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L’étude des valeurs publiques représente un enjeu très actuel de la recherche en administration publique (Bovens et al. 2007; Bryson et al. 2014). Les valeurs sont généralement définies comme des « jugements » ou des préférences déterminant des formes d’action particulières (Davis 1998; Lyons et al. 2006; Van der Wal et al., 2008). Ces préférences sont définies comme publiques lorsqu’elles attribuent aux organisations et acteurs publics des fins spécifiques à leurs activités, telles que la responsabilité, la transparence, l’inclusion, l’équité, ou la poursuite de l’intérêt général et des avantages publics (Jørgensen 2006; Boyne 2002; Bozeman 2002, 2007; Van der Wal et al. 2015; West et Davis 2011).

En matière scientifique, la principale classification des travaux repose sur la nuance que ces derniers réalisent entre les concepts de « valeur publique » (au singulier) et de « valeurs publiques » (au pluriel). Moore (1995) et les chercheurs de la Public Value Management (PVM) utilisent exclusivement la valeur publique au singulier. La valeur est ici entendue comme le résultat des actions publiques apprécié essentiellement par des acteurs externes à leurs productions (usagers, politiques, société civile). La notion de « valeurs publiques » (au pluriel) est généralement définie comme un consensus normatif sur les droits et obligations des citoyens et les principes de fonctionnement des administrations et politiques publiques (Bozeman 2007).

Pour la théorie de la PVM, une valeur publique, pour exister, doit être substantielle, légitime et opérationnelle (Moore, 1995). Cependant, cette définition de la valeur publique butte sur la difficulté à identifier empiriquement les valeurs qui présentent ces caractéristiques et la manière dont elles sont créées.

La perspective des valeurs publiques (PVP[1]) permet de lever certaines de ces limites par une approche des valeurs plus opérationnelles et moins restrictives. D’importantes contributions issues de ce courant ont défini une hiérarchie des valeurs publiques au sein de constellations (Jorgensen et Bozeman, 2007), de noeuds (Tabi et Verdon, 2015) ou encore d’univers de valeurs publiques (Nabatchi, 2012). Cet effort de regroupement des valeurs publiques au sein d’assemblage ouvre la voie à une description de leurs relations et articulations dynamiques (Jorgensen et Bozeman, op.cit.). Il s’agit de l’orientation principale de la problématique de notre article qui vise à décrire plus précisément comment ces assemblages de valeurs publiques fonctionnent.

Parallèlement aux recherches sur ces assemblages, des travaux également issus de la PVP ont cherché à déterminer comment les valeurs publiques peuvent être actionnées dans la pratique. Ils ont notamment établi l’existence, aux côtés des valeurs publiques, d’actions ou d’engagements (commitment) en faveur de ces valeurs (Berman et West, 2003; 2012; Hopkins et al., 2001; Lamsa et Savolainen 2000). Ces engagements permettent de rendre actives les valeurs publiques en faisant le lien entre la notion abstraite de valeurs et les actions empiriques qui les sous-tendent (Berman et West, 2012). Notre objectif de recherche est de mieux comprendre comment s’articulent ces actions publiques avec les différents niveaux de valeurs publiques qu’elles soutiennent. En rapprochant les travaux relatifs aux engagements publics de ceux portant sur les assemblages de valeurs publiques, nous essayons d’identifier les formes que peuvent prendre ces articulations et les dynamiques qui les animent.

Le cas du management public au Maroc nous permet d’illustrer les relations qui existent dans et entre ces différents niveaux de valeurs et d’engagements. En effet, ce terrain de recherche combine des caractéristiques culturelles et sociales très marquées (contexte politique et religieux) avec des réformes récentes inspirées de la gestion par résultat et du NPM[2] (Denis et al. 2008; Mazouz et al. 2015). Ceci autorise la description de valeurs et actions publiques protéiformes dont les dynamiques peuvent être particulièrement intenses (Bozeman et Johnson, 2015).

L’application de deux modèles conceptuels occidentaux (Jorgensen et Bozeman, 2007; Berman et West, 2012) sur un cas empirique marocain peut ainsi nous permettre, à un niveau international, de mesurer certaines nuances de valeurs et de dynamiques, et essayer de les expliquer par des éléments contextuels.

Une quasi-expérience menée auprès de deux groupes de managers publics marocains (un expérimental, construit dans la province d’El Jadida, et, un témoin, provenant d’administrations centrales situées dans d’autres provinces marocaines) structure notre approche méthodologique. Cette étude porte sur les perceptions des valeurs publiques qu’ils mobilisent dans leur travail et sur la manière dont ils peuvent les mettre en oeuvre.

Une analyse en composante principale (ACP) associée à une étude corrélative de ces valeurs publiques nous permet d’illustrer nos résultats par l’apparition d’une hiérarchie de ces valeurs. Ainsi nos premiers résultats mettent en évidence des constellations de valeurs combinant valeurs premières, instrumentales et engagements.

Par la suite, nous discutons leurs modes de fonctionnement à partir d’une analyse des spécificités administratives et culturelles du management public marocain. Enfin, une description en quatre dimensions (stabilité-innovation-public-privé) des valeurs publiques observées dans notre étude nous permet de commencer à décrire les articulations entre ces différentes formes de valeur, dans la perspective, d’une part, d’améliorer leur caractérisation et, d’autre part, de commencer à définir les contours d’un processus dynamique de création des valeurs publiques.

Une ou des valeurs publiques ?

Dans un premier temps, il est important de déterminer ce qui distingue mais aussi rapproche la « valeur publique » (Moore 1995, 2013) et les « valeurs publiques » (Bozeman 2007).

La théorie de la PVM et la notion de valeur publique sont attribuées à Moore (1995, p. 28) qui soutient que, comme dans le secteur privé pour la création de valeur marchande ou non marchande, l’objectif du secteur public doit être de créer de la valeur publique. La valeur publique au singulier est un concept de gestion potentiellement mesurable in fine à partir des actions et des résultats produits par les agents et les organisations publiques (Moore, 1995, 2013; Benington et Moore 2011). Pour cela, Moore qualifie la création de valeur publique par l’intermédiaire d’un « triangle stratégique de la valeur publique » (1995, p. 22-23). Pour cet auteur, créer de la valeur publique consiste à réaliser une action ou à adopter un comportement qui a une valeur substantielle pour les usagers comme pour la communauté, qui est légitime auprès d’eux et qui est réalisable sur les plans opérationnel et administratif. Cependant, la difficulté propre à ce modèle reste sa relative incapacité à proposer des outils de mesure de la création de valeur publique.

Parallèlement, les valeurs publiques au pluriel sont entendues comme des qualités et des normes relativement stables guidant le comportement des acteurs (Bozeman 2007; Van der Wal, et al. 2006; de Graaf et Van der Wal 2017). Elles sont un moyen de répondre aux objectifs spécifiques des organisations publiques. Pour Bozeman (2007), les valeurs publiques correspondent aux normes et principes que les agents et les organisations publics doivent poursuivre et défendre. Ici, la valeur correspond à une « définition de soi » (Bozeman, 1984). Il est donc difficile d’en changer mais elle a la capacité de provoquer l’action (ibid.). Aussi cette approche suggère, au-delà de la création de valeur publique, de s’intéresser aux valeurs publiques qui peuvent orienter l’action des agents et gestionnaires publics.

