Abstracts
Résumé
Fondé sur l’exploration des pratiques de 20 PME exportatrices françaises et ukrainiennes, ce travail souligne le rôle joué de l’environnement institutionnel domestique dans le façonnage de l’innovation collaborative. Notre recherche s’appuie sur les fondements conceptuels de l’approche des profils institutionnels. Nous montrons que les dimensions règlementaires, normatives et cognitives de l’environnement domestique orientent les comportements des exportateurs interrogés en matière de développement des activités innovantes et exportatrices.
Mots-clés :
- innovation collaborative,
- environnement institutionnel des PME exportatrice
Abstract
Based on explorative study of 20 French and Ukrainian exporting SME, this research highlights the role played by domestic institutional environment in collaborative innovation. Our research builds on institutional profiles theoretical approach, and our results provides evidence that regulatory, normative and cognitive dimensions of domestic institutional environment channel innovative and exporting activities of interviewed firms.
Keywords:
- collaborative innovation,
- institutional environment,
- exporting SMEs
Resumen
Basado en un estudio exploratorio de 20 PYMES exportadoras francesas y ucranianas, esta investigación destaca el papel desempeñado por las practicas de colaboración y el entorno institucional en la innovación de productos. Nuestra investigación se basa en el enfoque teórico de los perfiles institucionales, y nuestros resultados proporcionan evidencia de que las dimensiones regulatorias, normativas y cognitivas del entorno institucional nacional impactan las actividades innovadoras y exportadoras de las empresas entrevistadas.
Palabras clave:
- innovaciones colaborativas,
- entorno institucional,
- PYMES funcionamiento internacional
Article body
Les pouvoirs publics et le monde académique soulignent le fait que les PME exportatrices innovent plus que les PME non-exportatrices (Ganotakis & Love, 2010; Le Moci, 2018). Toutefois, très peu de travaux se sont penchés sur la production d’idées innovantes et sur des mécanismes subjacents à l’innovation dans les PME exportatrices (Griffith & Lee, 2016). Cette différence des pratiques innovantes entre les exportateurs et les non-exportateurs réside, au moins partiellement, dans les collaborations privilégiées que les PME exportatrices entretiennent avec les clients et les distributeurs étrangers (Obadia, 2013). Ces partenaires assurent souvent beaucoup plus qu’un simple rôle de distribution des produits sur les marchés d’export; ils prennent également en charge des tâches relatives à la promotion des produits, ils influencent la tarification à travers la négociation des marges et souvent, ils assurent entièrement l’introduction de nouveaux produits sur les marchés d’export (Obadia & Mogos Descotes, 2017). De plus, la collaboration avec les partenaires étrangers est une source d’information cruciale car ils sont souvent à l’origine des adaptations des produits aux goûts des clients (Li, Cui & Liu, 2017). Ils contribuent ainsi de manière majeure à l’émergence de l’innovation produit collaborative dans les PME exportatrices (Westjohn & Magnusson, 2017). L’innovation collaborative, ou « open innovation », fait référence à la création d’innovation au-delà des frontières de la firme et à travers le partage d’idées, de connaissances, d’expertises et d’opportunités (Demil & Lecocq, 2012).
Malgré une littérature riche sur les liens entre l’innovation et l’internationalisation des PME (Love & Roper, 2015), seul un nombre limité de travaux ont exploré les déterminants de l’innovation produit au sein des PME exportatrices (Griffith & Lee, 2016; Lewandowska et al., 2016). Ces travaux mettent en évidence le rôle des consommateurs finaux et des partenaires variés pour l’innovation produit. Néanmoins, ils ne font ni systématiquement la distinction entre les secteurs B-to-C et B-to-B (Griffith & Lee, 2016), ni entre les différents types de partenaires (importateurs, fournisseurs) (Lewandowska et al., 2016). Notre étude vise d’abord à combler ce manque dans la littérature avant de mettre en évidence les facteurs déterminants de l’innovation produit, en précisant la nature de ces collaborations et leur rôle dans l’émergence de l’innovation produit. Comme ses collaborations émergent dans un cadre institutionnel prédéfini, il nous semble crucial prendre en compte les influences potentielles de l’environnement institutionnel des PME exportatrices. En effet, l’environnement institutionnel national représente un facteur de contingence clé dans le développement des activités exportatrices des PME (Mogos Descotes et al., 2011) et conditionne la capacité de collaboration des entreprises (Berthinier-Poncet, 2014). Afin de mieux cerner l’impact des déterminants externes sur l’innovation et sur l’export (Love & Roper, 2015), notre recherche mobilise l’approche par profils institutionnels, définis comme « l’ensemble des institutions établies dans un pays » (Kostova, 1997, p. 180). Nous nous appuyons sur la conceptualisation des profils institutionnels, spécifiquement développée pour les PME exportatrices par Mogos Descotes et al. (2011). Les auteurs définissent trois dimensions au profil (règlementaire, cognitive et normative) qui caractérisent un pays donné et peuvent impacter l’activité et la performance organisationnelles de manière directe et indirecte. Nous réalisons notre étude en France et en Ukraine, deux environnements institutionnels contrastés. La comparaison des pratiques d’innovation des PME internationalisées, issues de deux environnements différents permet d’approfondir notre compréhension des mécanismes mobilisés pour innover et exporter par ce type d’entreprises. L’approche par profils institutionnels nous permet d’établir une grille d’analyse des comportements organisationnels plus approfondie que l’approche fondée sur les différences culturelles (Busenitz et al., 2000). Ainsi, notre recherche vise à explorer le rôle joué par les collaborations externes et par les piliers des profils institutionnels dans la construction de l’innovation produit.
Ce travail de recherche enrichit la littérature existante sur l’innovation produit dans les PME exportatrices : les comportements des exportateurs en matière d’innovation peuvent être structurés par les piliers des profils institutionnels. Aussi, notre recherche permet aux managers de mieux orienter la recherche des ressources et elle permet aux pouvoirs publics de proposer des politiques de soutien adaptées aux défis et aux besoins des entreprises.
Dans la première partie de l’article, nous présentons l’importance des collaborations externes dans l’émergence des innovations et du rôle joué par les profils institutionnels. Ensuite, nous exposons l’approche méthodologique mobilisée avant de présenter les résultats, les conclusions, les limites et les voies futures de recherche.
