Abstracts
Résumé
Le design thinking (DT) se présente comme une méthode de créativité collective particulièrement adaptée à la résolution des problèmes pernicieux. Cependant les travaux sur le DT prennent peu en compte le caractère ouvert des problèmes pernicieux. Nous développons un modèle de la capacité d’une équipe créative à adresser un problème pernicieux basé sur une étude qualitative comparative de quatre projets DT. Cette recherche suggère de développer une démarche permettant une problématisation progressive, la création d’un climat de confiance et la production de résultats de recherche intermédiaires pour alimenter le débat.
Mots-clés :
- problème pernicieux,
- Design Thinking,
- créativité collective
Abstract
Design Thinking (DT) is a method of collective creativity presented as particularly relevant for wicked problems. However, research on DT does not really take into account the open nature of wicked problems. We develop a model of a creative team’s ability to address a wicked problem based on a comparative qualitative study of four DT projects. This research suggests adopting an approach that would enable a team to improve problem framing over the course of the process, create a climate of trust and produce intermediate research data to support collective debate.
Keywords:
- Wicked problem,
- Design Thinking,
- collective creativity
Resumen
El Design Thinking (DT) se suele presentar como un método de creatividad colectiva para resolver problemas perniciosos. Sin embargo, las investigaciones sobre el DT toman en cuenta muy poco la naturaleza abierta de este tipo de problemas. Desarrollamos un modelo de la capacidad de un equipo creativo confrontado a un problema pernicioso, basándonos en un estudio comparativo de cuatro proyectos DT. Esta investigación propone adaptar el DT de manera que la problematización sea progresiva, en un clima de confianza y que se produzcan resultados intermedios de investigación que contribuyan al debate.
Palabras clave:
- problema pernicioso,
- Design Thinking,
- creatividad colectiva
Article body
L’expression de la mission des grands groupes multinationaux fait généralement référence à de grands enjeux sociétaux : « apporter la santé par l’alimentation » (Danone), « protéger les ressources et les écosystèmes » (Suez), « organiser les informations mondiales et les rendre accessibles à tous » (Google), ou encore « tirer le meilleur parti des ressources énergétiques » (Schneider Electric »).[1] La capacité des entreprises à proposer des solutions innovantes en réponse à ces grands enjeux nécessite une créativité organisationnelle leur permettant de s’engager de façon proactive dans la résolution de problèmes ouverts (Getzels, 1975; Unsworth, 2001). Parmi les problèmes ouverts, les problèmes dits pernicieux (en anglais : wicked problems) ne peuvent jamais être totalement résolus (Rittel et Webber, 1973; Rowe, 1987; Von Thienen, Meinel et al., 2014). Le réchauffement climatique, la pauvreté, la criminalité dans un quartier sont des exemples de problèmes pernicieux (Rittel et Webber, 1973). Autant une enquête criminelle s’arrête quand on a trouvé le coupable car le cas est résolu, autant la question de la criminalité en général ne peut trouver de solution unique et définitive tant elle est multidimensionnelle et complexe. Le premier cas relève de la résolution de problème ou problem solving, le second, plutôt de la découverte du problème ou problem finding. La problématisation est clé pour les problèmes du second type : il s’agit de les poser de manière radicalement nouvelle pour les faire progresser vers une solution (Getzels, 1975).
Parmi les démarches de créativité organisationnelle, le design thinking (ci-après noté DT), se positionne comme une méthode adaptée aux problèmes pernicieux (Buchanan, 1992; Johansson-Sköldberg, Woodilla et al., 2013; Von Thienen, Meinel et al., 2014). Le DT est une démarche créative de résolution de problème qui emprunte les principes, les méthodes et les outils du design (Brown, 2008). Elle est centrée sur l’humain (Kelley et Kelley, 2012) et l’empathie vis à vis de l’utilisateur (Leonard et Rayport, 1997; Veryzer et Borja de Mozota, 2005) et met en oeuvre des principes d’observation, de collaboration, de prototypage rapide et d’apprentissage par le faire (Lockwood, 2009; Liedtka, 2015).
Le lien entre le DT et les problèmes pernicieux pose à notre sens un double problème. Premièrement, dans les recherches sur le DT, la notion de problème pernicieux, si elle est souvent évoquée, est peu explicitée ou modélisée (Dunne et Martin, 2006; Johansson-Sköldberg, Woodilla et al., 2013). De plus, les exemples présentés dans les recherches empiriques sur le DT ne relèvent pas tous de problèmes pernicieux à proprement parler : « développer une seringue pour améliorer l’injection » (Seidel et Fixson, 2013), « comment convaincre les moins de 40 ans de souscrire une assurance-vie ? » (Brown et Martin, 2015) ou encore « comment reconcevoir le centre client chez Toyota ? » (Liedtka, King et al., 2013). Il est donc nécessaire de bien caractériser les problèmes pernicieux par rapport à d’autres problèmes moins complexes pouvant être également adressés avec le DT.
Deuxièmement, la démarche DT se présente dans la littérature comme une démarche de résolution de problème (Liedtka, 2015). Dans ses différentes variantes, elle prévoit une phase formelle de compréhension et de formulation du problème, suivie par des phases de résolution du problème (Dunne et Martin, 2006; Brown, 2008). Comment alors adresser de manière créative des problèmes pernicieux qui, par définition, ont une formulation constamment évolutive et pas de solution définitive ?
Les recherches actuelles sur le DT ne mettent pas en relation cette démarche de créativité avec la notion de problème pernicieux. C’est pourquoi notre recherche se propose de caractériser les problèmes pernicieux, d’en déduire des capacités créatives au niveau des équipes projet puis d’étudier empiriquement comment le DT permet d’adresser les problèmes pernicieux.
La partie 1 propose un modèle théorique de la capacité à adresser un problème pernicieux en partant des caractéristiques de ces problèmes. Les trois piliers de la démarche DT que sont le processus, les outils et l’état d’esprit (Carlgren, Rauth et al., 2016) sont ensuite discutés par rapport aux caractéristiques des problèmes pernicieux.
La partie 2 présente la méthodologie et le terrain de recherche. Nous avons mené une étude qualitative comparative de quatre projets DT impliquant des équipes interdisciplinaires d’étudiants de master pendant un semestre en interaction avec une équipe d’enseignants et un partenaire industriel du secteur de la valorisation des déchets. La partie 3 présente nos observations sur chaque projet puis une comparaison entre les quatre projets. La comparaison des cas permet de formuler des propositions sur les apports et limites du DT pour adresser ce type de problème. La partie 4 propose une discussion de la littérature sur la capacité du DT à adresser les problèmes pernicieux ainsi que de nouvelles pistes managériales pour aider les équipes créatives à aborder ces problèmes.
Cadre conceptuel
Nous développons tout d’abord un modèle de la capacité à adresser un problème pernicieux puis nous analysons les processus, outils et postures mentales du DT. Cela permet de repérer au plan théorique des angles morts dans la démarche DT par rapport aux exigences spécifiques liées aux problèmes pernicieux et de formuler deux questions de recherche complémentaires : 1. Quelles sont les dimensions spécifiques à prendre en compte pour adresser un problème pernicieux ? et 2. Dans quelle mesure le DT, en tant que démarche de créativité, permet d’adresser les problèmes pernicieux ?
Un modèle des problèmes pernicieux et de la capacité à les adresser par une démarche de créativité
Etymologiquement, « problème » signifie « ce qu’on a devant soi, un obstacle, une question à résoudre ». Le problème est donc littéralement ce qui est devant nous et qui nous empêche d’agir.
