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Introduction

Depuis les travaux d’Allal (1999), notamment, on considère que la mise en oeuvre de l’évaluation formative fournit des outils pertinents à l’enseignant mais également à l’apprenant. Elle est cohérente avec les objectifs du Conseil de l’Europe, dans le Cadre européen commun de référence pour les langues (désormais CECRL), publié en 2001, qui sont de favoriser l’autonomie de l’apprenant et de promouvoir l’apprentissage tout au long de la vie. Pourtant, trop fréquemment, la pratique évaluative en classe se résume à l’attribution d’une note et, trop rarement, à la régulation et à l’autorégulation des apprentissages et de l’enseignement.

L’objectif de cet article est d’investiguer des processus et des phénomènes dans l’enseignement supérieur français pour tenter de circonscrire et de préciser la notion d’un agir-ensemble dans des situations où l’évaluation est une ressource pour soutenir l’apprentissage. Pour ce faire, nous convoquerons le concept de microculture de classe, dans le cadre épistémologique de la perspective située, ainsi que le champ conceptuel de l’évaluation-soutien d’apprentissage, et ce, afin de donner à voir en quoi la coconstruction d’une microculture de classe dans les situations d’évaluation pourrait permettre de soutenir la régulation et l’autorégulation des apprentissages (Soubre, 2021). 

Plus particulièrement, nous nous intéressons aux pratiques de classe qui font appel à différentes modalités d’autoévaluation de l’apprenant (Allal, 1999) et qui interrogent la posture de l’enseignant et la place de l’apprenant dans la régulation de son apprentissage au sein d’un espace didactique commun. L’objectif de notre recherche est d’investiguer plus spécialement des processus et des phénomènes qui relèvent d’une microculture de classe au sens de Mottier Lopez (2008). Il s’agit de penser non seulement l’implication des étudiants dans des démarches d’autoévaluation, mais aussi des espaces d’évaluation collaborative et de construction de significations autour de l’évaluation entre enseignants et apprenants et entre apprenants, à propos d’objets de savoir identifiés (Mottier Lopez, 2015a). Plus spécialement, notre projet est d’observer ce que signifie et ce qu’implique une telle conception de l’évaluation des apprentissages des étudiants dans des classes de français langue étrangère dans l’enseignement supérieur.

La partie suivante de l’article présente les concepts retenus pour étudier les processus et les phénomènes de la coconstruction d’une microculture de classe à des fins de régulation des apprentissages, puis les questions de recherche. Nous exposons ensuite le contexte de notre étude et son cadre méthodologique, suivis de résultats issus de cette étude. Dans une discussion conclusive, nous reviendrons sur la possibilité de la coconstruction d’une microculture de classe à des fins de régulation et d’autorégulation des apprentissages. Nous souhaitons également voir en quoi les défis actuels de l’évaluation-soutien d’apprentissage à l’université se trouvent interrogés, médiatisés, activés par la mise en oeuvre de ces approches évaluatives.

Cadre conceptuel

Parmi les nombreuses entrées possibles, nous retenons deux champs conceptuels : la microculture de classe et l’évaluation-soutien d’apprentissage. Le cadre conceptuel que nous convoquons concerne principalement le milieu scolaire ; toutefois, il nous semble que, dans les paramètres choisis ici, ils sont également pertinents pour le milieu universitaire.

La microculture de classe

Notre cadre conceptuel s’appuie prioritairement sur les travaux de Mottier Lopez concernant les microcultures de classe, notamment du point de vue des significations, des normes et des pratiques coconstruites entre l’enseignant et ses élèves, et susceptibles de soutenir les progressions d’apprentissage de ces derniers (Mottier Lopez, 2018). Travaillant à partir des travaux de Cobb et al. sur l’enseignement des mathématiques (Cobb et al., 2001), Mottier Lopez montre que les normes et les pratiques socialement construites au plan communautaire de la classe demandent à être reconnues et partagées par l’enseignant et par les élèves afin de révéler la relation indissociable entre apprentissage et situation.

Pour analyser ce contexte social de la classe dans le cas de l’enseignement des mathématiques, les auteurs identifient deux plans qu’ils relient non pas en les opposant, mais plutôt en les associant de manière inséparable comme le postule la perspective située de la cognition et de l’apprentissage en classe. Le premier plan d’analyse est le plan communautaire, constitué des pratiques mathématiques et des normes sociales de chaque classe (Cobb et al., 2001 ; Mottier Lopez, 2008). Le deuxième plan est le plan individuel, qui indique les interprétations et les raisonnements mathématiques de l’enseignant et des élèves quand ils « participent aux pratiques mathématiques de leur classe, ainsi que les valeurs et croyances individuelles à propos de leur rôle d’élève, du rôle de leurs pairs, de l’enseignant, de leur rapport aux mathématiques » (Mottier Lopez, 2016, p. 69).

À la suite de Rogoff (2008), Mottier Lopez complète ces deux plans avec un troisième, qui concerne les « processus interpersonnels de négociation et de construction interactives des significations symboliques entre les membres de la classe » (Allal & Mottier Lopez, 2007, p. 154). Ce troisième plan se positionne entre le plan communautaire et le plan individuel, et permet d’étudier les processus de communication et l’étayage interactif entre l’enseignant et ses élèves, ou entre élèves, dans une logique de coconstitution de la microculture de classe. Ainsi, ces trois plans sont vus comme interdépendants et contribuent chacun à leur relation de coconstitution réciproque.

Nous présentons ci-dessous la figure réalisée par Mottier Lopez (2008), présentant les trois plans constitutifs de la microculture de classe, que nous adaptons au contexte de l’enseignement et de l’apprentissage du français en tant que langue étrangère (désormais FLE). En effet, nous pensons que ce cadre d’analyse peut être fécond à utiliser dans le cadre de toute situation d’enseignement et d’apprentissage à la condition de le contextualiser. Nous adoptons donc ce cadre d’analyse et d’interprétation de la microculture de classe, tel que décrit et conceptualisé par Mottier Lopez, dans le cas de l’enseignement des mathématiques.

