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Les études historiques de la traduction en Amérique latine restent encore rares en dépit de l’élan donné par le groupe de recherche sur l’histoire de la traduction en Amérique latine (HISTAL) depuis 2004 (voir Bastin 2004, 2006, 2007b, 2008 ; Bastin et Echeverri 2004 ; Bastin, Echeverri, et al. 2004 ; Bastin et Iturriza 2008). Pourtant, l’histoire de la traduction contribue à éclairer de nombreuses questions culturelles et identitaires[2]. La traduction dans la presse historique est un sujet de recherche particulièrement négligé. Comme le montrera le présent travail, au Venezuela, plus précisément, la presse indépendantiste a suscité une activité traductrice intense. Or, une seule étude sur la traduction dans la presse du xixe siècle au Venezuela a été menée (Richardson 1998).

Nous examinons ici l’activité traductionnelle dans la presse indépendantiste, particulièrement dans la Gaceta de Caracas (GdC). Étant donné l’ampleur du corpus (698 numéros publiés pendant les 14 ans d’existence du périodique), nous nous sommes limitée aux traductions publiées au cours de la première période patriotique, à savoir du 27 avril 1810 au 5 juin 1812.

La Gaceta de Caracas est l’un des périodiques les plus importants du Venezuela au xixe siècle et témoigne des changements politiques, économiques et sociaux observables pendant le processus d’indépendance vénézuélienne. La Gaceta relate toute l’évolution du paysage politique vénézuélien de la période royaliste à la période républicaine ou patriotique et constitue une véritable arme politique. Selon Grases (1961), elle est l’expression d’une détermination nationale ferme visant à former un gouvernement propre, émancipé de la couronne espagnole.

Notre objectif est de montrer que la traduction dans le périodique indépendantiste Gaceta de Caracas a contribué à la consolidation de l’indépendance par l’emploi d’une stratégie d’appropriation.

1. Le traducteur, agent social

Ce travail traite de traductions et de traducteurs, pour la plupart socialement et politiquement engagés. Il est donc necéssaire d’adopter une vision sociale du traducteur. C’est pourquoi il s’inscrit dans le cadre des études descriptives et interculturelles de la traduction telles que conçues par Toury (1995). Celles-ci considèrent les traductions dans leur contexte culturel, lequel influence les décisions des traducteurs. Selon Toury, la traduction est un fait de culture qui peut provoquer des changements dans la société cible (Toury 2004 : 67).

Dans la même perspective, Lépinette (1997 : 4) affirme que, selon le modèle socioculturel, la traduction doit être étudiée dans son contexte social et culturel, c’est-à-dire comme un phénomène de transculturation produit à un moment historique donné pour une culture réceptrice spécifique. Un tel modèle exige donc de prendre en considération les conditions de production du texte original autant que celles de la réception du texte traduit.

Ce travail s’inspire également des tenants de l’École de la manipulation, principalement Hermans (1999), qui voient dans toute traduction le résultat d’une manipulation du texte de la langue source et qui étudient l’influence de cette littérature traduite sur la culture cible. Pour eux, les textes traduits deviennent un genre littéraire à part entière, étudié du point de vue de son apport à la littérature et à la culture cibles. Dans le même ordre d’idées, pour Bassnett et Lefevere (1990 : 1), la traduction est une réécriture de l’original qui reflète une certaine idéologie du traducteur. Le traducteur devient ainsi un réécrivain avec un pouvoir non négligeable puisqu’il peut manipuler le texte et l’adapter à la culture cible. Selon ces auteurs, cette réécriture est une manipulation qui s’intègre à la littérature de la société réceptrice et qui peut contribuer à l’évolution des idées, des concepts littéraires et de la culture. Dans le cas de la Gaceta de Caracas, les traductions, qui constituent une partie importante des nouvelles publiées, sont effectivement des réécritures (traductions partielles, synthèses, commentaires) puisqu’elles sont rarement des traductions stricto sensu.

La traduction sera donc envisagée en tant que discours historique qui « contributes to an awareness of the elements underlying one’s own culture, conditioning the definition of one’s collective self in terms of (and very often in denial of) another, the other » (St-Pierre 1993 : 61). La traduction n’est pas seulement le passage d’une langue à une autre, mais bien un processus de transculturation telle qu’elle est définie par Ortiz (2002 : 254) comme un processus complexe de transmutation culturelle réciproque qui touche les niveaux économique, institutionnel, juridique, éthique, religieux, artistique, linguistique, psychologique, sexuel et autres, de la vie. Ces différents concepts en étroite interaction nous aideront à caractériser les stratégies suivies par les traducteurs.

