Article body

Introduction

Au coeur de l’apprentissage de la lecture réside la conscience phonologique, une compétence cognitive qui implique la capacité à reconnaitre et à manipuler les sons de la langue (phonèmes). Cette capacité est souvent considérée comme un prédicteur déterminant de la réussite en lecture, car elle permet aux enfants de comprendre le lien entre les sons de la langue parlée et les lettres qui les représentent dans les mots écrits. Néanmoins, la conscience phonologique n’est pas toujours pleinement évaluée. Les tests standardisés traditionnels peuvent sous-estimer ou même ignorer cette compétence clé, laissant ainsi les difficultés de décodage et de compréhension de certains enfants non détectées ou mal comprises. Par ailleurs, les intervenants disposent de peu de normes franco-québécoises. Cette lacune souligne le besoin de développer des outils d’évaluation spécifiques et sensibles pour évaluer la conscience phonologique de manière exhaustive et précise. Dans cet article, nous examinerons l’importance de la conscience phonologique pour l’apprentissage de la lecture, en mettant en lumière son rôle dans le développement de compétences en lecture. En outre, nous discuterons de la nécessité impérieuse de créer des tests d’évaluation de la conscience phonologique qui puissent informer de manière efficace la pratique éducative et les interventions destinées à soutenir les enfants en difficulté en lecture. Enfin, nous présenterons une démarche visant à élaborer un outil d’évaluation de la conscience phonologique et les résultats d’une étude pilote de prévalidation auprès d’un groupe d’élèves du primaire pour vérifier la faisabilité d’une validation de l’outil à une plus grande échelle.

Problématique

La conscience phonologique (CP), définie comme la capacité à identifier les unités segmentales de la parole puis de les manipuler mentalement et volontairement (Desrochers et al., 2009 ; St-Pierre, 2023), serait l’un des meilleurs prédicteurs de l’apprentissage de la lecture chez l’enfant qui entre dans le monde de l’écrit (Ehri et al., 2001 ; Foorman, 2023 ; Share et al., 1984). Cette relation a été mise en évidence dans une méta-analyse du National Reading Panel (Ehri et al., 2001) ainsi que lors d’études empiriques (Melby-Lervåg et al., 2012 ; Pavelko et al., 2018 ; Sittner Bridges & Catts, 2011) qui ont conclu, d’une part, que les enfants développaient des habiletés de conscience phonémique au cours de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, sans même que la CP ne soit enseignée explicitement. D’autre part, apprendre les correspondances lettres-sons et savoir comment les utiliser augmenterait la capacité de l’enfant à manipuler les phonèmes, ce qui l’aiderait à lire, du moins dans les systèmes alphabétiques comme le français (Sprenger-Charolles & Colé, 2019). Ainsi, la relation entre l’apprentissage de la lecture et le développement de la CP est considérée comme étant réciproque. Les compétences de base que l’enfant prélettré possède ainsi que la CP qu’il développe alors qu’il apprend les noms et les sons des lettres l’aident à apprendre à lire. En retour, lire et écrire lui fournissent une rétroaction qui influence le développement de sa CP (Anthony & Francis, 2005  ; Piasta, 2023 ; Saint-Pierre, 2023).

D’importantes différences individuelles existent cependant en ce qui a trait à l’apprentissage de la lecture (Sprenger-Charolles & Ziegler, 2019). Certains enfants développent leurs habiletés de lecture sans problèmes majeurs, d’autres accumulent un retard qu’ils parviennent à rattraper avec le temps et/ou de l’aide, alors que d’autres présentent des difficultés importantes et persistantes (Alegria & Mousty, 2004 ; Sprenger-Charolles & Colé, 2019). Il est possible qu’une dyslexie développementale soit à l’origine des difficultés de ces derniers. De manière générale, la dyslexie développementale (ou le trouble spécifique de la lecture) est définie comme une difficulté persistante de l’identification de mots causée par un déficit affectant le traitement phonologique, qui inclut la CP, la mémoire phonologique et l’accès au lexique (Barrouillet et al., 2007 ; Sprenger-Charolles & Casalis, 2018). La théorie phonologique de la dyslexie suppose que le point commun des enfants ayant une dyslexie développementale est la présence de déficits au niveau de l’élaboration des représentations sonores avec, cependant, une utilisation adéquate de l’information phonologique en modalité orale (Bruck, 1992). Autrement dit, chez ces enfants, le système de représentations mentales et de traitement cognitif des sons de la parole serait déficitaire à l’écrit (Ramus, 2005). L’évaluation de la CP constitue ainsi une étape cruciale de la démarche diagnostique de la dyslexie (Stamoulos et al., 2014).

Malheureusement, les tests dont disposent les cliniciens pour évaluer la CP chez les enfants franco-québécois présentent certaines limites, surtout sur le plan psychométrique. En effet, comme Colombo et al. (2016) le mentionnent, la représentativité de l’échantillon de référence est très importante pour que la comparaison des scores d’une personne à ceux de l’échantillon normatif soit informative. Plus spécifiquement, les normes d’un test doivent avoir été obtenues d’un échantillon constitué des individus qui représentent le mieux la population à qui est destiné le test. À notre connaissance, il n’existe pas de test actuel évaluant les habiletés de CP ayant été créé au Québec et validé auprès d’élèves franco-québécois scolarisés au primaire. Considérant l’importance de cette habileté pour le développement des capacités en langage écrit, les cliniciens et les intervenants scolaires, comme les orthopédagogues, doivent pouvoir situer l’élève à risque et l’élève présentant une dyslexie au regard des capacités de CP.

