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Introduction

L’émergence des alliances stratégiques a suscité un intérêt croissant chez les chercheurs en management au cours de ces dernières années (Kogut, 1988; Hagedoorn, 1993). Cependant, la majorité des travaux porte sur des cas d’alliances stratégiques entre firmes multinationales. L’analyse des alliances stratégiques entre structures organisationnelles de tailles différentes, communément appelées « alliances asymétriques », est quasi inexistante dans la littérature en management, que ce soit dans les pays développés ou dans les pays en voie de développement (Chen et Chen, 2002; Cheriet et al, 2008; Chtourou et Laviolette, 2005). Pourtant les alliances asymétriques sont en pleine expansion, en raison d’une tendance croissante vers des relations technologiques et de commercialisation entre grandes et petites entreprises.

Le principe général de ces relations, c’est que chaque partie apporte à l’autre ce qui lui fait défaut. On est dans une perspective de complémentarité. Les alliances asymétriques semblent de ce fait défier la norme établie dans de nombreuses recherches sur les alliances stratégiques, notamment en ce qui concerne la relation positive entre l’existence de similitudes entre les partenaires et la performance de l’alliance (Perez et al, 2012). Cette littérature présuppose que l’existence d’asymétries entre les partenaires influence négativement la performance de l’alliance. Dymsza (1988), Parkhe (1991), Sarkar et al (2001) ou encore Lavie et al (2012), supposent par exemple l’existence d’une relation négative entre l’asymétrie de culture organisationnelle et la performance de l’alliance.

A contrario, d’autres auteurs développent un point de vue opposé. C’est le cas de Harrigan (1985), qui a validé l’hypothèse selon laquelle l’existence d’asymétries en termes de complémentarités de ressources et compétences entre les partenaires d’une coentreprise internationale rendrait la relation plus stable et durable. Dans la même veine, Das et Teng (2003) et Lin et al (2009) soulignent que la complémentarité des ressources serait positivement liée à la performance de l’alliance. Par ailleurs, Lin et al (2009) rajoutent que l’asymétrie dans le statut social des partenaires est un prédicteur important de la performance d’une alliance. Selon ces auteurs, une alliance avec des partenaires qui ont un statut social beaucoup plus élevé augmentera considérablement la position sociale de la firme focale. A leur tour, Beamish et Jung (2005), puis Dikmen et Cheriet (2014) ont trouvé que l’asymétrie de taille entre les partenaires n’influe pas négativement la survie et la performance des coentreprises. Enfin, au delà de la relation négative établie entre la distance culturelle et la longévité d’une alliance (Barkema et al, 1996), Luo (1997) souligne des effets non significatifs entre la distance socioculturelle et la performance financière des joints venture internationales.

Il existe ainsi des controverses en ce qui concerne les conséquences des asymétries entre les partenaires sur les résultats d’une alliance. Par cette recherche, nous cherchons à appréhender ces controverses en nous plaçant dans le cas extrême des alliances entre PME et firmes multinationales, a priori fortement asymétriques. Nous espérons ainsi pouvoir répondre aux questions liées aux caractéristiques des alliances asymétriques et aux effets de ces caractéristiques sur la performance de ces alliances, évaluée du point de vue d’un des partenaires, la PME objet de notre étude.

Le choix de cette problématique est également motivé par le fait que les recherches analysant les effets des différents critères d’asymétries sur la performance sont presque inexistantes. Celles qui abordent cette question l’abordent du point de vue d’une seule variable et dans un contexte bien particulier : celui des coentreprises internationales (Beamish et Jung, 2005; Choi et Beamish, 2013). Il n’existe pratiquement pas de recherches analysant les effets de plusieurs variables d’asymétries sur la performance de l’alliance.

Pour répondre à notre problématique de recherche, une étude empirique qualitative est menée auprès de 10 PME de l’industrie aéronautique entretenant des alliances asymétriques avec des grandes firmes multinationales dans un contexte de pays développé (cas de la France). Le choix de ce terrain est motivé par le fait que les recherches sur les alliances asymétriques portent généralement sur des cas d’alliances entre des entreprises de pays développés et des entreprises de pays en voie de développement ou en transition (ex : Cheriet et al, 2008); ces cas d’alliances peuvent être rangés dans la catégorie des alliances stratégiques internationales.

Aujourd’hui, on ne récence que très peu d’études sur les alliances stratégiques mettant en relation des PME de pays développés, françaises en particulier, et des firmes multinationales. Aucune de ces études n’a par ailleurs examiné à notre connaissance les effets des variables d’asymétries sur la performance des alliances asymétriques.

Nous présenterons dans un premier temps une revue de la littérature sur les alliances asymétriques et leur performance. Sur la base de cette revue, nous identifions les construits selon nous les plus pertinents, ainsi que les différentes relations théoriques établies entre eux. Ceci nous fournit un cadre conceptuel pour le développement de notre protocole de recherche. Nous présentons en seconde partie nos résultats auxquels nous consacrons enfin, en 3ème partie, une discussion.

Alliances asymétriques et performance - une revue de la littérature

Le concept d’alliance asymétrique est l’un des plus controversés dans le domaine des alliances stratégiques. En effet, malgré l’intérêt et les questions qu’il suscite, il se caractérise par une absence de cadre unique de référence. Il existe autant de définitions des alliances asymétriques qu’il y a de recherches sur le sujet. Généralement, on parle d’alliances asymétriques dans le cadre d’opérations de rapprochements entre grandes firmes multinationales et petites ou moyennes entreprises par opposition aux alliances symétriques ou relation entre entreprises de mêmes profils. Il en résulte que l’asymétrie est fondée a priori sur un différentiel de taille entre les partenaires.

Cette interprétation des alliances asymétriques est pertinente mais elle suscite au moins une interrogation : la taille des firmes partenaires est-elle le seul critère d’asymétrie pertinent dans le cadre des alliances stratégiques ? Certains auteurs ont souligné les limites de cette approche des asymétries. Pour Chrysostome et al (2005) par exemple, la taille est un critère insuffisant car le différentiel de ressources financières qu’elle traduit entre les partenaires n’est pas la seule cause d’asymétries entre eux. Au-delà de la taille, on peut compter nombre de critères pour définir l’asymétrie entre les partenaires d’une alliance (voir Cherbib et Assens, 2010 pour une revue plus détaillée) : l’origine géographique et le niveau de développement (Mouline, 2005); le niveau d’expérience dans les coopérations (Harrigan, 1988 ); le taux de croissance, la clientèle et la prise de décision (Dikmen et Cheriet, 2014); la culture organisationnelle; la spécificité des actifs échangés; le degré d’urgence; les ressources (tangibles et intangibles); les capacités d’absorption et d’apprentissage (Inkpen et Beamish, 1997); la capacité d’innovation (Alvarez et Barney, 2001), etc. Indéniablement les alliances asymétriques mettent en relation des entreprises aux profils stratégiques et organisationnels spécifiques. Elles valorisent des complémentarités dans le sens où chaque partenaire apporte dans la relation, une contribution quantitative et qualitative différente de celle de l’autre. Ainsi, dans une alliance asymétrique, chaque partenaire détient grâce à ses caractéristiques une certaine influence sur son allié (Dikmen et Cheriet, 2014). En d’autres termes, il existe entre les partenaires, un lien « symétrique » entre le pouvoir et la dépendance (Cheriet et Cherbib, 2014). La détermination des critères d’asymétrie constitue donc une étape décisive dans l’analyse des alliances asymétriques.