Dans notre travail, le traducteur est envisagé comme un acteur non neutre, c’est-à-dire un agent social. D’après Tymoczko, les traductions ne sont pas objectives, car le traducteur doit faire des choix : omettre telle ou telle partie ou développer davantage telle ou telle autre. Ces changements ne sont pas innocents ni inconscients et ils influencent une traduction de telle manière qu’elle ne peut jamais être objective. En effet, selon Tymoczko,

[t]his partiality is not merely a lack, a defect or an absence in a translation, it is also an aspect that makes the act of translation partisan : engaged or committed, implicitly or explicitly. These modifications include introduction, footnotes, reviews, literary criticism, etc. The words associated with politics and ideology emphasized suggest the nexus of engagement in the activity of translation, indicating that the partial nature of translation is what makes them also political

Tymoczko 2000 : 24

Ainsi, selon ses choix, le traducteur transmet ses idéaux et son engagement politiques dans une situation et une société spécifiques. Gentzler et Tymoczko (2002) suggèrent que la traduction est partiale, tout comme le traducteur. Cette nature partiale des traducteurs leur permet d’exercer un certain pouvoir sur les lecteurs dans la culture réceptrice. Bastin et Iturriza (2008) affirment que le nombre de lecteurs de la GdC était significatif dans les villes vénézuéliennes comme à l’étranger, notamment dans les Caraïbes, dans quelques métropoles européennes, ainsi qu’aux États-Unis et dans le reste de l’Amérique latine. La presse indépendantiste a, par conséquent, influencé le processus de formation identitaire du lectorat en raison, spécialement, de l’ambiguïté de l’identité tant des traducteurs-rédacteurs que des lecteurs. Les traducteurs-rédacteurs étaient espagnols par le sang, mais aussi américains. Les lecteurs, de leur côté, étaient composés d’intellectuels, de commerçants et d’artisans « qui revendiquaient leur monde propre qu’ils bâtissaient, tout en appartenant par subordination à celui de leur métropole » (Bastin 2007b). Les traducteurs-rédacteurs de la Gaceta de Caracas étaient donc des agents sociaux et historiques qui ont joué un rôle dans la vie politique, historique et littéraire de leur pays. Ils se sont servis de leur condition de traducteurs dans les périodiques vénézuéliens pour transmettre leurs idéaux politiques.

2. La presse historique sous l’angle traductologique

Ce travail explore en particulier les techniques et les stratégies de traduction utilisées dans la Gaceta de Caracas par les traducteurs-rédacteurs. Or, la bibliographie existante propose tellement de définitions et classifications que celles-ci ne font qu’ajouter à la confusion conceptuelle.

Nous envisageons la stratégie de traduction comme une « stratégie utilisée de façon cohérente par le traducteur en fonction de la visée adoptée pour la traduction d’un texte donné » (Delisle, Lee-Jahnke, et al. 1999 : 77). Des exemples de stratégies sont la traduction littérale, l’adaptation et l’appropriation. Cette dernière, selon Bastin, Echeverri, et al. (2004), est une stratégie par laquelle le traducteur fait sien le texte original (TO) afin de consolider l’identité des lecteurs de la culture cible, soit sa communauté. C’est aussi une stratégie par laquelle le traducteur sélectionne consciemment la partie du TO utile à ses fins. Cette stratégie traductive est caractéristique des traducteurs latino-américains de l’époque.

La technique de traduction, de son côté, est le « procédé de transfert linguistique des éléments de sens du texte de départ appliqué par le traducteur au moment où il formule une équivalence » (Delisle, Lee-Jahnke, et al. 1999 : 64). Le calque, l’emprunt, la périphrase, l’économie, l’étoffement, entre autres, sont des techniques de traduction. La différence entre technique et stratégie réside dans le fait que la première « porte sur des segments de texte relevant du microcontexte » et la deuxième « oriente la démarche globale du traducteur à l’égard du texte à traduire » (Delisle, Lee-Jahnke, et al. 1999 : 64).

D’après notre analyse comparative, les techniques de traduction les plus employées par les traducteurs-rédacteurs de la Gaceta de Caracas sont l’omission, l’implicitation, l’ajout et l’explicitation, telles qu’elles sont définies par Delisle (2003). Cet auteur considère l’omission et l’ajout comme des fautes de traduction mais l’historien ne porte aucun jugement sur la qualité de la traduction ; il se limite à prendre acte des interventions des traducteurs. On remarquera notamment l’ajout de notes de bas de page destinées à clarifier, corriger ou commenter le TO. L’omission et l’ajout sont des interventions délibérées. Ces interventions sont donc subjectives et répondent, dans notre corpus, à un projet politique (Bastin 2007a : 40).

Nous examinerons également le caractère partiel ou intégral des traductions. En effet, par traductions partielles, nous entendons les résumés et les traductions incomplètes ou tronquées dans lesquelles des parties du TO ont été omises.

Notre analyse des traductions publiées dans la Gaceta de Caracas met aussi au jour des textes hybrides dans le sens où ils mélangent la traduction stricto sensu de certains passages, le discours indirect et le commentaire. Nous sommes toutefois consciente qu’il conviendrait, dans une prochaine recherche, d’étudier plus en profondeur et au moyen d’un corpus plus vaste les textes qui, comme les nôtres, se situent à la frontière de la traduction et de la rédaction. Selon Stetting (1989), ces textes sont des transéditions.