Revue de la littérature
Le rôle des collaborations avec les partenaires externes
Les collaborations sont définies comme des relations inter-organisationnelles, caractérisées par un haut niveau d’intégration, par la transparence, par la synergie, mais aussi par un engagement des partenaires (Emden et al., 2006). Le passage de l’innovation par le producteur à l’innovation collaborative est mis en avant dans les travaux de Baldwin et von Hippel (2011) et de Chesbrough (2006). Dans notre recherche, nous nous appuyons sur la conceptualisation proposée par Chesbrough (2006) qui définit l’innovation collaborative comme le partage de connaissances, d’idées, d’opportunités au-delà des frontières de la firme (Demil & Lecocq, 2012). Dans cette conception, les auteurs identifient trois processus : inside-out (ex. : la vente des idées), outside-in (ex. : la collaboration avec les clients et les fournisseurs) et innovation conjointe (ex. : la recherche des compétences complémentaires) (Demil & Lecocq, 2012). Si les travaux de von Hippel (2005) mettent davantage en avant le rôle des consommateurs experts, le cadre proposé par Chesbrough (2006) convient mieux à l’analyse des pratiques collaboratives inter-organisationnelles.
La littérature souligne l’importance des différents acteurs de la chaîne de valeur : les fournisseurs, les organismes de recherche, les clients (Pierre & Fernandez, 2018). Dans le cas des relations inter-organisationnelles, la proximité avec les clients et l’implication des clients industriels impactent fortement l’effort investi dans l’innovation (Krolikowski & Yuan, 2017) et la nouveauté des produits (Chen et al., 2017). En ce qui concerne les clients B-to-C, l’orientation vers les clients au sein des PME, l’utilisation des informations transmises par les clients pour le développement des produits auront un impact positif sur le degré de nouveauté du produit (Salavou, 2005). Il est à souligner que l’intégration des clients aux processus de l’innovation peut avoir des effets négatifs : des risques liés à la redondance de la connaissance et aux comportements opportunistes des clients industriels, ce qui peut nuire au développement de nouveaux produits (Noordhof et al., 2011).
Même si peu de travaux explorent les innovations collaboratives au sein des entreprises exportatrices (Griffith & Lee, 2016), leurs bénéfices en ressortent clairement : l’impulsion de l’innovation (produit) (Silva et al., 2018), une plus grande intensité exportatrice des nouveaux produits (Lewandowska et al., 2016), la mise en place d’une stratégie de différenciation fondée sur l’innovation (Lisboa et al., 2011) et ultimement la création d’un avantage concurrentiel (Obadia et al., 2015). Les auteurs analysent deux formes d’intégration des partenaires à l’export : les importateurs comme source de connaissances et comme co-développeurs (Silva et al., 2018). L’intégration des clients étrangers améliore l’avantage lié au produit dans le contexte des collaborations internationales (Griffith & Lee, 2016). Il apparaît important d’approfondir la compréhension du rôle des partenaires étrangers dans le développement des innovations par les PME exportatrices.
Notons que les pratiques managériales en matière d’innovation, et plus particulièrement les collaborations pour le développement et la commercialisation des produits peuvent dépendre du cadre institutionnel national. D’une part, les trois dimensions institutionnelles (réglementaire, normative, cognitive) peuvent renforcer la collaboration interentreprises et ainsi la performance des innovations (Schott & Jensen, 2016). D’autre part, le transfert des connaissances entre les partenaires internationaux est bénéfique pour le développement des innovations dans les environnements avec des institutions faibles (l’État de droit fragilisé, l’apprentissage mutuel peu valorisé au sein d’une société) (Rosenbusch et al., 2019). Ainsi, il apparaît important d’analyser les facteurs déterminants de l’innovation collaborative des exportateurs en nous fondant sur les dimensions de l’environnement institutionnel.
Le rôle joué par l’environnement institutionnel domestique
Dans notre recherche, nous mobilisons l’approche par profils institutionnels proposé par Kostova (1997, p. 180) qui les définit comme « l’ensemble de toutes les institutions pertinentes, établies dans un pays, et transmises à des organisations par les individus ». Les recherches antérieures identifient les facteurs issus de l’environnement institutionnel comme déterminants des pratiques organisationnelles liées à l’innovation (Berthinier-Poncet, 2014). Plus précisément, nous nous référons à la conceptualisation des piliers des profils institutionnels développée par Mogos Descotes et al. (2011) spécifiquement pour le contexte des PME exportatrices. Selon les auteurs :
le pilier règlementaire comprend la législation, les règlementations écrites et les politiques gouvernementales qui peuvent soutenir ou limiter l’acquisition des ressources nécessaires à l’internationalisation;
le pilier cognitif intègre, en plus de la connaissance sociale et des modèles mentaux, les pratiques et la connaissance liées à la commercialisation des produits à l’export;
le pilier normatif reflète les normes sociales, les valeurs et les croyances liées à l’activité entrepreneuriale et à l’entrepreneuriat à l’international.
La dimension règlementaire de l’environnement institutionnel est un déterminant important de l’innovation (Keizer et al., 2002) et de l’activité exportatrice (Ngo et al., 2016). Le recours aux financements publics pour le développement des innovations semble être un des facteurs indispensables pour la réussite du projet innovant (Keizer et al., 2002). De plus, un appui politique par des actions de lobbying (Berthinier-Poncet, 2014; Berthinier-Poncet et al., 2017) ainsi que le soutien institutionnel au networking et à la collaboration (Schott & Jensen, 2016) ont un effet positif sur l’innovation. La stabilité et la spécificité des institutions domestiques (la protection de la propriété privée) et l’applicabilité du droit peuvent améliorer la performance exportatrice des entreprises (Ngo et al., 2016). À l’inverse, une bureaucratie (élevée), qui parfois caractérise l’accès aux programmes de soutien, constitue une barrière pour les PME exportatrices (Manolopoulos et al., 2018).
La dimension cognitive comprend les aspects liés à l’acquisition et au traitement de la connaissance externe (Mogos Descotes et al., 2011). La gestion de la connaissance des marchés export influence aussi bien l’activité exportatrice que l’activité innovante (Boso et al., 2012). À travers la mise en place des pratiques managériales de conceptualisation et de développement de la capacité d’absorption de la connaissance, le pilier cognitif favorise l’innovation au sein des organisations (Berthinier-Poncet, 2014; Berthinier-Poncet et al., 2017).
La dimension normative fait référence à la perception des activités entrepreneuriales dans un pays, le système des valeurs et des convictions partagées au sein d’une société (Busenitz et al., 2000). L’ensemble de ces facteurs influence l’orientation entrepreneuriale et l’engagement individuel dans les activités créatives, innovantes, commerciales sur les marchés domestiques et étrangers (Bruton et al., 2010; Busenitz et al., 2000).
