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Les réseaux interorganisationnels jouent un rôle important dans l’internationalisation des petites et moyennes entreprises (PME; Cheriet & Maurel, 2020). Les réseaux interorganisationnels (que nous nommerons simplement « réseaux » dans la suite du document pour plus de fluidité) sont « des groupes d’organisations juridiquement distinctes reliées entre elles par des relations d’échange, des objectifs communs ou complémentaires, et/ou des liens communs ou des relations sociales qui se maintiennent dans le temps » (Williams, 2005, p.223), et ont de nombreux effets positifs sur l’internationalisation des PME. Ils améliorent la connaissance des marchés internationaux (Haahti et al., 2005), ont une influence positive sur la vitesse d’entrée sur les marchés internationaux (Andersson et al., 2013), la diversité internationale (Felzensztein et al., 2015), et le succès à l’international (Karami & Tang, 2019).

Il est donc crucial pour les PME souhaitant s’internationaliser de développer leur réseau pour l’internationalisation, mais cela présente plusieurs difficultés. Les PME étant caractérisées par un manque de ressources ainsi qu’un manque d’expérience à l’international et de connaissance des marchés étrangers (Cheriet & Maurel, 2020) vont possiblement peiner à développer leur réseau pour l’internationalisation.

Aider les PME à développer et maintenir leur réseau pour l’internationalisation est donc un enjeu majeur. La littérature en accompagnement à l’international présente les acteurs de l’accompagnement comme des acteurs qui connectent les PME (Catanzaro et al., 2013), et agissent sur leur capital relationnel (Catanzaro et al., 2019) et sur la qualité de leurs relations avec le réseau développé pour l’internationalisation (Haddoud et al., 2017). Ces acteurs sont regroupés au sein de l’écosystème d’accompagnement à l’internationalisation (EAI) défini par Theodoraki & Catanzaro (2022, p.3) comme « un sous-écosystème complexe intégré à l’écosystème d’accompagnement à l’entrepreneuriat qui englobe les relations complexes entre les acteurs, facteurs et processus spécifiques impliqués dans d’accompagnement à l’internationalisation des entrepreneurs ». L’EAI a pour objectif d’aider les entreprises françaises à s’internationaliser (Theodoraki & Catanzaro, 2022), et diffère donc de l’écosystème d’innovations qui a pour objectif la co-création d’innovations (De Benedittis et al., 2018). De même, l’EAI est composé de nombreux acteurs sans que l’un d’entre eux soit central (Theodoraki & Catanzaro, 2022) et diffère donc de l’écosystème d’affaires qui est centré autour d’un acteur principal (De Benedittis et al., 2018, p.143). Cependant les acteurs de l’EAI peuvent également appartenir à des écosystèmes d’affaires et à des écosystèmes d’innovations, c’est le cas notamment pour les pôles de compétitivité (De Benedittis et al., 2018).

Les travaux quantitatifs de Catanzaro et al. (2019) et de Haddoud et al. (2017) permettent de voir dans quelle mesure l’accompagnement à l’international a un effet sur le réseau. Leurs résultats sont variables et appellent à une recherche plus approfondie, afin d’expliciter les processus qui mènent à ces résultats mitigés. De plus, la littérature sur l’accompagnement à l’international montre que la performance de l’EAI, c’est-à-dire sa capacité à augmenter la performance à l’international des entreprises accompagnées, n’est pas toujours significative (Freixanet, 2012). Pour expliquer pourquoi cet accompagnement n’a pas toujours les résultats attendus, il est important de comprendre comment les acteurs de l’EAI interviennent et quels sont les leviers d’amélioration de cette intermédiation.

En réponse à ce gap, cette étude s’attache à répondre à la question suivante : Comment les acteurs de l’EAI interviennent-ils sur le réseau interorganisationnel des PME pour l’internationalisation ?

Afin de répondre à cette question, cet article commence par détailler les types d’intermédiation, les instruments utilisés et la temporalité de l’intermédiation dans la théorie des réseaux sociaux et dans la littérature en accompagnement à l’international. La seconde partie explicite l’étude qualitative menée auprès des acteurs de l’EAI et des éco-PME. La troisième partie détaille les types d’intermédiation et les facteurs influençant les processus d’intermédiation par les acteurs de l’EAI. Les implications pour les écosystèmes entrepreneuriaux, la littérature en accompagnement à l’international, et la théorie des réseaux sociaux viennent dans une quatrième partie avec les implications managériales pour les PME, les acteurs de l’EAI et les décideurs politiques. L’article conclut sur les perspectives de recherches.

Revue de littérature

Les travaux les plus récents placent l’accompagnement à l’international dans le champ des écosystèmes entrepreneuriaux (EE). Mason & Brown (2014, p.5) définissent l’EE comme « un ensemble d’acteurs entrepreneuriaux interconnectés, d’organisations entrepreneuriales, d’institutions et de processus entrepreneuriaux qui, de façon formelle ou informelle, se fondent dans un collectif pour connecter, servir de médiateurs et contribuer à la performance d’un environnement entrepreneurial local ». Les EE comprennent plusieurs niveaux prenant la forme de sous-écosystèmes, tels que l’écosystème d’accompagnement entrepreneurial (Theodoraki, 2020), comprenant à leur tour des sous-sous-écosystèmes, comme l’EAI (Theodoraki & Catanzaro, 2022). Les interactions sont à la base des écosystèmes entrepreneuriaux, et la définition de Mason et Brown (2014) introduit directement une notion d’intervention sur le réseau des autres acteurs, puisqu’il y est question de « connecter » et de « servir de médiateurs ». Cependant, cette intervention n’est pas caractérisée, ce qui permettrait de mieux comprendre comment contribuer à la performance de l’EAI.

Dans cette recherche au sein du champ théorique des écosystèmes entrepreneuriaux, nous mobilisons les travaux sur le brokering (Halevy et al., 2019; Obstfeld, 2005) car ils sont conçus spécifiquement pour examiner l’action d’un acteur sur les relations des autres. En effet, l’action des acteurs de l’EAI peut être qualifiée de brokering, qui se définit comme « les processus comportementaux par lesquels les acteurs organisationnels façonnent les relations des autres » Halevy et al. (2019, p.215). Dans cet article, nous traduirons brokering par le terme « intermédiation » par souci de fluidité dans le propos, mais le brokering comprend à la fois une action d’intermédiation, de connexion entre deux entités non connectées (Soda et al., 2004), et une action de modification d’une relation préexistante entre deux entités (Obstfeld et al., 2014). Le cadre COR (Changing Other’s Relationships) de Halevy et al. (2019) a été choisi car il permet de comprendre les différents aspects de l’intermédiation des acteurs de l’EAI comme la connexion, le renforcement de l’intensité des relations, leur amélioration (dans le sens de la résolution des conflits), ainsi que les instruments de leur influence. Ce cadre intégrateur nous a donc paru plus pertinent que des cadres plus spécifiques comme la théorie des liens forts et des liens faibles de Granovetter (1973), qui n’examine pas les instruments utilisés pour l’intermédiation, ou la théorie des trous structuraux de Burt (1992) qui ne se penche pas sur l’amélioration des relations. Le cadre COR n’a pas encore été utilisé dans une étude empirique, ce que nous nous proposons de faire dans cet article.