Jusqu’ ici les travaux portant sur les valeurs publiques ont déjà permis de circonscrire un grand nombre de caractéristiques de ce champ de recherche particulièrement hétérogène. Van der Wal et al. (2008) ont étudié les différences entre les valeurs portées par les managers publics et celles des managers privés. Kernaghan (2003) a étudié les manières d’intégrer les valeurs publiques dans l’organisation et la gestion des établissements publics. Nabatchi (2012) a introduit une analyse des conflits de valeurs et leurs modes de résolution. Tous ces travaux ont notamment permis de mieux comprendre le caractère hybride de ces valeurs publiques qui peuvent être collective ou individuelle, publique ou privée (Mériade et Qiang, 2015) ou encore marchande ou non marchande (Chanut et al., 2015).

Ainsi, les auteurs travaillant sur les valeurs publiques parlent aujourd’hui d’une perspective des valeurs publiques (PVP) (Bozeman et al., 2017) censée apporter des réponses distinctes de celles de la théorie de la PVM proposée par Moore (1995, 2013). En se préoccupant de mieux définir les éléments qui permettent de créer la valeur publique, la PVP apporte une réponse complémentaire à la théorie de la PVM plus orientée sur l’évaluation des résultats (Mintrom et Luetjens, 2017). De plus elle autorise une lecture moins systématiquement critique du NPM en mettant en avant les larges compatibilités que ce dernier peut avoir avec la création de valeur(s) publique(s) (Colon et Guérin-Schneider, 2015). Aux côtés des indicateurs de résultat du New Public Management, les valeurs publiques, à la condition qu’elles aient un lien avec la pratique, peuvent en effet prendre la forme d’objectifs stratégiques à la fois contraignant et habilitant pour la mesure des résultats des activités publiques (Sundberg, 2016).

Selon cette perspective, le pilotage des activités publiques peut aussi être réalisée dans un univers plus large de valeurs publiques (Jørgensen et Vrangbaek 2011; de Graaf et al. 2014). Les valeurs publiques, au sens de la PVP, sont le fruit de processus collectifs (Jorgensen et Rutgers, 2015). Par leur caractère multi-dimensionnel, les valeurs publiques représentent une réponse aux exigences du triangle de Moore (1995). En effet, soit de manière autonome, soit de façon plus collective et articulée, elles peuvent participer à l’obtention d’une valeur publique substantielle, légitime et opérationnelle (Moore, 1995).

Cependant, face à l’incommensurabilité de ces valeurs publiques, une analyse processuelle de leurs articulations constitue une approche riche d’enseignements pour améliorer notre compréhension de la création de valeur publique.

Bozeman (2007) affirme, en effet, que la création de valeur publique se produit lorsque des critères plus larges de « valeurs publiques » sont respectés. Les valeurs publiques de Bozeman sont donc mesurables car elles décrivent une combinaison d’inputs, de processus, d’outputs et d’outcomes plus facilement identifiable que la seule création de valeur publique définie par Moore. Malgré les nombreux désaccords persistants sur la façon dont ces valeurs publiques doivent être conceptualisées et mesurées (Bryson et al., 2014), leur développement devrait être l’objectif ambitieux mais ultime de la bonne gouvernance publique (Sundberg, et Larsson 2017). A partir de là, l’un des enjeux essentiels des travaux sur les valeurs publiques est de permettre leur identification dans les administrations publiques. Cet enjeu repose sur les modalités de recension de ces valeurs publiques et de la gestion de leurs conflits (Nabatchi et al., 2011).

De multiples travaux ont, dans des univers publics très hétérogènes, proposé d’identifier les valeurs publiques. Les résultats de ces études sont particulièrement documentés et appropriés à chacun des contextes étudiés. Par contre, ces résultats illustrent toutes les difficultés à circonscrire un ensemble relativement homogène de valeurs que l’on pourrait attribuer de manière spécifique à la sphère publique.

Par exemple, Jørgensen et Bozeman (2007) identifient 72 valeurs publiques fondamentales, tandis que dans un autre contexte public, Van der Wal et al. (2006) mettent en évidence 538 valeurs publiques différentes. Les clés de lecture mobilisées ou les singularités des contextes rendent difficiles l’identification de valeurs publiques communes à l’ensemble des administrations ou établissements publics. Il arrive parfois qu’aucune valeur publique particulière ou qu’aucun ensemble de valeurs (i.e. un regroupement de valeurs connexes) ne puissent obtenir un consensus normatif au sein des organisations (Rutgers 2015). Par exemple, les valeurs publiques d’égalité pourront rentrer en conflits entre les valeurs d’efficacité, de justice ou encore de mérite ou d’équité. Les valeurs relatives à la sécurité des citoyens pourront s’opposer à celles liées à la production de connaissances, le partage de l’information ou encore, la protection de la vie privée ou des libertés civiles (Nabatchi 2012).

Ces conflits de valeurs représentent un enjeu managérial important dans l’administration publique dans laquelle l’efficacité bureaucratique et les valeurs managériales semblent souvent prendre le pas sur un ensemble plus large de valeurs publiques (Nabatchi et al. 2011, p. 38). Ceci laisse les gestionnaires publics relativement dépourvus d’outils d’évaluation de la création de valeur publique qui puisse aller au-delà de la simple mesure de l’efficience économique (Goerdel et Nabatchi 2012; Bozeman 2007; Nabatchi 2012; Nabatchi et al. 2011).

De très nombreuses classifications des valeurs publiques ont été proposées à partir d’angles de vue très différenciés. Elles empruntent des itinéraires multiples afin de contourner l’obstacle des conflits de valeurs en proposant des catégorisations relativement étanches. Certaines proposent une distinction valeurs publiques/valeurs privées (Van der Wal et al., 2008; Van der Wal et Huberts, 2008); d’autres sont fondées sur des valeurs « dures » et « douces » (Steenhuisen et al., 2009); d’autres encore construisent des classifications par domaine d’activité : valeurs individuelles, professionnelles, organisationnelles, juridiques et d’intérêt public (Van Wart, 2003); ou encore, valeurs éthiques, démocratiques, professionnelles et humaines (Kernaghan, 2003, Mériade, 2018). De leurs côtés, Andersen et al. (2012) mettent en lumière sept dimensions de valeurs publiques (le service public, le respect, l’équilibre entre les intérêts, l’efficience budgétaire, l’efficacité des processus, le professionnalisme, et le point de vue de l’usager).

L’intérêt de ces classifications réside dans leur capacité à recenser de manière assez développée l’univers pluriel des valeurs publiques. En revanche, elles ne fournissent pas de réels outils pour aider les gestionnaires publics à hiérarchiser ces valeurs ou du moins pour les aider à déterminer les articulations de valeurs permettant de créer de la valeur publique ou d’empêcher de la détruire.

Huberts (2014) a particulièrement bien décrit, de manière macro-analytique, les changements et la dynamique des valeurs publiques au cours d’un processus public qui va de l’élaboration de la politique publique en passant par son exécution jusqu’à son évaluation. Tout au long de ce processus, tel un organisme vivant, ces valeurs publiques peuvent se renforcer, rentrer en conflit avec d’autres valeurs, disparaitre en fonction de la capacité des gestionnaires à les faire vivre (Stewart, 2006). En revanche, l’analyse plus micro-analytique de leur dynamique nécessite encore des approfondissements conceptuels et pratiques.

