Article body

Les mauvaises nouvelles s’amoncellent, en matière de changement climatique (CC), qui toutes inquiètent par l’ampleur des problèmes écologiques, sociaux et économiques induits (Beck, 2009; Giddens, 2009). Le caractère anthropique du CC étant à présent reconnu comme très hautement probable[3] et la concentration atmosphérique en dioxyde de carbone (CO2) étant identifiée comme principal facteur du CC[4], l’idée d’une « décarbonisation », ou transition vers une économie décarbonée, s’impose en réponse, dans les agendas politiques[5]. En accompagnement, un programme de recherche se développe depuis peu, les « sustainability transitions studies », visant à identifier, d’une part les blocages, les verrouillages, et d’autre part les effets de leviers envisageables dans la transformation des modèles économiques de production, de distribution et de consommation (Markard et al., 2012; Van den Bergh et al., 2011). A l’analyse, les divers travaux jusqu’à présent réalisés dans cette perspective s’avèrent focalisés pour l’essentiel d’entre eux sur les problématiques de dépendance aux sentiers sociotechniques (Fay et al., 2015). La transition énergétique paraît ainsi principalement envisagée à travers la question de l’innovation technologique, au détriment du questionnement des possibles, voire nécessaires mutations des représentations et des régimes d’action (de Perthuis, 2013; Hopkins, 2010; Raineau, 2011; Zélem et Beslay, 2013).

Ce questionnement est pourtant d’importance, tout particulièrement si la décarbonisation s’inscrit plus fondamentalement dans une logique discrétionnaire de responsabilité des acteurs que dans une perspective de contrainte réglementaire des cadres d’action. Or, comme on le pointe ci-après, cette ligne d’idées domine actuellement, en France[6]. Elle confère à la grande distribution (GD) une fonction fondamentale, en conséquence de la position d’interface de celle-ci, entre consommateurs et producteurs (Coedel, 2013; Styles et al., 2012). Il s’agit ici d’étudier les relations de la GD à la question de la lutte contre le CC, et plus précisément, le processus d’institutionnalisation, dans le champ organisationnel de la GD.

Les recherches entreprises dans cette perspective peuvent utilement s’appuyer sur les travaux séminaux de Miller (1990a, 1990b, 1991), notamment poursuivis par d’Hasselbladh et Kallinikos (2000), puis Moquet et Pezet (2006). Travaux qui distinguent : i) à un niveau macro, une « problématisation » - correspondant à la prise de conscience collective d’un problème et à la recherche de solutions pour y faire face; ii) à un niveau méso, une construction par les organisations de programmes d’action, visant la minimisation ou l’élimination des problèmes identifiés; iii) à un niveau micro, finalement, une invention de « technologies managériales », correspondant à autant de réponses spécifiquement produites pour traiter les problématiques identifiées. Les deux premiers niveaux sont ici retenus. Après avoir examiné, au niveau macro, la montée en intensité de la question climatique, dans la société, il s’agit d’étudier, au niveau méso, la façon dont les enseignes de la GD spécifient en France le problème du CC, à l’intention de leurs publics, et présentent le projet institutionnel de la sobriété carbone comme une solution potentielle pertinente. Ce en quoi, donc, une telle politique de sobriété carbone est justifiée, et présentée comme plus appropriée que les pratiques existantes.

Après une longue période de controverses, plus médiatiques que scientifiques (Godard, 2012; Oreskes et Conway 2012; Zaccaï et al., 2012), il s’avère finalement que le CC est bien effectif. Il est notablement d’origine anthropique, irréversible et ne peut être que minimisé. Ses effets attendus sont dramatiques, au plan économique et social, en conséquence même de ses effets écologiques. Aussi décider de le minimiser implique l’engagement d’actions immédiates qui correspondent à l’engagement d’une logique sociétale de décarbonisation[7], laquelle a plusieurs expressions. L’une d’entre elles est de type « sobriété carbone ». Ce par quoi l’on entend l’adoption de comportements vertueux, en matière d’émissions de gaz à effet de serre : il est attendu des acteurs économiques, consommateurs et entreprises, notamment, qu’ils minimisent celles-ci. Cette attente est de plus en plus d’importance. Elle est portée par les pouvoirs publics, notamment, lesquels, en France, privilégient les politiques incitatives (Bérard et Compagnon, 2014), choix qui implique une imputation de la responsabilité du CC aux comportements individuels (Coutrot et al., 2011; Frémeaux et al., 2014; Juan, 2011). Ce travail symbolique de responsabilisation des consommateurs, invités à prendre à leur niveau les décisions comportementales permettant de minimiser leur « empreinte écologique », relève de l’extension d’une logique empruntée au management, logique « formalisée dans un cadre microéconomique néo-classique » (Boltanski, 2008). Il relève d’une « économisation » des politiques environnementales (Rumpala, 2003), où s’imposent les modèles raisonnant sur les préférences individuelles. Il procède d’un profond mouvement de « managérialisation de l’action publique » correspondant à l’importation progressive, par les pouvoirs publics, des savoirs et savoir-faire élaborés par et pour les entreprises. Il participe ce faisant à la « marchandisation de l’action publique » (Allam et Godard, 2007, p. 5), où s’impose la figure du consommateur-citoyen, dont il s’agit d’orienter les comportements.

Les politiques incitatives développées dans ce cadre ont pour assise une sensibilisation de l’opinion publique à la thématique du CC (Comby, 2009) qui s’avère dès actuellement réalisée. Comme le note Bozonnet (2012, p. 206), le CC est à présent, en France, pleinement « approprié par l’opinion et intégré dans son cadre perceptif global »[8]. Or, cette sensibilisation pose, pour les entreprises, de vives questions de légitimité. Il est effectivement de plus en plus attendu, par les acteurs individuels, que celles-ci s’engagent dans le traitement du « problème climatique » (Dahan, 2014) et qu’elles adoptent des comportements sobres en carbone. Les entreprises se voient confrontées à des attentes de forte mobilisation dans la transition énergétique : d’une part, par le fait même que la lutte contre le CC s’avère un enjeu connu et reconnu d’importance, d’autre part, parce que cette lutte contre le CC implique la croyance dans le caractère équitable de l’effort consenti (Gifford, 2011) mais encore, parce que les consommateurs s’avèrent sceptiques, quant à la possibilité qu’une modification de leurs comportements puissent avoir un impact sur le CC. Face à l’ampleur du phénomène (des échelles de temps et d’espace impliquées), la faiblesse du sentiment d’efficacité personnelle est d’importance. C’est ainsi, selon l’enquête effectuée en 2008 à la demande du Parlement européen et de la Commission européenne[9], que 28 % des consommateurs interrogés, en France, se disent impuissants face au CC (26 %, au niveau européen), 49 % estiment que c’est aux entreprises de lutter en priorité contre le CC (versus 42 %, au niveau européen) et 87 % considèrent que les entreprises n’en font pas assez (versus 76 %, au niveau européen). Au total, la logique de gouvernementalité, au sens de Foucault (2001, 2004), qui domine actuellement le traitement du problème climatique, responsabilisant les individus et individualisant la responsabilité simultanément, se voit opposer une contestation du juste niveau perçu d’intervention : le « méso » est interpellé, pour intervenir en complément du « micro ». Il est attendu des entreprises qu’elles s’impliquent, et participent à l’effort collectif. Attente qui se fait pressante, comme le pointe la recension effectuée par Bolwig et Gibbon (2009) des 9 études européennes effectuées à la date de leur recherche : les consommateurs se déclarent très majoritairement soucieux de privilégier les entreprises qui minimisent leur impact climatique (66 %), désireux d’informations, dans cette perspective (65 %) et attentifs à cette information dans leurs arbitrages (59 %). Ceci a comme conséquence, pour toute entreprise jugée « fautive », de possibles pertes en réputation, en image et au final en ressources critiques.

