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Comment la gouvernance territoriale permet-elle, à travers des investissements publics, d’améliorer l’attractivité de territoires et attirer les investissements privés sous forme d’IDE ? Les clusters constituent-ils un élément clé de ce type de gouvernance qui fait converger les initiatives privées avec les actions publiques afin de créer un « cercle vertueux » de développement au niveau régional ?

Dans les années 2000, les clusters ont connu un développement fulgurant dans les pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO), où le manque de capitaux rendait problématique la modernisation de l’industrie. Grâce aux fonds structurels européens (FSE), les PECO ont développé les pôles de compétitivité sous forme de clusters régionaux afin de capter les IDE et accélérer l’intégration européenne à travers la création d’un tissu industriel commun. L’émergence de clusters représente un processus complexe, régulé, favorisé et entraîné par des facteurs divers comme la politique économique d’un pays, l’activité des entreprises locales et des multinationales, les initiatives économiques régionales et les rapprochements institutionnels (Fen Chong, 2009; Lallemand, 2013). Régulant les flux de financements publics et privés (IDE), la gouvernance par les clusters génère un cycle vertueux de développement territorial, et est censée améliorer la performance de l’économie régionale.

L’originalité de notre démarche repose sur l’étude d’un processus de « clusterisation », impliquant l’action des pouvoirs publics, dans un environnement particulier de transition postcommuniste, radicalement différent de la situation prévalant en Europe de l’Ouest. Les clusters étaient déjà présents à l’époque communiste sous forme de centres industriels géants, les combinats, chacun réunissant des dizaines de milliers d’ouvriers, sous tutelle administrative de ministères et associés à des institutions universitaires. Après la fermeture massive de ces usines, devenues obsolètes, les pouvoirs publics ont constitué de nouveaux clusters régionaux afin de capter les IDE et de les intégrer dans les chaînes de production européennes en canalisant « l’innovation collaborative et innovante » (Aliouat, 2010, p. 37).

En ce sens, les clusters dans ces pays, et en particulier en Pologne, représentent une forme de gouvernance régionale originale qui place « la gestion des compétences innovatrices au coeur du processus de mise en réseau d’acteurs issus de l’entreprise, de la recherche et de la formation » (Aliouat, 2010, p. 37). Nous nous inscrivons ainsi dans les études existantes, qui appréhendent les clusters comme « une forme de coordination réfléchie » dépendant d’un « effort conscient de la part d’instances de gouvernance » et qui résultent de « la construction de mécanismes intentionnels de gouvernance » (Fen Chong, 2009, p. 13-14).

Cette gouvernance peut être étudiée à travers l’interaction de plusieurs facteurs (figure 1). Tout d’abord, la convergence d’influences de plusieurs déterminants liés au territoire crée une situation qui peut attirer les investissements. Deux déterminants apparaissent prédominants : (1) l’agglomération économique, et (2) les spillovers technologiques. Ces deux déterminants, mutuellement liés, favorisent (3) la clusterisation[1] qui subséquemment exerce une influence positive sur les flux d’IDE, et in fine sur le développement économique (4) de la région. Par la suite, le cycle se renouvelle avec une nouvelle phase de l’agglomération et le développement des spillovers technologiques. En parallèle, l’intervention des pouvoirs publics (5) en soutien des clusters dynamise ce cycle.

Figure 1

Les IDE et la clustérisation

Les IDE et la clustérisation

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Même s’il se focalise sur le lien entre clusterisation et action des pouvoirs publics, d’une part, flux d’IDE d’autre part, notre travail s’inscrit plus largement dans une série d’études sur les déterminants de la distribution géographique des IDE. L’article propose une analyse académique destinée principalement aux pouvoirs publics qui développent les clusters en tant que nouvelle forme de gouvernance. Les clusters sont ici vus comme des sources de renouveau de l’économie, foyers d’innovation et créatrices d’emplois dans le cadre d’un développement économique territorial. De fait, cette étude conduit à s’intéresser aux dynamiques économiques se mettant en place directement entre territoires économiques, ce qui nous amène à associer dans notre article l’approche géographique aux sciences de gestion.

Cette étude cherche également à combler une lacune dans la littérature académique sur les déterminants de localisation d’IDE qui s’intéresse peu aux clusters « institutionnalisés », mais plutôt aux effets plus vastes de l’agglomération économique. Ce positionnement théorique permet d’apporter un nouveau regard à la discussion académique sur le sujet.