Welch et al. (2014) proposent de construire une « cartographie des valeurs publiques » qui soit en mesure d’identifier les valeurs publiques et les relations entre elles. De leurs côtés Tabi et Verdon (2015) ont caractérisé un certain nombre de noeuds de valeurs auxquels ils associent des co-valeurs et des valeurs voisines qui cohabitent et coexistent. Ces approches présentent l’avantage de pouvoir être mobilisées dans divers domaines publics qu’ils se rapportent à des configurations politiques (Bozeman et Sarewitz 2011) comme managériales (Bozeman et Moulton 2011). Elles ouvrent surtout d’importantes perspectives de recherche visant à analyse et mieux comprendre les relations et articulations qui se nouent entre les valeurs publiques. En effet, ces analyses proposent une hiérarchie des valeurs publiques qui orientent de futures études en direction d’une précision de leur processus de création. A ce titre, les travaux portant sur les constellations de valeurs publiques (Jorgensen et Bozeman, 2007) et ceux décrivant les engagements en faveur des valeurs publiques (Berman et West, 2012), par leurs croisements et leurs rapprochements, peuvent favoriser une lecture exhaustive de ce dynamisme des valeurs publiques.

Valeurs et engagements publics : des concepts connexes

Pour développer notre connaissance des valeurs publiques, Jørgensen et Bozeman (2007) ont développé une approche systémique des valeurs publiques. Ils postulent l’existence de constellations de valeurs publiques qui combinent à la fois des valeurs économiques comme la productivité et l’efficacité, et des valeurs non-économiques telles que la durabilité, la réactivité, ou la responsabilité. Cette approche par les constellations représente, à la fois, une synthèse des travaux antérieurs, visant à construire une hiérarchie des valeurs publiques (Van Dyke, 1962; Van der Wal et al., 2006; Van Wart, 2003; Kernaghan, 2003), mais aussi un cadre conceptuel pour les travaux intervenus par la suite (Nabatchi, 2012; Berman et West 2012; Van der Wal et al., 2015).

Au-delà de leur identification, les travaux de Jørgensen et Bozeman (2007) contribuent à mettre en lumière les relations qui unissent les valeurs publiques. Ils insistent sur la centralité de certaines valeurs et justifient cette centralité par une hiérarchie entre les valeurs. Ils ont pour objectif de mettre en lumière l’importance de la hiérarchie et des relations entre les valeurs publiques. Ils réalisent cela en opérant, parmi les valeurs publiques, une distinction entre valeurs premières et valeurs instrumentales (tableau 1). Les valeurs premières (en gras) sont décrites comme des valeurs fondamentales qui sont des fins en soi, car une fois obtenues elles n’ont pas de valeurs supérieures. Définies, tout d’abord, par Van Dyke (1962) puis reprises par Jorgensen et Bozeman (2007), elles sont des valeurs fondatrices de l’Etat et de l’administration publique (Larat et Chauvigné, 2017). Les valeurs instrumentales (en noir) sont représentatives de valeurs associées qui permettent aux valeurs premières de se réaliser. Elles sont assimilées à des valeurs de service appréciées pour leur capacité à réaliser d’autres valeurs (qui peuvent ou non être elles-mêmes des valeurs premières) (ibid.). Van Dyke (op.cit.) parle de conditions pour illustrer les valeurs instrumentales et de conséquences pour définir les valeurs premières.

Cette classification présente maintenant une importante robustesse scientifique qui permet son application dans divers contextes publics.

Néanmoins, une caractérisation précise de ces constellations nécessite encore une meilleure compréhension des propriétés de leurs réseaux et des articulations des valeurs publiques en leur sein.

Pour cela, afin d’améliorer la définition des valeurs publiques et préciser leur dynamique, le concept d’ « engagement » (Berman et West, 2012), défini comme soutien aux objectifs ou valeurs, permet d’opérer une distinction opérationnelle entre valeurs et actions publiques. Sa mise en évidence vise à déterminer les pratiques qui soutiennent les valeurs publiques et ainsi comble leur important niveau d’abstraction. L’engagement fait référence à une série d’actions de soutien plutôt qu’à une action spécifique. Il décrit la manière dont les actions réelles soutiennent des objectifs ou des valeurs spécifiques (tableau 2).

Berman et West (ibid.) retiennent, dans leurs travaux, quatre catégories d’engagement (commitment). Mais, au-delà de cette catégorisation, l’intérêt de leurs analyses réside dans leurs capacités à rendre active les valeurs publiques en soulignant leurs articulations avec des actions publiques. Associer ces analyses avec celles de Jorgensen et Bozeman constitue une réelle opportunité d’améliorer notre compréhension du fonctionnement micro-analytique des valeurs publiques (Jørgensen et Vrangbaek 2011).

Les deux cadres conceptuels que nous mobilisons (Jorgensen et Bozeman, 2007; Berman et West, 2012) se sont construits à partir d’un positionnement épistémologique essentiellement positiviste. Les constellations de valeurs publiques sont décrites par une méta-analyse des valeurs publiques définies à partir de 230 publications aux Etats-Unis, Grande Bretagne et Scandinavie de 1990 à 2003 (Jorgensen et Bozeman, op.cit.). En repartant des valeurs observées dans ces constellations, les engagements publics, de leurs côtés, ont été déterminés à partir des réponses à une enquête diffusée auprès de 217 managers de districts spéciaux aux USA (Berman et West, op.cit.).

Tableau 1

Les sept constellations de valeurs publiques

Les sept constellations de valeurs publiques
Source : Jorgensen et Bozeman, 2007

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Notre objectif de recherche étant, dans un premier temps, d’étudier comment s’articulent les constellations de valeurs et les engagements publics, nous avons fait le choix de conserver une continuité épistémologique et méthodologique avec ces travaux afin de faciliter la comparabilité des résultats de nos travaux avec ceux obtenus par ces deux modèles. Par contre, des approches plus qualitatives constitueront sans doute un prolongement naturel de cette première étude, en vue d’approfondir notre connaissance spécifique du management public marocain.

Méthodologie : une quasi-expérience au Maroc

Nous réalisons une quasi-expérience (Blom-Hansen et al., 2015) à partir de la constitution deux groupes de managers publics marocains (un d’expérimentation et un de contrôle). La quasi-expérience se distingue de l’expérience car elle n’utilise pas l’assignation aléatoire (randomisation) des répondants à une intervention ou un traitement (Cook et Campbell, 1979; Dunning, 2012). En management public, la mobilisation des quasi-expériences est particulièrement pertinente car elle permet de mesurer, sans randomisation, les effets d’une politique ou d’une transformation publiques à partir de groupes expérimentaux et témoins (Blom-Hansen et al., 2015). Dans une quasi-expérience, les deux groupes peuvent différer sur d’autres points que leur exposition à l’intervention expérimentale, par exemple, à travers de simples différences initiales entre les groupes (Cook et al. 2002). Une illustration importante de quasi-expérience en management public est l’étude de Blom-Hansen et al. (2014) sur les effets de taille dans les administrations locales danoises. Pour tester les effets d’une réforme des municipalités, ils constituent deux groupes de communes (expérimental et témoin) présentant une seule différence initiale, celle de la taille des municipalités.