Le tableau 1 synthétise le cadre COR dans le cas d’acteur tiers bienveillants, et la littérature pour chacun des points mentionnés dans le cadre est détaillée ci-dessous.

Tableau 1

Le cadre COR appliqué aux acteurs tiers bienveillants

Le cadre COR appliqué aux acteurs tiers bienveillants
Adapté de Halevy, Halali et Zlatev [2019] et de Obstfeld (2005)

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La connexion

En ce qui concerne la connexion, l’acteur tiers peut exercer une intermédiation entre des acteurs non connectés, tel que le décrit Burt (1992) dans la théorie des trous structuraux. L’acteur tiers peut alors choisir de garder ces acteurs non connectés et de jouir des privilèges de l’intermédiaire, ce qui correspond à une stratégie de tertius gaudens (celui qui bénéficie). Il peut également choisir de connecter les deux acteurs, stratégie nommée tertius iungens (celui qui unit, qui joint). « L’orientation tertius iungens est une orientation stratégique et comportementale visant à connecter les personnes dans leur réseau social, soit en présentant des individus sans connexion, soit en facilitant une nouvelle coordination entre les individus connectés » (Obstfeld, 2005, p.102). Nous examinerons ici plus particulièrement le tertius iungens car le moyen d’aider les PME à se développer à l’international est bien de les mettre en relation, mais nous reconnaissons que les acteurs de l’EAI peuvent également mettre en place un tertius gaudens pour tirer profit de leur rôle d’intermédiaire, ce qui semble toutefois antinomique à leur mission d’accompagnement des PME. Cependant, le fait de connecter des entreprises A et B entre elles implique que l’on ne connecte pas C ni D, tertius iungens et tertius gaudens sont les deux faces d’une même médaille (Obstfeld, 2017).

Les travaux empiriques en accompagnement à l’international montrent que les acteurs de l’EAI sont sollicités pour de la mise en relation avec le réseau d’affaires, et endossent donc le rôle d’acteur tiers (Oparaocha, 2015). L’article de Mira-Bonnardel (2015) montre que certains acteurs de l’EAI, les chambres de commerce françaises à l’étranger, permettent de faciliter l’internationalisation des PME par leur insertion dans les réseaux à l’étranger, mais cet article examine un seul acteur de l’EAI. De même, Costa et al. (2017) montrent que les associations professionnelles connectent les PME avec des contacts au niveau local et international et les aident à trouver des partenaires pour l’internationalisation. Pour Catanzaro et al. (2013), la mise en relation par les acteurs de l’EAI serait le type d’accompagnement le plus efficace pour les entreprises à internationalisation précoce, et aurait vocation à se substituer à l’accompagnement à base d’informations et de formations.

Le renforcement

L’acteur tiers peut également agir sur l’intensité de la relation, avec une action de renforcement transformant les liens faibles en liens forts (Halevy et al., 2019). Les liens faibles sont des relations d’affaires qui nécessitent peu d’entretien mais sont des sources importantes d’information et de savoir-faire, tandis que les liens forts sont durables et impliquent un investissement émotionnel, la confiance, la fiabilité et un désir de négocier pour régler les différends (Granovetter, 1973). Une entreprise va renforcer ses liens avec une autre, échanger des ressources avec elle si elle pense que la réciprocité va s’appliquer, si elle a confiance en l’autre partie pour remplir ses obligations mutuelles (Catanzaro et al., 2019). L’intermédiation sous forme de renforcement des liens peut s’appuyer sur le caractère multiplexe des relations (Obstfeld et al., 2014), c’est-à-dire sur le fait que les dirigeants de PME peuvent avoir des relations personnelles et amicales en plus de leurs relations professionnelles.

Il existe une littérature portant sur les actions d’intermédiation visant à affaiblir les relations entre tiers en limitant leur communication, en les isolant physiquement ou en les faisant travailler avec des tiers avec lesquels ils auront peu d’affinités (Case & Maner, 2014; Logan, 2006), mais cela concerne principalement l’étude de leaders dominants et de l’évitement des syndicats. Nous partons ici du postulat que les acteurs de l’EAI visent à renforcer les relations des PME pour l’internationalisation, même s’il est possible qu’en renforçant certaines relations ils en affaiblissent d’autres (Obstfeld, 2017).

Des travaux empiriques se sont penchés sur le renforcement des relations par les acteurs de l’EAI. Notamment, les travaux de Catanzaro et al. (2019) ont mis en évidence que les services informationnels (comprenant des sessions de formation sur les pratiques commerciales générales en matière d’exportation, des séminaires et des réunions sur les pratiques d’exportation dans des pays spécifiques, et des informations sur les études de marchés étrangers) ont un effet positif sur le capital relationnel des entreprises à internationalisation précoce. Cependant, les services opérationnels (visant à établir des contacts avec les marchés étrangers et les acteurs clés en participant à des salons et événements internationaux ou en effectuant des missions de prospection) n’ont pas d’impact significatif sur le capital relationnel. Ce résultat contre-intuitif est attribué aux spécificités des entreprises à internationalisation précoce qui se lancent simultanément dans de nombreux pays, ce qui réduit la portée du peu de missions réalisées grâce à des acteurs de l’EAI. Par ailleurs, Haddoud et al. (2017) ont démontré l’impact positif des services informationnels et des services opérationnels sur la qualité de la relation des PME avec les autres entreprises locales ainsi qu’avec les acheteurs internationaux. Cela démontre bien que l’intermédiation a un impact positif sur le réseau des PME pour l’internationalisation, mais limite sa portée à deux types d’interlocuteurs. Enfin, d’autres travaux quantitatifs tels que ceux de Dominguez et al. (2017) montrent que la présence d’un facilitateur chargé de promouvoir les interactions et d’organiser des rencontres a un effet positif sur la socialisation des membres du réseau et qu’il agit comme un tiers de confiance qui renforce les relations.

L’amélioration des relations

En ce qui concerne l’amélioration des relations, l’acteur tiers peut changer le signe de la relation, en transformant une relation positive ou neutre en relation négative lorsqu’il s’agit d’intermédiation malveillante (par exemple en utilisant les commérages au travail; Halevy et al. [2019]). L’intermédiation bienveillante, facilitante, est le fait de transformer une relation négative ou neutre en relation positive (Halevy et al. 2019). Il existe une littérature abondante sur l’intermédiation malveillante, avec par exemple les travaux sur les rumeurs négatives (Ellwardt et al., 2012; Kniffin & Wilson, 2005) et sur les relations de travail, avec notamment des stratégies « diviser pour mieux régner » (Case & Maner, 2014). Toutefois, nous nous focalisons sur l’intermédiation bienveillante, car la vocation des acteurs de l’EAI est de promouvoir de bonnes relations entre les PME pour l’internationalisation. Nous reconnaissons cependant qu’il est possible qu’une intermédiation bienveillante ait des résultats négatifs non souhaités.