Types de problèmes et démarches de créativité
Les démarches de créativité classiques comme CPS (Creative Problem Solving) commencent par un travail de formulation du problème à résoudre. Dans CPS, cette phase est appelée phase de clarification. Elle est définie comme la capacité à comprendre puis formuler un problème ou défi créatif, généralement exprimé sous la forme « comment faire pour … » (Treffinger, Isaksen et al., 2005). Ce travail de formulation varie selon le type de problème à adresser (Unsworth, 2001). Un problème fermé, typiquement un problème d’algèbre, est présenté de manière claire et la méthode pour le résoudre est connue (Getzels, 1975). A l’opposé un problème ouvert se caractérise par le fait qu’il doit être découvert ou inventé (Unsworth, 2001). Pour ces problèmes ouverts ou mal définis, la problématisation (problem finding) est centrale. Le travail de créativité consiste alors essentiellement à découvrir les problèmes (Getzels, 1975).
Le cas des problèmes pernicieux
Dans un des tous premiers ouvrages sur le design thinking, Rowe (1987, p. 40-41) propose la typologie suivante des problèmes :
les problèmes bien définis (well-defined problems) pour lesquels les objectifs sont prescrits et la recherche de solutions nécessite simplement de trouver les moyens adéquats pour atteindre les objectifs;
les problèmes mal définis (ill-defined problems) pour lesquels à la fois les moyens et les fins sont inconnus;
les problèmes pernicieux (wicked problems) sont une catégorie de problèmes mal définis sans formulation définitive possible, sans règle de fin, et sans règle de véracité.
Rowe s’appuie sur le travail de Horst Rittel, enseignant en design et architecture qui a formalisé cette notion de problème pernicieux dans un article portant sur la décision et la planification en politique (Rittel et Webber, 1973). Les auteurs prennent comme exemple de grands problèmes sociaux ou politiques (où faire passer une autoroute, comment ajuster les taux d’imposition, la réforme des programmes scolaires), problèmes qui selon eux n’ont fondamentalement pas de solution. Ils les opposent aux problèmes mathématiques ou scientifiques qui ont des solutions. Ces problèmes quasiment « sans solution » sont appelés problèmes pernicieux et sont définis par dix caractéristiques (tableau 1).
Un modèle de la capacité à adresser un problème pernicieux de manière créative
Afin de repérer de quelles capacités une équipe créative doit faire preuve pour adresser les problèmes pernicieux, nous regroupons tout d’abord leurs caractéristiques selon trois étapes : la construction du problème puis la focalisation sur un aspect particulier à traiter au cours du travail créatif et enfin l’attitude par rapport à la solution élaborée.
Nous en déduisons ensuite un ensemble de capacités spécifiques pour adresser un problème pernicieux afin de proposer un premier modèle qui sera mis à l’épreuve du terrain.
Construction du problème
Un problème pernicieux n’a pas a priori d’ensemble de solutions possibles (règle 6), il est donc ouvert. Il est unique (règle 7) et s’inscrit dans un faisceau de relations systémiques (règle 8). La manière de l’aborder dépend de ceux qui l’analysent (règle 9) et son importance engage les décideurs sur les solutions implémentées (règle 10).
Nous en déduisons la proposition suivante : l’équipe créative construit le problème en prenant en compte son caractère pernicieux : elle identifie un problème qui n’a pas de solution connue, reconnaît son unicité (à travers la compréhension de son contexte unique), son côté systémique (à travers la modélisation des différents niveaux de problèmes), le choix assumé d’une façon de l’aborder (un point de vue), son importance (ses enjeux).
Focalisation sur un aspect du problème
La problématisation et la recherche de solutions sont concomitantes (règle 1). Il n’est donc pas possible de figer la formulation du problème pour ensuite passer en phase de génération d’idées, comme cela est généralement proposé dans les démarches de créativité centrées sur la résolution de problèmes (Unsworth, 2001). Au contraire, la formulation du problème évolue au fur et à mesure que l’équipe intègre de nouvelles connaissances. La règle 8 nous renseigne sur le niveau de problème à adresser : s’il est trop général du type « comment résoudre la criminalité aux Etats-Unis », la recherche de solutions sera vaine. En revanche, s’il est trop précis, les impacts d’une solution créative seront limités aux symptômes.
Nous en déduisons la proposition suivante : l’équipe créative choisit d’adresser le problème à un certain niveau, ni trop large, ni trop étroit. Formuler une problématique qui est trop large peut entrainer des difficultés à savoir par où commencer et comment résoudre le problème créatif. A l’opposé, poser un problème qui est trop étroit conduit à des concepts de solutions peu innovants qui risquent de ne pas atteindre l’impact escompté (Brown et Katz, 2011). L’équipe sait par ailleurs faire évoluer ou pivoter sa problématique tout au long du processus créatif au fur et à mesure de la collecte de connaissances nouvelles.
Attitude par rapport à la solution
Un problème pernicieux n’est jamais totalement résolu (règle 2), et il n’y a pas de solution juste (règle 3). La mise en oeuvre de la solution agit de manière irréversible sur le corps social et que l’on ne peut pas recommencer si cela ne marche pas puisque l’on intervient sur le réel (règles 4 et 5).
Nous en déduisons la proposition suivante : à l’issue du travail créatif, les équipes créatives envisagent la suite des investigations car le problème n’est jamais résolu, tout en prenant en compte les conséquences de l’implémentation d’une solution qui n’est que provisoire.
Adresser les problèmes pernicieux par l’approche Design Thinking
Le DT est souvent présenté comme une méthode particulièrement adaptée pour traiter les problèmes pernicieux et ce, depuis l’article de Buchanan, « Wicked Problems in Design Thinking », publié en 1992 soit bien avant l’engouement récent pour le DT.
Les études empiriques sur les pratiques de DT dans les organisations repèrent trois manières de définir le DT : les activités réalisées ou le processus (process), les techniques et outils (toolbox) et les principes généraux ou l’état d’esprit (mindset) (Schmiedgen, Rhinow et al., 2015; Carlgren, Rauth et al., 2016).