De manière générale, pour définir les alliances asymétriques et dépasser la formulation forcément réductrice de l’asymétrie à la seule variable de la taille, nous pouvons nous rapporter à Harrigan (1988) qui adopte une approche multidimensionnelle des asymétries entre les partenaires d’une alliance. Il souligne qu’au-delà de la différence de taille et de l’origine nationale ou géographique, l’expérience dans les coopérations, l’homogénéité culturelle en termes de culture d’entreprise ainsi que la différence dans la taille des actifs engagés doivent être considérées dans la définition des alliances asymétriques. Dans cette perspective et en tenant compte des caractéristiques distinguant les PME des grandes FMN, nous proposons de définir ici les alliances asymétriques comme des relations de partenariats entre des entreprises de tailles, de ressources et compétences, de cultures organisationnelles et d’expérience d’alliances différentes. Le choix de ces variables, au delà du fait qu’un choix s’impose parmi la multitude de critères d’asymétrie existant, est lié au fait que ce sont les critères d’asymétries les plus cités dans la littérature, à l’exception près du critère lié à l’expérience d’alliances. Ce dernier a été en premier lieu envisagé par Harrigan (1988) puis il a été repris par Cherbib (2010) puis Dikmen et Cheriet (2014).

Nous ne retenons pas l’asymétrie de zones géographiques ou de culture nationale comme variable d’asymétrie car les entreprises qu’on entend étudier appartiennent au même contexte géographique et culturel que leurs partenaires (cas de pays développés). Par ailleurs, cette asymétrie est celle qui a reçu le plus d’attention dans la littérature (Christoffersen, 2013). En ce qui concerne notre choix d’analyser l’asymétrie de culture organisationnelle, il est lié au fait que cette asymétrie peut tout à fait exister, même entre des entreprises d’un même pays.

Concernant la question des effets des asymétries entre les partenaires sur la performance, un certain nombre de points de vue et de résultats ont été développés. Mais la littérature reste à ce jour peu concluante sur le sujet. Certains travaux, par exemple Perez et al (2012), trouvent que les similitudes entre partenaires (absence d’asymétries) sont source de performance ou de stabilité des alliances tandis que d’autres soutiennent la relation opposée (Parkhe, 1991). Notons toutefois que les points de vue diffèrent selon le type d’asymétrie considéré.

Asymétrie de taille et performance

Tout d’abord, en ce qui concerne la relation entre l’asymétrie de taille et la performance, la plupart des recherches concluent à une relation négative. En effet, la différence de taille est perçue comme étant à l’origine d’autres différences entre les partenaires, qui à leur tour influencent négativement la performance de l’alliance. L’asymétrie de taille se traduit généralement par un déséquilibre dans les structures de management (Yan et Gray, 1994) et par un manque de « fit » stratégique entre les parents, soit des incompatibilités stratégiques et organisationnelles pouvant affecter en même temps la qualité du partenariat et la satisfaction des partenaires (Geringer et Hebert, 1989; Geringer, 1991; Hill et Hellriegel, 1994). Dans la même veine, Delerue et Simon (2005), soulignent que les différences de structures, de cultures, de valeurs et de normes résultent souvent des différences de tailles entre les organisations et que ces dernières ont des effets négatifs sur les résultats de l’alliance.

Asymétrie de ressources, de compétences et performance 

L’une des principales spécificités des alliances asymétriques est la complémentarité des apports de ressources et compétences par les partenaires. Il a été théoriquement admis que la combinaison de ressources différentes ouvre des possibilités de synergies (Harrigan, 1988) qui peuvent contribuer à l’avantage concurrentiel des firmes impliquées. Elles peuvent conduire à un gain mutuel et à la création d’un potentiel de croissance sur le plan international surtout si ces partenaires se complètent et compensent leurs faiblesses respectives (Doz et Hamel, 2000 ; Hamel et al.,1989). En outre, compte tenu de l’interdépendance qu’elle crée entre les partenaires et des avantages qu’elle leur procure, la complémentarité réduit le niveau de tensions coopératives-compétitives et facilite la gestion de la relation (Pérez et al, 2012). Elle réduit de ce fait la probabilité de mesures prises dans l’intérêt personnel et renforce la confiance entre les partenaires (Deitz et al., 2010 ; Johnson et al., 1996).

Dans une recherche sur les alliances stratégiques dans l’industrie de la construction, Sarkar et al. (2001) soulignent que la synergie qui se produit lorsque les partenaires de l’alliance mettent en commun des ressources et des capacités complémentaires, améliore les performances. Tout d’abord, elle améliore, à la fois directement et indirectement, l’efficacité économique et l’efficacité qualitative de l’activité réalisée conjointement. Ensuite, elle améliore les avantages communs ainsi que les avantages privés plus stratégiques que les entreprises mères peuvent tirer de la relation (ex : l’apprentissage organisationnel).

Asymétrie de culture organisationnelle et performance 

Peu de recherches analysent la relation entre l’asymétrie de culture organisationnelle et la performance des alliances par comparaison à celles étudiant l’effet de l’asymétrie de culture nationale. Ceci peut être expliqué par le fait que la plupart des études sur la relation asymétrie et performance portent sur des cas d’alliances stratégiques internationales.

Les recherches sur le sujet soulignent le plus souvent une relation négative entre les différences de cultures organisationnelles des partenaires et les résultats des alliances stratégiques (Brown et al., 1989). De telles différences peuvent même conduire à la dissolution des alliances parce que d’une part le fonctionnement des activités conjointes se trouve affecté (Parkhe, 1991) et d’autre part, parce que les partenaires sont obligés de déployer beaucoup d’énergie afin de développer des routines d’interaction visant à surmonter ces différences (Park et Ungson, 1997). Lane et Lubatkin (1998) suggèrent également une relation négative entre l’asymétrie de culture organisationnelle et le rendement. Ils font valoir que les multiples manifestations de la culture organisationnelle, notamment la différence de cultures managériales, affecteraient l’apprentissage inter organisationnel de la PME apprenante.

Globalement, les auteurs mettent en garde les managers sur les partenariats entre sociétés très différentes. Les différences de styles organisationnels peuvent affecter la qualité relationnelle au sein du partenariat (Delerue et Simon, 2005). En effet, une alliance entre entreprises de cultures différentes accroît le risque d’opportunisme, de conflit et de méfiance, conduisant à des relations de travail contre-productives. De plus, des niveaux plus élevés de stress peuvent résulter de valeurs et normes organisationnelles peu compatibles (Das et Teng, 2000).

