Article body

Le Mouvement coopératif occupe une place importante au sein de l’économie mondiale. En effet, l’Alliance Coopérative Internationale (ACI)[1] estime qu’il existe 2,6 millions de coopératives à travers le monde qui répondent aux besoins de plus d’un milliard de personnes. Ces entreprises emploient 12,6 millions de salariés qui gèrent un actif de 20 milliards de dollars US. Elles sont détenues par leurs membres, parties-prenantes de leur activité, et sont gérées selon un principe démocratique « un homme = une voix ». Par conséquent, les coopératives font partie des organisations qualifiées d’hybrides (Battilana et Lee, 2014) qui mobilisent des logiques et des pratiques issues du management des organisations à but lucratif et non lucratif.

La littérature en Sciences de Gestion a mis en lumière les avantages de l’organisation coopérative. Par exemple, dans le secteur financier, ce type d’organisation serait plus pérenne et particulièrement résilient en période de crise économique (Birchall, 2013). Il favoriserait l’innovation dans le secteur agricole (Giannakas et Fulton, 2005). Du fait de leur mode de gouvernance, les coopératives possèderaient un avantage pour capter les ressources nécessaires à leur activité au sein de leur environnement (Núñez-Nickel et Moyano-Fuentes, 2004). Elles seraient également plus crédibles lorsqu’il s’agit de communiquer sur des démarches RSE - Responsabilité Sociale de l’Entreprise - auprès des consommateurs (Lecuyer et al., 2017) ou de commercialiser certains produits (Faure-Ferlet et al., 2017) et favorisent les comportements d’engagement comme la participation aux assemblées générales (Caire et Chevallier, 2018) ou à l’innovation (Béal et Sabadie, 2018). Dans la gestion de leurs employés, les coopératives seraient plus favorables que les entreprises capitalistes à une évolution positive des salaires et de l’emploi (Burdin et Dean, 2009), offriraient une plus grande stabilité de l’emploi (Chevallier, 2013) et proposeraient des emplois plus motivants et décents (Borzaga et al., 2019). Ces recherches se focalisent sur les avantages organisationnels des coopératives. Notre article vise à compléter ces travaux en identifiant si les coopératives possèdent un avantage pour attirer de potentiels employés.

L’attractivité RH d’une entreprise (ou attractivité organisationnelle) est centrale pour comprendre sa capacité à capter des ressources dans son environnement. Dans une perspective de recrutement, l’attractivité organisationnelle est définie comme « une attitude affective positive vis-à-vis d’une organisation qui est associée à la motivation de faire partie de son personnel et de construire une relation avec cette organisation » (Lis, 2012; p.287). Ce concept vise à évaluer l’attrait d’une organisation auprès de salariés potentiels, qui ne font pas encore partie du personnel de l’entreprise. Cette recherche explore donc la question de l’attractivité RH des coopératives en général, c’est-à-dire leur capacité à attirer des employés du fait des valeurs véhiculées par leur mode de gouvernance spécifique. L’ACI définit une coopérative comme une organisation recherchant à défendre des valeurs (plutôt que d’accumuler des bénéfices) telles que l’entraide, la démocratie, l’égalité, l’équité, la solidarité et la responsabilité sociale. Ces valeurs sont susceptibles de justifier l’implication des employés actuels et de contribuer à attirer les employés futurs. L’attractivité organisationnelle repose en effet à la fois sur des éléments de motivation intrinsèque et extrinsèque et notamment sur l’idée d’un partage de valeurs entre l’employé et son employeur potentiel. La théorie du PO fit (Person-Organization fit) permet de comprendre les relations entre les valeurs de l’individu, les valeurs de l’organisation et l’attractivité de cette dernière. Les individus seraient ainsi davantage attirés par les organisations dont les valeurs et les normes de comportement sont congruentes avec les leurs (Chapman et al., 2005; Chatman, 1989; Kristof, 1996). La gouvernance coopérative étant fondée sur des valeurs fortes, mises en valeur et déclinées en principes au niveau international par l’ACI, la question est alors de savoir si les principes coopératifs peuvent influencer l’attractivité RH de l’entreprise en considérant le rôle médiateur du PO fit.

Cette recherche considère cette question dans une optique internationale en s’interrogeant sur le niveau d’analyse pertinent. Le mouvement coopératif est un mouvement mondial et les principes coopératifs ont été conçus pour être déclinés à l’international et ce, quel que soit le type d’organisation. D’une part, le mouvement coopératif actuel comprend de grands groupes internationaux tels que Mondragon, Desjardins ou encore Limagrain et des structures de taille limitées. D’autre part, les principes coopératifs peuvent faire l’objet d’interprétations différentes par les acteurs selon le pays étudié, comme cela a été démontré pour les principes éthiques (D’Iribarne et al., 1998). Tout comme les entreprises multinationales sont amenées à traiter la pluralité des cultures dans leur management des ressources humaines, comprendre l’attractivité RH des coopératives nécessite de prendre en compte ces diversités culturelles d’un continent à l’autre ou d’un pays à l’autre. Pour appréhender ces différences, cette recherche se base sur une collecte de données menée dans dix pays et sur quatre continents. Ses résultats soulignent l’intérêt d’une approche par aires culturelles sur ce thème et contribuent à guider les managers de coopératives afin qu’il fasse de leur gouvernance un atout pour recruter et fidéliser ses employés selon leurs régions d’implantation.

Cadre d’analyse

Afin d’appréhender la capacité des principes coopératifs à améliorer l’attractivité d’un employeur, il convient de sélectionner ceux qui font l’objet d’une perception par de potentiels employés et de comprendre les ressorts de l’attractivité RH pour les mettre en relation. L’analyse se situant ici dans une perspective internationale, la littérature en management interculturel est par ailleurs mobilisée.

Les principes coopératifs

Briscoe et Ward (2000, p.7) définissent une coopérative comme « une entreprise d’aide mutuelle détenue et contrôlée démocratiquement par les personnes qui utilisent ses services ». Cette définition souligne les notions d’aide mutuelle, de création pour l’utilisateur, de propriété et de contrôle démocratiques. Une coopérative est donc une entreprise qui appartient à ses membres, ces derniers pouvant être des producteurs, des distributeurs, des travailleurs ou des consommateurs.

