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L’ouvrage est un numéro spécial de la revue CROP, un périodique de la Faculté de philosophie, lettres et sciences humaines de l’Université de São Paulo, Brésil, compilé par John Milton, qu’il n’est plus nécessaire de présenter. Cette collection d’articles, tous rédigés en anglais, portant sur l’histoire de la traduction est issue du 1er Forum international de traducteurs tenu à São Paulo en septembre 1998 et est le reflet de la vivacité et de la maturité croissantes de cette branche de la traductologie au Brésil.
Le volume est composé de neuf articles, trois comptes rendus et une interview. Huit des articles abordent des sujets brésiliens : un panorama de l’histoire de la traduction au Brésil ; la traduction du théâtre brésilien ; la traduction des premiers textes en langue tupi ; l’histoire de la traduction de l’oeuvre de Herman Melville en portugais brésilien ; l’application des théories du polysystème d’Even-Zohar à la traduction de la littérature brésilienne dans d’autres littératures ; les techniques d’adaptation utilisées dans la traduction de la littérature pour enfants ; le parallèle entre la traduction au Brésil et en Argentine ; et l’histoire du premier Club du livre brésilien.
L’article qui ouvre le recueil est le seul non brésilien. Dans « Why and how to write translation histories ? », Lieven D’hulst présente les procédures et les critères qui régissent l’écriture d’une histoire de la traduction. Partant du postulat que l’historiographie doit essentiellement viser à la reconstruction du passé tel qu’il était vraiment, l’auteur propose le plus grand nombre possible de paramètres. Il les présente au lecteur d’une façon à la fois simple, originale et didactique : Quis ?, Quid ?, Ubi ?, Quibus auxilius ?, Cur ?, Quomodo ?, Quando ? et Cui bono ?
Lia Wyler signe deux articles. Le premier, « Translating Brazil », est un survol de l’histoire de la traduction au Brésil et fait partie d’une étude dans laquelle la production des traductions est examinée dans son contexte social, politique et économique. L’article souligne les différentes appellations données à la traduction au Brésil par rapport à celles rencontrées dans certains pays européens, comment les notions traductologiques ont évolué au fil du temps, et quels sont les principaux effets des traductions sur la langue et la littérature brésiliennes. Le deuxième article, « Theatre, translation and colonization », propose de montrer la prépondérance des pièces étrangères traduites et mises en scène au Brésil à l’époque où le théâtre a été introduit par les colons portugais ; il expose ensuite comment cette préséance étrangère a affecté l’activité créatrice brésilienne tout au long des siècles, en moulant le travail des auteurs sur les préférences de leur public. Il indique également le dilemme auquel font face les chercheurs qui travaillent sur l’histoire pour distinguer ce qui est traduction de ce qui est original dans le développement du théâtre au Brésil.
L’article « The translation of the first texts to tupi, the classical indian language in Brazil », de Eduardo de Almeida Navarro, décrit l’influence du tupi sur la formation de la culture brésilienne, particulièrement sur le portugais brésilien, la littérature brésilienne et les toponymes. Il montre également comment les premiers textes en tupi ont été produits et, partant, comment la diversité culturelle et les déplacements sémantiques ont été traités.
La traduction théâtrale au Brésil du xixe siècle est le sujet abordé par Tania Brandão. Selon l’auteure, le théâtre au Brésil a rarement été considéré comme une véritable culture et a été pratiquement ignoré par les critiques « sérieux ». L’auteure explique que le théâtre brésilien a été aux prises avec une recherche d’identité : ou le théâtre brésilien était simplement une traduction en soi – la pratique dominante –, ou les textes nationaux étaient des transpositions locales des mouvements et des textes en vogue en Europe. En conséquence, la place du théâtre dans la culture brésilienne apparaît comme une suite d’ellipses, d’où le titre de l’article, « Translations and ellipses : notes on the 19th century brazilian theatre ».
Comprendre la vision qu’un traducteur a de son métier et l’importance de son travail dans le contexte de la production culturelle d’une époque est l’objectif de l’article de Maria Cristina Batalha, intitulé « The place of foreign literature in the Brazilian literary system ». Dans cette étude, l’auteure examine l’importance et le rôle de la traduction dans la formation de la littérature brésilienne.
Irene Hirsch, pour sa part, compare les différentes versions des romans de Herman Melville éditées au Brésil, notamment son livre le plus populaire, Moby Dick, traduit pour la première fois en 1935, dont diverses traductions et adaptations ont été éditées dans les décennies suivantes. L’article Translations of Herman Melville in Brazil examine les différentes lectures de ce travail à la lumière des discussions concernant la traduction brésilienne des romans.
Adriana Silvina Pagano, dans « “An item called books” : Translations and publishers’ collections in the editorial booms in Argentina and Brazil from 1930 to 1950 », présente une approche historiographique de la traduction en Amérique latine et analyse les pratiques traduisantes en Argentine et au Brésil de 1930 à 1950. Elle se penche sur cette période d’effervescence de la traduction en Amérique latine en articulant les données sociologiques, économiques, historiques et littéraires, afin de contribuer à la compréhension de la traduction comme pratique culturelle dans des contextes sociohistoriques spécifiques.
Le Club du livre au Brésil a été créé en 1943, sur le modèle des sociétés nord-américaine et européenne. En dépit d’une relativement faible tradition de lecture dans le pays, ce Club a connu des tirages de 50 000 copies. Dans son article « The translations of the Brazilian book club, the Clube do Livro », John Milton examine un secteur peu étudié de la culture brésilienne, discute les traductions publiées par ce club et la fonction sociale de celui-ci dans la formation des lecteurs et dans l’héritage culturel de la littérature brésilienne.
L’ouvrage comprend également trois comptes rendus d’ouvrages importants en traductologie : « Memes of translation » de Andrew Chesterman ; « Translation in a postcolonial context » de Maria Tymoczko et « Constructing cultures. Essays on literary translation » de Susan Bassnett et André Lefevere, les deux premiers présentés par John Milton et le dernier par Adriana Pagano. Finalement, on y trouve une entrevue d’Anthony Pym. Fidèle à lui-même, Pym retrace en toute sincérité son évolution de chercheur au sein de « communautés d’étrangers » à Paris et à Harvard : il avoue le profond ennui que provoquent en lui les Derrida, Bakhtin, Foucaut, Baudrillard et « autres suspects français » (p. 275) et lui oppose son intérêt pour les relations interculturelles et la théorie de la coopération. Il expose également les avantages et les inconvénients des études descriptives et confirme sa vision d’une histoire des réseaux interculturels afin, dit-il « de retracer le rôle des intermédiaires plutôt que la gloire des nations ».