In fine, il ressort de la littérature que la similitude dans la culture organisationnelle des partenaires augmente l’apprentissage de chacun d’eux, leur satisfaction et l’efficacité des interactions alors que les différences dans la culture organisationnelle jouent en sens contraire.

Asymétrie d’expérience d’alliances et performance 

A priori, compte tenu des avantages liés à sa taille et à ses ressources, la grande entreprise internalise plus facilement des connaissances et expertises de son environnement externe que la PME. En outre, les ressources importantes des firmes multinationales leur confèrent la capacité de signer et de gérer un nombre important d’alliances par rapport aux PME. Partant de là, il est généralement admis une plus grande expérience d’alliances des multinationales par rapport aux PME. L’expérience d’alliances recouvre un ensemble de connaissances et compétences acquises à la suite d’alliances antérieures.

Cependant, si ces connaissances peuvent constituer pour leurs détenteurs des outils efficaces de gestion de nouvelles alliances, elles peuvent aussi être contre-productives si une asymétrie existe dans les bases d’expériences des partenaires (Rahman et Korn, 2012). Ces auteurs soutiennent que l’asymétrie d’expérience dans les alliances stratégiques en général, aura une influence négative sur la longévité de ces alliances, la longévité étant perçue comme le précurseur d’une performance positive de la relation. Harrigan (1988) quant à lui, trouvait au contraire des résultats statistiquement non significatifs des effets de l’asymétrie d’expérience d’alliances sur le succès des alliances stratégiques.

Ce qui ressort globalement de notre revue de littérature est que la complémentarité dans les apports en ressources et compétences des partenaires et l’existence de similitudes entre eux en termes de taille, de culture organisationnelle et d’expérience d’alliance constituent des facteurs clé de succès essentiels des alliances. Cependant au-delà de ce constat, le faible nombre de recherches sur le sujet et leurs résultats parfois contradictoires nous conduisent à vouloir clarifier encore les effets de variables d’asymétrie sur la performance des alliances asymétriques. En effet, mieux comprendre les facteurs d’influence des alliances asymétriques nous semble tout à fait primordial. C’est dans cette perspective que nous avons entrepris cette recherche dans le cadre du secteur aéronautique, dans lequel les alliances asymétriques sont fréquentes et semble-t-il souvent performantes.

Présentons maintenant la méthodologie guidant notre étude inductive.

Méthodologie de la recherche

Contexte empirique et justification du choix du terrain 

Notre étude empirique porte sur dix cas d’alliances stratégiques asymétriques entre de grandes firmes multinationales (FMN) et des PME françaises dans l’industrie aéronautique. Ces alliances typiquement contractuelles n’impliquent en règle générale ni la prise de participation des divers partenaires dans le capital de l’autre ni la création d’une entité juridique séparée pour la coordination et la gestion du projet. Elles se présentent en effet, généralement sous la forme de contrats commerciaux pour la fabrication d’équipement originaux et de projets communs de développement technologique. Par ailleurs, ces contrats sont en fait fortement standardisés et ne nécessitent généralement pas de renégociations particulières. Le tableau 1 décrit les dix cas d’alliances asymétriques étudiés.

L’analyse de ces relations d’alliances se fera du point de vue d’un des partenaires, la PME impliquée, sans souligner les différences de perception pouvant exister entre les visions des différents partenaires. Le choix de l’industrie aéronautique et des PME comme objets d’étude, se justifient par les raisons suivantes.

Tableau 1

Identification des entreprises interrogées

Identification des entreprises interrogées

NB : Nous considérons dans ce tableau les effectifs des FMN partenaires en France et pour des raisons d’anonymat nous proposons une valeur seuil pour ces effectifs.

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L’industrie aéronautique est un secteur de haute technologie extrêmement dynamique, notamment en termes de volume des commandes. Par exemple en France, le montant des commandes a progressé de 45 % entre 2012 et 2013 (selon le rapport annuel 2013-2014 du GIFAS[1]). Ceci se traduit par des restructurations continuelles et des investissements colossaux en recherche et développement. On assiste de ce fait à une multiplication des opérations de rapprochement entre les entreprises du secteur. Les accords de collaboration prennent souvent la forme d’accords de R & D et de projets de production d’un produit commun (Dussauge et Garrette, 1995). Il convient toutefois de souligner qu’à l’heure actuelle, et ce depuis quelques années déjà, ces opérations de rapprochement ont évolué et ne sont plus majoritairement entre entreprises de tailles comparables. Nombreuses sont les PME innovantes sollicitées par les grands industriels du secteur.

En outre dans l’industrie aéronautique, le rythme d’innovation des PME peut être considéré comme fondamental pour les firmes multinationales vu le rôle qu’elles jouent dans la fabrication de composants. En effet, les géants de ce secteur ont des modèles d’organisation intégrés, les différents composants de leurs produits finals étant fabriqués par des entreprises partenaires parmi lesquels on compte énormément de PME et ETI sous-traitantes.

Malgré, la forte représentativité de relations asymétriques dans cette industrie, la littérature sur le sujet est presque inexistante. En effet, les études portent principalement sur des cas d’alliances entre firmes multinationales concurrentes (voir Dussauge et Garrette, 1995; Dussauge et al, 2000 et Mitchell et al, 2002). Enfin, le choix des PME comme objet d’étude, se justifie par la quasi absence de recherches théoriques et empiriques analysant la performance des alliances stratégiques dans la perspective des PME.

Les variables retenues

Il nous faut préciser d’une part les variables permettant d’apprécier l’asymétrie entre les partenaires, d’autre part les variables permettant d’apprécier la performance de l’alliance. Les variables d’asymétries traduisent l’existence de dissimilarités entre les partenaires en termes de taille, de ressources et compétences, de culture organisationnelle, et d’expérience d’alliances.

La taille est appréciée en termes d’effectifs des employés dans l’entreprise (Lin et al, 2009), parce que notre objectif premier était de procéder à une catégorisation des PME par rapport à leurs partenaires, les FMN. Nous considérons alors, en cohérence avec la définition de la commission européenne, les PME comme des entreprises ayant un effectif compris entre 10 et 250 personnes. Les firmes multinationales de notre échantillon sont des entreprises implantées dans plusieurs pays, dont l’effectif dépasse 500 employés.

Les ressources et compétences font pour leur part référence aux différentes dotations et capacités tangibles et intangibles détenues par une entreprise en interne, plus précisément celles qu’elle engage dans l’alliance.

La culture organisationnelle, sur la base des travaux de Sarkar et al (2001), Blomqvist (1999) et de Lavie et al (2012), est caractérisée par deux dimensions principales, la dimension culturelle (les normes et les valeurs de l’organisation) et de la dimension procédurale (les processus de gestion ou les compétences managériales, les processus organisationnels ou les routines de travail en interne). L’asymétrie par rapport à cette variable traduit l’existence de dissimilitudes de culture organisationnelle entre la PME et la multinationale.