Le mouvement coopératif remonte à l’Antiquité (Davidovic, 1974). Les premières conceptualisations de ce modèle de gouvernance ont été portées par les penseurs socialistes du XIXème siècle (Day, 2005) qui les considéraient comme un moyen, pour les prolétaires, de résister au système économique dominant. Dans ce contexte, le modèle coopératif était vécu comme une alternative s’opposant aux principes capitalistes permettant l’émancipation des communautés défavorisées (Gibson-Graham, 2003). Robert Owen (1836), qui est aujourd’hui considéré comme l’un des fondateurs du système coopératif moderne, envisageait la coopérative comme une organisation permettant de réunir, au sein d’une même communauté, le capital et le travail. La conciliation des intérêts des travailleurs avec ceux des détenteurs du capital est donc l’essence du modèle coopératif.

Le modèle coopératif a beaucoup évolué depuis cette époque et l’opposition au système capitaliste a le plus souvent laissé la place à une coexistence pacifique entre les deux modes de gouvernance sur les mêmes marchés. A l’heure actuelle, la réalité coopérative est diverse et plusieurs types peuvent être distingués selon les membres impliqués (voir tableau 1). Les coopératives de travailleurs ont particulièrement retenu l’attention des chercheurs en ressources humaines, du fait que ces organisations mettent en place des relations de travail particulières favorisant la motivation et l’implication des salariés (Darr, 1999; Spreitzer, 1995). Notre recherche propose de dépasser le périmètre des coopératives de travailleurs en considérant que la gouvernance coopérative peut être attractive même lorsque les employés ne sont pas membres. L’Alliance Coopérative Internationale a mis en avant des valeurs communes à toutes les coopératives afin de préciser « l’identité coopérative » (MacPherson, 1995) : la solidarité des membres, des valeurs humaines supérieures aux valeurs financières (Birchall, 2010) et l’utilité sociale de l’organisation. Ces valeurs ont été déclinées en sept principes d’action[2] : (1) l’ouverture du sociétariat sans discrimination, (2) le contrôle démocratique par les membres sur le principe « un homme = une voix », (3) la participation des membres aux bénéfices, (4) l’autonomie et l’indépendance par rapport aux autres organisations (entreprises et gouvernements), (5) l’information et l’éducation de leurs membres pour assurer le bon fonctionnement de la coopérative, (6) la coopération entre coopératives et (7) la responsabilité sociale envers son milieu.

Les valeurs qui sous-tendent les organisations coopératives sont susceptibles de faire écho aux préoccupations éthiques, sociales et écologiques qui intéressent les citoyens et de guider leurs actions en tant que consommateurs comme en tant qu’employés[3]. Ainsi, un candidat à l’embauche peut être amené à faire un choix entre plusieurs offres d’emploi sur le marché du travail et les sélectionner en tenant compte de critères éthiques (ou RSE), de la finalité et des valeurs des entreprises.

Dans le cadre de notre recherche, quatre des principes de l’Alliance ont été retenus : les pratiques démocratiques en matière de gouvernance, le partage des bénéfices entre les membres, l’ouverture sans discrimination à toute personne qui s’engage à respecter les règles de la coopérative et l’engagement de cette dernière dans le développement de son milieu. En effet, les principes concernant les relations inter-entreprises tels que l’autonomie ou la coopération entre coopératives ne sont pas visibles pour le grand public. De plus, le principe traitant de l’information et de l’éducation des membres est défini par l’Alliance Coopérative Internationale comme un prérequis au bon fonctionnement démocratique de l’organisation. Il n’est donc pas au même niveau que les autres principes. Par ailleurs, nous intégrons à notre modélisation la finalité qui est poursuivie par les coopératives, consistant à défendre l’intérêt des membres. A titre d’exemple, les coopératives de consommateurs ont été créées pour permettre à certaines catégories de populations d’accéder à des produits et services. Ainsi, les consommateurs s’organisent face à une logique de marché qui ne leur permet pas l’accès à des produits/services pour défendre leurs intérêts. Dans le secteur bancaire, la mise en commun du capital permet aux membres de bénéficier de crédits et de ristournes liés à l’utilisation des services de la coopérative.

Tableau 1

Les différents types de coopératives selon les membres

Les différents types de coopératives selon les membres

-> See the list of tables

L’ACI affirme que les principes coopératifs ainsi que la finalité des coopératives sont vecteurs de performance. Nous cherchons ici à déterminer si la nature coopérative et les principes qui y sont associés influencent positivement la performance RH de ces organisations (mesurée par leur attractivité auprès des salariés potentiels). Les principes coopératifs ainsi énoncés restent très généraux et renvoient à des valeurs assez abstraites. Dès lors, l’étude de l’influence de la perception de ces principes abstraits sur la façon dont les relations entre une entreprise et un individu (ici un futur employé) vont s’organiser nécessite une approche culturelle afin de considérer la vision que ces derniers ont de l’Homme et de la Société dans laquelle ils évoluent (Lemieux, 2010).

L’attractivité organisationnelle

Le concept d’attractivité organisationnelle renvoie à l’attrait d’une organisation en tant qu’employeur et au désir de rejoindre cette organisation pour y travailler. Les travaux menés sur ce thème s’intéressent à la fois à l’attractivité générale d’une organisation en tant qu’attitude par rapport à un employeur potentiel et à des intentions spécifiques correspondant à des comportements tels que l’intention de candidater ou l’intention d’accepter une offre d’emploi d’un employeur (Highhouse et al., 2003). Dans le cadre de cette recherche, nous nous inscrivons dans la première perspective dans la mesure où notre recherche vise à évaluer l’influence de la perception des principes coopératifs sur l’attractivité générale d’une organisation (coopérative) en tant qu’employeur.