En constituant deux groupes de managers publics marocains se distinguant principalement par leur administration publique d’appartenance (locale ou centrale), il nous apparait possible de prendre en compte une partie significative de l’hétérogénéité des profils de gestionnaires publics au Maroc. 

Pour cela, nous avons construit et administré un questionnaire comprenant 108 items auxquels les participants ont répondu à l’aide d’une échelle de type Likert de 1 à 5. Les questions (cf. annexe) ont été définies à partir des sept constellations de Jorgensen et Bozeman (2007) et des quatre catégories d’engagement de Berman et West (2012) afin de valider ou non l’existence de ces valeurs et engagements auprès des managers publics marocains.

Les valeurs publiques observées par ces deux modèles sont, comme précisé plus haut, principalement issues d’une méta-analyse (Jorgensen et Bozeman, op.cit.) qui repose sur une échelle de mesure dénombrant le nombre de citations de ces valeurs dans la littérature.

Afin de tester ces valeurs publiques auprès de managers marocains, nous avons repris la principale échelle de mesure portant sur les valeurs des managers au Maroc (Benabdeljlil, 2007) et qui fait la synthèse des échelles construites antérieurement (Ali et Wahabi 1995; El Aoufi et al., 2000; El Amrani et Chebihi, 2003). En effet, la mobilisation de cadres conceptuels occidentaux dans le contexte marocain impose de se préoccuper de la transposition des concepts dans le contexte étudié (Besson et Haddadj, 2005, Mériade, 2018). Aussi, nous avons repris les dix-sept questions validées par cette échelle de mesure marocaine et nous leur avons associées les valeurs et engagements décrits par les deux cadres conceptuels mobilisés. Les traductions en français de ces valeurs et engagements ont été reprises de travaux francophones (Zumofen, 2016; Larat et Chauvigné, op.cit ).

Par ailleurs, nous avons souhaité dans notre enquête intégrer des questionnements ouverts sur les valeurs réellement pratiquées par les managers publics même s’il ne s’agit pas de l’objectif principal de notre enquête qui porte plus sur les articulations entre les principales valeurs publiques mises en évidence dans la littérature. Cependant, les Question 1 (Quelles sont les principales valeurs qui selon vous devraient guider l’exécution d’une mission de service public ?) et Question 10 (Quelles sont les principales valeurs qui vous guident l’exécution de votre travail ?) font apparaitre une rubrique « autres » afin de prendre en compte des valeurs non précisées par nos cadres conceptuels. Les répondants ont majoritairement complété cette rubrique et ont pu préciser, reformuler ou compléter les réponses fournies dans les rubriques précédentes. Si ces questions ouvertes ne sont pas majoritaires dans notre questionnaire, les réponses obtenues ont été ajoutées aux réponses portant sur les valeurs plutôt issues de notre cadre conceptuel puis intégrées dans nos analyses.

Les tests de validité de notre échelle de mesure ont été construits selon deux étapes d’exploration et de confirmation (Churchill, 1979). Dans un premier temps, les différentes listes d’items et de modalités ont été soumises à un collège de six managers publics marocains. Une différence de jugement a conduit à la suppression des items ou des modalités équivoques. Dans un deuxième temps, un prétest de vingt questionnaires administrés en face à face auprès de managers publics marocains, a permis de renforcer la validité de l’instrument de mesure. L’échelle de mesure ainsi construite affiche un Alpha de Cronbach (a=.972) très significativement au-dessus du seuil communément accepté (a=.70) pour juger de la fiabilité d’une échelle (Nunnaly, 1978).

Tableau 2

Les engagements (commitment) publics

Les engagements (commitment) publics
Source : Berman et West, 2012

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Pour répondre aux exigences de notre quasi-expérience, nous avons constitué un premier groupe d’expérimentation (groupe 1) composé des 115 managers publics parmi les 800 cadres-managers de la fonction publique de la province d’El Jadida (Maroc). La province d’El Jadida se situe à 100 km au sud de Casablanca et dispose d’une activité économique dynamique grâce à l’extraction des phosphates (Entreprise OCP) et surtout grâce au port d’El Jadida et son activité de transport maritime. La province compte environ 900 000 habitants et elle comprend 8 500 fonctionnaires exerçant dans les divers domaines d’intervention de la Province (administration, technique, éducation, santé, transport, etc.). La province appartenait à la région Doukkala-Abda. Avec la nouvelle architecture territoriale marocaine basée sur la régionalisation avancée, El Jadida a été rattachée, à partir de 2015, à la région de Casablanca-Settat et constitue l’une de ses neuf provinces. Ceci est intervenu dans le cadre d’un processus de décentralisation, renforcé à partir de 2009, qui vise à accélérer le transfert de certaines compétences de l’Etat marocain au niveau local (provinces et municipalités)[3].

Notre enquête sur les valeurs des managers publics marocains s’inscrit dans une démarche longitudinale, qui nous permet, depuis fin 2016, de progressivement recueillir des réponses provenant de diverses administrations et provinces marocaines.

Ainsi, pour mener notre quasi-expérience, nous avons pu constituer un groupe témoin (groupe 2), composé de managers exerçant dans des administrations centrales ou déconcentrées. Ceci en vue de vérifier dans quelles mesures des résultats obtenus auprès de gestionnaires publics locaux pouvaient être généralisés à un échantillon plus large de managers publics.

La totalité des questionnaires ont été remis en face à face aux répondants et 75 % de ces questionnaires ont été complétés directement devant l’interviewer. Les autres ont été complétés après un certain délai puis récupérés par l’interviewer, toujours en face à face. Dans les deux cas, les répondants, qui sont tous des cadres marocains parfaitement francophones, ont pu bénéficier, lorsqu’ils le souhaitaient, de précisions concernant le contenu du questionnaire.

Les réponses obtenues et retenues ont été analysées à partir de l’outil statistique SPSS qui est un instrument adapté à l’approche méthodologique que nous souhaitions mettre en place. En effet, même si cet outil peut gérer de grandes populations statistiques, selon Hair et al. (1998), il peut être considéré comme suffisamment robuste à partir d’une taille d’échantillon minimale de 100 participants. A partit de cet outil d’analyse, nous avons construit 37 variables catégorielles issues, chaque fois, de la fusion de 3 ou 4 items provenant de notre questionnaire, permettant ainsi de respecter la structure d’ensemble des variables (ibid.).

Notre approche est exploratoire puisqu’elle vise à mesurer la présence des 37 valeurs publiques étudiées dans les perceptions des managers publics marocains et les éventuelles relations qu’elles entretiennent entre elles.

Pour cela, nous avons d’abord réalisé, sur les deux groupes étudiés, une analyse en composante principale (ACP) afin de mettre en évidence les valeurs publiques jugées comme les plus influentes par les managers interrogés.

Nous avons ensuite mené une analyse par régression multiples afin de proposer une hiérarchisation des valeurs publiques décrites par ces managers. Ceci a été accompli afin de tenter d’opérer, par la suite, une distinction entre valeurs premières, instrumentales et engagements telle que la suggèrent nos cadres conceptuels.

Résultats : des valeurs et engagements publics qui s’articulent

Au Maroc, le secteur public emploie 860 253 personnes dont 583 071 fonctionnaires civils de l’Etat, 147 637 fonctionnaires dans les collectivités territoriales et 129 545 agents des établissements publics locaux[4].