Le processus DT
Les modèles opérationnels de processus DT ont été développés autour de l’agence de design IDEO avec notamment les travaux de Tim Brown (2008, 2009) et la Design School de Stanford. Plusieurs variantes de processus ont été développées depuis mais convergent généralement sur une structuration en trois temps : la collecte de données sur l’utilisateur pour comprendre le problème, la génération d’idées et enfin le test ou l’implémentation (Liedtka, 2015). Un processus DT démarre le plus souvent par un « brief » qui décrit la grande question à adresser par l’équipe créative (Brown, 2009). Cette équipe créative est formée de designers mais également d’experts de différents domaines tels que des psychologues, ethnologues, ingénieurs, experts du marketing et du business travaillant en interdisciplinarité (Brown, 2009). Partant du brief, le DT, comme d’autres approches de créativité, alterne deux mécanismes : la divergence, qui est la capacité de générer des connaissances ou des idées en grand nombre et la convergence, qui correspond à la capacité à évaluer et à sélectionner les idées en fonction de critères comme la désirabilité, la faisabilité et la viabilité. (Glen, Suciu et al., 2014; Hsiao et Chou, 2014). Le modèle de la Design School de Stanford propose une première boucle de divergence/convergence qui consiste à observer les utilisateurs dans leur contexte (phase dite d’empathie) puis à définir le problème à partir du point de vue d’un utilisateur avant de passer à la phase de génération d’idées ou idéation puis au prototypage de solutions. Celui de la Hasso Platner School of Design Thinking de Potsdam découpe la phase d’empathie en deux parties : comprendre le problème et observer (Carlgren, Rauth et al., 2016). La convergence consiste ensuite à se focaliser vers la formalisation d’un problème ou d’un défi créatif, sur lequel les membres de l’équipe créative vont se mettre d’accord pour engager ensuite le travail d’idéation. Le modèle de Brown (2008) appelle toute cette étape de formulation d’un problème, la phase d’inspiration. Dans les processus formalisés de DT, ces phases sont présentées de manière relativement séquentielle (Carlgren, Rauth et al., 2016) mais les représentations imagées du modèle DT, comme celui de Stanford, font apparaitre des boucles possibles de rétroaction entre les phases. Deux points sont à retenir ici. Premièrement le processus DT force en quelque sorte l’équipe à une formulation définitive de la question à traiter à partir du brief de départ enrichi par les observations terrain avant de passer en phase d’idéation. Deuxièmement la collecte de données pour la compréhension du problème est centrée sur l’utilisateur avec un éclairage de leur comportement par les différents experts de l’équipe. Cette focalisation sur l’expérience de l’utilisateur semble insuffisante pour la résolution créative de problème ouvert qui requiert une veille large de l’environnement (Unsworth, 2001).
Les outils du DT
A partir d’une analyse des principales méthodes de DT, Liedtka (2015) a repéré sept familles d’outils couramment mobilisés dans les projets de DT :
Les techniques de visualisation qui permettent à l’équipe, tout au long du processus, de partager leurs idées via des images, du storytelling, des modèles, des dessins etc.;
Les méthodes d’enquête ethnographique focalisées sur une compréhension en profondeur de l’utilisateur dans son contexte de vie;
Des techniques pour créer du sens à partir des données collectées comme le mindmapping ou pour générer des concepts innovants comme le brainstorming, auxquelles on peut ajouter l’élaboration de « persona », qui sont des descriptions imagées d’un utilisateur type dans son contexte ou la formulation du point de vue de l’utilisateur (point of view) pour engager le travail d’idéation (Johansson-Sköldberg, Woodilla et al., 2013);
Des outils d’explicitation des hypothèses sur la valeur des solutions ou leur faisabilité, par exemple à travers la formalisation d’un canevas de business model (Osterwalder et Pigneur, 2011);
Des techniques de prototypage telles que les story-boards, scénarios d’usage, compte-rendu d’expérience utilisateur. Celles-ci permettent le développement d’artefacts ou de représentations tangibles des idées de solutions, susceptibles d’être testées (Carlgren, Rauth et al., 2016). Si, dans les modèles de DT, le prototypage intervient plutôt en fin de processus, les objets produits sont néanmoins utiles tout au long du processus pour faciliter l’accès aux connaissances tacites ou pour représenter une problématique auprès d’un réseau d’acteurs hétérogènes (Chanal et Le Gall, 2016; Dubois, 2016);
Des démarches de co-création ou de co-design qui impliquent l’utilisateur dans le processus de conception (Dubois, 2016);
Des expérimentations de terrain pour tester les hypothèses qui sous-tendent les choix de conception.
On peut remarquer que les outils DT sont orientés sur la collecte de données et leur organisation, ainsi que sur la formalisation progressive d’une solution par des méthodes de créativité, mais peu sur la problématisation en tant que telle, pourtant clé dans le cas des problèmes pernicieux.
L’état d’esprit du DT
D’une façon générale, le DT se présente comme une démarche sensible qui laisse toute sa place aux émotions, contrairement aux approches rationnelles de la décision. Le principe de « l’empathie » suggère qu’il faut parvenir à comprendre de manière quasiment émotionnelle les désirs et attentes de l’utilisateur (Leonard et Rayport, 1997). Pour atteindre ce niveau d’empathie, l’état d’esprit recommandé est celui de l’ouverture, de la suspension du jugement et de la capacité à être à l’aise avec des personnes de mondes différents (Carlgren, Rauth et al., 2016). L’enquête de Carlgren et al. (2016) auprès de praticiens du DT montre que l’état d’esprit nécessaire à la définition du problème est difficile à obtenir car les managers ont été généralement formés à la recherche immédiate de solutions. Kelley et Kelley (2013) ont consacré un ouvrage à l’état d’esprit du DT, qu’ils appellent « Creative Confidence ». Pour eux, l’état d’esprit général du DT est la confiance, que ce soit la confiance avec les utilisateurs pour lesquels on cherche des solutions créatives, mais aussi la confiance mutuelle au sein de l’équipe de créativité afin de rendre possible la prise de risque.
L’état d’esprit du DT est marqué par l’empathie et la confiance et prône une certaine harmonie et bienveillance dans les équipes. On peut se demander si cet état d’esprit est toujours adapté aux problèmes pernicieux qui nécessitent choix assumé d’un point de vue et esprit critique pouvant parfois donner lieu à des conflits de vision.
Evaluation du DT pour adresser les problèmes pernicieux
Le tableau 3 vise à associer les caractéristiques de problèmes pernicieux avec les éléments de la démarche DT : processus, outil et état d’esprit.
Ce tableau nous suggère que le DT, bien que revendiquant sa capacité à adresser les problèmes pernicieux, n’en traite pas explicitement tous les aspects. Tout d’abord aucun dispositif ne permet à l’équipe de construire le problème en prenant en compte son caractère pernicieux ni de se préparer à faire évoluer sa problématique et à se satisfaire d’une solution partielle. Le point de vue tel que défini dans le DT est le point de vue supposé de l’utilisateur, mais pas celui du concepteur qui peut choisir d’aborder un problème pernicieux sous l’angle social, juridique ou politique par exemple en fonction de la théorie qu’il a du problème (Rittel et Webber, 1973). Par ailleurs, la démarche DT propose de figer la problématique à la fin de la phase de compréhension, même si des boucles de récursivité sont prévues et donc n’indique pas comment avancer dans le processus tout en faisant évoluer la problématique. Enfin le DT n’apporte pas d’outils particuliers sur des questions comme le contexte du problème et ses enjeux (notamment sociaux et politiques), ou encore les suites à donner à une recherche créative (Hemonnet-Goujot, Fabbri et al., 2016). D’un autre côté, la littérature sur les problèmes pernicieux ne nous dit pas non plus quel serait le processus à adopter pour traiter un problème pernicieux (par exemple si les boucles de convergence / divergence sont appropriées) et en quoi le climat de confiance peut agir sur la capacité d’une équipe à traiter un problème pernicieux. Le rapport à l’expérimentation pose également question, car selon Horst et Rittel, le décideur n’a pas le droit à l’erreur dans l’implémentation d’une solution à un problème pernicieux et donc en toute logique ne devrait pas expérimenter en contexte réel.
Partant de ces constats de non alignement entre la théorie des problèmes pernicieux et la démarche DT, nos questions de recherche sont les suivantes :
Quelles sont les dimensions spécifiques à prendre en compte pour adresser un problème pernicieux ?
Dans quelle mesure la démarche DT, en tant que démarche créative, permet-elle d’adresser les problèmes pernicieux ?
