Abstracts
Résumé
Cet article s’intéresse aux nombreuses adaptations en bandes dessinées de La divine comédie de Dante Alighieri parues en Italie et dans plusieurs pays (France, Pays-Bas, Allemagne, États-Unis, Japon) aux xxe et xxie siècles. Ce phénomène majeur d’un univers médiatique en pleine expansion – le « Dante pop » – est interprété selon deux approches théoriques complémentaires. D’une part, les critères régissant le détournement parodique selon la pensée structuraliste (Genette, Kristeva, Hutcheon) permettent de saisir les enjeux culturels soulevés par les reprises bédéiques italiennes ; d’autre part, les réflexions menées autour des notions de transculturalité (De Toro) et de transmédialité (Rajewsky) mettent en valeur quelques tendances communes aux bandes dessinées inspirées de L’enfer de Dante et diffusées sur le marché éditorial français, telles que les processus d’actualisation des personnages, les trames narratives promues par l’industrie culturelle, l’évolution transnationale de la signification attribuée à l’adjectif « dantesque ».
Mots-clés :
- Dante Alighieri,
- La Divine comédie,
- L’enfer,
- adaptations en bande dessinée,
- intertextualité,
- intermédialité,
- transmédialité
Abstract
This paper focuses on the numerous comic book adaptations of Dante Alighieri’s Divine Comedy, released in Italy and in several countries (France, the Netherlands, Germany, the United States, Japan) in the 20th and 21st centuries. This major phenomenon of a rapidly expanding media universe - the Dante pop - is interpreted according to two complementary theoretical approaches. On the one hand, the criteria governing parodic diversion according to structuralist theory (Genette, Kristeva, Hutcheon) make it possible to grasp the cultural issues involved in the Italian comic book adaptations; on the other hand, the reflections carried out around the notions of transculturality (De Toro) and transmediality (Rajewsky) highlight some common tendencies in the comics inspired by Dante’s Inferno and published in the French editorial market, such as the processes of character actualisation, the narrative frameworks driven by the cultural industry, and the transnational evolution the adjective Dantesque and its meaning.
Keywords:
- Dante Alighieri,
- Dante’s studies,
- The Divine Comedy,
- Hell,
- comic book adaptations,
- intertextuality,
- intermedia studies,
- transmedia studies
Article body
Consécrations transnationales d’une Divine comédie en bandes dessinées
Depuis les premiers manuscrits enluminés de Ladivine comédie de Dante Alighieri (1265‑1321) circulant au xive siècle, le dessin répond à l’injonction – consubstantielle à la rédaction du poème – de déployer un imaginaire foisonnant, imprégné de la pensée eschatologique du Moyen Âge chrétien, que le langage, cet instrument de l’homme imparfait et pourtant exalté par l’aventure poétique du pèlerin de l’au‑delà, peine à suivre dans son accélération vers cet excédent de sens, « inexprimable parce qu’il y a sur lui infiniment, interminablement à dire[1] ». Tel est le visibile parlare (« parler par images[2] ») rencontré par l’âme pénitente lorsqu’elle gravit les flancs du purgatoire et découvre des bas‑reliefs « parlants », censés transposer la signification profonde de l’expiation chrétienne dans une formulation nettement plus intelligible, puisqu’elle parvient à entremêler et à fusionner images et parole. Légitimée par un discours poétique qui en appelle au renfort de l’image, l’illustration de La divine comédie en vient à être suggérée par l’auteur lui‑même, un constat auquel parviennent des dantologues de renom. Gianfranco Contini considère que « la Commedia è un libro illustrabile, cioè un libro autorizzato dall’autore all’illustrazione perché contiene passi capitali in cui si è invitati a una rappresentazione visuale[3]». Charles Singleton affirme que « il poema tutto, dal principio alla fine, è sostanziato di “illustrazioni” attestanti dovunque una qualità di visione che è parte non trascurabile, anzi fondamentale, organica e intimamente funzionale, dell’irresistibile incanto che esso esercita su di noi[4] ». Qu’elles prêtent main‑forte à la figuration de scènes hors du commun, ou qu’elles attirent le lecteur par le charme pittoresque de l’horreur fascinante ou de l’envolée mystique, les images s’adressent, tels les bas‑reliefs d’une cathédrale, « anche a un pubblico che non abbia ancora il coraggio di affrontare direttamente e per intero le difficili e complesse volute del testo dantesco[5] ». Complémentaires à la pratique savante du commentaire de texte et de la Lectura Dantis proposée dans les cénacles universitaires, les ressources iconographiques du poème répondent au désir de capter l’attention d’un public hétérogène, et nourrissent cette Comoedia pauperum (Emilio Pasquini[6]) qui, des codices médiévaux jusqu’aux illustrations contemporaines réalisées par Milton Glaser, Moebius, Lorenzo Mattotti et Gabriele Dell’Otto, sans oublier les chefs‑d’oeuvre de Sandro Botticelli, William Blake, John Flaxman, Gustave Doré, Franz von Bayros, Amos Nattini, Édy Legrand, Alberto Martini, Salvador Dalí, Renato Guttuso, Tom Phillips et Miquel Barceló[7], est un véritable accessus au poème pour un public non spécialiste.
Tandis que l’image‑commentaire investit de nouveaux espaces médiatiques de plus en plus éloignés de la textualité originale (peinture, cinéma, arts plastiques, internet, conceptions virtuelles), elle revendique une plus grande autonomie par rapport au poème de Dante, désormais un « pré‑texte » à une iconosphère à même de façonner un imaginaire à partir d’éléments de la biographie du poète florentin ou de sa traversée de l’outre‑monde qui ne sont pas transmis par les sources historiographiques ou littéraires[8]. Ainsi, l’adjectif « dantesque » a aujourd’hui totalement perdu son sens étroitement descriptif pour qualifier le répertoire iconographique qui provient de la « réception dynamique[9] » de l’oeuvre du poète aux époques moderne et – surtout – contemporaine. Qui se veut résolument « pop ». Ainsi, le « Dante pop » s’adapte aux mécanismes de dissémination commerciale promus par l’industrie culturelle, ce qui entraîne un dépassement des prérogatives du canon et du genre protégés par la haute culture. Comme l’ont déjà rappelé des dantologues de la trempe de Marco Santagata, Zygmunt Barańsky et Alberto Casadei, Dante est aujourd’hui « un marchio inconfondibile[10] », une icône mondiale que l’on retrouve dans divers produits commerciaux (musique et sous‑genres littéraires, mais aussi gadgets, vins et spiritueux, sucreries et gâteaux répertoriés dans le blogue Dante today. Citing and Sightings of Dante’s Works in Contemporary Culture de la Bowdoin University of Brunswick[11]). Et qui a notamment envahi le marché de l’entertainment audiovisuel : le cinéma (le film Seven, réalisé par David Fincher en 1996, et Inferno, le thriller international réalisé par Ron Howard en 2016), les jeux vidéo (Dante’s Inferno, développé en 2010 pour PlayStation 3 et Xbox 360), les séries télévisées (la saga American Horror Story de Ryan Murphy et Brad Falchuk, proposée par le diffuseur américain FX, en est à sa onzième édition), pour ne pas parler des innombrables mèmes sur Dante et ses maximes célèbres réélaborées qui envahissent la toile et les réseaux sociaux[12].
Tous actifs dans les supports médiatiques mentionnés, ces phénomènes d’emblématisation, iconisation, prolifération et mondialisation de l’imaginaire dantesque s’avèrent très féconds dans les nombreuses adaptations en bandes dessinées et romans graphiques de La divine comédie publiées dans plusieurs pays. À l’heure où le neuvième art (Francis Lacassin[13]) n’est plus – ou ne devrait plus être – considéré comme « un genre mineur réservé à des mineurs », mais comme une « littérature d’expression graphique » et une « narration figurative[14] », les BD sur Dante représentent les résultats les plus aboutis du « dantismo creativo del terzo millennio[15] », et se retrouvent en tête du palmarès des créations contemporaines à l’origine d’une saison artistique prolifique : la « Dante‑renaissance[16] ».
Les transpositions de La divine comédie (mais il faudrait plutôt dire de L’enfer, puisque c’est essentiellement la première partie du poème qui est adaptée) en bandes dessinées et les romans graphiques sur la vie de Dante sont légion. Ils ont fait leur apparition en Italie, au siècle dernier, avec les célèbres parodies Disney L’Inferno di Topolino (L’enfer de Mickey) (1949) de Guido Martina et Angelo Bioletto, et L’Inferno di Paperino (L’enfer de Donald) (1987) de Giulio Chierchini et Massimo Marconi, tandis que le bédéiste siennois Marcello Toninelli publie ses comic strips sur le voyage de Dante en enfer, au purgatoire et au paradis dans des magazines pour enfants parus tout au long des années 1990, puis les rassemble dans un album en 2015 (Dante. La Divina Commedia a fumetti), et en 2021 sous une nouvelle forme (Dante 2.0. Ritorno all’Inferno)[17]. Plus récemment et toujours en Italie, un projet de roman graphique sur la vie de Dante en quatre volets a vu le jour grâce à la collaboration d’une équipe d’auteurs et de dessinateurs fédérés autour de la maison d’édition florentine Kleiner Flug[18], tandis que les éditions Bonelli consacrent un numéro spécial de la série BD à succès Dampyr[19] à l’engloutissement spectaculaire des protagonistes dans un ancien manuscrit de La divine comédie, qui les propulse directement dans les lugubres cercles infernaux. Les autres pays ne sont cependant pas en reste et le marché éditorial francophone se montre particulièrement dynamique. Cela inclut Conte démoniaque du dessinateur français Aristophane, paru en 1996 chez l’éditeur L’Association; Inferno du Néerlandais Marcel Ruijters, publié aux Pays‑Bas en 2008[20] et paru en France aux éditions The Hoochie Coochie en 2013; le manga du Japonais Gō Nagai La divine comédie, paru en trois volumes chez Black Box éditions en 2015 (mais sorti au Japon entre 1993 et 1995); Das Inferno de l’Allemand Michael Meier (2012), publié en français (En enfer avec Dante) par Casterman en 2015; la double édition L’enfer de Jimbo et Jimbo au purgatoire de l’Américain Gary Panter, publiée aux États‑Unis en 2004[21] et en France chez Cambourakis en 2018; L’accident de chasse, premier roman graphique des Américains David. L. Carlson et Landis Blair, publié aux États‑Unis en 2017[22] et paru aux éditions Sonatine en 2020 (Fauve d’or de la 48e édition du Festival de la bande dessinée d’Angoulême en 2021)[23]. Sans oublier le roman graphique de Seymour Chwast, Dante’s Divine Comedy: A Graphic Adaptation (2010)[24], diffusé également dans les espaces germanophone et italophone[25]. Si l’on rassemble les bandes dessinées d’inspiration dantesque créées et/ou circulant en Europe, elles dépassent largement la production italienne.
Les raisons d’un succès inégalé parmi les produits culturels made in Dante[26] sont à chercher dans les réflexions conduites par Umberto Eco, pionnier des études sur la bande dessinée en Italie depuis la parution, en 1964, de son étude notoire Apocalittici e integrati. Comunicazioni di massa e teorie della cultura di massa[27]. Eco fait état d’une certaine défiance de la culture officielle à l’égard d’un « genere infido, e non così paciosamente pacifico come vuole la vulgata aristocratica[28] ». Dans sa tentative de mettre en place une série d’outils critiques et analytiques pour interroger la pratique de la bande dessinée, Eco évoque le malaise et la suspicion que celle‑ci suscite notamment chez les défenseurs du canon traditionnel et d’une répartition stricte des genres, qui n’hésitent pas à l’accuser de grossièreté et d’infantilisme, afin d’empêcher ou tout au moins de retarder toute forme de légitimation pour un « genere multimediale[29] », coupable de mélanger les sujets et les codes de plusieurs univers créatifs. En cela, la bande dessinée n’est pas très dissemblable de tous ces produits culturels « souillés[30] » par l’hybridation des styles, par la conflictualité des motifs relevant de domaines artistiques prétendument autonomes, et par la vulgarisation des savoirs qui, pour ces raisons, sont traités avec cautèle et marginalisés. Pour le dire avec Arjun Appadurai[31], la bande dessinée relève d’un acte créatif intrinsèquement transculturel; d’un processus dynamique, donc, qui définit et remodèle constamment les significations et les cibles d’une esthétique empruntée à plusieurs altérités culturelles. Des mosaïques paléochrétiennes aux caricatures du xviiie siècle, et des phylactères sur les fresques médiévales jusqu’aux dessins en séquence accompagnés de didascalies autographiées par le Genevois Rodolphe Töpffer (1799‑1846), le lent cheminement vers la bande dessinée procède d’une volonté de translatio, une flexion progressive des thèmes et des connaissances de la haute culture – essentiellement écrite – en des variantes vulgarisées, c’est‑à‑dire en des formes esthétiques compromissoires et métissées, « fra immagini e scritture, fra statico e dinamico, fra visivo e linguistico, verbale e non verbale, descrittivo e fantastico[32] ».
Une suspicion transculturelle semble en somme peser sur la bande dessinée dans son ensemble. Elle concerne surtout les adaptations d’oeuvres classiques comme La divine comédie : celles‑ci, parce qu’elles assurent une transmission superficielle de savoirs prestigieux et élitaires, véhiculent des couches de significations mobiles destinées à un public polymorphe, de plus en plus éloigné du modèle du lecteur bibliophile. Si ce public plébiscite une production culturelle hybride, contribuant à tempérer l’aura de sacralité qui entoure – souvent pour le recouvrir – le poème de Dante, des différences notables sont néanmoins à relever entre les lecteurs italiens, que la fréquentation de l’original rend globalement plus avisés quant au contenu et au propos de l’oeuvre, et les lecteurs hors des frontières italiennes, pour qui l’appréhension de La divine comédie se limite à une esquisse sommaire de la première partie du poème – L’enfer –, sans lien apparent avec le texte. Nous allons présenter et analyser les phénomènes d’adaptation et de transfert de l’imaginaire dantesque à l’oeuvre dans les réécritures en bandes dessinées produites d’abord en Italie, et circulant ensuite en France.
Parodies de Dante en Italie : une facétie érudite
Ne devrait‑on pas considérer que toute transposition en bande dessinée d’une oeuvre appartenant à la peinture ou à la littérature est en soi nécessairement dévalorisante, et par conséquent intrinsèquement parodique, puisqu’elle ne peut qu’enlever à l’oeuvre souche un peu de sa grandeur[33]?