Le pilier normatif intègre également les aspects liés à l’identité entrepreneuriale, définie comme « une constellation d’affirmations autour des fondateurs, de l’organisation, de l’opportunité du marché d’une entité entrepreneuriale » (Navis & Glynn 2011, p. 480). Les représentations sociales et l’identité peuvent être alignées ou en décalage. Cela oblige les organisations à adopter des comportements pour le maintien ou l’ajustement des deux (Gioia et al., 2000). À travers les pratiques managériales de construction identitaire et l’image positive (de l’entrepreneuriat, de l’innovation), le pilier normatif stimule le développement de l’innovation (Berthinier-Poncet, 2014; Berthinier-Poncet et al., 2017).
Dans notre recherche, le pilier réglementaire fait références aux politiques de soutien et à la réglementation; le pilier cognitif a trait à la connaissance des marchés export, des clients; le pilier normatif est en étroit lien avec l’image et l’identité entrepreneuriale des exportateurs. L’ensemble des piliers peut avoir un impact sur l’innovation collaborative et l’activité exportatrice à travers le développement des pratiques managériales spécifiques. Nous proposons la grille d’analyse suivante des pratiques, de la recherche des ressources pour l’innovation en fonction des piliers des profils domestiques des entreprises étudiées :
Méthodologie
Notre principal questionnement porte sur la construction de l’innovation produit par des PME exportatrices, en tenant compte de leurs collaborations externes et des environnements institutionnels auxquels elles sont confrontées. Pour y répondre, nous avons mobilisé une approche par entretiens semi-directifs qui nous a permis d’accéder à la vision des acteurs impliqués dans ces pratiques (Creswell, 2003).
En référence à la définition des PME de l’Union Européenne, nous avons inclus les entreprises qui emploient moins de 250 salariés et qui ont un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros (Journal Officiel, 2003)[1]. La littérature académique n’offre pas de définition standardisée d’une PME exportatrice (Cerrato, et al., 2016). Les auteurs peuvent s’appuyer aussi bien sur les comportements à l’export et la structuration de l’activité internationale (Aggarwal et al., 2011) que sur l’engagement et le comportement (Cerrato, et al., 2016). Par ailleurs, les exportations sont de moins en moins linéaires (Dominguez & Mayrhofer, 2017), les activités internationales intermittentes font l’objet de travaux de recherche récents (Bernini et al., 2016). Selon INSEE, les exportations correspondent aux « ventes déclarées hors pays de résidences »[2]. Ces ventes peuvent prendre des formes variées : directes, indirectes, l’octroi des licences. Ainsi, dans la lignée des travaux antérieurs sur l’innovation et l’internationalisation (Filipescu et al., 2013), nous avons mobilisé les critères de sélection suivants : la taille, le secteur, le chiffre d’affaires à l’export, l’expérience et le mode d’entrée sur les marchés internationaux (Tableau 2). Nous avons réalisé un entretien par entreprise avec le dirigeant ou le responsable export, car il s’agit des fonctions qui centralisent la prise de décision dans les PME (Filipescu, 2010). L’ensemble des entretiens s’est déroulé en face-à-face (octobre-décembre 2016).
Comme les motivations d’internationalisation varient en fonction du niveau de développement des institutions domestiques (Manolopoulos et al., 2018), il convient, dès lors qu’on étudie le rôle de l’environnement institutionnel dans le développement international, de comparer des environnements différents (Cuervo-Cazurra et al., 2018). Ainsi, il nous a semblé pertinent de comparer l’impact des environnements institutionnels nationaux sur l’innovation collaborative des pays assez contrastés, la France et l’Ukraine.
L’Ukraine, un pays au passé communiste, a connu au cours des vingt-six dernières années des transformations sociétales, politiques et économiques profondes : le passage d’un régime politique fermé vers un régime politique démocratique, avec comme conséquence la construction de l’économie de marché. Ces économies, appelées de transition, possèdent un certain nombre de caractéristiques impactant le développement commercial des entreprises : des inégalités en matière de distribution des richesses, un taux de chômage élevé, le manque d’accès aux financements etc. (EBRD Transition Report, 2016). De plus, dans les économies postcommunistes, le développement commercial est fondé sur le réseau personnel et la capacité relationnelle du dirigeant (Aidis et al., 2008); ce qui peut avoir d’importantes conséquences sur l’aisance de ces entreprises à développer l’innovation collaborative.
Nous avons rencontré dix exportateurs en France et dix en Ukraine, afin d’explorer les pratiques organisationnelles relatives à l’innovation collaborative. Les entretiens ont été menés par un enquêteur bilingue et biculturel, maîtrisant les contextes des deux pays concernés. Le principe de saturation d’informations nouvelles a guidé la fin de notre collecte d’entretiens (Kaufmann, 2011).
Les PME exportatrices françaises, tout comme leurs homologues ukrainiennes (Tableau 2) varient selon la taille (entre 10 et 200 salariés), l’expérience export (entre 3 et 45 ans pour les PME françaises et entre 2 et 25 ans pour les ukrainiennes) et le pourcentage du chiffre d’affaires à l’export (entre 5 % et 90 % en France versus 100 % en Ukraine), ainsi que les modes de présence (ventes directes et indirectes).
Nous notons des différences réelles entre les deux sous-échantillons. Les PME ukrainiennes ont moins d’expérience à l’export (en nombre d’années). Cet écart peut être expliqué par le fait que la création d’entreprises privées n’a été possible en Ukraine qu’à partir de 1991, l’année à laquelle ce pays a obtenu l’indépendance et a réorienté le développement économique. Aussi, certaines entreprises ukrainiennes exportent environ 100 % de leur production tandis que les exportateurs français, à l’exception du répondant 10, atteignent au maximum 50 % du CA à l’export. Ces écarts peuvent être analysés, du moins en partie, en tenant compte de l’environnement institutionnel. La corruption reste un élément important du contexte local ukrainien, qui peut entraver l’allocation des ressources à l’égard du soutien des activités internationales des entreprises (Manolopoulos et al., 2018). Ainsi, en s’internationalisant, les entreprises cherchent à « fuir » la pression institutionnelle, l’instabilité du marché domestique et la corruption (Cuervo-Cazurra & Ramamurti, 2017).
Dans le cas des PME françaises, les chiffres absolus témoignent d’un faible niveau des exportations : la moitié des PME françaises (hors micro-entreprises) réalisent un chiffre d’affaires à l’export inférieur à 275 000 euros (INSEE, 2018)[3]. Ces données nous orientent vers d’autres critères : la croissance de l’activité sur une période donnée pour une entreprise, l’importance perçue de l’activité internationale et les développements prévus sur les marchés export. Nous avons inclus ces questionnements dans les entretiens pour nous assurer que les entreprises interrogées accordent de l’importance et projettent de poursuivre le développement à l’international.