Nous procédons dans la première partie à un état des lieux sur l’émergence des clusters vus comme forme de gouvernance territoriale régionale. Dans ce but, nous présentons la littérature académique sur la localisation des IDE, la clusterisation et l’action des pouvoirs publics dans ce domaine. L’objectif est d’étudier l’interdépendance entre ces trois phénomènes afin de mieux saisir le fonctionnement de ce mode de gouvernance. L’étude empirique, qui teste le lien entre ces trois processus, est présentée dans la seconde partie.

Trois volets d'un modèle de gouvernance territoriale

Cette nouvelle gouvernance territoriale a émergé à la suite de la convergence de trois processus distincts mais interdépendants : les flux d’IDE, les spillovers technologiques et l’action des pouvoirs publics. Avant de présenter ces trois volets, nous allons resituer notre sujet sur le plan théorique.

Positionnement théorique de l’étude

La notion de gouvernance territoriale

D’une manière générale, la gouvernance peut être définie comme « l’art ou la manière de gouverner, en favorisant un mode de gestion des affaires original dans un environnement marqué par une pluralité d’acteurs (une firme, un État, une collectivité locale,…) qui disposent, chacun à des degrés divers et de façon plus ou moins formelle, d’un pouvoir de décision » (Baron, 2003, p. 330). Dans ce sens, la gouvernance peut être vue comme « un processus continu grâce auquel les divers intérêts en conflits peuvent être arbitrés et une action coopérative menée à bien » (Bail, 1996) afin de résoudre « les problèmes de coordination entre acteurs » (Baron, 2003, p. 330). La gestion de clusters repose ainsi sur un « mécanisme de régulation permettant d’insuffler une dynamique collective capable de lever les obstacles naturels à la coopération » (Bardet, Bocquet, Mendez et Mothe, 2010, p. 142).

D’un point de vue géographique, la gouvernance peut se décliner à de nombreux niveaux : la gouvernance locale, la gouvernance urbaine, la gouvernance d’entreprise, la gouvernance de l’emploi, la gouvernance mondiale, la gouvernance des régions européennes ou la gouvernance multiniveaux (Baron, 2003, p. 330). De fait, la notion de territoire, dont l’usage s’enracine dans les sciences de gestion, doit être précisée.

Le territoire se construit grâce aux relations durables de proximité géographique développée entre une pluralité d’acteurs, qui mènent des actions concrètes. Le territoire apparait alors comme étant « emboîté dans un ensemble d’autres espaces qu’il influence et qui l’influencent réciproquement » (Leloup et al., 2005, p. 326). Le territoire doit être ainsi appréhendé comme « le lieu d’intersection de réseaux (physiques ou humains, formels ou informels), de stratégies et d’interdépendances entre partenaires reliés entre eux, le lieu de production, de négociation, de partage d’un devenir commun. » Dans cette vision dynamique, le territoire est défini comme un construit social produit de relations, de règles et de normes, élaborées et acceptées par un groupe d’acteurs définissent une gouvernance particulière (Leloup et al., 2005, p. 327- 328).

En ce sens, « la gouvernance territoriale repose à la fois sur le réseau et sur les flux » (Leloup et al., 2005, p. 328), et inclue aussi bien des institutions formelles « chargées de mettre en application les décisions » que les arrangements informels, acceptés par les gens ou les institutions afin d’arbitrer les divers intérêts en conflit et mener à bien une action coopérative (Bail, 1996). Il en découle un processus interactif qui correspond à « une succession d’étapes à travers lesquelles des acteurs nombreux n’ayant pas le même intérêt et agissant à différentes échelles, mais confrontés à un même problème vont progressivement construire une représentation commune de cette réalité, lui donner un sens, se fixer des objectifs, adopter des solutions puis les mettre en oeuvre collectivement » (Theys, 2002).

A travers ce processus, les pouvoirs publics développent le territoire, « en tant que régulateurs d’intérêts particuliers et garants d’un intérêt général, mais aussi directement en tant que participant à l’action collective, lorsqu’ils financent et réalisent des projets » (Fen Chong, 2009, p. 124). Il s’agit en fait ici de « regrouper des acteurs d’un même secteur pour augmenter la spécialisation d’une part, et d’autre part pour créer un espace géographiquement restreint favorisant l’échange de différentes natures (informationnels, de connaissances, de moyens) » en rendant « visible et légitime la région en question au travers d’une forte spécialisation et d’une expertise reconnue » (Texier, 2010, p. 39).

Enfin, la complexification de l’environnement socio-économique, suite à la multiplication de flux transnationaux, requiert de nouvelles formes de gouvernance territoriale qui soient capables d’« aborder le problème de tensions entre la mondialisation et les politiques à l’échelon local » (Raines, 2001).