Nos deux échantillons sont respectivement constitués de 115 managers publics de la province d’El Jadida et de 118 managers appartenant à des administrations centrales (majoritairement, ministères de l’économie et des finances, de l’éducation nationale et de l’intérieur), situées à Casablanca et Rabat, ou dans certaines de leurs déconcentrations, principalement à Fès, Agadir et Oujda.

Les deux échantillons sont composés majoritairement d’hommes (68,7 % pour le premier groupe et 63 % pour le groupe témoin) plutôt jeunes (moins de 50 ans) et recrutés principalement au cours des 10 dernières années. Ces caractéristiques sont assez représentatives des managers publics marocains dans la mesure où d’importants recrutements ont été réalisés dans la fonction publique marocaine, à partir des années 2000, pour mettre en place progressivement les réformes publiques inspirées par le NPM. Ces recrutements ont notamment été réalisés à partir, d’une part, du vivier que constitue la jeunesse de la population marocaine et, d’autre part, des formations qui se sont développées dans de nouvelles écoles publiques et privées dédiées au management.

Dans ces deux échantillons, les responsables de service et les cadres administratifs et financiers sont majoritaires. Ceci est également assez conforme avec la réalité managériale au Maroc où les fonctions financières et de chefs de services sont encore surreprésentées dans la fonction publique.

L’Analyse en Composante Principale (ACP)

Nos premiers résultats nous ont permis de distinguer les valeurs les plus importantes en termes de management public au Maroc, du point de vue des managers. Ils montrent clairement l’apparition d’une hiérarchie de ces valeurs et un classement par ordre croissant d’importance. En effet, comme le montre le tableau 3, respectivement 15 et 16 variables représentent 80 et 85 % de la variance totale et nous remarquons que, pour les deux groupes, il existe quatre variables qui expliquent plus de 50 % de la variation des perceptions des cadres au Maroc (représentées en gris foncé dans le tableau), et huit à dix variables qui expliquent plus de 70 % (représentées en gris foncé et gris clair).

FIGURE 1

Description des groupe 1 (expérimental) et groupe 2 (témoin)

Description des groupe 1 (expérimental) et groupe 2 (témoin)
Source : auteurs

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Nous remarquons aussi que, dans nos deux groupes d’étude, l’équité est la composante principale, elle explique à elle seule respectivement 31,8 % et 32,7 % des perceptions des valeurs publiques par les cadres marocains. Jorgensen et Bozeman (2007) mentionnent dans leurs travaux la place très importante qu’occupe l’équité parmi les valeurs publiques occidentales notamment car, dans la sphère publique, sa définition englobe un grand nombre d’éléments dont, la justice distributive, l’égalité des chances, le traitement équitable et l’absence de discrimination favorisant la diversité (Park et Joaquim, 2012).

Au-delà de la définition très large qu’on lui attribue souvent dans le domaine public (ibid.), nous pouvons aussi essayer de justifier cette place prépondérante de l’équité dans le management public marocain par des explications contextuelles. La première explication peut être institutionnelle et elle vient du fait que la recherche de l’équité est une volonté d’afficher plus de transparence vis-à-vis des usagers (Ali et Wahabi, 1995) face à la bureaucratie qui caractérise l’administration marocaine (El Aoufi, 2000). La deuxième explication est plus culturelle, elle peut constituer une suite logique de la première dans la mesure où certains passe-droits pourraient exister dans l’administration marocaine. L’équité, qui est une valeur individuelle mais aussi normative, est une façon de s’opposer à ce genre de pratiques et à assurer une prestation de qualité à l’ensemble des usagers (Ali et Wahabi, op.cit.). Par ailleurs, cette valeur se retrouve dans les réponses des managers publics marocains qui, au-delà de leurs fonctions de management, sont aussi des usagers des administrations publiques, ce qui peut lui conférer également une dimension opérationnelle aux côtés de sa dimension normative.

Le principal objectif de notre travail est d’identifier les éventuelles articulations pouvant exister entre les valeurs publiques. Pour cela, nous avons fait le choix de porter notre attention sur des valeurs publiques identifiées comme majeures par la littérature même si ces dernières présentent un caractère normatif important. C’est le cas de l’équité qui peut être professée mais pas toujours appliquée ou actionnée.

L’analyse des valeurs publiques plus proches de la réalité des managers publics marocains, que nous avons également entrepris dans cette étude (tableau 4), illustre en partie cette distinction que l’on peut opérer entre valeurs professées et valeurs réellement activées. Ainsi, dans l’analyse des valeurs pratiques des managers marocains, l’équité reste une valeur énoncée par les praticiens mais de manière moins catégorique. Elle est nuancée par d’autres valeurs (respect des procédures, intérêt général, service des citoyens) avec lesquelles elle reste connectée mais qui permettent de décrire à travers quelles autres valeurs l’équité peut être actionnée dans la pratique. 

Le tableau 4 met en avant les réponses obtenues aux deux questions ouvertes de notre enquête dans les deux groupes de notre étude. Ceci nous permet de compléter nos analyses et de relativiser la portée de nos résultats dans le contexte marocain. En effet, l’équité, représente la valeur apparaissant avec le plus de fréquence dans les réponses ouvertes des deux groupes de managers publics interrogés (respectivement 18,74 % et 18 %, tableau 4) mais avec beaucoup moins de fréquence que dans l’analyse globale (31,81 % et 32,65 % tableau 3).

Tableau 3

Variances et variances cumulées des composantes principales

Variances et variances cumulées des composantes principales
Source : auteurs

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Ainsi, les valeurs « respect des procédures », « services aux citoyens », « intérêt général » sont citées comme des valeurs très importantes par les managers interrogés alors qu’elles le sont peu ou pas dans l’analyse globale des valeurs publiques (tableau 3). Aussi, il est probable que les managers, dans leurs réponses, à ces questions ouvertes puissent préciser ce qu’ils entendent par « équité » qui reste une valeur très générale. Pour ces managers, l’équité s’exprime aussi de manière pratique par le « respect des procédures », le « service aux citoyens » et l’« intérêt général ». Ce résultat permet de relativiser l’exhaustivité de nos résultats tout en laissant entrevoir des articulations qui peuvent exister entre des valeurs générales et normatives telles que l’équité et des valeurs plus pratiques.

Néanmoins, l’intégration, dans notre questionnaire, de questions ouvertes sur les valeurs pratiquées par les managers publics ne constitue qu’une analyse très partielle des liens pouvant exister entre des valeurs publiques globalement admises et professées et les valeurs vécues. Les questionnements portant sur ces deux types de valeur se succédant, il est possible que, dans leurs réponses aux questions ouvertes, les répondants soient influencés par les valeurs suggérées dans nos modèles conceptuels. Néanmoins, l’analyse de ces dernières réponses (tableau 4) laisse transparaitre des résultats intéressants suggérant que certaines valeurs publiques peuvent prendre un caractère purement normatif (par exemple, la reconnaissance sociale), d’autres pouvant être à la fois normatives et pratiques (équité, respect des procédures) et d’autres encore pouvant être essentiellement pratiques (« intérêt général » par exemple). Ceci était suggéré par nos deux cadres conceptuels mais nos résultats permettent de mieux caractériser ces différences entre les valeurs publiques.