Cadre théorique mobilisé : théories néo-institutionnelle et des cités

On voit donc se dessiner, pour les entreprises de la GD, du fait du CC, des risques sur le long terme, du fait des transformations des systèmes écologiques dont elles dépendent et des risques sur le court terme, du fait de la contestabilité socio-politique de leurs pratiques. L’étude du traitement de ces risques est ici bornée, dans son ambition, à une perspective analytique. Plusieurs grilles d’étude en soutiennent le développement. Nous mobilisons ainsi l’approche néo-institutionnelle des organisations et la théorie des conventions, plus précisément le modèle des économies de la grandeur de Boltanski et Thévenot (1991). L’intérêt premier de la théorie néo-institutionnelle (TNI), au regard de notre questionnement, tient à ce qu’elle pointe le fait que les organisations ne sont pas seulement engagées dans une compétition marchande. Elles sont également soumises à une problématique de légitimation, de convenance macro-culturelle (DiMaggio et Powell, 1991, p. 66). Leur survie est fonction de la conformité de leurs comportements aux pressions de leur environnement institutionnel (Scott, 2001; Zimmerman & Zeitz, 2002), autrement dit, de leur légitimité (Rizza, 2008). Ce concept, central dans la TNI (Colyvas et Powell, 2006), n’a longtemps fait l’objet que de travaux attentifs aux pressions institutionnelles, au détriment de l’étude des efforts déployés par les acteurs vis-à-vis de celles-ci, efforts de construction et de conservation de la légitimité (Barley, 2008; Colyvas & Powell, 2006). Sur ce point, le modèle des économies de la grandeur s’avère intéressant puisqu’il questionne, en prolongement de la TNI, la façon dont les acteurs répondent à la contestation de leurs pratiques et travaillent à la justification publique de celles-ci (voir infra). Par ailleurs, la TNI dissocie les discours et les dispositifs (Friedland et Alford, 1991; Thornton et Ocasio, 2008), au contraire du modèle des économies de la grandeur, qui implique l’examen de relations réciproques entre conventions (i.e. les discours), épreuves (i.e. les pratiques) et objets (i.e. les dispositifs) (Knoll, 2013).

Une première grille d’analyse ici retenue, s’inscrivant dans le cadre de la TNI, est celle proposée par Butel-Bellini (1997), qui interprète les enjeux écologiques comme une pression institutionnelle. Trois types de comportements, adoptables relativement à ces enjeux, sont alors identifiés. Cette typologie se trouve dans les travaux d’Oliver (1991), de Sears, Davalos et Ferraz (2001), de Martinet et Reynaud (2004) ou encore de Mathieu et Soparnot (2009). Son intérêt théorique, justifiant son exploitation, tient notablement à ce qu’elle dépasse les classifications dichotomiques des stratégies de développement durable (DD), opposant simplement stratégies réactives et proactives, selon que les entreprises interprètent les enjeux écologiques comme une somme de contraintes, hostiles à la profitabilité, ou comme au contraire une source d’opportunités (Spence et Hénault, 2004; Soparnot et Mathieu, 2006). Les premiers comportements identifiés, « éco-défensifs », attentistes, passifs, relèvent d’un arbitrage des investissements privilégiant les résultats économiques de court terme. Le DD n’est alors pas perçu comme un facteur d’avantages concurrentiels, mais estimé porteur de contraintes techniques, imposant des efforts opérationnels et organisationnels et non créateurs de valeur. Les seconds comportements, « éco-conformistes », actifs, plus précisément réactifs, sont liés à une interprétation des investissements écologiques comme étant nécessaires, compte tenu notamment des risques financiers liés au non-respect des contraintes réglementaires. Les entreprises se contentant alors de respecter le cadre existant des normes légales en place, l’organisation n’est pas modifiée en profondeur, les changements effectués sont simplement additifs. Les derniers comportements, « éco-sensibles », proactifs, s’inscrivant dans une recherche de performance économique, sont cadrés par une pensée de la donne écologique comme un facteur de pérennité de l’entreprise et un vecteur de légitimité. Les entreprises intègrent alors des visées environnementales sans attendre la promulgation de normes légales.

Un deuxième cadre d’analyse est par ailleurs intéressant à mobiliser pour étudier les stratégies actives (réactives ou proactives) à travers deux points : le changement qu’elles impliquent peut être substantiel, ou non et sa visée peut être instrumentale, ou non. Pour le premier point, la TNI souligne effectivement le fait que les constructions symboliques et les pratiques peuvent être « en découplage » relativement dissociées, divergentes, sinon même entrer en conflit (Meyer et Rowan 1977). Les discours tenus peuvent ne pas être conformes à la réalité opérationnelle (Alvesson et Kärreman, 2000). Il s’agit donc de différencier les stratégies « symboliques » (Capron et Quairel-Lanoizele, 2004), correspondant aux cas où les entreprises développent des comportements opportunistes, en s’appropriant la thématique écologique à des fins d’image ou de réputation et les stratégies « substantielles », où les entreprises modifient en profondeur leurs pratiques, leur organisation et leur mode de fonctionnement. Pour le second point, il s’agit de distinguer les raisonnements utilitaristes, où les entreprises cadrent essentiellement leur mode de fonctionnement par une recherche de maximisation des résultats financiers, et les raisonnements déontologiques, où les entreprises arbitrent entre responsabilités économique et environnementale (Mathieu, 2005).

Enfin, la typologie « des cités » proposée par Boltanski et Thévenot (1991) est aussi exploitée dans cette recherche afin d’étudier les modes de justification que les entreprises emploient pour légitimer leurs comportements. Notamment utilisé par Calvo-Mendieta (2005), Dontenwill (2008) et Métrot (2005) pour cartographier les registres discursifs mobilisés par les acteurs relativement aux questions de DD, ce modèle permet un examen fin des argumentations développées pour la justification de l’engagement d’une politique de sobriété carbone. En effet, la théorie des cités recense six registres principaux d’argumentation considérés comme des discours de légitimité. Ce sont des discours qui s’appuient sur des références à diverses formes de bien commun : i) la grâce, l’authenticité et le génie artistique pour la cité « inspirée »; ii) la tradition, les relations interpersonnelles hiérarchisées et le territoire pour la cité « domestique »; iii) la conscience citoyenne, l’intérêt général et la représentativité collective pour la cité « civique »; iv) l’honneur, la renommée et la gloire pour la cité dite « de l’opinion »; v) l’efficacité, la mesure et le progrès pour la cité « industrielle » et enfin vi) la rareté, la convoitise et la valeur pour la cité « marchande ». Le recours à ces registres argumentatifs par les acteurs constitue, dans l’espace public, un vecteur de légitimité de leur agir car ces six cités dépassent justement la particularité des personnes pour s’attacher aux principes fondamentaux de la vie en société. Boltanski et Thévenot (1991) parlent ainsi de « principes supérieurs communs » au fondement de « mondes communs » (le monde « inspiré », le monde « industriel », etc.). Ces « cités » agissent clairement comme des conventions. Elles formulent des règles de discours qui permettent aux acteurs soit de justifier publiquement leurs comportements, soit de critiquer légitimement l’action d’autrui. Dans un cas comme dans l’autre, les individus s’engagent dans une épreuve où les discours sont rapportés aux pratiques. Une épreuve que Boltanski et Thévenot nomment l’« épreuve de justification ». L’objectif, pour ce qui nous concerne, consiste à analyser les discours de justification de la GD sur la question de la sobriété carbone à l’aune de ces six cités. Il s’agit, ce faisant, de voir si, au-delà des conventions (i.e. des discours de justification, des cités), l’implication des acteurs de la GD sur le sujet du CC se manifeste dans leurs pratiques et dans les dispositifs qu’ils mettent en oeuvre.