Méthodologie
Cette recherche s’appuie sur une analyse qualitative (Miles et Huberman, 2003; Yin, 2009) à travers la comparaison de quatre projets de DT conduits dans un contexte éducatif avec une vingtaine d’étudiants de master 2, de disciplines diverses. L’étude de cas est une méthode appropriée pour saisir les caractéristiques complexes de phénomènes sociaux (Yin et Campbell, 2002) et permet de prendre en compte toute la richesse et les éléments de contexte du phénomène (Miles et Huberman, 2003). Nous avons observé en temps réel le processus de maturation, les outils mobilisés et les difficultés rencontrées sur ces quatre projets. Les recherches qualitatives sont adaptées pour analyser la créativité collective car elles permettent de mieux appréhender le contexte et les processus détaillés de construction d’un concept créatif (Hargadon et Bechky, 2006). Nous avons pu observer les activités réalisées par les participants pour adresser un problème pernicieux tout au long du projet.
Notre objectif est de mieux comprendre comment une démarche de créativité basée sur l’approche DT permet de traiter des problèmes pernicieux. L’unité d’analyse est le projet et le travail d’une équipe créative pour générer une solution innovante. Nous retenons l’approche multi-cas afin d’avoir une compréhension plus en profondeur des similitudes et différences entre les cas. Cela permet d’appréhender des propositions et permet d’adresser les causalités potentielles (Eisenhardt et Graebner, 2007) dans la gestion des problèmes pernicieux.
Cette recherche repose sur l’analyse de quatre projets DT d’une durée de 14 semaines, conduits entre octobre 2015 et février 2016 avec un investissement des participants à mi-temps sur le projet. Nous avons observé en temps réel et analysé le processus et les difficultés de problématisation des participants sur ces quatre projets. Les auteurs ont participé à la fois à la conception du dispositif de suivi du projet et à l’évaluation des participants étudiants. Nous avons pu observer au fil de l’eau les activités réalisées par les participants pour adresser les problèmes pernicieux tout au long du projet. L’évaluation de la capacité à adresser les problèmes pernicieux et les outils et techniques pour traiter ces problèmes a été réalisée à partir de plusieurs sources de données (compte rendus de jalons, notes d’observations, entretiens de groupe) un point essentiel dans ce type de démarche de recherche sur la créativité (Hargadon et Bechky, 2006).
Notre analyse vise à évaluer quatre critères qui sont respectivement :
Capacité à adresser les problèmes pernicieux projet par projet
Démarche adoptée pour adresser les problèmes pernicieux projet par projet
Capacité à adresser un problème pernicieux : comparaison inter projet
Evaluation de l’approche DT comme méthode de créativité permettant d’adresser des problèmes pernicieux
Présentation du terrain et protocole de recherche
Notre analyse s’inscrit dans un programme de recherche en pédagogie de l’enseignement supérieur financé par l’Etat français, en particulier sur la conduite d’ateliers interdisciplinaires d’innovation et de créativité[2]. Le terrain consiste en un atelier de DT de quatorze semaines, qui regroupe une vingtaine d’étudiants de master 2 répartis en quatre groupes, avec la contribution d’un partenaire industriel porteur d’un problème à adresser, et d’une équipe pluridisciplinaire de six enseignants-chercheurs et d’un designer.
Un des avantages du dispositif étudié réside dans le fait que le processus est bien documenté, les règles d’évaluation et les consignes sont anticipées avec les étudiants.
Quatre équipes projet ont été formées pour travailler sur un projet d’exploration d’une grande entreprise industrielle partenaire, acteur mondial du traitement et de la valorisation des déchets, que nous appellerons « Valotri ».
Le brief initial et le caractère pernicieux du problème sont présentés dans le tableau 4.
Tous les étudiants sont partis du même brief mais ont choisi de focaliser leur travail de recherche sur des problématiques spécifiques, différentes dans chacun des groupes.
Le dispositif d’accompagnement du projet a été animé par un collectif d’enseignants aux profils variés : communication, sociologie, philosophie, veille, management de l’innovation dont les deux co-auteurs de cet article. Les étudiants eux-mêmes, formant quatre équipes de cinq personnes, sont issus de différentes formations : ingénieurs, sociologie, droit, management, design.
Protocole de recherche
Cette recherche s’appuie sur un protocole qui vise à limiter les biais dans l’usage de la démarche DT par les groupes. Le processus et les outils du DT ont été présentés aux étudiants et documentés dans un manuel pédagogique et constituent le cadre méthodologique des projets. Les mêmes règles d’évaluation et d’encadrement ont été appliquées aux quatre groupes. En parallèle et pour enrichir la méthode DT, tous les enseignants ont proposé des enseignements spécifiques pour enrichir l’approche et apporter un éclairage complémentaire à la démarche DT qui constitue la clef de voûte du processus adopté.
Rôle des enseignants :
Les six enseignants sont intervenus auprès des quatre groupes pour les accompagner et les conseiller soit lors des jalons soit à l’occasion de leur enseignement venant en support de l’atelier, sans affectation d’un des enseignants à un groupe spécifique.
Les deux enseignants co-auteurs sont spécialistes de l’approche DT et accompagnent donc l’appropriation de la méthode et des outils associés. Ils bénéficient également du support d’un designer industriel qui accompagne les étudiants.
Les quatre autres enseignants apportent une expertise sur les domaines de connaissance suivants avec des enseignements spécifiques qui viennent en appui de la démarche : veille, sociologie des usages, communication, philosophie de l’innovation. Ils ne sont pas des spécialistes de l’approche DT.
Constitution des équipes projet :
La composition des groupes a été imposée aux étudiants sur la base de la diversité des compétences disciplinaires d’origine pour éviter un biais préalable dans la composition des groupes. Les étudiants se connaissaient peu au début du projet qui a commencé deux semaines après la rentrée. Lors de la réunion de lancement, les critères d’évaluation du projet ont été présentés. Les groupes n’avaient aucune obligation à mobiliser les outils DT plus que d’autres outils apportés par les enseignants experts. Cependant l’organisation des jalons de projet est venue structurer le projet selon la démarche globale du DT.
Collecte des données
La collecte des données a débuté au démarrage du projet début octobre 2015 et s’est terminée après le projet en mars 2016. Nous avons collecté des données tout au long du projet : entre et lors des jalons du projet au cours desquels les étudiants présentaient l’état d’avancement de leur problématique et des pistes. Nous avons plus précisément cherché à identifier les activités réalisées et les difficultés rencontrées par les participants pour problématiser et développer des solutions créatives.
Les données collectées (Tableau 5) sont les suivantes :
Codage et analyse des données
Nous avons construit deux grilles de codage : l’une pour mesurer la capacité des groupes à adresser les problèmes pernicieux et l’autre pour analyser l’usage d’outils et techniques pour mener à bien le projet.
L’évaluation de la capacité à adresser les problèmes pernicieux a été réalisée sur chacune des trois dimensions de notre modèle : construction du problème, focalisation sur un aspect à traiter et rapport à la solution. Chacune des activités a été évaluée sur une échelle de 1 à 5 : Faible (1), Assez Faible (2), Moyen (3), Assez Bon (4) et Bon (5).
L’usage d’outils et techniques pour adresser les problèmes pernicieux a été faite pour chaque projet en analysant les techniques et outils mobilisés. Nous avons notamment distingué les outils relatifs à la démarche de DT (techniques de visualisation, méthodes d’enquête ethnographique, techniques pour créer du sens (mindmapping, persona, point of view, outils d’explicitation des hypothèses, techniques de prototypage, démarches de co-création, expérimentations de terrain) (Liedtka, 2015) des outils connexes à la démarche de DT comme le repérage de signaux faibles venant de la veille ou le travail sur les imaginaires.