Notre choix de rapprocher le cadre conceptuel des valeurs publiques (Jorgensen et Bozeman, 2007), qui portent plus sur des valeurs générales, et celui des engagements publics (Berman et West, 2012), en lien avec des actions pratiques, essaie, en mobilisant des cadres déjà éprouvés, de définir comment ces articulations se construisent. Afin de compléter cette analyse des articulations des valeurs publiques que nous tentons d’opérer, la première analyse des réponses à nos questions ouvertes suggère d’approfondir, dans de futurs travaux, l’étude des articulations portant plus spécifiquement sur les liens entre valeurs génériques et valeurs pratiques.

Parmi les valeurs majoritairement citées dans cette étude, la reconnaissance sociale, qui est la deuxième variable par ordre d’importance observée dans les deux groupes (tableau 3), représente la volonté d’être bien considérée par les autres agents et par les supérieurs hiérarchiques. Cette reconnaissance présente des caractéristiques ambivalentes car, dans certains cas, elle peut être synonyme de prise d’initiative et de motivation des managers mais, dans d’autres cas, elle peut également illustrer une certaine soumission à la hiérarchie. Cette dernière valeur apparaissant, d’ailleurs, comme très importante dans le premier groupe étudié (groupe 1).

La troisième variable la plus observée dans nos deux groupes est l’équilibre, qui est, quant à elle, une variable qui exprime l’interaction entre les acteurs publics. Elle se manifeste à travers la recherche d’une action équilibrée entre les considérations personnelles et professionnelles des managers publics.

L’analyse par régressions linéaires multiples

En réalisant, pour chacun des deux groupes, une analyse par régression linéaire multiple sur chacune des variables soulevées dans l’ACP, les résultats apportent d’autres éléments de réponse permettant de comprendre les articulations entre ces valeurs publiques, dans le contexte marocain. L’exemple de la valeur « équité » permet d’illustrer l’intérêt analytique des résultats obtenus par ce type d’analyse.

Tableau 4

Les valeurs énoncées par les managers publics marocains

Les valeurs énoncées par les managers publics marocains
Source : auteurs

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En introduisant cette valeur comme variable dépendante dans le groupe 1, le tableau 5 montre que les managers publics l’associent principalement au respect des usagers, à l’équilibre des décisions, à une amélioration de la qualité de service et au fait d’avoir des objectifs collectifs. En procédant à la même démarche dans le groupe 2 (tableau 5), nous constatons que l’équité est toujours obtenue par l’équilibre et la fixation d’objectifs collectifs mais aussi par le respect des procédures et le mérite de chaque agent alors que, pour le groupe expérimental (groupe 1), elle est associée au respect des usagers ou à une meilleure qualité du service. Ceci peut se justifier par le fait que le groupe 1, constitué de fonctionnaires publics territoriaux, est en contact direct avec les usagers (Hanana et Houfaidi, 2016) et accorde peut-être plus d’importance à l’usager et à la qualité du service rendu à ces usagers, alors que, le groupe 2, constitué de fonctionnaires d’administration centrale, moins en contact avec les usagers (ibid.), est peut-être plus préoccupé de procédures et de mérite individuel. Ceci reste un résultat important mais partiel qui méritera d’être complété dans le futur par une étude approfondie, sur le plan managérial, des articulations entre valeurs normatives et valeurs pratiques.

Tableau 5

Résultats des régressions linéaires pour la variable « équité » Groupe 1 et 2

Résultats des régressions linéaires pour la variable « équité » Groupe 1 et 2
Source : auteurs

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Le principal objectif et intérêt de l’utilisation de la régression multiple dans notre cas réside dans la mise en évidence de différentes formes de valeurs publiques et d’articulations entre celles-ci. Néanmoins, il est aussi intéressant de constater qu’il existe des articulations communes et différentes entre les deux groupes étudiés qui se justifient, comme le suppose la mobilisation d’une quasi-expérience, par les caractéristiques des deux échantillons étudiés (Cook et al., 2002). Ceci est particulièrement illustré par le tableau 6 qui récapitule l’ensemble des résultats des régressions linéaires réalisées sur les valeurs publiques définies par notre ACP. Ces résultats permettent de définir des constellations de valeurs (tableau 6) comprenant des valeurs principales et associées proches des constellations définies par Jorgensen et Bozeman (2007).

En effet, il apparait que certaines valeurs principales (en gras dans le tableau) peuvent être à la fois valeurs principales et valeurs associées. D’autres, par contre, ne sont que principales (en italique). D’autres, enfin, ne sont qu’associées (en noir).

A partir de ces résultats, si l’on mobilise, en les rapprochant, les deux modèles de notre cadre conceptuel, nous pouvons proposer une lecture de nos résultats en trois dimensions (tableau 7) en retrouvant les trois grandes catégories de valeurs qu’ils définissent. Les valeurs principales et non associées (en italique) prennent la forme de valeurs premières (Van Dyke, op.cit., Jorgensen et Bozeman, op.cit.) car elles ne disposent pas de valeurs supérieures. Les valeurs principales et associées (en gras) sont des valeurs instrumentales (ibid.) car elles contribuent à l’obtention d’autres valeurs. Les valeurs associées (en noir) peuvent être considérées comme des engagements car elles sont toujours associées à une valeur supérieure (Berman et West, 2012) et permettent donc de les obtenir.

La comparaison des résultats des deux groupes permet de constater, auprès des répondants, une importante homogénéité des valeurs principales et associées. L’équité et la hiérarchie se retrouvent comme valeur premières dans les deux groupes. La reconnaissance sociale et l’autorité sont des valeurs premières propres à chaque groupe.

Le principal intérêt de ces résultats réside dans la mise en évidence, dans les deux groupes étudiés, d’articulations entre les valeurs et les engagements publics définis par les deux cadres conceptuels mobilisés dans cette étude. Par contre, il est intéressant de constater que certaines nuances de valeurs peuvent apparaitre, entre les deux groupes étudiés, notamment en ce qui concerne les engagements mis en oeuvre par chaque fonctionnaire. Dans une étude portant spécifiquement sur les différences d’engagements publics entre managers territoriaux et centraux, il sera très opportun, dans l’avenir, comme nous l’avons fait plus haut, uniquement pour l’équité, de mieux caractériser ces nuances pour chacune des valeurs observées.

Un approfondissement de notre connaissance des valeurs publiques et de leurs dynamiques

Nos premiers résultats permettent de mettre en évidence des constellations de valeurs publiques ainsi qu’une hiérarchie entre ces valeurs (valeurs principales et valeurs associées). Mais au-delà de cette classification, ces résultats laissent transparaitre une dynamique des valeurs publiques qu’il est important d’analyser en profondeur.