Les clusters comme forme de gouvernance territoriale

Depuis Porter (1990), le cluster s’est retrouvé au centre des politiques publiques à travers le monde comme outil d’amélioration de la performance des nations et des régions. Cependant, la définition de l’auteur[2] a été l’objet de nombreuses critiques en raison du « manque de précision théorique du concept de cluster, notamment au niveau de la définition des acteurs et des limites géographiques », le rendant ambigu et sujet à interprétations (IAURIF, 2008, p. 22), voire questionnant sa pertinence (Martin et Sunley, 2003). Il est vrai qu’un bref aperçu de la littérature permet de trouver une trentaine de définitions de clusters, parfois complémentaires, mais souvent contradictoires[3].

D’une manière générale, le cluster est « constitué d’un réseau d’entreprises et d’institutions géographiquement proches et relativement interdépendantes » (Aliouat, 2010, p. 24), associées dans un domaine particulier, bénéficiant des synergies créées par un réseau dense de concurrents, de clients et de fournisseurs et interconnectées à travers une coévolution de leurs trajectoires économiques (et des effets induits), aussi bien intentionnelles qu’émergentes (Rugman et Verbeke, 2003; Yehoue, 2009; Porter, 2008, p. 199). Ce dernier point est d’importance, car le cluster ne désigne pas simplement une concentration d’entreprises et d’institutions interconnectées, mais il indique que ces entreprises deviennent plus compétitives en vertu des relations entre elles (Feser, 1998, p. 26). En effet, le cluster suppose « une intention stratégique, une vision commune des objectifs poursuivis, qui procède des multiples relations formelles et informelles entre acteurs (Van der Yeught, 2010, p. 366). Dans cette logique, le cluster est défini non seulement comme « un système reposant sur des éléments de proximité », mais avant tout sur « une proximité de compétences » (Aliouat, 2010, p. 31). Le cluster se fonde sur l’idée que « la proximité géographique peut favoriser deux autres types de proximités » : la proximité organisationnelle et la proximité institutionnelle (Tixier, 2010, p. 44). Nous reviendrons sur cette finalité plus loin.

Pour préciser l’objet de notre étude nous allons nous appuyer sur une typologie des clusters industriels, basée sur la nature des entreprises participantes et sur les relations et transactions à l’intérieur de clusters (McCann et Mudambi, 2005, p. 1868). Elle distingue trois modèles : l’« agglomération pure », le « complexe industriel » et le « réseau social ». L’agglomération pure regroupe des entreprises liées par une relation évolutive et instable et avec une entrée libre dans le cluster. Le « complexe industriel » est fondé sur une relation commerciale identifiable et stable avec une entrée dans le cluster fermé. Enfin, le réseau social décrit un cluster fondé sur des relations de coopération humaine, la confiance et un comportement non-opportuniste des entreprises participantes, pas nécessairement concentrées géographiquement. Dans notre étude, les clusters polonais sont plutôt similaires aux « complexes industriels », très proches des « pôles de compétitivité » français.

Les clusters présentent ainsi une nature complexe par le caractère hétérogène de leurs parties prenantes (entreprises, pouvoirs publics, établissements de recherche et de formation, à l’échelle régionale, nationale et internationale) et l’articulation de relations verticales et horizontales. Appréhender ces diverses relations et interactions par la gouvernance, au sein d’une approche néo-institutionnelle, paraît de fait pertinent (Fen Chong, 2009; Berthinier Poncet, 2012; Lallemand, 2013).

Dans notre étude, nous adhérons à l’idée, selon laquelle, les clusters représentent une forme de gouvernance territoriale régionale fondée « sur une proximité géographique qui circonscrit à un espace particulier ». Les clusters ont précisément émergé au résultat de la convergence de la gouvernance d’entreprise, la gouvernance locale, la gouvernance nationale et de la gouvernance internationale. De par leur caractère flexible de « coopérations non ordonnées par la hiérarchie », les clusters sont devenus un élément fondamental dans « la construction, la gestion et la représentation des territoires, en particulier par rapport à leur environnement institutionnel et économique » (Fath, 2013, p. 169). L’élasticité des clusters permet par ailleurs qu’ils construisent « leurs propres modalités d’actions adaptées aux spécificités sectorielles » (Fen Chong, 2009, p. 10) tout en gérant « la tension entre l’intégration des acteurs et leur nécessaire différenciation » (Bardet et al., 2010, p. 140).