La question posée par Groensteen en amont de son étude sur la parodie dans l’univers de la bande dessinée est intéressante moins pour l’assertion qu’elle dissimule – la transposition en bande dessinée peut entraîner une dépréciation d’une oeuvre forcément remarquable –, que pour le procédé analytique qui y est sous‑entendu – toute reprise d’une oeuvre classique relève d’un processus parodique. Issue des théories structuralistes sur l’intertextualité et le détournement parodique proposées par Julia Kristeva et Gérard Genette[34], cette grille de lecture vise à placer l’archétype, c’est‑à‑dire l’oeuvre classique dont la notoriété ne fait pas de doute, et le dérivé, à savoir le produit issu d’une reprise sélective des thèmes et des fils narratifs de l’original, sur un double vecteur. Sur celui‑ci s’exercent une force d’adhésion et une force d’éloignement, conformément à l’acception ambivalente assumée par le préfixe grec παρά (pará)[35] (« à côté » et « opposé »). Le geste parodique est traversé par une dynamique verticale, ou mimétique, qui le pousse à talonner aussi longtemps que possible l’archétype, et par une dynamique antimimétique, ou horizontale, qui conduit le produit dérivé à opter pour une plus grande indépendance par rapport au modèle, en entrant en résonance avec d’autres médias contemporains. Le chercheur qui aborde les adaptations bédéiques de La divine comédie ou de la vie du poète sous l’angle de la filiation parodique est appelé à fonder son analyse sur une confrontation constante entre l’oeuvre originale et l’oeuvre dérivée, afin d’en évaluer le niveau de proximité. Ce qui revient le plus souvent à souligner les écarts et les oublis dont la reprise se rend coupable vis‑à‑vis du modèle illustre.
À en croire les lecteurs et critiques[36] des bandes dessinées italiennes transposant L’enfer ou la biographie du poète florentin, l’apparat critique évoqué ci‑dessus se révèle particulièrement concluant. Bien des facteurs, tels que les choix graphiques, les personnages employés, le public visé et les supports médiatiques, isolent les parodies Disney L’Inferno di Topolino et L’Inferno di Paperino des bandes humoristiques de Marcello, de même que ces trois dernières bandes dessinées, toutes adressées à de jeunes Italiens scolarisés dans la seconde moitié du xxe siècle, ont en apparence peu à voir avec Dampyr, la série gothique fleuron des éditions Bonelli pour les adolescents d’aujourd’hui en quête de scénarios fantastiques et macabres, et encore moins avec les très raffinés romans graphiques sur la vie de Dante publiés chez Kleiner Flug, éditeur exigeant et confidentiel. C’est pourtant à la conclusion opposée qu’on parvient si l’on emprunte une démarche interprétative orientée par le retournement parodique et sa visée mimétique : au regard d’une relation intertextuelle visant la citation permanente de l’original, ces bandes dessinées attestent toutes une grande proximité avec le texte source, quelle que soit sa nature (écrits de Dante ou sur Dante).
Le premier effet entraîné par la relation parodique est la reproduction scrupuleuse du schéma de l’au‑delà dantesque et notamment des régions infernales, avec les différentes punitions infligées aux catégories de damnés confinés dans ces espaces sinistres. Consubstantielle au poème tout entier et partie prenante de sa subdivision paratextuelle en parties et chants, la structure de l’outre‑monde conçue par Dante accompagne le lecteur du poème et l’oblige à y revenir autant de fois que nécessaire afin de saisir le sens de ses tercets. Sans avoir toujours à l’esprit les lois régissant l’espace infernal (c’est‑à‑dire l’ordonnancement moral des peines adapté d’Aristote, le contrappasso qui établit des relations d’analogie ou de contraste entre la faute commise et la peine infligée, la distribution de celles‑ci qui s’amplifient tout au long de l’abîme), l’interprétation du poème serait en effet nettement plus approximative, voire totalement erronée. Les cercles – et ce qu’ils contiennent de redoutable : gardiens monstrueux, diables, damnés et tourments horribles – ainsi que les lieux notoires de la topographie infernale (la forêt obscure, les fleuves, les remparts de la cité de Dite, les lacs glacés, etc.) se retrouvent dans toutes les adaptions bédéiques italiennes. Seules leurs proportions varient, en fonction des différentes logiques qui soutiennent le jeu de correspondances pratiqué par leurs auteurs. Une volonté de transposition très fidèle anime Moreno Burattini et Fabrizio Longo dans le numéro spécial de Dampyr intitulé « La porta dell’Inferno », du moment que le canevas de l’épisode lui‑même impose une confrontation constante de la bande dessinée avec son illustre modèle. Le protagoniste de la série, un dampyr mi‑homme et mi‑vampire, et ses coéquipiers partent à la recherche d’un illustre philologue et dantologue « emprisonné » dans un ancien manuscrit contenant L’enfer de Dante, et doté de pouvoirs obscurs qui ont matérialisé le règne de la damnation éternelle tel que le poète l’a imaginé (ou presque). Le lecteur suit cette quête singulière à travers les régions et les punitions pensées par l’auteur de La divine comédie, y rencontre les mêmes personnages et les mêmes lois structurant la descente infernale dans les six premiers cercles (chants i‑xi de L’enfer), avant qu’une intervention externe leur permette de sortir de l’enfer – et du livre –, mettant fin au processus de réécriture. Cette fidélité au poème est rappelée par la présence d’un personnage qui accompagne les héros de la série – un collègue du professeur enlevé par le livre et expert de La divine comédie –, et qui souligne régulièrement la coïncidence surprenante entre le spectacle terrible qui se déroule sous leurs yeux et le contenu relaté par les tercets de Dante. « Erano loro! … Loro[37]! » s’étrangle le professeur en apercevant Paolo et Francesca, les « vrais » amants tragiques, dans la bourrasque des luxurieux.
Moreno Burattini et Fabrizio Longo, « La porta dell’Inferno », Speciale Dampyr, no 12, novembre 2016, p. 91‑92. Le professeur Montanari reconnaît les âmes de Paolo et Francesca.
Motivé par la « vis » comique sous‑jacente aux bandes humoristiques publiées à cadence régulière, le renversement parodique pratiqué par Marcello tout au long d’une confrontation pluridécennale[38] avec l’univers dantesque en appelle à l’évocation assidue des lieux et des personnages de L’enfer (mais aussi – un cas plutôt rare dans le panorama des transpositions bédéiques du poème[39] – du Purgatoire et du Paradis). Centré sur le ton moqueur des gags propres aux comic strips paraissant dans la presse au siècle dernier et perfectionné par Marcello tout au long de sa carrière, tel est le traitement humoristique auquel sont destinés les scènes et les épisodes très connus du public italien se déroulant pour la plupart d’entre eux dans une bande unique. À une première case évoquant le contexte infernal original (à savoir un lieu spécifique, la rencontre d’un personnage célèbre, la vision d’une punition redoutable), succède une deuxième case qui introduit une remarque ou une question censée expliquer ou motiver la présence d’un élément du panorama dantesque en fonction de la valeur attribuée par le discours poétique. Sous la forme d’une révélation soudaine et incontestable, la dernière case en vient à contredire la vérité donnée par la source classique, pour préférer la nouvelle raison d’être de l’enfer, dictée par les règles de la permutation parodique[40]. Celles‑ci régissent également les aventures de Topolino (Mickey) et Pippo (Dingo), ensorcelés par un magicien oriental au point de revêtir les habits de Dante et Virgile et de traverser un enfer dantesque[41] qui suit assidûment la succession des cercles et des peines, tout en les rendant plus convenables pour un public jeune. Sans être une fin en soi comme chez Marcello, le détournement comique du texte est conditionné par la lecture édifiante de L’enfer promue par Guido Martina et Angelo Bioletto, et résulte de l’apparition de nouvelles catégories de damnés, que la proximité avec les âmes pécheresses de l’original rend particulièrement saisissantes. Cette configuration est adoptée également par Giulio Chierchini et Massimo Marchini dans L’Inferno di Paperino[42], bien que l’adaptation soit plus libre et globalement de qualité inférieure.
Les romans graphiques sur la vie de Dante édités chez Kleiner Flug se conforment à cette nécessité de renvoyer aux éléments structurant la biographie du poète, selon le récit canonique établi par Boccace dans son Trattatello in laude di Dante. Les trois volumes publiés en 2021 – Primo de li miei amici, Le famose genti et La selva oscura[43] – correspondent à trois périodes fondamentales de la vie de Dante : l’amitié tendue avec le poète Guido Cavalcanti pendant les années où le jeune poète de l’amour s’adonne à l’écriture lyrique; la période précédant l’exil, marquée par l’engagement politique de Dante auprès de la faction des Guelfes blancs; l’exil douloureux et les tourments intellectuels qui annoncent l’écriture du poème. Cette périodisation répond à une injonction éminemment scolaire (respectée aussi bien sur les bancs de l’école par les enseignants du secondaire et du supérieur que par la pratique savante de la Lectura Dantis académique), qui vise à ordonner les données biographiques du poète en fonction de l’interprétation du poème et des souvenirs de son propre passé savamment sélectionnés par l’auteur de La divine comédie. Ceux‑ci inspirent à Dante ces trois constructions fictionnelles – la mort de Béatrice, la selva oscura (forêt sombre) et la traversée de l’au‑delà pour rejoindre sa bien‑aimée dans le paradis terrestre –, auxquelles les romans graphiques font allusion[44].
Alessio D’Uva, Filippo Rossi et Astrid Lucchesi, Amor mi mosse, Florence, Kleiner Flug, 2014, planches 30 et 31 : la vision liée à la mort de Béatrice et Dante dans la forêt obscure.
De la lecture de ces quatre romans graphiques parus chez Kleiner Flug émerge un autre aspect fondateur de l’adaptation bédéique italienne de l’oeuvre de Dante : la présence imprescriptible du texte source. Dans une interview accordée par les auteurs du roman graphique Amor mi mosse à l’antenne de la Radio Popolare Roma[45], Alessio D’Uva et Filippo Rossi rappellent que l’idée de représenter les phases topiques de l’histoire d’amour entre Dante et Béatrice résulte d’un travail de recherche ayant duré un an et demi et qui les a poussés à lire tout le poème, ainsi que d’autres oeuvres de Dante, telles que La Vita Nuova et Il Convivio, pour ensuite se confronter aux études réalisées par des dantologues prestigieux, telle la biographie romanesque sur Dante Come donna innamorata, rédigée par Marco Santagata[46]. Il en va assurément de même pour les auteurs (entre autres D’Uva et Rossi) des trois autres romans graphiques publiés chez Kleiner Flug, lesquels n’auraient jamais vu le jour sans la fréquentation assidue de l’oeuvre de Dante et du Trattatello de Boccace. Il est intéressant de constater que les auteurs des adaptations bédéiques mettent en valeur l’idée que le travail accompli pour transposer en images le monde exceptionnel inventé par Dante ne peut se passer du support original, la poésie de Dante, et d’une connaissance relativement approfondie de la tradition savante des écrits sur Dante. Ainsi, pour chaque planche dédiée aux épisodes les plus importants d’un chant du poème, Marcello choisit un tercet particulièrement évocateur de la scène et le retranscrit dans l’en‑tête : de l’aveu du dessinateur[47], les premières bandes comiques ont été croquées sur les bancs du lycée, en guise de notes, pour mieux mémoriser les passages les plus ardus du commentaire de texte établi par sa professeure de lettres.
Ces vers célèbres appris à l’école sont repris un peu partout dans les bandes dessinées : ils sont cités très sérieusement par le professeur Montanari qui accompagne, malgré lui, le dampyr et ses amis à travers l’abîme de la damnation éternelle, pour prouver qu’il s’agit bel et bien de l’enfer de Dante[48]. Ils sont raillés par Marcello lorsqu’ils atteignent un niveau de subtilité extrême : la célèbre admonestation adressée par Virgile à Caron afin que ce dernier les laisse monter sur son bateau et traverser les eaux livides de l’Achéron – « vuolsi così colà dove si puote / ciò che si vuole, e più non dimandare[49] » – finit régulièrement par se retourner contre le pauvre Virgile qui en abuse, tout en n’étant jamais compris par son interlocuteur[50]. La poésie de Dante atteint sa consécration la plus spectaculaire lorsque les auteurs de la bande dessinée lui rendent hommage par des tentatives de réécriture parfois très réussies. C’est le cas notamment des hendécasyllabes en terza rima rédigés par Guido Martina : ces vers, placés en guise de didascalie pour chaque case, accompagnent l’évolution de la bande dessinée, complètent le sens des dialogues entre les personnages et inscrivent les séquences dessinées dans une cohérence narrative globale. Sans oublier qu’ils témoignent d’une qualité de style remarquable et d’une beauté inégalée encore de nos jours. Voici un exemple tiré de la planche représentant Topolino égaré dans la forêt obscure :
Come nel primo canto v’ebbi a dire,
In una selva oscura mi ritrovai
Che nel pensier mi fa rabbrividire.
Quivi sospiri, pianti ed alti guai.
Parole d’ira e suon di man con quelle
Sì che pareva d’essere in tranvai…
Nel quale il passegger vede le stelle
Imperocché viene compresso al punto
Che dalle fauci gli escon le budelle[51]!
On note que les formules typiques et même certains hémistiches de Dante sont réagencés à l’intérieur du discours poétique pour entrer en tension avec les nouveautés pensées par Martina lui‑même en tant qu’émule du style de Dante. L’effet comique est garanti par ce retournement parodique très savant.
Bien que plus parcellaire et sans doute moins savoureuse, la même réécriture en vers est proposée par Giulio Chierchini pour certaines cases de son Inferno di Paperino. Elle est poussée encore plus loin par Marcello qui, dans son nouvel album Dante 2.0. Ritorno all’Inferno, accompagne les planches consacrées à cette énième descente infernale de Dante et de Virgile d’une série de 20 « chants » composés d’hendécasyllabes en terza rima qui décrivent les nouvelles scènes d’un enfer 2.0, mis à jour selon les tendances contemporaines. Les bédéistes italiens en viennent presque à souligner la primauté du texte sur l’image. La sortie de la cavité infernale et la fin du cauchemar dantesque ne seront possibles pour le dampyr et sa bande d’amis que lorsque les compagnons restés sur terre trouveront un grand expert de la langue de l’Alighieri qui pourra rédiger sur le manuscrit ensorcelé une version différente du final de L’enfer : « Subitamente inter potranno uscire / tornando in cima pur che giunti al fondo / color che furon qui senza morire[52]. » Le retour au texte implique l’abandon de l’image et la conclusion de la bande dessinée devient l’occasion de faire amende honorable pour ce geste impertinent et irrespectueux de la valeur incommensurable de l’original en vers. Ainsi, Guido Martina et Angelo Bioletto se représentent en « traditori massimi[53] » au centre de leur propre enfer et à la place de Lucifer, en train de se faire punir par Dante lui‑même qui ne tolère pas le traitement ignoble subi par son chef‑d’oeuvre. Seuls les petits lecteurs appelés à la rescousse, voltigeant sur des nuages et demandant qu’ils soient pardonnés, obtiennent que Dante relâche, pour cette fois seulement, les deux auteurs qui promettent de ne plus accomplir un tel méfait[54]. C’est en définitive un grand hommage que ces dessinateurs rendent aux vertus exquises d’une poésie, celle de Dante, qui, tout en s’adaptant aux époques et traversant les modes, reste d’actualité, puisqu’elle sait encore s’adresser aux lecteurs d’aujourd’hui dans sa version originale, ou modelée à bon escient et avec prudence.
L’Inferno di Topolino, dans Emanuela Fecchio (dir.), Paper Dante, Florence, Giunti Editore, 2021, p. 131‑132. Le « vrai » Dante châtie les grands traîtres Guido Martina et Angelo Bioletto pour avoir osé profaner son poème; mais une nuée d’enfants lecteurs de la bande dessinée parviennent à le faire changer d’avis. Le Sommo poeta libère enfin les deux traîtres en leur faisant promettre de ne plus recommencer.