L’objectif général de cette étude est donc d’élaborer le PhonoTELEQ, un outil d’évaluation de la CP. Pour atteindre cet objectif, une prévalidation auprès d’un échantillon réduit d’élèves franco-québécois du primaire a été effectuée. En lien avec cet objectif, cet article est l’occasion de présenter les étapes d’élaboration du PhonoTELEQ, incluant les bases théoriques et empiriques sur lesquelles le test s’appuie, l’utilisation de bases de données lexicales et de listes orthographiques québécoises lors de la sélection des items, ainsi que la révision du test complet par des expertes dans le domaine de la conscience phonologique. Puis, les résultats de l’étude pilote, qui visait à identifier les problèmes potentiels susceptibles de survenir lors de la mise en oeuvre d’une étude de validation à grande échelle ainsi qu’à évaluer la variabilité des mesures sur un petit échantillon en vue d’adapter et d’ajuster l’outil, sont rapportés. Les retombées du PhonoTELEQ sont ensuite discutées en détail. Le PhonoTELEQ sera intégré au Test d’évaluation du langage écrit québécois (TELEQ), une batterie de tests en développement continu qui permet à ce jour d’évaluer les habiletés de lecture à voix haute et d’orthographe de mots et de pseudomots ainsi que la compréhension de lecture chez les élèves du primaire (Beaudry et al., 2020 ; Laniel & Gauthier, 2022 ; Laniel et al., 2022). Le PhonoTELEQ fournira une évaluation plus approfondie en cas de difficultés liées aux processus spécifiques du langage écrit. Ultimement, lorsque des normes auront été établies, le PhonoTELEQ devrait fournir aux professionnels les moyens d’évaluer de manière exhaustive, précise et souple les composantes de la CP.

Cadre théorique

La conscience phonologique et ses composantes

La CP correspond à la capacité à reconnaitre, à discriminer et à manipuler les sons de la parole (Anthony & Francis, 2005 ; Delahaie, 2004 ; St-Pierre, 2023). À son niveau le plus fin, la CP comprend la conscience phonémique, le phonème étant défini comme la plus petite unité phonologique d’une langue qui permet de distinguer deux mots (Brousseau & Nikiema, 2001 ; Troubetzkoy, 1949). La CP comprend également la conscience de plus grandes unités comme la syllabe, l’attaque et la rime (Castles & Coltheart, 2004).

Dans son modèle de développement métalinguistique, Gombert (1990) décrit deux niveaux de CP : un niveau épiphonologique et un niveau métaphonologique. Le niveau élémentaire de CP, l’épiphonologie, se développerait naturellement au fil de l’acquisition du langage oral et regrouperait les connaissances implicites et opérationnelles qui servent au fonctionnement de la langue (Ecalle et al., 2002). La métaphonologie correspond pour sa part à la capacité d’identifier les composantes phonologiques comprises dans les unités linguistiques (comme le mot ou la syllabe) et à les manipuler intentionnellement à partir d’une instruction. Ce niveau correspond à la CP (Ecalle et al., 2002) telle que généralement définie dans la littérature (Anthony et Francis, 2005). L’enfant atteint ce niveau lorsqu’il parvient, par exemple, à découper ou à dénombrer les unités d’un mot (Lacroix et al., 2007).

Une méta-analyse portant sur la relation qui existe entre trois des mesures les plus étudiées des habiletés phonologiques des enfants, soit la conscience phonémique, la conscience rimique et la mémoire à court terme verbale, et les capacités de lecture (Melby-Lervåg et al., 2012) concluait que la conscience phonémique semble bel et bien être une influence causale du développement des habiletés de lecture. Selon les auteurs, le développement de représentations phonologiques basées sur les phonèmes constitue une base critique pour apprendre à lire avec succès dans les langues alphabétiques. Ils ajoutent que l’incapacité à développer de telles représentations serait l’une des causes principales des difficultés d’apprentissage de la lecture chez les enfants ayant une dyslexie développementale. Les résultats de Melby-Lervåg et Hulme (2010) soulignent aussi l’importance des représentations phonémiques en lecture. Dans cette étude, des enfants âgés de 6 et 7 ans étaient entrainés à manipuler des phonèmes (fusion, suppression et substitution phonémique), à générer des rimes dans des mots non familiers ou encore, à apprendre la définition de ces mots. Les résultats montrent que le rappel des mots et la capacité à effectuer des manipulations phonémiques étaient améliorés pour les enfants qui avaient été entrainés sur le plan de la conscience du phonème seulement. Ceci soulève l’importance d’avoir une représentation phonémique des mots dans le lexique mental afin de favoriser leur mémorisation. L’hypothèse de la qualité lexicale de Perfetti et Hart (2002) explique ce phénomène en proposant que les mots varient selon le degré de précision auquel différents aspects de leur forme (p. ex., phonologie, morphosyntaxe, orthographe) et de leur signification (sémantique) sont représentés en mémoire. Ainsi, plus l’enfant possède de connaissances linguistiques à propos d’un mot, plus ce mot sera de bonne qualité lexicale. Il serait donc attendu que les enfants apprennent à lire plus rapidement les mots ayant des représentations phonologiques bien spécifiées que ceux ayant des représentations phonologiques moins bien spécifiées (Melby-Lervåg et al., 2012).

L’attaque, c’est-à-dire la ou les consonnes placées avant le noyau (p. ex., dans le mot page, /p/ constitue l’attaque) et la rime serviraient aussi à reconnaitre les mots écrits. À l’aide de tâches où des mots écrits contenant un élément visuel perturbateur étaient présentés, des études comme celle de Treiman et Chafetz (1987) ainsi que celle de Montant et Ziegler (2001) ont montré que la reconnaissance était plus rapide lorsque l’attaque et la rime étaient coupées par l’élément perturbateur (p. ex., GR//AND) que lorsque la rime était séparée au mauvais endroit (p. ex., GRA//ND). Ceci s’explique par le fait que, normalement, le lecteur analyse le mot en fonction de ses constituants phonologiques, donc le fait d’éclater une unité perturbe cette analyse (Morais et al., 2003).

La syllabe est aussi importante dans l’identification des mots écrits (Morais et al., 2003). Le lecteur identifie mieux le mot lorsque le groupement des lettres est syllabique (p. ex., présenter séquentiellement les groupes de lettres CHIM, PAN, puis ZÉ) que lorsqu’il ne l’est pas (p. ex., présenter séquentiellement les groupes de lettres CHI, MPA, puis NZÉ) (Mewhort & Beale, 1977). Puisque cet effet est aussi observé pour les pseudomots, il semble que la segmentation syllabique ne s’appuyait pas dans cette étude sur les connaissances lexicales du lecteur, mais plutôt sur ses connaissances des syllabes et de leurs frontières possibles dans sa langue. L’implication de la CP dans la lecture semble donc peu contestable, qu’elle soit basée sur le phonème, l’attaque, la rime ou la syllabe. Il s’agit d’une habileté importante, tant pour l’apprenti lecteur que pour le lecteur compétent (Morais et al., 2003 ; Chetail & Mathey, 2010).