La méthodologie utilisée dans ce travail est celle qui a été adoptée par Richardson (1998) et par Bastin (2007b). Nous analyserons les traductions publiées dans la Gaceta de Caracas, du 27 avril 1810 au 5 juin 1812, afin de déterminer les techniques et les stratégies de traduction. Nous chercherons également à confirmer l’appropriation en tant que stratégie privilégiée des traducteurs de la presse indépendantiste.

Pour ce faire, nous distinguons trois étapes. D’abord, nous repérons et caractérisons les traductions ayant fait l’objet d’une traduction partielle ou intégrale. Il faut souligner la difficulté de l’entreprise puisque, dans la presse, ni les traductions ni les traducteurs ne sont présentés comme tels. Ensuite, il s’agit de retrouver les originaux dont ces traductions sont issues. Pour classer les données repérées, nous utilisons une fiche élaborée à l’aide du logiciel Microsoft Access (voir les figures 1-5 dans la section 5 [Analyse comparative des traductions]).

Ensuite, nous effectuons une comparaison entre les originaux et les traductions pour déterminer les stratégies utilisées par les traducteurs. Nous employons une approche discursive de la traduction, comme le préconise St-Pierre, c’est-à-dire que nous ne cherchons pas à déterminer si une traduction transforme ou trahit l’original, mais plutôt à définir « how such a transformation is carried out and the conditions which make it possible » (St-Pierre 1993 : 82). Nous concentrons notre travail sur les TO relatifs à des sujets politiques puisque nous cherchons à analyser leur impact sur le processus politique ayant eu lieu au Venezuela.

Nous utilisons une deuxième fiche pour classer les résultats de l’analyse des stratégies traductionnelles mises en place par les traducteurs-rédacteurs de la Gaceta. Cette fiche a été créée à partir de la taxonomie de Chesterman (1997 : 92-112 ; Tableau 1).

Tableau 1

Stratégies de traduction

Stratégies de traduction
Chesterman 1997 : 92-112, traduit par Echeverri 2008

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De façon cohérente avec nos objectifs, nous nous en tiendrons aux stratégies pragmatiques et à quelques stratégies sémantiques. Finalement, dans la troisième étape du travail, nous étudierons ces stratégies traductionnelles et leur rôle dans la consolidation de l’indépendance.

3. Contexte historique

Les mouvements indépendantistes hispano-américains ont été influencés par les penseurs du Siècle des lumières tels que Rousseau, Voltaire, Montesquieu et Locke, et par l’Indépendance des États-Unis et la Révolution française (Bastin et Echeverri 2004 : 562). Une des révoltes révélatrices de cette influence est la Conspiración de Gual y España, en 1797, un mouvement révolutionnaire porteur de revendications sociales.Une des actions qui fait aussi partie des mouvements pré-indépendantistes est celle qui fut dirigée par Miranda en 1806, lequel débarque sur les côtes vénézuéliennes, mais voit sa mission échouer, contrée par les Espagnols.

À cette même époque, l’Espagne vit une crise politique et économique profonde. En 1808, Charles IV est destitué et son fils, Ferdinand VII, accède au pouvoir. Napoléon Bonaparte profite de la crise dynastique espagnole pour envahir l’Espagne et en faire un royaume vassal qu’il confie à son frère Joseph Bonaparte. Durant la domination française en Espagne, l’absence de roi pousse les représentants de la monarchie à créer des juntes provisoires afin de maîtriser cette crise. Le mouvement s’étend rapidement en Amérique.

Au Venezuela, ce furent les criollos (créoles) qui constituèrent le 19 avril 1810 La Suprema Junta Conservadora de los Derechos de Fernando VII (Suprême junte conservatrice des droits de Ferdinand VII), ceux-là mêmes qui avaient juré fidélité au roi Ferdinand pendant la crise de la couronne espagnole. Selon Quintero (2002), en cautionnant la création des juntes, la monarchie espagnole a donné du pouvoir au peuple et a ouvert la voie à l’indépendance. Bastin et Iturriza (2008) affirment que les vrais artisans de l’indépendance étaient les criollos qui détenaient le pouvoir économique (il s’agit de commerçants et de propriétaires terriens), ainsi que les intellectuels vénézuéliens qui se sont faits les propagateurs des idées indépendantistes.

3.1. Histoire de la presse au Venezuela

Grases (1967 : 71) mentionne différentes tentatives d’implantation d’une imprimerie au Venezuela entre 1790 et 1800, mais, à cette époque, rien ne peut convaincre les autorités espagnoles. En effet, elles ne considéraient pas le moment propice pour introduire au pays un tel instrument. Ce n’est qu’en 1808 que la Capitanía General (Capitainerie générale) a autorisé une presse dans le pays, sous l’influence du gouvernement anglais. Ce dernier, allié à l’Espagne, voulait l’aider à contrôler la situation dans la colonie espagnole (Ávila 1941).