La littérature souligne que les personnes extérieures à une entreprise (employés potentiels) ne disposent pas d’une information complète sur cette organisation et sont donc dans une situation d’asymétrie d’information. Dans ce contexte et d’après la théorie du signal (Spence, 1973), les informations communiquées par les organisations vont constituer des signaux qui les renseignent sur un employeur potentiel et les amènent à imaginer ce que cela signifierait d’être membre de cette organisation (Rynes et al., 1991). Ainsi, le fait d’être informé sur le mode de gouvernance coopératif d’une entreprise peut représenter un signal permettant à un employé potentiel de faire des inférences sur le travail proposé. Cette information sur la gouvernance peut prendre une forme dénotée (une simple mention du statut coopératif de l’entreprise) ou connotée via l’explicitation des principes et valeurs associés à ce modèle de gouvernance particulier dans la communication institutionnelle de l’entreprise voire dans sa communication de recrutement (Guillot-Soulez et Soulez, 2015). Cependant, aujourd’hui, rares sont les entreprises qui mettent en avant leur statut coopératif au sein de leurs annonces de recrutement du fait d’une incertitude quant à sa perception par le grand public. Pourtant, la littérature en marketing montre que le statut coopératif conduit en général à des associations positives de la part des consommateurs, bien qu’idéalisées, (Faure-Ferlet et al., 2017; Lécuyer et al., 2017) du fait des valeurs de ce modèle d’organisation. En faisant un parallèle entre le consommateur qui choisit un produit et l’employé potentiel qui évalue une offre d’emploi, dès lors que l’individu partage les valeurs du modèle, la mention du statut de la coopérative devrait être un signal positif sur la qualité de l’emploi proposé.

La théorie du PO fit (Person-Organization fit)) permet de comprendre les relations entre les valeurs de l’individu, les valeurs de l’organisation et son attractivité en tant qu’employeur. En effet, d’après la théorie du PO fit, les individus seraient davantage attirés par les organisations dont les valeurs et les normes de comportement sont congruentes avec les leurs (Chapman et al., 2005; Chatman, 1989; Kristof, 1996). Ainsi, les individus interprètent les caractéristiques de l’organisation au regard de leurs propres valeurs et le « fit » est le résultat de leur évaluation de l’interaction entre leurs valeurs personnelles et les caractéristiques de l’organisation (Kristof, 1996). Plus les individus perçoivent l’existence d’un « fit » entre leurs valeurs et celles de l’organisation et plus ils sont attirés par elle (Chapman et al., 2005; Chatman, 1989). La théorie du PO fit trouve son fondement théorique dans le modèle Attraction-Sélection-Attrition de Schneider (1987). Selon ce dernier, la comptabilité entre l’organisation et les valeurs, intérêts et besoins de l’individu prédit les attitudes au travail. Avant l’embauche, les individus sont ainsi attirés par les organisations qui présentent les mêmes valeurs que les leurs. Après l’embauche, les employés dont les valeurs ne sont pas conformes avec l’organisation devraient être amenés à la quitter tandis que ceux dont les valeurs sont compatibles manifesteront des attitudes (identification, satisfaction, engagement, intention de rester…) positives au travail (Kristof-Brown et al. 2005; Ng et Burke, 2005). Ainsi, les valeurs mises en avant par l’organisation peuvent être considérées comme des signaux, susceptibles d’influencer l’identification des salariés, actuels ou potentiels, à l’organisation. Le PO fit apparait donc comme un antécédent de l’attractivité organisationnelle.

Dans le cadre de cette recherche, nous nous intéressons à l’influence de la nature coopérative de l’organisation sur son attractivité en tant qu’employeur (appelée ici attractivité RH). Nous proposons que les principes spécifiques associés au modèle coopératif peuvent influencer leur attractivité en tant qu’employeur via la perception, par le salarié potentiel, d’une compatibilité entre ses valeurs et celles de l’organisation coopérative.

Les coopératives dans une perspective internationale : la question du niveau d’analyse

Les structures coopératives occupent une place importante dans l’économie mondiale. Le Mouvement coopératif est organisé au niveau international avec la présence de l’ACI qui contribue à la représentation de ces organisations et à la mise en avant d’une « identité coopérative » et de valeurs communes à toutes les coopératives. La question de la capacité des coopératives à attirer des employés du fait des valeurs véhiculées par leur mode de gouvernance spécifique pourrait donc être traitée à un niveau international. Néanmoins, la littérature en management international souligne la nécessité d’adopter un niveau d’analyse plus fin afin d’identifier et d’interpréter les différences culturelles. Les approches d’Hofstede et de d’Iribarne, couramment mobilisées en gestion, s’inscrivent dans cette perspective en adoptant un périmètre large via des enquêtes sur un grand nombre de pays, pour le premier, et en procédant à des investigations approfondies sur un nombre plus limité de pays, pour le second. Si ces deux démarches peuvent sembler éloignées, elles n’en sont pas moins complémentaires pour enrichir l’analyse interculturelle. Comme le souligne Dupuis (2008), ces travaux conduisent à discuter du niveau d’analyse pertinent. En effet, si le prisme des cultures nationales est souvent adopté, il peut aussi atteindre ses limites. Au-delà des cultures nationales, un clivage entre les sociétés traditionnelles, plus collectivistes, et les sociétés plus modernes, plus individualistes, ressort de ces travaux. Selon les besoins, l’analyse pourrait donc se faire au niveau de ces deux aires culturelles ou à des niveaux plus fins (Dupuis, 2008). Ainsi, le cadre national n’est pas toujours le plus pertinent, une analyse à un niveau plus global ou, à l’inverse, plus fin (donc en-deçà du cadre national) peut être plus adaptée du fait de la diversité culturelle qui peut caractériser certains pays. Le contexte national constitue un niveau d’analyse valide pour le management interculturel dans le cas des Etats-nations historiques dont les contours sont bien définis mais n’est pas exclusif d’autres niveaux et pas toujours le plus digne d’intérêt dans un environnement soumis à des mouvements contrastés d’uniformisation internationale et d’adaptation locale (Chevrier, 2013, p.30). Dans la majorité des recherches en management international, l’approche par aires culturelles a été adoptée pour considérer les relations qui s’établissent au sein des organisations (House et al., 2004; Trompenaars et Hampden-Turner, 2013). Notre recherche mobilise cette approche afin d’évaluer l’universalisme de l’influence des principes coopératifs sur l’attractivité RH. En effet, bien que l’ACI présente un mouvement coopératif mondial unifié autour de valeurs communes qu’elle formalise, cette conception universaliste ne semble pas acquise lorsqu’il s’agit des perceptions des individus sur le marché du travail. Comme les conceptions de l’organisation diffèrent selon les aires culturelles, elles amènent les individus à ne pas adopter des critères universels pour définir un bon employeur. Par conséquent, en miroir des travaux précédents sur les différences organisationnelles identifiées selon les aires culturelles, nous proposons que chacun des principes coopératifs ainsi que la finalité des coopératives perçus par les individus ne contribuent pas de la même façon selon l’aire culturelle du répondant. Bien que la littérature permette de proposer un lien positif, quelle que soit la localisation du répondant, entre principes coopératifs et attractivité RH via une convergence de valeurs entre l’individu et les valeurs de l’organisation coopérative, nous proposons que le poids de chacun de ces principes est amené à varier selon la zone géographique considérée. En d’autres termes, si les principes et la nature coopérative relèvent d’un certain universalisme, leur influence sur l’attractivité RH devrait être emprunte de particularismes régionaux.

