Comptes rendus

Micheline Dumont. De si longues racines : l’histoire d’une historienne, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2022, 267 p.

  • Claudia Raby

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  • Claudia Raby
    Université Laval et Cégep de Lévis

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Cover of Regards intellectuels sur la Révolution tranquille, II, Volume 23, Number 2, Spring 2023, pp. 5-173, Mens

Depuis sa retraite de l’enseignement universitaire en 1999, Micheline Dumont choisit de faire oeuvre de synthèse et de vulgarisation en jetant un oeil critique sur l’histoire des femmes au Québec. De l’explication du féminisme québécois à sa petite-fille (2008) aux réflexions d’une historienne indignée (2013), en passant par de multiples conférences sur son parcours scolaire, la pionnière renouvelle le plaisir de croiser expertise scientifique et expérience personnelle, consciente de son important legs. Dans De si longues racines, celle qui a contribué à crédibiliser les femmes comme sujets de la recherche universitaire, notamment par sa participation au Collectif Clio (1982), se donne à son tour comme centre focal du discours. Par le prisme de l’individu, ses mémoires de jeunesse posent les jalons d’une histoire privée, celle de l’éducation des filles et celle du travail des premières chercheuses universitaires. Dumont aborde ainsi les apports d’une éducation globale au pensionnat, la personnalisation de la réflexion chrétienne à la JEC, les difficultés d’accès aux études supérieures pour les jeunes femmes, l’importance des arts pour la formation de l’esprit, la censure et la moralité du cours classique, les conditions d’enseignement à l’école normale, la conciliation complexe entre vie domestique et activité professionnelle, la portée du féminisme réformiste des années 1960, les modes d’intégration des professeures à l’ordre universitaire. De l’enfance de Micheline Dumont à sa prise de conscience féministe survenue à l’âge de 40 ans, le récit expose par anecdotes la genèse d’une existence intellectuelle dont le faible degré d’agentivité étonne même l’autrice. « Je reçois des invitations ; c’est le leitmotiv de ma vie », constate-t-elle (p. 258). Ce parcours vécu dans une naïveté avouée traduit pourtant le caractère déjà discrètement frondeur de l’écolière, puis les dissidences d’une jeune femme dont les choix de vie et les opinions se révèlent peu orthodoxes dans le champ traditionaliste d’avant 1960 : refus de placer mariage et maternité devant la carrière, contestation du nationalisme apologétique canadien-français, remise en question de la foi catholique. En dépit de ces importantes lignes d’intérêt, le texte n’acquiert jamais tout à fait l’étoffe historienne, ni vraiment celle de l’oeuvre littéraire. Dans une approche qui tient davantage du reportage impressionniste, le témoignage se livre avant tout comme une démonstration par bribes, récit d’apprentissage dont l’objectif ne demeure que minimalement perceptible jusqu’aux derniers chapitres. L’ouvrage bénéficierait d’une brève introduction qui en orienterait l’horizon d’attente en énonçant d’emblée la volonté d’illustrer, sans forcément analyser, les processus de la lente désaliénation au féminin qui conduit la narratrice à la révolte féministe, au mitan de sa vie. Ce fil conducteur s’explicite toutefois en finale, lieu d’une renversante épiphanie livrée avec emphase : « [J’]étais féministe sans le savoir. Je l’étais sans doute depuis l’âge de dix ans ! J’ai alors réalisé à quel point j’étais ignorante, centrée sur moi-même, suffisante, privilégiée, mais aussi alignée sur le prototype masculin, lequel me servait de balise pour tout évaluer. » (p. 260) Une représentation de soi lucide et incisive, forte de l’humilité sans complaisance qui imprègne l’écriture. Cette acuité s’applique cependant moins au portrait plutôt superficiel des réseaux féminins dans lesquels évolue Micheline Dumont, constat étonnant alors que la valorisation du travail des femmes constitue l’une des questions centrales de son oeuvre savante. La narration demeure généralement évasive à propos de la personnalité des autres femmes, de leurs apports professionnels et des modes de collaboration entre elles, bien que leur importance dans la vie de l’historienne soit palpable. Est-ce par égard à leur vie privée que certaines amies, dont seul le prénom est énoncé, restent conséquemment dans un anonymat partiel ? Cette hypothèse ne saurait du moins justifier l’omission …