Abstracts
Résumé
Le monastère est un lieu crucial dans la recherche de Foucault : il est le point de rencontre entre la généalogie de la gouvernementalité, l’histoire de l’aveu et l’herméneutique du sujet. L’expérience cénobitique constitue un paradoxe pour l’enquête foucaldienne ; Cassien en est la figure centrale. Une relecture de ses écrits permet d’identifier un foyer de tensions entre obéissance, ascèse et mystique. On propose l’hypothèse que l’obéissance n’y est pas seulement un état d’arrachement du vouloir et une domestication de l’ascèse, mais un point d’appui pour une discipline des vertus. La subjectivation ascétique n’y est pas séparable d’un confiant abandon.
Abstract
In Foucault’s enquiry, the monastery is a central place where the genealogy of governmentality, the history of avowal, and the hermeneutics of the subject intersect. This article argues that the cenobitic experience, as documented most importantly by Cassian, is a paradox in a Foucaultian perspective. Cassian’s writings encapsulate the tensions observed by Foucault between obedience, asceticism, and mysticism. This paper argues that obedience goes beyond forgoing of one’s will and the taming of asceticism. It is the cornerstone of a discipline of virtues. In this ascetical subjectivation, self-surrender is inseparable from a confident reliance on God.
Article body
« J’essaierai peut-être de poursuivre cette histoire des arts de vivre, de la philosophie comme forme de vie, de l’ascétisme dans son rapport à la vérité, justement, après la philosophie antique, dans le christianisme. » Cet ultime programme esquissé par Foucault lors de ses dernières leçons au Collège de France est chargé, par les progrès de la maladie et l’approche de la mort, d’un poids singulier[1]. S’il faut sans doute résister à la tentation d’un excès de spéculations sur le contenu de cette enquête qui a tourné court, il n’est toutefois pas hasardeux d’avancer que le monastère aurait été un lieu central de cette histoire des arts de vivre chrétiens[2]. C’est en effet dans l’expérience monastique et dans son institutionnalisation au ive siècle, comme le souligne Foucault à plusieurs reprises, que s’incorporent au christianisme les techniques spirituelles antiques. Ces techniques de soi sont la matière principale de l’étude de l’ascèse et des arts de vivre grecs dans L’Usage des plaisirs et Le souci de soi[3].
Dans le dernier programme annoncé par Foucault, on peut légitimement supposer que l’oeuvre de Jean Cassien (360-435) aurait été un repère essentiel, étant donné sa centralité dans le traitement foucaldien du monachisme et du christianisme en général. L’intérêt de Foucault pour Cassien s’inscrit dans sa lecture des Pères dont on date le commencement à l’été 1977[4] ; la référence au fondateur du monachisme occidental, rapide dans Sécurité, territoire, population, s’approfondit et s’étend considérablement dans Le Gouvernement des vivants, dans Mal faire, dire vrai et dans le dernier volume de l’Histoire de la sexualité, Les Aveux de la chair, qui reprend aussi un texte publié séparément sous le titre : « Le combat de la chasteté[5] ». Dans le cours de Louvain, Foucault rend compte du choix de Cassien :
Cassien, au fond, est celui qui a introduit en Occident la pratique et en même temps la théorie de la vie monastique. C’est lui qui a été le principal agent du transfert, de la translation du monachisme [oriental] au monachisme [occidental]. Avec d’autres, bien sûr, comme saint Jérôme, mais c’est certainement dans ses textes à lui que l’on trouve de la façon la plus détaillée un témoignage sur ce qu’a été cette pratique monastique fin ive, début du ve siècle. Cassien, dans l’organisation du monachisme occidental, a donc eu un rôle absolument déterminant[6].
Le rôle des écrits de Cassien est à la fois celui d’un témoignage et d’une intervention normative. C’est en vue de la fondation du monastère de Ménerbes que Cassien écrit les Institutions, sur la demande de Castor, évêque d’Apt, qui l’invite à « retracer les coutumes qu’il a pu observer dans les monastères d’Égypte et de Palestine[7] ». Les Conférences, également rédigées à sa demande et destinées à un public d’anachorètes plus confirmés, restituent l’enseignement des Pères du désert.
Trois raisons au moins conduisent Foucault à s’intéresser ainsi à Cassien et au monachisme. Dans la perspective d’une généalogie des arts de gouverner, les écrits de Cassien sont lus par Foucault comme le document où s’institue et se formalise la relation de direction spirituelle dans le christianisme, soit comme le lieu d’émergence d’un type radicalement nouveau d’obéissance que Foucault désigne du nom d’obéissance pure[8]. Du point de vue d’une histoire de l’aveu, transversale chez Foucault qui ne cesse d’y être reconduit, l’apparition d’une pratique de l’exagoreusis, « examen-aveu » qui est l’instrument essentiel de la relation de direction, est cruciale. Le développement corrélatif d’une herméneutique de soi, soit d’un examen introspectif incessant et soupçonneux des pensées et des désirs, est enfin une pièce décisive dans le dossier de l’enquête sur la sexualité et la formation de la chair chrétienne comme type spécifique d’expérience.
Cet article ne vise pas seulement à étudier les développements que Foucault consacre à Cassien, mais à suggérer l’ampleur d’un certain paradoxe monastique pour l’enquête foucaldienne, où s’entrecroisent l’obéissance, l’ascèse et la mystique. L’expérience cénobitique décrite par Cassien peut apparaître comme un foyer de tensions entre deux polarités de l’enquête : l’opposition entre obéissance et ascèse que met en place Sécurité, territoire, population et l’opposition esquissée dans Le Courage de la vérité entre ascèse et mystique. Dans le cours de 1978-1979, Foucault étudie la conception archaïque du pastorat, soit d’un pouvoir qui se pense sur le modèle de celui d’un berger sur ses brebis, pour y repérer une matrice de la gouvernementalité moderne. L’ascèse apparaît paradoxalement, par son caractère tendanciellement incontrôlable, comme une dynamique de résistance à l’obéissance pastorale. Le cénobitisme peut alors se présenter comme un point de contact entre ces « structures […] profondément différentes[9] ». En 1984, l’ascèse chrétienne est cette fois opposée à la mystique. Foucault y voit les « deux grands noyaux de l’expérience chrétienne », où s’affrontent défiance envers soi-même et confiance en Dieu[10]. La spiritualité monastique, que Foucault semble situer du seul côté de l’ascèse soupçonneuse, peut pourtant encore se présenter comme un lieu problématique pour l’enquête, si la confiance mystique en est aussi partie intégrante, comme on tentera de le montrer.
Dans un premier temps, il s’agira de restituer la place singulière du monachisme dans les analyses de Sécurité, territoire, population, entre obéissance pastorale et résistance ascétique. Sous la plume de Foucault, la rencontre entre obéissance et ascèse se solde par une victoire univoque du pastorat : les virtualités indociles de l’élan ascétique sont désormais sous contrôle. Reste pourtant à examiner une autre piste, implicitement écartée par Foucault, et que l’on envisagera dans un second temps : celle qui voit dans l’institutionnalisation du cénobitisme non pas la réduction univoque de l’ascèse à un « état d’obéissance », mais la constitution d’un nouvel instrument dont l’ascèse peut se servir à ses fins propres. L’obéissance, donc, non pas comme « état » mais comme technique d’ascèse et uirtutum disciplina, discipline ou apprentissage où s’acquièrent positivement des vertus qui étendent la capacité d’agir éthique. Un questionnement sur les vertus comme capacités éthiques est certes largement étranger à l’enquête que mène Foucault[11]. Il se situe néanmoins dans sa postérité critique, en particulier celle des travaux anthropologiques fondateurs de Talal Asad et Saba Mahmood, et, dans leur sillage, d’un livre récent de Niki Kasumi Clements sur la conception cassianienne de l’ascèse[12]. Il porte au jour la constitutive ambiguïté de la docilité : est docile qui accepte de s’assujettir à un pouvoir mais aussi, comme le fait entendre l’étymologie (docere), qui se laisse enseigner. On partira en dernier lieu des analyses du Courage de la vérité pour esquisser, à la lumière d’une relecture de l’oeuvre de Cassien et, en particulier, de sa description de la prière, un prolongement de l’enquête sur les rapports entrelacés de l’ascèse et de la mystique.
