurs enseignants, lors de projets de recherche ou collaboratifs, pour mettre en oeuvre des innovations soutenables qui leur auront donné du crédit en tant qu’agents de changement. La transition d’un établissement pour devenir un campus soutenable est en soi un terrain d’expérimentation remarquable et peut devenir un démonstrateur dans son écosystème (Mendoza et al., 2019). En effet, les compétences, méthodes et outils nouveaux développés à cette occasion pourront être enseignés et diffusés et c’est ainsi que les établissements pourront prendre une part active dans les transitions soutenables (Serrano-Bedia & Perez-Perez, 2022).
Conclusion
Cet article a rendu compte de l’analyse rétrospective d’une expérimentation pédagogique, avec des étudiants de niveau master, au sujet de projets de transition vers l’économie circulaire. L’expérimentation a révélé que les projets tutorés de plusieurs mois sur des projets réels proposés par un commanditaire étaient une activité pédagogique de premier choix pour former les étudiants de l’enseignement supérieur à la soutenabilité, au-delà de la seule économie circulaire, et les préparer ainsi à devenir de futurs acteurs des transitions soutenables ainsi que des citoyens réflexifs et écoresponsables. L’étude a aussi montré que l’interdisciplinarité des projets était souvent insuffisante. Notre question de recherche a donc été d’investiguer de quelle manière celle-ci pouvait être renforcée et de quelle manière la pensée complexe (Morin, 1996) pouvait y contribuer. En effet, ces approches, en reconnaissant les incertitudes, les ambiguïtés, les temporalités diverses, sont d’une grande robustesse, comparativement aux théories rationnelles, pour aborder de manière renouvelée, globale et interdisciplinaire les questions de transitions soutenables. C’est en cela qu’elles permettent un changement paradigmatique (Boutinet & Bréchet, 2018; Bouiss, 2021).
Après avoir passé en revue la littérature sur l’éducation à la soutenabilité et réexaminé quatre projets passés, notre contribution théorique est essentiellement pédagogique en montrant les apports de la pensée complexe (Morin, 1996) aux projets tutorés (van der Marel, 2022) ainsi que les apports de ceux-ci aux sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur (Morin, 2000). Nous donnons ainsi une illustration concrète, et rare à notre connaissance, de l’usage qui peut être fait de la pensée complexe dans l’enseignement supérieur (Cruz et al., 2006). Nos contributions pratiques consistent en quatre propositions : 1) curriculaire en prônant une éducation à la soutenabilité graduelle et universelle, 2) organisationnelle en avançant des pistes pour renforcer, grâce à un soutien institutionnel, l’interdisciplinarité, 3) notamment avec une équipe d’enseignants-tuteurs elle-même pluridisciplinaire et 4) contextuelle pour concevoir une éducation à la soutenabilité en lien avec l’écosystème de l’établissement.
Nos travaux présentent toutefois des limites. Nos expérimentations ont été conduites au niveau d’une niche, ce qui en limite l’impact. Du fait de la puissance inhibitrice des régimes établis, le risque est que l’on reste au niveau d’énoncés performatifs au lieu d’une véritable transition soutenable qui nous ramènerait dans les limites planétaires (Maclouf, 2020). Par ailleurs, les projets tutorés ne se prêtaient pas toujours à l’adoption d’une perspective réellement écocentrique, par la prise en compte systématique de la nature comme partie prenante et comme substrat biophysique indispensable à l’existence humaine (Starik & Rands, 1995; Borland et al., 2016). Les projets n’offraient pas non plus d’expérience corporelle ou sensible au sein de la nature. Le profil des collectifs constitués, aussi bien étudiants qu’enseignants, ne permettait pas non plus d’embrasser explicitement les dimensions simultanément physique, biologique, psychique, culturelle, sociale, historique… de l’être humain ce qui restreignait les possibilités d’enseignement de « la condition humaine » ou de « l’identité terrienne » (Morin, 2000).
Des expérimentations restent à accomplir en vue d’une pédagogie qui stimule davantage les apprenants dans leur globalité (intellectuellement, physiquement, émotionnellement) (Marouli, 2021). Ces expérimentations devraient être longitudinales et davantage centrées sur les apprenants afin d’observer progressivement l’évolution de leurs connaissances et l’acquisition des compétences nécessaires au pilotage des transitions soutenables. La coopération interdisciplinaire, a minima à l’échelle d’un établissement, reste également plus que jamais d’actualité. Des travaux futurs pourraient examiner plus finement le rôle que pourrait jouer à cette fin la pensée complexe en tant qu’objet frontière transdisciplinaire.
Appendices
Annexes
Annexe 1. Les sept principes guides pour penser la complexité
Annexe 2. Les sept savoirs fondamentaux à l’éducation du futur
Remerciements
Les auteurs remercient très sincèrement les évaluateurs anonymes pour leurs précieux conseils qui ont permis de mieux circonscrire le périmètre de la recherche et de clarifier les contributions.
Notes biographiques
Jean-Claude Boldrini a été professeur de génie mécanique en lycées puis maître de conférences en sciences de gestion à Nantes Université (France). Ses enseignements à l’université ont porté sur le management stratégique, l’économie circulaire et ses modèles d’affaires, le management de l’innovation et les méthodologies de conception de produits nouveaux. Ses recherches étaient axées sur le management des phases amont des projets d’innovation interorganisationnels réunissant des acteurs hétérogènes. Récemment, ses travaux se sont concentrés sur les projets collaboratifs dédiés à la transition vers l’économie circulaire. Il est à l’origine de la conception d’un modèle d’affaires multi-acteur, multi-niveau, circulaire et collaboratif intitulé BM3C2.