L’expérience d’alliances est appréciée en termes du nombre d’alliances antérieures entretenues par les entreprises partenaires (Harrigan, 1988) et du niveau de retour d’expérience accumulé dans la gestion de ces relations d’alliances. Cette dernière mesure a découlé des retranscriptions de nos entretiens. Nous nous limitons en matière d’alliances antérieures aux cas des alliances asymétriques. Ces dernières étant fondamentalement spécifiques, l’expérience acquise dans leur gestion est différente de celle acquise dans la gestion des alliances symétriques.

Concernant les mesures de la performance des alliances asymétriques, la littérature retient le plus souvent des critères objectifs et financiers (Blanchot et Mayrhofer, 1998). Nous envisageons dans le cadre de cette contribution une approche multidimensionnelle de la performance en considérant à la fois des critères objectifs et des critères subjectifs. Cette opérationnalisation multidimensionnelle de la performance vise à remédier aux limites de certaines mesures de la performance retenues dans les travaux antérieurs (ex : la survie, la durée). Dans cette perspective nous prenons en compte trois dimensions que nous explicitons ci-dessous pour apprécier la performance globale des alliances asymétriques étudiées. Nous évaluons chacune de ces dimensions sur la base des appréciations subjectives des représentants des PME impliquées dans ces relations partenariales. En effet, comme le soulignent Geringer et Hebert (1991), la prise en compte d’un seul des partenaires dans la collecte des données peut être suffisante pour obtenir des données fiables et efficaces. Par ailleurs, comme le constatent Camara et al (2013), une approche du point de vue de tous les partenaires, même si elle est largement recommandée, est empiriquement très peu appliquée et cela notamment pour des raisons de difficultés de recueil des données.

La première dimension de la performance considérée est la dimension relationnelle (Hill et Hellriegel, 1994; Blanchot, 2006). Elle consiste à apprécier la qualité de la relation entre les partenaires et le niveau de satisfaction par rapport à la relation avec le partenaire. Les répondants sont d’une part questionnés sur la façon dont ils ont pu travailler avec leurs partenaires, d’autre part sur leur sentiment en ce qui concerne le niveau de tensions, de conflictualité et les rapports de force dans la relation. La performance financière est ensuite analysée (Venkatraman et Ramanujam, 1986) avec des critères d’évaluation tels que l’évolution du chiffre d’affaires, de la part de marchés et de la croissance. Cette dimension de la performance tout comme celle relationnelle sont considérées comme des déterminants de satisfaction des entreprises impliquées dans ce type d’alliance (Cheriet et Guillaumin, 2013). Enfin, nous examinons la performance liée à l’apprentissage des PME (Blanchot, 2006; Nielsen, 2007).

En ce qui concerne l’indicateur d’apprentissage organisationnel, il traduit la mesure dans laquelle les PME ont pu acquérir des savoir-faire et technologies à la suite de leurs partenariats asymétriques. Il se trouve être également un des principaux objectifs des PME lorsqu’elles s’engagent dans une alliance asymétrique. Notons toutefois que cet indicateur a été peu utilisé dans les travaux précédents évaluant la performance des alliances stratégiques (Mohr, 2006).

Enfin, dans le cadre de cette contribution nous ne retenons pas les critères tels que la survie, la durée et la stabilité des alliances, critères objectifs le plus souvent utilisés dans les recherches sur le sujet, et ceci pour deux raisons. Tout d’abord, ces critères sont seulement utilisés pour évaluer la performance d’une alliance terminée (Blanchot et Mayrhofer, 1998). Ensuite la survie, la durée et la stabilité des alliances n’excluent pas l’échec de ces dernières. Réciproquement, une rupture, une durée de vie courte et l’instabilité des alliances peuvent être associées à d’excellents résultats pour les partenaires (Blanchot, 2006; Dikmen et Cheriet, 2014). En outre, notre démarche d’analyse de la performance est statique (Cheriet et Guillaumin, 2013) car nous n’effectuons pas de comparaisons des perceptions de la performance selon le cycle de vie des alliances considérées. Dans une perspective de récit de vie, nous demandons aux répondants, à un moment t (date de l’interview) de nous raconter leurs partenariats asymétriques[2]. La mesure de la performance d’une alliance peut se faire in situ et au moment de l’appréciation lorsque l’alliance est ancienne (Camara et al, 2013).

Le tableau 2 opérationnalise le détail des dimensions et items utilisés pour analyser les construits définis dans cet article. Chacun de nos items est apprécié de façon qualitative sur la base des perceptions des répondants. Nous n’effectuons ni mesure de ces variables ni leur agrégation dans le sens où nous ne sommes pas dans une démarche d’explication statistique caractéristique d’une étude quantitative. Toutes combinaison de variables dans le cadre de cette contribution ne serait de fait que qualitative.

Tableau 2

Synthèse des mesures des asymétries et de la performance des alliances asymétriques

Synthèse des mesures des asymétries et de la performance des alliances asymétriques

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Le recueil et le traitement des données

L’étude de cas multiple (Yin, 1984; Miles et Huberman, 1994, 2003) a été choisie comme méthode qualitative d’accès au réel. Ce choix méthodologique est guidé par nos objectifs de compréhension et d’explication du phénomène des alliances stratégiques asymétriques et des facteurs influençant leurs performances. En effet, l’approche par étude de cas multiple est considérée comme étant la plus appropriée lors de la phase de développement d’une théorie, notamment lorsque des variables clés et les relations entre-elles sont à explorer (Pérez et al, 2012). Par cette approche, nous cherchons également à comprendre les relations entre les différents partenaires impliqués dans ces alliances asymétriques.

Dans cette perspective, nous avons mené, pour chaque PME de notre échantillon, un entretien semi-directif enregistré d’une durée comprise entre 50 mn et 1 h 30. Chaque personne interrogée est impliquée de très près dans la conduite des relations d’alliances asymétriques de son entreprise. Compte tenu de l’importance des informations communiquées, nous avons tenu à préciser au niveau de chaque entreprise le caractère confidentiel de l’entretien avant et après ce dernier. Chacun de nos entretiens a donné lieu à un codage thématique manuel structuré autour de notre question de recherche et ajusté au fur et à mesure que de nouveaux items ont émergé du terrain (King, 1998).

En plus des données découlant de nos entretiens semi-directifs, nous avons eu recours à des données secondaires (données publiques, études réalisées par des organismes agréés, articles de presse reconnus dans le domaine) dans l’objectif de compléter notre analyse. L’utilisation de sources de preuve multiples permet de mieux conduire une étude de cas (Yin, 1981; Eisenhardt, 1989).

Ensuite, nous avons procédé à une organisation et à une réduction de toutes les données collectées afin de pouvoir comparer et appréhender les similitudes et les différences observées entre les dix cas d’alliances asymétriques étudiés. Finalement, nous avons effectué une comparaison de nos observations avec les constructions et les relations préalablement définies dans la littérature sur les alliances particulièrement asymétriques. Sur cette base, nous induisons des propositions dans une perspective de construction de théories (Eisenhardt, 1989).