I. Fuir les femmes et les évêques : le monachisme entre pastorat et contre-conduite
Le cours Sécurité, territoire, population marque un nouveau point de départ dans l’intérêt de Foucault pour la vie monastique. Les références antérieures au monachisme dans le cours du Pouvoir psychiatrique, ainsi que dans Surveiller et punir, étaient occasionnelles et s’inscrivaient dans la recherche d’antécédents locaux aux disciplines de la modernité ; le point de référence était alors saint Benoît[13]. Le cours de 1978-1979 marque le point de départ d’une réorientation majeure des recherches de Foucault vers une généalogie de l’idée d’un gouvernement des hommes, où s’inscrit l’intérêt renouvelé pour le monachisme. Le « pouvoir pastoral » ou « pastorat » apparaît comme le « modèle archaïque », la « matrice », le « foyer » juif et chrétien, étranger à l’Antiquité grecque et romaine, de la gouvernementalité. Dieu y figure comme le berger d’un troupeau, dont le pouvoir s’exerce sur une multiplicité en mouvement ; ce pouvoir est fondamentalement bienfaisant, il prend soin des brebis ; et il prend soin de chacune, omnes et singulatim : en cela, il s’agit d’un pouvoir individualisant[14]. Foucault identifie, au principe de sa diffusion en Occident, le « christianisme » — ou plutôt, puisqu’il met ce terme entre guillemets en indiquant d’emblée qu’il recouvre trop de réalités différentes, « l’Église », « une religion, une communauté religieuse qui s’est constituée comme Église[15] ». L’Église est le lieu d’éclosion de la pastorale, oikonomia psuchôn selon l’expression que Foucault reprend à Grégoire de Nazianze et qu’il propose de traduire par conduite des âmes, en jouant sur l’ambiguïté : la conduite est à la fois l’activité de conduire, la « conduction », et la manière dont on se laisse conduire ou dont on se conduit soi-même. C’est cet « art des arts » (technê technôn, ars artium) de la direction des hommes qui fait l’irréductible spécificité de la reprise chrétienne du thème pastoral.
Foucault se réfère d’abord au monastère comme au lieu d’une « forme en quelque sorte plus dense, plus intense de pastorale[16] ». Si le thème de l’abbé comme berger ne sera explicite que dans la Règle de saint Benoît, les Institutions de Cassien, qui en sont l’une des sources principales, voient apparaître un principe capital : celui de l’obéissance au directeur[17]. L’expérience monastique est ainsi principalement le laboratoire et le condensé de l’obéissance pastorale, en ce qu’elle marque, avec la vie cénobitique décrite et organisée par les écrits de Cassien, le moment où le christianisme s’incorpore la technique de la direction spirituelle. Cette technique n’est évidemment pas une innovation chrétienne ; ses formes antiques sont bien connues, et Foucault leur consacre de longs développements. Le monachisme n’a pas inventé la direction spirituelle : il l’a déplacée et radicalisée. Là où la direction antique était spécifique, fondée sur la compétence du maître et orientée vers un état de maîtrise de soi impliquant à terme sa disparition, la direction chrétienne devient généralisée ; elle ne se justifie plus par une sagesse particulière mais par le « privilège formel » de toute volonté étrangère comme occasion de mortification de la volonté propre ; elle n’est orientée vers rien d’autre qu’un état d’obéissance permanente et définitive, celui d’une soumission radicale au supérieur et, à travers lui, à la volonté divine. Foucault cite de nombreux exemples de Cassien à l’appui de cette thèse ; le plus notable est sans doute celui de Jean de Lycopolis, qui est envoyé par son maître dans le désert arroser un bâton desséché, chaque jour, pendant une année entière[18].
Pourtant, de façon inattendue, le monachisme reparaît aussi localement parmi les « contre-conduites » recensées par Foucault, sous la figure de l’ascèse. L’histoire du pastorat est en effet indissociable de celle de ces « mouvements qui ont pour objectif une autre conduite, c’est-à-dire : vouloir être conduit autrement, par d’autres conducteurs et par d’autres bergers, vers d’autres objectifs et vers d’autres formes de salut, à travers d’autres procédures et d’autres méthodes », que Foucault propose de nommer « contre-conduites[19] ». Cette expression est appelée à s’effacer rapidement sous sa plume malgré son indéniable intérêt philosophique, mais elle marque l’enquête d’une empreinte qui persiste après sa disparition sous la plume de Foucault[20]. Foucault assume l’étonnement que peut susciter cette apparition de l’ascèse parmi les contre-conduites, qui implique de corriger Nietzsche[21] :
Vous me direz que c’est sans doute un peu paradoxal de présenter l’ascétisme comme contre-conduite alors qu’on a l’habitude plutôt de lier l’ascétisme à l’essence même du christianisme et à faire du christianisme une religion de l’ascèse par opposition aux religions antiques. Je crois qu’il faut tout de même se rappeler que le pastorat, j’y faisais allusion tout à l’heure, dans l’Église orientale et dans l’Église occidentale, s’est développé au iiie-ive siècle essentiellement, enfin pour une partie non négligeable au moins, contre les pratiques ascétiques, contre en tout cas ce qu’on appelait, rétrospectivement, les excès du monachisme, de l’anachorèse égyptienne ou syrienne[22].
Ce que Foucault a ici en vue, c’est avant tout l’ascèse des anachorètes orientaux, dans sa dimension anarchique et concurrentielle. Par rapport à cet élan ascétique potentiellement incontrôlable, la vie cénobitique se constitue comme une entreprise de modération, d’encadrement et de répression par le pastorat. Toutefois, l’expérience cénobitique décrite par Cassien, fasciné par l’anachorèse où il voit la forme la plus haute de la vie monastique, présente également des points de tension possible avec le pouvoir pastoral de l’Église. Ces tensions latentes affleurent en particulier dans les rapports complexes qui lient le développement des monastères et de l’institution ecclésiale. Comme le relève Adalbert de Voguë, le geste de retrait du monde constitutif de la vie monastique est, dans les débuts du cénobitisme, solidaire d’une « certaine rupture avec l’Église qui vit au milieu de ce monde[23] ». Arsenius et Pambo réservent un accueil silencieux et glacial au patriarche Théophile lorsqu’il rend visite à leur monastère ; quand celui-ci, devenu pape, condamne l’origénisme, Cassien et Palladius fuient l’Égypte. Pachôme refuse toute sa vie l’ordination ; selon l’analyse éclairante de Philippe Rousseau :
Il admettait que certains hommes dans l’Église semblaient être des bergers et d’autres des brebis ; mais en réalité, tous les hommes étaient des brebis, sous le pastorat du Christ seul berger. Le Christ avait commandé à ses disciples de nourrir son troupeau, et les évêques avaient sans doute hérité de cette responsabilité paternelle ; mais il y avait d’autres hommes, sans statut officiel dans l’Église, qui pouvaient malgré tout prétendre au même héritage et exercer la même fonction : ceux qui entendaient la voix du Christ en eux[24].
Outre la critique insistante de la tiédeur des clercs, l’idée d’une défiance à cultiver à l’égard du prestige des carrières ecclésiastiques, déjà prégnante dans l’enseignement d’Évagre, se retrouve chez Cassien à qui l’on doit cette formule mémorable : « le moine doit absolument fuir les femmes et les évêques[25] ». S’il semble ainsi légitime de repérer le monachisme, dans ses formes anachorétiques mais aussi, à certains égards, cénobitiques, comme un point de tension entre pastorat et contre-conduites, le trait ne doit néanmoins pas être forcé. La tension possible entre Église et monastère existe surtout à l’état de virtualité ; elle ne s’est jamais située sur le terrain sacramentel, et les monastères sont aussi, à l’époque de Cassien, des lieux essentiels de recrutement de futurs évêques — car s’il est vicieux d’aspirer à la gloire ecclésiastique, il l’est aussi de se soustraire à ce service quand on y est appelé[26].
II. L’examen-aveu et l’invention de l’obéissance pure
« Je crois que les deux structures, celle de l’obéissance et celle de l’ascétisme, sont profondément différentes », écrit Foucault dans Sécurité, territoire, population[27]. Du point de vue de ce jeu d’oppositions, le monachisme apparaît comme un nécessaire lieu de tension, où se concentrent les contradictions entre élan ascétique et pouvoir pastoral. Dans son appréhension du phénomène monastique, Foucault tranche l’hésitation que semblent ouvrir ses analyses sur la situation du cénobitisme dans cette configuration du pouvoir : le développement des institutions cénobitiques est à lire, dans les textes de Cassien, comme une entreprise de contrôle de l’ascèse par le pouvoir pastoral et ses structures d’obéissance. En atteste la vertu de discretio, vertu centrale de la vie monastique à laquelle Cassien consacre sa deuxième conférence et dont Foucault relève la « pointe anti-ascétique[28] » : c’est contre les excès de certains anachorètes qu’est louée cette vertu qui, « se tenant également éloignée des deux excès, enseigne le moine à marcher toujours par une voie royale », celle d’un équilibre entre trop et trop peu d’austérité[29]. La règle de cette juste mesure est enseignée par la tradition héritée des Pères et par un don gracieux de Dieu lui-même[30] ; la structuration de la vie cénobitique par le contrôle d’une règle communautaire et de la direction d’un abbé est ce qui la rend possible.