Parmi les différentes composantes des plans de chaque microculture de classe, nous retenons la constitution interactive de normes que nous appellerons sociolangagières[1], à savoir, selon Mottier Lopez (2008), l’analyse de l’ensemble des normes liées à la discipline enseignée qui permet « d’identifier les systèmes d’attentes et d’obligations vues comme reconnues et partagées par les membres de la classe, propres aux pratiques d’enseignement et d’apprentissage de la discipline » (p. 154). Elles sont spécifiques aux savoirs disciplinaires en jeu. En partant du travail réalisé en mathématiques par Mottier Lopez sur les normes sociomathématiques, nous établissons un parallèle avec l’enseignement et l’apprentissage de la langue étrangère. Nous choisissons de nommer ces normes sociolangagières parce que nous considérons tout d’abord qu’elles se coconstruisent entre les différentes personnes du groupe (enseignant et étudiants) dans le cadre de la classe. Ces normes disciplinaires intègrent ainsi, dans le paradigme de la perspective située, l’aspect social de la classe. En coconstruisant ces normes sociolangagières dans le contexte de leur classe, l’enseignant et les apprenants établissent un cadre visant une culture commune qui, ainsi, constitue « un référentiel collectif (Allal, 2002), qui va permettre aux participants d’interpréter et de donner sens à leurs activités » (Mottier Lopez, 2008, p. 155). Ces normes communautaires sont à articuler avec les objets de savoir spécifiques enseignés dans la classe, c’est-à-dire portant sur le français et sur son apprentissage.

Figure 1

Plans constitutifs de la microculture de classe selon Mottier Lopez (2016, p. 71) adaptés pour la classe de FLE

Plans constitutifs de la microculture de classe selon Mottier Lopez (2016, p. 71) adaptés pour la classe de FLE

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L’évaluation-soutien d’apprentissage

Les travaux en sciences de l’éducation ont largement mis en évidence les différentes fonctions de l’évaluation (Allal, 2008  ; De Ketele, 2010 ; Hadji, 1989 ; Mottier Lopez, 2015b). Des propositions conceptuelles issues de travaux anglophones invitent à penser l’évaluation des apprentissages dans une visée principalement d’autoévaluation et de soutien à l’apprentissage dans les pratiques de classe, de façon formelle et/ou informelle. En anglais, cette approche nommée assessment for learning (Black & William, 1998). Allal et Laveault (2009) l’ont traduite en français par évaluation-soutien d’apprentissage ; d’autres auteurs et autrices francophones traduisent parfois l’expression littéralement par évaluation pour apprendre. À la suite des choix faits par Soubre (2021), l’option retenue dans cette étude est de reprendre la proposition d’Allal et Laveault (2009).

Cette approche renvoie à la participation de l’apprenant aux processus évaluatifs : tout en ayant pour fonction de l’aider à apprendre, elle est « au service de l’apprentissage de l’élève » (Allal, 1999, p. 13). Son intention dominante est de soutenir la régulation des apprentissages de ce même apprenant, c’est-à-dire « d’intervenir dans et sur les apprentissages, en temps réel, et dans la durée du processus » (Hadji, 2012, p. 48). Il s’agit donc ici d’une coévaluation formative et formatrice à analyse réflexive communautaire/individuelle et continue.

Cette évaluation permet la mise en place de « relations interactives, dialogiques et contingentes entre enseignement et apprentissage » (Allal & Laveault, 2009, p. 103). Les activités évaluatives sont intégrées de manière quotidienne aux pratiques de classe, en faisant appel à des démarches formelles et informelles d’évaluation, qui concernent l’apprenant non seulement dans les processus d’autorégulation soutenus par l’étayage de l’enseignant, mais également dans des démarches d’autoévaluation. Ces démarches d’évaluation sont doublement intéressantes. Premièrement, elles englobent les actions de l’enseignant et des apprenants, mais aussi les échanges et les négociations à propos des critères d’évaluation et des exigences attendues. Deuxièmement, elles comprennent l’outillage et l’implication active des élèves dans l’évaluation. Dans le cadre de l’enseignement supérieur, nous souhaitons plus spécialement mettre en avant le fait que cette évaluation-soutien d’apprentissage peut être constituée de « tâches et activités quotidiennes réalisées par les étudiants […] et du recours à l’observation et aux formes variées d’échange » entre l’enseignant et les étudiants (Allal & Laveault, 2009, p. 103). L’évaluation est ici l’objet d’une construction contractuelle approfondie entre l’enseignant et l’étudiant.

Le but ultime est donc bien d’amener l’étudiant à « s’impliquer dans la régulation de ses apprentissages par des démarches d’autoévaluation, d’évaluation mutuelle entre pairs et de coévaluation entre l’enseignant et l’apprenant » (Mottier Lopez, 2015b, p. 92). Nous avançons l’hypothèse que, si les processus de l’évaluation parviennent à être optimalement partagés par les acteurs de l’enseignement et de l’apprentissage, les effets formatifs s’en trouveront augmentés, tant dans leurs modalités que dans leurs qualités, et ce, au bénéfice de l’enseignant, de l’apprenant et des savoirs en jeu. La finalité est d’amener chaque étudiant à participer de façon active et délibérée à des démarches variées d’autoévaluation à des fins d’autorégulation.