En résumé, plusieurs questions guident ici l’examen : quelle est l’importance de l’institutionnalisation de la sobriété carbone dans le champ de la GD : les acteurs sont-ils passifs ou actifs ? Et s’ils sont actifs, sont-ils réactifs ou proactifs ? Quels sont les principaux registres argumentatifs mobilisés en justification de leur comportement ? Observe-t-on des décalages entre eux, dans leurs discours et pratiques ? Soit encore, observe-t-on un isomorphisme ? Si oui, de quel type ? Observe-t-on des découplages, des divergences entre les discours et les pratiques ?

Données analysées et méthodologie

Sources d’information

Nous étudions uniquement les distributeurs intégrés des enseignes Carrefour, Casino et Auchan qui offrent, à travers la publication des rapports environnementaux (depuis 2001) et des bilans carbone (depuis 2011), l’opportunité d’observer la mise en place de leur stratégie carbone, éliminant, de ce fait, les enseignes de commerce associé. Même si ces dernières diffusent quelques éléments sur leurs sites ou à travers des guides, elles ne constituent pas, à nos yeux, une source d’information suffisante et fiable pour répondre à notre problématique. Pour accroître la validité, la qualité et la fiabilité des résultats obtenus, la méthode de triangulation (Koners et Goffin, 2007) est ici utilisée, dont le principe consiste à croiser plusieurs sources de données et à les interpréter par différents chercheurs. En effet, la principale difficulté des méthodes qualitatives est liée aux biais d’observations et à la signifiance des interprétations (Paillé et Mucchielli, 2012). Aussi nous effectuons la triangulation suivante de trois sources de données associée au problème carbone :

  • des données secondaires, comprenant les rapports de DD et les sites internet des enseignes (annexe 1), permettent d’étudier les discours environnementaux et les actions menées par les distributeurs. Notamment, les discours des rapports de DD constituent, pour notre analyse, une source fiable (Parker, 2005) et indispensable pour identifier les descripteurs sémantiques des différentes cités de Boltanski et Thévenot (1991).

  • des données documentaires (presse, sites généralistes et spécialisés) sont recueillies pour identifier les différents thèmes associés à la problématique carbone, corroborer ou pas les discours carbone des distributeurs par rapport aux actions menées et enfin recenser l’ensemble des lois ou conventions instituées au cours de ces 15 dernières années dans ce domaine.

  • des données primaires concernent 36 entretiens semi-directifs de directeurs d’hypermarché, de directeurs de DD et de salariés (annexe 2) dont l’objectif est d’étudier le pilotage de la stratégie carbone et de mesurer leur niveau d’opérationnalisation. Par ailleurs, ces données permettent de mieux identifier la présence d’isomorphismes et de découplages entre les pratiques et les discours.

Méthodologie de recherche

Un processus méthodologique est réalisé à partir des données secondaires pour délimiter les thèmes carbone à analyser et identifier les descripteurs sémantiques des mondes définis par Boltanski et Thévenot. Pour atteindre cet objectif, nous suivons une démarche en deux étapes avec un codage thématique suivi d’un codage analytique des données (Taupin, 2012) que nous décrivons dans l’annexe 3. Le codage thématique est une étape indispensable pour identifier les descripteurs sémantiques des différentes cités.

Ce dictionnaire est construit en partant de la définition de l’ADEME[10] et à l’aide du logiciel Tropes (annexe 4) qui propose des milliers de classifications prédéfinies. Au final une arborescence de huit thèmes principaux est identifiée dont nous présentons les deux premiers niveaux (annexe 5). Les réductions d’énergie des bâtiments (22 %) et les traitements associés aux déchets (16,1 %) sont les plus fréquemment abordés.

A l’aide du dictionnaire thématique carbone et d’un corpus d’articles fondamentaux de la théorie des cités traitant du problème de DD[11], un dictionnaire sémantique des cités (annexe 6) est établi.

Au final, un coefficient de fiabilité de 0.945, représentant le nombre de descripteurs bien classés sur le nombre total de descripteurs, montre une bonne fiabilité de notre méthode de codage utilisée (Kassarjian, 1977). Cette bonne fiabilité s’explique par la relative facilité à transposer les descripteurs du monde de Boltanski et Thévenot au problème carbone (annexe 7).

Toutefois cette méthodologie n’est pertinente que si les discours proposés dans les rapports de DD s’adressent bien à l’ensemble des parties prenantes et non aux seuls actionnaires, afin d’éviter des biais de surreprésentation des cités industrielle et marchande. Tout d’abord, la théorie des parties prenantes va dans le sens de cette hypothèse en considérant que les rapports de DD sont un moyen de communication crédible pour renforcer la réputation des entreprises auprès de l’opinion publique (Igalens, 2012). Notamment depuis 2010, avec la norme ISO 26000 qui fixe les lignes directrices en matière de RSE, les rapports de DD deviennent, pour les entreprises, un moyen de communication important aux yeux de l’opinion publique pour améliorer leur capital réputation. Par ailleurs, une analyse des procédés communicationnels (Piette et Rouleau, 2008), qui étudie les impacts de la structure globale des textes, montre clairement que les discours ne sont pas uniquement orientés vers les actionnaires. L’analyse des verbatims des différents rapports de DD révèle des procédés communicationnels identiques (i.e. structures et styles discursifs analogues) et repris, par ailleurs, sous forme de résumé sur leurs sites web. Enfin, les responsables de RSE confirment que leurs rapports ciblent bien l’ensemble des parties prenantes.

Résultats de la recherche

Après avoir analysé le caractère passif ou actif et plus précisément réactif ou proactif des comportements adoptés par les distributeurs étudiés, nous examinons les principaux registres argumentatifs utilisés dans leur recherche de légitimité sur le problème carbone. Puis enquêtons sur les découplages pouvant exister entre les discours et les pratiques effectives des distributeurs.