Ce contrôle de l’ascèse et cette imposition de l’obéissance pastorale disposent d’un instrument privilégié, qui sera mis au jour par Foucault dans Le Gouvernement des vivants, Mal faire, dire vrai et Les Aveux de la chair : l’examen-aveu (exagoreusis). Le tournant de l’année 1980 repère ainsi l’exagoreusis comme l’instrument principal de cette entreprise, dégagée dans Sécurité, territoire, population, de domestication de l’ascèse par le pouvoir pastoral qui vise ultimement à produire un état d’obéissance radicale et définitive ; c’est là la signature de ce pouvoir. Il ne s’agissait pas simplement de faire obéir — caractérisation vide et tautologique de tout pouvoir — mais d’organiser « l’instance de l’obéissance pure[31] ». L’étude de l’exagoreusis intervient à un moment où l’enquête foucaldienne sur le gouvernement des hommes s’infléchit vers la prise en compte des « actes de vérité » et de l’idée d’un « gouvernement par la vérité[32] ». L’examen-aveu se situe ainsi au point de jonction entre la recherche généalogique sur le gouvernement et, d’autre part, l’histoire de l’aveu et des « véridictions ».
Avec l’aveu, Foucault ne cesse de remettre l’ouvrage sur le métier : « je me heurte sans cesse à l’aveu[33] ». L’exagoreusis est un moment décisif de cette histoire constamment reprise, et qui dessine, en pointillé, une archéologie de la psychanalyse. Elle renvoie à la verbalisation, dont on peut relever le caractère tardif puisqu’elle n’intervient qu’à partir de l’institutionnalisation du monachisme, de la confession des péchés, d’abord manifestée sur le mode non verbal de l’exomologèse, dans les pratiques pénitentielles[34]. L’examen-aveu intervient dans le cadre de la direction spirituelle, que les premiers écrits sur la vie cénobitique désignent comme continuellement indispensable à tout moine. Le dirigé doit dire la vérité, et dire la vérité sur soi, selon un principe de continuité et d’exhaustivité. Il lui faut tout verbaliser, en repérant la moindre ébauche de pensée et de désir coupables :
Pour obéir, à la fois parce qu’on obéit et pour obéir et pour pouvoir rester toujours dans l’état d’obéissance, il faut parler. Il faut parler de soi. La véridiction est un processus : la véridiction de soi-même — le dire-vrai sur soi — est une condition indispensable pour l’assujettissement à un rapport de pouvoir à l’autre[35].
L’examen, dans l’exagoreusis, a donc moins pour matière les actes que les pensées (cogitationes). Le mouvement des cogitationes est en effet responsable d’une agitation (co-agitationes) qui trouble la pureté de la contemplation du moine, fin de la vie monastique. Ce que le directeur enseigne au dirigé relève donc avant tout d’un savoir-faire de tri des pensées : tel le changeur qui vérifie la qualité des pièces de monnaie, il identifie l’origine des pensées (Dieu, le Diable, soi-même) et il les accepte ou les rejette en fonction de leur qualité[36].
Puisque l’examen-aveu implique de scruter, d’inspecter inlassablement ses pensées, il est selon Foucault solidaire de l’avènement d’une incessante « herméneutique de soi ». La vigilance devant le flux des pensées, présente dans le stoïcisme et en particulier chez Épictète qui la prescrit déjà en employant la métaphore du changeur, connaîtrait une inflexion majeure dans sa version cassianienne, où il s’agit désormais de « prescrire une attitude herméneutique à l’égard de soi-même[37] » : « […] je crois qu’on a là le moment où commence en Occident ce qu’on appelle, ce qu’on peut appeler une herméneutique de soi[38] ». De l’activité de tri des pensées, Foucault infère que le christianisme « requiert de chacun qu’il sache qui il est, c’est-à-dire qu’il s’applique à découvrir ce qui se passe en lui-même[39] ». Le contraste qu’il établit implicitement entre l’askesis stoïcienne et l’ascétisme chrétien est l’occasion d’une formule frappante : l’herméneutique de soi chrétienne serait à placer du côté d’une « révélation d’un soi secret[40] ».
Ce passage du tri des pensées à une herméneutique du sujet, de « ce qui se passe en [soi]-même » à qui l’on est, est délicat. Dans la conception de Cassien, il semble s’agir, plutôt que d’une révélation d’un « moi » visé par une entreprise de connaissance, d’une activité dynamique de discrimination s’exerçant sur un flux en mouvement, dont les éléments sont en outre souvent reconduits à un être surnaturel extérieur à soi (Dieu, le Diable). L’interprétation de Foucault implique, de plus, de présupposer un rôle épistémologique du désir, où l’identification de son désir renseigne le sujet sur lui-même ; il est permis d’hésiter dans l’imputation d’une telle conception au christianisme tardo-antique, et particulièrement à Cassien[41]. Néanmoins, le développement spectaculaire d’une finesse d’introspection dans les débuts du cénobitisme semble indéniable. À propos de Pachôme et Théodore, Peter Brown écrit ainsi qu’ils avaient « durablement fondé une institution sur le don de scruter les coeurs[42] ». Quelques expressions suggestives de Cassien, citées par Foucault, sont des indices de ce remarquable approfondissement de l’intériorité fondé sur le thème récurrent du regard divin qui scrute les coeurs : le moine doit explorer, par l’examen de la discretio, le secret de sa conscience (arcana conscientiae, arcana cordis, secreta conscientiae)[43].
III. Les jeux de l’ascèse et de l’obéissance. Sur la discipline des vertus
L’hypothèse de Foucault sur l’exagoreusis monastique vise le lien entre cette inflation introspective et le rapport d’obéissance de la direction spirituelle, dans la technique de l’examen-aveu. Le dire-vrai sur soi-même est au coeur de l’assujettissement dans la relation d’obéissance. Dans Sécurité, territoire, population, Foucault insistait sur le fait que l’obéissance pastorale, qui a le monastère pour lieu central avec la relation de direction spirituelle, correspondait à l’objectif d’un état stable et définitif :
Dans l’obéissance chrétienne, il n’y a pas de fin, car ce à quoi conduit l’obéissance chrétienne, qu’est-ce que c’est ? C’est tout simplement l’obéissance. On obéit pour pouvoir être obéissant, pour arriver à un état d’obéissance[44].
Sur le manuscrit de Sécurité, territoire, population, Foucault entoure la notion d’état et note en marge : « notion importante ». Trois termes viennent caractériser cet état dans les analyses plus approfondies que Foucault lui consacre dans Du Gouvernement des vivants, Mal faire, dire vrai et Les Aveux de la chair : humilitas, patientia, subditio[45]. L’humilité réside dans une appréciation de soi-même fondée sur une infériorité de principe par rapport à tous les autres hommes et surtout dans le renoncement à tout vouloir propre qui en résulte. La patience consiste à supporter la volonté de l’autre sans jamais lui opposer d’obstacle et à obtempérer immédiatement, tel le moine évoqué par Cassien qui suspend son travail de copiste instantanément, au milieu d’une lettre, pour obéir à son supérieur[46]. La soumission, enfin, correspond à une disposition à n’agir que sur commande. L’obéissance monastique est ainsi « auto-référée[47] » : elle ne vise rien d’autre qu’elle-même. C’est dans la notion d’humilité, « inverse de la maîtrise de soi qui était l’objet de la pédagogie antique », qu’éclate ce caractère autotélique[48] :
L’obéissance qu’on impose aux moines ne leur promet aucune royauté sur eux-mêmes, mais une humilité qui n’est rien d’autre que l’obéissance devenue état définitif, disponibilité permanente à l’égard de tout autre, et rapport incessant de soi à soi[49].