Les mesures de la conscience phonologique

La CP regroupe un ensemble de compétences qui donne lieu à une représentation mentale de la parole comme une séquence linéaire d’éléments sonores distincts (Mousty & Leybaert, 2005). Cette séquence peut subir diverses transformations, lesquelles permettent de mesurer la CP (Cormier et al., 2006). Certaines transformations permettent de tester les compétences épiphonologiques et d’autres, les compétences métaphonologiques (Mousty & Leybaert, 2005). La compétence épiphonologique se distingue par le fait qu’il n’y a pas de contrôle intentionnel sur le traitement des unités linguistiques alors que la réflexion sur la langue, associée à la compétence métaphonologique, s’effectue de façon consciente et explicite (Ecalle et al., 2002). Cette section décrira brièvement les tâches normalement utilisées dans les outils en français qui évaluent la CP.

Les compétences épiphonologiques sont évaluées à l’aide d’épreuves de jugement de similarité (ou discrimination) ou de décision lexicale auditive, lesquelles sont présentées à l’aide d’exemples au tableau 1. Dans le jugement de similarité, l’enfant doit décider si deux mots partagent une unité phonologique (Ecalle & Magnan, 2007). Dans la décision lexicale, des mots et des pseudomots dérivés de mots connus via une modification phonologique sont présentés à l’enfant. Celui-ci doit dire si la forme entendue correspond à un mot qu’il connait (Maillart & Schelstraete, 2004). Selon Gombert (1990), il s’agit de tâches de choix forcé pouvant être accomplies en utilisant la sensibilité phonologique.

Tableau 1

Exemples d’items aux tâches épiphonologiques

Exemples d’items aux tâches épiphonologiques

-> See the list of tables

Les épreuves qui évaluent les habiletés métaphonologiques comprennent quant à elles l’isolement, l’identification, la catégorisation, la segmentation, la fusion, l’élision (ou suppression) (Ehri et al., 2001), la substitution, l’inversion (Mousty & Leybaert, 2005) et les contrepèteries (Ramus, 2005). Le tableau 2 présente des exemples d’items. L’isolement implique la reconnaissance d’une unité individuelle dans un mot alors que l’identification demande de reconnaitre le segment commun à plusieurs mots ou d’identifier un segment (Ehri et al., 2001). La catégorisation implique de détecter l’intrus parmi un ensemble de mots (Boudreau et al., 1999) ou, au contraire, d’identifier ceux qui partagent une caractéristique (Ecalle & Magnan, 2007). Dans la segmentation, l’enfant doit dénombrer les unités cibles entendues dans un mot. La fusion implique l’assemblage de petites unités pour en former de plus larges (Mousty & Leybaert, 2005). Dans la tâche d’élision, l’enfant doit supprimer une partie d’un mot et prononcer le reste. La substitution nécessite d’isoler une unité dans un mot et de la remplacer par un son différent (Boudreau et al., 1999). L’inversion implique de segmenter la chaîne parlée en unités plus petites, pour ensuite inverser et fusionner les unités (Mousty & Leybaert, 2005). Enfin, les contrepèteries nécessitent d’échanger le premier son de deux mots afin de former deux nouveaux mots ou pseudomots (Ramus, 2005).

Le niveau de difficulté de ces tâches varie selon les caractéristiques qui leur sont attribuées. D’abord, la taille de l’unité linguistique peut varier entre la syllabe, l’attaque, la rime et le phonème. Peu importe le type d’épreuve, la syllabe est toujours plus facile à traiter que le phonème (Ecalle et al., 2002), mais une différence existe en ce qui a trait à la rime et au phonème en fonction du type d’épreuve. Ainsi, dans les épreuves épiphonologiques, la rime serait plus facilement traitée que le phonème, alors que le contraire serait observé dans les épreuves métaphonologiques (Ecalle et al., 2002). La syllabe elle-même peut être plus ou moins complexe selon sa structure consonne-voyelle (Brousseau & Nikiema, 2001 ; Sprenger-Charolles & Colé, 2019). Par exemple, une structure syllabique CV (ex. : la) est plus facile à identifier qu’une structure syllabique complexe comme CVC (ex. : lac) ou CCVC (ex. : plage). La fréquence d’exposition aux segments et la densité du voisinage phonologique (Anthony & Francis, 2005), ainsi que la familiarité des mots utilisés (Boudreau et al., 1999) influencent aussi la complexité de la tâche. De plus, l’unité à identifier ou à manipuler, quel que soit le type, peut être située à différents endroits dans le mot, soit au début, au milieu ou à la fin. Alors qu’aucun effet de la position de l’unité n’est observé dans les tâches épiphonologiques, il serait plus facile pour les enfants de réaliser les tâches métaphonologiques lorsque l’unité se situe au début du mot plutôt qu’à la fin, les unités placées au centre du mot étant les plus difficiles à manipuler (Ecalle et al., 2002 ; Stanovich et al., 1984). Cependant, certaines opérations font exception à cet ordre de difficulté. C’est le cas de l’élision, qui serait plus facile à effectuer lorsque l’élément à manipuler est situé à la fin du mot (Boudreau et al., 1999 ; Dalpé et al., 2011 ; Lecocq, 1991). Il faut également tenir compte de l’implication des différentes fonctions cognitives dans les tâches visant à évaluer la CP. En effet, les différentes épreuves peuvent notamment faire appel à la mémoire à court terme, à la mémoire de travail et à l’attention. Ainsi, ces processus cognitifs sont eux aussi impliqués lors de l’évaluation des habiletés de CP et, pour cette raison, il peut être utile de fournir un support visuel (p. ex., une image) pendant la tâche afin de diminuer la charge mnésique (Ecalle et al., 2002 ; Mann, 1993 ; Stanovich et al., 1984). Enfin, il faut considérer la nature de la réponse et la place du langage dans la réponse demandée à l’enfant. Par exemple, les tâches de reconnaissance sont moins exigeantes cognitivement que les tâches de production. De plus, certaines réponses nécessitent de produire des mots, d’autres de répondre par oui ou par non, et d’autres sont non verbales (p. ex., pointer l’image) (Boudreau et al., 1999).