Stratégies actives

De nombreuses initiatives carbone sont mises en avant par les distributeurs dans des domaines aussi variés que la logistique, les bâtiments, auprès des fournisseurs, des consommateurs ou des collaborateurs, donnant l’impression d’une démarche assez active en matière de lutte contre le CC. Ainsi, observons-nous une volonté croissante de mettre en oeuvre des actions de réduction de CO² (Annexe 8), comme de nouveaux modes de transports (fluvial, rail…), de nouvelles énergies propres (photovoltaïques, bio méthane, bornes électriques…), des baisses de consommation d’énergie en logistique (camions hybrides, nouveaux outils d’optimisation…), des incitations à développer le covoiturage (consommateurs, collaborateurs).

Au plan organisationnel, les distributeurs ont tous créé un poste de direction de DD au début des années 2000 pour piloter les actions environnementales et vérifier leur conformité aux exigences réglementaires. Bien que des différences organisationnelles existent entre les trois distributeurs, tous ont commencé à intégrer verticalement le DD dans leur structure pour agir dans les magasins par la mise en place, par exemple, de comités de DD (Auchan), d’informations lors des conventions des directeurs (Carrefour) ou d’objectifs de performance durable (Casino). Casino a une vision managériale de la sobriété carbone, avec un déploiement en magasin des consignes du siège sans implications idéologiques de la part des directeurs de magasins. Carrefour a un pilotage qu’on pourrait qualifier de vision industrielle : gérer les gens, le gaspillage, la rénovation, comme des projets, le tout avec une efficacité maximum. Quant à Auchan, la vision est entrepreneuriale : impliquer les équipes dans les comités DD, montrer l’exemple de la bonne gestion. Les trois distributeurs communiquent régulièrement sur leur stratégie environnementale à travers les rapports de RSE et les sites internet avec notamment une publication très complète sur leurs bilans carbone. L’observation des différents indicateurs montre une volonté permanente de réduire leurs émissions sur ces dernières années[12]. Il semble donc que les distributeurs adoptent un comportement plutôt actif que passif dans la mise en place de leur stratégie carbone. Néanmoins, ces résultats ne sont pas suffisants pour déterminer si la démarche est éco-conformiste ou proactive.

Stratégies réactives

Même si quelques initiatives vont au-delà des attentes légales, une étude comparée des historiques des actions faites par les trois distributeurs (annexe 8) avec le cadre réglementaire (annexe 9) montre une stratégie carbone plutôt réactive que proactive. En effet, la plupart des actions nationales sont initiées par les lois ou pactes passés avec le gouvernement alors qu’une majorité des initiatives proactives restent plutôt à un niveau local (magasin, région…).

Les démarches supposées à l’origine proactives, comme Carrefour (2006) pour préserver les ressources naturelles ou Casino avec son premier bilan carbone en 2005, s’appuient en fin de compte sur des plans gouvernementaux ou internationaux. Ainsi pour Casino, les principes du PNAEE 2000 (annexe 9) constituent un cadre important d’actions environnementales. En effet, cette enseigne cite explicitement les principes 8 et 9 dans ses rapports de DD où elle mentionne être invitée à prendre des initiatives pour promouvoir une plus grande responsabilité et favoriser la diffusion de technologies respectueuses en matière d’environnement.

Les accords de Grenelle signés fin janvier 2008, suivis des lois de 2009 et de 2010, constituent un changement significatif des distributeurs avec en moyenne huit fois plus de communications sur des actions citées dans les rapports de DD pour lutter contre les GES. Carrefour, dans ses communications pour préserver les ressources naturelles des forêts, de la mer et de la terre, parle en 2006 de stratégie proactive alors qu’elle s’inspire de la 8e Conférence des parties de la Convention sur la diversité biologique à Curitiba (2006), reconnue comme un enjeu prioritaire pour les entreprises. Par ailleurs, la lutte contre le gaspillage est devenue une des priorités des trois distributeurs pour 2014 en relayant leurs engagements et actions par leurs dirigeants et sur leur site internet. Même si Auchan, depuis longtemps, parle de cette démarche avec l’offre de produits en vrac, sa stratégie globale de lutte contre le gaspillage prend réellement effet lors du pacte national du 14 juin 2013 avec le gouvernement.

Par ailleurs, l’importance accordée à l’aspect économique par les trois distributeurs valide plutôt une stratégie réactive. D’une part, l’analyse des discours à partir de la théorie des cités fait ressortir une dominante des logiques industrielle et marchande, avec respectivement 51,13 et 20,09 %. Les descripteurs sémantiques (annexe 7) les plus cités transcrivent le principe supérieur commun du monde industriel avec des discours associés au progrès, à l’efficacité et à l’investissement. Ils parlent de réduire ou de limiter les sources d’émission carbone en investissant dans la logistique, les bâtiments, les énergies renouvelables (panneaux solaires, énergie biomasse…) ou dans les magasins (fermeture des meubles frigorifiques, éclairage à ampoules basse consommation…) afin d’optimiser les dépenses énergétiques de leurs activités. Ils font ainsi des économies d’énergie tout en bénéficiant des avantages fiscaux mis en place par le gouvernement à travers le dispositif de 2011 sur les Certificats d’Economie d’Energie (CEE) qui impose à ces derniers de réaliser des économies d’énergie en entreprenant différentes actions auprès des consommateurs sous peine d’amende forfaitaire. Par exemple, en janvier 2012 une convention entre le gouvernement et la GD est signée pour fermer 75 % des meubles frigorifiques d’ici 2020 en contrepartie de leurs éligibilités aux CEE.

L’argumentation autour de la cité marchande met en avant la pression concurrentielle que subissent les enseignes sur les marchés. Avec la crise, l’analyse combinée des différentes sources d’information montre que la priorité est d’abord de satisfaire les consommateurs sur les prix, imposant aux distributeurs d’avoir une logique marchande. Comme l’explique l’une des responsables de DD, la difficulté est de trouver des produits bio associant un bon positionnement prix. Ceux décalés en prix ne fonctionnent pas malgré un affichage des bénéfices consommateurs. Pour tous, le client est au coeur de la démarche en matière de sobriété carbone. « Le problème selon moi, c’est que l’on ne vise pas les bonnes personnes ! Pour avoir un impact global, il faut plus avoir une communication externe qu’interne. Seuls les clients ont un vrai pouvoir. Ça s’est entrevu avec la suppression des sacs plastiques mais ça ne suffit pas. » (Entretien Salarié - ES)[13].

Enfin, les entretiens avec les directeurs de DD confirment une stratégie carbone réactive où l’aspect économique est important dans les prises de décisions environnementales. En effet, de nombreux projets carbone sont évalués sur leurs incidences financières à court et moyen termes plutôt que sur leurs opportunités à long terme. Régulièrement, les efforts financiers sont réduits à des actions ponctuelles, locales (camions hybrides, bio-méthane, transport fluvial ou par rail…). Si Carrefour met en exergue dans ses rapports de DD ses équipements en détecteurs de présence, pour les salariés interrogés, typiquement, « on nous dit simplement d’éteindre la lumière lorsqu’il n’y a personne dans une pièce, mais c’est tout » (ES)…

Recherche de légitimité

Comme évoqué précédemment, les enjeux liés au CC structurent de manière croissante le champ organisationnel de la GD, donnant ainsi lieu à un ensemble de réponses homogènes (des discours les plus généraux jusqu’aux pratiques les plus effectives) qui s’inscrivent, selon nous, dans le cadre d’un processus d’isomorphisme institutionnel (Di Maggio et Powell, 1983). La recherche de légitimité est un enjeu dans l’institutionnalisation des pratiques et des discours. Convaincre les salariés de l’utilité d’une politique et savoir diffuser les bonnes pratiques sont des facteurs clés de succès importants pour les entreprises. « J’ai besoin d’avoir des valeurs en commun avec la boite dans laquelle je travaille » (ES). Il existe un enjeu de notoriété fort dans le secteur de la grande distribution. La cohérence entre les pratiques et la communication est nécessaire à une bonne réputation. Cependant, pour les salariés, la sincérité de l’employeur n’est pas toujours évidente. Les salariés soulignent un manque de cohérence entre certaines pratiques effectives et la communication institutionnelle. « Ils (les managers) jettent tous les jours d’énormes sacs de cintres de vêtements, ils laissent les lumières du magasin allumer toute la nuit » (ES).