La question de recherche 

Comme annoncé précédemment, l’objectif est d’observer ce que signifie et ce qu’implique cette conception de l’évaluation des apprentissages des étudiants dans une classe de FLE de l’enseignement supérieur français. Notre question de recherche, dans cette étude, est la suivante : en quoi la coconstruction d’une microculture permet-elle de soutenir la régulation et l’autorégulation des apprentissages en langue étrangère chez les étudiants de FLE ? Pour apporter des éléments de réponse, nous choisissons de documenter la coconstruction d’une microculture de classe[2] par deux questions spécifiques :

  • En quoi l’identification et la négociation des critères d’évaluation permettent-elles la coconstruction de cette microculture visant la régulation et l’autorégulation des apprentissages en langue étrangère ?

  • En quoi un déroulement systématisé de bilan réflexif en classe permet-il la coconstruction de cette microculture visant la régulation et l’autorégulation des apprentissages en langue étrangère ?

Méthodologie

La recherche réalisée s’inscrit dans une approche compréhensive et interprétative (Gohier, 2004 ; Savoie-Zacj & Peters, 2011). Cette partie présente le profil de la classe et des participants, puis le recueil des données et leur analyse.

La classe observée et le profil des enseignants et des étudiants

La classe concernée par l’étude est un cours semestriel du programme de Diplôme Universitaire d’Études Françaises (DUEF), qui se déroule dans un cadre universitaire en France. Ce cours a pour objet l’apprentissage de la langue et de la culture françaises. Les objectifs de ce cours sont adossés aux référentiels européens, spécifiés dans le CECRL. Les activités proposées dans cette classe visent le niveau C1[3]. La formation est organisée sur quatre jours par semaine, les cours durant quatre heures continues par jour (le nombre d’heures de formation est de 208 heures de français par semestre).

La classe est constituée de 16 étudiants, âgés de 18 à 25 ans venant de différents pays (Afrique du Sud, Chine, Colombie, Corée, États-Unis, Ghana, Japon, Pérou, Pologne, Russie, Venezuela) et ne parlant donc pas tous la même langue, ce qui rend les activités de régulation délicates pendant les temps de bilan. Les enseignants, conscients de cela, ont imaginé des outils de réflexion et de régulation des apprentissages qui prennent en compte cet élément de contexte, comme nous le verrons par la suite.

La classe est encadrée par un binôme d’enseignants, Inès et Alexis[4]. Les deux ont une douzaine d’années d’expérience d’enseignement auprès d’apprenants aux profils variés, en France et à l’international. Ils ont toutefois enseigné majoritairement à un public de jeunes adultes souhaitant apprendre le français comme langue étrangère dans un contexte allophone.

Le recueil et l’analyse des données

Les deux enseignants et la chercheuse se sont réunis de manière régulière (deux heures chaque semaine pendant trois mois) pour coélaborer et planifier des dispositifs et des tâches, ainsi que des instruments d’enseignement, d’apprentissage et d’évaluation. Ce groupe n’a existé que pendant le temps de la recherche. Un contrat de recherche a été établi avec les deux enseignants, comprenant : 1) des observations de classe portant sur les dispositifs d’évaluation coélaborés et 2) des entretiens semi- dirigés pendant le semestre avec chaque enseignant séparément.

Les observations de classe

Nous avons opté pour un recueil chronologique : observation de la situation d’entrée, puis à mi-parcours et en fin de parcours. En fonction des caractéristiques des dispositifs didactiques, les interactions entre étudiants et entre étudiants et enseignants liées aux évaluations ont été enregistrées et filmées (audio/vidéo). Les traces écrites des enseignants et des apprenants ont été collectées. Ces observations (codées FLE-OC-I-1-1) ont été préalablement décidées avec chaque enseignant, planifiées sur des temps particuliers et articulées à l’analyse de la planification de chaque séquence d’enseignement. Les épisodes interactifs ont été intégralement transcrits. Ils sont situés dans le déroulement de séances qui ont fait l’objet d’un synopsis (Schneuwly et al., 2006). Ainsi, il y a eu trois séquences d’enseignement et, pour chacune d’elles, nous avons retenu trois séances. Le tableau 1 ci-dessous présente la structuration des observations dans la classe.

Les enregistrements dans la classe ont été réalisés à l’aide de trois dictaphones (deux placés sur des tables d’étudiants, un sur le bureau de l’enseignant) et d’une caméra fixe placée au fond de la salle de classe. Nous avons progressivement stabilisé nos analyses par un système d’allers-retours inductifs/déductifs, amenant à définir précisément nos catégories d’analyse liées aux caractéristiques d’un agir évaluatif partagé et des différents plans constitutifs d’une microculture de classe (Mottier Lopez, 2016). Nous avons élaboré une matrice conceptuelle au moyen d’une confrontation permanente entre les données empiriques recueillies et le cadre conceptuel, débouchant sur la formulation d’hypothèses interprétatives. Les traces écrites des enseignants et des apprenants récoltées en classe (documents distribués, notamment pour les bilans réflexifs, prises de notes individuelles) ont été collectées dans ces situations et ont permis de procéder à une analyse de contenus.

Les entretiens semi-dirigés

Des entretiens semi-dirigés, fondés sur un guide d’entretien, ont été menés avec chacun des enseignants (codés FLE-ENT-E-1) et des groupes d’étudiants sur base de volontariat (codés FLE-ENT-ET-1). Ces derniers ont été identifiés lors des premières observations par les enseignants et par la chercheuse. Les entretiens semi-dirigés ont eu lieu après chaque observation en classe et ont servi à objectiver la séance observée, à (ré)élaborer la suite avec les enseignants et à envisager conjointement des perspectives. Plus spécifiquement, les entretiens pendant le semestre ont contribué à débreffer la séance observée et à préparer la suite en aidant à la conscientisation des régulations pouvant être envisagées. Un entretien final (à la fin du semestre académique) a généré un bilan des séquences passées, ainsi que des apprentissages et des compétences développés par les étudiants. Les épisodes significatifs des entretiens ont été transcrits et analysés. Nous avons isolé des éléments, qui selon nous, peuvent caractériser spécifiquement la coconstruction de ces normes langagières à des fins de régulation des apprentissages.