Opérationnalisation des concepts et codage des données
La construction du guide d’entretien est fondée sur la revue de littérature réalisée (Dumez, 2013) et détaillée ci-dessous.
Innovation. Dans ce travail de recherche, nous nous référons à la définition proposée par l’OCDE (Manuel d’Oslo, 2005) et considérons un nouveau produit ou un produit amélioré. Aussi, nous faisons une distinction entre un nouveau produit et un nouveau service : les déterminants d’innovation (Homburg & Kuehnl, 2014) et la perception du degré de nouveauté (Szymansky et al., 2007) diffèrent entre un produit et un service. Ainsi, les questions portent sur le développement des nouveaux produits en cours ou durant la période des trois dernières années, l’amélioration ou la modification des produits existants, l’adaptation des produits aux marchés export (Filipescu et al., 2013). Afin de déterminer si l’innovation produit est de nature collaborative, nous nous sommes intéressés à la place des acteurs externes dans le développement des nouveaux produits : les collaborations avec les clients et les fournisseurs, ainsi que les collaborations avec les centres de connaissances (Demil & Lecocq, 2012; Chesbrough, 2008).
Profils institutionnels. Dans la lignée des opérationnalisations développées par Mogos Descotes et al. (2011), les questions portent sur les politiques d’accompagnement à l’export (pilier règlementaire), l’image de l’entrepreneur et de l’entrepreneuriat international (pilier normatif), mais aussi sur la connaissance des clients à l’export (pilier cognitif).
Dans le recodage et l’analyse des données recueillies, nous avons appliqué les principes suggérés par Point et Fourboul (2006). Après la retranscription des entretiens, nous avons procédé au recodage thématique à l’aide du logiciel Nvivo. Le codage en un tour a été effectué avec l’appui du guide d’entretien qui a servi comme base pour la grille. Le guide d’entretien a abordé les thématiques suivantes : l’activité exportatrice, la connaissance, l’activité innovante, l’organisation, le marché et l’environnement institutionnel. Chaque thématique inclut des sous-thématiques, et cette structure est commune à l’ensemble des données. Nous présentons les principaux résultats dans la section suivante.
Résultats
Les pratiques d’innovation collaborative mobilisées peuvent être structurés selon trois piliers.
Le pilier cognitif et les pratiques collaboratives (innovation outside-in & innovation conjointe)
Recherche de connaissances comme pratique de l’innovation outside-in
Lors des entretiens, nous avons essayé de comprendre si les exportateurs interrogés connaissaient leurs clients et maîtrisaient les informations nécessaires pour développer leur activité export et pour innover. Les entreprises semblent être fortement orientées vers les clients.
Les exportateurs français disent bien connaître leurs clients et savoir « où chercher [les informations] » (RF10). La veille commerciale auprès des clients existants occupe une place importante, selon un des responsables export : « […] je fais pas mal de veille commerciale. C’est toujours intéressant […] » (RF7). La communication fréquente avec les clients est un des outils mobilisés. Un des répondants précise : « Les clients récurrents, on les a trois-quatre fois par semaine au téléphone » (RF2). La veille commerciale auprès des prospects peut se faire en mobilisant les dispositifs proposés par les organismes publics (Chambres de Commerce et d’Industrie). Nos répondants mettent en avant les instruments tels que « la participation aux missions de prospection » (RF5) ou des « éclairage[s] sur le pays c’est-à-dire un produit spécifique » (RF6).
Contrairement aux exportateurs français, les exportateurs ukrainiens ont un discours plus mitigé : la connaissance est souvent transmise par un intermédiaire, comme nous l’explique un des chefs d’entreprise : « Nous ne les connaissons pas bien. Pourquoi ? Nous ne travaillons pas directement avec eux, nos partenaires nous donnent des informations » (RU3). Aussi, certaines relations d’affaires peuvent être interrompues sans explication : « Nous avons travaillé avec des clients pendant quelques années, […] plusieurs commandes de suite, et après ils disparaissent » (RU4).
Bien que la pratique de veille commerciale auprès des clients et des prospects soit un instrument valorisé par les répondants, le recours à cette pratique apparaît être différent selon les catégories des répondants : les managers français semblent avoir plus d’aisance dans l’acquisition de la connaissance des clients et des prospects que leurs collègues ukrainiens.
La veille technologique est intégrée dans la veille commerciale : les entreprises restent vigilantes et étudient la possibilité de développement des produits absents de leur catalogue. Le directeur commercial d’une usine témoigne : « Ils peuvent demander : « vous faites ça ? » - « Non », mais [les commerciaux] ils savent qu’il faut me ramener un échantillon, qu’on regarde ici ce que c’est » (RU2). Par ailleurs, les nouveaux développements des matières premières, des matières écologiques peuvent être à l’origine des nouveaux produits : « Lorsqu’un nouveau gaz, un nouveau produit, est produit, on va le tester » (RF5)
Enfin, les entreprises exportatrices françaises et ukrainiennes s’appuient sur les normes socio-culturelles pour mieux adapter les produits à l’export. Un des responsables nous explique la prise en compte de la culture et des traditions locales pour satisfaire les consommateurs finaux : « En Norvège, le style est plus sobre, nous devons proposer des collections vraiment différenciées de ce point de vue-là » (RU10).
Notons que l’identification des besoins des clients constitue une source importante d’innovation pour les PME (Spithoven et al., 2013) de même que la capacité d’absorption (Ali et al., 2016) et l’apprentissage des marchés export (Golovko & Valentini, 2014).
Innovation conjointe avec les clients et les fournisseurs
En plus d’être une source de connaissances importante, les clients sont couramment impliqués dans le développement des produits. Leurs demandes directes figurent parmi les premières sources d’innovation : les produits développés « répondent à la demande clientèle » (RF2). Les discours des entreprises interrogées font ressortir deux aspects.
Dans un premier temps, le développement des produits « sur mesure » se fait en mobilisant à la fois les ressources des entreprises interrogées et les ressources des clients/importateurs. Cette capacité de créer des produits plus personnalisés est considérée comme un avantage concurrentiel : « On se caractérise par rapport à nos deux autres concurrents par une adaptation beaucoup plus grande, […] on va vraiment fabriquer le produit sur mesure » (RF5). Les clients interviennent aussi pour valider les modifications : « Elle peut nous envoyer […] des photos de ce qu’elle veut qu’on change » (RU4).