Si le thème de l’état d’obéissance est maintenu par Foucault dans ces analyses ultérieures à Sécurité, territoire, population, un trait notable distingue ces passages des développements du cours de 1978-1979. Foucault s’intéresse désormais, en dégageant cette structure tripartite de l’obéissance, à des vertus. Le terme n’apparaît chez lui que de façon incidente et ne correspond pas à un intérêt théorique réel. Pourtant, il suggère un déplacement possible de l’enquête, où le monachisme ne serait plus simplement le lieu d’une obéissance jugulant la dynamique de l’ascèse. La vie monastique apparaît en effet ici en creux comme le processus ascétique positif d’une discipline, soit d’un apprentissage formateur, où s’acquièrent des vertus et où se déploie une capacité d’agir éthique — là où Foucault ne lit qu’un renoncement à soi[50]. Or l’obéissance y est moins un état final qu’un instrument de l’exercice ascétique. L’opposition entre obéissance et ascèse, mise en place dans Sécurité, territoire, population, se trouve problématisée par l’invention d’une obéissance qui est elle-même une technique d’ascèse : obéir non pas simplement pour être obéissant, mais pour se transformer soi-même et acquérir certaines capacités éthiques, les vertus. C’est toute l’ambiguïté de la docilité qui éclate ici, entre assujettissement à un pouvoir et malléabilité qui permet de se laisser enseigner en étendant sa capacité d’agir. Le modèle, proposé par Saba Mahmood, pourrait en être celui du pianiste qui se plie à des gammes et des exercices inculqués par des maîtres pour décupler ses possibilités de jeu[51].
Dans le langage de la théologie ascétique de Cassien, la discipline n’est pas seulement, comme dans la plupart de ses occurrences, le genre de vie cénobitique ou la vie sous une règle. Elle est aussi uirtutum disciplina, discipline des vertus que permet l’ascèse, où s’acquiert une forme d’expertise qui permet aux maîtres de guider les novices et les moines moins expérimentés[52]. Cassien écrit ainsi :
Car personne ne peut établir de préceptes salutaires pour ses subordonnés, sinon celui qui d’abord aura été instruit dans toutes les disciplines des vertus (uniuersis uirtutum disciplinis fuerit instructus) ; et de même, personne ne peut obéir à un ancien sinon celui qui, rempli de la crainte de Dieu, s’est rendu parfait dans la vertu d’humilité[53].
Diriger exige de s’être laissé bien diriger ; se laisser bien diriger exige une vertu, la vertu d’humilité, qui est à la fois prérequise et cultivée par la discipline cénobitique. La discipline de la vie monastique apparaît comme un processus d’instruction, dont l’humilité est la condition et les vertus le fruit. C’est là tout le thème architectural, que Foucault mentionne en choisissant de ne pas l’exploiter, de l’édifice des vertus : l’humilité n’est que le socle de cet édifice, dont la charité est le couronnement et le lien qui fait tenir ensemble toutes ses parties. « Fondement inébranlable de l’édifice céleste », « maîtresse de toutes les vertus[54] », l’humilité est en notre pouvoir (in tuo pendet arbitrio)[55]. L’entrée au monastère passe par une épreuve d’humilité, où le futur novice doit attester qu’il possède cette vertu par sa résistance aux injures dont on l’accable, pendant la période des dix jours de probation où il doit attendre à la porte du monastère, et par son endurance dans les tâches qu’il doit accomplir pendant son année de service à l’hôtellerie, sous la conduite d’un ancien. Mais le monastère est aussi école des vertus ou gymnase : il est un lieu d’instruction et surtout d’entraînement. C’est la « discipline du monde » (mundana disciplina), celle des exercices athlétiques, qui fournit le modèle de la discipline du combat spirituel enseignée dans le « noble gymnase des maisons cénobitiques[56] ». Foucault souligne bien cet aspect dans ses pages sur le combat de la chasteté ; il relève, dans son analyse de la pureté de coeur, la dimension téléologique de la discipline cénobitique — car « tout art et toute discipline a un but », un skopos et un telos, selon les premières pages des Conférences. Toutefois, son analyse est toujours orientée par une conception de l’obéissance comme arrachement du vouloir, stade ultime de la vie monastique.
La voie alternative d’une réflexion sur le développement de capacités éthiques dans l’ascèse monastique, que Foucault n’emprunte pas en 1978-1979, peut conduire à reprendre l’enquête sur l’expérience monastique à partir des analyses ultérieures, en contexte grec, portant sur l’ascèse, la formation éthique et les modes de subjectivation[57]. Des travaux récents s’y emploient et renouvellent la lecture de l’oeuvre de Cassien en insistant sur la dimension de formation et de transformation de soi par des pratiques corporelles et rituelles à l’oeuvre dans l’ascèse monastique, contre une lecture univoque centrée sur le renoncement à soi : il s’agit de faire jouer le Foucault de l’analyse des modes de subjectivation contre le Foucault lecteur de Cassien[58]. Ainsi, Niki Kasumi Clements défend dans sa lecture de Cassien une conception de la vie monastique inspirée par les travaux ultérieurs de Foucault sur l’ascèse grecque en « argumentant en faveur d’une vision de l’ascèse comme un moyen de culture de soi plutôt que de renoncement à soi » et en montrant la présence, dans ces textes et les pratiques spirituelles qu’ils décrivent, d’une « agentivité éthique[59] ». La conception de l’ascétique proposée dans L’Herméneutique du sujet peut fournir un point d’appui à ces relectures :
L’ascétique, c’est-à-dire l’ensemble plus ou moins coordonné des exercices qui sont disponibles, recommandés, obligatoires même, utilisables en tout cas par les individus dans un système moral, philosophique et religieux, afin de parvenir à un objectif spirituel défini[60].
L’objectif visé par l’ascèse monastique, comme y insiste déjà Foucault, c’est la pureté de coeur ou charité, qui permet la science spirituelle (scientia spiritualis) et l’amour de Dieu (caritas Dei). Les exercices pour y parvenir relèvent du répertoire traditionnel des pratiques ascétiques de la vie monastique : jeûnes, veilles, travail manuel, abstinence, etc. ; ce sont autant de moyens vers la perfection. L’exigence imputée par Foucault, dans la première leçon de L’Herméneutique du sujet, à la « spiritualité » semble ainsi pleinement attestée dans le contexte de la spiritualité cassianienne. Foucault avait mis en lumière l’écart entre une conception moderne où le rapport à la vérité se joue dans la connaissance et par l’application de procédures rationnelles et, d’autre part, ce que postule la « spiritualité » : la nécessité d’un prix à payer, par la purification et l’ascèse pour accéder à la vérité. Dans la théologie ascétique de Cassien, l’accès à un certain type de vérité, la scientia spiritualis, suppose et requiert nécessairement une transformation subjective par l’ascèse. « Si donc vous voulez élever dans votre coeur le sacré tabernacle de la science spirituelle, écrit Cassien, purifiez-vous de la souillure de tous vos vices[61] » : la vita actualis ou praktikè, « pratique des vertus par l’ascète inexpérimenté », comme la comprend Owen Chadwick dans son ouvrage fondateur, conditionne la scientia spiritualis[62]. Cette vie pratique implique de supposer que le soi peut être transformé, comme le remarque, entre autres, Elizabeth Clark[63]. Relire l’oeuvre de Cassien dans cette perspective des analyses de l’ascèse permet ainsi de prolonger le travail annoncé par Foucault dans le dernier programme d’une histoire des arts de vivre chrétiens.
IV. L’ascèse et la mystique
Il me semble, et je m’arrêterai là, qu’on voit se marquer dans le christianisme, à travers ce clivage dans la notion de parrêsia, deux grands noyaux de l’expérience chrétienne […] Cette conception de la parrêsia [comme confiance en Dieu] a cristallisé autour d’elle ce qu’on pourrait appeler le pôle parrêsiastique du christianisme, où le rapport à la vérité s’établit dans la forme d’un face-à-face avec Dieu et dans celle d’une confiance, confiance humaine qui répond à l’épanchement de l’amour divin. Ce pôle parrêsiastique me paraît avoir été à l’origine de ce qu’on pourrait appeler la grande tradition mystique du christianisme […] Et puis vous avez, dans le christianisme, un autre pôle, un pôle anti-parrêsiastique qui fonde, non pas la tradition mystique, mais la tradition ascétique. C’est le pôle selon lequel le rapport à la vérité ne peut s’établir que dans l’obéissance craintive et révérencieuse à l’égard de Dieu, et sous la forme d’un déchiffrement soupçonneux de soi, à travers les tentations et les épreuves[64].