Les clusters sont supposés améliorer la performance des entreprises participantes car « la mise en synergie des entreprises locales s’avère toujours bénéfique, en particulier parce que la circulation des connaissances est nécessaire au bon fonctionnement de n’importe quel système organisé » (Torre, 2006, p. 20)[4], ce qui est cohérent avec l’objectif de la gouvernance par le cluster qui vise précisément à améliorer la performance à plusieurs niveaux : collectif, individuel et territorial (Bardet et al., 2010, p. 142). Pour ce faire, les clusters doivent « maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur d’un secteur donné pour pouvoir être réactif et proactif sur le marché mondial » (Tixier, 2010, p. 46).

Retour sur le rôle des clusters dans la littérature académique

Au-delà des effets synergiques pour les entreprises participantes, Porter (1990) dans son ouvrage fondateur avance que le cluster affecte également positivement l’innovation et la croissance du territoire, in fine la compétitivité de la nation même. Plus tard, Porter (1998) décrit la manière dont l’interdépendance géographique et économique puisse être partie intégrante de la croissance et du développement au niveau régional (Feser, 1998, p. 25). Rappelons que les travaux de Porter (1990, 1998, 2000) se situent dans le sillage d’une riche et ancienne littérature consacrée aux externalités de l’agglomération économique (Santos Cruz et Teixeira, 2007, p. 6), remontant à l’oeuvre de Marshall (1890) sur les « districts industriels ».

Dans le prolongement de ces travaux, huit courants majeurs ont émergé dans la littérature sur les clusters (Santos Cruz et Teixeira, 2007, p. 13) : (1) le courant idéographique, consacré à l’émergence et l’évolution des clusters; (2) l’approche fondée sur les connaissances et l’apprentissage; (3) l’analyse systémique, qui intègre les clusters dans un système de relations plus large; (4) les politiques d’innovation régionales, qui s’intéresse aux questions de compétitivité de régions; (5) le lien entre multinationales et clusters, avec un focus sur le rôle des IDE dans l’évolution des clusters; (6) l’approche sociale, qui étudie les clusters comme participants d’un réseau social et d’une culture particulière; (7) l’approche institutionnelle, qui s’intéresse aux problèmes organisationnels et de gouvernance liés aux clusters.

Néanmoins, en parallèle des travaux du courant « portérien », la nouvelle géographie économique (NGE) a fait un apport fondamental pour analyser l’émergence et le fonctionnement des clusters (Krugman, 1991, 1997) : elle explique l’agglomération économique par des externalités positives telles les économies d’échelle et la propagation du savoir à travers les spillovers technologiques (le phénomène de clusterisation présenté plus haut).

Notre approche fondée sur la gouvernance territoriale régionale (7) et associée à la démarche géographique conduit ainsi à mobiliser trois autres approches existantes (2, 4, 5) afin de pouvoir tester la performance de ce modèle de gouvernance ayant pour but d’articuler trois processus : les IDE, la clusterisation et l’action des pouvoirs publics.

Clusterisation, action publique et IDE

Pour préciser le rôle des différents paramètres sur les IDE, nous étudierons cependant successivement la littérature sur (1) les flux d’IDE, les économies d’agglomération et les clusters; (2) les spillovers technologiques considérés comme étant un facteur influent de localisation des IDE; et (3) l’action des pouvoirs publics. Chaque partie nous conduira à soumettre une proposition testable.

IDE, économies d’agglomération et clusters

La localisation des IDE a été largement étudiée dans la littérature en sciences de gestion, mettant en avant des déterminants macro-économiques, géographiques, sociaux, institutionnels ou en combinant plusieurs (Dias, 2011, p. 11). Nous rappellerons brièvement les recherches qui articulent conceptuellement le lien au niveau régional entre les IDE, les externalités de l’agglomération économique et les clusters, à savoir l’avantage compétitif de Porter (1990) et la NGE (Krugman, 1991; Fujita, 2009). Nous présenterons ensuite la revue de littérature empirique sur ce sujet en général et dans les PECO en particulier.

Porter (2003) oriente fortement la recherche en plaçant la grille d’analyse au niveau régional, où sont situés la plupart des déterminants essentiels de la performance économique avec un focus particulier mis sur l’agglomération économique et l’économie des connaissances. Les travaux de Krugman (1991) établissent de manière complémentaire le lien entre les localisations d’IDE et les externalités de l’agglomération. L’agglomération constitue à la fois « une contrainte qui s’exerce sur la localisation des entreprises » et « un élément déclencheur d’attractivité », aussi bien pour les entreprises nationales qu’étrangères (Boualam, 2010, p. 83). Les externalités d’agglomération recherchées par les multinationales sont « un large marché du travail spécialisé, un accès plus facile aux inputs nécessaires à la production ainsi que de la possibilité d’obtenir des externalités technologiques liées à la proximité géographique » (Mucchielli et Puech, 2003, p. 137).