Les données ont été codées manuellement conjointement par les deux auteurs dans des tableaux de synthèse, projet par projet à partir des comptes rendus des jalons et des observations des quatre équipes. Les comptes rendus des jalons intègrent les évaluations des deux co-auteurs et du représentant de l’entreprise commanditaire.
Résultats
Les principaux résultats sont présentés par projet puis nous comparons les projets entre eux afin de dégager des trajectoires et de consolider les difficultés rencontrées dans la problématisation tout au long du projet.
Analyse intra cas
Nous présentons tout d’abord la capacité à adresser un problème pernicieux par projet puis la démarche adoptée pour adresser ce type de problème.
Capacité à adresser les problèmes pernicieux projet par projet
Projet 1
Ce groupe s’est orienté vers la prise en compte anticipée de la question du recyclage des déchets du bâtiment dès la phase de conception avec un logiciel 3D.
La capacité à construire le problème est évaluée comme assez bonne (Tableau 6). Ce groupe a su traiter la formulation d’un problème pernicieux en montrant le caractère unique et situé d’un problème lié à de nouvelles contraintes règlementaires à venir et en croisant des données juridiques, techniques et d’usage.
La focalisation sur un aspect du problème a été évaluée comme bonne (Tableau 6). Ce groupe a pivoté et réussi à stabiliser un bon niveau de formulation et à intégrer les ajustements demandés par le commanditaire au premier jalon. Ainsi, la formulation au premier jalon était : « Comment proposer aux chantiers une prestation unique à la fois économique, pratique et peu encombrante pour gérer les déchets, qui ne mette pas en péril l’environnement et qui permette de collecter un maximum de déchets déjà triés ? » Cette problématique a été recentrée sur les attentes de Valotri en intégrant l’opportunité réglementaire liée à l’outil de Building Information Modeling (BIM), outil de conception architecturale. Elle a été reformulée ainsi : comment proposer un service innovant en intégrant les opportunités offertes par le BIM en 2017 ? Enfin, l’attitude par rapport à la solution a été évaluée comme assez bonne puisque le groupe a globalement anticipé les conséquences de la mise en oeuvre d’une telle solution sur les métiers de la construction.
Projet 2
Ce groupe est parti du problème auquel les distributeurs de matériaux allaient être confrontés prochainement du fait d’une nouvelle réglementation les obligeant à proposer des solutions de traitement des déchets du bâtiment.
La construction du problème a été évaluée comme assez bonne. En effet, ce groupe a su assez rapidement adopter un point de vue, celui des distributeurs de matériaux, et jouer sur une contrainte réglementaire d’obligation de traitement des déchets des matériaux de construction par les distributeurs. Un travail d’enquête sur le terrain auprès de plusieurs distributeurs leur a permis de mieux comprendre les contraintes profondes des distributeurs et ainsi de pouvoir mieux répondre à leurs besoins.
La focalisation sur un aspect du problème est évaluée comme bonne notamment grâce à la capacité à pivoter de l’équipe. L’attitude par rapport à la solution a été évaluée comme assez bonne notamment parce que les étudiants sont retournés sur le terrain pour tester leur solution de déchetterie mobile auprès de distributeurs de matériaux de construction.
Projet 3
Ce groupe a exploré le potentiel d’un service collaboratif pour le transport des déchets par les artisans.
La capacité à construire un problème a été évaluée comme moyenne. Après une phase d’hésitation et de manque de cohérence dans la structuration des activités de problématisation, ce groupe a su percevoir les problèmes des artisans liés aux tâches d’évacuation des déchets des chantiers, mais a eu des difficultés à problématiser de manière convaincante en adoptant une vision d’ensemble des verrous liés au transport de déchets pour les artisans. En effet, l’enquête de terrain après la stabilisation du point de vue n’a pas été suffisamment robuste pour démontrer l’intérêt de ce service pour les artisans. La focalisation sur un aspect du problème est évaluée comme moyenne car ce groupe n’a pas su trouver le bon niveau de formulation du problème et mettre en exergue les tensions et les verrous pour les artisans dans l’utilisation d’un service partagé de transport des déchets.
L’attitude par rapport à la solution est considérée comme assez faible dans la mesure où le groupe n’a pas évalué les impacts du service proposé auprès des artisans ce qui a suscité beaucoup de réserves du côté du commanditaire lors du jalon final.
Projet 4
Après avoir exploré la question du recyclage des gravats sur les chantiers et abouti à une impasse, ce groupe s’est réorienté sur un travail sur les représentations sociales liées aux déchets en repérant l’art comme moyen de changer les représentations. Ils ont pris le point de vue original de changer les représentations en faisant des déchets des oeuvres d’art.
La construction du problème a été évaluée comme assez bonne, la focalisation sur un aspect du problème comme moyenne et l’attitude par rapport à la solution comme faible. Ce groupe a eu des difficultés à justifier sa problématique. Par contre, il a adopté un point de vue basé sur la mobilisation de paradoxes (le déchet comme objet d’art) et un angle théorique original sur les représentations sociales par rapport aux déchets. Toutefois, ce groupe n’a pas suffisamment approfondi sa collecte de données suite au repositionnement sur la question de l’art. Le pivotement de problématique a été important avec un changement complet de sujet que l’équipe n’a pas su ensuite justifier, par exemple en allant interroger des artistes sur le bien-fondé de leur intuition.
Démarche adoptée pour adresser les problèmes pernicieux projet par projet
Projet 1
Pour la capacité à construire un problème, les participants ont mobilisé des outils du DT qu’ils ont enrichis en mobilisant une approche de veille pour identifier les signaux faibles puis la mobilisation de champs de connaissances connexes au brief de départ à partir de production de carte heuristique (activités de mind-mapping) (Annexe 3).
Concernant la focalisation sur un aspect du problème, globalement, ce groupe était peu outillé pour trouver un bon niveau de formulation et faire pivoter la problématique en dehors des jalons. Ce groupe a su exploiter au maximum une donnée issue de la veille pour en évaluer les conséquences sur les pratiques des acteurs du marché (Annexe 3).
Enfin, ce groupe a fait preuve d’un bon niveau de confiance inter individuelle qui a favorisé la prise de risque, car le sujet était potentiellement difficile et assez technique pour des non spécialistes de l’architecture et de l’informatique. Il y a eu peu de conflits et une convergence assez naturelle malgré la diversité des profils des membres de l’équipe. En effet, cette équipe était composée de participants en formation continue et initiale avec des profils diversifiés : gestion, ingénieur, design industriel, marketing.
Projet 2
Ce groupe s’est approprié les outils du DT mais a peu cherché à mobiliser des outils connexes pour compléter l’analyse ou investiguer de nouveaux champs de connaissance. Ils n’ont que peu mobilisé des outils de veille mais ont utilisé une grille pour modéliser les réseaux d’acteurs pour aider à la formulation de la problématique.
Projet 3
Malgré une analyse terrain, le groupe a eu des difficultés à identifier des insights et des signaux faibles et a donc eu des difficultés à argumenter la formulation de sa problématique.
Le climat de confiance dans l’équipe était assez limité avec des conflits larvés et ouverts et des divergences assez fortes sur les objectifs et enjeux du projet.