Présentation des résultats

Dans cette partie nous présentons en premier lieu les résultats liés aux principales asymétries caractéristiques des alliances stratégiques considérées. Ensuite, nous explicitons les apports respectifs des PME et des multinationales dans le cadre de ces alliances. Enfin, la dernière section présente les résultats liés à la relation entre les variables d’asymétries et les performances de l’alliance.

Les principales asymétries entre les partenaires

Les études antérieures ont défini les alliances asymétriques comme des relations de partenariats engageant des entreprises de taille, de ressources et compétences, de cultures organisationnelles et d’expérience d’alliance différentes (Harrigan, 1988; Hourquet et al, 2005; Delerue et Simon, 2005; Pérez et al, 2012). Nos cas sont en cohérence avec ces définitions.

L’asymétrie de taille est forte pour l’ensemble des cas de notre échantillon dans le sens où il s’agit d’alliances entre PME (petites entreprises) et très grandes FMN. Sur le plan des ressources également, l’analyse transversale nous montre que les ressources des PME et de leurs partenaires multinationales sont incomparables. Il existe un écart important, que ce soit au niveau des ressources tangibles (financières, humaines, équipements techniques, etc.) ou des ressources intangibles (positionnement international, crédibilité et image de marque, capacités et savoir-faire techniques, etc.). « Les grands groupes sont robustes, ils ont des ressources foisonnantes, des ressources d’ingénieurs très importantes, une crédibilité que n’a pas forcement une PME » précise le président directeur général (PDG) de l’une des PME interviewés (CAS 9).

Tableau 3

Analyse transversale des asymétries entre PME et firmes multinationales

Analyse transversale des asymétries entre PME et firmes multinationales

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Sur le plan de la culture organisationnelle, on observe au niveau de tous les cas étudiés, une structure ainsi que des processus organisationnels et de gestion plus simples chez les PME que pour les multinationales partenaires. « La culture d’un grand groupe et la culture d’une PME sont vraiment différentes. Le grand groupe est organisé, structuré de manière un peu militaire. Nous on est organisé et structuré de manière flexible et agile … » souligne le directeur général (DG) de l’une des PME interviewées (CAS 8). On observe également des différences entre les entreprises partenaires au niveau des normes et des valeurs. Celles des PME sont liées à la recherche continuelle de l’innovation, la satisfaction des clients et des partenaires, le respect des engagements et une forte identification des salariés à l’entreprise. Les multinationales pour leur part sont axées principalement sur des objectifs économiques tels que la réduction des coûts et le fait d’acheter moins cher sans prendre de grands engagements par rapport à leurs partenaires, les PME. Par exemple le DG de l’une des PME interviewées (CAS 4) soulignait que : « Nous on est moins publics, eux ils vont mettre en avant des valeurs liées à l’écologie; nous nos valeurs sont plus le respect des engagements, du client, l’efficacité, etc. Eux, ils vont aller chercher des valeurs, comment dire, philosophiques, publicitaires. Si on regarde les valeurs, ça ne va pas être les mêmes ».

Outre les asymétries précédentes, on peut observer au niveau de 7 des 10 cas considérés, des asymétries d’expérience d’alliances entre les partenaires (cf. tableau 3). Pour les trois cas restant, la PME a autant d’expérience dans les alliances asymétriques que les firmes multinationales partenaires.

Notons toutefois que dans les travaux antérieurs, le niveau d’expérience d’alliances est en faveur des multinationales dans le sens où elles capitalisent un nombre de partenariats plus important que les PME (Harrigan, 1988). Les données de cette recherche indiquent un point de vue différent. En effet, parmi les 7 cas où on observe un différentiel dans l’expérience d’alliances asymétriques des partenaires, on note 5 cas pour lesquels l’expérience est plus importante pour les PME que pour les multinationales partenaires. Concernant les 2 cas restant, les multinationales ont une expérience plus importante que les PME du fait du nombre important de partenariats dans lesquels elles sont engagées et grâce à leur niveau élevé de connaissance du marché. Le tableau 4 détaille les résultats liés à cette variable.

Les raisons liées au faible niveau d’expérience des multinationales par rapport aux PME sont par ordre d’importance décroissante :

  • le manque de permanence des interlocuteurs au niveau des multinationales (CAS 1, 4 et 7),

  • le changement perpétuel de la structure organisationnelle des multinationales (CAS 1, 4 et 7).

L’expérience s’acquérant sur le long terme, ces facteurs réduisent les retours d’expériences des multinationales. Le DG de la PME du cas 1 le confirmait ainsi : « Dans les grands groupes les gens changent de boulot, les organisations changent tous les 5 ans, donc le grand groupe n’a pas la mémoire et l’expérience de la relation dans la durée ».

Ensuite jouent également :

  • le manque d’expérience de travail avec les PME (CAS 3, 5). Par exemple le DG de la PME du cas 3 affirmait : « J’ai peur que les grands groupes n’aient pas suffisamment d’expérience des PME. Parce qu’il y a beaucoup de grands groupes qui ne travaillent qu’avec les grands intégrateurs »;

  • l’incompréhension de l’organisation des PME (CAS 1, 3);

  • l’implication de plusieurs sous-structures de la multinationale dans la relation de partenariat (CAS 1) : « leur organisation ne leur permet pas d’appréhender la relation avec la PME de manière unique. Donc, ils ont une vision du côté achat, une vision du côté technique, une vision du côté financier et les grands groupes sont toujours désarmés quand ils travaillent avec les PME » décrit le DG de la PME.

Les PME bénéficient d’un niveau d’expérience d’alliances plus important compte tenu du fait que ces alliances asymétriques constituent une caractéristique essentielle de leur activité. D’autre part, leur niveau d’expérience est lié à leur organisation qui leur permet de cumuler un retour d’expérience important. En effet, au niveau d’une PME, les interlocuteurs conduisant le projet d’alliance sont généralement les mêmes. Il y a une permanence des interlocuteurs au niveau des PME.

En conclusion, compte tenu des observations précédentes, nous soulignons qu’une PME a fréquemment un niveau d’expérience dans les alliances asymétriques plus important que ses partenaires, les multinationales.

Le tableau 5 récapitule les asymétries entre les PME et les firmes multinationales dans le cadre d’une alliance stratégique asymétrique.

La complémentarité des ressources engagées par les partenaires

Au-delà de l’écart dans les ressources dont ils disposent (cf. Tableau 3), il existe entre les partenaires des alliances étudiées une forte asymétrie dans leurs apports à l’alliance en ressources et compétences.

Les données du tableau 6 révèlent que dans tous les cas considérés, les PME apportent principalement à l’alliance un savoir-faire spécifique. Toutes les entreprises ayant fait l’objet de cette étude sont en effet de hautes technologies, caractérisées par de fortes capacités d’innovation. Ensuite, les PME engagent dans ces relations des ressources financières en termes d’investissements. Ce sont des investissements pour financer la recherche et fabriquer des prototypes avant même l’obtention des commandes de la part des clients. Les PME engagent également tout ce qui est expertise dans leur domaine de compétences. Enfin, elles contribuent en termes de produits innovants qui vont par exemple être intégrés dans les produits finaux des multinationales, et en termes de supports de fonctionnement.