De ce fait, les MNE sont caractérisées par une « dualité institutionnelle », étant soumises à « des arbitrages entre une volonté de gestion internationale dans le but de réaliser des économies d’échelle et des choix locaux, voire encastrés dans leur environnement (et celui de leur filiale (Castro Gonçalves, Chabault et Tixier, 2010, p. 166).

Il existe une littérature empirique relativement fournie sur l’interdépendance entre les IDE et l’agglomération économique (Rugman et Verbeke, 2003; Cantwell et Iammarino, 2000; Pitelis et al, 2006). Dans les PECO en particulier, ces études ont établi une corrélation positive entre les flux d’IDE et l’agglomération économique au niveau régional (Disdier et Mayer, 2004; Cieślik, 2005; Pusterla et Resmini, 2007; Chidlow, Salciuviene et Young, 2009; Hilber et Voicu, 2010).

En revanche, si des études établissent un effet positif des IDE sur l’émergence de clusters dans les pays en voie de développement (Mortimore et Vergara, 2004) ou un effet attractif des clusters sur les IDE (Yehoue, 2009), aucune étude empirique établit ce lien pour les PECO.

Nous posons ainsi la proposition 1 qui se réfère à la concentration économique territoriale.

Proposition 1 : La concentration territoriale de l’activité, via les clusters, influence positivement les IDE entrant dans une région

L’acquisition et le développement des connaissances

L’importance du savoir dans la clusterisation et la localisation de flux d’IDE a été mise en évidence dans de nombreux travaux (e.g. Maskell, 2001; Malmberg et Maskell, 2002).

D’une manière générale, Krugman (1998) considère le transfert du savoir (spillover technologique) comme essentiel dans l’émergence des clusters. Pour Porter (1998, 2008), les clusters sont les principaux moteurs de l’innovation et de la modernisation de l’économie. Dans le même sens, les clusters polonais à l’instar des pôles de compétitivité français peuvent être assimilés à des « formes hybrides d’agglomération des activités qui intègrent à la fois une logique territoriale et une logique d’innovation » (Bardet, et al., 2010, p. 140). Il faut rappeler qu’en tant que forme d’organisation de coopérations interorganisationnelles territorialisées, les clusters puisent sur « le patrimoine cognitif constitué autour des savoir-faire industriels ou scientifiques et techniques valorisées par les interactions entre les acteurs et leurs dynamiques d’apprentissage » (Castro Gonçalves et al., 2010, p. 162).

Il existe une littérature fournie sur les déterminants cognitifs de la clusterisation. Les travaux empiriques constatent une influence positive (1) des IDE tournés vers la connaissance (Kogut et Zander, 1992; Bartlett et Ghoshal, 1999), (2) du rôle actif au niveau régional de centres de recherche (Cantwell et Piscitello, 2005) et (3) de l’accélération de l’innovation (Fujita, 2009). Par ailleurs, les investisseurs sont attirés par l’activité de la recherche et le niveau de formation d’employés, aussi bien au niveau national que régional dans le pays destinataire (Alcácer et Chung, 2007) et privilégient la proximité géographique de leurs unités de production en vue de faciliter l’apprentissage cognitif (Bartlett et Ghoshal, 1999).

On peut donc penser que les régions les plus tournées vers la recherche à l’intérieur des pays destinataires d’IDE sont particulièrement attractives pour les investissements.

Proposition 2 : La concentration des activités de recherche, via les clusters, influence positivement les IDE entrant dans une région

L’action des pouvoirs publics

L’émergence de clusters en Pologne est le résultat de l’action combinée des entreprises locales et des pouvoirs publics qui ont favorisé la clustérisation à trois niveaux différents : européen, national et régional. En effet, la gouvernance territoriale régionale apparaît fortement influencée par l’action publique visant à soutenir les acteurs privés dans le processus de création de richesse (Ferguène, 2005). A l’instar de la France, le gouvernement polonais cherche à travers la promotion des clusters à « développer des modes de coopération au sein des régions qui puissent augmenter les externalités positives » (Castro Gonçalves et al., p. 161).

Rappelons tout d’abord qu’une série d’initiatives lancées par Bruxelles ont visé la mise en place d’une politique commune dans le domaine des clusters, considérés comme des moteurs d’innovation et de reconversion du tissu industriel vers les technologies à haute valeur ajoutée. Ces politiques cherchaient alors à provoquer des synergies au niveau local, considéré comme essentiel dans la promotion du développement économique. Cette politique volontariste visait à travers les stratégies d’innovation la « création de valeur distribuée entre de multiples parties prenantes » (Aliouat, 2010, p. 25).