Appliqué selon les deux principes de la synthèse et de l’actualisation de l’original théorisés par Linda Hutcheon[55], le renversement parodique pratiqué dans la bande dessinée impose à l’univers fictif de Dante d’être couramment confronté à la contemporanéité. En vertu de la finalité extralittéraire la plus marquante de L’enfer de Dante – la critique des moeurs de ses contemporains –, ces adaptations bédéiques en viennent à blâmer, fût‑ce d’une façon très débonnaire, les penchants et les vices de leurs lecteurs, en donnant aussi des indicateurs très fiables de l’horizon d’attente de leurs créateurs. Ce procédé est largement plus explicite dans les parodies Disney et dans les bandes humoristiques de Marcello, dont la structure est entièrement calquée – nous l’avons vu – sur le détournement parodique. Tandis que Topolino et Pippo traversent des cercles infernaux qui tourmentent des écoliers dissipés, des enseignants obsédés par leurs leçons, ou des adeptes forcenés de football[56], Paperino (Donald), accompagné par le poète Arkimedio (Géo Trouvetou), descend découvrir le triste sort qui incombe aux fonctionnaires faisant du zèle, aux pollueurs à quatre roues ou aux coupables d’incivilités urbaines[57]. Si le système des peines est presque identique à l’original, les damnés rencontrés par le Dante de Marcello se rapprochent vertigineusement de nous et de nos comportements les plus laids et les plus individualistes : on les voit en train de se bousculer devant le bateau de Caron comme s’ils devaient monter dans un tram, s’insulter pour mauvaise conduite ou pour un match de foot perdu, ou agresser leur prochain[58].
L’Inferno di Paperino, dans Emanuela Fecchio (dir.), Paper Dante, Florence, Giunti Editore, 2021, p. 164 et 173. Paperino et Arkimedio observent les châtiments que l’enfer réserve aux pollueurs et aux fanatiques de la voiture.
Ce processus d’actualisation semble plus marginal dans des bandes dessinées, comme Dampyr ou les quatre volets de la vie de Dante parus chez l’éditeur Kleiner Flug, qui se veulent très fidèles à la narration originale, traitée ici avec le sérieux nécessaire à une telle matière. Pourtant, si l’on prête attention aux explications données par le professeur Montanari sur la typologie des damnés rencontrés, leurs fautes sont mises au goût du jour et adaptées pour le lecteur contemporain : les luxurieux se voient réduits à des « accros » du sexe, les colériques ressemblent à des animaux enragés prêts à s’adonner à des actes de cannibalisme[59]. On ne saurait passer sous silence cette banalisation de péchés majeurs, tels que la luxure et la colère, dans l’architecture morale du poème et de la pensée de Dante. Enfin, les atermoiements amoureux du jeune poète qui tremble et tient à peine debout face à Béatrice croisée dans les rues de Florence, s’ils témoignent du trouble profond conté par l’auteur de La Vita Nuova, donnent aussi un aperçu de la timidité maladroite d’un Dante finalement proche de nous. Les auteurs ont ouvertement signifié leur volonté d’insister sur ces aspects très humains et communs du comportement de Dante, en allant partiellement à l’encontre de l’image stéréotypée d’un poète altier et austère[60].
Bien qu’ils relèvent d’intentions artistiques et de lignes éditoriales plutôt disparates, ces processus d’actualisation finissent tous par encenser, une fois de plus, les prérogatives éminemment littéraires de l’archétype. Qu’il s’agisse de renouer avec l’invective lancée contre les dérives de son temps, généralisée dans La divine comédie, de recouvrer ce goût pour le comique hyperréaliste typiquement médiéval, ou encore de saisir le vertige amoureux du jeune poète du dolce stil novo, les bandes dessinées confirment une fois de plus qu’elles dépendent du texte original, sans lequel elles n’auraient pas vu le jour, et ne pourraient être correctement lues et appréciées à leur juste valeur. En ce sens, ces quelques exemples corroborent en tout point les conclusions formulées par Thierry Groensteen dans son essai Parodies.La bande dessinée au second degré, lorsqu’il affirme que « la parodie préserve autant qu’elle détruit[61] ».
Les « bédés sur Dante » : une culture participative
L’approche analytique issue des théories sur la parodie s’avère moins convaincante lorsqu’il s’agit de s’intéresser aux nombreuses transpositions de L’enfer parues dans plusieurs pays occidentaux et ayant intégré le marché de la bande dessinée francophone. Comme Linda Hutcheon le rappelle, l’effet parodique d’un dérivé est proportionnel à la readership de l’oeuvre originale[62]. Celle‑ci est maintenue à un niveau acceptable – et parfois moyennement élevé – en Italie, où l’imaginaire de Dante, bien que véhiculé par plusieurs médias, reste traditionnellement ancré aux vers du poète, auxquels des expressions proverbiales et antonomastiques toujours courantes en italien garantissent une permanence stable dans l’opinion commune. Bien différente apparaît la situation au‑delà des frontières italiennes, là où, pourtant, Dante est un nom connu de tous, mais non legitur. Dans ces contrées, la poésie de L’enfer, seule oeuvre pour laquelle la paternité de Dante ne fait pas de doute, se limite à la pâle émergence du vers d’ouverture du premier chant (Inferno i, 1 : « Nel mezzo del cammin di nostra vita[63] »), ou plutôt à la terrible apostrophe gravée sur le fronton de la porte infernale (Inferno iii, 9 : « Lasciate ogne speranza voi ch’intrate[64] »). On peut donc s’étonner que dans des pays comme la France, l’Allemagne, les Pays‑Bas, le Japon et les États‑Unis, où la pratique de la poésie de Dante est un événement plutôt rare, essentiellement relégué à la sphère universitaire et de ce fait totalement absent des programmes scolaires, les transpositions en bandes dessinées de la première partie de La divine comédie soient aussi nombreuses et reconnues, puisque certaines d’entre elles ont remporté des prix importants à l’étranger (Inferno de Marcel Ruijters et L’accident de chasse de David L. Carlson et Landis Blair). Et peut‑être serions‑nous encore plus surpris de constater que l’une d’elles – En enfer avec Dante de Michael Meier – tente une aventure parodique fort semblable à celle que mettent en scène Marcello ou les dessinateurs Disney.
Dans ces adaptations, les procédés de renversement comique proposés avec une certaine régularité et répétitivité par les reprises italiennes (le gag qui contredit le sens d’un tercet, la caricature du style de Dante) deviennent extrêmement rares ou sont complétement absents. Seuls les deux vers à peine évoqués, parce qu’ils bénéficient d’une renommée mondiale, sont régulièrement cités en ouverture[65], moins pour le besoin de raccorder l’oeuvre au texte source censé la nourrir que pour apposer une marque de fabrique. Ils sont là pour signaler que, dans les planches qui suivront, il sera assurément question d’un univers « dantesque », terrifiant et lugubre à souhait, ou annonçant les dérives obscènes de nos sociétés postmodernes. Il ne s’agit donc plus – guère – de réactiver quelque conscience d’une textualité primitive par friction parodique entre l’original et le produit dérivé. Ce qui entre en ligne de compte, ce n’est pas ce qu’« est » Dante (sa vie, sa poésie, ses oeuvres), mais ce qui est perçu « comme étant » dantesque (une certaine idée de l’enfer, un espace eschatologique ou une dystopie contemporaine). Le chercheur est donc invité à délaisser sa quête sur la persistance et les oublis du détournement parodique, pour orienter son analyse vers les solutions esthétiques et les choix graphiques adoptés par les transpositions bédéiques, en mesure de lui faire tisser des correspondances avec d’autres médias visuels dépositaires de l’imaginaire de Dante (in primiis, enluminures, peintures, gravures, films, conceptions virtuelles). Ou, pour le dire autrement, à s’ouvrir aux approches transmédiales.
Dans ce domaine majeur et instable que sont les études sur la transmédialité a pesé – et parfois pèse encore – une incertitude terminologique quant au préfixe à adopter : tantôt les préfixes inter, cross, multi, trans sont aplatis et finissent par s’équivaloir, tantôt les effets de mode accordent leur préférence au préfixe trans par rapport à inter, plus daté. Surtout, l’évolution continue et extrêmement rapide des objets d’étude tend à déjouer les tentatives de catégorisation théorique. Ainsi, les efforts de clarification conceptuelle déployés par Irina Rajewsky dans son magistral Intermedialität[66], affinés dans les interventions suivantes[67], apparaissent doublement convaincants : pour la discipline en général et pour ce travail en l’occurrence. La spécialiste en études romanes à la Freie Universität de Berlin fait le point sur la stabilisation progressive des concepts d’intermédialité et de transmédialité dans les contextes allemand des années 1990 et européen des années 2000, selon une approche empruntée à la critique littéraire :
Putting it simple, I would distinguish between intermediality as relations between media (i.e., medial interactions, interplays or interferences) and transmediality as pointing to phenomena that appear across media. This is to say that transmedial phenomena (synchronously or diachronically) manifest themselves, or are observable, in a similar way in a variety of media. Thus, in a certain sense, we could also speak of « travelling phenomena »[68].
Les exemples donnés ensuite par la chercheuse – la métalepse, la mise en abyme ou encore la métaïsation – en tant que phénomènes transmédiaux récurrents dans plusieurs supports médiatiques montrent l’intérêt de lire les bandes dessinées sur L’enfer reçues par le marché éditorial francophone dans une perspective comparative qui tienne compte des variantes d’un même média (bandes dessinées sérielles, comic strips, romans graphiques), ainsi que des autres genres actifs dans la sphère du « Dante pop » (cinéma, séries télévisées, publicités, jeux vidéo, mèmes, etc.) En d’autres termes, la définition de transmédialité proposée par Rajewsky invite à penser le jeu parodique instauré par l’adaptation bédéique de La divine comédie au‑delà du modèle vertical ou mimétique emprunté à l’intertextualité française, pour privilégier les procédés diégétiques et les phénomènes rhétoriques qui émergent dans les transpositions contemporaines du monde fictif de Dante, lesquelles n’impliquent pas (ou très peu) de référence intermédiale à l’oeuvre source[69]. Rajewsky[70] fait allusion, à titre d’exemple, à certains motifs bibliques présents dans les médias visuels (peinture, sculpture, cinéma, etc.) et profondément révisés par eux, qui sont devenus partie intégrante du bagage culturel occidental, mais dont et le créateur et le public seraient incapables d’identifier la source précise, la Bible, en tant qu’oeuvre littéraire et texte religieux.
Il suffit de survoler ces bandes dessinées pour s’apercevoir qu’elles sont traversées par des choix esthétiques ou des tendances thématiques que l’on ne saurait attribuer directement à l’influence du texte original. Le traitement subi par le protagoniste est exemplaire de la prédilection transmédiale pour la caricature. Cela concerne la silhouette de Dante – le nez aquilin, les traits épais et le visage carré – aussi bien dans le manga de Gō Nagai, censé restituer le « vrai » voyage du poète florentin en enfer, que dans la très singulière descente infernale créée par Marcel Ruijters et sa version féminisée et moyenâgeuse de Danta, la religieuse efflanquée. Une même tendance au trait caricatural se perçoit dans l’attitude du héros, tantôt excessivement sévère et grave (impression qui se dégage du manga La divine comédie), tantôt maladroite et gênée (on ne compte pas les moments où le Dante très autobiographique, y compris dans le rendu graphique, de Michael Meier se voit bousculé, blessé, brûlé ou renversé[71], tandis que la Danta de Ruijters se retrouve dans des situations qui la ridiculisent[72]). Un autre thème transversal concerne le lien d’amitié entre Dante et son guide Virgile, intensifié dans la plupart des bandes dessinées, ici à des fins comiques, comme le duo burlesque composé de Dante et du chacal au pelage rouge Virgile dans En enfer avec Dante, là grotesques (le couple formé par Danta et le squelette de Virgilia dans Inferno de Marcel Ruijters). Ce lien d’amitié peut aussi prendre des accents très dramatiques, comme dans la relation instaurée par le très sévère Virgile de Gō Nagai, dont le ton péremptoire arrive à arracher des larmes à Dante[73]. Finalement, cette relation peut s’avérer très intime, comme celle qui se développe entre l’écrivain aveugle Matt Rizzo – le Dante de L’accident de chasse –, reclus durant plusieurs années dans la redoutable prison de Stateville en Illinois au milieu des années 1930, et son mentor virgilien Nathan Leopold, lui aussi prisonnier, qui lui conseille la lecture de L’enfer de Dante pour sortir de l’état de détresse dans lequel il est plongé[74]. On note également une accentuation générale des tourments infernaux, dans un crescendo qui va des terribles punitions infligées aux damnées (puisque tous les personnages sont genrés au féminin dans l’Inferno de Marcel Ruijters[75]), à l’exacerbation de tous les châtiments inventés par Dante dans le manga de Gō Nagai[76], pour arriver aux supplices imaginés par Aristophane dans son Conte démoniaque, lesquels dépassent – et de loin – tous les autres[77]. Dans ce roman graphique au clair‑obscur exigeant, Aristophane a créé un monde halluciné, d’une cruauté et d’une barbarie que seules des fantasmagories tératomorphes à la lisière entre le rêve et la folie peuvent refléter[78].
David L. Carson et Landis Blair, L’accident de chasse, Paris, Sonatine, 2020, p. 264‑265 : Nathan‑Virgile guide et accompagne Matt‑Dante dans la lecture des derniers chants de L’enfer.
Nous rencontrons également des traces narratives dont la filiation avec l’oeuvre poétique de Dante semble fragile, voire négligeable. Si la critique de la société consumériste abordée avec ironie (dans En enfer avec Dante) ou humour noir (dans L’enfer de Jimbo) peut rappeler la vive réprobation exprimée par le poète de L’enfer à l’endroit de « la gente nova e i subìti guadagni[79] », la mise en cause radicale et virulente du modèle capitaliste et des effets pervers de l’économie ultralibérale apparaît comme un thème inédit et généralisé dans plusieurs adaptations bédéiques. D’étranges figures emblématiques d’une société vouée au culte du profit surgissent un peu partout : un assureur multirisque, un conseiller financier et… Silvio Berlusconi dans En enfer avec Dante[80], des larves humaines lobotomisées par les enseignes publicitaires des centres commerciaux dans L’enfer de Jimbo[81]. Les ravages irréversibles de l’économie de marché sont représentés à de nombreuses reprises par des dépôts illégaux de déchets nucléaires à ciel ouvert dans En enfer avec Dante[82], par la destruction de l’environnement et le dérèglement climatique dans Inferno[83], par la marginalisation et la détresse de groupes sociaux poussés à la criminalité et à l’addiction à la drogue dans L’enfer de Jimbo[84]Pour deux bandes dessinées – En enfer avec Dante[85] et Conte démoniaque[86] –, l’explosion finale qui anéantit la cavité infernale apparaît comme un présage des sombres temps à venir. Un autre motif – totalement absent du poème de Dante – que ces transpositions bédéiques partagent avec beaucoup d’autres médias de l’univers « Dante pop » (spots publicitaires et jeux vidéo notamment) est l’érotisation substantielle de Béatrice. Comme l’exige la cible éditoriale des mangas shōnen (adolescents de genre masculin), Gō Nagai fait régulièrement surgir l’image de Béatrice dans les pensées de Dante, de façon à ce que cette femme nue, aux formes voluptueuses et aux courbes sensuelles, parvienne à motiver son amant dans les moments les plus difficiles de sa descente infernale[87]. Dans Jimbo au purgatoire, la femme bien‑aimée de Dante se révèle enfin à lui (Jimbo) au paradis terrestre, dans un accoutrement leatherpunk en phase avec l’esthétique de Gary Panter : deux lacets en cuir noir, cousus sur un t‑shirt moulant et transparent, descendent de son cou pour couvrir les tétons à l’aide des clous en acier, puis forment un noeud sur son ventre. Béatrice n’est ensuite recouverte que d’un string et d’une paire de cuissardes en cuir moulantes[88]. Évoquons aussi la tendance à l’anachronisme, très en vogue dans le « Dante pop » : au début du manga La divine comédie, l’allusion à la ville de Florence, qui jouxte la forêt obscure, se fait à travers le cliché usuel de la carte postale du centre historique surmonté du dôme de Brunelleschi[89].