Méthode de recherche

Afin de tester l’influence des principes coopératifs sur l’attractivité organisationnelle et le rôle médiateur du PO fit, une étude quantitative par questionnaires a été conduite. Notre recherche s’appuie sur des données collectées dans dix pays de quatre continents différents. Cette approche globale nous permet de considérer l’influence des principes tels que définis par l’Alliance Coopérative Internationale qui correspondent à un consensus entre les différentes nationalités des membres de l’ACI.

Mesures

La perception des principes coopératifs

Aucune recherche n’a évalué de manière empirique la perception des principes coopératifs par le grand public. C’est pourquoi une phase qualitative de 20 entretiens semi-directifs a permis de formuler quatre items pour chacun des quatre principes coopératifs retenus dans cette recherche. Nous avons ensuite fait évaluer ces items par trois groupes d’experts impliqués dans des organisations coopératives. Nous avons par exemple retenu pour les pratiques démocratiques : « Je crois que les membres de l’entreprise sont incités à donner leur avis sur des sujets importants »; pour l’engagement dans le milieu : « J’estime que cette entreprise a à coeur l’intérêt de son milieu »; pour la répartition des bénéfices : « Selon moi, les profits de cette entreprise sont répartis équitablement entre les membres »; pour l’ouverture du sociétariat (ou membership) : « Je n’ai pas le sentiment que cette entreprise fait de la discrimination envers ses membres, peu importe leur sexe, leur âge, etc. ». Ces entretiens qualitatifs nous ont également conduits à considérer un cinquième élément qui participe à fonder la spécificité perçue d’une coopérative : sa finalité. Ainsi, les répondants considèrent la nature des membres qui créent de la valeur et en bénéficient (clients, employés, agriculteurs, etc.). C’est pourquoi, outre les quatre principes coopératifs étudiés dans cette recherche, nous considérons l’influence de l’orientation stratégique perçue de l’organisation. Selon Narver et Slater (1990), il s’agit de « la culture organisationnelle qui induit les comportements nécessaires pour proposer une valeur supérieure » (p. 21) aux membres (clients, salariés, agriculteurs, etc.). Afin d’appréhender l’orientation membre des coopératives, nous avons adapté la mesure de l’orientation client (Narver et Slater, 1990), par exemple « La satisfaction des [type de membres] est un objectif prioritaire pour cette entreprise ». Si les principes et la finalité coopérative ont été bien établis par l’ACI, ces derniers ne sont pas exclusifs aux coopératives. Ainsi, une entreprise à actionnariat familial peut adopter des pratiques démocratiques et oeuvrer en faveur de son environnement socio-économique sans que cela ne soit érigé en principe lié à sa forme juridique. Dans cette recherche, seul le cas des organisations coopératives est considéré. L’influence de leurs principes sur leur attractivité RH est donc évaluée sans considérer leur caractère exclusif.

PO fit et attractivité RH

Dans l’enquête, les répondants devaient d’abord citer une entreprise coopérative. Ils étaient ensuite interrogés sur le PO fit et l’attractivité RH de la coopérative citée. Le PO fit a été évalué grâce à l’échelle de Resick et al. (2007) en 5 items (par exemple : « Je sens que les valeurs de cette entreprise sont semblables à mes propres valeurs »). L’attractivité de l’entreprise en tant qu’employeur (attractivité RH) a quant à elle été mesurée en ayant recours à l’échelle de Highhouse et al. (2003) en 5 items (par exemple : « Je trouverais intéressant de travailler dans cette entreprise »), projetant le répondant dans une situation d’employé potentiel et non de consommateur par exemple. Toutes les réponses ont été reportées sur des échelles de Likert comportant sept échelons.

Collecte des données

Un questionnaire reprenant l’ensemble des items a été administré par un paneliste en ligne chargé de constituer des échantillons de répondants présentant des caractéristiques similaires d’un pays à l’autre. Pour pouvoir participer à l’étude, les répondants devaient être en mesure d’identifier une coopérative via une question ouverte (ils étaient exclus s’ils n’en étaient pas capables). Chaque répondant devait désigner une coopérative à l’aide d’une question libre en début de questionnaire, puis était invité à l’évaluer par la suite pour l’ensemble des items proposés (25 % de coopératives de travailleurs, 27 % de coopératives de fournisseurs, 29 % de coopératives financières et 19 % de coopératives de consommateurs) en se mettant dans la situation d’un employé potentiel de cette organisation.

Les répondants font partie de la population active. En effet, comme notre recherche s’intéresse à l’attractivité générale des entreprises coopératives en tant qu’employeurs, cet échantillon se justifie par le fait que les employeurs coopératifs peuvent attirer et recruter des personnes en recherche d’emploi comme des personnes déjà en poste qui envisagent de changer d’employeur. La question de l’attractivité d’une organisation en tant qu’employeur dépasse le seul périmètre des personnes réellement en recherche d’emploi.