Dès le début des années 2000, des programmes européens (RTD programs) encadrent l’émergence des clusters dans les pays membres au niveau régional. En 2006, un Groupe de Conseil sur les Clusters est créé pour préparer une politique commune de promotion des clusters. En 2008, cette structure est remplacée par l’European Cluster Policy Group, dont l’objectif est la promotion et le soutien de « clusters mondiaux » et transnationaux. Finalement, en 2010, les clusters sont devenus l’un des instruments privilégiés dans la « spécialisation intelligente » (smart specialization) de régions, et pour la stratégie « Europe 2020 : une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive » (Commission Européenne, 2010). En parallèle, l’OCDE commence à promouvoir une Politique de Développement Economique Basée sur les Clusters (Cluster-Based Economic Development Policy), introduite très activement au sein de l’Union Européenne.

Ces diverses politiques placent les clusters au centre de la politique économique permettant aux pouvoirs publics de différents niveaux (européen, national et régional) de stimuler la compétitivité d’économies régionales à travers la mise en valeur du capital humain et un actif soutien institutionnel (OCDE, 2008, 2009). Cette politique est fondée sur la synergie de deux initiatives : le soutien institutionnel dans le cadre d’une approche « descendante » (top-down approach) et les initiatives d’entreprises locales dans le cadre d’une approche « ascendante » (down-top approach) (Swann, 2006).

Des financements européens considérables sont accordés à la Pologne qui soutient financièrement les clusters à travers la politique d’innovation nationale « Polska 2030 » (Kowalski, 2013, p. 276). Au niveau national, une Agence publique de promotion de clusters et d’IDE est créée à Varsovie dans le but d’attirer les IDE dans les clusters existants. Dans ce dispositif d’attribution de financements, y compris européens, les autorités régionales jouent le rôle central, ce qui signifie que la configuration du soutien institutionnel aux clusters varie selon la région.

Ce bref aperçu de l’action des pouvoirs publics dans la promotion de clusters indique clairement l’importance du facteur institutionnel dans la clusterisation au niveau régional. Ce qui est spécifique à la Pologne, mais aussi à certains autres pays de l’Est, c’est qu’elle utilise les clusters pour attirer les IDE. D’une manière générale, la littérature académique a pu déjà constater l’existence d’un lien entre l’action institutionnelle et la localisation d’IDE (Porter, 1990, 2000; Bevan, et al., 2004; Henisz, 2000; Demirbag et al., 2010).

En combinant ces deux constatations, nous allons donc pouvoir émettre la proposition suivante :

Proposition 3 : L’intervention des pouvoirs publics influence positivement, via la clusterisation au niveau régional, les IDE entrant.

Le cas de la Pologne

Nous étudions dans ce travail l’influence de certaines caractéristiques propres à des régions économiques sur les IDE entrants. Ces caractéristiques portent sur la clusterisation (agglomération économique et spillover technologique) et l’action des pouvoirs publics. Par ailleurs, nous inscrivons notre analyse dans une perspective temporelle.

Pour mettre en évidence cette relation, il est important de s’appuyer sur une dynamique d’investissements et de développement économique. Pour ces raisons, nous avons privilégié le cas d’un pays en transition économique en Europe centrale : la Pologne.

Le modèle, les tests et les résultats

Les données

Trois sources statistiques ont été utilisées pour collecter les données. L’OCDE fournit les données sur les IDE entrants (avec les pays d’origine). « L’institut de la statistique officiel » polonais (GUS[5]) compile des données sur le PIB régional, que nous utilisons comme proxy de l’activité économique régional, et sur la distribution régionale des IDE. Enfin, nous avons exploité une base de données gouvernementale (Polska Agencja Rozwoju Przedsiebiorczości - PARP[6]) qui répertorie et décrit les clusters existants. Pour les financements européens destinés aux clusters polonais, nous avons utilisé les données collectées par Spychała (2012, p. 382) auprès de divers organismes statistiques provinciaux.

Tableau 1

Variables et données

Variables et données

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En premier lieu, la focalisation sur les régions introduit une première condition sur la période d’étude. Ainsi, les données ne peuvent être collectées qu’à partir de 1999, une nouvelle division administrative ayant été introduite en Pologne à cette date. Plus précisément, un nouveau système administratif avec 16 régions (voïévodie) a remplacé l’ancien, qui en comprenait 49.

En second lieu, les données sur les IDE ventilées par région ne sont disponibles qu’à partir de 2007, et les dernières dont nous disposons portent sur 2011. La période d’étude se réduit donc aux années de 2007 à 2011.