L’amélioration des relations peut s’apparenter à de la médiation lorsque l’acteur tiers intervient dans le processus de résolution des conflits, ou à de l’arbitrage lorsque l’acteur tiers contrôle les résultats du conflit (Halevy et al., 2019). Il n’existe à notre connaissance aucun article empirique portant sur des actions d’amélioration des relations par des acteurs de l’EAI.

Les instruments de l’intermédiation

Pour influencer les relations entre les entreprises, l’acteur tiers peut utiliser différents instruments, comme des informations (par exemple sous la forme de conseils, de commentaires ou de ragots) ou des incitations sous la forme de ressources stratégiques ou de sanctions (Halevy et al., 2019). Les travaux empiriques en accompagnement à l’international montrent que les acteurs de l’EAI utilisent de nombreux instruments pour accompagner les PME, notamment des informations (Costa et al., 2017), des ressources opérationnelles (Catanzaro et al., 2019) et des ressources financières (Catanzaro et al., 2013). Cependant, rien n’indique que ces instruments sont utilisés lors de l’intermédiation et nous n’avons pas trouvé de travaux spécifiques à ce sujet.

La temporalite de l’intermédiation

En termes de temporalité, l’intermédiation peut prendre la forme de iungens ponctuel et de iungens soutenu (Obstfeld, 2005). Le iungens ponctuel fait référence aux interactions impliquant une intermédiation ponctuelle où l’acteur tiers intervient de manière ponctuelle et où un rôle de coordination continu est inutile, diminue en importance, ou n’est tout simplement pas offert. Le iungens soutenu fait référence aux interactions dans lesquelles l’intervention continue de l’acteur tiers est nécessaire, où l’engagement de l’acteur tiers dans la durée est requise.

Il n’existe pas à notre connaissance de travaux spécifiques à la temporalité de l’intermédiation par les acteurs de l’EAI. Cependant, des travaux existent sur la temporalité du réseau et de sa structure, notamment Soda et al., (2004) qui ont montré que les trous structuraux ont un effet bénéfique de court terme alors qu’un réseau dense a un effet bénéfique sur le long terme. Il y a donc un intérêt pour les acteurs de l’EAI à connecter les PME à la fois avec des PME provenant de groupes distants pour créer des trous structuraux dans leur réseau et à renforcer leurs liens afin d’avoir un effet bénéfique sur le long terme. Dans le cadre de l’internationalisation, Coviello (2006) a démontré que les relations pour l’internationalisation se terminent souvent à court ou moyen terme car les entreprises nouent des liens entre elles au fur et à mesure que le besoin ou l’opportunité se présente, et que la durée du lien est fonction de l’intention ou de la contribution de chaque lien. Pour que les liens ne disparaissent pas, les acteurs de l’EAI devraient donc bien cibler les entreprises qu’ils connectent pour que ces relations soient utiles et perdurent dans le temps, ou avoir une action répétée pour maintenir ces liens. La littérature nous montre donc que le iungens ponctuel et le iungens soutenu ont tous deux un intérêt pour les acteurs de l’EAI, mais les facteurs qui conditionnent l’emploi de l’un ou de l’autre ne sont pas connus.

La revue de littérature sur l’intermédiation par les acteurs de l’EAI montre que les acteurs de l’EAI ont des actions de connexion des entreprises, mais que leurs actions sur le capital relationnel à l’international des PME a des résultats inconsistants. De plus, l’amélioration des relations par des actions de médiation ou d’arbitrage provenant des acteurs de l’EAI est à notre connaissance absente de la littérature, de même que les instruments utilisés pour l’intermédiation et que la temporalité de l’intermédiation. Ces gaps appellent à des recherches plus profondes sur les processus ayant conduit à ces résultats inconsistants et sur les leviers d’une possible amélioration. En nous appuyant sur le COR, nous avons mis en place l’étude qualitative détaillée dans la partie suivante.

Méthode

Nous avons choisi de réaliser une étude qualitative basée sur 30 entretiens semi-directifs car cette méthode permet d’étudier en profondeur les processus à l’oeuvre et donc de répondre à notre question de recherche (Huberman & Miles, 1994).

Contexte de l’étude

Nous inscrivons cette recherche dans le contexte des éco-PME (Renaud & Berland, 2020) parce qu’elles ont besoin d’agir collectivement pour atteindre les opportunités (Pacheco et al., 2010) et que les marchés environnementaux sont souvent complexes et interdisciplinaires (Meschi & Norheim-Hansen, 2020), et peuvent prendre la forme de projets internationaux nécessitant la candidature conjointe et les compétences de plusieurs entreprises. Le réseau à la fois formel et informel des éco-PME avec les partenaires internationaux est un facteur essentiel de leur internationalisation (Manesh & Rialp-Criado, 2018). C’est pourquoi elles ont un besoin accru d’accompagnement pour favoriser le développement de leur réseau lors de leur internationalisation. Les acteurs de l’EAI ayant pour objectif de répondre aux besoins des entreprises accompagnées, le contexte des éco-PME est donc favorable à l’observation des actions d’intermédiation par les acteurs de l’EAI. Comme les éco-PME sont les entreprises qui mettent en place sur le terrain la transition écologique, il y a un enjeu supplémentaire à comprendre comment favoriser à la fois la coopération entre ces entreprises pour la mise en place des projets, et la propagation à l’échelle globale des solutions environnementales qu’elles portent.

Ce terrain a été choisi parce que comme les éco-PME ont besoin accru de coopérer, nous avions plus de chances d’observer des actions d’intermédiation par les acteurs de l’EAI et de pouvoir analyser comment ils interviennent.

Sélection des répondants

Nous avons mené une première étude qualitative approfondie auprès des acteurs de l’accompagnement à l’international, en France, en 2017. Nous avons interrogé 21 acteurs de l’EAI jusqu’à saturation des données. Nous avons sélectionné les personnes interrogées dans le but d’obtenir l’image la plus complète possible, et nous avons interrogé des acteurs de l’EAI à l’échelle locale, régionale et nationale, tant publics que privés. Tous les entretiens sont détaillés dans le tableau 2.

Pour comprendre l’intermédiation, il nous fallait également recueillir les déclarations des éco-PME. Nous avons donc mené une seconde étude qualitative auprès des éco-PME entre juin et septembre 2018. Les critères de sélection retenus étaient : qu’elles correspondent à la définition des éco-entreprises de l’OCDE, qu’elles soient des PME, qu’elles soient internationalisées (qu’elles vendent au moins un produit à l’international) et qu’elles aient recours aux acteurs de l’EAI. Nous avons effectué des recherches sur le web pour trouver des éco-PME internationalisées, puis nous les avons contactées par e-mail pour leur demander un entretien. Neuf éco-PME ont accepté d’être interviewées. Elles s’inscrivent dans différents secteurs environnementaux : deux sont spécialisées sur l’ingénierie écologique, deux travaillent sur le traitement de l’eau, une sur le solaire thermique, une sur le solaire photovoltaïque, une sur le développement de projets d’énergies renouvelables, une sur l’éclairage public à faible consommation et une sur l’ingénierie de projets environnementaux.