Nous avons ainsi recueilli les réponses de 1014 individus (53,7 % de femmes, 81,8 % d’actifs, 26,1 % sont membres d’une coopérative) répartis dans dix pays couvrant quatre continents, soit l’Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada, 18 % de l’échantillon), l’Amérique du Sud (Argentine et Brésil, soit 21 %), l’Europe (Allemagne, Angleterre et France, 30 % de l’échantillon), l’Afrique (Afrique du Sud, 10 % de l’échantillon) et l’Asie (Corée du Sud et Japon, 21 % de l’échantillon). Les pays sélectionnés sont parmi les plus représentés dans le classement mondial des organisations coopératives selon le chiffre d’affaires généré (Groneveld, 2016). Au-delà de l’impact économique de ces coopératives sur l’économie nationale, ce critère contribue à leur visibilité. Il augmente donc la probabilité qu’elles soient considérées comme un futur employeur. Ainsi, les Etats-Unis, la France, l’Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni et le Canada sont parmi les pays les plus représentés dans ce classement. L’Afrique du Sud est le seul pays africain mentionné. L’Argentine et le Brésil sont les pays les plus représentés au titre de l’Amérique du Sud. Enfin, la Corée du Sud est le seul pays asiatique représenté à l’exception du Japon. Le descriptif de l’échantillon est présenté en Annexe 1.

Résultats

Résultats généraux

Pour tester le modèle théorique, nous avons procédé à des analyses factorielles exploratoires et confirmatoires. La qualité du modèle de mesure est satisfaisante (Khi²/dl=3,36, p<.01, CFI=.97, TLI=.97, RMSEA=.05, SRMR=.03). L’ensemble des concepts présentent de bons indices de fiabilité et de validité (cf. tableau 2).

L’analyse du modèle structurel (Khi²/dl=3,35, p<.01, CFI =.97, TLI =.97, RMSEA =.05, SRMR =.04) démontre la validité de notre approche. Nous expliquons 58 % de la variance du PO fit et 72 % de l’attractivité RH. Les résultats montrent que les principes d’engagement dans le milieu, d’ouverture, de répartition des bénéfices, de démocratie et la finalité de satisfaction des membres contribuent positivement au PO fit (cf. figure 1).

Tableau 2

Qualité des mesures

Qualité des mesures

-> See the list of tables

FIGURE 1

Modèle structurel

Modèle structurel

-> See the list of figures

L’orientation envers les membres, l’engagement dans le milieu et la démocratie sont les principaux déterminants du PO fit.

De plus, le PO Fit est un médiateur total de la relation entre l’attractivité employeur et l’engagement dans le milieu (ZSobel=5.7, p<.01) d’une part et la démocratie (ZSobel=5, p<.01) d’autre part. Le PO fit est également un médiateur partiel de la relation entre l’attractivité employeur et l’ouverture (ZSobel=1.9, p<.05), la répartition des bénéfices (ZSobel=3.8, p<.01) ainsi que l’orientation membre (ZSobel=2.1, p<.05). Ainsi, le PO fit est le principal déterminant de l’attractivité RH des coopératives. De plus, la répartition des bénéfices aux membres de la coopérative exerce une influence négative sur l’attractivité RH (β= -.10). Quand ils se projettent en tant qu’employés potentiels, les individus sont moins attirés par des entreprises qui reversent des bénéfices à leurs membres car ils ne sont pas concernés par ce mécanisme, hormis dans le cas des coopératives de salariés. Enfin, l’orientation membre et l’ouverture de l’organisation exercent une influence directe et positive sur l’attractivité RH.

Résultats selon le continent

Les résultats obtenus diffèrent d’un continent à l’autre indiquant que, même si les principes des coopératives et leur finalité sont universellement partagés au sein du mouvement coopératif, ils font bien l’objet d’une interprétation différente de la part du grand public selon la zone géographique considérée. Pour comprendre la perception des valeurs des coopératives, nous optons pour une approche par aires culturelles comme le font les études quantitatives dans le domaine du management international (House et al., 2004; Trompenaars et Hampden-Turner, 2013). Les résultats par continent confirment ainsi que la perception des coopératives relève de leur représentation sociale (Faure-Ferlet et al., 2017) et donc varient selon le contexte dans lequel évolue le répondant. La représentation sociale est une « forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (Jodelet, 1989, p. 53). Elle est marquée culturellement et historiquement dans la mesure où elle représente une interprétation des objets partagée par les individus d’un même groupe social (Moliner, 1996). Si les mythes fondateurs des sociétés peuvent expliquer les différences constatées (D’Iribarne, 1989), l’histoire particulière des coopératives d’un continent à l’autre y contribue également. Cette recherche s’inscrit donc dans une perspective institutionnelle au sens de North (1990) en considérant à la fois l’impact des institutions formelles (environnement institutionnel des pays, par exemple les lois mises en place pour encadrer l’activité des coopératives) et celui des institutions informelles (environnement culturel des pays, par exemple la relation au collectif). Par conséquent, les différentes facettes de la gouvernance coopérative n’ont pas le même poids pour expliquer le PO fit et l’attractivité RH selon l’origine géographique du répondant, même si le modèle général est robuste (voir tableau 3).

Tableau 3

Résultats selon le continent

Résultats selon le continent

-> See the list of tables

Premièrement, l’orientation envers les membres de la coopérative joue un rôle très important pour expliquer le PO fit en Afrique (β=.30, p<.01), alors qu’il est sans effet sur les autres continents. En effet, si l’Afrique du Sud jouit d’une situation économique relativement positive, cela n’exclut pas des différences de revenus importantes et qu’une part significative de la population souffre de la pauvreté comme dans l’ensemble des pays de cette zone. Ainsi, la consommation de produits de base est loin d’être acquise pour une bonne partie de la population (Prahalad, 2004). Par conséquent, les coopératives présentent l’avantage de permettre à des personnes exclues du marché, du fait d’un revenu trop faible, d’accéder à la consommation en devenant membre d’un groupement coopératif de consommateurs par exemple. Le continent africain semble donc proche de la conception originelle des coopératives qui émergent pour lutter contre la pauvreté et donner accès à des ressources, notamment financières avec des possibilités d’accès au micro-crédit, dont les plus démunis sont privés (Owen, 1836).