Dans un deuxième temps, la relation repose sur les principes de partenariats avec les clients. La collaboration des équipes dans un climat de confiance est mise en avant : « L’innovation, elle est permanente, mais elle est en relation avec nos clients. On est plus dans une stratégie de partenariat avec nos clients » (RF4). Notons également que les managers ukrainiens privilégient des relations proches, « presqu’amicales, ça aide pour la suite » (RU10). Pour rassurer les clients, ils organisent des visites pour « voir les conditions, que la production soit sans risque. » (RU6).
Les fournisseurs et les centres de connaissances font également partie des acteurs impliqués dans l’innovation collaborative. La phase de conception et de test semble être particulièrement concernée : « L’avantage […] c’est qu’ils ont des laboratoires de très haut niveau, nous pouvons tester nos produits » (RU2). La coopération avec les centres de connaissance permet d’assurer une complémentarité des compétences. Nos répondants citent deux cas de figure :
le recours à une expertise ponctuelle : « on peut aller chercher des experts pour des points particuliers, typiquement les poissons, on n’y connaît pas grand-chose » (RF10)
le co-développement sur la base contractuelle : « Nous avons créé ensemble l’électronique, et même, nous avons testé ensemble l’équipement […] Nous avons un contrat avec eux [un centre de recherche] » (RU3).
Ainsi, le pilier cognitif structure les processus de l’innovation collaborative de manière suivante : les développements avec les fournisseurs et avec les clients s’inscrivent dans les processus outside-in et de l’innovation conjointe. Les entreprises profitent des connaissances, des compétences et des ressources de leurs partenaires pour développer des produits. Dans la lignée des travaux de Silva et al. (2018), nous distinguons deux catégories de clients : les clients comme source de connaissances et les clients comme co-développeurs. Les fournisseurs et les centres de connaissances offrent une complémentarité des ressources. Nous proposons la synthèse des pratiques collaboratives mobilisées dans le tableau 3.
Pilier règlementaire : la veille règlementaire et l’action de l’État
Exigences règlementaires et techniques comme source d’innovation
L’activité exportatrice impose aux entreprises le respect de tout un cadre règlementaire qui peut avoir un impact sur l’adaptation des produits aux marchés ciblés. Nous pouvons assimiler ce processus à la pratique collaborative outside-in. Dans un premier temps, la veille règlementaire apporte des réflexions sur la composition des produits notamment au sein du secteur agroalimentaire. Un des chefs d’entreprise nous expliquait avoir changé les recettes des produits vendus en Europe : « l’huile de palme, on ne peut pas utiliser en Europe, ici on peut. Nous on essaie de n’utiliser que ce qui est autorisé là-bas » (RU6). Aussi, l’ensemble des répondants indique effectuer une veille relative aux divers dispositifs règlementaires qui peuvent avoir une influence sur l’ensemble des éléments du marketing mix : « tout ce qui est étiquetage » (RF6), ou la tarification qui oblige « étudier toutes ces questions : transports, et autres exigences du pays » (RU5). Il s’agit d’une adaptation requise qui ne laisse pas d’autre choix à l’exportateur (Westjohn & Magnusson, 2017).
Dans un second temps, les exigences règlementaires techniques peuvent devenir un frein à l’export : l’adaptation technologique est difficilement envisageable. Il peut s’agir des ressources temporelles comme dans le cas du RF10 : « ça nous prendrait un temps infini pour se mettre à jour par rapport à des requis pays. Typiquement l’Amérique du Nord ». Il peut aussi être question du savoir-faire : « on s’adapte si on peut faire, si on peut pas faire, on prend pas le marché, si c’est trop compliqué » (RF6). La littérature académique met en évidence l’influence souvent positive de l’environnement institutionnel du « pays hôte » sur l’innovation de l’exportateur (Wu et al., 2016). Toutefois, nos résultats suggèrent qu’il existe un certain seuil d’adaptation des produits, au-delà duquel l’exportateur ne pourra pas progresser, en raison des coûts engendrés, de nature variée : financière, temporelle, en termes de ressources déployées.
L’action de l’État
L’accompagnement institutionnel, les instruments d’aide à l’innovation apparaissent comme des déterminants importants de la capacité d’innover (Keizer et al., 2002). Les répondants français disent connaître plutôt bien les dispositifs français et européens et d’en mobiliser certains, malgré leur complexité : « il y a beaucoup de choses, mais pas forcément simples d’accès » (RF9). La collaboration pour l’innovation peut passer par des projets d’accompagnement européens. Par exemple, dans le secteur aéronautique : « On est dans le projet H2020 européen. On a terminé aussi un projet européen EURIPIDES » (RF4).
En ce qui concerne le développement à l’international, les exportateurs français, bien que globalement critiques envers l’action des instances publiques, évaluent les programmes d’accompagnement des CCI, des actions et des compétences d’autres organismes de manière positive : « On est tout à fait satisfaits. Tous les accompagnements qu’on a pu avoir, on a trouvé des personnes efficaces » (RF3).
Le contexte institutionnel ukrainien est très différent : « Les conditions pour les exportateurs sont drastiques » (RU10). Une instabilité économique, le manque d’accès aux ressources financières deviennent des freins au développement des activités innovantes et exportatrices. Il existe peu de dispositifs d’aide à l’innovation et à l’export : « L’État n’a pas ces moyens » (RU3). Un des répondants résume : « Un État pauvre ne peut financer de grandes recherches » (RU2). Certains répondants connaissent les programmes européens pour l’innovation et envisagent des collaborations institutionnelles au-delà des frontières ukrainiennes : « je prépare, je discute […] des dotations, des subventions, comme la Banque Européenne de Reconstruction et de Développement » (RU3).
De manière générale, les répondants ukrainiens soulignent l’absence de transparence, la nécessité d’« avoir des connexions » (RU4). Les entreprises interrogées dénoncent la pression des institutions de contrôle : « Ils [diverses instances de contrôle] viennent tout le temps, même hors calendrier ! Beaucoup trop de contrôle ! » (RU2).
Ainsi, la majeure différence entre les deux groupes de répondants concerne la place occupée par l’action de l’État pour les entreprises. Si les entreprises françaises disent connaître et mobiliser les dispositifs d’aide à l’innovation et à l’export, les entreprises ukrainiennes soulignent l’absence des dispositifs, le manque de transparence et d’accès aux ressources financières. Nos résultats vont dans le sens des travaux antérieurs soulignant l’importance des politiques publiques de soutien à l’innovation (Keizer, 2002) : la transparence gouvernementale, les politiques publiques de soutien ainsi que le respect du droit stimulent la capacité d’innovation collaborative au sein des entreprises exportatrices (Zhang et al., 2017).