La perspective horizontale prônée par l’approche transmédiale a ceci d’utile qu’elle aide à comprendre comment l’univers « pop » de Dante absorbé par l’industrie de la culture relève d’une longue tradition d’adhésion à l’imaginaire dantesque de la part des traditions culturelles les plus disparates qui ont oeuvré à l’adapter et parfois à le transformer en profondeur (réception dynamique théorisée par Holland évoquée plus haut). Ces étapes marquent les déplacements, les glissements et les adaptations des savoirs, de même qu’elles signalent la superposition d’objets et de pratiques culturelles (partiellement) étrangers au support d’origine. Penser la transmédialité à travers la réflexion théorique menée dans les études postcoloniales permet de faire de l’hybridité un concept opérationnel destiné à couvrir tous les médias et processus actifs dans le transfert progressif du capital culturel d’un contexte original à un contexte final, forcément transitoire. Cette approche est défendue, entre autres, par Alfonso De Toro, qui définit la transmédialité en ces termes :
un « processus ou une stratégie anti‑mimétique » dans le sens d’une relation hybride et intensivement chargée (soit homogène, soit hautement fricative, soit tendue) entre différents médias opérant de façon autonome (internet, vidéo, film, différentes formes de communication, villes et mondes virtuels, techniques analogues et digitales, etc.), entre des esthétiques différentes (telles que le Surréalisme, le Dadaïsme, l’Expressionisme, etc.), mais aussi entre des médias mélangés (tels que littérature/internet, théâtre/vidéo/films/installations, etc.), des produits différents, des préférences culturelles, des formes artistiques (peinture, conception virtuelle), ou enfin en architecture[90].
Dans notre cas, cela incite à partir à la recherche des points de transition esthétique circulant dans les médias visuels du « Dante pop », érigés au statut de rappels incontestables du mythe transnational de Dante. Les adaptations bédéiques de La divine comédie parues hors d’Italie doivent beaucoup à la réception de l’imaginaire infernal par les arts figuratifs européens, notamment la Renaissance italienne (Bartolomeo di Fruosino et Lorenzo Vecchietta pour Marcel Ruijters et son Inferno[91], Sandro Botticelli et son portrait de Dante pour Michael Meier et son En enfer avec Dante[92]) et les peintures française (Eugène Delacroix, William Bouguereau, Ary Scheffer[93]) et anglaise (William Blake[94] et Henry Holiday[95]) du xixe siècle. Une mention spéciale doit être réservée aux extraordinaires gravures de Gustave Doré, qui, selon les termes de Théophile Gautier, « a inventé le climat de l’enfer[96] »; dans son programme iconographique, les personnages infernaux, mis en valeur par la profondeur d’une hachure en clair‑obscur très efficace, se détachent d’effrayants rochers ou d’une mer de glace funèbre, émergent de ruines, de gouffres et d’éruptions volcaniques, et transmettent au lecteur une vision particulière de l’esprit de Dante, magnifiée par la rêverie d’un paysage romantique qui n’échappe pas à la plupart de nos bédéistes (Gō Nagai, Landis Blair, Michael Meier et, dans une certaine mesure, Aristophane et Gary Panter[97]).
L’ensemble des processus sociaux, culturels, médiatiques, anthropologiques et historiques en acte lors d’un transfert culturel de longue haleine comme le « Dante pop » est couvert par le concept de translatio[98], qui permet à De Toro de mettre l’accent sur la manière dont la refonctionnalisation des savoirs affecte (et homogénéise) les supports médiatiques qui véhiculent ces connaissances. Avec le terme translatio, les aspects épistémologiques de la transformation et de la transculturation sont pensés en fonction du contenu et de la structure du nouvel objet, ainsi que des modes de diffusion, en vertu des conditions de report temporel, spatial et culturel qui investissent l’oeuvre source, distancée et même oubliée.
En adaptant la première partie de La divine comédie, les romans graphiques mentionnés ci‑dessus témoignent de la manière dont la descente infernale de Dante est un « prétexte » narratif sur lequel s’étendent les références propres aux conditions contemporaines de fabrication et de consommation d’une offre culturelle de plus en plus standardisée à l’échelle mondiale. L’enfer de Dante devient une idée, une suggestion pour représenter la condition humaine, découragée – nous l’avons vu – par les dérives du consumérisme et par la destruction progressive de la planète, opprimée par l’industrie du divertissement 2.0[99] et jamais réhabilitée par une classe politique dégradée et soumise à la logique capitaliste. Ces transpositions sont facilitées par l’augmentation (ou remédiation) du motif diégétique original : la traversée de l’au‑delà se déroulant selon un scénario aventureux. Les correspondances transmédiales entre genres d’aventure (films d’action, séries télévisées policières, sagas fantastiques, jeux vidéo) privent le voyage dans l’outre‑monde de la dimension transcendantale et nécessaire voulue par le Dante chrétien, et renforcent son caractère périlleux et téméraire. Il n’est pas étonnant que les protagonistes d’En enfer avec Dante, d’Inferno, du manga La divine comédie et, dans une moindre mesure, de L’accident de chasse, encourent régulièrement les mêmes supplices que ceux infligés aux damnés, risquent d’y laisser leur vie, doivent s’évader à toute vitesse d’une situation hautement dangereuse; tous contreviennent finalement à la règle stricte appliquée dans la descente infernale du Dante original qui, lui, est systématiquement épargné par les punitions réservées aux âmes pécheresses. Comme dans un jeu vidéo à plusieurs niveaux, un film d’aventures à obstacles ou un roman fantastique ponctué de rites initiatiques, le Dante de ces bandes dessinées est comparé à un héros aux prises avec un univers risqué et extrême qu’il affronte avec les vaillantes qualités célébrées par l’industrie culturelle contemporaine (ruse, humour, loquacité, sensibilité, maladresse, attirance sexuelle[100]). Lorsque le Dante de Michael Meier, devant la porte de l’enfer, confie à Virgile ses doutes quant à l’exploit ardu qu’il devra réaliser et que seules de grandes figures de l’antiquité mythique ou chrétienne, tels Énée et Saint‑Paul, pourraient accomplir (une allusion aux doutes exprimés par Dante dans le deuxième chant de L’enfer), ces illustres prédécesseurs sont évoqués en compagnie d’un Bruce Willis[101], bien plus évocateur pour le lecteur millenial.
Quelques conclusions
Les adaptations en bandes dessinées de L’enfer de Dante et des quelques épisodes les plus légendaires de la vie, réelle ou fictive, du poète (l’amour pour Béatrice, l’engagement politique avec les Guelfes blancs à Florence, l’exil, la forêt obscure) témoignent de l’extrême vitalité de son mythe aujourd’hui et, dans un certain sens, de la permanence, aussi relative et compromissoire soit‑elle, de la spécificité culturelle de ce qui était déjà perçu comme « dantesque » par les contemporains de l’Alighieri. Les châtiments spectaculaires et horrifiants infligés aux âmes damnées par des monstres et des diables effroyables, la posture superbe et grave du poète qui pense la vie après la mort, la quête dans l’au‑delà de la femme bien‑aimée qu’il refuse de perdre à jamais : telles sont les premières « images » populaires de Dante diffusées par la riche tradition figurative et par les anecdotes relatées par l’infatigable Boccace, le premier divulgateur de l’histoire de Dante dans les rues de Florence[102]. « Dante era un autore fondamentalmente popolare, e dovrebbe tornare a essere un autore popolare[103] », dit Gianfranco Contini. Aujourd’hui, plus que tout autre média visuel, la bande dessinée et le roman graphique répondent à l’exhortation de Contini de construire un pont entre le passé et le présent de la fortune populaire de La divine comédie.
Nous avons relevé, néanmoins, des différences substantielles entre les adaptations bédéiques publiées en Italie et celles parues dans d’autres pays et diffusées sur le marché éditorial français. En Italie, où la continuité de l’imaginaire dantesque est garantie essentiellement par la fascination et l’autorité inspirées par le texte, les bandes dessinées semblent contraintes d’établir un inventaire aussi étoffé que possible de renvois directs ou implicites à la poésie de Dante. Que cela prenne la forme d’une citation paratextuelle qui encadre les planches, comme dans Dante. La Divina Commedia a fumetti de Marcello, ou qui émaille les dialogues des personnages comme dans La porta dell’Inferno de Moreno Burattini et Fabrizio Longo et dans les quatre volumes consacrés à la vie de Dante parus chez Kleiner Flug, les dessinateurs s’inspirent des vers de Dante, même s’ils les remanient en simulant le style et la prosodie du grand poème, comme dans les parodies Disney L’inferno di Topolino et L’Inferno di Paperino ou dans le nouveau Dante 2.0. Ritorno all’Inferno, toujours de Marcello. Transposer l’univers de Dante en bande dessinée oblige à revenir régulièrement au texte source, seul dépositaire du contenu que l’on parodie plus ou moins sérieusement, plus ou moins fidèlement. Il s’agit, comme l’a relevé Stefano Jossa, d’une « operazione ipercolta[104] » à l’image de la boutade d’ouverture de la parodie L’Inferno di Topolino. Sur scène, Topolino(Mickey)‑Dante conclut la récitation de la première partie du poème avec le célèbre vers final : « E quindi uscimmo a riveder le stelle[105]. » La réplique de Pippo(Dingo)‑Virgile ne se fait pas attendre : « Arma virumque cano », et il glose : « È un’ingiustizia! Tu canti le stelle e io devo cantare i cani[106]! » L’ironie peut être perçue seulement par le lecteur qui reconnaît, dans le vers cité par Pippo‑Virgile, le premier vers de L’Énéide, poème virgilien s’il en est, et qui a une assez bonne pratique du latin pour relier l’assonance entre cano (la première personne de l’indicatif de « chanter » en latin) et les chiens (i cani) en italien, avec la niaiserie et la maladresse associées au personnage de Dingo. Cela montre clairement quel est l’horizon d’attente de ces publications, toutes adressées de façon prioritaire à un public de jeunes écoliers ou collégiens italiens, qui pratiquent quotidiennement La divine comédie sur les bancs de l’école et qui savent repérer facilement les nombreuses traces du texte original dont elles sont tributaires. Si nous laissons (un peu) de côté La porta dell’Inferno, nous accédons également à la raison d’être de ces bandes dessinées, publiées par des éditeurs mainstream pour la classe moyenne ou ouvertement didactiques comme pour la maison d’édition Kleiner Flug. De ces planches émerge l’invitation débonnaire à se divertir avec Dante, pour réviser ou apprendre autrement les contenus pédagogiques transmis à l’école. Enfin, nous ne sommes plus étonnés de constater que les chercheurs, ayant abordé dans leurs travaux ces adaptations bédéiques italiennes, ont essentiellement appliqué des outils analytiques empruntés aux théories sur la parodie dans la relation intertextuelle. Nous ne sommes pas non plus surpris de découvrir qu’ils sont tous, pour l’essentiel, des dantologues ou des spécialistes du Moyen Âge littéraire.
Il n’en va pas de même hors des frontières italiennes, où les adaptations bédéiques de L’enfer, au demeurant très nombreuses, ne répondent pas (ou très peu) aux règles formelles du détournement parodique d’inspiration structuraliste, ni ne relèvent des injonctions du marché éditorial italien. La reconfiguration d’une tradition savante dans un tissu de relations mondialisées, telle que l’industrie culturelle de l’entertainment contemporain l’a mise en place, implique une série de processus dialogiques et de glissements conceptuels entre une matrice culturelle et ses affiliations ultérieures. Des processus qui, contaminant toujours l’original, se répercutent dans les modes de production, de réception et de perception des produits dérivés, structurellement disjoints du modèle perdu. La stratégie antimimétique adoptée par des bandes dessinées pour qui le poème de Dante ne peut qu’être un prétexte pour s’approprier aussi librement que possible une vague sensibilité « dantesque », les fait converger dans une même vision d’un enfer dystopique, réceptacle de nos plus grandes craintes quant au délabrement accéléré des sociétés contemporaines fondées sur un consumérisme prédateur des ressources naturelles et dévastateur des idéaux humanistes. L’abîme infernal devient tantôt un énorme centre commercial labyrinthique où se déversent tous les produits issus de l’exploitation humaine et environnementale (L’enfer de Jimbo), tantôt une vaste région menacée par la montée des eaux et la sécheresse généralisée (Inferno), tantôt une vaste banlieue postindustrielle et postapocalyptique où surgissent ici et là des dépôts de scories nucléaires ou des tas de ferraille (En enfer avec Dante). S’il sert ainsi de décharge à toutes les dérives du système capitaliste (soulignées aussi par le manga La divine comédie), il peut également amplifier les tendances d’expansion territoriale et hégémonique des puissances (néo)coloniales par la mise en scène de conflits entre bandes de démons pour asseoir leur domination sur les autres (Conte démoniaque). Pour les uns comme pour les autres, l’anéantissement final de l’enfer – un sérieux avertissement lancé aux lecteurs adultes? – prouve les implications extralittéraires d’une pensée contemporaine de l’enfer « dantesque », en passe de devenir un topos engagé dans une transformation potentielle du monde.