La pression exercée sur la GD par les dispositions réglementaires attenantes aux émissions de GES crée un climat propice à l’émergence d’un mécanisme d’isomorphisme coercitif. Les actions stratégiques entreprises par les enseignes en réponse aux attentes de la société illustrent le processus d’incorporation des normes environnementales à l’oeuvre au niveau organisationnel. L’intégration de critères définis extérieurement par des associations telles que l’AFNOR ou l’ADEME, ou encore la prise en compte de dispositifs légaux comme les lois Grenelle I et II, montrent l’influence, aussi bien formelle qu’informelle, des nouvelles règles politico-juridiques sur les acteurs de la GD. La généralisation des bilans carbone est à ce titre éclairant de ce que les enseignes tendent à se ressembler sous l’effet de ces règles : les organisations de la GD recourent à des critères qui leur sont extérieurs pour légitimer leurs pratiques de sortie du « tout carbone ». Ensuite, la multiplication de réseaux professionnels, au sein desquels la question de la maîtrise des énergies carbonées est notamment débattue, contribue à enclencher un processus d’isomorphisme normatif. Par ailleurs, l’augmentation continue du nombre de parties prenantes intervenant dans le champ de la GD au sujet des problématiques « carbone » (prestataires d’audit carbone, acteurs institutionnels, etc.) participe à ce mouvement d’isomorphisme normatif. Le partage de compétences réciproques entre ces différents acteurs nourrit de nouvelles normes organisationnelles pour la gestion des émissions de CO². De nouvelles normes, de nouvelles méthodes et de nouvelles pratiques perçues comme rationnelles mais surtout comme légitimes (e.g., développement de circuits courts pour les activités d’approvisionnement et de distribution). Enfin, l’impératif pour les acteurs de la GD de s’engager dans une logique sociétale de « décarbonisation » de leurs activités est source d’incertitude. Cette incertitude est elle-même à l’origine d’une instabilité à l’échelle, plus large, du champ organisationnel. En conséquence, les différentes enseignes adoptent des comportements mimétiques pour limiter leurs émissions de GES. Au sujet des activités de benchmarking effectuées sur les actions des concurrents en faveur du respect de l’environnement, un responsable DD (RDD) déclare ainsi : « je retrouve à peu près les sujets que nous avons traités ou que l’on est en train de traiter dans la majorité des cas (…) je pense honnêtement que l’on travaille tous les mêmes sujets ». Le tableau 1 propose de croiser le cadre néo-institutionnel de Powell et Di Maggio (1983) avec le modèle des cités de Boltanski et Thévenot afin de rendre compte de la manière dont les acteurs de la GD française ont intégré le problème carbone dans leurs discours et leurs stratégies. Dans un premier temps, ce tableau permet d’identifier des décalages dans les discours de la GD qui procèdent des multiples registres de justification mobilisés diversement par les acteurs. Par décalages, nous entendons ainsi les déplacements de la question du CC, entre différentes cités, au sein des discours tenus par les acteurs de la GD. Dans un second temps, ce tableau discute des découplages entre les discours (issus des rapports de DD ou d’entretiens avec des responsables DD des enseignes) et les pratiques (i.e. les actions effectivement menées ou à venir).

En recourant, premièrement, au registre discursif « inspiré », il s’agit pour l’essentiel de légitimer le caractère « innovant » des « initiatives » CO² (rapport Carrefour) qui amorceraient une « alternative » aux modes de consommation et de production « classiques » (Auchan).

Dans la perspective domestique, deuxièmement, les enseignes mettent en avant leurs comportements supposément éco-sensibles, ceux-là même qui s’inscriraient dans une tradition de gestion proactive de la question de la sobriété carbone. Laquelle question serait « profondément ancrée dans des valeurs historiques [i.e. de la GD] » (Casino). Une tradition présentée comme antérieure à la loi Grenelle II : « la réduction de la consommation énergétique c’est quelque chose que l’on a lancée en 2004, donc, pour nous, c’était déjà un point qui nous paraissait important (…) Pour les émissions de CO², ça date de 2009 (…) je pense que l’on s’est rendu compte que c’était des enjeux très importants » (RDD). Les défis liés à la maîtrise des émissions de CO² sont aussi envisagés selon une dimension territoriale, dimension constitutive, aux côtés des principes de tradition, de fidélité, etc., de la logique domestique. Entre autres arguments développés par la GD, l’idée que la réduction de l’empreinte carbone suppose la conclusion de « partenariats avec des producteurs locaux ». Ces partenariats auraient pour double finalité « de permettre le développement économique local et de minimiser l’impact carbone lié au transport de marchandises » (Auchan). Du point de vue des distributeurs, il s’agit de légitimer, à travers la question carbone, un encastrement territorial, c’est-à-dire domestique, de l’écologique et de l’économique : « nombreux sont les engagements sociaux, sociétaux et environnementaux du groupe Casino qui démontrent son enracinement local dans chaque pays, chaque région et ce dans une démarche durable » (Casino). Toutes ces justifications « domestiques » viennent appuyer le choix effectué par l’ensemble des acteurs de la GD de s’engager dans la voie des filières courtes et surtout du commerce de proximité : « au niveau des produits et de la consommation responsable, on est, comme tous les autres distributeurs, sur le développement (…) du commerce (…) de proximité » (RDD). Il est ainsi proposé de « lutter contre le réchauffement climatique par la proximité client » (source : casino-proximite.fr). Le magasin de proximité apparaît ici comme le support de cette stratégie puisque « par nature il est le moins émetteur de CO² par unité de vente » (casino-proximite.fr). Il devient un parangon – i.e. une « évidence exemplaire » dans la cité domestique - des dispositifs de sobriété carbone de la GD.