En guise de conclusion, notons que le pilier règlementaire peut devenir structurant dans les activités d’innovation collaborative. La veille règlementaire, un processus outside-in, se situe entre les piliers cognitif et règlementaire. Même s’il s’agit d’une pratique d’acquisition de la connaissance relative aux normes sur les marchés export, cette connaissance est produite et souvent détenue par les institutions publiques, avec un accès parfois limité. Aussi, l’accompagnement institutionnel peut directement ou indirectement stimuler les pratiques d’innovation collaborative (comme le soutien des consortiums pour l’innovation). Nous résumons l’ensemble des pratiques dans le tableau 4.
Pilier normatif : image et identité de l’entrepreneur
Image de l’entrepreneur
Les exportateurs français comparent la perception de l’entrepreneur au sein de la société française avec celle dans les autres pays, en regrettant une image plutôt négative en France. Un directeur commercial témoigne : « Il y a une jalousie en France alors qu’il y a l’envie de faire pareil aux États Unis » (RF4). Toutefois, la plupart des répondants nuance en précisant que l’image est en train d’évoluer : « une petite révolution s’opère maintenant où l’entrepreneur est de moins en moins mal vu » (RF10).
A contrario, en Ukraine l’image de l’entrepreneur semble être positive, « très cool » (RU1, RU9). Certaines différences régionales sont toutefois mises en avant : « Nous sommes dans l’Ukraine de l’Ouest. Ici tout le monde entreprend ! Ici, il n’y a pas de grandes entreprises […] Si on va à Lougansk, à Donetsk, à Dnipropetrovsk, […] ils auront une mauvaise opinion des entrepreneurs » (RU5).
Ainsi, l’image de l’entrepreneur semble différente dans les deux pays étudiés. D’une part, au sein de la société française, la perception de l’entrepreneuriat apparaît moins positive qu’au sein de la société ukrainienne. D’autre part, les répondants français précisent que l’évolution positive de la perception de l’entrepreneuriat s’opère en France.
Le rôle de l’entrepreneur
Les exportateurs français évoquent la création de l’emploi comme marquage fort de l’entrepreneuriat : « les gisements d’emplois sont vraiment dans les PME » (RF5). Les répondants soulignent l’importance d’appartenir à un tissu économique, une nécessité de s’intégrer dans les réseaux, de coopérer : « Il faut vraiment s’encourager les uns les autres, serrer les coudes […] pour préserver ce tissu » (RF3). Enfin, il y a également une volonté d’encourager d’entreprendre : il est important de « favoriser ces initiatives [création d’entreprises] » (RF5).
C’est une thématique qui semble préoccuper les répondants, car nous observons un certain engagement pour la promotion de l’entrepreneuriat, en partie en réponse à cette image. Cet engagement passe par la transmission de la pratique de l’entrepreneuriat et de l’envie d’entreprendre à travers les interventions auprès des étudiants : « J’ai une intervention pour montrer aux étudiants qu’ils peuvent être aussi chefs d’entreprise […]La vision, je pense qu’elle ne peut changer que par cette génération en cours qui est plus sensibilisée à la création de l’entreprise et qui va dynamiser cette image » (RF6).
Les répondants ukrainiens évoquent davantage la notion de « respect » et l’action pour la communauté. Selon les interlocuteurs, ce respect et cette image sont dus à un engagement pour la communauté : les travaux de réparation des espaces communs, le sponsoring des clubs de sport, des colonies de vacances. « Beaucoup font ça, parmi ceux qui sont dans les affaires, qui ont de l’argent et qui aiment le sport […] Il y en a qui financent des équipes de foot junior, des clubs de karaté, etc. » (RU4). Il est à noter que l’intéressement fiscal permet aux entreprises d’investir dans ces projets, mais pour quelques-uns des répondants il s’agit aussi d’une philosophie : « Une entreprise ne peut être fermée sur elle-même. On ne peut pas créer un cercle confortable pour soi, quand autour il y a des routes défoncées, des clôtures cassées » (RU3).
L’identité de l’entrepreneur français est fortement marquée par la création de l’emploi et par l’encouragement de l’entrepreneuriat. Les entrepreneurs ukrainiens font apparaître leur action pour l’intérêt commun à travers la description des projets à portée sociale. Néanmoins, précisons que les institutions officielles ukrainiennes et l’État de manière générale traversent une crise et sont affaiblies. Dans ce cadre, les entrepreneurs, comme membres actifs de la société, prennent l’initiative de s’engager dans les actions avec un certain impact local d’ordre sociétal. Enfin, bien qu’il ne s’agisse pas de l’impact direct sur des pratiques de l’innovation collaborative, nous notons que les deux catégories de répondants réalisent des actions en lien avec la capacité d’innover pour répondre ou influencer leur environnement. La promotion de l’entrepreneuriat, dans le cas des répondants français, ou les actions à portée sociale, dans le cas des répondants ukrainien, sont des pratiques orientées vers l’alignement et le maintien de l’image et de l’identité, selon Gioia et al. (2000).
Discussion des résultats
Globalement, nos résultats mettent en lumière le rôle déterminant de deux piliers - cognitif et règlementaire - du profil institutionnel dans le processus d’innovation.
Le pilier cognitif : le processus outside-in et l’innovation conjointe. Rappelons que le pilier cognitif comprend la connaissance relative aux marchés étrangers ainsi que la gestion de la relation client. Nous constatons, indépendamment du pays, une forte orientation vers les clients des PME interrogées. Les connaissances liées aux clients et aux marchés sont les ressources critiques et constituent une condition sine qua non pour modifier et adapter les produits aux pays ciblés, comme observé par Chesbrough et al. (2008). Les répondants mobilisent la veille commerciale (une pratique outside-in) et dépendent de la connaissance des partenaires, ainsi que de la qualité des relations d’affaires développées avec les clients/importateurs pour innover. Nous observons quelques différences entre deux catégories de répondants. Pour les exportateurs français un consensus est établi quant à la fréquence de communication avec les clients et les partenaires commerciaux. Les répondants ukrainiens, quant à eux, reconnaissent des échecs de communication ou encore un certain degré d’incertitude lié à la connaissance (des marchés d’export) transmise par les intermédiaires.