Collecte, analyse et validité des données

Nous avons mené des entretiens semi-directifs car cela permet une plus grande souplesse dans l’administration et permet d’affiner les questions pendant les entretiens (Huberman & Miles, 1994). L’anonymat complet des personnes interrogées a été garanti.

Les acteurs de l’EAI ont été interrogés sur leurs missions, le type d’entreprises accompagnées, le processus d’internationalisation des éco-PME, les zones géographiques couvertes par les services d’accompagnement, leur offre de services, tant formelle qu’au cas par cas, et la manière dont ces services sont mis en place dans la pratique. Ils ont également été questionnés sur leur rôle, les forces et les faiblesses de l’accompagnement et leurs contributions. Nous avons interrogé les éco-PME sur leur historique d’internationalisation, les services d’accompagnement qu’elles ont utilisé, les rôles des acteurs de l’EAI, leurs besoins spécifiques en matière d’accompagnement, leur degré de satisfaction et les aspects positifs et négatifs du processus d’accompagnement.

Tableau 2

Répondants de l'étude qualitative avec leur organisme d’appartenance, leur fonction et la durée de l’entretien

Répondants de l'étude qualitative avec leur organisme d’appartenance, leur fonction et la durée de l’entretien

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Pour améliorer la validité des données qualitatives, nous avons aussi utilisé des données secondaires pour trianguler les données (Creswell & Creswell, 2017). Nous avons recueilli les données d’archives à partir des sites web et de la documentation des répondants. Nous avons consulté plus de 70 sites Internet, et collecté 54 documents pour un total de 2527 pages. Ces données ont été utilisées pour fournir des informations contextuelles sur l’internationalisation des éco-PME et les offres d’accompagnement des acteurs de l’EAI. Elles ont été utilisées avant les entretiens, dans le cadre du processus de sélection, ainsi que pour préparer les entretiens, afin de ne manquer aucune information potentiellement intéressante et de penser à demander des précisions le cas échéant. Nous avons également utilisé ces données après les entretiens pour corroborer les déclarations des répondants.

Nous avons effectué un codage thématique (Huberman & Miles, 1994) en utilisant le logiciel NVivo car il permet à la fois d’avoir une vue d’ensemble de ce qui a été dit et une vision claire, au sein de chaque noeud thématique, de ce qui a été exprimé sur le sujet. Nous avons adopté une approche abductive combinant des concepts théoriques et des résultats exploratoires (Dubois & Gadde, 2002). Nous avons en premier lieu utilisé le processus déductif de Huberman & Miles (1994), et les citations des répondants ont d’abord été organisées en fonction de thèmes et de sous-thèmes tirés de la littérature, en particulier du cadre COR. Ensuite, d’autres sous-thèmes sont apparus de manière inductive. La grille de codage est présentée en annexe 1. Les entretiens ont été codés séparément par deux chercheurs puis chaque point divergent a été discuté jusqu’à parvenir à un accord.

Résultats

Cette section caractérise l’intermédiation par les acteurs de l’EAI puis explicite les facteurs ayant une influence sur ces processus.

Caractérisation de l’intermédiation par les acteurs de l’eai

Les acteurs de l’EAI pratiquent l’intermédiation parce que cela aide les PME à développer leur réseau à l’international, et par conséquent leurs activités à l’international. Une seconde raison est de leur donner accès à des ressources transmises par les pairs connectés lors de l’intermédiation et que l’acteur de l’EAI ne détient pas parce qu’elles sont trop spécifiques. Ils mettent en place plusieurs types d’intermédiation, notamment des actions de connexion entre les entreprises, de renforcement de l’intensité de la relation, et d’amélioration de la relation avec des actions de médiation et parfois d’arbitrage. Ils utilisent différents instruments pour convaincre les PME, leur action s’inscrit dans des temporalités ponctuelles ou soutenues, et présente des résultats variables. Ces différents processus sont détaillés dans les sections qui suivent.

Les raisons de l’intermédiation

Les acteurs de l’EAI pratiquent l’intermédiation principalement parce que cela correspond à un besoin des PME pour leur développement à l’international : « Il faut nous ouvrir les portes. » (Eco-PME 4). « C’est avant tout nous donner accès à des clients, à des typologies de clients, et j’ai envie de dire le plus difficile pour nous c’est les clients publics à l’international » (Eco-PME 3). L’intermédiation présente comme avantage de transmettre des ressources aux PME que l’acteur de l’EAI ne détient pas : « Ce qui marche bien c’est cette animation de la communauté exportatrice sur un réseau […] parce que les informations les plus riches que les uns et les autres vont pouvoir collecter, c’est celles de leurs pairs, et d’avoir des retours de chefs d’entreprises extrêmement concrets sur la réalité de la culture des affaires sur tel ou tel marché » (Interprofession)

Ces éléments nous permettent donc de poser la proposition suivante :

  • Proposition 1 : Les acteurs de l’EAI interviennent sur le réseau interorganisationnel des PME pour les aider à se développer à l’international et pour leur donner accès à des ressources idiosyncrasiques provenant des entreprises connectées.

Les actions d’intermédiation mises en place par les acteurs de l’EAI

La connexion

L’intermédiation peut tout d’abord prendre la forme d’une mise en relation entre des entreprises qui ne se connaissent pas. L’intermédiation de connexion est désignée par presque tous les acteurs de l’EAI comme étant leur coeur de métier : « La vocation première [de Cluster B], c’est la mise en réseau. » (Cluster B). « J’ai un conseiller diplomatique dans mon équipe. Quelqu’un qui est capable de vous avoir des rendez-vous partout. » (Pôle A). Certains acteurs de l’EAI se limitent à cette connexion, et ne cherchent pas à modifier les relations entre les entreprises. Cependant, d’autres acteurs vont plus loin et agissent pour modifier les relations pour l’internationalisation des PME.

Le renforcement des relations

Leur première action de renforcement est de favoriser la confiance dans le réseau : « On est comme un tiers de confiance. » (Pôle D). Pour renforcer la coopération entre les PME, les acteurs de l’EAI agissent aussi sur le caractère multiplexe des relations, c’est-à-dire qu’il tentent de favoriser des relations personnelles dans le but de faciliter les coopérations professionnelles : « On est des facilitateurs au travers d’organisation de rencontres de différents types, ça peut être des rencontres purement techniques, mais ça permet aux gens de se connaître. Le moment le plus important dans ces trucs-là c’est souvent le cocktail. » (Pôle A). Ils ont également une action pour renforcer les relations à plusieurs niveaux au sein des PME : « Il n’y a pas que les chefs d’entreprises qu’il faut toucher, si on veut que ça marche […] On va organiser des formations [qui] seront des occasions pour que les gens des achats, pour que les gens des bureaux d’études passent du temps ensemble, et donc apprennent à se connaître et aient envie de travailler ensemble. » (Pôle E).