Tableau 2

Exemples d’items aux tâches métaphonologiques

Exemples d’items aux tâches métaphonologiques

-> See the list of tables

L’ensemble de ces études permet d’identifier des éléments orientant l’évaluation de la conscience phonologique en fonction du développement de cette habileté. Certes, la pertinence d’effectuer des tâches ciblant le phonème parait évidente, considérant le lien qui existe entre cette unité et l’apprentissage de la lecture. Toutefois, la conscience de la syllabe et la conscience de la rime jouent aussi un rôle dans le développement des habiletés de lecture et nécessitent ainsi d’être évaluées. Également, l’accès à une diversité de tâches semble important afin d’évaluer les compétences épi- et métaphonologiques des élèves tout en tenant compte de leur âge et de leur niveau scolaire. Enfin, toujours en lien avec l’aspect développemental, les études montrent que la position de l’unité à traiter à l’intérieur du mot ainsi que le niveau de familiarité du mot sont des éléments à considérer. Conséquemment, l’élaboration du test de conscience phonologique tiendra compte de ces divers aspects.

Les limites des tests utilisés au Québec

Comme mentionné, les tests dont disposent les cliniciens et les intervenants qui travaillent auprès d’élèves franco-québécois du primaire sont peu nombreux et présentent des limites. Parmi ces tests, la Batterie d’évaluation du langage écrit, ou BELEC (Mousty et al., 1994), et la Batterie Analytique du Langage Écrit, ou BALE (Jacquier-Roux et al., 2010), sont deux outils européens fréquemment utilisés au Québec. Cependant, ces deux batteries ne possèdent pas de normes québécoises. Or, il existe des distinctions majeures entre la réalité des enfants européens et celle des enfants franco-canadiens comme le vocabulaire utilisé et le système d’éducation (Bouchard et al., 2009). En effet, le parcours scolaire et les connaissances acquises peuvent différer pour deux enfants du même âge, mais de différents milieux, de sorte qu’un test belge ou français peut ne pas être adapté au contexte québécois. De manière similaire, le Test d’analyse auditive en français, ou TAAF (Cormier et al., 1995), qui ne permet de mesurer la CP que via un éventail limité de tâches (élision de syllabes et de phonèmes), a été validé auprès d’enfants franco-canadiens du Nouveau-Brunswick. Les Acadiens du sud-est du Nouveau-Brunswick ont le français comme langue maternelle, mais sont exposés de manière intense à l’anglais (Cormier et al., 2009), ce qui n’est pas le cas des Québécois puisque la langue d’enseignement est le français et que 77,5 % de la population parle français à la maison (Office québécois de la langue française, 2024). Donc, bien que le TAAF possède des normes franco-canadiennes, celles-ci ne seraient pas entièrement adaptées au contexte francophone du Québec. Parmi les tests possédant des normes franco-québécoises, il existe l’Évaluation clinique des notions langagières fondamentales : Version pour francophones du Canada, ou CELF-CDN-F (Semel et al., 2009). Ce test est intéressant, en ce sens qu’il a été validé auprès de 520 enfants québécois âgés de 4 à 16 ans et qu’il évalue diverses composantes du langage, dont la CP via le sous-test Conscience phonologique. Ce sous-test contient des tâches de fusion, de segmentation, d’élision, de discrimination et d’identification qui portent sur la syllabe, sur la rime ou sur le phonème (Semel et al., 2009). Il possède de bonnes qualités psychométriques. Toutefois, la version la plus récente de la batterie, CELF-5-CDN-F (Wiig et al., 2019), a délaissé le sous-test de CP. Ainsi, bien que le sous-test Conscience phonologique du CELF-CDN-F soit encore utile, il deviendra obsolète, entre autres en raison des normes qui sont fixes et qui n’évolueront pas avec les caractéristiques de la population, par exemple l’effet Flynn en lien avec le QI (Flynn, 1984).

En somme, considérant le fort lien existant entre la CP et la lecture, les professionnels et les intervenants scolaires du Québec doivent avoir accès à un outil standardisé pour évaluer cette habileté chez les enfants franco-québécois. C’est dans ce but que le PhonoTELEQ a été créé.

Méthodologie

L’élaboration du test

S’appuyant sur le modèle de développement métalinguistique de Gombert (1990) présenté plus haut, le PhonoTELEQ regroupe six épreuves, qui sont décrites en détail ci-dessous. La tâche de jugement de similarité constitue la seule tâche épiphonologique du test. Les cinq autres sont métaphonologiques et comprennent la catégorisation, l’identification, la fusion, la segmentation et l’élision. Chaque tâche commence par la consigne et par un exemple, suivis d’un item de pratique. Les six épreuves contiennent chacune 20 items de test. Un point est accordé à chaque bonne réponse. Dans le contexte de la prévalidation, l’ensemble du test a été réalisé avec tous les participants à l’oral, sans aucun support visuel.