L’innovation conjointe est un processus également observé à travers notre étude. Dans la lignée des constats de Silva et al. (2018), les exportateurs interrogés impliquent les clients et les partenaires commerciaux dans le développement/l’adaptation des produits. Cette collaboration est souvent basée sur les partenariats (le cas des exportateurs français), mais peut aussi être appuyée par des relations plus proches, informelles (le cas des exportateurs ukrainiens). L’appui sur les ressources relationnelles, voire sur des relations très personnalisées, est une caractéristique-clé du développement des affaires dans les pays de l’ancien bloc communiste (Aidis et al., 2008). Enfin, pour l’ensemble des PME interviewées, la collaboration avec les centres de connaissances et avec les fournisseurs donne l’accès aux ressources complémentaires, tout particulièrement en phase de conception et de test.
Du point de vue théorique, le pilier cognitif structure les pratiques de l’innovation outside-in et de l’innovation conjointe. Conformément à la conceptualisation de Mogos Descotes et al. (2011), l’acquisition et la génération de la connaissance relative aux marchés d’exportation orientent les entreprises dans leur comportement. Les pratiques managériales de collaboration pour l’innovation avec les partenaires commerciaux sont ancrées dans le fonctionnement des entreprises exportatrices. De plus, nos résultats mettent en lumière l’importance du facteur relationnel, et plus particulièrement l’importance de l’importateur qui n’est pas seulement un partenaire qui implémente la politique du marketing mix (Obadia & Mogos Descotes, 2017). Il devient l’acteur du processus de développement des produits, dès la conception et jusqu’à la commercialisation. Ainsi, la mobilisation de l’importateur, au-delà de son rôle de source de connaissances, devient bénéfique pour la mise en place des innovations. Dans le prolongement des travaux de Mogos Descotes et al. (2011), nous suggérons d’étendre la gestion relationnelle à l’apprentissage relationnel et à l’intégration des partenaires commerciaux dans les processus de l’innovation collaborative.
Pilier règlementaire : l’action de l’État et la veille règlementaire. De manière générale, deux constats peuvent être tirés de nos résultats. Le premier concerne l’importance des instruments d’accompagnement à l’innovation et à l’export. Le second met en évidence l’existence d’une différence majeure entre les piliers règlementaires des pays étudiés.
En effet, l’accompagnement public (financier ou autre), comme dispositif règlementaire peut avoir un impact sur le développement des exportations et des innovations, et indirectement sur la compétitivité (Love & Roper, 2015). Les exportateurs français connaissent et mobilisent différents instruments d’aide proposés par l’État français et par l’UE. En matière d’export, les missions commerciales dans les pays ciblés sont organisées pour un certain nombre d’entreprises ce qui peut également favoriser la coopération inter-entreprises. En ce qui concerne l’innovation, les instruments européens (par exemple, le programme-cadre Horizon2020) ciblent davantage les consortiums d’entités juridiques établis dans les pays-membres. Ainsi, l’ensemble des dispositifs d’accompagnement favorise directement ou indirectement les collaborations pour l’export et pour l’innovation.
Le fonctionnement des institutions nationales et des dispositifs d’accompagnement accentue les différences entre les deux groupes de répondants. Les dispositifs d’aide à l’export ou à l’innovation n’existent pas en Ukraine. Les deux environnements règlementaires se distinguent sur d’autres points : la transparence, la pression institutionnelle, les accès aux financements privés. Ces facteurs impactent également la capacité d’innover des entreprises. Ainsi, dans leur étude du contexte règlementaire russe, Doren et Banjo (2013) mettent en avant les effets négatifs de la qualité de l’environnement règlementaire, de la corruption et de l’État de droit sur la capacité d’innover des entreprises russes. Même si les travaux similaires n’ont pas été menés dans le contexte ukrainien, ces résultats peuvent expliquer une forte orientation des exportateurs ukrainiens vers le développement des relations très proches avec leurs partenaires commerciaux. Si le contexte règlementaire constitue un obstacle au développement, il est possible de compenser cela par les facteurs relationnels. Pour résumer, le pilier réglementaire influence les comportements organisationnels en matière d’innovation collaborative et d’internationalisation. Les deux environnements nationaux étudiés ont peu de similitudes en matière de stabilité politique, des facteurs réglementaires et de l’État de droit. Si les exportateurs français s’orientent vers les soutiens financiers et non-financiers pour soutenir leurs activités exportatrices, leurs homologues ukrainiens cherchent des options alternatives en s’orientant vers des programmes de soutien étrangers, en s’appuyant sur leur ressources relationnelles (à l’export). Nos résultats suggèrent que les profils institutionnels domestiques influencent directement les pratiques managériales en matière de l’innovation collaborative ainsi que les comportements en matière d’exportation.
Conclusion
L’objectif de notre recherche était d’explorer les déterminants de l’innovation produit, issue des pratiques collaboratives, au sein des entreprises exportatrices, dans deux pays aux contextes institutionnels contrastés. Les pratiques collaboratives de développement des innovations reposent sur la complémentarité des ressources dans les PME interviewées. Elles recherchent des connaissances et des compétences auprès d’autres acteurs externes (clients, fournisseurs, etc.).
Le pilier cognitif du profil institutionnel structure les pratiques de l’innovation outside-in et de l’innovation conjointe. Les répondants reconnaissent certaines limites de leur niveau d’expertise et font appel aux partenaires externes, tels que les fournisseurs ou les experts. Il s’agit principalement de deux types de coopération en phase de conception : une consultation ponctuelle ou un partenariat plus long, qui s’inscrit dans la durée. Par ailleurs, si la connaissance du client et de ses besoins est un déterminant-clé de l’innovation, l’implication des clients dans le développement des produits devient une pratique courante au sein des PME interrogées.
L’analyse des discours relatifs au pilier règlementaire met en évidence l’influence de l’environnement règlementaire sur le développement des activités innovantes et exportatrices. Nos résultats mettent en lumière l’importance des mécanismes d’accompagnement à l’innovation, souvent cités parmi les déterminants du développement des nouveaux produits (Keizer et al., 2002). Cet aspect marque une différence entre les deux groupes de répondants. Si en matière d’approche commerciale et de collaborations avec les acteurs externes, les PME françaises et ukrainiennes affichent des similitudes, en matière d’accès aux mécanismes d’accompagnement à l’innovation et à l’export les opportunités sont peu comparables. L’État français met en place des dispositifs variés, parfois jugés complexes. L’État ukrainien a mis en place très peu de mécanismes de soutien au développement des innovations et de l’export. De plus, le pilier règlementaire dans le contexte ukrainien est caractérisé par une forte pression institutionnelle et par la corruption. Si à court terme, la corruption peut stimuler le développement à l’export et indirectement l’innovation (par l’adaptation des produits), à moyen et long terme, le manque de transparence et d’accès aux ressources financières (publiques ou privées) peut freiner la croissance (Manolopoulos et al., 2018).