Le sens de la relation : médiation et arbitrage

Les acteurs de l’EAI, en plus de renforcer des relations positives, déploient des actions pour changer le sens de la relation, de négative, lorsque les entreprises sont en conflit ou ont un a priori négatif sur l’autre, à neutre ou positive en mettant en place de la médiation : « l’objectif pour moi c’est de favoriser le développement de collaborations, donc c’est, quand on sent qu’il y a des points de blocage, c’est d’essayer de comprendre pourquoi il y a des points de blocage et quelles pourraient être les solutions de remédiation. » (Cluster A).

La plupart des acteurs de l’EAI se limitent à ces actions douces, mais certains envisagent une action plus interventionniste avec une posture d’arbitre lors des conflits : « D’arbitre dans une certaine mesure aussi. Oui bien sûr, et en particulier quand va se présenter la situation où deux entreprises peuvent répondre au même appel d’offres. » (Pôle E).

Cependant, cette posture d’acteur décisionnaire n’est pas nécessairement un gage de réussite des relations ainsi formées et de leurs retombées, et certains acteurs ont changé leur processus d’intermédiation : « Il y a eu avant moi une ou deux expériences où le pôle a été très moteur, peut-être même dirigiste, dans le montage de consortium et dans l’intégration de partenaires dans un consortium, et de ce que j’en ai compris […] cela ne s’est pas soldé par un projet totalement réussi […] pour tous les acteurs. » (Pôle C).

Ces éléments nous permettent donc de poser la proposition suivante :

  • Proposition 2 : Les acteurs de l’EAI mettent en place différents types d’intermédiation qui sont (a) la connexion, (b) le renforcement des relations et (c) l’amélioration des relations.

Les instruments utilisés pour influencer le réseau des PME

Afin de modifier positivement le réseau des PME, et de les inciter à coopérer, les acteurs de l’EAI vont utiliser différents moyens. En premier lieu, ils utilisent des valeurs, le sentiment d’appartenance des PME à leur réseau et aussi une conscience de la PME de la limite de ses actions individuelles et de la nécessité de l’action collective : « Cette approche groupée, elle est peut-être idéaliste, elle est peut-être utopiste, mais elle est nécessaire, et nos entreprises le comprennent bien, c’est un peu ce qui les réunit autour du syndicat, c’est que derrière on arrive à trouver un intérêt collectif qui réponde aux intérêts individuels de chacun. » (Syndicat)

En second lieu, ils utilisent des informations utiles à l’internationalisation des PME : « Le fait d’être un acteur qui concentre les informations nous rend incontournables. » (Cluster F).

Les acteurs de l’EAI peuvent aussi apporter des ressources, dont la première forme est un apport de temps et d’énergie pour la coordination des relations au sein du réseau, deux ressources qui font souvent défaut aux PME, ce qui inhibe le développement de leur réseau : « Une démarche comme la nôtre, elle est impossible à mettre en oeuvre spontanément de la part d’une entreprise, parce qu’ils n’ont pas le temps, parce qu’ils ne sont pas capables d’animer, tout simplement pour des questions de moyens, un réseau comme celui-ci, qui demande de rappeler des gens sans cesse, qui demande d’envoyer des mails et des relances, etc… » (Cluster D). En plus du temps et de l’énergie, les acteurs de l’EAI peuvent apporter une démarche déjà structurée qui rassure les PME : « En termes de stratégies collaboratives, ce qui est évident, c’est que nous on leur apporte, je dirais sur un plateau, un modèle et un cadre de fonctionnement, avec aussi des moyens pour la mener, donc ça c’est quelque chose qui est quand-même assez fondamental. » (Pôle E). Une incitation à coopérer majeure mise en avant par les acteurs de l’EAI prend la forme de ressources financières : « Il y a eu aussi une démarche auprès de la Région puisque cette [Alliance XXX] est financée en partie par la Région. » (Cluster B). En miroir, le non-octroi d’aides ou d’accompagnement peut être considéré aussi comme une sanction ou un moyen de pression : « On leur dit “voilà nous, si tu fais ça, ça, ça, on t’accompagne, on va t’aider, tu vas être bon. Mais si tu n’as pas envie, eh bien écoutes tu te débrouilles.” » (Pôle A).

La fourniture d’opportunités est une incitation très importante, car beaucoup d’opportunités environnementales requièrent une coopération entre plusieurs entreprises : « Plus on a d’opportunités, plus ça facilite l’animation et l’intérêt d’être adhérent du Pôle. » (Pôle A).

Ces éléments nous permettent donc de poser la proposition suivante :

  • Proposition 3 : Afin d’intervenir sur le réseau interorganisationnel des PME pour l’internationalisation, les acteurs de l’EAI utilisent différents instruments, soit (a) leur sentiment d’appartenance au réseau, (b) des informations, (c) des ressources (en termes de temps, d’énergie, de financement, etc.), et (d) des opportunités.

A présent que nous connaissons le type d’intermédiation mis en place et les instruments utilisés pour le réaliser, voyons comment cette intermédiation se met en place dans le temps.

La durée de l’intermédiation

Iungens ponctuel

Le plus souvent, les actions d’intermédiation sont ponctuelles. Les PME utilisent les acteurs de l’EAI pour de la mise en relation et ne les laissent plus intervenir lorsque la relation est amorcée : « Mon rôle c’est de présenter des entreprises et des organisations les unes aux autres. […]Mais après je n’ai pas à savoir ce qui va se passer ou ne pas se passer, finalement. » (Cluster E)

Lorsque la relation avec le ou les partenaires peut présenter des complexités, l’intermédiation peut durer plus longtemps : « Bon, avec la Chine ça va être un peu particulier parce que peut être qu’on continuera à travailler avec eux. Parce que c’est quand même la Chine, ce n’est pas un support pratique à suivre. » (Eco-PME 1).

Iungens soutenu

Toutefois, plusieurs acteurs de l’EAI pratiquent un iungens soutenu, et le justifient par le fait que les relations au sein du réseau nécessitent un entretien : « Ça met du temps à se créer, ça met du temps à se mettre en place, et quand c’est en place, il faut continuer. C’est comme une relation de couple. C’est pas un couple individuel, c’est un couple très large. Il y a un rôle d’entremetteur, franchement. » (Agence A). Ce iungens soutenu a surtout lieu lorsqu’il s’agit d’accompagner des coopérations de long terme avec une stratégie commune : « Ce n’est pas naturel, cette approche-là. Ils savent bien se regrouper pour répondre à un appel d’offres de travaux. Pour aller dans la stratégie, c’est plus compliqué. » (Pôle A). C’est également le cas car les marchés environnementaux concernent souvent de gros projets qui mettent longtemps à se mettre en place, et que les solutions environnementales innovantes apportées collectivement par des entreprises doivent faire leurs preuves : « On peut finalement se glorifier, d’une certaine façon, de la réussite de ces projets communs puisque via les démonstrateurs, il y a eu ces habitudes de travailler en commun […] depuis plus de huit ans là-dessus. » (Cluster E).

Ces éléments nous permettent donc de poser la proposition suivante :

  • Proposition 4 : L’intermédiation par les acteurs de l’EAI prend la forme d’un iungens ponctuel ou d’un iungens soutenu en fonction des besoins des PME et des freins à l’intermédiation.