Ces projections, certes peu réjouissantes, mais tout de même très expressives et parfois savoureuses, confirment une fois de plus la nécessité de délaisser l’étude du lien entretenu par ces bandes dessinées avec l’oeuvre source, afin d’explorer les phénomènes de friction transmédiale qui jaillissent de leurs planches. Le concept de translatio présuppose l’existence d’un « désordre » productif dans la transculturation, qui rend obsolètes les notions d’influence ou d’étude des sources, et déplace l’attention du critique (et notamment du critique dantologue) vers la réinvention du matériel culturel dans le contexte cible : réinvention qui engage l’ensemble des substitutions esthétiques, des variantes diégétiques et des développements indépendants impliqués dans la déterritorialisation d’une grande partie de la culture classique canonisée par les institutions. L’esprit dantesque, tel qu’il est perçu aujourd’hui dans un contexte globalisé, n’est (presque) plus mû par la persistance improbable de la poésie de Dante dans la culture populaire, mais exprime le résultat d’une succession d’adaptations d’un imaginaire que les arts figuratifs, dominés par le succès fulgurant et planétaire des gravures de Gustave Doré, ont contribué à réactiver et à véhiculer, tout en amplifiant l’instabilité virtuelle et la versatilité de la logique narrative très ferme de l’original. Le motif aventureux et les automatismes du héros, selon les déclinaisons standardisées par l’industrie culturelle, sont très éloignés de la conception chrétienne du voyage dans l’au‑delà qui sous‑tend la mission de Dante, autrement valeureuse et surtout exempte de toute mise en danger physique de sa personne; pourtant, nous les retrouvons dans toutes les adaptations bédéiques produites hors d’Italie : les dangers encourus par les protagonistes d’Inferno, En enfer avec Dante, L’enfer de Jimbo et le Dante version manga de Gō Nagai sont au moins aussi nombreux que les châtiments infligés aux âmes damnées contre lesquels il n’est pas toujours aisé de se protéger. Mais d’autres pièges et craintes se cachent dans les méandres de l’abîme infernal : le reflet d’une condition mentale, ou une catharsis d’un esprit en peine qui peut être compromise à tout moment, comme le signifient les planches très touchantes de Landis Blair dans L’accident de chasse, représentant un Matt Rizzo‑Dante aux prises avec la fragilité de son état psychologique, qui voit l’occasion de riveder le stelle s’éloigner et menace de revenir en arrière et d’en finir une fois pour toutes avec cet autre enfer que peut être la vie.
Ces compromis transculturels garantissent la perpétuation de l’imaginaire de Dante dans un contexte globalisé, où il parvient à s’imposer à un public habitué à une forte homogénéité des produits culturels (esthétiques, temps de réalisation, coûts). Cela explique la porosité du marché éditorial italien à certaines de ces bandes dessinées et mangas de Dante (c’est le cas, notamment, du manga de Gō Nagai[107], mais d’autres parutions en traduction sont à prévoir), et l’impossibilité structurelle de l’inverse, c’est‑à‑dire de lancer dans l’édition internationale les parodies de Disney, les romans graphiques sur la vie de Dante publiés par Kleiner Flug et les albums de bandes dessinées de Marcello, dans lesquels les processus de translatio sont très confidentiels.
Mélangeant le sérieux et le burlesque, le sublime et le trivial, la philologie et la vulgarisation, le savoir sur Dante est impliqué dans un mouvement circulaire qui le redéfinit continuellement, non plus à travers la revendication de l’autonomie littéraire et la séparation des genres, mais par les relations transmédiales qui affleurent dans les adaptations bédéiques, témoins de nouvelles voies thématiques et stylistiques transversales à l’esprit « dantesque » du xxie siècle. Ces albums définissent des pratiques d’élaboration de la culture dans une perspective de masse permettant de réinterpréter à la fois la tradition et la contemporanéité. Ils nous invitent, d’une part, à lire les phénomènes transmédiaux sous le signe d’une esthétique de la transmission par laquelle une oeuvre classique reste vivante dans le processus conflictuel qui la conduit à travers l’histoire. Et, d’autre part, à accepter que Dante soit peut‑être plus présent lorsqu’il semble absent, puisque l’acte parodique, quelles que soient sa nature et son intention, finit par préserver précisément ce qu’il avait entrepris de détruire.
Appendices
Note biographique
Alessandro Benucci est maître de conférences en littérature médiévale à l’Université Paris Nanterre. Ses recherches s’inscrivent dans les Dante’s studies : orthodoxie et hétérodoxie de La divine comédie, refonctionnalisation de l’imaginaire chrétien dans les trois parties du poème, théories linguistiques du De vulgari eloquentia. S’occupant d’intertextualité médiévale, de réception des textes classiques au Moyen Âge, des influences réciproques entre art figuratif et littérature, il s’intéresse également aux adaptations contemporaines de l’oeuvre de Dante (parodies et transpositions en bandes dessinées et romans graphiques, franchises transmédiales, mèmes, jeux vidéo, etc.). Il a publié Poétique de la lumière dans l’Enfer et le Purgatoire de Dante (Limoges, Lambert-Lucas, 2017), et a rédigé l’introduction scientifique du catalogue de l’exposition Drawing Dante (Institut italien de culture de Paris, juin-juillet 2021), consacrée à l’imaginaire de La divine comédie revisité par la bande dessinée.
Notes
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[1]
Vladimir Jankélévitch, La musique et l’ineffable, Paris, Seuil, 1983, p. 92-93.
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[2]
Vladimir Jankélévitch, La musique et l’ineffable, Paris, Seuil, 1983, p. x, 95. Sur la question, voir Claudio Ciociola, « Visibile parlare ». Agenda, Cassino, Università degli Studi, 1992.
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[3]
Gianfranco Contini, « Un nodo della cultura medievale: la serie Roman de la Rose – Fiore – Divina Commedia », dans Un’idea di Dante. Saggi danteschi, Turin, Einaudi, 2001 [1970], p. 245-283 : « la Commedia est un livre illustrable, c’est-à-dire un livre autorisé par l’auteur à être illustré, car elle contient des passages importants dans lesquels nous sommes invités à une représentation visuelle » (nous traduisons).
-
[4]
Charles Southward Singleton, La poesia della Divina Commedia, traduction de Gaetano Prampolini, Bologne, Il Mulino, 1978, p. 556 : « le poème tout entier, du début à la fin, est émaillé d’“illustrations” qui témoignent partout d’une qualité de vision qui est une partie non négligeable, voire fondamentale, organique et intimement fonctionnelle, de l’enchantement irrésistible qu’il exerce sur nous » (nous traduisons).
-
[5]
Emilio Pasquini, Il viaggio di Dante. Storia illustrata della Commedia, Rome, Carocci, 2021 [2015], p. 10 : « à un public qui n’a pas encore le courage d’aborder directement et intégralement les volutes difficiles et complexes du texte de Dante » (nous traduisons).
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[6]
Emilio Pasquini, Il viaggio di Dante. Storia illustrata della Commedia, Rome, Carocci, 2021 [2015], p. 10.
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[7]
Des 100 dessins commandés par Lorenzo di Pierfrancesco de Médicis à Sandro Botticelli pour un manuscrit enluminé de La divine comédie entre 1480 et 1495, seules 92 planches nous sont parvenues et sont conservées par le Kupferstichkabinett de Berlin (85) et par la Bibliothèque apostolique vaticane (huit, dont la très célèbre Voragine infernale, la seule entièrement achevée). De 1824 à 1827, le poète romantique anglais William Blake produit 102 aquarelles pour une édition illustrée du poème qui ne verra pas le jour à cause de la mort du poète. Dans les années 1850 paraît chez l’éditeur londonien Bell & Daldy une édition du poème accompagnée des gravures de John Flaxman (Dante Alighieri, The Divine Comedy, traduit en anglais par I.C. Wright; illustré de gravures sur acier, d’après les dessins de John Flaxman, Londres, Bell & Daldy, 1854). En 1861 et aux frais du jeune dessinateur, Hachette publie L’enfer de Dante accompagné par 76 gravures de Gustave Doré. Le succès immédiat de cette édition l’amènera par la suite à illustrer Le purgatoire (42 planches) et Le paradis (18 planches) dans une édition unique parue en 1868. L’oeuvre en trois volumes illustrée par l’autrichien Franz von Bayros sort en 1921 (Dante Alighieri, Die göttliche Komödie, traduit en allemand par Otto Gildemeister, édité par Karl Toth, illustré par Franz von Bayros, Zurich, Amalthea, 1921). Grâce à un long travail étalé sur 20 ans (1921-1941), l’artiste génois Amos Nattini participe à la monumentale édition illustrée de La divine comédie en trois volumes imprimée par les Officine dell’Istituto Nazionale Dantesco de Milan en 1931 (Inferno), 1936 (Purgatorio) et 1941 (Paradiso). Édy Legrand met son talent de dessinateur à disposition d’André Doderet et de son édition française de La divine comédie en quatre volumes (Dante et son époque, L’enfer, Le purgatoire, Le paradis) parue à l’Union latine d’éditions (Paris) en 1938. L’édition illustrée en trois volumes d’Alberto Martini paraît aux éditions Cenobio en 1949 (Dante Alighieri, La Divina commedia, Milan, Cenobio, 1949). Dans les années 1960, Salvador Dalí expose 100 aquarelles inspirées du voyage de Dante à travers les trois royaumes de l’au-delà, qui seront plus tard rassemblées dans La divine comédie en trois volumes aux Heures Claires en 1963. Le projet d’une Commedia illustrée, proposé par Arnoldo Mondadori à Renato Guttuso en 1957, voit finalement le jour en 1970 (Renato Guttuso, Il Dante di Guttuso, Milan, Mondadori, 1970). Tom Phillips, quant à lui, est l’auteur d’une version illustrée de L’enfer aux allures postmodernes (Dante Alighieri, The Divine Comedy of Dante Alighieri. Inferno. A Verse Translation by Tom Phillips with Images and Commentary, Londres, Talfond Press, 1983). Initialement parues aux éditions Nuages (Dante, La Divina Commedia, Milan, Edizioni Nuages, 1999), les illustrations pour L’enfer, Le purgatoire et Le paradis réalisées respectivement par Lorenzo Mattotti, Milton Glaser et Moebius ont récemment été rééditées (Dante, Inferno, Purgatorio, Paradiso (3 vol.), Milan, Classici BUR, 2020 [2014]). Miquel Barceló illustre pour les éditions catalanes Galaxia Gutenberg les trois tomes de la Divina Comedia. Infierno, Purgatorio, Paraíso (Barcelona, Galaxia Gutenberg, 2003). Gabriele Dell’Otto a illustré l’édition Mondadori de l’Inferno (2018), du Purgatorio (2020) et du Paradiso (2021), commentée par Franco Nembrini. Sur la question, voir Gennaro Ferrante et Ciro Perna, « L’illustrazione della Commedia », dans Luca Azzetta et Andrea Mazzucchi (dir.), Intorno a Dante. Ambienti culturali, fermenti politici, libri e lettori nel xiv secolo, Rome, Salerno, 2016, p. 307-341; Lucia Battaglia Ricci, Dante per immagini: dalle miniature trecentesche ai nostri giorni, Turin, Einaudi, 2018; Alberto Casadei, Dante. Storia avventuruosa della Divina Commedia dalla selva oscura alla realtà aumentata, Milan, Il Saggiatore, 2020, p. 169-180.
-
[8]
En dépit de la crise sanitaire, les célébrations pour le 700e anniversaire de la mort de Dante en 2021 ont favorisé, en Italie comme un peu partout dans le monde, de nombreux événements et manifestations portant sur la vitalité de l’iconosphère de Dante au xxie siècle. Particulièrement remarquable s’avère le projet Dante Plus: Mostra collettiva « Uno, nessuno e centomila volti » pensé par Marco Miccoli et parrainé par la ville de Ravenne de 2017 à 2021 (et accueilli aussi dans les Instituts italiens de culture de Lisbonne, Sofia et Los Angeles en 2021). Cent cinquante artistes ont réinterprété l’effigie de Dante à l’aide du traitement numérique (sérialité des images, chromatisme accentué, fragmentation des contours) : Marco Miccoli (dir.), Dante Plus: One, None and a Hundred and Fifty Portraits of Dante, Berlin, Vetro Editions, 2021. Sur la question, nous renvoyons également à l’introduction au catalogue de l'exposition Drawing Dante (Institut culturel italien de Paris, Marseille, Strasbourg et Hambourg, 2021) rédigée en italien, français, anglais et allemand par Alessandro Benucci, « Dante pop e il "visibile parlare" » (p. 10-13). Sur les expositions sur Dante organisées en Italie à l’occasion du 7e centenaire de la mort du poète, voir aussi : Alberto Sebastiani, « Cattivik e la Commedia », dans Stefano Lazzarin (dir.), Dante Trash. Sulla desacralizzazione della Commedia nella cultura contemporanea, Manziana, Vecchiarelli, 2021, p. 95-96.
-
[9]
Nous renvoyons à la notion de réception dynamique avancée par Norman Norwood Holland dans The Dynamics of Literary Response (New York, Oxford University Press, 1968). Dans le sillage d’une interprétation psychanalytique du fait littéraire, Holland affirme que la relecture contemporaine d’un classique de la littérature devient un laboratoire dans lequel, à côté des éléments originaux, se préfigure une écriture inédite d’un nouveau thème ou sujet.
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[10]
Alberto Casadei, « Il marchio Dante », Corriere fiorentino, 16 mai 2013, accessible sur le site http://illuminations-edu.blogspot.com/2013/05/il-marchio-dante.html (24 septembre 2022) : « un brand unique » (nous traduisons).
-
[11]
Le blogue est accessible depuis le lien suivant : https://research.bowdoin.edu/blog/italian/dante-today-citings-sightings-of-dantes-works-in-contemporary-culture/ (l4 octobre 2022). Quelques exemples issus des secteurs culturels évoqués : musique pop (le groupe britannique The Divine Comedy ou la chanson Dante’s prayer (1997) de la chanteuse-compositrice canadienne Loreena McKennitt) et rock (l’album A Divina Comédia (1970) du groupe rock psychédélique brésilien Os Mutantes); mistery thrillers (Il libro segreto di Dante de Francesco Fioretti et le bestsellerInferno de Dan Brown). Sur la question, nous renvoyons notamment à : Filippo Fonio, « La “marque Dante” et son évolution : de la vente de produits au management », Italianistica, vol. XLIX, no 2, mai-août 2020, p. 103-130; Stefano Lazzarin, « Da Dante pop a Dante trash », dans Stefano Lazzarin (dir.), Dante Trash. Sulla desacralizzazione della Commedia nella cultura contemporanea, Manziana, Vecchiarelli, 2021, p. 10-15; Giuseppe Sangirardi, « Dante classico, Dante al cioccolato », dans Stefano Lazzarin (dir.), Dante Trash. Sulla desacralizzazione della Commedia nella cultura contemporanea, Manziana, Vecchiarelli, 2021, p. 56-60.
-
[12]
Très suivies, les pages Facebook (https://www.facebook.com/significardantepermeme) et Instagram (https://www.instagram.com/significardantepermeme/?fbclid=IwAR3u1AIWmBJ12e_CtD51Z2F9paNELtg8hdJvyhktTiskG3VINoyIOvNoSF0) Significar Dante per meme proposent des mèmes où les vers les plus connus de La divine comédie sont réécrits pour commenter l’actualité politique et internationale et critiquer les coutumes contemporaines.
-
[13]
Francis Lacassin, Pour un neuvième art : la bande dessinée, Paris, Union générale d’éditions, 1971.
-
[14]
Pierre Fresnault-Deruelle, La bande dessinée, Paris, Armand Colin, 2009, p. 9. La critique francophone est très dynamique et il n’est pas possible d’en rendre compte ici de façon exhaustive. Nous nous limitons à citer les principaux travaux des chercheurs qui font autorité en la matière : Benoît Peeters (La bande dessinée, Paris, Flammarion, 1993; Lire la bande dessinée, Paris, Flammarion, 2003, outre de nombreuses études consacrées à Hergé), Thierry Groensteen (Système de la bande dessinée, Paris, Presses universitaires de France, 2011 [1999]; Parodies.La bande dessinée au second degré, Paris, Skira/Flammarion, 2010 et, coécrit avec Benoît Peeters, Töpffer, l’invention de la bande dessinée, Paris, Hermann, 1994), Pierre Fresnault-Deruelle (La bande dessinée, Paris, Armand Colin, 2009; Images à mi-mots : bandes dessinées, dessins d’humour, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2008), Jacques Dürrenmatt (Bande dessinée et littérature, Paris, Garnier, 2013; Style(s) de (la) bande dessinée, Paris, Classiques Garnier, 2019).