Les résultats de l’ACP ont défini les valeurs publiques les plus influentes auprès de notre échantillon de managers marocains (tableau 3). Par la suite, notre analyse par régression linéaire a permis de déterminer une hiérarchie entre ces valeurs notamment en distinguant des valeurs premières et instrumentales (tableau 6). Le tableau 7 permet d’établir les connexions existantes entre ces deux types de valeurs et des engagements publics. L’intérêt de ces connexions réside dans les dynamiques qu’elles permettent de faire apparaitre. La quasi-expérience que nous menons dans cette étude permet principalement de constater qu’il est possible de faire apparaitre quatre constellations majeures, deux identiques aux deux groupes étudiés (équité et hiérarchie) et deux distinctes (autorité et reconnaissance sociale) (figure 2). Ceci démontre une importante similitude parmi les valeurs premières qui guident les managers publics marocains. Il s’agit du premier apport important de notre recherche car il démontre qu’à partir de deux échantillons distincts de fonctionnaires, il est possible de distinguer, dans un même pays, des constellations articulées autour de valeurs premières relativement proches. Ceci vient compléter les analyses qui décrivaient jusqu’ici des assemblages génériques de valeurs publiques sans véritable prise en compte de spécificités nationales ou administratives (Van der Wal et al., 2006. Jorgensen et Bozeman, 2007; Nabatchi, 2012; Rutgers, 2015).

De plus, en décrivant, dans ces constellations, les articulations qui s’opèrent entre valeurs premières, instrumentales et engagements publics (tableau 7), notre quasi-expérience permet de décrire, selon le type d’administration, les différentes manières de favoriser les valeurs premières.

L’exemple des administrations territoriale et centrale au Maroc recense de manière magistrale des institutions dont les contours présentent un niveau de visibilité particulièrement important et font cohabiter des caractéristiques culturelles très marquées avec des réformes publiques récentes et plus ou moins vigoureuses selon le type d’administration.

Par exemple, dans cette étude, pour le groupe 1, la valeur première « hiérarchie » est associée aux valeurs instrumentales « solidarité », « respect des procédures » et « compétences » (tableau 7). Pour le groupe 2, cette même valeur première est associée aux valeurs instrumentales « neutralité » « respect des budgets » « efficacité ». Ceci montre que les constellations, si elles portent sur une même valeur première, peuvent être actionnées de manière différente selon le type de manager. Ainsi, on peut essayer d’analyser ces différences à partir des dynamiques de création des valeurs publiques propres à chacune des deux administrations étudiées.

Il apparait que les quatre dimensions qui expriment le mieux la dynamique de ces valeurs sont leur niveau de continuité (ou stabilité) et d’innovation, d’une part, leur caractère public ou privé, d’autre part (figure 2). Ceci constitue un résultat propre à notre étude mais il permet de proposer, pour la première fois, à notre connaissance, deux axes (à quatre dimensions) d’analyse de la dynamique des valeurs publiques. Un axe « public-privé » représentatif de la diversité d’origine des valeurs décrites par notre étude et un axe « continuité-innovation », inspiré par l’approche néo-institutionnelle (Kuhlmann, 2010).

En effet, la lecture des valeurs publiques mises en évidence par notre étude confirme les travaux sur les valeurs publiques qui décrivent dans les organisations publiques, de manière quasi unanime, la coexistence de valeurs issues des sphères publique ou privée (Bozeman, 2007, Bryson et al., 2014; Chanut et al., 2015; Mériade et Qiang, 2015). Il apparait dans notre étude que les constellations de valeurs décrites se caractérisent elles aussi par la combinaison de valeurs pouvant présenter, selon les cas, des attributs plutôt publics ou plutôt privés. Ceci justifie un premier niveau de dynamisme de ces constellations qui peut se lire sur une échelle public/privé permettant de qualifier chacun d’entre elles.

Tableau 6

Les constellations de valeurs dans le management public marocain

Les constellations de valeurs dans le management public marocain
Source : auteurs

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Parallèlement, l’approche néo-institutionnelle dite « sociologique » (Selznick 1957; DiMaggio et Powell 1983; Brint et Karabel, 1991) souligne la centralité des institutions (schèmes cognitifs, valeurs culturelles, normes et règles) qui en imprégnant les représentations des acteurs influencent, à la fois, leurs actions à venir mais également les nouvelles institutions que ces dernières façonnent. Pour cette approche, les changements pouvant intervenir dans les organisations publiques sont marquées autant par des éléments de continuité que par des facteurs d’innovation (Kuhlmann, op.cit.).

Ainsi, le positionnement de l’ensemble des valeurs premières et instrumentales d’une même constellation sur cette matrice à quatre dimensions (figure 2) permet de mieux caractériser les valeurs publiques principales (les valeurs premières) propres à une organisation publique. Par exemple, pour le groupe 1, la valeur « hiérarchie » présente des caractéristiques plutôt permanentes et relativement stables dans le management public marocain (El Amrani et Chebihi, 2003). Par contre, les valeurs instrumentales qui l’incarnent présentent, soit un caractère public (pour les valeurs « solidarité » et « respect des procédures »), soit un caractère privé (dans le cas de la valeur « compétences ») en lien avec une préoccupation nouvelle et essentielle du management public territorial qui est la qualité du service aux usagers (Hanana et Houfaidi, op.cit.). Pour le groupe 2, la valeur « hiérarchie » peut être positionnée sur cette matrice de manière similaire au groupe 1, par contre, elle semble être actionnée par des valeurs propres à l’administration centrale et peut-être moins en lien avec la qualité du service (« neutralité », « respect des budgets », « efficacité »).

Tableau 7

La hiérarchie des valeurs dans le management public marocain

La hiérarchie des valeurs dans le management public marocain

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Par ailleurs, toujours à titre d’exemple, dans nos échantillons de managers publics au Maroc, les valeurs premières « autorité » (Groupe 1) et « reconnaissance sociale » (Groupe 2) peuvent être définies comme moins traditionnelles et stables que la hiérarchie, notamment à la lecture des valeurs instrumentales qui les influencent (figure 2). En effet, à la différence de la hiérarchie qui est plus prescrite, elles apparaissent ici comme des valeurs plus construites qui s’obtiennent par des valeurs instrumentales apparues récemment dans le management public (efficacité et harmonie, liberté, relationnel; figure 2).

Ceci peut justifier que les valeurs « autorité » et « reconnaissance sociale » sont les seules constellations non communes aux deux groupes étudiés. En effet, leurs observations peuvent dépendre du type d’administration publique étudié et du caractère « stable-innovant » des valeurs instrumentales qui les favorisent. Même si ces deux constellations présentent des valeurs mutuellement partagées (harmonie, reconnaissance sociale, autorité), elles se distinguent également par des valeurs plutôt issues de la sphère privée (efficacité, organisation, liberté, relationnel), apparues plus récemment dans les organisations publiques, et qui sont probablement actionnées de manière différente selon les administrations et leur exposition aux réformes issues du NPM. 

Aussi, cette matrice constitue un second apport important de notre travail car¸ en les distinguant à travers leurs dimensions « publique-privée » et « stable-innovante », elle permet, tout d’abord, de renforcer notre connaissance des valeurs publiques puis, de les associer à différentes formes d’administrations publiques.

FIGURE 2

La matrice des valeurs publiques au Maroc

La matrice des valeurs publiques au Maroc
Source : auteurs

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Dans notre exemple, mais peut être également dans de nombreux pays présentant des similarités dans leur exposition aux réformes issues du NPM (pays du Maghreb ou pays de l’Est de l’Europe) (Bézès 2007), nos résultats montrent que la tradition et la nouveauté combinées avec la variété des valeurs sont les éléments à privilégier par les gestionnaires publics pour favoriser la construction des valeurs publiques dans leurs organisations. Ce résultat représente un résultat important, notamment en matière de management international des valeurs publiques, car il montre que le contexte de réformes publiques (localisation et type d’administration) détermine la manière dont les valeurs publiques se créent et s’articulent. Ceci permet de qualifier avec plus exactitude chacune des constellations de valeurs publiques propres à une forme d’administration et, ainsi, cela offre aux managers publics l’opportunité de mieux gérer les valeurs qui leur semblent importantes dans leur management quotidien.