Projet 4
Ce groupe a faiblement mobilisé les outils du DT tels que le point de vue de l’utilisateur, l’empathie. Ce groupe a commencé la rédaction d’un manifeste mais qui n’a pas été finalisé. Il a peu utilisé des outils de veille et de cartographie des connaissances (mindmapping).
Concernant la dynamique d’équipe, le climat de confiance au sein de ce groupe était assez mauvais. Ces difficultés de communication ont eu un impact important sur la stabilisation de la problématique. Ce groupe a pivoté plusieurs fois dans la formulation car il y avait une forme d’insécurité au sein de ce groupe et vis-à-vis du commanditaire.
Analyse inter cas et interprétation des résultats
Nous présentons les résultats consolidés sur l’évaluation de la capacité à traiter des problèmes pernicieux puis une consolidation des observations des outils mobilisés pour traiter ces problèmes pernicieux.
Capacité à adresser les problèmes pernicieux : comparaison entre les projets
Le projet 1 a été évalué comme assez bon pour adresser un problème pernicieux (Tableau 6). Ce groupe a mobilisé la démarche DT avec une analyse quasi ethnographique des utilisateurs, complétée par une activité de veille pour cerner les domaines de connaissances à investiguer. Un bon climat de confiance au sein de l’équipe a favorisé la prise de risque et l’expression de chacun des membres de l’équipe.
Le projet 2 a été évalué comme assez bon dans la capacité à adresser un problème pernicieux (Tableau 6). En effet, ce groupe a su mobiliser les outils du DT avec une analyse quasi ethnographique et l’identification d’insights de qualité. Ils ont su adopter et justifier d’un point de vue basé sur les tensions entre les distributeurs et les artisans du bâtiment. Dans la construction de la problématique, ils ont bénéficié d’un bon niveau de confiance au sein de l’équipe. Ce groupe a su mobiliser à bon escient les outils du DT et n’a que peu mobilisé des outils connexes à cette démarche.
Le projet 3 a été évalué comme moyen car il a rencontré des difficultés pour adresser le problème pernicieux même s’il a su en définitive proposer une problématique et un concept qui sont considérés comme relativement satisfaisants pour le commanditaire. Si ce groupe a dans un premier temps partiellement mobilisé la démarche et les outils proposés par le DT, il a su par la suite structurer sa démarche, se focaliser sur le point de vue des artisans et mobiliser les outils pour formuler une problématique. Ce projet a souffert de tensions entre les membres de l’équipe qui ont nui à la confiance mutuelle, à l’expérimentation d’approches et d’outils et à la prise de risque et l’investigation de pistes originales.
Le projet 4 a été évalué comme moyen pour adresser un problème pernicieux. Ce groupe a survolé l’utilisation des outils proposés sans se les approprier réellement ce qui a généré des approximations et des difficultés dans l’argumentation. Cependant, ce groupe a su identifier des insights et adopter un vrai point de vue. Les conflits latents liés à un climat de confiance limité entre membres de l’équipe projet ont généré une forme d’insécurité qui a influencé la capacité du groupe à adresser un problème pernicieux. En fait, ils ont adopté un point de vu original mais les tensions dans l’équipe les ont empêchés d’argumenter et de justifier leur problématique aux yeux du commanditaire (Tableau 6).
Evaluation de l’approche DT comme méthode créative pour adresser les problèmes pernicieux
Nous avons mis en évidence que les équipes créatives ont globalement été à l’aise pour adresser un problème pernicieux sur les dimensions suivantes (Tableau 7) : Identification d’un problème créatif (pas de solutions connues), Reconnaissance du caractère unique et situé du problème, Repérage des enjeux (impacts, conséquences), Choix d’un point de vue pour l’aborder et Savoir faire pivoter la problématique au fur et à mesure de la recherche de solutions.
Nos résultats suggèrent que les équipes créatives ont eu en revanche des difficultés pour adresser les problèmes pernicieux sur les dimensions suivantes : Capacité à en produire une modélisation, Poser le bon niveau de formulation du problème, Prévoir la suite de la recherche créative une fois une solution choisie et Mesurer les conséquences de la mise en oeuvre de la solution sur un terrain réel.
Nous constatons que les outils liés au DT n’adressent pas toutes les activités de problématisation ce qui explique que d’autres outils et démarches complètent le dispositif pour permettre d’adresser les problèmes pernicieux (Tableau 7). Ainsi, l’approche DT offre des outils de modélisation : mindmapping, visualisation ou prototypes. Cependant, certains groupes ont mobilisé d’autres outils comme la modélisation des écosystèmes, des réseaux de valeur et les cartographies de parties prenantes pour bien comprendre les différentes dimensions du problème. Pour la reconnaissance du caractère unique et situé du problème, l’observation des futurs utilisateurs par une analyse ethnographique est une condition nécessaire mais non suffisante. Les groupes comme le groupe 1 qui ont le mieux su gérer cette activité ont également mobilisé une démarche de veille pour pouvoir positionner leur thématique d’exploration par rapport à des champs de connaissance existants ou émergents (signaux faibles).
Pour définir le bon niveau de granularité de la problématique, les jalons jouent un rôle clé avec un retour du commanditaire et d’enseignants en charge de l’évaluation de l’avancement des projets. Certains groupes comme le groupe 4 se sont appuyés sur l’analyse de paradoxes pour problématiser. Les projets ont bénéficié d’apports conceptuels sur la gestion des controverses, l’importance d’adopter un esprit critique et l’apport de notions de base en philosophie et sociologie.
Discussion
Cette recherche s’est attachée à comprendre comment la démarche DT (processus, outils, état d’esprit) peut aider une équipe créative à adresser un problème pernicieux.
Plus précisément nous avons formulé deux questions de recherche :
Quelles sont les dimensions spécifiques à prendre en compte pour adresser un problème pernicieux ? et 2. Dans quelle mesure le DT, en tant que démarche de créativité, permet d’adresser les problèmes pernicieux ?
Nos résultats nous permettent de mettre en perspective notre modèle des capacités à adresser des problèmes pernicieux en créativité et de formuler des propositions sur les points forts et les manques du DT et de proposer des outils complémentaires pour adresser des problèmes pernicieux.
Les dimensions essentielles pour adresser les problèmes pernicieux en créativité
Nos résultats permettent de discuter les dimensions du modèle proposé de la capacité d’une équipe à adresser des problèmes pernicieux. Nous avons argumenté que celle-ci repose sur trois étapes : la construction du problème, la focalisation sur un aspect particulier à traiter et enfin l’anticipation des conséquences de la mise en oeuvre de la solution sur un terrain réel.
Construction du problème
Nos résultats montrent que les équipes parviennent relativement bien à identifier le caractère ouvert et unique d’un problème et à en repérer les enjeux. Ils ont en revanche davantage de difficultés pour modéliser le problème. L’observation des formulations des problématiques montre que le point de vue finalement adopté est le résultat d’un compromis entre les points de vue portés par les différents membres de l’équipe, lui-même confronté à l’avis du commanditaire et de l’équipe encadrante (des enseignants dans notre cas) (Brown et Katz, 2011). Nos résultats contribuent ainsi à un courant de la littérature de la créativité organisationnelle peu développé : celui des processus collectifs de créativité au niveau des équipes (Hargadon et Bechky, 2006; Bissola et Imperatori, 2011). Nous soulignons l’importance du collectif pour co-construire un point de vue sur la façon d’adresser un problème pernicieux (Liedtka, 2015). En outre, plus l’orientation retenue est décadrée par rapport au brief inital (cas du groupe 4 sur l’art), et plus le point de vue adopté est original, ce qui fait écho aux travaux sur la bisociation, en créativité, caractérisée par l’intersection de deux cadres de référence généralement incompatibles (Cohendet, 2016) et sur les travaux sur les paradoxes (Lewis, 2000), des points qui sont peu abordés dans le DT.