La convention civique, troisièmement, transparait dans les discours de la GD lorsque la problématique carbone est érigée au rang de « grande cause » (Casino), soit encore « parmi les grands enjeux du DD (…), l’un des plus urgents » (produits-casino.fr). La maîtrise des émissions de CO² dépasse alors largement le particularisme des individus. Les enjeux sont tels que les acteurs de la GD, pris dans leur singularité, ne peuvent y répondre. En ce sens, la problématique carbone induit non seulement une « mobilisation portée par les collaborateurs [de la GD] sur de multiples terrains » (rapport Casino), mais également la mise en place d’une « politique volontariste » (Auchan). La publication des rapports de DD par les enseignes de la GD française s’inscrit dans cette démarche volontariste : « (…) les rapports France, c’est complètement volontaire de notre part, on n’a aucune obligation de faire le rapport France. Et ça nous crée des responsabilités : baisser l’énergie, les déchets, les emballages, et puis développer l’engagement d’Auchan envers la société. » (RDD). La GD ambitionne d’« être un interlocuteur crédible vis-à-vis des pouvoirs publics et de la société civile, en prenant des engagements forts » (Auchan). Dans cette perspective, il s’agit « d’encourager les gestes citoyens depuis les fournisseurs et producteurs partenaires jusqu’aux clients » (Carrefour). En écho à cet engagement, se pose, en filigrane, la question du rôle éducatif que doit endosser la GD à l’égard de la société en général et des consommateurs en particulier. Ce qui n’est pas sans créer quelques décalages dans les discours. Tandis que certains distributeurs exhortent « toute personne, entreprise, collectivité à réduire volontairement de 10 % ses émissions de gaz à effet de serre sur une période d’un an » (Auchan), d’autres, plus mesurés, soulignent la portée limitée des actions de la GD - en matière de lutte contre le CC - sur les comportements des consommateurs : « on a souvent tendance à dire que ce sont les distributeurs qui orientent les consommateurs, ça serait les prendre pour des imbéciles, c’est complètement faux, on peut proposer des pistes mais c’est le consommateur, par ses achats, qui va décider de ! » (RDD).

La question de la crédibilité, esquissée dans l’approche civique, parcourt également les discours qui s’inscrivent, quatrièmement, dans une perspective de l’opinion. Afin de crédibiliser leur engagement sur la limitation des GES, les distributeurs communiquent sur la renommée de leurs partenaires institutionnels : « Pour le bilan carbone des magasins, nous travaillons en France avec l’ADEME (…) nous nous sommes associés au programme international 10 : 10, repris par la Fondation Good Planet de Yann-Arthus Bertrand, en nous engageant (…) à réduire de 3 % nos émissions de CO² » (Auchan).

Tableau 1

Les processus de légitimation du problème carbone par la GD selon les registres de justification (i.e. les « mondes ») mobilisés et les types d’isomorphisme institutionnel

Les processus de légitimation du problème carbone par la GD selon les registres de justification (i.e. les « mondes ») mobilisés et les types d’isomorphisme institutionnel

Tableau 1  (continuation)

Les processus de légitimation du problème carbone par la GD selon les registres de justification (i.e. les « mondes ») mobilisés et les types d’isomorphisme institutionnel

-> See the list of tables

La logique de l’opinion se retrouve également dans le souci d’améliorer le « niveau d’information et de sensibilisation auprès des consommateurs » de sorte que ceux-ci réduisent leur empreinte carbone13.

Cinquièmement, l’exploitation marchande de la problématique carbone s’observe à travers la traduction commerciale des actions menées pour réduire les émissions de CO². Cela touche jusqu’aux marques propres des distributeurs, comme Carrefour : « le Groupe a développé des emballages certifiés FSC pour certains de ses produits à marques propres : lait et jus de fruits. Plus de 100 millions d’emballages de ce type ont ainsi fait leur apparition (…) dans les linéaires de 1300 points de vente... » (Carrefour). Les distributeurs insistent en particulier sur les bénéfices que les consommateurs peuvent retirer de ces offres « grâce au format (…) des supermarchés et magasins de proximité permettant de faire ses courses à pied, à vélo ou en transport en commun; par le développement de la vente sur Internet et la livraison à domicile; par la vente de carburants alternatifs… » (Carrefour).

Enfin, sixièmement, la réduction des émissions de CO² représente une opportunité pour les distributeurs d’afficher un engagement de type industriel. Le traitement du problème carbone s’inscrit dans une « démarche » de « dynamiques de progrès environnemental » (Auchan). Les préoccupations liées au CC apparaissent comme une contribution au bien commun industriel, l’objectif poursuivi par la GD consistant en une amélioration continue de « l’efficacité énergétique » de sa chaîne de valeur (Casino). Ce qui suppose de définir en amont une planification et un contrôle des activités émettrices de CO² : « nos priorités sont bien sûr la lutte contre le CC et les GES, donc, avec un contrôle de toutes nos émissions, avec un programme d’économie d’énergie et de gros programmes liés au transport » (RDD). Autre indice de la présence de la grandeur industrielle dans les discours, le recours à des « formes de l’évidence » (au sens de Boltanski et Thévenot, 1991) centrées sur la mesure des dispositifs carbone. Ainsi, la plupart des actions recensées dans les rapports des distributeurs insistent-elles sur la nécessité de « mesurer », de développer des « indicateurs » de suivi, de procéder à des « audits de DD », de « comparer les performances et les résultats des entrepôts », etc. (RDD). La nécessité de s’assigner des objectifs chiffrés et bornés dans le temps est pareillement soulignée : « sur l’énergie, notre objectif est de réduire de 30 % notre consommation d’énergie d’ici 2020, peu importe comment on va le faire, l’important c’est qu’en 2020, on ait bien atteint cet objectif » (RDD). Tout ou presque donc, s’agissant de la question du carbone, semble se réduire à une « gestion technique » du CO² (Carrefour).

Découplage entre le discours et les actions

Les matériaux analysés ont révélé des découplages entre les discours des enseignes de distribution et leurs actions en matière de lutte contre le CC. Le premier type de découplage se situe dans une perspective industrialo-marchande entre des discours éco-conformistes et des pratiques éco-défensives. Au sujet notamment de la valorisation commerciale des actions menées, un responsable pointe qu’« à un moment il faut valoriser l’action. C’est toujours très compliqué d’arriver à convaincre qu’il faut libérer un peu place en catalogue, en magasin ou à tel endroit pour valoriser cette action car on va demander : ça va rapporter quoi en face ? » (RDD). S’agissant des plans d’économies d’énergie, on observe que la mise en oeuvre effective de ceux-ci dépend très fortement du montant des investissements à réaliser : « on ne fera pas les gros investissements. (…) Après y’a plein de petits investissements : par exemple on a fait fermer les meubles froids la nuit. Un truc tout bête, voilà. Ca, cela ne coûte pas très cher, bon » (RDD).

Les découplages tendent à s’accentuer à mesure que l’on s’écarte des logiques industrialo-marchandes. Par exemple, les principes issus de la cité inspirée sont, dans la pratique, souvent rapportés à des considérations industrielles; comme cela est le cas pour les dispositifs[14][15] qualifiés de « concepts » totalement « novateurs » (Carrefour), lesquels visent essentiellement à démontrer que les distributeurs travaillent à l’efficacité d’une « innovation majeure pour une logistique respectueuse de l’environnement » (Carrefour). De la même manière, la volonté de développer une nouvelle philosophie de management autour de la question du CC se heurte, dans les faits, à des résistances internes : « donner des normes un peu plus draconiennes, c’est contre la culture de la maison » (RDD).