Lors de son expédition de 1806, Francisco de Miranda avait une presse à bord de son navire, le Leander, qu’il a dû laisser à Trinidad après l’échec de l’expédition. Elle est achetée en 1808 par Mateo Gallagher et James Lamb, propriétaires de l’atelier qui allait imprimer le premier périodique vénézuélien, la Gaceta de Caracas, ainsi que le premier livre publié au Venezuela en 1810 : Calendario Manual y Guía Universal de Forasteros. Les premiers périodiques ont été : Gaceta de Caracas (d’octobre 1808 à janvier 1822), El Semanario de Caracas (de novembre 1810 à juillet 1811), El Patriota de Venezuela (de janvier 1811 à janvier 1812), El Mercurio Venezolano (de janvier 1811 à mai 1811), El Publicista de Venezuela (de juillet à novembre 1811), et El Correo del Orinoco (de juin 1818 à mars 1822).

3.2. La Gaceta de Caracas

Le premier numéro de la Gaceta de Caracas est publié le 24 octobre 1808, sous les auspices et le contrôle des autorités du gouvernement espagnol (rappelons que le Venezuela était encore une colonie espagnole). Le nom de Gaceta de Caracas avait été choisi pour faire perdurer la tradition de nommer gazette les principaux périodiques du continent américain. Citons par exemple : la Gazeta de Méjico, la Gazeta de La Habana et la Gaceta de Buenos Aires (Ávila 1941).

La Gaceta a été créée à l’origine pour la diffusion des nouvelles et des idées progouvernementales. Sauf quelques interruptions, ce périodique a été publié du 24 octobre 1808 au 3 janvier 1822. Jusqu’en 1814, son nom était Gazeta de Caracas. En 1815, il devient Gaceta de Caracas, orthographe qui a été conservée jusqu’au dernier numéro en 1822.

Pendant 14 ans, la Gaceta publie 810 numéros. Le premier numéro présente le prospectus du périodique. Dans ce numéro, l’éditeur annonce, par exemple, que le périodique sera publié tous les vendredis. À ses débuts, en 1808, le périodique comporte quatre pages à deux colonnes, de 27 centimètres chacune. Lorsque certaines informations devaient être connues rapidement, des numéros extraordinaires les diffusaient. Le style utilisé et les nouvelles publiées pendant les périodes royalistes sont en faveur du régime espagnol. Avec le changement de gouvernement en 1810, le contenu et le ton du périodique changent. Les indépendantistes en profitent désormais pour parler de la liberté du peuple. En 1810, la Gaceta commence à être publiée de façon bihebdomadaire (le mardi et le vendredi). En 1811, le format du périodique change. On y ajoute une colonne par page, ce qui donne trois colonnes. La taille des caractères augmente et les italiques sont introduits. La taille de la page passe à 32 centimètres. En 1820, le périodique change de nouveau de format et la page mesure 29 centimètres. Finalement, en 1821, la page mesure 41,5 centimètres.

3.2.1. Évolution de la Gaceta

Comme nous l’avons indiqué plus haut, la Gaceta de Caracas est successivement dirigée par les gouvernements royaliste et patriotique. Les périodes ou étapes de ce périodique sont les suivantes (Pérez Vila 1983b : xxiv) :

  • Première étape (royaliste) : du 24 octobre 1808 au 15 avril 1810 ;

  • Deuxième étape (patriotique) : du 27 avril 1810 au 5 juin 1812 ;

  • Troisième étape (royaliste) : du 4 octobre 1812 au 1er avril 1813 ;

  • Quatrième étape (patriotique) : du 26 août 1813 au 20 juin 1814 ;

  • Cinquième étape (royaliste) : du 21 août 1814 au 9 mai 1821 ;

  • Sixième étape (patriotique) : du 17 mai au 24 mai 1821 ;

  • Septième étape (royaliste) : du 30 mai au 13 juin 1821 ;

  • Huitième étape (patriotique) : du 4 juillet 1821 au 3 janvier 1822.

Pendant ses dernières années de publication, ce périodique n’était plus l’organe puissant qu’il était à ses débuts et n’avait plus la même influence qu’auparavant parce qu’il éprouvait des difficultés à trouver des souscripteurs, ainsi que le papier nécessaire pour l’impression (Rojas 1983 : xxxv). La Gaceta, assez affaiblie, est publiée le 3 janvier 1822 pour la dernière fois. Un autre numéro était prêt pour le 10 janvier 1822, mais il ne sera jamais imprimé.

3.2.2. Les directeurs de la Gaceta de Caracas

Le directeur de la Gaceta devait bénéficier de la confiance totale des autorités espagnoles. Comme nous l’avons dit, la GdC s’est transformée au gré des événements politiques du pays. Ces transformations touchaient également le langage utilisé et les idées exprimées, en lien direct avec le rédacteur en chef et les personnalités politiques du gouvernement. Le directeur décidait de l’information à publier, ainsi que des documents et des sources utilisés pour l’appuyer. Ainsi, la Gaceta n’a jamais été impartiale (Santeliz Cordero 1983). Ses directeurs successifs étaient des personnes très cultivées et respectées dans la société vénézuélienne (Grases 1983 : xlv) :

  • Andrés Bello, écrivain, professeur, philologue, poète et juriste, est connu comme le premier humaniste du continent. Directeur en chef du début du périodique jusqu’en juin 1810, Bello possédait une profonde connaissance des langues (grec, latin, anglais, allemand, français et italien). Il a traduit de grandes oeuvres littéraires, classiques et contemporaines, notamment O navis referent d’Horace, Égloga II de Virgile, Zulima de Voltaire, Art d’écrire de l’abbé Condillac, An Essay Concerning Human Understanding de John Locke (Valero 2001 : 181).

