L’analyse de la Bible par l’étude des masculinités est un domaine relativement récent. S’il est assez courant pour les chercheurs qui explorent les masculinités bibliques de situer leurs travaux dans la mouvance générale des études de genre en reconnaissant l’apport important des études féministes, ces domaines voisins bénéficient d’une articulation plus claire. Susanne Scholz, directrice du volume et figure importante des études féministes de la Bible, indique bien l’objectif de ce projet : « What is needed, then, is the critical interrogation of hegemonic masculinity and phallogocentrism, within their intersectional settings, by feminist and masculist exegetes together » (p. xi). Ce collectif est divisé en quatre sections : considérations théoriques, considérations historiques et contemporaines, considérations textuelles et trois réponses. Le premier article signé par Colleen Conway se veut une critique féministe de l’étude des masculinités en exégèse. Plus spécifiquement, elle critique le cadre des masculinités multiples (hégémonique, complice, subordonné, marginalisé) développé par Raewyn Connell, largement utilisé dans l’étude des masculinités bibliques. Pour Conway, alors que le féminisme intersectionnel porte une orientation postmoderne, la théorie des masculinités multiples reste une idée moderne qui traite le genre de manière essentialiste. Elle indique que ce modèle présuppose les catégories « homme » et « femme » comme des identités de genres stables, alors que les théories féministes (mais aussi queer et trans) présentent maintenant le genre comme une notion fluide, instable et plurielle. Ainsi, la délimitation de listes de pratiques associées à la masculinité dans les textes bibliques fait partie d’une vision structuraliste qui ne reflète pas la complexité et la plasticité des genres dans les textes bibliques. Conway invite aussi à sortir de l’obsession pour l’étude exclusive de textes anciens pour l’étude des effets de ces textes sur les structures sociales actuelles. L’autre chapitre théorique, écrit par Susanne Scholz, montre que l’archéologie est un domaine exclusif aux « male-performing academics » (p. 23) et qu’une étude féministe des livres de Samuel doit non seulement s’intéresser aux quelques personnages féminins, mais surtout aux personnages masculins pour analyser et déconstruire le « discours androcentrique hardcore » (p. 41). Plusieurs chapitres proposent des études qui relient l’analyse de textes bibliques et de pratiques contemporaines. Par exemple, Justin Strong part des viols subis par des hommes dans la guerre civile en Syrie pour relire les viols d’hommes dans la Bible hébraïque. Il se demande si la culture actuelle marquée par #metoo permet aux hommes de prendre la parole pour dire la violence subie. Étonnamment, il montre que plus la Bible offre d’espaces pour dire cette forme de violence avec des viols reliés aux contextes de guerre (Jg 3,12-30 ; 1 S 31,4), des viols commis par la divinité (Jr 20,7 ; Jb 30,11) ou par des femmes (Rt 3,4-8 ; Gn 29). La proposition de comprendre Ruth et Léa comme des femmes violant Boaz et Jacob est particulièrement provocante et va à rebours des tabous autour des agressions vécus par des hommes. Le chapitre de Corrine Carvalho traite aussi des viols subis par des hommes dans la littérature prophétique pour les mettre en rapport avec ceux subis par des hommes au sein de l’Église catholique. Une proposition intéressante de ce chapitre est de substituer l’expression « toxic masculinity », par « toxic gender expectations » (p. 88) ; ce qui permet de sortir des catégories binaires (ibid.). Le chapitre rédigé par Caroline Blyth et Emily Corgan analyse la construction de la masculinité en Osée 1-3 avec regard de la violence entre partenaires intimes en Nouvelle-Zélande. Dans les trois autres chapitres, Carol Dempsey examine les commentaires catholiques du livre d’Isaïe pour relever comment ils …
Susanne Scholz, ed., Doing Biblical Masculinity Studies as Feminist Biblical Studies ? Critical Interrogations. Sheffield, Sheffield Phoenix Press (coll. « Hebrew Bible Monographs », 107), 2023, xv-223 p.
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Sébastien Doane
Université Laval, Québec
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