Tableau 4

Mesure de l’asymétrie d’expérience dans les alliances asymétriques

Mesure de l’asymétrie d’expérience dans les alliances asymétriques

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Tableau 5

Asymétries entre les PME et les firmes multinationales

Asymétries entre les PME et les firmes multinationales

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Tableau 6

Analyse transversale des apports en ressources des PME et des firmes multinationales

Analyse transversale des apports en ressources des PME et des firmes multinationales

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Pour leur part, les multinationales contribuent en apportant principalement des débouchés en termes de contrats ou de commandes. Elles apportent également dans la relation leur crédibilité et image de marque, des compétences en processus organisationnels et de gestion, et dans une moindre mesure un savoir-faire technologique et une expertise (connaissances du marché et en gestion de problématiques techniques).

Les ressources apportées d’une part par la PME et d’autre part par la multinationale, créent une situation de complémentarité et d’interdépendance entre les deux partenaires, compte tenu des objectifs poursuivis par ces parties dans le cadre de la relation d’alliance. Ainsi, la PME a besoin de la multinationale pour les débouchés nécessaires à sa survie et sa croissance : « S’ils ne sont pas là, on n’a pas d’argent, on ferme. C’est simple » justifie le DG de la PME du CAS 4. La multinationale en retour a besoin du savoir-faire de la PME, qui lui manque : « ils font appel à nous pour notre savoir-faire parce que ce n’est pas leur métier nécessairement, leur coeur d’activités » rajoute le DG de la PME (CAS 4).

Relation entre variables d’asymétries et performance des alliances asymétriques

Les travaux antérieurs soutiennent que les asymétries de taille, de culture organisationnelle et d’expérience d’alliance influencent négativement la performance des alliances asymétriques (Parkhe, 1991 ; Yan et Gray, 1994 ; Rahman et Korn, 2012). Dans cette section, nous décrivons les différentes observations qui soutiennent ou contredisent ces fondements théoriques en considérant la performance financière, l’apprentissage organisationnel et la performance relationnelle.

Nos résultats soulignent une performance financière et un apprentissage organisationnel positifs pour tous les répondants, quelles que soient les asymétries considérées. Cela explique la longévité et la survie des alliances stratégiques asymétriques. La performance relationnelle, à son tour, a été la plus discutée par les PME étudiées. L’aspect relationnel de ce type de partenariats semble constituer l’une de leurs principales préoccupations. En effet, selon nos répondants, une alliance asymétrique peut perdurer et générer des résultats quantitatifs positifs tout en présentant des difficultés relationnelles importantes.

Relation entre variables d’asymétries et performance financière

Au niveau de tous les cas étudiés, on observe une augmentation du chiffre d’affaires et des parts de marchés des PME et ceci malgré l’existence des asymétries de taille, de culture organisationnelle et d’expérience d’alliances asymétriques. Par exemple au niveau du CAS 1, le DG de la PME soutenait pendant l’entretien que : « Malgré toute différence, la relation génère des parts de marchés... ». Dans le même ordre d’idées, la directrice commerciale de la PME du CAS 10 soulignait : « Notre CA a augmenté de même que nos parts de marchés. On observe une amélioration continue des performances… ».

Le tableau 7 résume les différents résultats découlant des cas étudiés par rapport à cette question.

Sur cette base, nous faisons la proposition suivante,

Proposition 1 : les asymétries de taille, de culture organisationnelle et d’expérience d’alliances n’influent pas nécessairement la performance financière de l’alliance asymétrique.

Relation entre variables d’asymétries et l’apprentissage organisationnel

Globalement les PME impliquées dans les alliances asymétriques étudiées réalisent effectivement un apprentissage organisationnel (9 des 10 cas considérés, cf. Tableau 7). Cet apprentissage, se traduit par un développement de la base de leurs connaissances et par un transfert de compétences managériales des multinationales vers les PME.

Les alliances asymétriques ont en effet permis aux PME impliquées d’améliorer leurs capacités tant au niveau technique qu’au niveau innovation (amélioration des processus de fabrication, acquisition de nouvelles expertises technologiques, développement des produits). Comme le soulignait le directeur des opérations de la PME du CAS 6 : « On acquiert des connaissances, de nouvelles expertises technologiques. On apprend aussi tout ce qui est processus de fabrication, développement de produits, de compétences managériales…. ».

De même, grâce à ces alliances, les PME enregistrent un développement de leur base d’expériences dans la gestion des alliances asymétriques. Par ailleurs grâce à leurs alliances asymétriques, les PME ont pu bénéficier d’un accompagnement de la part des firmes multinationales dans l’amélioration des processus organisationnels et de gestion. Ceci a permis aux PME de se structurer davantage en améliorant et en formalisant un peu plus leurs processus internes de gestion et d’organisation. Le DG de la PME du CAS 8 le confirme ainsi : « Ils nous proposent des choses sur la manière dont on structure notre production, notre organisation qualité, nos flux logistiques, ils nous proposent des axes d’amélioration pour être encore plus compétitifs ».

En conséquence, lorsqu’on considère l’apprentissage organisationnel, nos résultats contredisent dans la quasi totalité des cas les affirmations issues de la littérature selon lesquelles il existe une relation négative entre les asymétries envisagées et la performance de l’alliance asymétrique.

En d’autres termes,

Proposition 2 : les asymétries de taille, de culture organisationnelle et d’expérience d’alliances n’influent pas nécessairement l’apprentissage organisationnel des PME dans le cadre des alliances asymétriques.

Relation entre variables d’asymétries et performance relationnelle

Asymétrie de taille

Notre enquête révèle l’existence de difficultés relationnelles entre PME et firmes multinationales partenaires dans le cadre d’une alliance asymétrique dans 9 des 10 cas étudiés. Les raisons de ces difficultés sont principalement liées au rapport de force établi par les multinationales par rapport aux PME. En effet, comme nous l’a souligné le DG de la PME du CAS 2 : « ils appellent ça partenariat mais il n’y a pas d’accords de partenariat. Il y a des accords entre un ogre qui écrase une fourmi ». Ainsi, compte tenu de leur taille importante, les multinationales ont tendance à établir un rapport de domination sur leurs petits partenaires, les PME. Cela se traduit par une certaine directivité des multinationales dans la relation. Partant de là, les PME perçoivent le comportement des multinationales partenaires comme opportuniste; elles se sentent exploitées, au niveau du prix en particulier. Elles ressentent un manque de considération et de confiance. Tous ces facteurs créent un sentiment de frustration au niveau des PME et rendent la relation plus conflictuelle. Le tableau 8 met en lumière le détail des affirmations des différents responsables de PME interviewés pendant cette étude.