Tableau 1

Structuration des observations en classe (reproduite trois fois au cours de l’année)

Structuration des observations en classe (reproduite trois fois au cours de l’année)

Note : Soubre, 2021

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Résultats

Pour rappel, cet article pose la question de recherche suivante : en quoi la coconstruction d’une microculture permet-elle de soutenir la régulation et l’autorégulation des apprentissages en langue étrangère chez les étudiants ? L’écriture de nos résultats de recherche est organisée en trois sous-parties :

  1. L’identification et la négociation des critères d’évaluation ;

  2. La mise en place d’un déroulement systématisé de bilan réflexif ;

  3. Quelques limites et difficultés rencontrées par les enseignants et les étudiants.

1) L’identification et la négociation des critères d’évaluation comme ressource à la coconstruction d’une microculture de classe

Un parti pris important chez ces deux enseignants est de rendre l’étudiant « acteur de ce qu’il va apprendre » (Extrait de l’entretien FLE-ENT-E-1[5]). Pour eux, le fait d’être acteur en début de séquence signifie que l’étudiant se trouve dans des situations de classe dans lesquelles il peut prendre conscience de ce dont il va « avoir besoin pour réaliser [la tâche finale de synthèse] ». Selon Inès, « c’est à partir de là qu’on pourra identifier les objectifs ». Dans ses propos, l’enseignante met en avant son intention d’articuler l’ensemble des activités de la séquence pour créer une cohérence d’apprentissage. En proposant un remue-méninges sur le thème de la séquence, puis en annonçant la tâche finale de synthèse de la séquence, elle souhaite que les étudiants identifient ce dont ils vont avoir besoin en matière de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être, pour ensuite nommer en classe des critères d’évaluation. Alexis ajoute que ce travail doit se faire non seulement dans l’articulation entre les contenus de la séquence et la réalisation de la tâche finale de synthèse, mais également en lien avec les référentiels du CECRL. Le recours à ces derniers permettrait aux étudiants de se confronter à la norme externe du niveau visé (dans cette classe, le niveau C1) et ainsi, progressivement, s’approprier les critères d’évaluation.

Par ailleurs, pour se représenter les critères d’évaluation selon Inès, l’étudiant doit pouvoir faire des liens entre les objectifs et les situations d’apprentissage et la réalisation finale. L’étudiant identifie ainsi les critères liés à une tâche à réaliser, pour pouvoir ensuite contrôler ce qu’il fait au regard de ce que la classe a explicité comme objectifs visés. L’extrait ci-dessous, issu du premier entretien avec les deux enseignants, met en évidence ce travail en classe d’identification et de coconstruction négociée des critères d’évaluation. Selon les propos d’Inès et d’Alexis, il permettrait aux étudiants d’entrer dans un processus d’évaluation-soutien d’apprentissage.

Dans l’extrait de cet entretien, Inès fait un rappel à la norme disciplinaire (« le niveau C1 » du CECRL) en indiquant que les étudiants doivent avoir une bonne connaissance de ce qu’est ce niveau, ce qui signifie pour elle de travailler avec les étudiants sur le contenu du référentiel. Alexis, quant à lui, considère cette réflexion sur les critères d’évaluation très importante et même constitutive de l’acte d’apprendre, puisque, selon lui, « plus les étudiants seront maîtres de leur évaluation et plus ils apprendront ». Il appuie ensuite son propos sur le niveau visé, qui lui permet de se positionner par un rapport à la norme langagière du niveau C1. Alexis soulève un autre élément : l’évaluation entre pairs qui, à ses yeux, représente une norme sociolangagière dans cette classe.

De plus, le fait de définir ces critères d’évaluation avant l’activité, lors de sa préparation, et pas seulement au moment de son déroulement, donne la possibilité aux étudiants d’agir en connaissance de cause sur les différents paramètres qui pourraient modifier le résultat. Par la discussion, l’enseignant et les étudiants élaborent une grille d’évaluation qui permet de faire des liens entre les critères utilisés et les descripteurs du niveau à atteindre (ici le niveau C1). La coconstruction de cette grille d’évaluation, à laquelle les étudiants sont associés, puis son utilisation par eux-mêmes lors d’une évaluation mutuelle, leur permet de s’approprier de façon dynamique les critères de réussite de la production finale.

Ainsi, la coconstruction de normes disciplinaires désigne le fait qu’Inès et Alexis tentent de faire cohabiter une norme plutôt pragmatique de la didactique des langues avec le vécu subjectif de chaque étudiant en ayant comme finalité l’autorégulation des apprentissages. Dans le verbatim qui suit, l’enseignant (E) guide le questionnement afin que les étudiants verbalisent les critères d’évaluation qu’ils estiment pertinents par rapport à la tâche demandée. Ainsi, au début de l’extrait, l’enseignant s’attache à ce que les étudiants se représentent ce qu’il va falloir réaliser pour que, dans un deuxième temps, ils puissent se représenter ce qui permettra de dire si oui ou non la tâche a été réalisée et si cette réalisation correspond au niveau attendu du CECRL (le niveau C1 ici). À la fin de l’extrait, l’enseignant reprend l’idée que les critères 4 et 5 sont systématiquement présents dans les grilles et représentent des critères linguistiques. De ce fait, ils peuvent donner aux étudiants des repères quant à leur progression.

Ainsi, selon les enseignants, associer les étudiants, c’est construire et fixer avec eux les objectifs d’apprentissage, ce qui pourrait aider chaque étudiant à se positionner en fonction de ses apprentissages.