Deuxièmement, la prise de décision démocratique au sein de l’entreprise contribue positivement au PO fit sur tous les continents étudiés à l’exception de l’Europe et de l’Amérique du Sud. D’une part, le « Vieux Continent » est caractérisé par un fonctionnement des entreprises fortement normé et régi par des règles mises en place pour veiller à l’intérêt de toutes les parties prenantes à l’organisation. Ce rôle prépondérant des règles, formalisées au sein de législations contraignantes, est au coeur du système économique, par exemple en France. Par conséquent, en Europe, la démocratie régit le monde politique qui légifère en retour pour régir les relations au sein des organisations. Dans ce contexte, le fonctionnement démocratique des coopératives n’est pas la seule solution pour tenir compte de l’avis des employés : les lois régissant le rôle des organisations syndicales peuvent suffire à assurer la participation des employés aux décisions de l’entreprise. D’autre part, en Amérique du Sud, les attentes actuelles des citoyens vont vers une plus grande intervention de l’Etat (Afonso et al., 2013), ce qui traduit l’importance donnée à la législation générale au détriment d’un processus démocratique ascendant représenté par le processus démocratique prôné dans les coopératives. Autrement dit, c’est justement du fait que l’Europe et l’Amérique Latine portent l’égalitarisme comme une valeur forte (Schwartz, 2006), que cet attachement au système démocratique au sein de l’entreprise n’est pas le monopole des coopératives. Par exemple, la représentation syndicale paritaire peut apparaître comme un moyen efficace pour prendre des décisions représentant les intérêts des salariés et des détenteurs du capital dans ces régions.

A l’inverse, dans une zone géographique comme l’Asie, l’aspect démocratique de l’entreprise est très différenciant car les pratiques sociales diffèrent fortement d’une entreprise à l’autre. Un processus de décision démocratique signale des valeurs d’écoute qui font écho aux valeurs de l’individu. La prise de décision démocratique renforce la proximité entre l’entreprise et l’individu et indirectement l’attractivité RH de l’organisation. En revanche, en Asie et en Afrique, nous constatons un effet négatif direct du principe démocratique sur l’attractivité de l’organisation (βAsie=-.37 et βAfrique=-.17 p<.01). En effet, la prise de décision démocratique peut signifier une perte de temps considérable dans le travail quotidien du fait des pratiques de négociation et de consensus particulièrement longues dans certaines cultures. Ainsi, sur ces deux continents, même si le principe de la démocratie permet une forte adhésion aux valeurs de l’entreprise, les inconvénients inhérents à ce type de décision dégradent l’attractivité RH de l’entreprise. Ce résultat va dans le sens des travaux de Schwarz (2006) qui montrent que les aires culturelles d’Afrique et d’Orient érigent la hiérarchie en valeur forte, ce qui se traduit par une perception moins positive de l’organisation démocratique des prises de décisions dans l’entreprise.

Troisièmement, le principe de la répartition des bénéfices entre les membres de la coopérative influence positivement le PO fit uniquement en Europe et en Amérique (βEurope=.20, βAmériqueSud=.28 et βAmériqueNord=.18, p<.01). Ce résultat illustre le fait que ces deux continents ont été particulièrement touchés par la crise économique de 2008, ce qui les amène à critiquer les abus du système capitaliste et, en particulier, la répartition des bénéfices à des actionnaires volatiles sur les places boursières. Prôner une répartition plus équitable des bénéfices réalisés auprès de personnes impliquées dans l’entreprise prend le contre-pied de ces abus perçus et permet aux individus de mieux s’identifier aux valeurs de l’organisation. Sur les continents asiatiques et africains, l’organisation capitalistique reste le modèle de succès des entreprises, il promeut les valeurs occidentales, notamment via l’approche ethnocentrique recommandée aux multinationales pour les pays en développement (Perlmutter 1969) qui sont considérées comme un modèle par une partie de la population. Par conséquent, la répartition des bénéfices dans les coopératives n’est pas un avantage perçu pour ce type d’employeur.

Quatrièmement, le principe d’ouverture, prôné par les coopératives, a un impact positif sur le PO fit uniquement en Afrique (βAfrique=.26, p<.01). Cet effet peut être lié à un fort sentiment de discrimination ressenti par les populations de ce continent qui ont subi, et parfois subissent encore, des mouvements de ségrégation raciale forts et traumatisants (Christopher, 2001). Par conséquent, tout signe de l’organisation en faveur d’une ouverture à tous les publics est valorisé dans un tel contexte historique et politique. A l’inverse, sur les autres continents où l’accès sans discrimination est encadré par la loi, ce critère n’est pas différenciant pour choisir un employeur coopératif. Le lien entre le principe d’ouverture de l’entreprise et son attractivité RH n’est significatif que sur le continent américain (βAmériqueSud=.39 et βAmériqueNord=-.27, p<.01). En Amérique du Sud, un employeur qui affiche des principes d’ouverture est plus attractif pour de futurs employés. Cette prime à l’ouverture est liée à la forte mixité ethnique qui caractérise les pays considérés. Au contraire, en Amérique du Nord, un employeur favorisant un recrutement diversifié se révèle plus repoussant. En effet, si les sociétés canadiennes et états-uniennes sont caractérisées par une forte mixité ethnique et religieuse, elles fonctionnent également beaucoup de façon communautariste, c’est-à-dire que les recrutements effectués au sein d’une même communauté ethnique ou religieuse sont la norme et sont finalement perçus de façon positive par les individus lorsqu’ils recherchent un emploi.