En outre, les parties prenantes internes sont parfois à l’origine de découplages entre actions et discours relevant de la logique de l’opinion : « il faut les valoriser [i.e. les actions pro-environnement] mais si l’entreprise ne veut pas le faire à la limite peu m’importe, (…) après oui, on est amené à faire des choses ou à ne pas les faire à cause des actionnaires. J’ai en tête des choses que des fois l’on ne peut pas dire, parce que ça pourrait avoir à mauvais impact sur la bourse » (RDD). Ces pressions émanant des actionnaires s’avèrent particulièrement dirimantes en ce qu’elles limitent la portée effective des discours relevant respectivement des conventions civiques et du renom, lesquelles sont axées autour de missions de sensibilisation et d’éducation des consommateurs au « problème carbone ». A l’épreuve des faits, il apparaît que ce « vrai rôle d’information et de sensibilisation du consommateur » n’est « pas toujours simple » (directeur magasin - DM). « Et puis vous savez » poursuit-il à propos des dispositifs d’information du consommateur « ce n’est pas de mettre une affiche, parce qu’on s’aperçoit en fait, aujourd’hui, que les gens ne regardent pas les affiches, on se fait plaisir en mettant une affiche mais... » (DM).

Le fait d’observer de tels découplages peut surprendre. D’autant plus que, de l’aveu même de certains directeurs de magasin, la GD occuperait une place privilégiée pour remplir cet office d’éclairage des consommateurs : « on a une chance et un devoir important. La chance, c’est qu’on touche tout le monde et le devoir, c’est la sensibilisation. » (DM). Cette sensibilisation est essentiellement porteuse d’une logique marchande dans la mesure où elle est pensée avant tout comme affaire de valorisation commerciale des produits certifiés (e.g., le développement de gammes de produits éco-labellisés mis en avant chez Carrefour et Casino).

Enfin, nous pouvons identifier un autre découplage se frayant entre un discours domestique et des actions de type industriel. Lorsque l’on interroge les acteurs de la GD sur les leviers que leur enseigne pourrait actionner afin de réduire davantage les émissions de GES, certains reconnaissent une certaine inaptitude à engager de nouvelles pratiques : « Aucune idée, aucune idée. Comme je vous dis, moi je suis plus commerçant que...ingénieur. Je ne sais pas du tout. Sincèrement, je ne sais pas du tout. ». (DM). On note ainsi que les acteurs de la GD demeurent ancrés dans une forme de routine; concédant les difficultés qu’ils éprouvent, dans une optique de prise en compte du problème carbone, d’une part, à dépasser leur fonction traditionnelle, « domestique », - le commerçant reste figé dans sa condition d’« être marchand », l’ingénieur subsistant lui dans celle de l’« expert technique » - et, d’autre part, à rompre avec l’héritage industrialo-marchand de leur champ organisationnel.

Discussion et conclusion

Comme le pointe l’analyse NI, devenue d’importance ces dernières décennies dans le champ des sciences de gestion, les entreprises ne sont pas seulement engagées dans une compétition marchande. Elles sont également soumises à une problématique de légitimation, de convenance socio-culturelle (DiMaggio et Powell, 1991, p. 66) et pas seulement à un système de jeux et d’enjeux économiques. Elles n’obéissent pas seulement à une rationalité instrumentale, déterminant la recherche d’efficience et d’efficacité. Elles sont également sous l’influence de phénomènes socio-cognitifs pouvant être déterminants quant à l’acceptabilité de leurs pratiques et, conséquemment, quant à la possibilité de poursuite de leurs activités.

C’est ainsi qu’en tant que problème environnemental majeur, le CC redéfinit ce que Tilly (1978, p. 143) nomme les « répertoires d’actions légitimes ». Les entreprises se voient adresser des demandes d’engagement dans la voie de la sobriété carbone et ce, du fait de plusieurs reports de responsabilité : report de responsabilité des pouvoirs publics vers les « consommateurs-citoyens », notamment, en conséquence de la prévalence d’une logique de gouvernance se focalisant sur le niveau micro-comportemental des solutions et report de responsabilité des consommateurs-citoyens, de l’opinion publique, vers les acteurs de niveau méso. Si, en réponse aux demandes d’engagement, les distributeurs étudiés ici traitent bien la question du CC, ils ne le font que suivant, pour l’essentiel, une stratégie réactive éco-conformiste, justifiée par des argumentations relevant avant tout des registres industriel et marchand (Boltanski et Thévenot, 1991). Cette politique managériale, - également identifiée par Barbat et al. (2012), dans le traitement général par la GD française des problématiques environnementales -, se traduit principalement par le simple respect de la réglementation en place. Ponctuellement, ceci étant, ces entreprises décident d’actions visant à préserver leur espace discrétionnaire et leur intérêt économique de court terme, en contrecarrant les initiatives gouvernementales. Certains comportements adoptés relèvent ainsi de l’éco-défensif : comme ceux de manipulation (Oliver, 1991) en réaction au projet de loi sur la généralisation de l’étiquetage carbone (en 2011), les distributeurs coopérant alors pour retarder l’adoption d’une législation jugée économiquement trop pénalisante.

La saillance croissante de la question du carbone dans le débat public emporte, comme nous l’avons souligné, une recherche de légitimité de la part des acteurs de la GD. Celle-ci se dévoile, d’une part, dans les mécanismes d’isomorphisme institutionnel que nous avons mis en exergue et, d’autre part, dans les registres de justification utilisés par la GD sur la question du carbone. Relativement à leurs pratiques en matière de sobriété carbone, les acteurs de la GD étudiés ici s’avèrent engagés dans une « épreuve de justification », au sens de Boltanski et Thévenot (1991) : leurs intentions déclarées de décarboner leurs activités sont mises à l’épreuve des faits. L’ensemble des décalages et des découplages que nous avons identifiés paraît symptomatique, selon nous, de ce que Boltanski et Thévenot nomment un « simulacre d’épreuve » (ibid, 1991, p. 271). En ce cas, l’épreuve est factice en raison de dysfonctionnements observés soit dans la mise en oeuvre des actions de justification (e.g., les objets et les dispositifs requis par l’épreuve font défaut), soit sur la nature des objets mobilisés (e.g., inclusion d’un dispositif industriel dans une épreuve domestique). Ces dysfonctionnements sont susceptibles d’entrainer une remise en cause de la validité de l’épreuve, plaçant les acteurs qui s’y livrent dans une position où leurs agissements sont soumis à contestation. Typiquement, les critiques adressées à la GD sur les pratiques de greenwashing relèvent de cette remise en cause de la validité d’une épreuve. Ces décalages et découplages témoignent également de ce que l’impératif sociétal de lutte contre le CC pose quelques difficultés à la GD en matière de politique de RSE. En s’appuyant sur les niveaux de responsabilité sociétale identifiés par Wood (1991), on remarque en premier lieu de fortes distorsions entre les niveaux « institutionnel » et « organisationnel » sur la question de la sobriété carbone. Si les discours institutionnels des enseignes insistent sur l’urgence et la prise en compte de ce problème de société, empruntant tour à tour des accents des cités civique, inspirée ou de l’opinion, les dispositifs mis en oeuvre par les responsables DD au niveau organisationnel, en revanche, s’apparentent majoritairement à des réponses de nature marchande, industrielle voire domestique. Ceci a pour conséquence de créer des décalages dans la communication de la GD relativement au problème du CC. Mais pas seulement puisqu’en second lieu on constate des écarts entre les niveaux « institutionnel » et « individuel », sources cette fois-ci de découplages. Les moyens opérationnels effectivement déployés par les responsables de magasin (i.e. niveau de responsabilité « individuel » au sens de Wood, 1991) tendent à s’éloigner des cadres et discours généraux affichés, sinon affirmés, par les enseignes au plan institutionnel. Songeons ainsi au cas des « petits gestes » énergétiques individuels comme ceux d’éteindre les lumières ou de couper les compartiments frigorifiques qui apparaissent décorrélés de la « révolution » ou du « challenge » avancés dans les communications institutionnelles des enseignes à propos du CC.