Dans la classe, à chaque étape de production, était proposée une activité pendant laquelle les étudiants discutent et négocient pour identifier les critères d’évaluation. L’échange avec les deux enseignants (Entretien FLE-ENT-E-1) met en avant, dès la préparation de la planification des apprentissages du semestre, une réelle préoccupation de cette nécessité de définir les critères avec les étudiants. Par exemple, lorsque les étudiants préparent la réécriture de leur production, ils leur demandent d’identifier les critères, qui sont ensuite mis en commun et synthétisés dans une grille d’évaluation. La conception de cette grille, à laquelle les étudiants sont associés, puis son utilisation par ceux-ci lors d’une évaluation entre pairs leur permettent de s’approprier dynamiquement les critères de réussite de la production finale. Les enseignants et les étudiants élaborent une grille d’évaluation qui permet de faire des liens entre les critères utilisés et les descripteurs du niveau à atteindre. Nous prenons l’exemple d’une séance sur le débat en expression orale en interaction, pendant laquelle les étudiants travaillent en groupe pour identifier les différents éléments constitutifs d’un débat. Lors de la mise en commun, l’enseignant note au tableau ce que les étudiants proposent comme critères d’évaluation. Ce travail de coélaboration est en prise directe avec le travail du début de la séquence où les enseignants proposent une activité de remue-méninges afin d’identifier les objectifs de la séquence. Ainsi, Inès et Alexis estiment que, si les étudiants disposent d’occasions pour travailler entre eux leur évaluation, ils peuvent progresser mutuellement sur leurs points forts et sur leurs points faibles. Cette modalité de travail suggère que les enseignants souhaitent faire de l’évaluation une ressource pour soutenir l’apprentissage des étudiants. L’extrait suivant cible les propos d’une étudiante de la classe, Liz, lors de l’entretien final avec la chercheuse. Cette étudiante souligne que ce travail sur les critères d’évaluation a été pour elle une ressource pour mieux apprendre et pour se reconnaitre comme compétente au niveau C1.

Les propos de Liz soulignent le fait que le travail réalisé pour définir les critères d’évaluation avant l’activité, lors de sa préparation, donne la possibilité aux étudiants d’agir sur les différents paramètres qui modifieront le résultat, en connaissance de cause. L’enseignant et les apprenants élaborent une grille d’évaluation qui permet de faire des liens entre les critères utilisés et les descripteurs du niveau à atteindre.

Dans l’entretien final avec les enseignants (Entretien FLE-ENT-E-3), Inès et Alexis ont fait part de leur surprise au sujet de la négociation des critères d’évaluation avec les étudiants : « ils m’ont impressionné sur les critères, car ça ne va pas de soi, c’est un truc de profs. Mais là, avec nous et entre eux, ils arrivaient très bien à dire ce qui permettrait ou non de réussir l’évaluation » (Extrait des propos d’Alexis, entretien FLE-ENT-E-3). Inès, en accord avec son collègue, a ajouté : « quand je leur disais, quels sont les critères ? tout de suite, ils étaient dedans, il y avait une sorte de rituel qui s’instaurait » (Extrait des propos d’Inès, entretien FLE-ENT-E-3).

2) La mise en place d’un déroulement systématisé de bilan réflexif comme ressource à la coconstruction d’une microculture de classe

Sur la base du tableau 1 présenté dans la partie Méthodologie, chaque séquence d’enseignement s’organise autour des activités de compréhensions orale et écrite, de productions orale et écrite et d’analyse de la langue (grammaire, lexique…). Nous constatons également que chacune inclut un temps de bilan. Ce dernier est d’ailleurs systématiquement associé à des activités de production. Afin d’illustrer ce point, nous reprenons ici les propositions d’organisation pour chacune des trois séances retenues et décrites. Nous mettons donc en relation les plans constitutifs de la microculture de classe de Mottier Lopez avec la ritualisation du déroulement à des fins de régulation que nous avons proposée. Cette correspondance nous amène à envisager « une relation d’indissociabilité entre les processus d’autorégulation de l’apprentissage de l’élève et les pratiques et contextes dans lesquels et avec lesquels ces processus se développent » (Mottier Lopez, 2016, p. 71). Afin d’illustrer cela, nous choisissons deux situations qui nous semblent représentatives de la coconstruction de ce langage commun et à chaque situation, nous faisons correspondre une visée.

Tableau 2

Correspondances entre la ritualisation du déroulement à des fins de régulation et les plans constitutifs de la microculture à partir des deux situations choisies

Correspondances entre la ritualisation du déroulement à des fins de régulation et les plans constitutifs de la microculture à partir des deux situations choisies

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Lorsque nous observons ces deux situations, nous constatons qu’un temps de bilan est mis en place à chaque séquence. Ce déroulement systématisé à chaque séquence d’enseignement des temps d’évaluation-soutien d’apprentissage, selon Inès et Alexis, permet d’inscrire la pratique de cette évaluation dans les habitudes de travail des étudiants. Ainsi, ce processus d’évaluation-soutien d’apprentissage est questionné en ce qui concerne la restructuration des activités d’enseignement et d’apprentissage à des fins d’évolution et de progression (Allal & Mottier Lopez, 2007). Ces temps sont caractérisés par 1) une activité de compréhension ou de production individuelle et réalisée par l’étudiant, 2) un travail de groupe portant sur l’analyse et un approfondissement de cette activité et 3) une mise en commun en groupe classe permettant de synthétiser et de revenir sur des questions éventuelles.

Ainsi, pour synthétiser ces trois temps, nous avançons que les différents synopsis analysés confortent notre hypothèse de l’existence d’un déroulement ritualisé qui sous-tend l’organisation et l’alternance des temps de travail individuel, en petits groupes et en groupe classe à des fins de régulation, comme le présente la figure 2.

Figure 2

Proposition pour une modélisation de déroulement ritualisé à des fins de régulation

Proposition pour une modélisation de déroulement ritualisé à des fins de régulation

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Cette alternance permet de passer d’un plan à l’autre dans la coconstitution des normes disciplinaires de la microculture de classe. Les différents échanges entre les étudiants pourraient se situer dans le cadre des « régulations interactives situées » étudiées par Mottier Lopez (2016, p. 75), en cela qu’ils visent l’autorégulation des étudiants et qu’ils contribuent « simultanément à négocier les normes, les pratiques, les significations vues comme reconnues et partagées au plan communautaire de la classe » (Mottier Lopez, 2016, p. 75).