Les mots ont été sélectionnés à partir de la liste orthographique d’enseignement primaire du ministère de l’Éducation et l’Enseignement supérieur du Québec (MEES), sur laquelle une analyse de fréquence en lecture et en écriture a été effectuée à l’aide de la base de données lexicale ÉQOL (Stanké et al., 2019). La fréquence du mot à l’oral, incluant ses homophones, a également été analysée à l’aide de la banque de données franco-québécoise SyllabO+ (Bédard et al., 2017). Plusieurs critères ont servi pour sélectionner chaque mot : sa classe grammaticale, son nombre d’unités (syllabes et phonèmes), sa structure syllabique et celle de l’unité cible, la complexité de l’unité cible (syllabe, rime ou phonème), la présence ou non de graphèmes complexes dans l’unité cible et le niveau scolaire d’enseignement du mot selon la liste orthographique du MEES. Dans les cas où un item de test comportait plusieurs mots, la distinction perceptuelle entre les unités cibles a également été notée (en matière de proximité du contraste). Les mots choisis pour faire partie du test étaient tous des noms et devaient minimalement remplir trois des quatre critères suivants, le premier étant obligatoire (voir l’exemple en annexe A) :

  1. Pour les items de deux mots ou plus, il faut que la structure et le niveau de complexité syllabique et graphémique de l’unité soient les mêmes. Il faut respecter ce critère considérant l’importance de comparer des items similaires pour éviter des biais reliés à d’autres facteurs (p. ex., l’effet de la longueur ou de la complexité du mot sur la mémoire de travail). Lorsque les items ne contiennent qu’un seul mot, la structure et le niveau de complexité doivent croître à l’intérieur de la tâche. C’est principalement selon ce critère que l’ordre de complexité des items a été établi.

  2. La fréquence des mots (incluant leurs homophones), selon la base de données lexicale ÉQOL (Stanké et al., 2019), doit se situer entre 0,0 et 0,5[1]. Cette mesure vise à limiter tout risque de biais lié à la connaissance orthographique des mots qui seraient très fréquents à l’écrit. En effet, cette base de données a été validée auprès de 4 733 élèves de niveau primaire, ce qui permet d’identifier le taux de réussite de la production écrite d’un mot (Stanké et al., 2019).

  3. La fréquence des mots à l’oral (incluant leurs homophones), selon la base de données SyllabO+ (Bédard et al., 2017), doit se situer entre 0,0 et 0,5[2], afin de ne pas comparer des mots très fréquents avec d’autres, peu fréquents. À quelques exceptions près, la fréquence orale des mots ne dépassait pas 0,2.

  4. Afin de limiter tout risque de biais lié au niveau de connaissance lexicale, les items de deux mots ou plus doivent comprendre des mots dont l’orthographe est enseignée au même niveau scolaire selon la liste orthographique du MEES. Le critère est considéré comme respecté lorsqu’il y a un écart d’au plus un niveau scolaire.

La révision par les expertes

Afin de valider le contenu de chaque épreuve du PhonoTELEQ, nous avons d’abord envoyé une première version du protocole à deux expertes de la CP, comme Haynes et al. (1995) le recommandent. Les expertes ont été considérées comme telles parce qu’elles détenaient une formation universitaire de 1er cycle universitaire et que, par la suite, elles ont poursuivi leur formation de 2e et 3e cycles dans le domaine. Ainsi, ces professeures universitaires et expertes ont dû se prononcer quant à la méthodologie utilisée pour élaborer les épreuves, la clarté et la longueur des consignes, la pertinence des items d’exemple, de pratique et de test, ainsi que sur les caractéristiques plus globales du test comme la longueur du test, l’ordre et la pertinence des tâches, le nombre d’items et de tâches, le niveau de difficulté et la terminologie employée. Pour ce faire, elles disposaient d’une grille d’évaluation qu’elles ont annotée pour chacun des sous-tests. À la suite de leurs recommandations, le contenu du PhonoTELEQ a subi plusieurs ajustements. Afin de diminuer le temps de passation, nous avons retiré les épreuves de décision lexicale auditive et de substitution, car elles paraissaient moins pertinentes et prédictives des habiletés de lecture et d’orthographe. Nous avons également retiré les épreuves qui demandaient d’identifier une unité en position médiane pour éviter tout biais lié à la charge plus élevée en mémoire de travail. Nous avons ainsi fixé à 20 le nombre total d’items de chaque épreuve, incluant dix items portant sur la syllabe et dix items portant sur le phonème. Certaines tâches ont ciblé les unités initiale et finale (mais pas médiane) plus spécifiquement. Pour la prévalidation, il a été déterminé que les participants, peu importe leur niveau scolaire, effectueraient l’ensemble du test. Selon les résultats, il serait possible d’identifier un item d’arrêt pour respecter la charge mentale liée à l’exécution des tâches chez les élèves les plus jeunes. Enfin, pour éviter que des facteurs liés aux items du test ne biaisent la performance des enfants, nous avons également remplacé plusieurs mots constituant les items et resserré leurs critères de sélection. Plus spécifiquement, nous avons revu certains mots vulnérables à l’élision par les locuteurs québécois (p. ex., fenêtre prononcé fenête) ou peu fréquents pour les enfants québécois ou allophones lorsque ces mots risquaient d’influencer la performance à la tâche.

La description des tâches du PhonoTELEQ

Épreuve 1 : Le jugement de similarité

La première épreuve est une tâche de jugement de similarité, dans laquelle l’enfant doit déterminer, en répondant par oui ou par non, si deux mots présentés oralement partagent une caractéristique ciblée. La première partie cible la syllabe initiale (p. ex., « Est-ce que bonbon et bateau commencent par la même syllabe ? ») puis la syllabe finale (p. ex., « Est-ce que filet et palais se terminent par la même syllabe ? »). La deuxième partie fonctionne selon le même principe, mais en ciblant le phonème initial, puis le phonème final. Chacune des deux parties contient dix items : cinq pour la position initiale et cinq pour la position finale.

Épreuve 2 : La catégorisation

La deuxième épreuve est une tâche de catégorisation, dans laquelle l’enfant doit trouver, parmi quatre mots qui lui sont présentés oralement, les deux qui partagent une caractéristique commune. La première partie cible la syllabe initiale (p. ex., « Quels sont les deux mots qui commencent par la même syllabe : sabot-santé-sapin-sujet ? »), puis la syllabe finale (p. ex., « Quels sont les deux mots qui se terminent par la même syllabe : cochon-poussin-museau-bouchon ? »). La deuxième partie fonctionne selon le même principe, mais en ciblant le phonème initial, puis le phonème final. Chacune des deux parties contient dix items : cinq pour la position initiale et cinq pour la position finale.