  • Francisco Isnardi, journaliste, politicien et commerçant d’origine italienne, est le directeur de juin 1810 à juin 1811, aux côtés de Juan Germán Roscio. Ensuite, il reprend la direction d’octobre 1811 à février 1812. Isnardi enseignait le latin aux créoles vénézuéliens en 1807. Il a également corédigé l’acte d’indépendance, aux côtés de Roscio.

  • Juan Germán Roscio, docteur en droit canonique et droit civil, est le rédacteur principal de l’acte d’indépendance et corédacteur de la constitution du Venezuela. Il a été le traducteur de Confessions, Lamentations, & Reflections de William Burke, publiées dans la Gaceta alors qu’il en était le directeur (Ratto Ciarlo 1971).

  • Francisco Xavier Ustáriz, politicien et avocat, est le rédacteur de la Constitution de 1811. Il est directeur de juillet 1811 à octobre 1811. Selon Frédérique Langue (2000 : 131), il a traduit plusieurs textes, dont le Dictionnaire d’agriculture et d’économie rurale de l’abbé François Rozier.

  • Vicente Salias, écrivain, médecin et journaliste, est directeur durant la période patriotique qui va de 1813 à 1814. Selon un document officiel, Salias occupait un poste de traducteur dans l’administration coloniale (Bastin 1996 : 13).

  • José Domingo Díaz est médecin, écrivain, historien et journaliste. Il a été un grand détracteur de Bolívar et un fervent opposant à la guerre d’indépendance. En 1803, il a traduit le livre An Account of the Bilious Remitting Yellow Fever, as It Appeared in the City of Philadelphia, in the Year 1793 de Benjamin Rush (Fundación Polar 1998) ainsi que le document politique Lettres à M. l’abbé de Pradt par un indigène de l’Amérique du Sud. Il est directeur de la Gaceta pendant toutes les périodes royalistes.

Tous ces directeurs étaient des lettrés et des traducteurs, ce qui nous permet de penser qu’ils ont sûrement traduit la majorité des documents, lettres, discours et nouvelles publiés dans la Gaceta.

4. Le corpus

4.1. Les textes originaux

Nous avons repéré 196 traductions dans les 188 numéros analysés. Le tableau 2 illustre le type de TO à partir duquel travaillaient les traducteurs-rédacteurs.

Tableau 2

Distribution des textes originaux en fonction de leur type

Distribution des textes originaux en fonction de leur type

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La majorité des traductions publiées dans la Gaceta de Caracas proviennent donc de périodiques (presse étrangère). D’autres sources ont aussi été employées, comme des lettres et des documents officiels. La catégorie Indéterminé comprend quatre traductions repérées grâce au métalangage employé par les traducteurs-rédacteurs, soit des expressions comme nouvelle traduite de l’anglais, article traduit, entre autres. Nous pouvons donc affirmer qu’il s’agit bel et bien de textes traduits, mais nous sommes dans l’impossibilé d’identifier l’origine, la langue et le type de TO.

Les langues de départ (LD) des textes originaux sont présentées dans le tableau 3. Presque toutes les nouvelles ont été traduites de l’anglais (78 %) et du français (19 %). Les TO proviennent surtout des États-Unis et de l’Angleterre. Des gazettes provenant d’autres pays européens ont été consultées, mais avec une fréquence moindre (France, Suède, Allemagne, Espagne). Des périodiques provenant des Caraïbes ont aussi été consultés (Trinidad, St. Thomas, Martinique, Jamaïque et Barbade). Le seul périodique latino-américain qui ait fait l’objet d’une traduction est brésilien et il s’agit de Cadis.

Tableau 3

Langue de départ des textes originaux

Langue de départ des textes originaux

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Nous avons à ce jour obtenu vingt des quarante-sept périodiques sources. La recherche continue et il est possible que d’autres périodiques soient localisés plus tard.

4.2. Les traductions

Dans tous les textes traduits (TT) analysés, le traducteur reste anonyme. Toutefois, comme nous l’avons mentionné précédemment, les rédacteurs de la Gaceta étaient tous des lettrés possédant des connaissances en langues, certains ayant traduit d’autres ouvrages, ce qui permet de supposer qu’ils ont sûrement traduit la majorité des nouvelles publiées.

Dans la majorité des cas, les TT se différencient des autres nouvelles publiées dans la Gaceta. Pour les distinguer, les traducteurs-rédacteurs utilisaient différents caractères orthotypographiques comme les guillemets, les majuscules, les parenthèses et les italiques. Le tableau 4 montre la fréquence d’utilisation de chacun de ces caractères.