Au final, les cinq capacités repérées pour construire le problème nous semblent pertinentes pour accompagner les groupes dans la construction d’un problème pernicieux. Au vu de nos résultats, nous proposons d’ajouter une sixième capacité qui est celle de la construction d’un paradoxe pour identifier un point de vue original et décadrer la réflexion par rapport au brief initial.
Focalisation sur un aspect du problème
Les capacités à se focaliser sont mesurées à travers la capacité à poser le bon niveau de formulation du problème et la capacité à pivoter tout au long du travail créatif. Ces capacités sont essentielles pour adresser des problèmes pernicieux par nature ambigus. Les groupes qui ont globalement abouti à un bon niveau de formulation (groupes 1 et 2) ont mobilisé divers outils comme le mindmapping ou encore les cartographies de parties prenantes qui introduisent un caractère plus politique et controversé dans la compréhension du problème. Ils ont aussi complété les données de l’analyse ethnographique du DT par une activité de veille plus large, qui leur a d’ailleurs permis d’anticiper de nouvelles réglementations à venir dans l’environnement et qui a constitué le point de départ de leur travail. Ces résultats exploratoires confirment l’importance d’une activité de veille de l’environnement pour la problématisation, un point déjà souligné par Unsworth, mais qui ne fait pas formellement partie de la boite à outils du DT. On note cependant que le pivotement peut introduire un sentiment d’insécurité et de stress dans les équipes qui ont l’impression de repartir de zéro et de perdre du temps. Cela est selon nous lié au fait que les équipes qui ont pivoté étaient soumises aux mêmes exigences que les autres groupes dans l’organisation des rendus intermédiaires et n’ont pas pu refaire une collecte de données satisfaisante sur leur nouvelle problématique.
Au final, les deux capacités repérées nous paraissent importantes dans le cas des problèmes pernicieux. La capacité à trouver le bon niveau de formulation est selon nous liée à une bonne modélisation en amont. La capacité à pivoter doit être assortie d’une capacité à revenir en arrière dans la recherche quitte à produire des résultats intermédiaires et non aboutis.
Attitude par rapport à la solution
Les principes associés à l’attitude par rapport à la solution dans le modèle proposé se sont révélés les plus difficiles à gérer. Ainsi, dans la théorie des problèmes pernicieux, une solution ne peut être que partielle et temporaire. Outre le fait que le DT ne prévoit pas explicitement d’envisager la suite de la recherche, nous pensons que cette difficulté des étudiants est due à deux phénomènes. Premièrement la mise en scène du rendu final sous forme de soutenance devant le commanditaire conduit les étudiants à beaucoup investir dans la forme de cette présentation et à survaloriser leur solution en occultant son côté temporaire et par définition imparfait. Deuxièmement, dans la plupart des projets (sauf le projet 2), les étudiants n’ont pas pris le temps de confronter leur prototype au terrain, de tester leurs concepts pour formuler des hypothèses sur la recevabilité de leur solution. Si l’expérimentation terrain est considérée comme un outil du DT (Liedtka, 2015), cette étape de fin de projet est souvent réalisée trop rapidement et n’a fait l’objet que d’une attention partielle des équipes projet.
Au final, les deux capacités concernant l’anticipation des conséquences et la prévision de la suite de la recherche nous apparaissent à évaluer au regard de l’état d’avancement du travail créatif. Autrement dit, soit l’équipe aboutit à une solution relativement précise et il est intéressant de pouvoir l’implémenter, même avec un statut de prototype, pour l’évaluer, soit l’équipe qui a fortement pivoté aboutit à un résultat intermédiaire et alors elle doit prévoir les actions à mener pour poursuivre la recherche.
En synthèse et au vu de nos résultats, le modèle proposé pour l’évaluation des capacités d’une équipe à adresser les problèmes pernicieux est le suivant (tableau 8)
Evaluation de l’approche DT comme démarche créative pour adresser les problèmes pernicieux
Nous avons fait l’hypothèse, pour justifier cette recherche, que le DT, bien qu’il revendique généralement un potentiel à traiter les problèmes pernicieux, n’en couvre pas tous les aspects. Plus généralement, il apparaît que la démarche DT ne se focalise pas suffisamment sur la construction du problème avec la prise en compte de ses différentes dimensions et privilégie un point de vue qui est centré sur l’utilisateur, autorise peu de pivotements dans la formulation de la problématique et ne permet pas la production de résultats intermédiaires qui font progresser dans la compréhension du problème sans pour autant le résoudre.
La construction du point de vue
Le DT, parce qu’il invite à se centrer sur un utilisateur et son problème conduit naturellement à comprendre le problème dans un contexte spécifique sans tomber dans une généralisation trop vague. Les enjeux ont été repérés par les étudiants grâce à la collecte d’insights assez variés sur leur thématique de recherche même si ces enjeux sont restés à un niveau assez opérationnel et peu stratégique. Dans l’ensemble, il manquait aux groupes l’expression d’une vision originale et revendiquée.
Tous les groupes ont choisi un point de vue pour démarrer en associant le point de vue de l’utilisateur auquel la solution était adressée (artisans du bâtiment, concepteurs ou distributeurs) avec, pour certains d’entre eux, une charte de valeurs exprimée dans un manifeste. Ainsi, le projet 4 a initié l’élaboration d’un manifeste mais n’a pas su aller au bout de cette intention ni la formaliser correctement. Même si le manifeste, en tant que posture critique, est plutôt caractéristique des démarches de design en général (Gauthier, Proulx et al., 2015), il semble que la combinaison du manifeste et du point de vue utilisateur pourrait constituer une approche efficace pour donner du sens à la démarche créative et éviter de se focaliser sur le simple besoin utilisateur sans point de vue original. De plus, le point de vue tel que développé dans les caractéristiques des problèmes pernicieux ne renvoie pas au point de vue de tel ou tel utilisateur mais plutôt à un angle de vue théorique pour adresser le problème. A cet égard, le projet 4 est celui qui a le mieux réussi ce point en choisissant d’adresser le problème sous l’angle des représentations sociales face aux déchets et au potentiel de l’art pour faire évoluer les représentations.
L’évolution de la problématisation tout au long du processus
La capacité à faire pivoter la problématique est également un point central. Nous avons suggéré que cela constituait une des faiblesses du DT au regard des problèmes pernicieux. Ce point est à nuancer au vu de nos résultats. Le groupe 2 a faiblement pivoté et a trouvé sa problématique à l’issue du premier jalon comme le processus le prévoit et pourtant parvient à des résultats tout à fait convenables. Les groupes 3 et 4 ont fortement pivoté mais avec in fine des résultats de médiocre qualité car ils n’ont pas su collecter de nouvelles données pour enrichir leur nouvelle problématique, que ce soit des données sur les artisans du bâtiment et leurs attentes (groupe 3) ou des données théoriques sur l’art et les représentations (groupe 4). Ainsi nous ne pouvons pas dire que le DT ne permet pas de faire évoluer la problématique au-delà de la phase 1 du processus. En revanche, l’évolution de la problématique doit absolument s’accompagner de nouvelles boucles de collecte de données ou de prototypage. Ainsi, les phases du processus DT devraient être conçues comme des activités de divergence et convergence avec une flexibilité dans les allers et retours entre les phases du processus adaptée à l’évolution de la problématique.
