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Du social business à l’économie solidaire. Critique de l’innovation sociale, sous la direction de Juan Maïté, Jean-Louis Laville et Joan Subirats. Érès, 2020

A la jonction de l’économie, de la sociologie et de la science politique, cet ouvrage collectif comprend trois grandes parties. La première est consacrée à la façon dont une conception entrepreneuriale et managériale de l’innovation sociale, portée par les pouvoirs publics dans une perspective réparatrice et fonctionnelle, est peu à peu devenue dominante à partir du tournant néolibéral de la fin des années 1980, au détriment d’un courant de pensée et de pratiques beaucoup plus critique et réformateur, qui cherche à créer les conditions d’un développement économico-politique plus égalitaire, solidaire et démocratique. D’après les auteurs, cette évolution appauvrirait l’innovation sociale et signifierait son instrumentalisation au service d’une vision de l’économie réduite à la compétitivité et à l’efficacité marchande. La seconde montre comment, malgré un contexte globalement défavorable, des initiatives citoyennes se développent au niveau local, même si elles souffrent d’un déficit de reconnaissance institutionnelle, témoignant de la capacité d’acteurs sociaux ordinaires à se réapproprier le sens de leurs actions et au-delà de leur existence. Des modalités alternatives de consommation ou de développement durable des territoires, la mobilisation de groupes de « sans-voix », ou encore l’émergence de formes d’autogouvernement citoyens seraient ainsi les signes d’une politisation presque silencieuse du quotidien, qui pour autant remet en cause les asymétries de pouvoir traditionnelles. La troisième partie porte sur les conditions d’une meilleure visibilité de ces expérimentations, qui dépendraient de nouvelles relations à construire entre science et société et, plus précisément, de la validation scientifique des savoirs et de l’expertise acquises par certains acteurs de la société civile. Entendue de la sorte, l’innovation sociale ne serait plus aux mains exclusives des pouvoirs publics ou des technocrates mais (re)deviendrait un enjeu du débat démocratique.

L’ensemble de ces questions passionnantes sont finement discutées au travers de quatorze chapitres, qui articulent analyses épistémologiques, théoriques et études de cas en Amérique, Asie et Europe, offrant au lecteur mieux qu’un bilan, une mise en perspective critique extrêmement stimulante de l’innovation sociale.

Didier Chabanet

Souffrance en milieu engagé. Enquête sur des entreprises sociales, Pascale-Dominique Russo. Éditions du Faubourg, 2020

L’auteure, journaliste spécialisée depuis une vingtaine d’années dans l’économie sociale et solidaire (ESS), a mené une enquête détaillée sur les conditions de travail dans une dizaine d’associations et de mutuelles françaises parmi les plus connues du secteur. Le résultat est globalement accablant et montre que les salariés des organisations en question sont victimes de systèmes hiérarchiques autoritaires, de harcèlement moral, d’abus de pouvoir, de charges de travail déraisonnables et éreintantes, ou encore de pratiques managériales altérant leur santé physique et mentale. Les salaires extrêmement faibles du plus grand nombre contrastent avec ceux pharamineux de certains dirigeants, tandis que les droits syndicaux sont brimés ou contournés, à l’image du groupe SOS dont les activités au sein de la cellule « Commerce et services » sont conçues en unités de moins de 50 salariés, juste en dessous du seuil minimal à partir duquel la présence d’un délégué syndical devient obligatoire.

Le livre de Pascale-Dominique Russo ne s’apparente ni à un pamphlet ni à un réquisitoire, même si on pourrait s’interroger sur l’opportunité de généraliser à l’ensemble du champ de l’ESS les travers constatés dans quelques structures, aussi emblématiques soient-elles. Il est au contraire très bien documenté et étayé par de nombreux témoignages qui viennent confirmer ce que les spécialistes de l’ESS savent depuis longtemps. Son utilité tient notamment à la mise en évidence des effets délétères de la mise en concurrence des organisations de l’ESS, qui les amène à se comporter comme des sociétés commerciales classiques. Loin de leurs idéaux proclamés d’égalité, de solidarité et de démocratie, certaines tendent à se regrouper et à s’agrandir pour s’adapter à une logique de marché de plus en plus rude. L’évolution est manifeste pour les associations qui, faute de recevoir des subventions, ont tendance à répondre à des appels d’offre particulièrement chronophages, qui par des effets d’isomorphismes institutionnels les amènent à privilégier une politique de chiffres et une conception étriquée de leur utilité sociale. Mis sous pression, les salariés de l’ESS font directement les frais de cette situation, d’autant plus qu’une forme de « servitude volontaire » les conduit souvent à accepter par conviction ce qui leur semblerait intolérable dans un autre contexte.

Wilson Ng

Methodological Issues in Social Entrepreneurship Knowledge and Practice, under the Direction of Satyajit Majumdar and Edakkandi Meethal Reji. Springer, 2020

As its title suggests, the aim of this collaborative book is to provide an overview of the main methodological approaches used over at least the past twenty years in analyses of social entrepreneurship, making a number of proposals for advancing knowledge in this field.

While advocating methodological pluralism and declining to argue the respective merits of qualitative and quantitative methods, the authors of the book take a stand on two important points. They first set out that, since social entrepreneurship is a new, still-emerging discipline which has drawn attention among scholars all over the world, it is preferable to consolidate its theoretical and conceptual foundations through qualitative studies. They imply that there will always be time afterwards to carry out quantitative research in order to test and verify the observations made. Secondly, and without this being a contradiction given the current predominance of single case study, narrative and/or exemplary cases, they invite specialists in the field to carry out comparative or contrastive cases for theory building and advancement. Without saying so explicitly, they suggest that social entrepreneurship analysis, as a scientific discipline, is still evolving and field studies must continue to be conducted, while at the same time tools must be developed which will gradually achieve a degree of generalizability.