Cinquièmement, l’engagement de l’entreprise envers son milieu a un impact très positif sur le PO fit en Amérique et en Europe (βAmériqueSud=.50, βAmériqueNord=.27 et βEurope=.42, p<.01). En effet, l’idée selon laquelle l’entreprise a une responsabilité envers son environnement externe au sens large, incluant notamment le territoire dans lequel elle est implantée s’est développée, en particulier en Amérique du Nord et en Europe dès lors que ces économies de marché sont arrivées à maturité (Freeman, 1984; Gond et Igalens, 2008). L’idée selon laquelle l’entreprise est responsable au-delà de la sphère purement économique et doit s’engager dans des actions de solidarité envers son milieu est répandue dans ces contextes et la mise en place d’une fiscalité incitative montre la volonté politique de développer cette logique dans ces pays. Les individus valorisent donc, dans ces contextes, les entreprises qui partagent leurs valeurs de solidarité. Sur le continent sud-américain, l’effet direct de l’engagement de l’entreprise dans son milieu détériore l’attractivité de l’employeur (βAmériqueSud=-.21, p<.01). L’argument de Friedman (1970) concernant l’arbitrage entre les coûts de la responsabilité sociale de l’entreprise et la performance de celle-ci peut expliquer cet effet négatif. Autrement dit, une entreprise qui distribue une partie de la valeur qu’elle crée à son territoire, ne l’investit pas en interne, pour ses employés par exemple. Le principe d’engagement dans le milieu peut donc être perçu, dans ce cas, comme un engagement en défaveur des membres de l’organisation. Le rôle très social donné aux coopératives en Amérique du Sud permet d’expliquer cette notion de coût perçu de la responsabilité sociale (Leca et al., 2010; Leca et al., 2014) : les coopératives sont avant tout un mécanisme visant à ramener vers l’emploi les populations les plus pauvres dans cette région du monde.

Discussion

Comme attendu, les principes coopératifs et l’orientation envers les membres créent une congruence entre les valeurs des individus et un employeur coopératif potentiel. Ce partage de valeurs favorise la capacité des coopératives à recruter sur leurs marchés. Nos travaux confirment en effet l’impact du PO fit sur l’attractivité RH (Chapman et al., 2005; Chatman, 1989; Kristof, 1996). De plus, les résultats montrent que les démarches de l’Alliance Coopérative Internationale visant à inciter ses membres à communiquer autour de leur gouvernance, quelle que soit leur nationalité, paraissent être un bon choix pour les managers des ressources humaines. Ces résultats présentent une forte validité entre continents. Ainsi, quelle que soit la zone géographique d’embauche, le fait de mettre en avant la nature coopérative de l’entreprise est de nature à renforcer l’attractivité organisationnelle et à faciliter le recrutement des futurs talents. Par exemple, le groupe coopératif Limagrain insiste sur l’originalité de sa gouvernance dans ses communications de recrutement, quelle que soit la région du monde concernée en précisant par exemple dans toutes ses offres d’emplois « Limagrain est un groupe coopératif international créé et dirigé par des agriculteurs français ». Cependant, les principes coopératifs permettent d’attirer les ressources humaines mais le poids de ces principes dépend du contexte comme nous l’avons formulé dans notre proposition de recherche. Ainsi, dans les aires culturelles comprenant des économies développées, c’est la répartition des bénéfices et l’engagement dans le milieu qui ont un rôle prépondérant, alors que dans celles qui sont composées d’économies émergentes, c’est la prise de décision démocratique qui sera valorisée par les individus qui considèrent un employeur potentiel, voire l’ouverture et l’orientation vers les membres dans le cas du continent africain. A l’issue de cette analyse des résultats, deux logiques de perception des employeurs coopératifs se dessinent. La première est une perception des coopératives comme un vecteur de redistribution de la richesse dans les régions développées. Ainsi, le fait que les coopératives redistribuent la valeur qu’elles créent à leurs membres et au territoire sur lequel elles sont implantées est un atout pour attirer des talents dans ces régions. La deuxième logique, dans les économies émergentes, est une perception des coopératives comme un moyen d’accès à la démocratie et, concernant le continent africain, aux marchés de l’emploi et des biens et services. Cette perception correspond plus au modèle original qui a gouverné la création du mouvement coopératif.

Par conséquent, au plan académique, notre recherche confirme qu’une approche tenant compte des particularismes régionaux est plus adaptée à la compréhension de la contribution des principes et de l’unicité coopérative à l’attractivité RH qu’une approche universaliste. Si l’influence positive de la gouvernance coopérative sur l’attractivité RH prônée par l’ACI apparait bien universelle, une appréhension plus fine de cet effet par principes nous amène à retenir une approche par aires culturelles.

Au plan managérial, les managers des coopératives doivent donc mettre en place des procédures de socialisation de leurs employés différentes selon l’aire culturelle dans laquelle elles déploient leurs activités et éventuellement adapter leurs arguments de recrutement si elles sont présentes dans plusieurs aires géographiques. Les coopératives qui veulent bénéficier d’un avantage en matière de recrutement doivent particulièrement mettre en avant la finalité d’orientation envers leurs membres et le principe de démocratie. En effet, même si l’engagement envers le milieu est un aspect important pour renforcer le partage des valeurs, il ne permettra pas de créer une différence pérenne avec les employeurs non-coopératifs qui peuvent également être engagés dans ce type d’actions dans le cadre de la politique de responsabilité sociale. De nombreuses études empiriques ont d’ailleurs démontré l’existence d’une relation positive entre RSE et attractivité organisationnelle sans considérer la gouvernance des organisations (voir notamment Rupp et al., 2013 ou Jones et al., 2014). A l’inverse, la finalité d’orientation envers les membres et le principe de démocratie sont sources de différenciation pour le modèle coopératif pour attirer des ressources humaines. Les individus sont attirés par le fait que les décisions soient prises par les membres selon le principe « un homme = une voix », principe qui contribue à donner la même importance à tous les membres de la coopérative et à mieux servir l’intérêt de ces membres. Cette perception qui ne correspond pas nécessairement toujours à la réalité du fonctionnement démocratique des coopératives n’en constitue pas moins un atout pour le recrutement de futurs employés. De cette manière, les structures coopératives se distinguent plus particulièrement des entreprises actionnariales dans lesquelles les décisions sont prises selon le principe « une action = une voix » qui ne permet pas à tous les actionnaires, et en particulier aux plus petits, d’être entendus. Par rapport aux objectifs recherchés, la structure coopérative permet également plus facilement d’atteindre une pluralité d’objectifs (financiers mais également sociaux ou commerciaux) et une performance de moyen et long terme quand, dans des structures actionnariales, les décisions sont prises en faisant passer les considérations financières de court terme au premier plan. Ainsi, le fait que ce soient les membres qui guident les choix de l’entreprise apparait comme un réel avantage pour les employeurs du secteur coopératif sur lesquels ceux-ci ont intérêt à communiquer, notamment pour attirer les ressources humaines futures.