Épreuve 3 : L’identification

La troisième épreuve est une tâche d’identification, dans laquelle l’enfant doit identifier une unité cible dans un mot présenté oralement. La première partie cible la syllabe initiale (p. ex., « Quelle est la première syllabe du mot chalet ? »), puis la syllabe finale (p. ex., « Quelle est la dernière syllabe du mot couteau ? »). La deuxième partie fonctionne selon le même principe, mais en ciblant le phonème initial et le phonème final. Chacune des deux parties contient dix items : cinq pour la position initiale et cinq pour la position finale.

Épreuve 4 : La fusion

La quatrième épreuve est une tâche de fusion syllabique et phonémique. Dans la première partie, l’examinateur présente un mot à l’oral en marquant une courte pause entre chaque syllabe, et l’enfant doit ensuite fusionner les syllabes pour identifier le mot (p. ex., « Quel mot entends-tu : ca-deau ? »). La deuxième partie fonctionne selon le même principe, mais en ciblant le phonème (p. ex., « Quel mot entends-tu : / ʒ / - / ʏ / - /p/ ? »). Chacune des deux parties contient dix items. Pour l’épreuve de fusion phonémique, des mots ne faisant pas partie de la liste orthographique du MEES ont été sélectionnés afin d’éviter autant que possible que les enfants ne se basent sur leur lexique orthographique pour répondre.

Épreuve 5 : La segmentation

La cinquième épreuve est une tâche de segmentation syllabique et phonémique. Dans la première partie, l’examinateur présente un mot à l’oral et l’enfant doit segmenter le mot en syllabes ainsi que préciser le nombre d’unités syllabiques comptées (p. ex., « Découpe en syllabes le mot tapis »). La deuxième partie fonctionne selon le même principe, mais en ciblant le phonème (p. ex., « Découpe en sons le mot pou »). Chacune des deux parties contient dix items. Pour l’épreuve de segmentation phonémique, des mots ne faisant pas partie de la liste orthographique du MEES ont été sélectionnés afin d’éviter autant que possible que les enfants ne se basent sur leur lexique orthographique pour répondre.

Épreuve 6 : L’élision

La dernière épreuve est une tâche d’élision dans laquelle l’examinateur présente oralement un mot à l’enfant et lui demande de prononcer ce mot après avoir retiré une partie. La première partie cible la syllabe initiale (p. ex., « Le mot est gâteau. Maintenant, dis gâteau, mais sans dire . »), puis la syllabe finale, selon le même principe. La deuxième partie fonctionne de manière similaire, mais en ciblant le phonème initial (p. ex., Le mot est boue. Maintenant dis boue, mais sans dire /b/.), puis le phonème final. Chacune des deux parties contient dix items : cinq pour la position initiale et cinq pour la position finale.

L’étude pilote de prévalidation du PhonoTELEQ

Pour évaluer la faisabilité d’une étude de validation du PhonoTELEQ à plus grande échelle, nous avons effectué une étude pilote de prévalidation auprès d’un petit groupe d’élèves du primaire. Pour ce faire, nous avons considéré le pourcentage d’enfants ayant complété le protocole de recherche, le pourcentage d’enfants ayant effectué le PhonoTELEQ jusqu’à la fin et la présence d’indices de validité du test dans les performances. Nous nous attendions à ce que tous les enfants complète le protocole de recherche ainsi que le PhonoTELEQ et à ce que la performance au test s’améliore en fonction du niveau scolaire et qu’elle soit liée aux habiletés de lecture.

Les participants

Cette version du PhonoTELEQ a été administrée à un échantillon de 14 enfants de 1re, 2e, 3e, 4e et 6e année du primaire pendant l’année scolaire 2022-2023. Ce nombre convient aux études pilotes, pour lesquelles des groupes de 12 à 30 participants sont généralement recommandés (Browne, 1995 ; Julious, 2005). Il n’a pas été possible de recruter d’élèves de 5e année. Tous les enfants étaient francophones et scolarisés en français. Selon les informations fournies par les parents, aucun enfant n’avait reçu de diagnostic de trouble neurodéveloppemental (p. ex., trouble d’apprentissage ou de langage) et aucun n’avait repris d’année scolaire. Toutefois, certains avaient reçu des services en orthopédagogie (trois enfants) ou en orthophonie (deux enfants) pour travailler les habiletés de langage oral ou écrit. Nous avons conservé ces enfants dans l’échantillon afin de mieux comprendre l’outil chez les enfants avec ou sans difficulté et d’apprécier la variabilité des mesures. Un seul participant de 1re année était considéré en difficulté d’apprentissage sur le plan du langage écrit, selon les commentaires de l’enseignant(e).

La procédure

Les enfants ont été recrutés via des annonces publiées sur les réseaux sociaux. Notamment en raison du contexte pandémique, il a été difficile de recruter un nombre égal d’enfants de chaque niveau scolaire. Toujours en raison de la pandémie et pour faciliter le recrutement, la passation des évaluations s’est déroulée au domicile des enfants, dans un endroit calme et sans distractions. Afin de respecter le rythme de chacun et d’éviter des effets de la fatigue, tous les enfants ont eu la possibilité de prendre une pause, au besoin. En plus du consentement donné par le parent, l’étude et sa visée ont été présentées à chaque enfant avant que celui-ci consente lui-même en signant le formulaire d’assentiment prévu à cet effet. Le sous-test de lecture de mots et de pseudomots du TELEQ (Laniel et al., 2022) a été passé afin d’obtenir une estimation du niveau de lecture de l’enfant. Notons que les normes ne sont présentement pas disponibles pour les enfants de 1re année. Le tableau 3 présente les caractéristiques de l’échantillon.

Résultats

La faisabilité d’une étude de validation à grande échelle

D’abord, la totalité des participants (100 %) a accompli l’ensemble des tâches du protocole de recherche. De plus, l’ensemble des participants (100 %) a complété la passation du PhonoTELEQ d’une durée d’environ 50 minutes. Finalement, les performances des enfants au PhonoTELEQ indiquent, comme anticipé, que la performance globale augmente généralement avec le niveau scolaire et qu’elle est corrélée avec les habiletés de lecture de mots et de pseudomots. Nous présentons ces résultats en détail ci-dessous.