Ces lignes, écrites dans la précipitation fiévreuse du dernier cours de Foucault, concluent l’ultime développement consacré à la parrêsia. Foucault fait apparaître une ligne de fracture dans le devenir biblique et chrétien de cette notion. D’un côté de la ligne, dans les textes judéo-hellénistiques puis dans le Nouveau Testament, la parrêsia peut être un dire-vrai avec courage, résultant d’une attitude du coeur qui s’exprime dans la prière, soit « quelque chose comme l’ouverture de coeur, cette transparence de l’âme sous le regard de Dieu[65] ». Foucault note en ce sens que c’est cette confiance parrêsiastique, confiance en l’amour de Dieu permettant de s’adresser immédiatement à lui et d’attendre sans crainte le jour du Jugement, qui « rend possible la prière[66] ». Elle caractérise également le courage de la prédication des Apôtres et, dans les textes ascétiques des premiers siècles, celui des martyrs, ces témoins dont le courage va jusqu’à l’épreuve de la mort : « […] ce courage de la vérité [des martyrs], on ne peut l’avoir que dans la mesure où on l’ancre, où on l’enracine dans une relation de confiance à Dieu qui nous met au plus près de Lui, dans une sorte de face-à-face[67] ».
Cependant, la parrêsia chrétienne n’est pas que cette « forme de confiance générale des chrétiens à l’égard de Dieu ». À partir de la littérature ascétique des premiers siècles, elle se teinte d’une ambiguïté qui rappelle l’oscillation du terme grec, entre courage du dire-vrai et désordre anarchique. Foucault repère chez Jean Chrysostome et Grégoire de Nysse des échos du thème cynique ; mais ces acceptions positives de parrêsia voisinent désormais avec, dans les textes qui accompagnent et témoignent du développement des institutions cénobitiques, le thème d’une défiance à cultiver à l’égard de soi-même. Foucault relie l’apparition de ce thème à l’institutionnalisation du monachisme et à la montée en puissance du pouvoir pastoral des ministres de l’Église : à partir du ive siècle, « l’ascétisme individuel va se trouver comme enchâssé à l’intérieur de structures institutionnelles, comme celles [d’une part] de la cénobie et du monachisme collectif, et celles d’autre part du pastorat, par lesquelles la conduite des âmes va être confiée à des pasteurs, prêtres ou évêques[68] ». La place de l’oeuvre de Cassien dans ce mouvement d’institutionnalisation du cénobitisme et de concentration du pouvoir pastoral, à travers le principe de l’obéissance pure et la pratique d’une vigilance « attentive, scrupuleuse, soupçonneuse » à l’égard de soi-même, est désormais claire. Pour Foucault, « la parrêsia paraît comme incompatible avec le regard maintenant sévère qu’il faut porter sur soi-même », qui signe la perte de cette « confiance jubilatoire par laquelle [le chrétien] était lié à Dieu, était porté à lui jusqu’à le saisir dans un face-à-face direct[69] ».
Une difficulté se présente néanmoins à ce stade. Les acceptions négatives de parrêsia chez les anachorètes orientaux sont attestées ; Foucault cite l’apophtegme célèbre d’Agathon, qu’un jeune moine vient trouver pour lui demander comment vivre en communauté. Agathon préconise de garder une « mentalité d’étranger » et de se prémunir de toute liberté excessive ; et il ajoute : « […] qu’y a-t-il de pire que la parrêsia ? » Rien, répond-il ; la parrêsia « ressemble à un grand vent brûlant qui, lorsqu’il se lève fait fuir tout le monde devant lui et anéantit les fruits des arbres[70] ». Toutefois, cette dépréciation est-elle aussi active chez les fondateurs du cénobitisme latin ? Les débuts du monachisme impliquent certes la renonciation au droit à la parrêsia que s’arrogeaient les Cyniques, en même temps que l’abdication de tout droit dans le voeu de pauvreté[71]. Ce rejet de la parrêsia donnera lieu à la dénonciation, dans la Règle de Benoît, de la praesumptio[72].
Dans les Conférences et Institutions de Cassien aussi, qui inspirent la Règle bénédictine, on trouve une condamnation récurrente de la praesumptio, présomption orgueilleuse ou jactance. La praesumptio apparaît, d’une manière qui conforte significativement la lecture de Foucault imputant le déclin de la parrêsia au développement de la direction spirituelle et du principe pastoral de l’obéissance pure dans la littérature ascétique, comme une confiance indue en son propre jugement : « […] qui serait si présomptueux et aveugle que d’oser se fier à son jugement propre et à sa discrétion[73] ? » La présomption intervient comme l’opposé de la discretio, dont on a vu le rapport étroit avec le principe d’obéissance, soit comme une confiance démesurée dans son mérite et dans le secours divin qui lui est dû, manifestant une ignorance complète de la modération du discernement. Ainsi, sont présomptueux l’abbé Héron qui se jette dans un puits en croyant que Dieu lui permettra d’en sortir indemne en raison de son éclatante vertu, ou ce moine qui, traversant le désert de Thébaïde en jurant témérairement qu’il ne mangera qu’une nourriture dispensée par la grâce, manque de reconnaître le secours divin dans les pains qui lui sont offerts par des barbares et en vient à se laisser mourir de faim[74]. De ce dernier, Cassien écrit qu’il « persévère dans sa sotte présomption et reste fermé à toute idée de discrétion[75] ». Indéniablement, Foucault repère quelque chose de crucial dans le devenir ascétique de la parrêsia que manifeste cette critique monastique de la praesumptio : le développement corrélatif, dans le cénobitisme, des structures du pouvoir pastoral, du principe d’obéissance, de la vertu de discretio et d’une certaine défiance à l’égard de soi-même.
Malgré cela, on peut repérer les indices de la subsistance positive du motif de la parrêsia dans les écrits de Cassien. Restituant les traductions latines de parrêsia dans le latin profane et chrétien des premiers siècles, Giuseppe Scarpat signale que la notion reparaît sous les traits de la constantia et de la fiducia[76]. Si le terme de constantia semble éloigné, dans le latin de Cassien, du motif de la parrêsia, une recherche sur la fiducia comme attitude intérieure de confiance en Dieu que donne la pureté du coeur se révèle plus concluante. Sous la plume de Cassien, la fiducia caractérise la prière confiante du coeur pur tourné vers Dieu ; loin que cette confiance doive être diminuée par l’exercice d’une méfiance suspicieuse, elle doit au contraire être protégée des attaques de l’Ennemi qui cherche à la miner[77]. Cassien écrit :
Si nulle hésitation n’est venue traverser notre prière, et que nulle pensée de doute n’en ait brisé le confiant élan (fiduciam petitionis nostrae) ; si, au contraire, nous avons le sentiment intime d’avoir obtenu ce que nous demandions dans l’effusion même de notre prière ; celle-ci, nous n’en doutons pas, a été efficace auprès de Dieu. Car ce qui nous vaut d’être exaucé et d’obtenir satisfaction, c’est la foi au regard de Dieu sur nous, et la confiance qu’il a le pouvoir d’accorder ce qu’on lui demande[78].
La pureté du coeur ou charité, fin de la vie monastique, « rayonne d’une confiance plus pleine [que les premiers degrés de la perfection, crainte de Dieu et espérance] et déjà de la joie sans fin[79] ». Mais avant même d’atteindre cette perfection de la vie monastique, le moine peut avoir confiance dans le fait que ses prières seront entendues. Germanus demande ainsi à l’abbé Isaac si la « confiance d’être entendu » (exauditioni fiduciam) ne devrait pas être réservée aux saints et si ce n’était pas trop présumer (praesumare) que de croire être exaucé. La réponse d’Isaac est instructive : ce n’est pas contre la présomption qu’il met en garde mais contre le découragement (desesperatio). Persévérer dans la prière requiert un certain courage : celui d’oser importuner Dieu, comme dans l’Évangile l’ami qui importune son ami au milieu de la nuit et qui en obtient du pain, à cause de son importunité (Lc 11,5-8). Ce courage de l’importun est porté par la confiance en un Dieu qui l’encourage :
C’est le Seigneur lui-même qui, dans son désir de nous accorder les biens célestes et éternels, nous exhorte à lui faire violence en quelque sorte par notre importunité. Et loin de repousser avec mépris les importuns, il les encourage, il les loue, il leur fait la douce promesse de leur accorder tout ce qu’ils auront espéré avec constance[80].