The book is presented in the form of 13 chapters, including the introduction, providing methodological illustrations, all of which are based on a qualitative approach and support this statement. The contributions are organized according to 3 main axes - Research Dimensions in Social Entrepreneurship; Research on Social Entrepreneurs and Social Enterprises; and Perspectives from Practice Methodologies - which draw on a wide range of tools and methodological perspectives: case-based research; grounded theory; semiotic analysis; multi-sited ethnography; capability approach; as well as different processes and models for understanding the motivation of social entrepreneurs, or failures in social enterprises, etc.

All the authors are Indian, as are almost all of the areas of study, without this fact being particularly emphasized or discussed. However, it would have been useful to know a little more about the reasons for this geographical and, to a certain extent, cultural homogeneity.

Anastasia Sartorius-Khalapsina

L’ESS entre développement social et développement durable. L’exemple de la métropole grenobloise, sous la direction de Danièle Demoustier. Presses Universitaires de Grenoble, 2021

Le périmètre d’étude de cet ouvrage collectif est constitué par la métropole grenobloise, où l’économie sociale et solidaire (ESS) est depuis longtemps particulièrement florissante. L’originalité et la richesse du travail entrepris est de montrer comment l’ESS contribue au développement du territoire au point d’être aujourd’hui intégrée à la plupart des politiques publiques locales (cf. chapitres 7 et 8), dans des secteurs aussi différents et importants que la santé, l’action sociale, l’éducation populaire, la culture, la transition écologique ou encore l’alimentation (cf. chapitre 1 à 6). Ces questions sont traitées par des universitaires et/ou des praticiens de l’ESS, sous la houlette de Danièle Demoustier, l’une des meilleures spécialistes du sujet, dans un ouvrage qui repose sur un travail d’enquête et de terrain très approfondi mais aussi sur une problématisation et une mise en perspective historique remarquables.

Si les différentes études de cas proposées s’étendent de 1970 à 2020, le lecteur trouvera en introduction un propos fin et détaillé sur la façon dont l’ESS s’est progressivement construite à Grenoble et dans les environs après la Révolution française. La multitude des ramifications reconstituées sur un peu plus de deux siècles est impressionnante, à la fois dans les milieux patronaux et les élites politiques locales, à la croisée du catholicisme social, des courants solidaristes, des idées socialistes qui s’affirment avec l’avènement du mouvement ouvrier, jusqu’au personnalisme du philosophe grenoblois Emmanuel Mounier à partir des années 1930. Ces différentes traditions, qui s’entrecroisent et se concurrencent en même temps, sont toutes porteuses d’un idéal d’émancipation de l’homme qui, après la deuxième guerre mondiale, va trouver un terreau particulièrement fertile pour se développer. Comme le souligne Danièle Demoustier, elles constituent encore de nos jours le socle de valeurs de l’ESS et sa contribution à l’essor de la métropole grenobloise, tant dans ses dimensions sociales, environnementales, culturelles, éducatives que citoyennes. On ne saurait trop conseiller la lecture de ce livre passionnant, qui ravira tous ceux qui s’intéressent à l’ESS en France, en particulier à travers ses dynamiques territoriales.

Damien Richard

Social Enterprises and their Ecosystems in Europe, Carlo Borzaga, Giulia Galera, Barbara Franchini, Stefania Chiomento, Rocío Nogales and Chiara Carini. European Commission, 2020

Produced for the European Commission by a team of academics, this publication brings together data on social enterprises and their ecosystems across 35 European countries (the 28 Member States plus Albania, Iceland, Montenegro, North Macedonia, Norway, Serbia and Turkey). This work was undertaken as part of the Social Business Initiative rolled out in 2011, which recognized the need to address both the information gap and lack of visibility in the sector. The result is remarkable and provides not only an overview of the situation in each of the countries studied, but also a global comparative analysis, enabling some particularly important lessons to be drawn. The investigations were structured around 6 main axes: a) the historical background of the emergence of social enterprises; b) the existing national policy and legal framework for social enterprise; c) the scale of social enterprise activity; d) networks and mutual support mechanisms; e) research, education and skills development; and f) the resources available to social enterprises.

Through this research, three recurring observations have emerged. Firstly, in terms of social enterprises, the fragmentation of approaches and concepts is such at the European level that it is a source of confusion and fragility. Secondly, while the interest of national policy makers in the sector is growing, the measures taken to support its development often lack ambition and consistency. Nevertheless, local authorities, and in particular municipalities, are increasingly supportive of social enterprises, which can to some extent compensate for the disengagement of the central State.

Neither optimistic nor pessimistic, the authors of the study believe that the future of social enterprises remains undecided and will depend on three key variables: a) their capacity to self-organize and set up networks. From this perspective, the attraction of the younger generation to social and/or environmental causes is an encouraging sign; b) the question of access to resources is also a decisive issue. Although funding options exist, social enterprises are not always aware of these, and such funds are moreover often subject to administratively complex procedures; c) finally, to change scope, it is necessary to avoid working in silos and to forge and reinforce bridges among sectors and policy areas relevant to social enterprises.

Simon Bichon