Un autre point est à soulever est la mise en relation des activités. L’étudiant peut opérer des retours en arrière, pour construire des liens entre ce qu’il a déjà fait et ce qui lui reste à faire. Pour illustrer ce point, nous citons une étudiante, Kar, lors de l’échange de fin de semestre.

Cette étudiante colombienne reprend avec ses propres mots le principe de régulation et d’autorégulation induits par le dispositif des enseignants. Elle explique que ce n’est pas une habitude chez elle puisqu’elle ne le pratique pas dans sa langue maternelle et que, pourtant, cela lui a permis de se sentir plus compétente, car elle a pris conscience de ses points forts et de ses lacunes.

Nous constatons également cette prise de conscience en reprenant certaines réponses apportées au bilan intermédiaire, notamment par l’étudiante Adr.

Figure 3

Réponses aux questions 1, 2, 3, 8, 9 et 10 dans le bilan intermédiaire

Réponses aux questions 1, 2, 3, 8, 9 et 10 dans le bilan intermédiaire

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Ce que Adr écrit dans son bilan montre qu’elle est capable de se distancier par rapport à son activité, pour contrôler ce qu’elle fait et, si nécessaire, s’autoréguler. Elle arrive à nommer également ce qu’elle ressent en matière de progression, ce qui peut s’apparenter à une certaine autonomisation dans ses apprentissages. Elle semble avoir pris conscience de sa manière d’apprendre et de la manière dont elle pourrait exercer un contrôle sur celle-ci. Autrement dit, nous faisons l’hypothèse qu’elle met en oeuvre des stratégies d’autorégulation, par une distanciation réflexive, en utilisant en particulier les connaissances qu’elle a de ses propres cheminements.

Adr fait son bilan de manière individuelle par rapport à ses acquis dans la langue étrangère, mais nous pouvons attester que le bilan réflexif des étudiants porte également sur les modalités de travail entre pairs. Afin d’illustrer ce point, nous citons Wen, une étudiante chinoise, lors de l’entretien FLE-ENT-ET-1, qui, à la question sur les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être développés pendant le semestre avec ce dispositif, répond « C’est important pour moi parce que j’ai appris le français, mais aussi j’ai appris une manière d’être dans la classe, à penser à cette manière d’évaluer et à m’adapter » (Extrait de l’entretien avec les étudiants FLE-ENT-ET-1). Cette citation cible les dimensions à la fois cognitives, sociales et affectives que génèrent les interactions entre pairs.

Comme nous l’avons décrit, Inès et Alexis souhaitaient véritablement construire non seulement une organisation mettant en acte des modalités pour « évaluer autrement, sortir d’une évaluation basée sur les notes » pour aller vers une « évaluation véritablement formative qui accompagne et renseigne les étudiants sur leurs acquis » (extraits des propos d’Alexis lors de l’entretien FLE-ENT-EN-2). C’est donc en partant de ces partis pris que nous pouvons parler d’une démarche réflexive dans la classe d’Inès et d’Alexis. Nous nous appuyons ici sur la proposition de Blanchet et Chardenet (2011) qui définissent la démarche réflexive non comme la mesure de « performances décontextualisées à l’aune de normes extérieures absolues » mais comme « l’appropriation de la signification du chemin parcouru par chacun de façon réflexive dans le dialogue avec d’autres » (p. 15).

Quelques limites et difficultés rencontrées par les enseignants et par les étudiants dans la coconstruction d’une microculture de classe

Comme nous l’avons vu précédemment, les deux enseignants Inès et Alexis tentent de coconstruire avec les étudiants à la fois une posture et un langage communs d’évaluation. Toutefois, nous avons aussi observé de la résistance chez certains étudiants, qui ressentent une vraie difficulté. Nous allons ici nommer quelques limites et difficultés rencontrées.

Suivant sa culture d’origine, chaque étudiant a une histoire scolaire et des stratégies d’apprentissage qui lui sont propres. Toutefois, l’inscription de ces modalités dans une démarche revenant régulièrement en classe a permis de partager des stratégies et des habitudes de travail. Dans l’entretien FLE-ENT-ET-3, un étudiant étasunien Joh fait remarquer qu’il « ne peut pas communiquer avec des Asiatiques qui ne parlent pas » (Propos de Joh, extrait du questionnaire FLE-ENT-ET-3). Une étudiante chinoise Jin ajoute « ça dépend de chaque culture, on est tous différents mais on se débrouille bien quand même » (Propos de Jin, extrait de l’entretien FLE-ENT-ET-3). Pour certains étudiants, la barrière lexicale peut être une difficulté pour verbaliser ce qu’ils ont compris et acquis et ce qu’il leur reste à travailler.

La deuxième limite est la question du sens de ces dispositifs d’évaluation-soutien d’apprentissage pour les étudiants. Les observations mettent en évidence le fait que ces dispositifs sortent de l’ordinaire de la classe pour de nombreux étudiants et que, dans ce contexte, une majorité a des difficultés d’appréhension des modalités de travail et des outils. Une hypothèse qu’il serait nécessaire d’explorer est le fait que ces derniers ne font pas partie de leur histoire d’apprentissage (c’est-à-dire les habitudes développées au cours de leur parcours scolaire).