Les résultats de l’intermédiation

Les effets de l’intermédiation sont très variables. Ils sont parfois très positifs, avec des coopérations entre les entreprises : « Ils nous font confiance. On a de bons résultats. » (Pôle F). « Pour le coup, sans [Cluster D], il n’aurait rien pu se passer entre les adhérents. » (Cluster D) et des effets sur leur performance « Sur la performance des éco-PME, je pense qu’on leur a amené une part de business indirectement, dans le sens où on leur a permis de se faire connaître auprès de partenaires de projets potentiels, de grandes boutiques qui peuvent leur sous-traiter quelque chose. » (Pôle C). Cependant, ces effets sont parfois aussi très négatifs : « J’ai essayé de regrouper des entreprises qui ont des offres similaires, complémentaires, cela n’a pas marché. » (Cluster C). Mais la plupart du temps quand il s’agit d’un iungens ponctuel, l’acteur tiers ne sait pas quels sont les résultats de son action : « Souvent ce sont des données confidentielles que les entreprises ne veulent pas communiquer, souvent ça prend 5 ans, 3 ans, et du coup elles n’ont pas encore ces informations, donc ça veut dire que ce serait un suivi à 3 ou 5 ans qu’il faudrait faire. Donc c’est très difficile d’avoir les données. » (Cluster B).

Ces éléments nous permettent donc de poser la proposition suivante :

  • Proposition 5 : L’intermédiation par les acteurs de l’EAI peut avoir des résultats (a) positifs ou (b) négatifs, mais le plus souvent (c) l’acteur de l’EAI n’a pas connaissance du succès ou de l’échec de ses actions d’intermédiation.

Afin d’expliquer ces retombées mitigées, nous allons examiner les facteurs influençant l’intermédiation.

Facteurs influençant l’intermédiation

Plusieurs facteurs impactent les actions d’intermédiation, certains découlant des caractéristiques des acteurs de l’EAI, d’autres des caractéristiques des éco-PME, d’autres encore de la relation entre acteurs de l’EAI et éco-PME.

Les facteurs caractéristiques des acteurs de l’EAI

Il s’agit en premier lieu des règles institutionnelles qui régissent l’action de l’acteur tiers, comme le devoir de neutralité. Les acteurs de l’EAI doivent respecter les règles de la concurrence et ne pas favoriser une entreprise plutôt qu’une autre : « Nous on n’intervient pas dans les stratégies d’alliances industrielles, on a un devoir de neutralité, donc on n’a pas de préférence là-dessus. » (Ministère A). Ce devoir de neutralité interfère avec les actions d’intermédiation, ce que déplorent plusieurs éco-PME : « Ils ne se mouilleront jamais. Ils ne peuvent pas se positionner, et de toute manière ils n’ont pas le droit de le faire, de dire “il faut vraiment travailler avec telle personne.” » (Eco-PME 2).

Un autre frein du côté de l’acteur tiers est le manque de ressources des acteurs de l’EAI qui limite leur action. L’intervention sur le réseau des PME prend du temps et des ressources, et les acteurs vont avoir tendance à faire de l’intermédiation auprès de moins d’entreprises, ou de limiter leur action en intensité ou en durée : « Pour travailler avec une centaine d’entreprises, il faut bien optimiser les ressources. » (Pôle F).

Pour que l’intermédiation fonctionne, il faut que l’acteur tiers ait une bonne légitimité auprès des PME : « Animer un groupement d’entreprises, cela demande quand même un certain à la fois savoir-faire, une reconnaissance par les entreprises de la capacité de faire. » (Pôle G). Cette légitimité repose en partie sur les capacités personnelles de celui qui incarne l’acteur tiers : « C’est de renforcer les moyens de [Agence C] pour qu’ils recrutent des personnes de qualité comme on en trouve déjà beaucoup. Qu’ils mettent dans les pays des gens dynamiques, proactifs, qui vont mettre en place des initiatives, et il y aura des résultats qui suivront. » (Eco-PME 7).

Les facteurs caractéristiques de l’éco-PME

Du côté des éco-PME, le fait que l’intermédiation fonctionne dépend beaucoup de leur posture et de leur implication : « Le plus important c’est l’implication de l’entreprise. Nous on n’a pas de baguette magique. Si l’entreprise n’est pas engagée, impliquée, ça risque de ne pas fonctionner. » (Pôle F). L’attitude des éco-PME est très variable d’un réseau à l’autre. Elles sont parfois peu enclines à la coopération : « Nos PME sont plutôt craintives, on est plutôt obligés d’essayer de les motiver, de leur montrer l’intérêt. » (Pôle B). Pour ces éco-PME, ces freins sont notamment liés à la culture de l’entrepreneur. Les dirigeants d’éco-PME étant souvent des ingénieurs qui ont mis au point une innovation mais qui n’ont pas la culture des affaires, ils sont méfiants par rapport aux autres entreprises : « Les leaders, c’est des gens qui ont trouvé une innovation, donc ils sont plutôt techniques, et après, tout le marché business, ils ont plutôt peur qu’on leur pique leur idée. Donc le collaboratif […] c’est cela qui est difficile, c’est de montrer aux gens que, plutôt que d’avoir peur de travailler ensemble, ils peuvent avoir beaucoup de résultats et aller plus vite en essayant de travailler à plusieurs. » (Pôle B). Il y a donc une question d’ouverture des dirigeants : « Les gens qui sont ouverts, qui réfléchissent avec une longueur d’avance sur les autres, ont tendance à aller plus facilement vers ce genre d’actions. » (Pôle E). Dans d’autres réseaux, les éco-PME sont très coopératives : « On a eu très vite 10 sociétés qui ont rejoint le mouvement, qui ont accepté de payer une cotisation pour rejoindre ce groupement, donc de s’engager » (Pôle E). Pour ces éco-PME, l’acteur tiers peut être utilisé comme un outil : « Je pense qu’on apparaît comme étant une composante de leur stratégie collaborative, c’est-à-dire qu’un jeton d’entrée dans un pôle, c’est un jeton d’entrée dans un réseau, et donc c’est le moyen d’aller monter de la collaboration. » (Pôle C).

D’autre part, les éco-PME font très attention de préserver le secret des affaires : « Ils ont des clauses de confidentialité qui font qu’ils ne vont pas avertir leur syndicat professionnel de l’évolution du marché et de la relation avec leurs partenaires. » (Syndicat). Le secret des affaires va donc limiter la durée de l’intermédiation dans le temps.

Les facteurs caractéristiques de la relation acteurs de l’EAI - éco-PME

L’efficacité et l’intensité de l’intermédiation dépendent aussi de la relation entre l’acteur et l’éco-PME : « En fonction des secteurs d’activité et en fonction de la relation que j’ai avec les chefs d’entreprises, j’ai plus ou moins d’influence sur le conseil que je peux donner, ou la qualification des entreprises que je peux amener. » (Cluster A). Cette relation est fragile : un l’acteur tiers étant intervenu à mauvais escient dans les relations d’une éco-PME a peu de chances que l’entreprise le laisse à nouveau jouer ce rôle : « Quand ils ont voulu en faire plus entre un client potentiel, des collectivités et des entreprises, ce qu’ils ont fait ne me convenait pas du tout. » (Eco-PME 4). Les bonnes intentions de l’acteur tiers ne sont donc pas toujours un gage de réussite, et peuvent mener malgré lui à une détérioration du signe de la relation de neutre ou positive à négative.