Tableau 7

Relation entre variables d’asymétries et Performances (financière + apprentissage organisationnel)

Relation entre variables d’asymétries et Performances (financière + apprentissage organisationnel)

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Pour un seul des 10 cas, il n’existe aucune relation entre l’asymétrie de taille et la performance relationnelle. Ceci est dû à l’expérience de la PME (CAS 4) dans la gestion de ce type de partenariats.

En considérant la performance relationnelle, nos résultats soutiennent les affirmations des auteurs soulignant une relation négative entre l’asymétrie de taille et la performance de l’alliance. En des termes plus formels,

Proposition 3 : L’asymétrie de taille influence négativement la performance relationnelle des alliances stratégiques entre les PME et les firmes multinationales.

Tableau 8

Conséquences de l’asymétrie de taille sur la performance relationnelle

Conséquences de l’asymétrie de taille sur la performance relationnelle

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Asymétrie de culture organisationnelle

En ce qui concerne l’analyse des effets de l’asymétrie de culture organisationnelle sur la performance relationnelle, nos résultats nous permettent de regrouper les PME de l’étude en deux catégories. Pour 8 des 10 cas étudiés, l’asymétrie de culture organisationnelle est source de difficultés relationnelles entre les partenaires (relation plus complexe). Il s’agit des CAS 1, 2, 3, 5, 6, 7, 8, 10. Le tableau 9 précise les résultats par rapport à cette relation.

En effet, il apparaît que l’asymétrie de culture organisationnelle crée des incompréhensions entre les partenaires, la PME trouvant la multinationale lente et rigide et cette dernière trouvant la PME mal structurée. Pour illustrer cette incompréhension, le DG de la PME du CAS 5 nous disait : « Ils sont trop procéduriers, ils ne sont pas réactifs… ». Ceci peut entrainer des difficultés de communication conduisant à une relation plus complexe. Les risques de cette complexité dans la relation sont, selon la PME du CAS 1, la rupture de la relation d’alliance en faveur de plus grands concurrents mieux structurés, et plus largement une baisse du niveau de confiance entre la PME et ses partenaires grands groupes (CAS 1 et 2).

Toutefois, au niveau de deux PME, nous n’observons aucune relation entre l’asymétrie de culture organisationnelle et la performance relationnelle (CAS 4 et 9). Les raisons sont liées tout d’abord au fait que ces PME détiennent une expérience importante dans la gestion des projets d’alliances et ont su adapter leurs processus organisationnels à ceux des firmes multinationales partenaires. Ensuite, la détention d’un savoir-faire spécifique par la PME permet de dépasser les incompréhensions quotidiennes d’organisation et de mieux communiquer, parce que dans cette situation les firmes multinationales partenaires accordent plus de crédit à la PME (CAS 9).

Globalement, en considérant la performance relationnelle, nos résultats corroborent ceux des recherches antérieures suggérant une relation négative entre l’asymétrie de culture organisationnelle et la performance des alliances asymétriques. En outre, nos résultats nous permettent d’être encore plus précis quant au type de performance considéré :

Proposition 4 : L’asymétrie de culture organisationnelle entre les PME et les firmes multinationales influence négativement la performance relationnelle de l’alliance asymétrique.

Tableau 9

Conséquences de l’asymétrie de culture organisationnelle sur la performance relationnelle

Conséquences de l’asymétrie de culture organisationnelle sur la performance relationnelle

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Asymétrie d’expérience d’alliances asymétriques

L’analyse de nos résultats permet de souligner qu’il existe des difficultés relationnelles découlant de l’asymétrie d’expérience en matière d’alliances asymétriques entre les partenaires. La relation partenariale devient plus complexe. Le tableau 10 résume les résultats découlant des différents cas étudiés.

Globalement, l’asymétrie d’expérience peut entrainer des incompréhensions entre les partenaires pendant la phase de contractualisation, puis dans la conduite du projet d’alliance (gestion des procédures). Il en résulte une perte d’efficacité. Elle peut également impliquer des problèmes de communications (CAS 3) pouvant influencer négativement le développement de la confiance et par la suite le développement d’une relation à long terme (CAS 7). Par exemple, le DG de la PME du CAS 3 soutenait que : « Les grands groupes n’ont pas suffisamment d’expérience des PME… Il y a une méconnaissance des PME par les multinationales. C’est ce qui fait qu’il n’y a pas de dialogue entre les grands groupes et les PME. Et ça, il faut que ça change ». L’asymétrie d’expérience peut aussi se traduire par un opportunisme des multinationales (CAS 6) dans le cas où ces dernières ont une expérience plus importante que celle des PME. Cet opportunisme peut se manifester par un contrat à l’avantage des multinationales partenaires. Sur la base de nos résultats, nous faisons la proposition de recherche suivante :

Proposition 5 : L’asymétrie d’expérience d’alliances entre les PME et les firmes multinationales influence négativement la performance relationnelle de l’alliance asymétrique.

Tableau 10

Conséquences de l’asymétrie d’expérience sur la performance relationnelle

Conséquences de l’asymétrie d’expérience sur la performance relationnelle

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Relation entre asymétrie de ressources et compétences apportées par les partenaires et performance des alliances asymétriques

Pour tous les cas étudiés, les ressources et compétences apportées d’une part par la PME et d’autre part par la multinationale sont complémentaires et créent une situation d’interdépendance entre les deux partenaires. En effet, chaque partenaire reconnaît l’importance des apports en ressources et compétences de l’autre. Comme le souligne le DG de la PME du CAS 4 : « S’ils ne sont pas là, on n’a pas d’argent, on ferme. C’est simple... Ils font appel à nous pour notre savoir-faire parce que ce n’est pas leur métier nécessairement, leur coeur d’activités… il n’y a pas de choix ». Ces ressources et compétences des partenaires une fois mises en commun génèrent des résultats incommensurables aux difficultés que peuvent rencontrer les partenaires dans leurs relations. Toutes les PME interrogées dans cette étude, compte tenu des résultats attendus, acceptent les difficultés relationnelles et font des concessions pour s’adapter aux attentes des multinationales partenaires. Ces efforts d’adaptation atténuent les difficultés relationnelles, favorisent le développement d’une relation sur le long terme. Partant de là, on peut dire que la complémentarité des ressources apportées favorise le développement d’un bon relationnel entre les partenaires d’une alliance asymétrique. De même, pour toutes les PME interrogées, les résultats financiers et l’apprentissage organisationnel positifs qu’elles obtiennent malgré les difficultés relationnelles, s’expliquent par la complémentarité entre leurs ressources et compétences et celles de leurs grands partenaires. En effet, la stabilité de la relation favorisée par la complémentarité des ressources favorise à son tour des résultats positifs du point de vue financier et apprentissage.

Ceci nous permet d’établir, une relation positive entre la complémentarité des ressources et des compétences apportées par les partenaires de l’alliance asymétrique et la performance de cette dernière du point de vue relationnel, financier et apprentissage organisationnel.