Enfin, la base gouvernementale sur les clusters est actualisée à fin 2011. La base de données distingue entre les « clusters », institutionnalisés et reconnus par l’Etat, et les « initiatives – clusters », groupes d’entreprises non institutionnalisés. Pour conserver une certaine cohérence à l’échantillon, nous ne retenons que les clusters reconnus. La base de données fournit des éléments sur les caractéristiques des clusters par région (le nombre d’entreprises, d’entités de recherche et autres entités, l’année de création et la localisation géographique exacte).

Le tableau 1 présente les bases de données et les variables utilisées, classées par déterminants, en relation avec les propositions testées.

Pour résumer, nous utilisons comme variable dépendante les IDE entrants par région destinataire et des variables explicatives listées dans le tableau 1. A ce stade, il est important de noter que nous ne mobilisons pas l’ensemble des données disponibles relatives aux caractéristiques des clusters. En effet, certaines sont incomplètes ou sujettes à caution. Par ailleurs, il existe parfois de fortes colinéarités entre certaines variables ou des redondances qui violent les hypothèses de base des méthodes d’estimation.

Nous avons constaté pour les IDE entrants un effet significatif de la crise en 2008, avec une division par 2 des IDE. On note ensuite une très forte concentration des IDE sur quelques régions, 6 régions attirant 80 % des IDE, les deux premières comptant pour 51 % du total.

Pour tester l’influence de l’activité économique du territoire (agglomération économique) et de l’action des pouvoirs publics (approches top-down et down-top) sur les IDE entrants, nous retenons : le PIB régional des 16 régions sur la période 2007-2011 (variable de contrôle pour l’étude), le nombre de zones économiques spéciales (approche down-top) et les financements européens par cluster (approche top-down).

Globalement, les effets de la crise semblent moins sensibles que pour les IDE, le PIB régional moyen progressant sur la période[7]. Par ailleurs, nous avons tenu compte d’un facteur fiscal lié à l’existence de zones économiques spéciales. La Pologne compte actuellement 14 zones économiques spéciales (Specjalna strefa ekonomiczna – SSE), créées sur l’initiative du gouvernement pour développer l’activité économique, en accordant des préférences aux investisseurs. Seule une zone économique spéciale est située dans une seule province, les autres étant localisées dans plusieurs. Pour notre étude empirique, nous avons pris en compte le nombre de zones économiques spéciales par province. Comme partout ailleurs dans le monde, ces zones sont créées pour capter des IDE et pour créer des synergies avec des entreprises locales. Nous retenons cette statistique comme variable représentative d’une approche down-top de l’action des pouvoirs publics. Nous utilisons également les financements européens par cluster sur la période d’étude comme variable d’une approche top-down de l’action des pouvoirs publics. Le rôle de ces financements a été largement étudié dans la littérature académique (Spychała, 2012; Kowalski, 2013).

Nous retenons enfin des caractéristiques se rapportant spécifiquement aux clusters sur la période d’étude. Ces variables nous permettent, au niveau des clusters cette fois-ci, de tester les effets de l’agglomération économique, mais également de ceux des spillovers technologiques, sur les IDE. Nous testons donc globalement ici le phénomène de clusterisation.

Pour chaque année, nous disposons du nombre de clusters (N) créés à cette date[8] et, pour chaque cluster, du nombre d’entreprises (Ent) et d’entités scientifiques (ER) s’y rattachant. Nous retenons de plus comme variables explicatives le nombre d’entreprises par cluster (Ent/C) et le nombre d’entités scientifiques par entreprise des clusters (ER/E). Globalement, ces variables permettent donc de tester le phénomène de clusterisation, les deux dernières reflétant plus particulièrement un effet de concentration économique et de recherche.

Le tableau 2 présente les statistiques descriptives des principales variables retenues et décrites dans le tableau 1.

Tableau 2

Statistiques descriptives

Statistiques descriptives

*Effets de clusterisation.

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Le modèle économétrique

Comme nous disposons d’un panel comportant les déterminants théoriques des IDE entrants par région de la Pologne dans le temps, nous mobilisons les méthodes économétriques d’analyse des panels longitudinales. Le modèle général retenu s’écrit :

Le vecteur X représente les déterminants de l’IDE pour chaque région sur la période d’analyse (exemple le PIBi sur la période 2007-2011). Les vecteurs α et β sont les paramètres d’intérêt à estimer. Le terme d’erreur ε représente l’ensemble des facteurs non observés ou jugés peu importants et donc non pris en compte explicitement dans le modèle. Formellement, il est supposé gaussien ce qui permet d’utiliser les méthodes d’estimation standards (Moindres carrées, Maximum de vraisemblance)[9].