Donatienne Delorme est professeure associée à Excelia Business School et directrice du Pôle Stratégie. Elle a obtenu son doctorat à l’Université de Nantes, et est membre associée du LEMNA (Laboratoire économie et management Nantes Atlantique). Donatienne enseigne la stratégie et les modèles d’affaires, le management de l’innovation et l’entrepreneuriat. Ses recherches portent principalement sur les écosystèmes et les business models, au travers des dynamiques collaboratives. L’innovation pédagogique et la soutenabilité s’inscrivent de manière transversale dans ses travaux de recherche et enseignements. Donatienne a auparavant occupé divers postes dans des entreprises internationales et est membre de plusieurs réseaux académiques.
Notes
-
[1]
Comme le propose Boutinet (2012, p. 208-210), nous distinguons l’éducation, qui constitue pour une société déterminée une préoccupation aux frontières mal définies, entre volonté d’intégration et développement de l’autonomie de sa jeunesse, de la pédagogie, qui se construit en un espace bien délimité, institutionnel, notamment celui des écoles et universités.
-
[2]
Nous adopterons, dans la suite de cet article, l’expression « éducation à la soutenabilité » car c’est une expression générique désormais largement adoptée notamment dans la littérature anglo-saxonne (education for sustainability ou sustainability education) (Leal Filho et al., 2018 ; Weber et al., 2021 ; Marouli, 2021; Figueiró et al., 2022).
-
[3]
Sans trop détailler les nuances entre les termes, précisons simplement : multi/pluridisciplinaire : des disciplines distinctes sont juxtaposées, mais conservent leur hétérogénéité et leur clôture respective (D1 + D2), interdisciplinaire : les disciplines interagissent et s’interpénètrent (D1 D2), transdisciplinaire : les disciplines convergent (D1 U D2) (Vinck, 2000; INSIS, 2018).
-
[4]
Un projet tutoré (graduation project) correspond à un travail, en petits groupes, de réflexion, de problématisation, puis de préconisation en réponse aux enjeux réels auxquels est confronté un commanditaire (cf. méthodologie).
-
[5]
Italiques placées par E. Morin.
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Appendices
Biographical notes
Jean-Claude Boldrini was a mechanical engineering teacher in high schools and then assistant professor in management sciences at Nantes Université (France). His main teachings at the university dealt with strategic management, circular economy and its business models, innovation management, and new product design methodologies. His research focuses on the management of upstream phases of inter-organizational innovation projects involving heterogeneous actors. Recently, his work has focused on collaborative projects dedicated to the transition to the circular economy. He is at the origin of the design of a multi-actor, multi-level, circular and collaborative business model, BM3C2.
Donatienne Delorme is an associate professor at Excelia Business School and Head of the Strategy Department. She holds a PhD from the University of Nantes and is an associate member of the LEMNA research laboratory (Laboratoire économie et management Nantes Atlantique). Donatienne teaches strategy and business models, innovation management and entrepreneurship. Her research focuses on ecosystems and business models, through collaborative dynamics. Pedagogical innovation and sustainability are transversal to her research and teaching. Donatienne has previously held various positions in international companies and consulting and is a member of several academic networks.
Appendices
Notas biograficas
Jean-Claude Boldrini fue profesor de ingeniería mecánica en institutos y, posteriormente, profesor adjunto de ciencias de la gestión en Nantes Université (Francia). Sus enseñanzas en la universidad versaron sobre gestión estratégica, economía circular y sus modelos de negocio, gestión de la innovación, y metodologías de diseño de nuevos productos. Su investigación se centra en la gestión de las fases previas de los proyectos de innovación interorganizativos en los que participan agentes heterogéneos. Su trabajo se ha centrado en proyectos colaborativos dedicados a la transición a la economía circular. Está en el origen del diseño del modelo de negocio circular, BM3C2.
Donatienne Delorme es profesora asociada en Excelia Business School y Directora del Departamento de Estrategia. Se doctoró en la Universidad de Nantes y es miembro asociado del laboratorio de investigación LEMNA (Laboratoire économie et management Nantes Atlantique). Donatienne imparte clases de estrategia y modelos de negocio, gestión de la innovación e iniciativa empresarial. Sus investigaciones se centran en los ecosistemas y los modelos de negocio, a través de las dinámicas de colaboración. La innovación pedagógica y la sostenibilidad son transversales a su investigación y docencia. Donatienne ha ocupado anteriormente diversos cargos en empresas internacionales y es miembro de varias redes académicas.
List of figures
Figure 1
Les notions clés de la pensée complexe
List of tables
Tableau 1
Quatre exemples de projets de transition vers l’économie circulaire
Abréviations :
M1/2 : Master 1/2
EE : Économie de l’Environnement; MDC : Management Double compétence; MI : Management de l’Innovation; EICN : Élèves ingénieurs Centrale Nantes (option ingénierie de la transition écologique)
FA : Formation en alternance; FC : Formation continue; FI : formation initiale
ESUS : Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale; SCOP : Société COopérative et Participative
Tableau 2
Positionnement des projets réexaminés vis-à-vis de la littérature
Tableau 3
Les caractéristiques des projets tutorés au prisme de la pensée complexe