Aussi, certains étudiants ne se départissent pas d’un certain scepticisme, comme cette étudiante lors de l’entretien bilan FLE-ENT-ET-1 : « si je regarde les critères d’évaluation, c’est toujours la CO où je suis plus faible, mais il y a deux possibilités : peut-être que je suis plus faible, mais peut-être que les activités étaient plus difficiles. Peut-être je ne peux pas distinguer ces deux hypothèses » (Propos de Myl, extrait de l’entretien FLE- ENT-ET-1). Cette étudiante verbalise le fait qu’il n’est pas évident, même en travaillant avec des démarches d’autorégulation et d’évaluation mutuelle, d’utiliser les traces des activités pour pouvoir identifier réellement ce qui est acquis. Une étudiante dans l’entretien FLE-ENT-ET-3 ajoute « cela me questionne beaucoup. Je ne suis pas sûre que je sache bien le (le bilan) remplir car je ne sais pas toujours si je sais faire ou si je crois savoir faire » (Propos de Xia, extrait de l’entretien FLE-ENT-ET-3). Certains étudiants ont donc des difficultés à se mettre à distance et à revenir sur ce qu’ils ont réussi ou non et donc, de ce fait, il est difficile pour eux d’avoir une posture active dans les moments de bilan. Quoiqu’il en soit, nous constatons que ces étudiants sont tout de même capables de s’exprimer sur leurs acquis.

Dans l’observation de la séance FLE-OC-III-3-3, lors du bilan d’une activité de compréhension écrite, l’enseignant demande aux étudiants ce qu’ils ont appris et un étudiant (Ric) répond que leur focalisation cognitive portait sur les aspects méthodologiques et qu’il leur était difficile de mener les deux en même temps.

Dans ce verbatim, Ric met en évidence le fait qu’il est difficile d’être concentré sur l’organisation du texte tout en tentant de le comprendre. Il est alors impossible, selon cet étudiant, de prendre de la distance et de pouvoir nommer ce qu’il retient au niveau lexical. Sur ce point, la difficulté porte sur l’articulation des activités langagières et du retour réflexif sur celles-ci dans la coconstruction de cette microculture afin que les étudiants comprennent que leur activité et leur investissement ne relèvent pas seulement du faire, mais également de la réflexion sur ce faire.

Ainsi, nous observons des signes manifestes d’un processus en marche, même si certains étudiants, comme nous l’avons vu, ne sont pas enthousiastes. En effet, les propos des étudiants de la classe de FLE font ressortir une distance dans le bilan final qui leur permet de réfléchir sur le système de travail qu’ils ont expérimenté et de le critiquer. Même si ce cadre de travail suscite un questionnement de la part de certains étudiants, c’est ce même cadre qui leur permet, à la fin du semestre, de tenir ces propos par la coconstruction d’une microculture de classe à des fins de régulation de l’apprentissage.

En documentant ces éléments, nous constatons que l’évaluation-soutien d’apprentissage est un élément particulièrement important pour l’enseignement supérieur français, en ce sens qu’elle permet de renouveler le regard sur la culture en actes de l’évaluation par les étudiants, en comparant leurs pratiques antérieures avec celles que proposent ici les enseignants (verbalisations, interactions, réflexivité...). C’est ce dont nous allons discuter maintenant.

Discussion conclusive

Nous proposons maintenant une conceptualisation de cette coconstruction d’une microculture de classe dans les temps d’évaluation pour soutenir la régulation et l’autorégulation dans la classe d’Inès et d’Alexis.

Coconstruire des normes disciplinaires dans le contexte de l’université nécessite de prendre en compte les croyances des étudiants, puisqu’ils arrivent en cours avec un vécu et un parcours riches, pouvant leur permettre d’entrer facilement, ou non, dans une approche différente de ce qu’eux-mêmes ont pu vivre. À la lumière des modalités pédagogiques et didactiques qu’Inès et qu’Alexis ont élaborées, puis mises en place dans leur classe, nous observons un phénomène qui a retenu notre attention : la coconstruction d’un langage commun entre les enseignants et les étudiants et entre les étudiants. Ainsi, nous allons dégager, à partir des analyses précédentes, notamment par les échanges entre étudiants dans la classe, les signes de la coconstruction de ce langage spécifique partagé. Nous montrerons ensuite comment ce langage commun, coconstruit aux plans interpersonnel et communautaire, se retrouve au plan individuel. Par cela, les étudiants peuvent mettre en oeuvre des processus plus conscients d’autorégulation. Nous souhaitons donc relier ici, en nous appuyant sur les propositions de Mottier Lopez (2016), le fait que des savoirs collectifs et des significations langagières collectives demandent à se construire dans la microculture de classe d’Inès et d’Alexis et, donc, à s’approprier au plan individuel dans une logique de coconstitution entre les trois plans. Les situations dans lesquelles les étudiants coconstruisent ce langage se distinguent par leur posture d’évaluateurs soit sur leurs propres travaux, soit sur des travaux d’un pair.

De notre point de vue, l’alternance entre travail individuel, interaction en petits groupes, puis en groupe classe, telle que nous l’avons présentée précédemment, permet de passer d’un plan à l’autre dans la coconstitution des normes disciplinaires de la microculture de classe. Les différents échanges entre les étudiants pourraient s’intégrer dans le cadre des « régulations interactives situées » étudiées par Mottier Lopez (2016), en cela qu’ils visent l’autorégulation des étudiants et qu’ils contribuent « simultanément à négocier les normes, les pratiques, les significations vues comme reconnues et partagées au plan communautaire de la classe » (p. 75).

Ainsi, le travail d’autorégulation et de régulation mutuelle entre pairs donne systématiquement lieu à un travail de confrontation en groupe. Les étudiants sont amenés à réfléchir, puis à verbaliser leurs réflexions. Ils comparent leur jugement à celui d’un pair, ce qui nourrit leur propre évaluation, mais également leur façon de faire. Comme l’ont mis en évidence les deux enseignants, il convient sans doute de souligner l’importance d’établir, dans la classe et avec les étudiants, un climat de confiance et l’explicitation d’un contrat pédagogique.