-
[15]
Anna Maria Cotugno et Trifone Gargano (dir.), Dante pop. Romanzi, parodie, brand, canzoni, Bari, Progedit, 2016, p. 1 : « dantisme créatif du troisième millénaire » (nous traduisons).
-
[16]
Stefano Lazzarin et Jérôme Dutel, « Dante oggi. Introduzione », dans Stefano Lazzarin et Jérôme Dutel (dir.), Dante pop. La Divina Commedia nella letteratura e nella cultura popolare contemporanea, Rome, Vecchiarelli, 2017, p. 9.
-
[17]
L’Inferno di Topolino, écrit par Guido Martina et illustré par Angelo Bioletto, a été initialement publié dans les numéros 7-12 de Topolino d’octobre 1949 à mars 1950, tandis que L’Inferno di Paperino de Giulio Chierchini et Massimo Marconi, est apparu dans le numéro 1654 de Topolino le 9 août 1987. Ces deux parodies ont fait l’objet d’autres réimpressions, dont la récente Disney Paper Dante, sous la direction d’Emanuela Fecchio, Florence, Giunti Editore, 2021, et « Dante Alighieri raccontato da Topolino » (sous la direction de Francesco Gerbaldo, Topolino, septembre 2021). Après des tentatives éphémères de publication dans des revues pour bandes dessinées, dans les années 1990, Marcello Toninelli entame une collaboration fructueuse avec les éditions Paoline, qui lui offrent l’occasion de publier ses bandes humoristiques sur L’enfer de Dante dans les pages de l’hebdomadaire pour enfants Il Giornalino, grâce auquel il obtient une grande visibilité. Le succès est tel que l’éditeur demande à Marcello de dessiner Le purgatoire et Le paradis. Les strips en noir et blanc de Marcello ont été rééditées dans les années 2000 en trois volumes distincts (Inferno, Purgatorio, Paradiso) publiés à plusieurs reprises par l’éditeur Cartoon Club, et sont finalement réunies dans une édition complète en couleurs aux éditions Shockdom de Brescia en 2015 avec le titre définitif Dante. La Divina Commedia a fumetti. Marcello vient de faire paraître une nouvelle transposition de L’enfer accompagnée d’une réécriture partielle en vers et en terza rima des chants de la première partie du poème : Marcello, Dante 2.0. Ritorno all’Inferno, Brescia, Shockdom, 2021.
-
[18]
Le premier tome (Alessio D’Uva, Filippo Rossi et Astrid Lucchesi, Amor mi mosse, Florence, Kleiner Flug, 2014) retrace l’histoire d’amour entre Dante et Béatrice à Florence dans les années de jeunesse, puis au moment de l’exil, lorsque le souvenir de Béatrice, désormais âme bienheureuse du paradis, pousse le poète, tombé dans le désarroi, à écrire le poème. Une excellente lecture de ce roman graphique est donnée par Paolo Rigo, « Dante e la Kleiner Flug », dans Leonardo Canova, Luca Lombardo et Paolo Rigo (dir.), « A riveder la china ». Dante nei fumetti (e vignette) italiani dal XIX al XXI secolo, Venise, Edizioni Ca’ Foscari, coll. « Italianistica. Nuova serie », vol. 1, 2021, p. 183-203. Les trois autres tomes sont parus en 2021 sous l’impulsion de l’Institut italien de culture de Montréal : Primo de li miei amici (Alessio D’Uva, Filippo Rossi et Angelica Regni, Florence, Kleiner Flug, 2021) se concentre sur l’amitié tourmentée entre Dante et Guido Cavalcanti; Le famose genti (Marco Cei et Genny Ferrari, Florence, Kleiner Flug, 2021) est consacré à l’activité politique de Dante précédant l’exil; La selva oscura (Marco Rastrelli et Astrid, Florence, Kleiner Flug, 2021) évoque les tourments existentiels qui encouragent le poète à rédiger La divine comédie.
-
[19]
Moreno Burattini et Fabrizio Longo, « La porta dell’Inferno », Speciale Dampyr, no 12, novembre 2016.
-
[20]
Où il remporte le prix VPRO du meilleur roman graphique néerlandais la même année.
-
[21]
Gary Panter, Jimbo’s Inferno; Jimbo in Purgatory, Seattle, Fantagraphics, 2004.
-
[22]
David L. Carlson et Landis Blair, The Hunting Accident: A True Story of Crime and Poetry, New York, First Second, 2017.
-
[23]
Signalons quelques études sur les transpositions que nous venons de mentionner : Monica Biasiolo, « Molto più della storia che rappresenta. Alcuni esempi di riscrittura a fumetti e in graphic novels della Divina Commedia dal secondo dopoguerra a oggi », dans Jérôme Dutel et Stefano Lazzarin (dir.), Dante pop. La Divina Commedia nella letteratura e nella cultura popolare contemporanea, Rome, Vecchiarelli, 2017, p. 91-106 (notamment sur En enfer avec Dante); Daniela Bombara, « Viaggi comic di Dante e Beatrice fra Giappone, USA e Italia: un’inedita Commedia dolorosa, combattiva, ma anche di umanissima semplicità quotidiana », dans Jérôme Dutel et Stefano Lazzarin (dir.), Dante pop. La Divina Commedia nella letteratura e nella cultura popolare contemporanea, Rome, Vecchiarelli, 2017, p. 121-136 (sur, entre autres, le manga de Gō Nagai); Jérôme Dutel, « Scendere agli inferi con il fumetto », dans Jérôme Dutel et Stefano Lazzarin (dir.), Dante pop. La Divina Commedia nella letteratura e nella cultura popolare contemporanea, Rome, Vecchiarelli, 2017, p. 151-164 (sur Inferno du Néerlandais Marcel Ruijters et sur le Conte démoniaque d’Aristophane); Alessandro Benucci, « Dante fra fumetti, manga e graphic novel: verso un "iper-Commedia"? », dans Sergio Portelli et Karl Chircop (dir.), Percorsi del testo. Adattamento e appropriazione della letteratura italiana, Florence, Franco Cesati, p. 21-30 (sur Inferno, En enfer avec Dante et La divine comédie de Gō Nagai). Sur la traduction italienne du manga japonais, on peut lire l’article d’Alberto Sebastiani, « Quel pasticciaccio meraviglioso: andata e ritorno in Giappone con Gō Nagai », paru dans la revue en ligne Lingua Italiana (encyclopédie Treccani) en 2021 : https://www.treccani.it/magazine/lingua_italiana/speciali/Dantesi/07_Sebastiani.html (19 octobre 2022).
-
[24]
Seymour Chwast, Dante’s Divine Comedy: A Graphic Adaptation, New York, Bloomsbury Publishing, 2010.
-
[25]
Seymour Chwast, Dantes Göttliche Komödie. Hölle, Fegefeuer, Paradies, traduction de Reinhard Pietsch, Munich, Knesebeck, 2011; Seymour Chwast, La Divina Commedia di Dante. Inferno. Purgatorio. Paradiso, traduction de Fiorenza Conte, Macerata, Quodlibet, 2019.
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[26]
Nous réélaborons ici l’indication de provenance made in Italy qui promeut les produits de la Péninsule à l’étranger et qui est devenue, aujourd’hui, une catégorie commerciale en soi.
-
[27]
Umberto Eco, Apocalittici e integrati. Comunicazioni di massa e teorie della cultura di massa, Milan, Bompiani, 1964.
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[28]
Umberto Eco, « Una lettera per adulti », dans Pietro Favari (dir.), Le nuvole parlanti. Un secolo di fumetti tra arte e mass media, Bari, Dedalo, 1996, p. 11 : « genre non fiable et pas si paisiblement pacifique que la vulgate aristocratique le voudrait » (nous traduisons).
-
[29]
Umberto Eco, « Una lettera per adulti », dans Pietro Favari (dir.), Le nuvole parlanti. Un secolo di fumetti tra arte e mass media, Bari, Dedalo, 1996, p. 10 : « genre multimédial » (nous traduisons).
-
[30]
Nous renvoyons ici aux théories de la souillure qui menace l’ordre symbolique du corps social proposées par l’anthropologue britannique May Douglas dans Purity and Danger: An Analysis of Concepts of Pollution and Taboo (Londres/New York, Routledge, 1966).
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[31]
En accord avec les propos sur le paradigme adjectival « transculturel » étayés par le sociologue indien dans son essai Modernity at Large. Cultural Dimensions of Globalization (Minneapolis, University of Minnesota Press, 1996), nous considérons le geste artistique comme étant transculturel lorsqu’il rejette toute forme de catégorisation essentialiste, et qu’il laisse apparaître la concomitance de pratiques formelles et de codes esthétiques préalablement séparés par des disjonctions culturelles.
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[32]
Gino Frezza, « Passare attraverso. Figurare, impaginare, iconizzare », dans Daniele Barbieri (dir.), La linea inquieta, Emozioni e ironia nel fumetto, Rome, Meltemi, 2005, p. 47 : « entre images et écritures, entre statique et dynamique, entre visuel et linguistique, verbal et non verbal, descriptif et fantastique » (nous traduisons).
-
[33]
Thierry Groensteen, Parodies.La bande dessinée au second degré, Paris, Skira/Flammarion, 2010, p. 10 (italiques de l’auteur).
-
[34]
Nous faisons allusion aux théories sur la reprise parodique étayées par Genette dans Palimpsestes. La littérature au second degré (Paris, Seuil, 1982), et qui tiennent compte de la notion d’intertextualité « large » avancée par Kristeva dans Sèméiôtikè. Recherches pour une sémanalyse (Paris, Seuil, 1969).
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[35]
Du grec ancien παρῳδία, parôidía, composé de παρά, pará (« à coté de »), et de ᾠδή, ôidế (« chant »).
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[36]
Nous signalons quelques études sur les adaptations en bandes dessinées de La divine comédie parues en Italie (liste non exhaustive) : Alessandro Benucci, « Dalla Commedia ai comics: costanti e varianti di critica sociale nelle riscritture fumettistiche contemporanee dell’Inferno di Dante », dans Jérôme Dutel et Stefano Lazzarin (dir.), Dante pop. La Divina Commedia nella letteratura e nella cultura popolare contemporanea, Rome, Vecchiarelli, 2017, p. 107-120; Monica Biasiolo, « Molto più della storia che rappresenta. Alcuni esempi di riscrittura a fumetti e in graphic novels della Divina Commedia dal secondo dopoguerra a oggi », dans Jérôme Dutel et Stefano Lazzarin (dir.), Dante pop. La Divina Commedia nella letteratura e nella cultura popolare contemporanea, Rome, Vecchiarelli, 2017, p. 91-106; Alberto Brambilla, « Le origini dell’“Inferno di Topolino”? In un diario scolastico », Fumetto Logica, 2013, https://fumettologica.it/2013/10/le-origini-de-linferno-di-topolino-in-un-diario-scolastico/ (26 octobre 2022); Alberto Brambilla, « Fare commedia della Commedia. Il Dante umoristico di Marcello », Fumetto Logica, 2015, http://www.fumettologica.it/2015/12/dante-toninelli-recensione/ (26 octobre 2022); Giovanna Rizzarelli, « Capolavori di capolavori. Pippo e Topolino all’inferno degli scolari », Arabeschi, vol. 7, no 1, 2016, p. 165-171; Gino Frezza, « Dampyr all’inferno. Il mondo parallelo e l’avventura dantesca di Harlan Draka », Dante e l’arte, no 5, 2018, https://revistes.uab.cat/dea/article/view/v5-frezza (20 octobre 2022); Ursula Winter, « L’inferno up to date. Attualizzazioni dell’Inferno di Dante nei fumetti », Dante e l’arte, no 5, 2018, p. 61-80; Stefano Lazzarin, « Per un atlante del fumetto dantesco. Sondaggi, analisi, congetture », Italianistica, vol. XLIX, no 2, 2020, p. 59-71; Alessandro Benucci, « Dante transmediale. La Divina Commediaa fumetti di Marcello », dans Leonardo Canova, Luca Lombardo et Paolo Rigo (dir.), « A riveder la china ». Dante nei fumetti (e vignette) italiani dal XIX al XXI secolo, Venise, Edizioni Ca’ Foscari, coll. « Italianistica. Nuova serie », vol. 1, p. 163-182.
-
[37]
Moreno Burattini et Fabrizio Longo, « La porta dell’Inferno », Speciale Dampyr, no 12, novembre 2016, p. 92.
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[38]
En 2019, l’album Dante. La Divina Commedia a fumetti a été réédité par la maison d’édition Shockdom en hommage aux 50 ans d’activité de son auteur. Marcello a publié sa première bande comique parodiant L’enfer de Dante dans le numéro 11 de la revue Off-Side (10 novembre 1969). Voir Alessandro Benucci, « Dante transmediale. La Divina Commediaa fumetti di Marcello », dans Leonardo Canova, Luca Lombardo et Paolo Rigo (dir.), « A riveder la china ». Dante nei fumetti (e vignette) italiani dal XIX al XXI secolo, Venise, Edizioni Ca’ Foscari, coll. « Italianistica. Nuova serie », vol. 1, 2021, p. 166 et l’article « La nascita di Dante » : http://ioedante.blogspot.com/2018/11/la-nascita-del-dante.html (22 octobre 2022).
-
[39]
Les bandes humoristiques adaptant les chants de L’enfer s’étendent sur 79 pages, tandis que Le purgatoire couvre 54 pages et Le paradis 49 pages. Le choix d’adapter les deux autres parties du poème a aussi été fait par le mangaka Gō Nagai (le troisième volume de l’édition française est consacré au Purgatoire et au Paradis, tandis que L’enfer occupe les deux premiers volumes). Seymour Chwast consacre 53 planches à la première partie du poème, 29 planches à la deuxième et 33 à la troisième. On constate que, même quand les bédéistes s’attellent à transposer tout le poème, ils s’emploient davantage à représenter L’enfer, exception faite de Gary Panter qui respecte quant à lui l’équilibre entre les sections du poème, et dédie 34 planches à L’enfer et 34 au Purgatoire.
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[40]
Voir Alessandro Benucci, « Dante transmediale. La Divina Commediaa fumetti di Marcello », dans Leonardo Canova, Luca Lombardo et Paolo Rigo (dir.), « A riveder la china ». Dante nei fumetti (e vignette) italiani dal XIX al XXI secolo, Venise, Edizioni Ca’ Foscari, coll. « Italianistica. Nuova serie », vol. 1, 2021, p. 167-171.
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[41]
Entrés dans une bibliothèque pour consulter une édition de La divine comédie, Topolino et Pippo finissent par s’endormir sur le livre, tandis qu’une branche noueuse sort des pages pour les attraper et les catapulter dans la forêt obscure et dans le début du poème. L’Inferno di Topolino, dans Emanuela Fecchio (dir.), Paper Dante, Florence, Giunti Editore, 2021, p. 62.
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[42]
L’Inferno di Topolino et L’Inferno di Paperino, dans Emanuela Fecchio (dir.), Paper Dante, Florence, Giunti Editore, 2021.