Les résultats ci-dessus permettent également d’expliquer l’absence de relation négative entre les asymétries de taille, de culture organisationnelle et d’expérience d’alliances asymétriques par rapport à la performance financière et à l’apprentissage organisationnel. La complémentarité des ressources a un rôle modérateur sur les conséquences des autres formes d’asymétries entre les partenaires.

Plus formellement, nous faisons la proposition de recherche suivante :

Proposition 6 : La complémentarité des ressources et compétences apportées par les PME et les firmes multinationales atténue les effets négatifs des autres asymétries sur la performance de l’alliance asymétrique.

Discussion et conclusion

L’objet de cette recherche était d’étudier les effets des asymétries entre des PME françaises de l’industrie aéronautique et leurs partenaires de grande taille sur la performance de leur alliance. L’analyse de ces relations nécessitait de caractériser les asymétries entre les partenaires et de définir les dimensions d’analyse de la performance : dimensions financière, relationnelle et apprentissage organisationnel.

Certains des résultats obtenus confirment les apports théoriques présentés dans notre cadre d’analyse, d’autres les nuancent voire les infirment. La figure 1 synthétise nos résultats.

Les résultats de cette recherche nous permettent de souligner les points suivants :

Il n’y a pas nécessairement de conséquences négatives des asymétries de taille, de culture organisationnelle et d’expériences sur la performance financière et l’apprentissage organisationnel de PME impliquées dans une alliance asymétrique (Propositions 1 et 2). Cela résulte du fait que les difficultés réelles résultant de ces asymétries sont largement compensées par les résultats positifs générés par la complémentarité des ressources apportées par les partenaires (Proposition 6).

Il existe en revanche une relation négative entre les asymétries de taille, de culture organisationnelle et d’expérience d’une part et la performance relationnelle d’autre part (Propositions 3, 4 et 5).

Concernant le premier point, il apparait que malgré les différentes asymétries entre les partenaires, les alliances asymétriques se présentent comme des relations efficaces générant des résultats positifs. Ces résultats positifs s’expliquent par l’existence de complémentarités entre les ressources et compétences des partenaires. Le croisement des ressources d’une petite entreprise avec celles d’une grande multinationale ouvre des possibilités de synergies (Sarkar et al, 2001) qui améliorent d’une part l’efficacité économique des partenaires (toutes les PME étudiées enregistrent une augmentation de leurs chiffre d’affaires et de leurs parts de marchés) et d’autre part leurs avantages privés stratégiques (on observe un apprentissage organisationnel au niveau de 9 des 10 PME étudiées). Ce résultat rejoint les résultats de Beamish et Jung (2005) et de Dikmen et Cheriet (2014) qui soulignent une absence de relation entre asymétries et performance de l’alliance. Toutefois, il ne va pas dans le sens du lien négatif identifié par Lane et Lubatkin (1998) entre l’asymétrie de culture organisationnelle et l’apprentissage organisationnel.

FIGURE 1

Relation entre asymétries et performance

Relation entre asymétries et performance

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Concernant le deuxième point, nos résultats soulignent l’influence négative des asymétries de taille, de culture organisationnelle et d’expérience sur la performance relationnelle des alliances asymétriques. Ces résultats confortent les analyses de nombreux auteurs sur le sujet (entre autres Parkhe, 1991; Das et Teng, 2000; Sarkar et al, 2001). L’asymétrie de taille se traduit souvent par un déséquilibre dans la structure de management des partenaires. Ces déséquilibres organisationnels peuvent entrainer des incompréhensions mutuelles (Delerue et Simon, 2005; Park et Ungson, 1997; Johnson et al, 1996) et altérer la qualité de la relation (Yan et Gray, 1994; Geringer et Hebert, 1989, 1991 et Hill et Hellriegel (1994). Finalement, on peut dire que l’asymétrie de taille ayant pour conséquence une asymétrie de culture organisationnelle, les effets de ces deux formes d’asymétries sur les résultats de l’alliance sont intimement liés.

Du point de vue asymétrie d’expérience d’alliances nos résultats diffèrent de ceux de Harrigan (1988), qui trouvait des résultats statistiquement non significatifs des effets de l’asymétrie d’expérience d’alliances sur le succès des alliances stratégiques. En effet, même si l’asymétrie d’expérience n’a pas de répercussion sur la performance financière et sur l’apprentissage organisationnel, elle peut impliquer d’importantes difficultés relationnelles qui peuvent à long terme si elles ne sont pas maîtrisées, nuire au succès des alliances asymétriques. Dans l’autre sens, ces résultats corroborent ceux de Rahman et Korn (2012). Ces auteurs établissent une relation négative entre l’asymétrie d’expérience d’alliances et la longévité des alliances. Dans la même perspective, nos résultats montrent que les difficultés relationnelles découlant des asymétries d’expériences, peuvent impliquer des difficultés de développement d’une relation à long terme entre les PME et les multinationales.

Toutefois, malgré ces difficultés relationnelles entre les partenaires, toutes les relations asymétriques étudiées se maintiennent sur le long terme et continuent à générer des résultats financiers et des résultats liés à l’apprentissage très positifs. De ce fait, la poursuite de ces relations partenariales semble plus avantageuse que leur rupture.

En conclusion, dans la même perspective que Bleeke et Ernst (1991), Deitz et al (2010), Harrigan (1985, 1988), Parkhe (1991), Lin et al (2009), nous soulignons l’importance de la complémentarité des ressources apportées sur le développement, la stabilité et l’efficacité des relations d’alliances asymétriques. La complémentarité des ressources et compétences apportées par les PME et les multinationales sera associée positivement à la performance globale de l’alliance asymétrique et modère les conséquences des autres formes d’asymétries entre les partenaires.

Globalement, la thèse centrale qui émerge de cette recherche est que malgré les asymétries entre les partenaires et les difficultés relationnelles qu’elles impliquent entre eux, les alliances asymétriques peuvent être des opérations à performance positive. Ces résultats devraient toutefois être pris avec prudence pour plusieurs raisons. D’une part la méthodologie utilisée est spécifique, et d’autre part, l’analyse porte sur 10 cas d’alliances seulement et a été effectuée du seul point de vue des PME impliquées. Par ailleurs, notre démarche d’analyse de la performance est statique or selon certains auteurs (Cheriet, 2009; Camara et al, 2013), l’aspect dynamique des perceptions des partenaires dans une relation d’alliance peut s’avérer essentiel. Enfin, il faudrait signaler que compte tenu du caractère mono-sectoriel de notre analyse (industrie aéronautique en France) et des construits mobilisés dans cette recherche, l’asymétrie entre les partenaires et la performance, tous deux des concepts multidimensionnels, la généralisation de nos résultats doit être faite avec prudence.

Ces limites constituent cependant à notre sens des ouvertures intéressantes de recherche. L’extension de cette étude à des échantillons plus importants et à des entreprises de secteurs et de zones géographiques variés constitue une piste de recherche future pour une meilleure compréhension des liens entre asymétries et performance.