Les analyses préliminaires

Le tableau 4 montre les performances globales de chaque enfant aux différentes épreuves. De manière générale, les résultats préliminaires indiquent que les tâches de jugement de similarité (épreuve 1), d’identification (épreuve 3), de fusion (épreuve 4) et d’élision (épreuve 6) sont mieux réussies que celles de catégorisation (épreuve 2) et de segmentation (épreuve 5). Par ailleurs, les analyses corrélationnelles montrent une relation positive forte entre le niveau scolaire et la performance aux tâches de catégorisation et de segmentation, une relation positive moyenne entre le niveau scolaire et la performance aux tâches de fusion et de segmentation, ainsi qu’une relation positive de petite taille entre le niveau scolaire et la performance aux tâches de jugement de similarité et d’identification. Ainsi, la performance globale des enfants augmente généralement avec le niveau scolaire. Le participant 2 correspond à l’enfant considéré en difficulté d’apprentissage sur le plan du langage écrit, ce qui expliquerait pourquoi sa performance se démarque. Également, comparativement aux enfants n’ayant jamais reçu de services ou ayant reçu des services en orthophonie, les enfants de niveau équivalent ayant déjà été suivis en orthopédagogie tendent à obtenir des résultats plus faibles au test. Les tâches de jugement de similarité, d’identification, de fusion et d’élision ont un taux de réussite satisfaisant. Les épreuves 1 et 4, qui sont majoritairement bien réussies et peuvent sembler moins discriminantes, évaluent possiblement des capacités acquises tôt dans le développement typique, mais qui pourraient être problématiques chez les enfants en difficulté (comme le participant 2), ce que seule une étude de validation auprès d’un échantillon clinique permettrait de vérifier.

Tableau 3

Caractéristiques descriptives de l’échantillon

Caractéristiques descriptives de l’échantillon

* R.C. = rang centile

-> See the list of tables

Tableau 4

Performances en scores bruts pour chaque enfant

Performances en scores bruts pour chaque enfant

Note. Orthoph. = Orthophonie ; Orthop. = Orthopédagogie ; Épreuve 1 = Jugement de similarité ; Épreuve 2 = Catégorisation ; Épreuve 3 = Identification ; Épreuve 4 = Fusion ; Épreuve 5 = Segmentation ; Épreuve 6 = Élision.

-> See the list of tables

Le tableau 5 montre le taux de réussite des items de chaque épreuve en fonction de l’unité ciblée. Alors que l’épreuve de segmentation syllabique est plutôt bien réussie par les participants, celle de segmentation phonémique a un taux de réussite de seulement 60 %. La tâche de catégorisation a aussi été globalement moins bien réussie que les autres. Les résultats de l’analyse du taux de réussite de chaque item sont présentés à l’annexe B et seront discutés ci-dessous.

Tableau 5

Taux de réussite des items pour chaque épreuve selon l’unité ciblée

Taux de réussite des items pour chaque épreuve selon l’unité ciblée

-> See the list of tables

Les analyses corrélationnelles, présentées au tableau 6, montrent que les résultats varient selon le niveau scolaire, avec toutefois une relation de plus petite taille pour les tâches de jugement de similarité et d’identification. Les analyses montrent également qu’il existe un lien entre la performance des participants et leur niveau de lecture. De manière générale, une plus forte corrélation semble exister entre les performances aux différentes tâches et les scores de précision, plutôt que de vitesse, en lecture de mots et de pseudomots. En fait, des relations positives moyennes à fortes sont observées entre les scores de précision de lecture et la performance aux épreuves de catégorisation, de fusion, de segmentation et d’élision, de même qu’avec les scores totaux (aux tâches métaphonologiques et au test complet).

Discussion

Le but de cet article était de présenter le PhonoTELEQ ainsi que la validité de son contenu en tenant compte des commentaires de deux expertes en CP. L’article visait en second lieu à présenter les résultats de l’étude pilote réalisée auprès d’un échantillon de 14 élèves franco-québécois du primaire en vue d’évaluer la faisabilité d’une étude de validation du PhonoTELEQ à plus grande échelle. Les observations qualitatives durant la passation, les résultats des enfants au test et les résultats d’analyses statistiques de cette étude pilote sont discutés ci-dessous, et permettront de peaufiner la version du PhonoTELEQ qui servira à l’étape de validation.

D’abord, les commentaires des expertes nous ont permis de valider le contenu des épreuves et d’établir une ébauche de validité de construit pour chacune de celles-ci. Par exemple, des deux épreuves initialement conçues pour évaluer les compétences épiphonologiques, Jugement de similarité et Décision lexicale auditive, seule la première a été conservée pour la passation du PhonoTELEQ auprès des élèves, car, selon les expertes, la tâche de décision lexicale correspond plutôt à une tâche de discrimination auditive en regard des items. Les tâches conservées pour la passation auprès des élèves permettent ainsi d’évaluer les compétences épi- et métaphonologiques sur le plan de la rime, de la syllabe et du phonème.

Ensuite, tous les items des six épreuves ont été administrés aux enfants. Aucune règle de départ et d’arrêt n’avait préalablement été établie. Selon l’enfant évalué, il a fallu entre 35 et 50 minutes pour accomplir l’ensemble des tâches. Il est à noter que le temps de passation augmente généralement pour les enfants qui ont moins de facilité à réaliser les tâches (p. ex., items de pratique refaits, items répétés, etc.). Malgré tout, aucun enfant ne s’est plaint de fatigue ou d’ennui pendant l’administration. Toutefois, le PhonoTELEQ est sans doute trop long pour être administré de manière intégrale. Le but de la validation sera donc d’établir des points de départ et d’arrêt appropriés ainsi que de proposer des manières d’approfondir l’évaluation selon les difficultés relevées. Il demeure néanmoins que, bien que le test puisse être long à réaliser dans son intégralité, la variété des épreuves du PhonoTELEQ constitue l’une de ses forces notables, puisque celui-ci offre la possibilité d’obtenir un portrait complet des capacités de CP de l’élève.