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[43]
Alessio D’Uva, Filippo Rossi et Angelica Regni, Primo de li miei amici, Florence, Kleiner Flug, 2021; Marco Cei et Genny Ferrari, Le famose genti, Florence, Kleiner Flug, 2021; Marco Rastrelli et Astrid, La selva oscura, Florence, Kleiner Flug, 2021.
-
[44]
Dans le premier roman graphique, la mort de Béatrice est reliée à l’égarement de Dante dans la forêt sombre et à la nécessité de traverser l’abîme infernal et la montagne du purgatoire pour la retrouver : Alessio D’Uva, Filippo Rossi et Astrid Lucchesi, Amor mi mosse, Florence, Kleiner Flug, 2014, planches 25-33, 42-56 (le volume étant dépourvu de la numérotation des pages, nous avons procédé au comptage manuel des planches). Si tout le roman graphique La selva oscura interprète les agissements de Dante en exil en fonction de la création littéraire du mythe de la forêt obscure, celle-ci est directement représentée dans les dernières pages, de même que le rêve de Béatrice, une femme élevée au rang des âmes bienheureuses du paradis : Marco Rastrelli et Astrid, La selva oscura, Florence, Kleiner Flug, 2021, p. 54-61.
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[45]
L’interview peut être écoutée sur la chaîne YouTube Letture metropolitane, accessible ici : https://www.youtube.com/watch?v=CC3frwzjb40&t=618s (24 octobre 2022).
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[46]
Marco Santagata, Come donna innamorata, Milan, Guanda, 2015.
-
[47]
Nous renvoyons aux interviews données par Marcello à l’espace Think Comics on Stage du festival Lucca Comics de 2016, téléversées sur la chaîne YouTube de l’association (https://www.youtube.com/watch?v=ujzwXGnd-64&t=733s, 23 septembre 2022), et à Lorenzo di Paolo dans la série d’événements organisés par l’Université Federico II de Naples à l’occasion du Dantedì 2021, accessible via la chaîne YouTube de la même université (https://www.youtube.com/watch?v=WdX6EXYPJQs, 23 septembre 2022).
-
[48]
Moreno Burattini et Fabrizio Longo, « La porta dell’Inferno », Speciale Dampyr, no 12, novembre 2016, p. 53 : les protagonistes arrivent dans la région où sont punis les pusillanimes; face aux regards confondus des uns et des autres, le professeur Montanari cite les vers célèbres qui expliquent la nature de ces damnés (Inferno iii, 61-63 : « intesi e certo fui / che questa era la setta d’i cattivi, / a Dio spiacenti e a’ nemici sui »; « Aussitôt je compris et fus certain / que c’était là la secte des méchants / qui déplaisent à Dieu comme à ses ennemis ». Toute traduction du poème de Dante est tirée de l’édition suivante : Dante Alighieri, La divine comédie, traduit de l’italien par Lucienne Portier, Paris, Les éditions du Cerf, 2008.
-
[49]
Inferno iii, 95-96 : « on veut ainsi là où l’on peut / ce que l’on veut, ne demande pas plus ».
-
[50]
Marcello, Dante. La Divina Commedia a fumetti, Brescia, Shockdom, 2015, p. 15, 24.
-
[51]
L’Inferno di Topolino, dans Emanuela Fecchio (dir.), Paper Dante, Florence, Giunti Editore, 2021, p. 63 : « Comme dans le premier chant, je vous l’ai dit, / Dans un bois sombre, je me suis retrouvé / Ce qui, en pensée, me fait frissonner. / Il y a des soupirs, des pleurs, et de grandes lamentations / Des mots de colère et le bruit des mains avec ceux-ci / Si bien qu’on avait l’impression d’être dans un tramway… / Dans lequel le voyageur voit les étoiles / Parce qu’il est comprimé au point / Que de ses mâchoires sortent ses entrailles! » (nous traduisons).
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[52]
Moreno Burattini et Fabrizio Longo, « La porta dell’Inferno », Speciale Dampyr, no 12, novembre 2016, p. 152 : « Immédiatement, ils pourront sortir / retourner au sommet alors qu’ils sont en bas / ceux qui étaient ici sans mourir » (nous traduisons).
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[53]
L’Inferno di Topolino, dans Emanuela Fecchio (dir.), Paper Dante, Florence, Giunti Editore, 2021, p. 131 : « les plus grands traîtres » (nous traduisons).
-
[54]
L’Inferno di Topolino, dans Emanuela Fecchio (dir.), Paper Dante, Florence, Giunti Editore, 2021, p. 132-133.
-
[55]
Linda Hutcheon, A Theory of Parody, New York, Methuen, 1985.
-
[56]
L’Inferno di Topolino, dans Emanuela Fecchio (dir.), Paper Dante, Florence, Giunti Editore, 2021, p. 69, 79, 115 et 129.
-
[57]
L’Inferno di Paperino, dans Emanuela Fecchio (dir.), Paper Dante, Florence, Giunti Editore, 2021, p. 163-167, 172-174.
-
[58]
Marcello, Dante. La Divina Commedia a fumetti, Brescia, Shockdom, 2015, p. 15, 33, 40, 45.
-
[59]
Moreno Burattini et Fabrizio Longo, « La porta dell’Inferno », Speciale Dampyr, no 12, novembre 2016, p. 90, 122-125.
-
[60]
Nous renvoyons à l’interview sur Letture metropolitane, https://www.youtube.com/watch?v=CC3frwzjb40&t=618s (24 octobre 2022).
-
[61]
Thierry Groensteen, Parodies.La bande dessinée au second degré, Paris, Skira/Flammarion, 2010, p. 233.
-
[62]
Linda Hutcheon, A Theory of Parody, New York, Methuen, 1985, p. 53-54.
-
[63]
« Au milieu du chemin de notre vie ».
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[64]
« Laissez toute espérance, vous qui entrez ».
-
[65]
Un grand nombre de bandes dessinées insistent sur la fonction liminaire de ces vers, qu’ils contribuent à nourrir en concentrant plusieurs éléments seuils dans une même planche, voire dans une même case. Aristophane place le vers neuf du chant trois de L’enfer au début de la deuxième planche de son Conte démoniaque (Paris, L’Association, 1996, p. 2), celle-ci précédée d’une planche à case unique représentant la bouche du Léviathan grande ouverte et portant en en-tête le titre de son chapitre d’ouverture. Michael Meier reporte tout le tercet contenant ce vers notoire dans une planche où il transpose sa vision de l’entrée en enfer : une muraille de menhirs rougeâtres qui s’érigent au milieu d’un chemin plat flanqué de deux pentes rocheuses plutôt escarpées (Michael Meier, En enfer avec Dante, Bruxelles, Casterman, 2015, p. 17). L’épigraphe apparaît également dans Inferno de Marcel Ruijters, cette fois gravée sur le fronton d’une porte flanquée de part et d’autre de remparts rappelant les citadelles médiévales, et traversée par les protagonistes du roman graphique (Danta et Virgilia, deux versions féminisées des personnages originaux). Dans une planche impressionnante à case unique contenant le roi Minos dont la queue s’enroule neuf fois autour de son corps – les neuf spirales de l’enfer dantesque –, est admirablement condensé tout L’enfer pour le lecteur de L’accident de chasse (David L. Carlson et Landis Blair, L’accident de chasse, Paris, Sonatine, 2020, p. 221). De la forêt obscure à la tête tricéphale de Lucifer, et des Limbes aux traîtres, sont énumérés les péchés punis dans les cercles infernaux, tandis qu’au-dessus de la couronne de Minos et au milieu d’un feston de ronces se déroule un parchemin où on lit : « Vous qui entrez, laissez toute espérance ». Toujours dans ce roman graphique, on retrouve ce vers dans la représentation de L’enfer de Dante organisée pour les détenus de la prison de Stateville. Il est affiché, en fer forgé, au-dessus du portail de la prison, selon le dessin montré pendant le spectacle (David L. Carlson et Landis Blair, L’accident de chasse, Paris, Sonatine, 2020, p. 325). Lors de l’arrivée à la porte de l’enfer, le Dante du manga semble avoir droit à une version écourtée de l’épigraphe; il n’en retient presque que le vers final, dont le premier hémistiche est isolé dans une bulle aux contours hérissés de pointes, comme si la puissance tragique du contenu cherchait à s’échapper pour envahir la case et Dante lui-même (Gō Nagai, La divine comédie, Paris, Black Box, 2015, vol. I, p. 51).
-
[66]
Irina O. Rajewsky, Intermedialität, Tubingue/Bâle, Francke, 2002.
-
[67]
Irina O. Rajewsky, « Border Talks. The Problematic Status of Media Borders in the Current Debate about Intermediality », dans Lars Elleström (dir.), Media Borders, Multimodality and Intermediality, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2010, p. 51-68; Irina O. Rajewsky, « Intermediality, Intertextuality, and Remediation. A Literary Perspective on Intermediality », Intermédialités/Intermediality, no 6, 2005, p. 43-64; Irina O. Rajewsky, « Potential Potentials of Transmediality. The Media Blindness of (Classical) Narratology and its Implications for Transmedial Approaches », dans Alfonso De Toro (dir.), Translatio. Transmédialité et transculturalité en littérature, peinture, photographie et au cinéma. Amériques – Caraïbes – Europe – Maghreb, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 17-36; Irina O. Rajewsky, « Von Erzählern, die (nichts) vermitteln. Überlegungen zu grundlegenden Annahmen der Dramentheorie im Kontext einer transmedialen Narratologie », Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, vol. 117, no 1, 2007, p. 25-68.
-
[68]
Irina O. Rajewsky, « Potential Potentials of Transmediality. The Media Blindness of (Classical) Narratology and its Implications for Transmedial Approaches », », dans Alfonso De Toro (dir.), Translatio. Transmédialité et transculturalité en littérature, peinture, photographie et au cinéma. Amériques – Caraïbes – Europe – Maghreb, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 17-36 : « En simplifiant, je distinguerais l’intermédialité en tant que relations entre les médias (c’est-à-dire les interactions médiales, les jeux ou les interférences) et la transmédialité en tant que phénomène qui apparaît à travers les médias. En d’autres termes, les phénomènes transmédiaux (synchrones ou diachroniques) se manifestent, ou sont observables, de manière similaire dans une variété de médias. Ainsi, dans un certain sens, nous pourrions également parler de “phénomènes itinérants” » (nous traduisons; italiques de l’auteure).
-
[69]
Nous renvoyons également à l’article de Sémir Badir, « Pourquoi la transmédialité », dans German A. Duarte et Évelyne Deprêtre (dir.), Bande dessinée et adaptation, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, coll. « Graphèmes », 2019, p. 23-35.
-
[70]
Irina O. Rajewsky, « Potential Potentials of Transmediality. The Media Blindness of (Classical) Narratology and its Implications for Transmedial Approaches », dans Alfonso De Toro (dir.), Translatio. Transmédialité et transculturalité en littérature, peinture, photographie et au cinéma. Amériques – Caraïbes – Europe – Maghreb, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 23-24.
-
[71]
Michael Meier, En enfer avec Dante, Bruxelles, Casterman, 2015, p. 52, 62, 74, 88 (quelques exemples).
-
[72]
Un exemple, parmi d’autres : Danta est en train de descendre dans le giron des homicides quand elle s’écrase bruyamment sur un tas d’éboulis qu’elle a contribué à renverser; un phylactère sort de sa bouche avec la mention latine « error » (Marcel Ruijters, Inferno, Luc-en-Diois, The Hoochie Coochie, 2013, planche 40 – les pages du roman graphique étant dépourvues de numérotation, nous avons procédé au comptage manuel des planches). Plus généralement, il s’agit d’un traitement caricatural très proche de celui proposé par Marcello.
-
[73]
Pendant qu’ils traversent le huitième cercle qui châtie les traîtres, Dante interroge Virgile sur la nature du péché. Le guide, moins concerné par la question que par la mission future du poète de la Comédie, lui rappelle avec vigueur la nécessité douloureuse de tout retranscrire dans son poème au nom de Béatrice, ce qui fait verser des larmes à Dante; Gō Nagai, La divine comédie, Paris, Black Box, 2015, vol. II, p. 168-171.
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[74]
David L. Carlson et Landis Blair, L’accident de chasse, Paris, Sonatine, 2020, p. 219-224.
-
[75]
Pensons notamment à la punition des hérétiques qui, en plus de gésir dans des tombeaux enflammés (comme dans l’original), sont harponnées par les diables à l’aide de fourches (Marcel Ruijters, Inferno, Luc-en-Diois, The Hoochie Coochie, 2013, planche 33).
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[76]
Tels les avares et prodigues qui, condamnés à pousser d’énormes sacs remplis d’argent (des blocs de roche chez Dante), finissent par être écrasés par les mêmes sacs qui leur brisent le cou et d’autres membres; Gō Nagai, La divine comédie, Paris, Black Box, 2015, vol. I, p. 160-167.
-
[77]
Mentionnons seulement le châtiment horrible des hordes de serpents qui entrent dans le corps des damnés par tous les orifices jusqu’à ce que leur ventre explose; Aristophane, Conte démoniaque, Paris, L’Association, 1996, p. 94-95.
-
[78]
Sur le propos d’Aristophane, nous renvoyons à l’article de Jérôme Dutel, « Scendere agli inferi con il fumetto », dans Stefano Lazzarin et Jérôme Dutel (dir.), Dante pop. La Divina Commedia nella letteratura e nella cultura popolare contemporanea, Rome, Vecchiarelli, 2017, p. 158-162.
-
[79]
Inferno xvi, 73 : « Les gens nouveaux et les gains immédiats ».
-
[80]
Michael Meier, En enfer avec Dante, Bruxelles, Casterman, 2015, p. 9-11.
-
[81]
Gary Panter, L’enfer de Jimbo, Paris, Cambourakis, 2018, planches 3 et 5 (les pages du roman graphique étant dépourvues de numérotation, nous avons procédé au comptage manuel des planches).
-
[82]
Michael Meier, En enfer avec Dante, Bruxelles, Casterman, 2015, p. 49.
-
[83]
Le réchauffement climatique pousse la cavité infernale à revoir ses confins : les eaux de l’Achéron montent, des pans entiers du paradis sont engloutis à la suite du réchauffement climatique qui amplifie les flammes infernales; Marcel Ruijters, Inferno, Luc-en-Diois, The Hoochie Coochie, 2013, planches 105-108.
-
[84]
Gary Panter, L’enfer de Jimbo, Paris, Cambourakis, 2018, planche 7.
-
[85]
Michael Meier, En enfer avec Dante, Bruxelles, Casterman, 2015, p. 131-132.
-
[86]
La course aux armements entre tribus de démons rivales finit par engendrer des luttes et des trahisons pour le contrôle de tout l’enfer, ainsi qu’un conflit qui échappe à la maîtrise des forces qui l’ont engendré, et qui se résout en une énorme détonation finale magnifiée par ces quelques mots de la conclusion : « Le souffle de l’explosion balaya l’abîme d’un bout à l’autre. / L’intense chaleur fit fondre les pierres, la voûte de l’enfer s’effondra. / Âmes et démons furent consumés. / De ce colossal édifice, du tumulte infernal, plus rien ne restait » (Aristophane, Conte démoniaque, Paris, L’Association, 1996, p. 299-300).