Concernant l’état d’esprit du DT, nous constatons que le climat créatif au sein des équipes a eu des incidences sur la capacité à adresser un problème pernicieux. De par son caractère instable, un problème pernicieux conduit à des conflits de point de vue dans les équipes et les place en position d’insécurité quand elles sont dans une impasse. La confiance créative (Kelley et Kelley, 2012) et plus largement la qualité de la relation dans les collectifs créatifs (Simon, 2009) semblent déterminants en créativité et encore plus face à des problèmes pernicieux. Les démarches créatives pour traiter des problèmes pernicieux devraient ainsi intégrer de manière explicite des outils pour créer un climat de confiance au sein d’une équipe et pour accompagner la gestion des conflits qui sont inévitables.
La production de résultats intermédiaires
Comme souligné précédemment, les groupes ont peu anticipé sur la suite de leur travail, en partie parce que cela ne leur a pas été demandé explicitement. Premièrement, pour les groupes qui ont peu pivoté et sont parvenus à une solution acceptable, le test de la solution via le prototype auprès d’utilisateurs réels est important et a été plutôt bien réalisé par les groupes 1 et 2. Nous avons constaté que les groupes qui ont pivoté (groupes 3 et 4) ont moins bien réussi, à notre sens parce qu’ils n’ont pas été autorisé par notre protocole pédagogique à produire un résultat intermédiaire, non abouti. A notre sens, l’adoption d’un point de vue original et en rupture sur un problème pernicieux, qui a une valeur en tant que tel, doit pouvoir s’accompagner de la production d’un livrable intermédiaire de type livrable de recherche qui va aider le porteur du problème à le comprendre d’une manière renouvelée. Ce point rejoint la notion de prototype culturel telle qu’elle est développée par Verganti (Verganti, 2009; Chanal et Le Gall, 2016). Verganti substitue à la notion classique de prototype en design thinking cette notion de prototype culturel qui désigne des résultats de recherche de nouvelles interprétations d’un problème donné, destinées à être débattues et discutées. Il insiste ainsi sur une forme de théorisation du problème par la production d’un discours sur le problème, appelé « discours design ». Partant de là, et dans le cas des problèmes pernicieux, nous pensons que ces discours qui sont des productions de recherche intermédiaires dans la recherche de solutions, sont tout aussi importantes que la solution au problème, qui peut apparaître comme décevante au regard de l’importance de l’enjeu à adresser.
Conclusion
Cette recherche a permis d’approfondir la contribution de l’approche design thinking pour adresser un problème pernicieux. Si le DT se présente généralement comme une démarche de créativité collective permettant d’adresser des problèmes pernicieux, il apparaît que certaines caractéristiques doivent être développées ou renforcées pour véritablement aider les équipes à affronter ce type particulier de problèmes. Notre contribution consiste à identifier des points de vigilance pour adresser les problèmes pernicieux comme : la capacité à co-construire un point de vue original et critique qui ne soit pas uniquement celui de l’utilisateur, la capacité à faire évoluer la formulation de la problématique tout au long du processus, la capacité à créer un climat de confiance permettant de dépasser les conflits qui surgissent au cours d’une exploration peu balisée, la capacité à se projeter au-delà de la solution par la production de résultats de recherche intermédiaires.
Nous avons montré notamment que le problème de départ devait être modélisé non seulement dans ses différentes dimensions mais à travers une cartographie des parties prenantes vis à vis de l’enjeu majeur que constitue le problème pernicieux. La collecte de données essentiellement orientée vers l’utilisateur dans le DT peut être utilement enrichie par des connaissances distantes grâce à une veille et à la collecte de signaux faibles. L’élaboration d’un point de vue original nécessite à la fois une posture critique et la confrontation de différents angles théoriques pour attaquer le problème. Le prototypage peut donc également être un prototype culturel, c’est à dire l’ébauche d’un nouveau discours sur le problème tout autant qu’une solution prototypée. Enfin, les membres de l’équipe créative sont invités à penser leur solution comme un point d’étape dans un processus de recherche qui doit se poursuivre après la présentation du résultat qui n’est jamais définitif.
Cette recherche nous permet également de progresser dans la compréhension des problèmes pernicieux en proposant un modèle de la capacité des équipes créatives à problématiser, et en posant les jalons d’une perspective pragmatique des problèmes pernicieux. Ceux-ci doivent être abordés en équipes créatives et non par le décideur individuel de Horst et Rittel et s’autoriser l’expérimentation, y compris dans un contexte social ou politique.
Les limites de cette recherche sont liées à son caractère exploratoire sur un nombre limité de groupes et répondant tous à la même commande d’une entreprise. Une étude sur un échantillon plus large avec un contrôle des variables identifiées dans cette recherche serait à mettre en place pour conforter nos résultats. Ce travail exploratoire pourrait également être enrichi en comparant par exemple des groupes suivant une démarche DT traditionnelle et des groupes suivant d’autres démarches créatives comme CPS ou C-K pour adresser des problèmes pernicieux dans la lignée de la comparaison déjà faite entre le crowdsourcing et l’approche DT (Hemonnet-Goujot, Fabbri et al., 2016). Notons également que nous n’avons pas pu faire de pure comparaison entre les quatre cas car chacun des projets a pu bénéficier des commentaires et recommandations des commanditaires et des enseignants lors des jalons et s’inspirer des autres groupes. Cependant, les façons d’avancer des quatre groupes sont demeurées suffisamment contrastées au cours du projet pour que l’on puisse interpréter les différences entre les groupes. Notre niveau d’analyse est le projet ce qui constitue un des courants de la créativité organisationnelle (Bissola et Imperatori, 2011). Ce niveau d’analyse pourrait être enrichi par l’intégration de facteurs plus larges qui contribuent à la créativité organisationnelle comme les expertises des personnes, les pratiques de management, la gestion des ressources ou encore la motivation organisationnelle (Amabile, citée par (Simon, 2016).
Enfin, une limite tient au contexte académique de l’expérimentation et au fait que les participants sont novices en design thinking (Seidel et Fixson, 2013), même si de nombreuses études empiriques sur le DT sont encore conduites en contexte éducatif. C’est pourquoi de nouvelles recherches devraient être menées dans des contextes d’entreprise afin de comprendre comment celles-ci adressent des problèmes pernicieux avec des démarches de créativité comme le design thinking.
Appendices
Notes biographiques
Valérie Chanal, Univ. Grenoble Alpes, CERAG, 38000 Grenoble, France.
Professeur en management de l’innovation, directrice scientifique du programme Promising, dont l’objectif est de développer une culture de la créativité et de la transdisciplinarité dans la pédagogie universitaire. Ses recherches actuelles portent sur les démarches de design et de créativité dans le management des processus d’exploration et dans la pédagogie.
Valéry Merminod, Univ. Grenoble Alpes, CERAG, 38000 Grenoble, France. Maître de conférences en management de l’innovation et responsable du M2 Management de l’Innovation de l’IAE de Grenoble. Il conduit des recherches autour du management de projet d’innovation en s’intéressant en particulier aux dynamiques d’équipes, aux démarches et aux solutions digitales mobilisées pour supporter l’activité de conception de nouvelles solutions.
Notes
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