Tableau 6

Corrélation entre les scores aux tâches, le niveau scolaire et les mesures du niveau de lecture

Corrélation entre les scores aux tâches, le niveau scolaire et les mesures du niveau de lecture

Note. *p < 0,05.

-> See the list of tables

De plus, comme toutes les consignes et tous les items se trouvent à même le protocole et qu’aucun matériel supplémentaire n’est nécessaire, le PhonoTELEQ a été facile à faire passer aux élèves, peu importe leur niveau scolaire. Grâce aux consignes, avec les items d’exemple et de pratique, les participants de tous les niveaux scolaires ont bien compris les tâches. De manière générale, les enfants ont trouvé que l’épreuve de catégorisation était la plus difficile à réaliser. En effet, la plupart d’entre eux ont oublié des mots et ont eu besoin de répétitions. Ainsi, lorsque questionnés à ce sujet, ils ont tous semblé d’accord pour dire qu’un support visuel imagé les aurait aidés. En lien avec ceci, le défi que représente le fait de garder quatre mots en mémoire de travail pourrait expliquer, en partie, le plus faible taux de réussite des items de cette tâche. Quant à elle, la tâche de segmentation a été moins bien réussie que les autres, mais ceci était attendu en raison du niveau de difficulté plus élevé qu’elle implique, surtout pour la condition phonémique (Ecalle et al., 2002). Ainsi, selon le taux de réussite des différentes épreuves, leur ordre de présentation pourrait être réorganisé de la plus facile à la plus difficile. Les consignes de passation, autant pour la validation à large échelle du test que dans le manuel technique de sa version finale, préciseront de demeurer alertes au niveau de fatigue de l’enfant durant la passation.

Également, à deux exceptions près, tous les items ont un taux de réussite se trouvant entre 50 % et 100 % (annexe B). Les exceptions incluent l’item « balcon » (Identification de la syllabe initiale), dont le taux de réussite est de 43 %, et l’item « égal » (Segmentation phonémique), dont le taux de réussite est de 21 %. Il sera pertinent de prendre en considération le taux de réussite de chaque item lors de la validation du test. En effet, lors de l’élaboration du test, les items ont été ordonnés ainsi à l’intérieur des tâches selon des critères théoriques basés sur les caractéristiques linguistiques des mots. Toutefois, il est possible que cela diffère dans la pratique. Ainsi, les items seront réordonnés des mieux réussis aux moins bien réussis.

Sur le plan de la validité, rappelons que la révision par deux expertes de la CP[3], en plus des analyses linguistiques réalisées lors de la sélection des items, ont permis d’assurer la validité de contenu du PhonoTELEQ, tout en nous renseignant sur les modifications à apporter pour la validation à large échelle en fonction de l’utilité souhaitée pour chaque épreuve du test. Par exemple, les tâches comprenant cinq items uniquement seraient plus utiles au dépistage qu’à l’évaluation, utilisation pour laquelle il faudrait augmenter le nombre d’items à 10.

Enfin, les résultats de l’étude pilote indiquent que la totalité des participants a effectué l’ensemble des tâches prévues au protocole de recherche et au PhonoTLEQ. Ceci suggère que le nombre d’épreuves et d’items ainsi que leur niveau de difficulté sont adéquats pour des enfants de niveau primaire. Les résultats montrent que les performances aux différentes épreuves tendent à varier selon le niveau scolaire et le niveau de lecture des enfants. Également, la différence observée entre les résultats des enfants n’ayant jamais reçu de services et ceux ayant reçu des services en orthophonie ou en orthopédagogie pourrait indiquer que l’outil est sensible aux difficultés de langage écrit chez les élèves. Ceci suggère globalement que la présente version du test, bien qu’elle soit préliminaire, démontre des éléments de validité de critère, ce qui devra toutefois être validé auprès d’un plus grand échantillon. En somme, l’évaluation de faisabilité indique qu’il est raisonnable et réaliste de considérer l’étude de validation à grande échelle comme prochaine étape dans le développement du PhonoTELEQ.

Les limites et les pistes futures

La petite taille de l’échantillon empêche d’exploiter pleinement les résultats d’analyses statistiques, qui sont rudimentaires et ne permettent pas de prendre en compte les variables pouvant être associées à la CP, comme l’âge et le niveau socioéconomique. Une fois le PhonoTELEQ ajusté selon l’issue de la présente étude pilote, une validation et une normalisation à plus grande échelle pourront être effectuées auprès d’élèves francophones et allophones de tous les niveaux du primaire et provenant de régions et de milieux socioéconomiques variés, en prenant en considération la culture des participants pour prévenir tout biais d’évaluation lié à la familiarité avec le contenu du test. Afin de respecter la courbe d’évolution de la CP en lien avec l’apprentissage de l’écrit, notamment auprès des élèves du 1er cycle, il serait pertinent d’effectuer le test à trois moments durant l’année scolaire (début, milieu et fin). Ainsi, il serait possible d’obtenir une description plus précise de profils d’apprenants. Par ailleurs, il serait également intéressant d’inclure un échantillon clinique afin de déterminer comment les enfants qui présentent un trouble d’apprentissage du langage écrit répondent au test.

Conclusion

Globalement, cette étape de prévalidation du PhonoTELEQ a permis d’obtenir des données pertinentes, grâce aux commentaires des expertes ainsi que via les résultats obtenus par le petit échantillon d’enfants. En ce sens, il est intéressant de noter que cette version préliminaire du test démontre déjà des éléments de validité de contenu et de critère. Le test pourra donc être peaufiné afin d’être administré à un plus grand échantillon d’élèves franco-québécois du primaire afin d’obtenir des normes pour chaque niveau scolaire. Ainsi, il ne fait nul doute que le PhonoTELEQ sera un outil fidèle et valide sur le plan psychométrique, mais également pertinent et informatif sur le plan clinique, notamment en contexte d’évaluation de troubles de langage oral ou écrit. Le PhonoTELEQ comblera le manque de tests standardisés évaluant la CP au Québec en offrant aux professionnels qui interviennent auprès d’élèves francophones du primaire un éventail d’épreuves complet et sensible.