Aux côtés de l’analyse des constellations publiques, pour mieux comprendre comment obtenir les valeurs qui s’y rapportent, le concept d’engagement (Berman et West, 2012) permet de préciser les actions à privilégier. Le tableau 6 décrit, pour chacune des constellations repérées, les engagements, c’est à dire les comportements et les actions (ibid.), que les gestionnaires publics doivent favoriser. Ceci constitue, sur le plan managérial, un troisième apport significatif de notre étude car il relie, à notre connaissance, pour la première fois dans la littérature, les valeurs publiques et les actions et comportements qui permettent de les favoriser. De plus, toujours sur un plan managérial, ceci peut également permettre de déterminer les engagements adaptés à chaque contexte (ici, selon le type d’administration). En effet, les engagements publics que Berman et West (2012) mettent en évidence, et que nous analysons dans le contexte du management public marocain, permettent de commencer à décrire une mise en pratique des valeurs publiques puisque les engagements sont des actions publiques au service de valeurs publiques supérieures souvent plus normatives.

Par exemple, pour le cas du groupe 1 étudiée, pour obtenir l’équilibre qui favorise l’équité, les gestionnaires publics territoriaux devront prôner des engagements présentant des liens étroits avec les usagers des services publics (patience, qualité du service, respect des positions sociales, réactivité des agents, fixation d’objectifs collectifs) (tableau 6). Pour le groupe 2, cet équilibre favorisant l’équité, s’obtiendra plutôt par des engagements plus en lien avec les principes généraux de la fonction publique (engagement, égalité, travail, maitrise des coûts, réactivité, la fixation d’objectifs collectifs). Les engagements publics communs aux deux groupes (ici la réactivité et la fixation des objectifs) représentant des actions et comportements publics qui pourraient permettre de rapprocher les modes de management et de communication des administrations territoriale et nationale.

Plus loin encore, ce rapprochement entre valeurs publiques et engagements développe notre compréhension de la création des valeurs publiques car il permet d’articuler mais aussi de distinguer les objectifs de valeurs publiques et les critères opérationnels qui permettent de les atteindre.

En effet, ces engagements se rapportent plus directement aux résultats (outputs et outcomes) des interactions internes, entre agents publics, ou externes, avec les usagers ou les citoyens. Ils peuvent, d’une part, être mesurés et, d’autre part, comme nous avons essayé de le montrer dans cette étude, s’inscrire dans la description d’un processus dynamique d’actions ou de comportements à suivre et surveiller pour créer les valeurs publiques.

Conclusion

L’objectif de ce travail était de décrire les articulations entre les valeurs publiques appartenant à un même univers de valeurs.

A travers une quasi-expérience menée au Maroc, notre étude avait pour but, avant d’obtenir une lecture des valeurs propres à chaque type d’administration publique marocaine, d’améliorer notre connaissance des modes de fonctionnement des constellations de valeurs publiques.

Les apports théoriques de notre travail sont doubles. D’une part, notre travail permet de mettre en évidence l’existence, non encore illustrée dans la littérature, d’articulations entre valeurs et engagements publics. Ceci permet notamment de révéler une dynamique des valeurs publiques obtenue par les liens que nous décrivons entre engagements, valeurs instrumentales et valeurs premières. Il importera, dans le futur, de vérifier, par des approches plus qualitatives, dans quelles mesures cette dynamique favorise ou non la construction des valeurs publiques.

D’autre part, et en parallèle, notre travail permet de mieux caractériser les valeurs premières et instrumentales mis en avant par des travaux antérieurs (Van Dyke, op.cit., Jorgensen et Bozeman, op.cit.). La matrice des valeurs publiques, portant sur les deux échantillons étudiés, permet d’illustrer la stabilité et le changement de ces valeurs notamment en fonction de leurs caractères publics ou privés.

L’objectif de notre étude portait sur l’analyse des articulations des valeurs entre elles et pas nécessairement sur une présentation exhaustive des valeurs présentes dans le management public marocain. En effet, dans la littérature en management public, peu de travaux avaient jusqu’ici mis en évidence une dynamique des valeurs publiques qui se connectent entre elles.

Notre travail mentionne que de telles dynamiques peuvent exister et qu’elles s’opèrent entre valeurs premières, instrumentales et engagements publics. S’il présente l’existence de ces articulations, il indique également que les valeurs qui ont été étudiées ne sont pas toutes représentatives de la pratique des managers. Certaines de ces valeurs sont purement normatives d’autres sont normatives et pratiques, d’autres sont principalement pratiques (certains engagements publics notamment). A cet effet, un apport complémentaire mais encore partiel de notre travail se situe dans la distinction que l’on peut opérer entre ces trois types de valeurs publiques même s’il ne s’agissait pas de l’objectif principal de notre recherche que de mettre en évidence ces trois catégories de valeurs pratiques. Aussi, il conviendra, dans l’avenir, de réaliser la même analyse, en nous focalisant sur des valeurs qui auront été explicitement énumérés par les managers publics, afin de déterminer si l’on peut identifier des articulations spécifiques entre ces trois catégories de valeurs.

En termes d’implications managériales, au-delà des contributions présentées ci-dessus, notre travail propose également une grille de lecture des valeurs publiques et de leur éventuel processus de création. Un récent rapport de la cour des comptes sur l’administration publique marocaine[5] fait part d’importants dysfonctionnements notamment en matière de qualité des services. Notre analyse offre l’opportunité aux managers publics de connecter les actions et comportements publics avec les valeurs publiques essentielles dans leurs organisations. Cela doit les inciter à percevoir les valeurs publiques de manière dynamique afin, d’une part, de favoriser leur création, voire, d’autre part, comme certains travaux l’ont déjà entrepris, de les intégrer dans des tableaux de bord de la valeur publique (Public value scorecard, Meynhardt et al., 2014).

Cependant notre travail présente un certain nombre de limites inhérentes à la construction de notre étude. L’ambition de ce travail était avant tout d’essayer de vérifier l’existence des articulations pouvant exister entre les valeurs et engagements publics décrits dans la littérature et ainsi améliorer notre compréhension de la construction de ces valeurs. Cependant, cette approche présente des limites quant à l’exhaustivité des valeurs décrites dans le management public marocain. La question de la réalité de ces valeurs publiques n’a pas été parfaitement approchée dans ce travail tout comme elle ne l’avait pas été par les travaux que nous mobilisons comme cadres conceptuels. Cette question reste entière et renvoie sans doute à la nécessité de définir dans des études complémentaires quelle est la part de l’idéologie ou du symbole (Geertz, 1973; Ricoeur, 1997) dans les valeurs énoncées par les managers. Pour cela, des approches plus qualitatives devront chercher à répondre à cette question centrale, par exemple, en confrontant les valeurs recensées par nos cadres conceptuels et celles qui pourraient provenir des valeurs réellement actionnées par les managers publics marocains dans leur quotidien.