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[87]
Gō Nagai, La divine comédie, Paris, Black Box, 2015, vol. I, p. 41, 114-117.
-
[88]
Gary Panter, Jimbo au purgatoire, Paris, Cambourakis, 2018, planche 32.
-
[89]
Gō Nagai, La divine comédie, Paris, Black Box, 2015, vol. I, p. 10.
-
[90]
Alfonso De Toro, « En guise d’introduction. Transmedialité – Hybridité – Translatio – Transculturalité : un modèle », dans Alfonso De Toro (dir.), Translatio. Transmédialité et transculturalité en littérature, peinture, photographie et au cinéma. Amériques – Europe – Maghreb, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 69 (italiques de l’auteur).
-
[91]
De l’aveu de Marcel Ruijters, « les représentations du xixe siècle pleines d’emphase de Gustave Doré, qui sont de loin les plus connues, sont celles qui m’ont pourtant le moins inspiré. […] Pour moi, ce sont les illustrations les plus anciennes de L’Enfer, comme les enluminures de Bartolomeo di Fruosino et Lorenzo Vecchietta, qui sont les plus belles et les plus signifiantes. D’ailleurs, elles possèdent beaucoup de caractéristiques de la bande dessinée : ce sont de petits dessins linéaires colorés et narratifs, qui sont souvent considérés avec dédain » (Marcel Ruijters, Inferno, Luc-en-Diois, The Hoochie Coochie, 2013, « Introduction », deuxième page). En effet, les volumes raides et efflanqués des personnages d’Inferno semblent rappeler les saints peints par Vecchietta, et la planche représentant l’arrivée de Danta et Virgilia aux portes de la cité de Dite (planche 38) est directement inspirée de l’enluminure de Bartolomeo di Fruosino contenue dans le manuscrit L’Italien 74 (folio 1v du manuscrit L’Italien 74 – xve siècle, premier quart, v. 1420-1430 – gardé par le Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, entièrement enluminé par Bartolomeo di Fruosino et son atelier et contenant L’enfer de Dante avec L’Ottimo commento).
-
[92]
Michael Meier, En enfer avec Dante, Bruxelles, Casterman, 2015, p. 3. Le dessin de la cavité infernale par Botticelli est repris par la bédéiste Astrid dans son rendu schématique de la descente de Dante; Alessio D’Uva, Filippo Rossi et Astrid Lucchesi, Amor mi mosse, Florence, Kleiner Flug, 2014, planche 34.
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[93]
Michael Meier dessine Paolo et Francesca transportés par le tourbillon infernal en prenant modèle sur les amants tragiques peints par Ary Scheffer dans son magnifique tableau Les Ombres de Francesca da Rimini et de Paolo Malatesta apparaissent à Dante et à Virgile – troisième version, 1855, conservée au Musée du Louvre – (Michael Meier, En enfer avec Dante, Bruxelles, Casterman, 2015, p. 26).
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[94]
Marcel Ruijters affirme que son choix de transformer les personnages principaux du poème en femmes serait le même que celui de William Blake dans ses illustrations du poème, bien que derrière les corps élancés et fluets de son Dante et de son Virgile ne se cache visiblement pas une inversion des sexes (Marcel Ruijters, Inferno, Luc-en-Diois, The Hoochie Coochie, 2013, « Introduction », deuxième page).
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[95]
Astrid calque la case représentant la première rencontre entre Dante et Béatrice le long de la voie qui longe l’Arno (Alessio D’Uva, Filippo Rossi et Astrid Lucchesi, Amor mi mosse, Florence, Kleiner Flug, 2014, planche 13) sur le tableau d’Henri Holiday Dante and Beatrice (1883), conservé à la Walker Art Gallery de Liverpool.
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[96]
Citation tirée du texte qui introduit les images de Gustave Doré pour l’exposition virtuelle proposée en ligne par la Bibliothèque nationale de France (L’Enfer de Dante Alighieri, http://expositions.bnf.fr/orsay-gustavedore/albums/enfer/index.htm, 24 octobre 2022), à l’occasion de l’exposition Gustave Doré (1832-1883). L’imaginaire au pouvoir consacrée au talent de l’illustrateur français par le Musée d’Orsay en 2014 (18 février-11 mai).
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[97]
Nul doute que l’hommage le plus flagrant aux sombres atmosphères des gravures doréennes est rendu par Gō Nagai, qui applique aux paysages, formes et personnages de son manga le même dégradé de fines hachures en noir et blanc qui caractérise le style de l’illustrateur français. L’inspiration est profonde et se rapproche de l’émulation directe : les gardiens et monstres infernaux sont fortement tributaires de l’imagination de Doré, tels Caron ou Géryon (Gō Nagai, La divine comédie, Paris, Black Box, 2015, vol. I, p. 66-67; vol. II, p. 58) que l’on dirait tout juste sortis de ses gravures. En outre, le mangaka transpose clairement des gravures entières lorsqu’il dépeint l’entrée de Dante et Virgile dans une nouvelle région de l’enfer, ou la rencontre d’un nouveau personnage. Si les dessins hachurés de Landis Blair rappellent naturellement le style de Doré, l’illustrateur américain souligne l’influence exercée par le graveur français sur la composition de L’accident de chasse dans quelques planches évoquant la forêt des suicidés ou les eaux glacées de Cocyte d’où sortent les têtes givrées des damnés pour trahison (David L. Carlson et Landis Blair, L’accident de chasse, Paris, Sonatine, 2020, p. 296 et 338-343; p. 264-265). La case principale représentant l’entrée de Dante et du chacal Virgile dans le cercle des gourmands (Michael Meier, En enfer avec Dante, Bruxelles, Casterman, 2015, p. 38) est une adaptation très réussie signée Michael Meier de la gravure de Gustave Doré illustrant le même épisode. Il en va de même pour la case qui représente Dante et Virgile en audience devant Minos (Michael Meier, En enfer avec Dante, Bruxelles, Casterman, 2015, p. 26). Hachures et traits croisés sont également la marque de fabrique des planches de Gary Panter, tandis que des contrastes en clair-obscur très marqués prouvent la grande qualité (et le long travail) des planches d’Aristophane; néanmoins, si l’on reconnaît un certain ascendant du style doréen dans l’impressionnant Conte démoniaque, il serait quelque peu difficile d’affirmer la même chose au sujet de L’enfer de Jimbo, dont les cases se caractérisent par l’absence totale d’ombres et de points de fuite, tous les objets représentés étant projetés au premier plan sans la moindre profondeur.
-
[98]
Alfonso De Toro, « En guise d’introduction. Transmedialité – Hybridité – Translatio – Transculturalité : un modèle », dans Alfonso De Toro (dir.), Translatio. Transmédialité et transculturalité en littérature, peinture, photographie et au cinéma. Amériques – Europe – Maghreb, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 63-66.
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[99]
Tel est le cas de l’enfer dessiné par Michael Meier : une série de régions envahies par les technologies modernes et leurs apories, peuplées d’âmes condamnées à subir les conséquences néfastes des écrans d’iPhone ou d’ordinateurs (la roue d’Apple et le sablier de Microsoft qui mettent en attente le navigateur ou celui qui télécharge des données numériques constituent des punitions redoutables), des réseaux sociaux et des connexions Wi-Fi, et même des pires émissions télévisées, comme Top Chef (les gourmands sont condamnés à regarder chaque épisode du programme jusqu’au bout et à manger tous les plats cuisinés à la fin); Michael Meier, En enfer avec Dante, Bruxelles, Casterman, 2015, p. 38, 47, 128.
-
[100]
Le Dante de Michael Meier est le prototype du héros des sagas contemporaines, doté avant tout de qualités « normales » (la ruse, la parole svelte, l’ironie mordante, l’autodérision) et de points faibles (une démarche gauche, une attitude décalée) qui ne le pénalisent jamais et le rendent sympathique et proche du lecteur. Dans un autre registre, la Danta de Marcel Ruijters fait preuve d’un certain esprit tout au long de la descente infernale qu’elle accomplit parfois avec maladresse. Le Dante version manga, quant à lui, fait l’objet d’une stéréotypisation plus conventionnelle, bien qu’il soit également soumis à un traitement qui souligne ses faiblesses et ses hésitations; cette caractérisation du personnage concerne également le Dante-Matt Rizzo réalisé par David L. Carlson et Landis Blair.
-
[101]
Michael Meier, En enfer avec Dante, Bruxelles, Casterman, 2015, p. 14.
-
[102]
Nous rappelons ici les bruits que la barbe hirsute et noire de Dante, exilé à Vérone, aurait fait circuler dans les rues de la ville; Boccace, Trattatello in laude di Dante, chapitre xx : « Per la qual cosa avvenne un giorno in Verona, essendo già divulgata pertutto la fama delle sue opere, e massimamente quella parte della sua Comedia, la quale egli intitola Inferno, e esso conosciuto da molti e uomini e donne, che, passando egli davanti a una porta dove più donne sedevano, una di quelle pianamente, non però tanto che bene da lui e da chi con lui era non fosse udita, disse all’altre: “Donne, vedete colui che va nell’inferno, e torna quando gli piace, e qua su reca novelle di coloro che là giù sono?” Alla quale una dell’altre rispose semplicemente: “In verità tu dèi dir vero: non vedi tu com’egli ha la barba crespa e il color bruno per lo caldo e per lo fummo che è là giù?” Le quali parole udendo egli dir dietro a sé, e conoscendo che da pura credenza delle donne venivano, piacendogli, e quasi contento ch’esse in cotale oppinione fossero, sorridendo alquanto, passò avanti » (« C’est pourquoi, un jour à Vérone, alors que la renommée de ses oeuvres était déjà grande, surtout la partie de sa Comédie intitulée Enfer, et qu’elle était connue de beaucoup d’hommes et de femmes, alors qu’il passait devant une porte où plusieurs femmes étaient assises, l’une d’entre elles dit doucement aux autres, mais pas si doucement que lui et ceux qui étaient avec lui ne puissent l’entendre : “Femmes, voyez-vous celui qui va en enfer et qui en revient quand il le veut, et qui rapporte des nouvelles de ceux qui sont là-dessous?” À quoi l’une des autres répondit simplement : “En vérité, tu dis le vrai : ne vois-tu pas que sa barbe est frisée et brune à cause de la chaleur et de la fumée qui règnent en bas?” En entendant ces paroles derrière lui, et sachant qu’elles venaient de la pure croyance des femmes, et les aimant, et presque content qu’elles fussent de cet avis, il sourit un peu et continua son chemin ») (nous traduisons).
-
[103]
Citation de Gianfranco Contini tirée d’Emilio Pasquini, Il viaggio di Dante. Storia illustrata della Commedia, Rome, Carocci, 2021 [2015], p. 9 : « Dante était un auteur fondamentalement populaire, et il devrait redevenir un auteur populaire » (nous traduisons).
-
[104]
Stefano Jossa, « Introduzione », dans Leonardo Canova, Luca Lombardo et Paolo Rigo (dir.), « A riveder la china ». Dante nei fumetti (e vignette) italiani dal XIX al XXI secolo, Venise, Edizioni Ca’ Foscari, coll. « Italianistica. Nuova serie », vol. 1, 2021, p. 14 : « opération hyper-savante » (nous traduisons).
-
[105]
Inferno xxxiv, 139 : « ensuite nous sortîmes revoir les étoiles ».
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[106]
L’Inferno di Topolino, dans Emanuela Fecchio (dir.), Paper Dante, Florence, Giunti Editore, 2021, p. 61: « C'est une injustice ! Toi, tu chantes les étoiles et moi, je dois chanter les chiens » (nous traduisons).
-
[107]
Gō Nagai, La Divina Commedia. Omnibus, édition de Matteo de Marzo, traduction de Giovanni Lapis, Milan, Edizioni BD, 2019.
Bibliographie
- Dante Alighieri, Die göttliche Komödie, traduit en allemand par Otto Gildemeister, édité par Karl Toth, illustré par Franz von Bayros, Zurich, Amalthea, 1921.
- Dante Alighieri, Divina Comedia illustrada por Miquel Barceló. Infierno, Purgatorio, Paraíso, Barcelone, Galaxia Gutenberg, 2003.
- Dante Alighieri, Inferno, commenté par Franco Nembrini et illustré par Gabriele Dell’Otto, Milan, Mondadori, 2018.
- Dante Alighieri, La Commedia secondo l’antica vulgata, édition critique de Giorgio Petrocchi, Milan, Edizione Nazionale, 1966-1967.
- Dante Alighieri, La Divina commedia, Milan, Cenobio, 1949.
- Dante Alighieri, La divine comédie, traduit de l’italien par Lucienne Portier, Paris, Les éditions du Cerf, 2008.
- Dante Alighieri, Ladivine comédie. L’enfer, Le purgatoire, Le paradis, avec les illustrations de Salvador Dalí, Paris, Les Heures Claires, 1959-1963.
- Dante Alighieri, Paradiso, commenté par Franco Nembrini et illustré par Gabriele Dell’Otto, Milan, Mondadori, 2021.
- Dante Alighieri, Purgatorio, commenté par Franco Nembrini et illustré par Gabriele Dell’Otto, Milan, Mondadori, 2020.
- Dante Alighieri, The Divine Comedy of Dante Alighieri. Inferno. A Verse Translation by Tom Phillips with Images and Commentary, Londres, Talfond Press, 1983.
- Dante Alighieri, The Divine Comedy, traduit en anglais par I.C. Wright; illustré de gravures sur acier, d’après les dessins de John Flaxman, Londres, Bell & Daldy, 1854.
- Dante Alighieri, L’enfer, avec les dessins de Gustave Doré, Paris, Hachette, 1868.
- Dante, Inferno, Purgatorio, Paradiso (3 vol.), Milan, Classici BUR, 2020 [2014].
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Sources
Ouvrages et articles
List of figures
Moreno Burattini et Fabrizio Longo, « La porta dell’Inferno », Speciale Dampyr, no 12, novembre 2016, p. 91‑92. Le professeur Montanari reconnaît les âmes de Paolo et Francesca.
Alessio D’Uva, Filippo Rossi et Astrid Lucchesi, Amor mi mosse, Florence, Kleiner Flug, 2014, planches 30 et 31 : la vision liée à la mort de Béatrice et Dante dans la forêt obscure.
L’Inferno di Topolino, dans Emanuela Fecchio (dir.), Paper Dante, Florence, Giunti Editore, 2021, p. 131‑132. Le « vrai » Dante châtie les grands traîtres Guido Martina et Angelo Bioletto pour avoir osé profaner son poème; mais une nuée d’enfants lecteurs de la bande dessinée parviennent à le faire changer d’avis. Le Sommo poeta libère enfin les deux traîtres en leur faisant promettre de ne plus recommencer.
L’Inferno di Paperino, dans Emanuela Fecchio (dir.), Paper Dante, Florence, Giunti Editore, 2021, p. 164 et 173. Paperino et Arkimedio observent les châtiments que l’enfer réserve aux pollueurs et aux fanatiques de la voiture.
David L. Carson et Landis Blair, L’accident de chasse, Paris, Sonatine, 2020, p. 264‑265 : Nathan‑Virgile guide et accompagne Matt‑Dante dans la lecture des derniers chants de L’enfer.