Tableau 4

Caractères orthotypographiques des traductions

Caractères orthotypographiques des traductions

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À partir du 25 avril 1812, les caractères orthotypographiques sont moins utilisés et les traductions se fondent alors parmi les autres nouvelles, ce qui rend l’entreprise d’identification plus difficile. Un changement d’imprimeur ou de rédacteur pourrait expliquer ces modifications des caractères orthotypographiques.

Quant au contenu des TT, c’est le domaine politique qui prédomine. En effet, 187 traductions sur 196, c’est-à-dire 94 %, font référence à des sujets politiques. Sept traductions touchent des sujets divers comme la religion, l’astronomie et la littérature et seules deux traductions sont des documents officiels, d’où un intérêt clairement politique de la part du traducteur.

5. L’analyse comparative des traductions

Quarante-huit textes originaux ont été repérés dans les vingt périodiques contentant les TO repérés. L’analyse a montré que la moitié des TT étaient constitués de traductions strictosensu, c’est-à-dire au sens « strictement » traditionnel de traduction intégrale au plus près de la forme et du sens de l’original. Ces traductions révèlent quelques erreurs qui n’affectent pas le sens du message. Cependant, l’examen de l’autre moitié confirme l’existence d’une stratégie d’appropriation, telle qu’elle est définie par Bastin, Echeverri, et al. (2004 : 72).

L’analyse comparative a révélé plusieurs techniques de traduction, à savoir l’omission, l’implicitation, l’ajout et l’explicitation, telles que Delisle (2003) les définit. Elle a également relevé le caractère partiel (résumé ou extraits du TO) ou intégral des traductions. Cinq exemples de fiches fusionnant identification et analyse comparative sont présentés dans les figures 1 à 5. Nous avons gardé la graphie de l’original dans tous les exemples cités, la traduction française des textes étant fournie si nécessaire.

5.1. Gaceta de Caracas du 29 juin 1810

Le TO, intitulé Noticias Americanas (Figure 1), traite de plusieurs nouvelles relatives aux États-Unis, notamment la rencontre d’un Mexicain avec le président des États-Unis pour annoncer l’indépendance de la province mexicaine.

Figure 1

Le 29 juin 1810, no 105 : Noticias Americanas

Le 29 juin 1810, no 105 : Noticias Americanas

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La traduction est partielle étant donné qu’un seul paragraphe du TO est traduit. Nous observons d’abord une explicitation dans l’exemple (1) :

Le traducteur explicite Province par parte de la America Española, d’abord pour signaler au lecteur que le Mexique n’est désormais plus une province espagnole, mais aussi pour souligner l’appartenance du Mexique à l’Amérique alors que le TO n’y fait pas référence.

Notons que le TO paraît deux mois après la première manifestation de rupture du Venezuela avec la couronne espagnole (la création de la Junte de Caracas le 19 avril 1810) et que le rédacteur montre la révolution comme une réalité présente dans d’autres provinces de l’Amérique.

Cette traduction est une appropriation dans la mesure où le rédacteur-traducteur souligne le caractère américain du Mexique et ne traduit qu’un paragraphe du TO. Il choisit donc ce qu’il veut communiquer à ses lecteurs : la nouvelle de l’indépendance éventuelle d’une autre province américaine, et il omet le reste du TO qui fait référence à New York et à une décision du Congrès à propos de l’ambassadeur américain à Madrid.

5.2. Gaceta de Caracas du 20 juillet 1810

Le TO, intitulé Estados Unidos de America (Figure 2), fait référence à l’arrivée des députés vénézuéliens aux États-Unis et à l’indépendance de Caracas. La traduction est partielle étant donné que plus de la moitié du TO n’a pas été traduite. Le rédacteur du TO fait un commentaire positif à propos de la devise employée dans la Gaceta de Caracas et il la traduit du latin (LO dans la Gaceta) en anglais. Le traducteur, de son côté, fait référence à ce commentaire du TO et traduit la devise du latin en espagnol. Il faut aussi noter le discours indirect employé par le traducteur-rédacteur : En el Periodico (Evening Post) se anuncia (Dans le périodique [Evening Post] est annoncée), contrairement au discours direct utilisé dans toute traduction.

Figure 2

Le 20 juillet 1810, no 108 : Estados Unidos de America

Le 20 juillet 1810, no 108 : Estados Unidos de America

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Nous avons repéré des ajouts, des omissions et des implicitations qui rendent évidentes les opinions personnelles du traducteur par rapport à l’information communiquée dans le TO.

Dans l’extrait (2), la traduction espagnole de l’anglais provisional government est omise :

Cette omission transmet aux lecteurs du TT un message différent de celui du TO puisqu’il cache la nature provisoire du nouveau gouvernement. Le traducteur a délibérément donné au gouvernement un caractère stable. Quant à l’expression nuestros comisionados (nos représentants), elle relève du discours indirect et répond donc à une stratégie d’appropriation de la part du traducteur.

Dans l’exemple (3), un paragraphe relatif à Francisco de Miranda est également omis dans le TT :

Le rédacteur du TO montre que les prévisions de Miranda à propos de l’indépendance à Caracas étaient bonnes. Il est malaisé d’expliquer les raisons de cette omission. Une hypothèse serait que le traducteur-rédacteur n’a pas voulu insister sur les prévisions de Miranda, du fait que celui-ci ne faisait pas l’unanimité au sein des révolutionnaires vénézuéliens.