Ces éléments nous permettent donc de poser les propositions suivantes :

  • Proposition 6 (a) : Les facteurs influençant l’intermédiation par les acteurs de l’EAI qui dépendent des caractéristiques de l’acteur de l’EAI sont le devoir de neutralité, un manque de ressources pour agir et sa légitimité en tant qu’acteur tiers.

  • Proposition 6 (b) : Les facteurs influençant l’intermédiation par les acteurs de l’EAI qui dépendent des caractéristiques des PME sont un manque d’implication dans le processus d’intermédiation et le secret des affaires.

  • Proposition 6 (c) : Les facteurs influençant l’intermédiation par les acteurs de l’EAI qui dépendent de la relation entre l’acteur de l’EAI et la PME sont de bonnes relations entre l’acteur de l’EAI et la PME et des actions d’intermédiation passées ayant réussi.

Discussion

Cette étude vise à comprendre comment les acteurs de l’EAI influencent le réseau des PME pour l’internationalisation. Pour les aider à se développer à l’international, ils mettent en place des actions de connexion entre les entreprises, de renforcement de l’intensité de la relation, et d’amélioration de la relation avec des actions de médiation et parfois d’arbitrage. Ils utilisent différents instruments pour convaincre les PME, et leur action s’inscrit dans des temporalités variées. Les différentes propositions sont schématisées dans la figure 1.

Cette étude présente une contribution empirique à la théorie des réseaux sociaux, et notamment au cadre COR (Halevy et al., 2019) qui restait jusqu’alors purement théorique. Elle confirme les travaux portant sur la connexion par les acteurs de l’EAI (Catanzaro et al., 2013; Oparaocha, 2015), et étend les travaux portant sur des acteurs spécifiques (Costa et al., 2017; Mira-Bonnardel, 2015) à tous les acteurs de l’EAI. Elle montre que les acteurs de l’EAI mettent en place un tertius iungens et jouent un rôle positif pour les stratégies d’internationalisation des PME puisqu’ils leur permettent d’étendre leur réseau, ce qui conduit à une meilleure connaissance des marchés internationaux (Haahti et al., 2005), à une vitesse d’entrée sur les marchés internationaux plus importante (Andersson et al., 2013), à une plus grande diversité internationale (Felzensztein et al., 2015), et au succès des opérations internationales (Karami & Tang, 2019).

Figure 1

Processus d’intermédiation par les acteurs de l’EAI

Processus d’intermédiation par les acteurs de l’EAI

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Cette étude permet de confirmer les travaux montrant le renforcement des relations par les acteurs de l’EAI (Catanzaro et al., 2019; Dominguez et al., 2017; Haddoud et al., 2017), et de démontrer que les acteurs de l’EAI ont une action pour améliorer les relations des PME pour l’internationalisation, par des actions de médiation et d’arbitrage, ce qui était absent de la littérature. Cette étude a également permis d’expliquer pourquoi les actions d’intermédiation des acteurs de l’EAI n’ont pas toujours le résultat attendu. Il y a eu dans nos résultats deux situations où l’intermédiation n’a pas eu l’effet positif escompté. La première est lorsque le Pôle C, par le passé, s’est montré trop dirigiste dans le choix des partenaires à intégrer dans un consortium de réponse à appel d’offres. Le second est lorsque le Pôle G a voulu structurer la filière en regroupant des entreprises concurrentes n’ayant pas de bonnes relations au départ, tel que décrit dans le verbatim de l’Eco-PME 4. Ces deux situations indiquent clairement que les acteurs de l’EAI doivent tenir compte de la volonté des PME de coopérer ou non au départ et que leur action doit venir en appui plutôt que de s’imposer aux PME. Autrement dit, l’intermédiation favorise l’internationalisation des PME à condition qu’elle ne soit pas forcée, qu’elle respecte les choix et l’indépendance de décision des dirigeants de PME.

De plus, nous avons examiné les facteurs influençant l’intermédiation, qui restaient jusqu’alors inexplorés. Ces facteurs proviennent soit de la posture de l’acteur tiers, soit de la posture de la PME, soit de la relation entre les deux. Le devoir de neutralité est une caractéristique spécifique à l’intermédiation par les acteurs de l’EAI et c’est une barrière importante pour contrer le clientélisme. Cependant, par nature, aucune action d’intermédiation n’est neutre, car tout processus inclusif pour certains implique un processus exclusif pour les autres (Obstfeld, 2017). Plus l’intermédiation est intense et soutenue, moins elle est neutre, le cas extrême étant l’arbitrage. Les acteurs de l’EAI vont donc pratiquer l’intermédiation tant que personne ne porte réclamation sur un manquement au devoir de neutralité.

Concernant la limitation de ressources des acteurs de l’EAI, elle implique une décision stratégique d’allocation de leurs ressources. Les acteurs peuvent choisir de fournir directement des ressources externes aux PME, ou choisir de fournir indirectement des ressources aux PME en favorisant leurs coopérations et l’échange de ressources entre pairs (Catanzaro et al., 2019).

Cette étude permet aussi de lister des instruments utilisés pour l’intermédiation qui étaient absents du cadre COR et de la littérature sur l’intermédiation (Halevy et al., 2019), comme le sentiment d’appartenance au réseau et les opportunités (voir grille de codage en annexe 1). Elle permet de montrer que les instruments habituellement utilisés par les acteurs de l’EAI pour aider les PME à s’internationaliser, comme les informations (Costa et al., 2017), les ressources opérationnelles et les ressources financières (Catanzaro et al., 2013) sont également utilisés pour leurs actions d’intermédiation.

Concernant la temporalité, nous avons suivi la littérature en classant l’intermédiation en ponctuelle ou soutenue (Obstfeld, 2005), mais elle ne prend pas toujours la forme d’un processus linéaire et entretenu dans le temps. Elle peut être itérative en fonction des besoins, ou sous forme de boucles où la réponse des éco-PME à l’intermédiation constitue la base de l’interaction suivante. De plus, des actions de différents types peuvent intervenir de manière simultanée. En effet, la connexion entre deux organisations est rarement neutre au départ, et la première impression est déterminante pour la suite de la relation. Un acteur tiers en qui les entreprises ont confiance va de fait engendrer directement une relation positive lorsqu’il les mettra en relation. La même remarque est valable pour l’intensité de la relation. L’acteur tiers peut mettre en relation les entreprises tout en leur parlant d’un enjeu commun qui va faire que leur lien soit assez fort dès le départ. L’intermédiation peut donc combiner des actions de nature différente dans une temporalité adaptée aux besoins. Cette étude complète les travaux de Coviello (2006) en montrant que les acteurs de l’EAI agissent pour influencer la durée des liens dans le réseau. Elle complète les travaux de Catanzaro et al. (2013) et de Oparaocha (2015) en montrant qu’au-delà de connecter les entreprises, les acteurs de l’EAI ont une action sur le long terme visant à permettre aux PME de bénéficier de liens renforcés et de leur avantage en termes de performance (Soda et al., 2004). Cette étude montre également les facteurs qui conditionnent l’emploi d’un iungens ponctuel ou soutenu et permet donc de comprendre comment influencer la temporalité de l’intermédiation.