Si l’on reprend nos résultats à l’aune de l’intensité du problème à traiter, l’inertie organisationnelle observée est frappante. Alors que les rapports sur le CC se font de plus en plus alarmants, que les appels à la mobilisation de tous les acteurs économiques se font de plus en plus pressants, les entreprises étudiées ici n’engagent pas de changements substantiels dans leurs pratiques. En tant que tel, ce phénomène d’inertie organisationnelle a bénéficié d’une attention théorique soutenue, enquêtant pour son explication (e.g., Allcorn et Godkin, 2008; Besson et Rowe, 2011; Godkin et Allcorn, 2008; Hannan et al., 2002; Kelly et Amburgey, 1991; Rumelt, 2011; Weick et Quinn, 1999). La littérature en identifie plusieurs dimensions : l’inertie psychologique (respectivement perceptuelle, liée aux schémas d’interprétation des acteurs, et motivationnelle, liée à leur préférence pour le statu quo); l’inertie sociotechnique; l’inertie politique, liée aux rapports de pouvoir; l’inertie économique, finalement, liée aux investissements à consentir en cas de changements et à l’existence de coûts irrécupérables.

Ce qui, ici, peut expliquer l’inertie organisationnelle observée peut être pointé en mobilisant le modèle du changement institutionnel dessiné par Greenwood et al. (2002), qui fait autorité (Bétry, 2005). Si l’on retient l’idée que l’institutionnalisation correspond à un processus phénoménologique au travers duquel certaines actions deviennent évidentes (Zucker, 1983, p. 2), alors les institutions sont des conventions ayant « un statut de quasi règle dans la pensée et dans l’action » (Di Maggio et Powel, 1997, p. 122). Tout changement institutionnel a toujours, selon Greenwood et al. (2002), pour fondement une rupture d’équilibre, par perturbation. Une « secousse » originelle remet en question les pratiques établies. S’engage alors un processus de désinstitutionnalisation. Celui-ci est porté par des « entrepreneurs institutionnels » (DiMaggio, 1988), qui développent un nouveau système de pensée et proposent des innovations expérimentées localement au cours d’une période de pré-institutionnalisation (Dorado, 2005). Une théorisation permet alors de justifier les nouveaux modèles d’action (d’expliciter les problèmes structurels majeurs auxquels les nouveaux comportements prétendent apporter une solution et d’expliquer les résultats obtenus). S’en suit par diffusion la réalisation progressive d’un consensus autour de la nécessité du changement, le processus se clôt sur une ré-institutionnalisation. Ce que l’on voit dans les entreprises étudiées ici correspond à un blocage du processus dès l’étape de désinstitutionnalisation. Tout se passe comme si la secousse que constitue la prise de conscience du CC et des problèmes associés, n’était pas suffisante pour initier cette désinstitutionnalisation. Au regard de nos informations, et en première analyse, l’inertie n’est ici pas tant sociotechnique, politique ou économique que psychologique : ce qui bloque essentiellement l’action est de l’ordre du perceptuel et du motivationnel. La menace est certes connue, reconnue, elle est dite, mais elle n’est pas évitée. Les mesures prises ne sont pas à la hauteur des enjeux. Et ce, notamment parce qu’il y a, relativement au CC, un problème phénoménologique - dès à présent bien identifié (cf., notamment Gifford, 2011) : la connaissance de la menace est purement théorique, intellectuelle - désincarnée (Doherty et Clayton, 2011; Vandenbergh et al., 2011). Le CC s’inscrit sur des échelles, de temps et d’espace, qui le font invisible. Il n’y pas, en conséquence, de réelle croyance en la menace. Ce problème phénoménologique, ce découplage entre connaissance et croyance, pèse notamment fortement sur les comportements de consommation. Le défaut d’expérience immédiate du CC, l’absence de sa manifestation dans les existences, affecte les niveaux d’implication des consommateurs. La sensibilisation aujourd’hui massive du public au CC ne se traduit pas par une évolution significative des pratiques; l’information sur l’importance de la menace n’induit pas d’actions nouvelles (Lertzman, 2012; Markowitz et Shariff, 2012). Autrement dit, on observe aussi sur les marchés une forte inertie. Celle-ci pénalise les entrepreneurs institutionnels. Ainsi, typiquement, de Tesco, numéro un du marché britannique, l’enseigne a expérimenté de 2008 à 2012 un dispositif d’étiquetage de l’empreinte carbone d’une partie de son offre commerciale, avant de finalement renoncer. D’une part, au plan sociotechnique, la mise en place du dispositif s’est avérée complexe et d’autre part, au plan économique, les coûts subis se sont révélés très élevés, et non compensés par un différentiel d’attention des consommateurs. L’entreprise n’a pas été suivie dans son expérimentation. En l’absence d’isomorphisme mimétique, elle n’a pu obtenir la masse critique qui aurait assuré la légitimité de la logique de sobriété carbone...

Cette recherche se limite à l’étude des distributeurs intégrés, toutefois, il paraît intéressant d’élargir cette étude aux enseignes du commerce associé dont les structures organisationnelles sont différentes. En effet, n’étant pas dans l’obligation de publier des rapports de RSE, il semble que leurs PDG comme Michel-Edouard Leclerc ou Serge Papin (Système U) jouent un rôle essentiel pour relayer leur stratégie environnementale auprès de l’opinion publique suggérant la présence éventuelle de décalages et de découplages entre les discours et les pratiques.

Ensuite, dans la continuité de ce travail, il paraît important d’effectuer une analyse au niveau micro en étudiant les représentations de la sobriété carbone chez les consommateurs fréquentant les enseignes de la GD. Nous pourrions, ainsi, analyser comment les consommateurs appréhendent le problème carbone et le rôle qu’ils peuvent avoir dans la démarche des distributeurs. Notamment face aux découplages et décalages actuellement observés dans les enseignes pour traiter le problème carbone, nous pouvons nous demander si les consommateurs ne constituent pas, par une meilleure prise de conscience, le principal levier d’action pour inciter les distributeurs à devenir plus proactifs et ainsi favoriser un déblocage du processus de l’étape de désinstitutionnalisation.

Enfin, cette recherche fait ressortir que les logiques industrielle et marchande sont dominantes dans la stratégie carbone des distributeurs où les critères financiers pèsent de façon importante. Mais cette stratégie est-elle la même pour les différents éléments de la RSE ? En effet, lors des entretiens avec les directeurs de DD, ces derniers revendiquent des démarches beaucoup plus proactives dans le domaine social via leur fondation qui semblent représenter, par exemple pour Carrefour et Auchan, le pilier de leur stratégie RSE, avec des convictions fortes impulsées par les fondateurs historiques.