Les commentaires, absents du TO, dévoilent l’inclination politique du traducteur en faveur de l’indépendance du pays. Les exemples (4) à (7), qui sont des commentaires présents uniquement dans le TT, illustrent comment le traducteur s’approprie le TO et montre sa satisfaction quant à l’appui des États-Unis (America Inglesa) au processus d’indépendance amorcé au Venezuela :

Tous les adjectifs employés par le traducteur dans cette nouvelle soulignent, d’un côté, le rejet de la couronne espagnole et, de l’autre, la satisfaction à l’égard de l’appui des États-Unis. Le traducteur exprime de la fierté à l’égard du peuple vénézuélien, décrit comme libéral, fidèle, patriotique et lettré, et il évoque la résolution mémorable des députés vénézuéliens pour faire référence à la résolution du 19 avril 1810.

5.3. Gaceta de Caracas du 23 octobre 1810

Le TO, intitulé Noticias Extrangeras (Figure 3) traite de l’émancipation des provinces américaines. Très révolutionnaire, il critique la couronne espagnole et sa façon de gérer ses colonies. Une erreur de date s’est glissée dans cette traduction. Le traducteur-rédacteur de la GdC indique que la date du TO est le 2 juillet 1810 lorsque nous l’avons localisé dans l’exemplaire du Bell’s Weekly Messenger du 1er juillet 1810. Ce type d’erreur, qui n’est pas courant dans la Gaceta, a pu être causé par un problème d’impression.

Figure 3

Le 23 octobre 1810, no 103 : Noticias Extrangeras

Le 23 octobre 1810, no 103 : Noticias Extrangeras

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La traduction est partielle, étant donné que deux paragraphes situés au début du TO ne sont pas traduits. Ces paragraphes font référence à deux nouvelles différentes : la première est liée à Lord Wellington et son armée, et la deuxième, aux événements révolutionnaires de Caracas. Le traducteur ajoute également un avertissement au début du TT.

L’avertissement du traducteur est très subjectif. Il explique que les événements ayant lieu à Caracas sont connus de tous et que le périodique TO approuve les fondements de la résolution du 19 avril 1810 :

En revanche, les deux paragraphes correspondant au début du TO sont omis. Le premier, qui fait référence à Lord Wellington, parce que le traducteur considère vraisemblablement que cette nouvelle n’est pas pertinente pour les lecteurs du TT. Cependant, il est surprenant que le deuxième paragraphe relatif aux événements révolutionnaires de Caracas soit également oublié. Le rédacteur du TO énonce ce qui suit :

Dans ce paragraphe, le rédacteur du TO note que les raisons de la révolution de Caracas n’étaient ni la loyauté ni la fidélité envers le roi Ferdinand ou l’Espagne. Le traducteur décide d’omettre ces commentaires, mais explique dans l’avertissement que le périodique TO est d’accord avec les raisons qui ont produit la résolution de Caracas. Notons que, par l’omission de ce paragraphe, le traducteur évite que la résolution soit remise en cause. En fait, il cache aux lecteurs du TT les doutes du périodique TO.

Dans l’avertissement, le traducteur emploie également le terme résolution plutôt que celui de révolution utilisé par le TO, ce qui lui permet de rétablir la vérité sur les événements ayant lieu à Caracas. En effet, le mouvement du 19 avril 1810 n’était pas à proprement parler révolutionnaire. La résolution d’indépendance n’était que provisoire en attendant le retour du roi. Par ses interventions, le traducteur écarte l’idée négative de la résolution du 19 avril 1810 exprimée par le rédacteur du TO.

Cette traduction est clairement une appropriation par le choix du texte et par les modifications apportées par le traducteur.

5.4. Gaceta de Caracas du 6 novembre 1810

Le TO est une lettre rédigée en anglais et intitulée Carta de un Español de Cadiz á un amigo suyo en Londres (Figure 4). L’auteur fait référence à un décret qui impose un blocus interdisant toute importation de Caracas, et il évoque également des événements révolutionnaires en Amérique du Sud.

Figure 4

Le 6 novembre 1810 : Carta de un Español de Cadiz á un amigo suyo en Londres

Le 6 novembre 1810 : Carta de un Español de Cadiz á un amigo suyo en Londres

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Celle-ci est une traduction stricto sensu. Le traducteur ajoute cependant une note en bas de page et un paragraphe final. En effet, à la fin de la traduction, il expose son opinion à propos des commentaires de l’auteur du TO en se portant en faveur de l’émancipation. Des expressions comme celles-ci :

expriment l’opinion très subjective du traducteur en faveur de la cause indépendantiste.

De plus, il communique ouvertement à ses lecteurs que ce blocus importe peu puisqu’il ne changera pas l’avis des compatriotas de America (compatriotes de l’Amérique) décidés à poursuivre le processus d’indépendance entrepris au pays.