Ainsi, tout se passe comme si l’ambiguïté repérée par Foucault à l’échelle de la tradition chrétienne se répercutait directement dans l’oeuvre de Cassien. Si cette oeuvre ne peut ainsi pas être univoquement assignée à un « pôle anti-parrêsiastique », c’est que la tension entre ascèse et mystique identifiée par Foucault n’y est pas résolue mais condensée. Là où Foucault souligne l’émergence d’un rapport à Dieu fondé sur la crainte dans « la grande entreprise du soupçon anti-parrêsiastique[81] » qu’il oppose à la confiance parrêsiastique d’un amour sans crainte, il faut maintenant remarquer un troisième terme passé sous silence et dont Cassien est le témoin : celui de la « crainte d’amour » (caritatis timor). La relation à Dieu n’y est pas exempte de crainte ; mais son tremblement ne vient pas de l’anticipation d’un châtiment ni même des reproches de la conscience. Il est la marque d’un amour qui redoute jusqu’à l’effroi de se blesser ou de s’attiédir, au point que l’âme en demeure « interdite de tendresse » :
Fondé dans la perfection de cette charité, on s’élèvera nécessairement à un degré plus excellent encore et plus sublime, qui est la crainte d’amour. Celle-ci ne naît pas de la frayeur du châtiment ni du désir de la récompense, mais de la grandeur même de l’amour. C’est ce mélange de respect et d’affection attentive qu’un fils a pour un père plein d’indulgence, le frère pour son frère, l’ami pour son ami, l’épouse pour l’époux. Elle n’appréhende ni coups ni reproches ; ce qu’elle redoute, c’est de blesser l’amour de la blessure même la plus légère. En tout acte, jusqu’en toute parole, on la voit constamment interdite de tendresse, dans l’effroi que la ferveur de la dilection ne s’attiédisse à son égard si peu que ce soit[82].
V. La subjectivité abandonnée
La crainte d’amour se trouve à l’intime articulation du soupçon envers soi-même et de la confiance en Dieu ; elle est le point où communient ascèse et mystique. Cette remarque appelle un examen plus détaillé de la question de la prière, qui commence tout juste à éveiller l’intérêt de Foucault au cours de l’année 1984 et semble devoir être un lieu crucial pour toute enquête sur les rapports entre ascèse et mystique chrétiennes. Les analyses antérieures consacrées par Foucault à l’humilité, qu’il présente comme un « état d’obéissance » compris comme arrachement du vouloir, devraient y trouver un nouveau point d’appui. Cassien dénombre, à la suite de saint Paul, quatre formes de prière : l’obsecratio, l’oratio, la postulatio et l’actio gratiae. Si Cassien affirme que ces quatre prières conviennent à chacun, l’obsécration lui semble particulièrement appropriée aux commençants et l’action de grâce aux âmes déjà avancées dans le progrès spirituel. L’obsécration désigne la supplication du pénitent qui implore le pardon et éprouve de la componction, c’est-à-dire un repentir attristé à l’idée d’avoir offensé Dieu. L’oratio, que Dom Eugène Pichery rend par « promesse » (euchè en grec), renvoie à ce qui est consacré à Dieu : l’oraison, le voeu de pauvreté, de chasteté, etc. Les postulationes correspondent aux demandes faites pour d’autres. Les actions de grâce, enfin, sont les « indicibles transports » (ineffabiles excessus) de l’âme qui se souvient des dons reçus et des récompenses promises.
En première analyse, il semble que ce soit l’obsécration, la supplication du pécheur, qui tienne une place prépondérante parmi ces prières. Cassien dévoile en effet, après avoir ménagé un long effet d’attente, le moyen assuré d’atteindre le but de la vie monastique en restant constamment en prière : il faut reprendre sans cesse une formule précise, « Dieu, viens à mon aide ; Seigneur, hâte-toi de me secourir » (Deus in adiutorium meum intende, Domine ad adiuuandum mihi festina)[83]. Cette prière, insiste l’abbé Isaac, convient à toutes les situations, qu’il s’agisse de demander l’aide de Dieu pour lutter contre un vice, surmonter une épreuve, ou se souvenir que le bien dont on jouit est donné par Dieu. Elle a « l’humilité d’une pieuse confession » (humilitas piae confessionis). C’est dans cette humilité confessante que se réunissent la défiance ascétique et la confiance mystique. En effet, elle manifeste à la fois « la vigilance d’une âme toujours en éveil et pénétrée d’une crainte continuelle, la considération de notre fragilité », et, du même coup, « la confiance d’être exaucé et l’assurance du secours toujours et partout présent, car celui qui ne cesse d’invoquer son protecteur est bien certain de l’avoir près de soi[84] ». Ici s’esquisse un autre visage de l’humilité, qui constitue l’envers inséparable de la pauvreté spirituelle : l’humble y devient « le vrai mendiant du Seigneur[85] ». Cassien compare l’humilité des moines et des chrétiens à la fragilité d’animaux particulièrement vulnérables : les hérissons.
Tous ont selon Cassien à devenir des « hérissons spirituels » ; mais non à le rester, car le progrès vers la perfection de la prière transformera l’humble hérisson en majestueux « cerf spirituel[86] ». Le cerf spirituel est celui qui, nourri par l’enseignement des prophètes et des Apôtres, en vient à vivre une expérience singulière :
Vivifié par cet aliment dont il ne cesse de se nourrir, il se pénètre à ce point de tous les sentiments exprimés dans les psaumes, qu’il les récite désormais, non point comme ayant été composés par le prophète, mais comme s’il en était lui-même l’auteur, et comme une prière personnelle, dans les sentiments de la plus profonde componction ; au moins estime-t-il qu’ils ont été faits exprès pour lui et il connaît que ce qu’ils expriment ne s’est pas réalisé seulement autrefois dans la personne du prophète, mais trouve encore en lui tous les jours son accomplissement[87].
L’expérience de la psalmodie ici restituée met en jeu, en les troublant profondément, les frontières de ce qu’on serait tenté d’approcher, en des termes anachroniques, comme la « subjectivité » monastique. Elle brouille les contours de l’expérience propre, puisque la parole extérieurement reçue du psalmiste devient « comme une oraison propre » (quasi orationem propriam). Les paroles des psaumes sont colorées par les souvenirs personnels que le moine amène avec lui en les récitant, et elles colorent en retour cette expérience propre, au point qu’elles « ne nous font point l’effet d’être confiées à notre mémoire, mais nous les enfantons du fond de notre coeur, comme des sentiments naturels qui font partie de notre être[88] ». Est-il pertinent, en ce cas, de lire dans cette expérience de transformation intérieure quelque chose comme un travail de soi sur soi ou un processus de subjectivation ?
Un passage en particulier invite à l’hésitation : celui où culmine la description cassianienne de la prière. Dans des pages énigmatiques, Cassien livre la description d’une expérience de prière qu’il désigne comme « prière de feu ». Cette prière survient généralement pendant les silences qui suivent chaque psaume, au cours de la liturgie des heures. Une prière sans images et sans mots « jaillit dans un élan tout de feu, un ineffable transport, une impétuosité d’esprit insatiable[89] » :
Il arrive que l’âme, parvenue à cet état de vraie pureté et qui commence à s’y enraciner, conçoit en même temps toutes les formes de prières ; elle vole de l’une à l’autre, flamme insaisissable, flamme dévorante ; elle s’épanche en prières toutes vives et pures, que l’Esprit-Saint lui-même exhale à notre insu vers Dieu avec des gémissements inénarrables ; elle conçoit, elle laisse déborder de son sein, en ce seul instant d’ineffable oraison, tant de sentiments, qu’elle est incapable, en un autre moment, je ne dis pas seulement de les exprimer, mais même de les repasser dans son souvenir[90].
L’expérience de la prière décrite par Cassien conjugue ainsi un mouvement d’appropriation — celui par lequel les mots des psaumes deviennent la prière propre du moine — et un mouvement de radicale désappropriation, où l’intériorité n’est plus qu’un lieu de circulation d’une prière dont elle n’est pas la source : « […] elle s’épanche en prières toutes vives et pures, que l’Esprit-Saint lui-même exhale à notre insu vers Dieu[91] ». Cette expérience de désappropriation peut soulever une difficulté générale pour l’enquête foucaldienne dans son tardif point de rencontre avec la mystique : comment penser les liens entre mystique et subjectivation ascétique ?
Il nous semble que si l’on tente d’approcher l’intériorité mystique par la catégorie résolument anachronique de « subjectivité », ce ne peut être que pour constater qu’elle doit nécessairement relever d’une subjectivité abandonnée, livrée à un abandon confiant et par là délivrée d’elle-même. Cet abandon ne se cantonne pas au temps limité de la prière : il s’étend à toute la vie du moine, si cette vie doit se transformer elle-même en prière continuelle. L’ascèse elle-même, où l’on pourrait voir le sommet de l’effort humain, est vécue sur ce mode de l’abandon. Comme le révèlent les textes que Cassien consacre à l’orgueil, l’ascète ne voit pas dans ses progrès le fruit de ses propres forces mais du travail de la grâce ; les vertus acquises dans la discipline ascétique sont conçues comme l’oeuvre de l’Esprit[92]. Ces concepts théologiques ne sauraient être intégrés, comme tels, à l’enquête philosophique. On peut toutefois suggérer le défi que représente une telle conception d’une ascèse qui soit en même temps abandon pour une philosophie des subjectivations : celle-ci a alors à se confronter à l’hypothèse, dans le cas chrétien, d’une dynamique de déprise ou de défaite des techniques de soi qui travaille de l’intérieur l’effort ascétique.