Les différentes modalités utilisées par Inès et par Alexis renvoient donc à l’implication de l’apprenant dans les processus évaluatifs, comme nous les avons présentés dans le cadre conceptuel. Il nous semble que les modalités et les objectifs nommés par ces deux enseignants s’inscrivent clairement dans ces pratiques évaluatives dans lesquelles l’enseignant a comme intention de soutenir des processus de régulation (autorégulation, régulation mutuelle et corégulation). La coconception des grilles d’évaluation, puis leur utilisation par les étudiants eux-mêmes lors d’une évaluation mutuelle entre pairs permettent à ces derniers de s’approprier de façon dynamique les critères de réussite de la production finale et d’avoir un regard plus réflexif sur leur propre production. Nous notons ici que les enseignants ont eu un souci d’appropriation de toute la démarche de coconstruction par les étudiants dans une perspective d’autonomisation de ces derniers, condition même de l’autorégulation.

Ainsi, les procédés mis en place en classe de manière systématique par les deux enseignants contribuent-ils à la caractérisation d’une microculture, dans laquelle enseignant et apprenants interagissent et négocient les normes et les conventions de travail à des fins de régulation de l’apprentissage dans la classe de français langue étrangère de l’enseignement supérieur ? Notre recherche a tenté d’investiguer les liens qui opèrent entre la construction des significations partagées, des normes et des pratiques à propos de l’évaluation des apprentissages dans la classe, en reprenant ici l’hypothèse de Mottier Lopez (2008).

Les analyses de l’empirie nous permettent d’avancer que la convocation présentée dans le cadre conceptuel sur la microculture de classe est une ressource pour discuter de ces dispositifs de classe qui se basent sur la régulation des apprentissages dans la classe de langue étrangère. En effet, nous constatons que les normes et les pratiques socialement construites au plan communautaire de la classe ont été négociées et partagées entre les enseignants et les étudiants de ces deux classes. Nous observons également au plan interpersonnel la coconstruction d’un langage spécifique à des fins d’autorégulation par une meilleure compréhension des enjeux des niveaux du CECRL. Nous témoignons également d’une pertinence dans l’explicitation des critères de réussite et de leur utilisation dans les productions orales et écrites lors des temps de régulation interactive située. Afin d’expliciter les liens que nous faisons entre ces différents éléments, nous proposons de les présenter sous la forme de la figure 4 ci-après.

Figure 4

Schématisation partielle des composantes observées de la microculture de classe en FLE

Schématisation partielle des composantes observées de la microculture de classe en FLE

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Notre schéma expose les relations qui existent, selon nous, entre la coconstruction de la microculture de classe et les temps d’évaluation en classe de FLE. Ceci active des processus d’apprentissage en langue étrangère au plan communautaire de la microculture de classe. Nous les retrouvons au plan interpersonnel, lorsqu’ils sont négociés et coconstruits entre enseignant et étudiants et entre étudiants, afin que ces derniers se confrontent, s’entraident, s’observent et échangent dans une visée de régulation interactive concernant leurs productions langagières. Puis, dans un mouvement d’enrichissement réciproque, ces aspects se révèlent au plan individuel dans de possibles autorégulations lorsque les étudiants réfléchissent à leur parcours, qu’ils portent un regard réflexif sur leur production ainsi que sur celle des autres et qu’ils s’autoévaluent. Il est à souligner que ces trois plans constitutifs de la microculture de classe, tel que définis précédemment, fonctionnent de manière non linéaire et qu’ils sont dans une interrelation permanente. Ils permettent, par la collaboration avec l’enseignant et entre pairs, de générer des situations dans lesquelles l’étudiant va se confronter à ses pairs, être dans l’observation, l’échange et l’entraide. Et donc, selon Mottier Lopez (2015b, p. 92) de :

prôner une diversification de moyens d’évaluation formelle, tout en valorisant également les évaluations informelles, telles que l’observation directe de l’enseignant, des échanges avec et entre apprenants et des interactions collectives permettant aux apprenants d’expliciter leurs façons de comprendre une tâche ou d’effectuer une activité.

La conceptualisation de cette microculture de classe à des fins de régulation des apprentissages valorise cette relation dialectique entre ces trois plans (Mottier Lopez, 2008) et révèle ainsi un système d’évaluation cohérent permettant l’évaluation-soutien d’apprentissage.

Pour terminer, notre étude a porté sur la possibilité de penser la coconstruction d’une microculture de classe, au sens de Mottier Lopez (2008), comme ressource pour soutenir la régulation et l’autorégulation en classe de FLE. Nous nous sommes donc interrogée sur cette évaluation comme soutien d’apprentissage, en postulant l’implication de l’apprenant dans des démarches formelles et informelles mises en tension avec le contexte social, culturel, historique de la classe, à des fins de régulation interactive et d’autorégulation. Nous avançons ainsi l’idée que les enseignants de cette étude sont parvenus à implémenter un dispositif visant l’évaluation-soutien d’apprentissage, basé également sur des « tâches et activités quotidiennes réalisées par les étudiants […] et du recours à l’observation et aux formes variées d’échange » entre l’enseignant et les étudiants (Allal & Laveault, 2009, p. 103). Et que ces dispositifs contiennent les « attributs d’un environnement de classe efficace » (Tinto, 2012, p. 3), visant à l’implémentation systématique, voire systémique de l’évaluation-soutien d’apprentissage.

Nous souhaitons souligner que, même s’il existe des référentiels culturels et linguistiques reconnus et partagés au niveau macro, il est nécessaire de travailler au niveau micro de la classe les différents paramètres que nous avons évoqués. Il est important également de préciser que les éléments de cette étude ne représentent qu’une partie d’un ensemble plus important constitutif de cette microculture à visée de régulation et d’autorégulation des apprentissages en classe de langue étrangère. Les perspectives pourraient être alors de penser l’ensemble dans une approche systémique, tant pour la recherche que pour la formation initiale et continue des enseignants.