Recensions

Emmanuel Gabellieri, Être et grâce. Simone Weil et le christianisme. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Philosophie & Théologie »), 2023, 279 p.

  • Julien Lagalle

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  • Julien Lagalle
    Université de Caen, Normandie

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Cover of Visages, explorations exégétiques et théologiques, Volume 80, Number 2, 2024, pp. 167-353, Laval théologique et philosophique

Dans cet ouvrage faisant suite, vingt ans après, à Être et don (2003), première synthèse de la pensée de Simone Weil autour du phénomène de la donation, l’auteur se propose cette fois d’élucider les rapports qu’entretient la philosophe avec le christianisme. Cette entreprise est d’autant plus bienvenue qu’elle se propose de faire un sort aux nombreux préjugés et contresens qui continuent d’entourer l’oeuvre théologique de S. Weil, qu’il s’agisse des accusations d’antisémitisme, de gnosticisme ou de dissolution de l’événement de l’Incarnation dans l’universalité d’une révélation implicite à toute culture. Le premier chapitre revient ainsi sur les quiproquos entourant la réception de S. Weil depuis la publication de la Pesanteur et la grâce en 1947, qui a conduit nombre de lecteurs à voir en elle une mystique obsédée jusqu’à la pathologie par l’anéantissement du moi. Malgré une redécouverte tardive de pans de l’oeuvre autrefois laissés de côté — permise notamment par l’édition, toujours en cours, des Oeuvres complètes, et par la vivacité du commentaire —, la réception ecclésiale reste timide, et des zones d’ombre subsistent, que l’auteur se propose donc d’éclairer. Les trois chapitres suivants explorent d’abord l’accusation d’antisémitisme portée contre S. Weil, qui consiste souvent en une méfiance — parfois biaisée — envers certains textes de l’Ancien Testament, renforcée par l’héritage ambigu d’Alain. L’auteur rappelle en effet que celui-ci, dans son interprétation morale du christianisme, le séparait nettement du judaïsme considéré comme une religion d’adoration de la puissance sociale. En se détachant de cet héritage, S. Weil met en exergue l’alliance noachique et la révélation spécifique dont a bénéficié Israël, celle de l’unité absolue de Dieu. Sur la question de la compatibilité entre la singularité de l’Incarnation et la pluralité des religions, l’auteur souligne finement le « lien » que S. Weil tisse « entre cette dimension universelle du Verbe et son incarnation historique concrète » (p. 132) : le Verbe doit justement s’incarner en un temps et un lieu particuliers pour que son efficace soit universelle, dans la mesure où les moyens du salut passent toujours par la dimension charnelle et temporelle de la vie humaine. Ainsi le « catégorial », c’est-à-dire l’historique, devient-il lui-même le critère de vérité du « transcendantal » anhistorique. Les quatre derniers chapitres s’attellent pour leur part à examiner la métaphysique religieuse de S. Weil, de façon à montrer que le dernier mot de sa philosophie n’est pas la « décréation » du moi mais la « nouvelle naissance » qui lui fait suite, omniprésente dans ses Cahiers les plus tardifs. Si la décréation fait légitimement écho à la kénose du Christ, elle est en effet le simple préalable à un analogon de la résurrection, que Dieu propose aux hommes dès cette vie et qui correspond à la vie juste. Cette thèse passe par l’analyse de la théologie trinitaire de S. Weil : si la Croix est le pôle manifeste du malheur, la Trinité présente, quant à elle, un modèle de joie tel qu’il surmonte même la mort. Cet examen met ainsi au jour plusieurs sens du « surnaturel », qui sont autant de manières dont Dieu se donne à lui-même aussi bien qu’à l’homme, et dont, en retour, l’homme se donne aux autres hommes. Ce don se réfracte dans le monde en plusieurs formes d’amour et, comme le montre l’auteur, celles-ci correspondent aux différents niveaux de médiation divine que S. Weil explore dans les Intuitions pré-chrétiennes. Ainsi, par exemple, à l’amour de l’ordre du monde correspond le rapport de Dieu au créé et à l’harmonie interne aux choses, et à l’amour des pratiques religieuses l’amitié entre Dieu et les hommes. De …