Au demeurant, la notion d’une expérience de déprise de soi est loin d’être radicalement étrangère à l’oeuvre de Foucault[93]. Elle apparaît incidemment, mais de façon décisive, dans l’introduction à l’Usage des plaisirs, alors que Foucault réfléchit sur sa propre pratique de la philosophie :
Quant au motif qui m’a poussé [à entreprendre cette recherche], il était fort simple. Aux yeux de certains, j’espère qu’il pourrait par lui-même suffire. C’est la curiosité, — la seule espèce de curiosité, en tout cas, qui vaille la peine d’être pratiquée avec un peu d’obstination : non pas celle qui cherche à s’assimiler ce qu’il convient de connaître, mais celle qui permet de se déprendre de soi-même. Que vaudrait l’acharnement du savoir s’il ne devait assurer que l’acquisition des connaissances, et non pas, d’une certaine façon et autant que faire se peut, l’égarement de celui qui connaît[94] ?
« Se déprendre de soi-même » : tel est l’ultime sens que Foucault reconnaît à l’ascèse philosophique à la fin des années 1970. Dans un entretien contemporain à la parution du deuxième volume de l’Histoire de la sexualité, Foucault évoque les oeuvres de Bataille, Nietzsche, Blanchot et Klossowski, comme autant de récits d’une « expérience limite, qui arrache le sujet à lui-même[95] ». La lecture marquante de ces auteurs correspond à la découverte d’une commune « entreprise de dé-subjectivation » que Foucault reprend à son compte dans son propre travail d’écriture[96].
L’ascèse monastique teintée de confiance mystique et l’ascèse d’une philosophie nourrie par les « expériences personnelles » de Nietzsche ou Bataille : la rencontre est inattendue. Il y va pourtant, selon une proximité dont on ne cherchera pas à atténuer la précarité, de deux ascèses où la tension de l’effort est inséparable d’une déprise de soi. C’est peut-être ce qui donne à Nietzsche cette finesse d’observation, évidemment ironique, de « ce délicat abandon qui se nomme “prière” et dans lequel l’âme se tient continuellement prête à la “venue de Dieu”[97] ». La limite immédiate du rapprochement tient-elle au fait que la désappropriation mystique présuppose le concept de Dieu ? Avant de se précipiter vers cette conclusion, il faut rappeler cette formule troublante de Maître Eckhart, dont Nietzsche s’emparera : « Nous prions Dieu d’être libres de Dieu » (wir gotes ledic werden)[98]. Comme le relève Jean-Louis Chrétien, ce paradoxe a « sa rigueur propre » : « […] si son centre est l’abandon du “moi” et de ses possessions, y compris la possession de soi par soi, il ne peut pas ne pas s’étendre jusqu’à “Dieu”, en tant que je me l’approprie, en tant que je le possède[99] ». Plus que par la position immédiate de « Dieu » (dont on posséderait le concept) dans la confiance mystique, la limite du rapprochement entre ces deux formes de déprise de soi doit ainsi être tracée à partir de la structure propre de la confiance mystique comme abandon. Cet abandon, qui va dans la mystique rhénane jusqu’à l’« abandon le plus secret » de « Dieu » en tant qu’objet d’une possession, est en effet délivrance de soi sans y être réductible. L’abandon de soi n’y est jamais séparable d’un abandon à[100]. Dieu y est moins l’objet d’une présupposition qu’une visée : quelqu’un à qui l’on se confie sans réserve.
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Cet article a tenté de montrer que l’expérience monastique lue par Foucault, pour laquelle les écrits de Cassien sont à la fois un témoignage et un fondement décisifs, intervient comme un point crucial où s’entrecroisent plusieurs lignes d’enquête au tournant des années 1980. Sécurité, territoire, population voit apparaître le motif monastique sous un jour paradoxal. Le cénobitisme se présente d’abord comme une zone de contacts et de circulations multiples entre le pouvoir pastoral, matrice de l’art moderne du gouvernement des hommes, et ses résistances, les « contre-conduites ». Il semble ainsi osciller entre deux pôles que Foucault présente comme diamétralement opposés dans le cours de 1978-1979 : l’obéissance et l’ascèse. Le monastère est le lieu, selon l’interprétation privilégiée par Foucault, où l’ardeur ascétique se voit soumise à un principe d’obéissance pure, qui voit le jour dans les structures du cénobitisme et dont les conséquences pour la diffusion du pouvoir pastoral en Occident sont majeures. Le développement de la technique de l’examen-aveu dans le cadre de la direction spirituelle en est l’instrument central et fournit une pièce décisive dans l’histoire foucaldienne de l’aveu et de la sexualité. On a suggéré, à la lumière d’autres virtualités du texte de Foucault qu’exploitent des recherches plus récentes sur Cassien, que le monachisme peut réversiblement être le cadre où se développe une discipline ascétique qui fait fonctionner la relation d’obéissance dans l’économie propre de l’ascèse et de la formation éthique : le moine n’obéit pas pour parvenir à un « état d’obéissance », mais pour se transformer lui-même en développant des capacités éthiques, les vertus. L’interprétation de la vertu d’humilité est le point où s’opère cette bifurcation interprétative : Foucault l’approche dans les termes d’un arrachement définitif du vouloir ; une relecture des textes de Cassien permet de mettre en évidence qu’il y va inséparablement d’un dénuement confiant devant Dieu, dont le moine sait dépendre entièrement.
C’est à la lumière du dernier cours de 1984 que le paradoxe monastique peut éclater : le thème anti-parrêsiastique de la méfiance envers soi-même est intimement entremêlé, dans l’expérience de la prière décrite par Cassien, avec l’attitude parrêsiastique de la confiance en Dieu. Une réflexion sur le moment chrétien des rapports entre subjectivité et vérité a ainsi à se confronter à une énigme : celle de l’entrelacement de la subjectivation ascétique avec, dans la prière qui est son coeur, une certaine forme de « dé-subjectivation ». Cette énigme est peut-être moins étrangère à Foucault qu’il n’y paraît d’abord, si son écriture est secrètement travaillée par une tension semblable entre effort sur soi et déprise de soi. Ce rapprochement doit toutefois céder devant ce qui signe la singularité de l’oubli de soi mystique : au-delà de la délivrance de soi, l’abandon à. Il n’y a peut-être de « subjectivité chrétienne » qu’abandonnée, jusque dans l’ardeur du combat ascétique dont elle refuse de s’attribuer les victoires.
Appendices
Notes
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[1]
Le Courage de la vérité. Le Gouvernement de soi et des autres II. Cours au Collège de France. 1984, Paris, Seuil, Gallimard (coll. « Hautes Études »), 2009, p. 290.
-
[2]
On pourrait, de ce point de vue, réinscrire les travaux de Foucault dans une certaine constellation de réflexions contemporaines sur le monachisme ; le phénomène monastique travaille autant l’oeuvre d’Agamben que celle de Jean Séguy ou de l’anthropologue et critique postcolonial Talal Asad. Voir Giorgio Agamben, De la très haute pauvreté (2011), trad. Marilène Raiola, dans Homo Sacer. L’intégrale, 1997-2015, Paris, Seuil (coll. « Opus »), 2016 ; Talal Asad, Genealogies of Religion. Discipline and Reasons of Power in Christianity and Islam, Baltimore, John Hopkins University Press, 1993 ; Jean Séguy, « Les sociétés imaginées : monachisme et utopie », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 26, 2 (1971), p. 328-354.
-
[3]
L’Usage des plaisirs. Histoire de la sexualité, t. 2 ; Le souci de soi. Histoire de la sexualité, t. 3, Paris, Gallimard (coll. « tel »), 1994.
-
[4]
Arianna Sforzini, « Brève généalogie des Aveux de la chair 1977-1984 », dans Foucault, les Pères, le sexe : Autour des Aveux de la chair, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2021.
-
[5]
Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France, 1978-1979, Paris, Seuil (coll. « Hautes études »), 2004, p. 170, 179, 188 ; Du Gouvernement des vivants. Cours au Collège de France, 1979-1980, Paris, Seuil (coll. « Hautes études »), 2012, p. 255-266, 283-307, 319-320, 344, 346-349 ; Mal faire, dire vrai. Fonction de l’aveu en justice. Cours de Louvain, 1981, Louvain, Presses universitaires de Louvain, 2012, p. 123-149, 161-172 ; Les Aveux de la Chair, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque des histoires »), 2018, p. 116-142, 206, 216-243, 371, 373.