Conclusion

Implications théoriques

Les résultats obtenus permettent plusieurs contributions théoriques. Premièrement, cette étude contribue au champ de l’écosystème entrepreneurial, grâce à la mobilisation du cadre COR (Halevy et al., 2019) et des travaux de Obstfeld (2005). En effet, si la connexion et la médiation sont la source de la performance des EE (Mason & Brown, 2014), notre article permet de clarifier comment le sous-écosystème de l’EAI intervient, connecte et sert de médiateur pour contribuer à la performance des PME s’internationalisant, avec quels instruments et quels sont les facteurs qui influencent ces actions. En construisant notre recherche sur les travaux de Theodoraki et Catanzaro (2022), qui ont conceptualisé et explicité les relations entre les différents acteurs de l’EAI, nous agrémentons leur recherche en y ajoutant une compréhension des actions menées par l’EAI pour favoriser la performance de l’écosystème entrepreneurial en agissant sur le réseau des PME accompagnées.

Deuxièmement, cette étude contribue aux travaux sur l’accompagnement à l’international en montrant comment les acteurs de l’EAI peuvent aider les PME à développer leur réseau pour l’internationalisation. Le cadre COR (Halevy et al., 2019) nous a permis d’expliquer comment les acteurs de l’EAI ont fait pour avoir une influence positive sur la qualité des relations des PME lors de l’internationalisation (Haddoud et al., 2017) et sur la socialisation des membres du réseau (Dominguez et al., 2017) : en connectant les PME, en renforçant leurs liens, et en améliorant leurs relations. Il permet également d’expliquer les résultats mitigés de Catanzaro et al. (2019) en montrant que l’intermédiation peut être freinée par la PME à cause du secret des affaires ou d’un manque d’implication dans la relation, par l’acteur de l’EAI à cause du devoir de neutralité ou d’un manque de ressources, ou par des facteurs liés à la relation entre la PME et l’acteur tiers. Enfin, notre article permet de prolonger les travaux de Mira-Bonnardel (2015) et de Costa et al. (2017) en étudiant l’intermédiation par un grand nombre d’acteurs de l’EAI.

Troisièmement, nous contribuons à la théorie de l’intermédiation et au COR (Halevy et al., 2019) en mettant en évidence les contraintes spécifiques aux acteurs de l’EAI qui sont des acteurs institutionnels. Le statut institutionnel de l’acteur tiers s’accompagne de contraintes spécifiques en termes de devoir de neutralité et de ressources suffisantes pour mener l’action. De plus, notre étude montre que les instruments utilisés pour convaincre les PME de coopérer pour leur internationalisation ne se limitent pas à des informations et des incitations sous formes de ressources/sanctions, mais sont également basés sur le sentiment d’appartenance au réseau et sur des valeurs communes, ainsi que sur la fourniture d’opportunités à saisir ensemble. Ces instruments, en plus d’influencer le sens de la relation, permettent également d’agir sur son intensité.

Implications managériales

Cette étude montre aux PME que les acteurs de l’EAI peuvent les aider à développer et à maintenir leur réseau pour l’internationalisation. Elles peuvent s’appuyer sur ces acteurs pour rencontrer plus de potentiels partenaires, mais aussi pour résoudre d’éventuels problèmes se produisant dans la relation avec le ou les partenaires. Ces acteurs peuvent leur fournir des ressources en termes de temps et d’énergie passés à développer le réseau, en termes de démarche structurée et de ressources financières allouées à la coopération ainsi créée. Cependant, cette étude montre que la réussite de l’intermédiation dépend de leur implication dans la relation avec la ou les autres entreprises, mais aussi avec l’acteur tiers. Les dirigeants de PME devraient donc s’impliquer davantage et se montrer plus ouverts pour pouvoir bénéficier de l’intermédiation.

En ce qui concerne les acteurs de l’EAI, au vu des enjeux du développement du réseau pour l’internationalisation des PME, ils doivent continuer à mettre les entreprises en relation autant que possible, à proposer des objectifs communs, et à rendre visible et évident leur rôle de tiers de confiance afin de sécuriser les PME dans leurs démarches et de favoriser la coopération dans le réseau. Ils doivent venir en appui et éviter d’être dirigistes. Pour réussir leur intermédiation, ils doivent agir pour favoriser la cohésion autour de valeurs communes et le sentiment d’appartenance. Ils doivent également se doter d’informations précises et exactes correspondant aux besoins des entreprises concernées par l’intermédiation pour pouvoir être crédibles en tant qu’acteur tiers. Ils devront également proposer des ressources dont les PME ont besoin, ce qui implique une connaissance en profondeur des entreprises s’internationalisant et de leurs ressources afin de venir en complémentarité. Enfin, ils doivent proposer des opportunités ciblées que les PME pourront collectivement saisir, ce qui implique à la fois une veille active et un travail d’évaluation des opportunités en amont. Ils doivent travailler sur leur légitimité en tant qu’acteur tiers et attacher une importance particulière aux qualités personnelles des animateurs et chargés de mission recrutés. Cette étude leur permet d’avoir un panorama des actions possibles, des instruments disponibles et des freins à dépasser afin d’améliorer leurs pratiques.

En ce qui concerne les décideurs politiques, si les acteurs de l’EAI aident les PME à développer et maintenir leur réseau pour l’internationalisation, notre étude met en évidence que cette démarche prend du temps et beaucoup de ressources. Il conviendra donc d’allouer à ces acteurs les moyens nécessaires à cette évolution de leurs pratiques.

Limites et perspectives de recherche

Une première piste de recherche consisterait à étudier de manière longitudinale la création et l’évolution de groupements d’entreprises pour l’internationalisation ayant recours à un acteur de l’EAI comme acteur tiers. Cela permettrait d’observer au fil du temps les interventions de l’acteur tiers, et de comparer les bénéfices du iungens soutenu avec ceux du iungens ponctuel à différents stades de la coopération. Par ailleurs, cette étude a permis de mettre en évidence l’action des acteurs de l’EAI sur les aspects positifs des relations, telles que la confiance et la coopération. Il serait intéressant de mesurer l’impact de l’intermédiation sur le côté sombre des relations et notamment sur la réduction de l’opportunisme. Enfin, cette étude a été menée dans le contexte des éco-PME, qui ont un besoin accru de coopérer pour poursuivre les opportunités. Afin de nous assurer que nos résultats sont généralisables à toutes les PME, il conviendrait de reproduire cette étude avec un échantillon de PME provenant de divers secteurs d’activités.