La note de bas de page est un jeu de mots ironique à propos du blocus et de l’institution espagnole connue sous le nom de Regencia (Régence) :

Le mot bloquear sans la lettre l en espagnol est boquear, qui veut dire /expirer/. Le traducteur-rédacteur exprime que la Régence, en tant qu’institution, est plutôt en train d’expirer que de faire un blocus, ce qui donne une idée très négative des Espagnols.

5.5. Gaceta de Caracas du 17 mars 1812

Le TO, intitulé CARACAS. Extracto de una Carta de la Havana (Figure 5), est l’extrait d’une lettre provenant de La Havane qui expose une situation politique délicate causée à Veracruz par l’arrivée d’un bateau espagnol dans le port de la ville. Les natifs se soulèvent contre les Espagnols, qui doivent s’enfuir.

Même si la traduction reste très littérale, un commentaire, ajouté par le traducteur au début de la nouvelle dans le TT, explique qu’il s’agit d’une information très importante :

Figure 5

Le 17 mars 1812, s/n : CARACAS. Extracto de una Carta de la Havana

Le 17 mars 1812, s/n : CARACAS. Extracto de una Carta de la Havana

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Cette intervention, bien subjective de la part du traducteur, peut sans aucun doute être qualifiée d’appropriation. Un autre ajout permet de voir l’intervention du traducteur. Il s’agit d’une note en bas de page relative à l’emploi du mot anglais insurgent dans le TO. En espagnol, le traducteur fait un commentaire qui sert à clarifier les raisons pour lesquelles l’auteur du TO utilise ce terme :

En espagnol, la note de bas de page du traducteur est la suivante : *Insurgentes por que recuperan lo suyo (Insurgés parce qu’ils récupèrent ce qui leur appartient). Par cette note, le traducteur enlève la connotation négative du terme insurgés pour justifier le comportement des Mexicains à l’égard du bateau espagnol.

6. Conclusion

Les traductions analysées appuient l’hypothèse selon laquelle la tendance à l’appropriation se manifeste dans la traduction de la presse vénézuélienne. Cette démarche traductionnelle caractéristique des traducteurs latino-américains a été déjà mise en évidence dans les travaux du groupe HISTAL (Bastin 1996 ; 2004 ; 2006 ; Bastin et Echeverri 2004 ; Bastin, Echeverri, et al. 2004) relatifs aux écrits des philosophes et à des textes devenus constitutifs des nouveaux États. Quant à la presse indépendantiste, la moitié des 48 traductions analysées, qui étaient publiées dans la Gaceta de Caracas pendant la première période patriotique, présentent cette stratégie traductionnelle.

À la lumière de la comparaison des textes, nous pouvons donc affirmer que le traducteur intervient délibérément dans le processus de traduction. Il procède souvent à l’omission et à l’ajout d’information. Les notes en bas de page, les commentaires et les avertissements sont aussi très nombreux. De plus, le traducteur favorise la traduction des nouvelles liées aux révolutions dans d’autres provinces de l’Amérique, comme le Mexique, Buenos Aires, le Chili, le Pérou et le Paraguay, pour justifier l’indépendance vénézuélienne, ainsi que les nouvelles qui confirment le soutien d’autres gouvernements et d’autres institutions puissantes – les États-Unis et l’Église catholique – à la cause indépendantiste.

Quant au vocabulaire employé, le traducteur s’exprime très positivement à propos du peuple vénézuélien et de la révolution, mais négativement à l’égard de l’Espagne. Il cherche systématiquement à montrer que l’indépendance est la voie à suivre. Il soutient également l’idée d’un continent américain comme un tout. Par l’ensemble de ces interventions, le traducteur contribue à la formation d’une identité vénézuélienne.

La traduction dans la Gaceta de Caracas fait donc partie d’un projet politique et les traducteurs n’hésitent pas à s’en servir pour communiquer leurs idées. Les traducteurs-rédacteurs de la Gaceta étaient engagés dans des activités politiques autres que la traduction et ont transmis par celle-ci leurs idéaux d’indépendance. La traduction est appropriatrice et appropriée, tant pour le choix des textes que pour la visée de la traduction qui est de consolider l’identité du peuple vénézuélien face à l’indépendance et à la nouvelle république.

Ces réflexions ne peuvent toutefois pas être généralisées à l’ensemble de la GdC puisque la période étudiée ne représente que deux années du périodique, notamment du 27 avril 1810 au 5 juin 1812. Étant donné l’ampleur du corpus, d’autres recherches sont nécessaires pour confirmer notre hypothèse. Rappelons que la Gaceta a publié son premier numéro le 24 octobre 1808 et le dernier le 3 janvier 1822. La Gaceta, le périodique le plus emblématique de l’époque indépendantiste vénézuélienne, mérite une étude plus approfondie qui permettra de connaître ainsi l’activité traductionnelle que ce périodique a connue et les différences entre les périodes royalistes et patriotiques.

En ce qui concerne les textes originaux, nous n’avons repéré que 20 des 47 périodiques utilisés. Il conviendrait de continuer les recherches pour comparer le plus grand nombre de textes. Enfin, il convient d’affiner d’avantage les définitions des techniques et des stratégies traductionnelles.