Conclusion

Cette recherche a choisi de se centrer sur l’influence de la perception de la finalité et des principes coopératifs sur l’attractivité auprès des salariés potentiels et a permis d’apporter une démonstration empirique du fait que ce mode de gouvernance spécifique représente un avantage sur le marché du travail pour attirer les ressources humaines futures. De plus, notre recherche permet de souligner l’intérêt d’une approche par aires culturelles en faisant ressortir deux grandes logiques de valorisation du modèle coopératif par les futurs employés : une logique de répartition dans les régions développées et une logique d’accès à la démocratie et aux marchés dans les régions composées d’économies émergentes.

Notre étude nécessite d’être élargie dans la mesure où l’attractivité des employeurs coopératifs dépend à la fois de la perception, par les salariés potentiels, des bénéfices psychologiques associés au fait de travailler dans cette organisation (perception d’une comptabilité entre les valeurs de l’individu et celles de l’organisation ici) mais également par des bénéfices de nature économiques (rémunérations financières anticipées) ou fonctionnels (conditions de travail, ambiance…). Une analyse plus globale de la marque employeur des coopératives pourrait ainsi venir compléter cette recherche.

Des éléments relatifs à la coopérative elle-même (comme le nombre de membres de la coopérative) pourraient influencer les résultats mis en lumière dans cette recherche. Par exemple, le pouvoir perçu des membres peut être très dilué dans de grandes coopératives de consommateurs (telles que les coopératives bancaires) par rapport à des coopératives de plus petite taille.

Par ailleurs, la déclinaison des principes coopératifs au sein de chaque organisation coopérative peut varier – par exemple, la démocratie peut prendre différente formes – et notre recherche n’a pas considéré les pratiques d’appropriation des principes. Des recherches complémentaires pourraient être implémentées pour donner des pistes aux managers sur les modalités de déclinaison des principes selon les aires culturelles afin de renforcer l’attractivité RH de leurs entreprises.

Ensuite, notre recherche n’a pas cherché à comparer l’attractivité RH des coopératives avec celles d’autres types d’organisations. En particulier, les coopératives sont souvent considérées comme faisant partie de l’Economie Sociale et Solidaire qui compte également de nombreuses organisations associatives. Ces dernières bénéficient, elles aussi, d’une démocratie interne qui pourrait se traduire par des avantages similaires à ceux des coopératives sur ce principe. A l’inverse, la répartition des bénéfices entre les adhérents d’une association à but non-lucratif n’a aucun sens. Une comparaison de l’attractivité RH selon les valeurs véhiculées par les différents modes de gouvernance pourrait être envisagée dans le futur et permettrait de tester la validité externe des indicateurs mobilisés au sein de cette recherche. Par ailleurs, notre recherche n’a pas considéré l’influence des principes coopératifs sur l’attractivité RH selon les types de coopératives. En effet, une approche croisant aire culturelle et type de coopérative aurait nécessité un échantillon de plus de 5000 répondants. Une telle recherche permettrait de comprendre encore plus finement l’influence de chacun des principes selon la nature des membres de la coopérative et l’aire culturelle au sein de laquelle elle évolue.

En outre, notre recherche reste déclarative et les personnes qui ont participé ne sont pas forcément en recherche d’emploi. Il s’agit donc d’une perception hors contexte. Il conviendrait d’approfondir la robustesse de ces résultats auprès d’un échantillon d’individus réellement en recherche d’emploi afin d’évaluer la capacité du modèle coopératif à susciter plus de candidatures et/ou des candidatures de meilleure qualité. L’attractivité RH mesurée dans ce cadre est donc appréhendée de façon globale et mérite d’être distinguée de l’attractivité de l’entreprise (ou de la marque corporate) qui amènent les individus à acheter ses produits et services dans le cadre d’un achat citoyen du fait de valeurs communes (Bhattacharya et Sen, 2004). La représentation des principes coopératifs mobilisée dans le contexte d’un achat ne devrait pas influencer l’attractivité de l’entreprise de la même manière que dans le contexte d’un recrutement éventuel. Par exemple, les valeurs fortes de plaisir et de partage de la marque Nutella amènent les consommateurs à se battre pour la consommer, mais ne les amènent pas forcément à envisager positivement un emploi au sein du groupe Ferrero.

Finalement, si notre recherche permet d’esquisser deux grandes logiques de valorisation du modèle coopératif par les futurs employés – une logique de répartition dans les régions développées et une logique d’accès à la démocratie et aux marchés dans les régions comprenant des économies émergentes – elle n’autorise pas à conclure sur l’origine de ces différences. S’agit-il d’une évolution des perceptions liée au développement économique ou d’une différence culturelle durablement ancrée ? Par exemple, au Canada, le « Mouvement Desjardins », principal groupe bancaire du Québec, véhicule une véritable mythologie du regroupement des francophones pour accéder au développement économique qui influence fortement la vision de la population selon laquelle la coopérative est responsable envers son milieu. A l’inverse, dans les pays de l’ancien bloc soviétique, les coopératives sont considérées comme un outil de l’Etat pour confisquer la richesse produite et cette histoire a durablement marqué la population. Ainsi, des travaux complémentaires pour bien appréhender les « craintes fondatrices » (D’Iribarne, 2008) auxquelles les coopératives font écho dans les différentes régions étudiées pourraient répondre à ces questionnements.