Les tests et les résultats

Deux régressions linéaires sont testées pour étudier les effets des différents déterminants sur les IDE entrants. L’objectif est de capter un éventuel effet de concentration économique et de recherche sur les IDE entrants. Nous retenons donc à chaque fois les variables PIB, N, FE et ZES. Le premier modèle teste de plus les effets des variables Ent et ER. Le second modèle les effets des variables Ent/C et ER/E.

Le tableau 3 présente les résultats de ces deux régressions.

On constate tout d’abord que les deux modèles sont de bonne qualité, avec un coefficient de détermination particulièrement élevé.

Concernant les coefficients, le PIB régional est une variable explicative particulièrement significative, et influence positivement les IDE entrants. Ceci confirme le rôle joué par l’importance économique d’un territoire sur les IDE entrants.

Tableau 3

Résultats régression

Résultats régression

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De même, le poids des entités scientifiques est particulièrement significatif, quelle que soit la mesure utilisée. La dimension recherche au sein des clusters est donc fortement liée aux IDE entrants dans une région, ce qui va dans le sens du rôle important joué par les spillovers technologiques. En revanche, l’effet négatif est contraire à celui attendu dans nos propositions. La variable concernant les financements européens est également significative, confirmant le rôle joué par les pouvoirs publics. De nouveau cependant, nous obtenons un signe négatif pour le coefficient, contraire à celui attendu.

Enfin, le nombre de clusters et celui des entreprises appartenant à des clusters n’apparaissent pas significatifs. L’influence de l’agglomération économique au niveau des clusters est donc questionnée.

Les résultats obtenus vont donc dans le sens des propositions avancées, mais les points clés suivants peuvent être soulignés :

  • Les IDE sont attirés par les territoires économiquement importants.

  • Le phénomène de clusterisation joue essentiellement en regard des spillovers technologiques, et non sur le plan économique.

  • Le soutien des pouvoirs publics influe sur les IDE entrants.

Conclusion

Combinée avec les sciences de gestion, l’approche géographique nous a permis de construire une grille d’analyse pertinente permettant d’explorer la gouvernance territoriale sous une forme particulière – les clusters. D’une certaine manière, nous avons pu visualiser sur une grille d’analyse les processus complexes correspondant à l’émergence de ces formes de gouvernance territoriale et les évaluer. Nous pensons que cette matrice peut servir aussi bien aux intérêts des pouvoirs publics (régionaux, nationaux et européens) qui gèrent l’attribution de financements destinés aux clusters, qu’aux entreprises qui cherchent à définir un endroit géographique optimal pour leur internationalisation.

Plus précisément, nous avons isolé dans cette étude les éléments clés d’un processus complexe, liant les flux d’IDE à la clusterisation du territoire (agglomération économique et spillovers technologiques) et à l’action des pouvoirs publics.

Même si la clusterisation en tant que processus a un effet entraînant sur les flux d’IDE, les investisseurs semblent être plus attirés par la dimension scientifique des clusters que par l’agglomération économique (nombre d’entreprises). La présence d’entités scientifiques paraît alors déterminante, ce qui est consistant avec la conception de clusters polonais, largement inspirés par les pôles de compétitivité français et tournés vers l’innovation. Toutefois, la dynamique de clusterisation est particulièrement complexe et nécessite donc de nouvelles études approfondies.

L’action des pouvoirs publics s’exprime notamment à travers la mise en place de ressources nécessaires pour la clusterisation, à savoir les financements publics nationaux (les allègements fiscaux dans les zones économiques spéciales), les financements européens et les entités de recherche et de formation appartenant à l’Etat. Nous avons pu constater que l’action européenne joue un rôle d’entraînement indispensable créant une dynamique générale à l’échelle transnationale. De nouveau cependant, et en écho aux résultats obtenus pour la recherche au sein des clusters, l’impact des divers types de financement doit être plus finement analysé.

L’utilisation d’un terrain spécifique, la Pologne, un pays en transition, nous a permis de disposer d’un cas coïncidant avec la reconstitution radicale de l’ensemble du tissu économique et industriel. Comme nouvelle piste de recherche, on peut se demander dans quelle mesure une telle transition économique constitue un cadre particulièrement propice à la clusterisation.

Notre étude montre également que l’échelle régionale (provinces – voïévodies) constitue un niveau d’analyse pertinent permettant de dégager une vision plus précise de restructuration économique et sociale de l’environnement des affaires qui accompagne la clusterisation et l’afflux d’IDE. Peut-être serait-il utile de descendre encore d’un niveau d’analyse (celui des districts au sens européen) pour lier ces phénomènes aux dynamiques de développement des entreprises.