Contributions
D’un point de vue théorique, nous avons mobilisé l’approche par les profils institutionnels (Kostova, 1997; Mogos Descotes et al., 2011), pour analyser le comportement des exportateurs en matière d’innovation collaborative dans deux pays caractérisés par des profils institutionnels foncièrement différents. La grille d’analyse fondée sur les piliers des profils institutionnels semble permettre une meilleure compréhension des déterminants de l’innovation collaborative au sein des PME exportatrices. De plus, elle constitue une base théorique solide en tant que trame et base de comparaison des comportements des PME exportatrices françaises et ukrainiennes. En effet, nos résultats ont permis de mettre en lumière quelques facteurs différenciateurs :
la gestion de la relation commerciale (la volonté des exportateurs ukrainiens d’établir une relation beaucoup plus proche avec leurs clients);
la coopération avec les institutions publiques (en France, l’existence d’un cadre d’accompagnement très développé; en Ukraine, un manque de ressources et de transparence);
la coexistence de l’image et de l’identité des exportateurs (l’existence de l’alignement entre l’identité et l’image en Ukraine, et la recherche de cet alignement en France).
Enfin, notons que l’innovation collaborative a été étudiée, avant tout, comme un phénomène observé dans la pratique des organisations, et le manque de théories expliquant ce comportement organisationnel a été souligné (Chesbrough et al., 2014). En partie, notre travail contribue à la réflexion sur les fondements théoriques de l’innovation collaborative.
D’un point de vue méthodologique, nous mobilisons une approche qualitative, très peu utilisée dans la littérature académique sur le sujet des interactions entre l’innovation et l’internationalisation. Seulement deux études appliquent ce type de méthodologie a des finalités différentes de notre étude : la première explore l’interaction entre de divers types d’innovation et la performance exportatrice (Filipescu, 2010), la seconde explore la coexistence des stratégies innovante et exportatrice (Louart & Martin, 2012). La comparaison de deux contextes institutionnels différents contribue également à enrichir la littérature académique sur les comportements des exportateurs issus des pays en transition.
Sur la base de ces résultats, les responsables export peuvent tenter d’identifier des partenaires, ayant une expertise et voulant partager et coopérer. Comme on a pu l’observer, les caractéristiques institutionnelles des marchés visés conditionnent également le développement des nouveaux produits. Les exportateurs doivent être capables d’identifier les leviers et d’anticiper les freins pour optimiser l’allocation des ressources (financières, humaines, temporelles) dédiées au développement ou à l’adaptation des produits à ces marchés. Nos résultats peuvent également orienter les pouvoirs publics sur le design des dispositifs d’accompagnement des PME exportatrices innovantes. Les dispositifs règlementaires d’accompagnement, ainsi que les politiques favorables à l’export et à l’investissement pourraient être davantage orientés vers l’identification et la sélection des collaborations, qui permettrait d’améliorer la compétitivité des entreprises et des secteurs.
Limites et voies de recherche
Notre travail n’est pas exempt des limites qui peuvent être adressées dans des recherches futures sur le sujet. Afin d’affiner les conclusions, il serait pertinent d’étudier les pratiques collaboratives du point de vue de l’ensemble des acteurs impliqués dans les processus (par exemple, les dyades exportateur-importateur). Les pratiques de l’innovation conjointe avec les clients, mais aussi avec d’autres partenaires, posent des questions relatives aux effets indésirables, voire négatifs de la relation. Dans le cas des partenariats exportateur-importateur, la qualité de la relation est considérée comme un déterminant de la performance à l’export (Obadia, 2006). Les pratiques de l’innovation conjointe peuvent également être analysées du point de vue de la qualité de la relation entre l’exportateur et l’importateur. Les entreprises interrogées dans le cadre de notre recherche sont issues des secteurs variés. Un focus sur un secteur spécifique permettrait d’apporter des recommandations plus approfondies. Enfin, la mise en place d’une recherche similaire dans un autre contexte institutionnel pourrait enrichir la compréhension de la structuration des pratiques d’innovation collaborative.
Appendices
Notes biographiques
Oksana Kantaruk Pierre est doctorante à l’Université de Lorraine, CEREFIGE, et enseignante contractuelle à l’IAE Metz School of Management. Ses recherches portent sur l’innovation produit et la performance exportatrice des PME.
Raluca Mogos Descotes travaille comme Professeure des Universités au sein de l’ULCO (Université de Littoral Côte d’Opal), LEM (Lille Economie Management UMR 9221). Ses recherches portent sur la performance exportatrice et sur l’influence de l’environnement institutionnel sur les activités exportatrices des PME.
Björn Walliser est Professeur des Universités, Agrégé des Facultés, à l’Université de Lorraine (France), IAE Nancy, School of Management. Il est le responsable du Master marketing et vente à la même université. Ses recherches portent sur le marketing international, la communication et le marketing sportif.
Notes
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Appendices
Biographical notes
Oksana Kantaruk Pierre is Doctoral Student at University of Lorraine (Université de Lorraine), CEREFIGE. Her main research interests are product innovation and SMEs export performance.
Raluca Mogos Descotes works as Professor of Marketing at ULCO (Université de Littoral Côte d’Opal), LEM (Lille Economie Management UMR 9221). Her main research interests are SMEs’ export performance and the influence of the institutional environment on export firms.
Björn Walliser is Professor of Marketing at the University of Lorraine (France), IAE Nancy, School of Management and Director of the Master in Marketing Management at the same university. His main research interests are in the field of international marketing, marketing communication and sports marketing.
Appendices
Notas biograficas
Oksana Kantaruk Pierre es estudiante de Doctorado en la Universidad de Lorraine (Francia), CEREFIGE. Sus investigaciones se centran en el estudio de las innovaciones de productos por las PYMES exportadoras y sus funciones en la actualidad
Raluca Mogos Descotes es profesora en l’ULCO (Universidad de Littoral Côte d’Opal), LEM (Lille EconomieManagement UMR 9221). Sus investigaciones se centran en el rendimiento de las exportaciones y la influencia del entorno institucional en las actividades de exportación de las PYME.
Björn Walliser es Profesor de Marketing en la Universidad de Lorraine (Francia), IAE Nancy, School of Management donde también es director del Máster de Marketing y Ventas. Sus trabajos de investigación están centrados en los campos del marketing internacional, del patrocinio deportivo y comunicación.