-
[6]
Mal faire, dire vrai, p. 127.
-
[7]
Jean Cassien, Institutions cénobitiques, trad. Jean-Claude Guy, Paris, Cerf (coll. « Sources Chrétiennes »), 1965, réimp. 2001 ; Conférences, trad. Dom Eugène Pichery, Paris, Cerf (coll. « Sources Chrétiennes »), 1958, réimp. 2009. Sur la biographie de Cassien, voir Owen Chadwick, John Cassian. A Study in Primitive Monasticism, Cambridge, Cambridge University Press, 1950 ; Jean Coman, « Les “Scythes”. Jean Cassien et Denys le Petit et leurs relations avec le monde Méditerranéen », Kleronomia : Periodikon demosieuma tou Patriarchikou Hidrymatos Paterikon Meleton, 7 (1975), p. 27-46 ; Richard J. Goodrich, Contextualizing Cassian : Aristocrats, Asceticism, and Reformation in Fifth-Century Gaul, Oxford, Oxford University Press, 2007 ; Henri-Irénée Marrou, « Jean Cassien à Marseille », Revue du Moyen-Âge latin, 1 (1945), p. [5]-26 ; « La patrie de Jean Cassien », Orientalia Christiana Periodica, 13 (1947), p. 588-596 ; Boniface Ramsey, « Jean Cassien (env. 360-env. 435) », trad. M.-A. Vannier, dans Allan D. Fitzgerald, Marie-Anne Vannier, dir., Saint Augustin, la Méditerranée et l’Europe (ive-xxe siècle), Paris, Cerf, 2005, p. 801-803 ; Philip Rousseau, Ascetics, Authority, and the Church in the Age of Jerome and Cassian, Notre Dame, University of Notre Dame Press [1978], 2010 ; Columba Stewart, Cassian the Monk, Oxford, Oxford University Press (coll. « Oxford Studies in Historical Theology »), 1998 ; et les données rassemblées par Michel Olphe-Gaillard, « Cassien (Jean) », dans Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique. Doctrine et histoire, t. 2, Paris, Beauchesne, 1953, col. 214-276.
-
[8]
Sécurité, territoire, population, p. 177.
-
[9]
Ibid., p. 210.
-
[10]
Le Courage de la vérité, p. 307.
-
[11]
Relevons toutefois la remarque incidente et suggestive de Qu’est-ce que la critique : « Il y a quelque chose dans la critique qui s’apparente à la vertu. Et d’une certaine façon, ce dont je voulais vous parler, c’était de l’attitude critique comme vertu en général » (Qu’est-ce que la critique ? suivi de La culture de soi, Paris, Vrin, 2015, p. 35).
-
[12]
Talal Asad, Genealogies of Religion ; Saba Mahmood, Politique de la piété. Le féminisme à l’épreuve du renouveau islamique, trad. Nadia Marzouki, Paris, La Découverte (coll. « Textes à l’appui »), 2009 ; Niki Kasumi Clements, Sites of the Ascetic Self. John Cassian and Christian Ethical Formation, Notre Dame, Notre Dame University Press, 2020.
-
[13]
Voir Agustín Colombo, « The Monastic Origins of Discipline : From the Rule to the Norm ? », Philosophy and Social Criticism, 47, 8 (2021), p. 894-906.
-
[14]
L’enquête acquiert ainsi une importance décisive pour la généalogie du sujet moderne en Occident. Ibid., p. 187 : « C’est donc toute l’histoire des procédures de l’individualisation humaine en Occident qui se trouve engagée par l’histoire du pastorat. Disons encore que c’est l’histoire du sujet ». Voir aussi Du Gouvernement des vivants, p. 260 : « […] tout dire de soi-même, obéir en tout ; cette jonction entre ces deux principes est, je crois, au coeur même, non seulement de l’institution monastique, mais de toute une série de pratiques, de dispositifs, qui vont informer ce qui constitue la subjectivité chrétienne et, par conséquent, la subjectivité occidentale ».
-
[15]
Sécurité, territoire, population, p. 151.
-
[16]
Ibid., p. 170.
-
[17]
Saint Benoît, Regula sancti Benedicti, trad. Adalbert de Voguë, La Règle de saint Benoît, Paris, Cerf (coll. « Sources Chrétiennes »), 1971, 2, 7-9, t. II, p. 443.
-
[18]
Institutions, 4, 24. Pour une discussion critique du traitement foucaldien de l’« extrême obéissance », voir Béatrice Han-Pile, « Two Puzzles in the Early Christian Constitution of the Self : Reflections on Agency in Foucault’s Interpretation of Cassian », Proceedings of the Aristotelian Society, CXX, 3 (2020), p. 329-347 ; et Herman Westerink, « Foucault and the Problematics of the Will in Cassian and Augustine », Algemeen Nederlands Tijdschrift voor Wijsbegeerte, 115, 1 (2023), p. 19-29.
-
[19]
Sécurité, territoire, population, p. 153. Foucault fait état d’un embarras terminologique. Le terme de « révolte », qu’il privilégie d’abord en évoquant des « révoltes spécifiques de conduite », apparaît bien trop fort ; « désobéissance », trop faible, « même si c’est bien le problème de l’obéissance qui est au centre de tout cela » ; « insoumission » ou « dissidence », trop spécifiques.
-
[20]
Sur l’intérêt et la postérité du concept de contre-conduite, voir Arnold I. Davidson, « In Praise of Counter-Conduct », History of the Human Sciences, 24, 4 (2011), p. 25-41 ; et Daniele Lorenzini, « Foucault, la contre-conduite et l’attitude critique », dans Orazio Irrera, Salvo Vaccardo, La pensée politique de Foucault, Paris, Kimé (coll. « Philosophie en cours »), 2017.
-
[21]
C’est toutefois en nietzschéen que Foucault rectifie Nietzsche, en faisant lui aussi de l’ascèse le « prisme à partir duquel une autre histoire de la morale devient possible » (Bertrand Binoche, « De l’ascétisme à l’ascétique », Suite française. Rivista di cultura e politica, 3 [2020], p. 87-110). Voir Bertrand Binoche, Privarsi del piacere. Nietzsche e l’ascetismo cristiano, Bologne, Dehoniane, 2020.
-
[22]
Sécurité, territoire, population, p. 208 (nous soulignons).
-
[23]
Adalbert de Voguë, De saint Pachôme à Jean Cassien. Études littéraires et doctrinales sur le monachisme égyptien à ses débuts, Rome, Studia Anselmiana, 1996, p. 278-279.
-
[24]
Philip Rousseau, Ascetics, Authority, and the Church in the Age of Jerome and Cassian, p. 60 (notre traduction).
-
[25]
Institutions, 11, 18. Sur la « tentation spéciale » du désir de cléricature, voir Adalbert de Voguë, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité. Première partie : le monachisme latin. Les derniers écrits de Jérôme et l’oeuvre de Jean Cassien, Paris, Cerf (coll « Patrimoines »), 2002, p. 162-164, qui rapporte une anecdote marquante : « […] un ermite a été surpris par un visiteur au cours d’une liturgie imaginaire qu’il célébrait dans sa cellule, en faisant à haute voix tour à tour l’homélie du prêtre et la “messe des catéchumènes” réservée aux diacres ».
-
[26]
Sur ce point, voir Peter Brown, L’essor du christianisme occidental, Triomphe et diversité (200-1000), Paris, Seuil (coll. « Faire l’Europe »), 1997, p. 86 et suiv.
-
[27]
Sécurité, territoire, population, p. 210.
-
[28]
Du Gouvernement des vivants, p. 285.
-
[29]
Conférences, 2, 2.4.
-
[30]
C’est en effet une intervention angélique qui fixe la règle modérée des douze psaumes à la prière du soir et du matin (cf. Institutions, 2, 4-6).
-
[31]
Sécurité, territoire, population, p. 177.
-
[32]
Du Gouvernement des vivants, p. 12. L’expression d’« actes de vérité », citée par Foucault, est de Cajetan. Voir la note de Michel Senellart, dans ibid., p. 88, n. 8.
-
[33]
« Interview de Michel Foucault », dans Dits et écrits, vol. 2, Paris, Gallimard, 2001, 349, p. 1 477. Sur la question de l’aveu chez Foucault, voir en particulier Philippe Büttgen, « Aveu et confession », dans Foucault, les Pères, le sexe, p. 85-107.
-
[34]
Voir Philippe Büttgen, « Aveu et confession ».
-
[35]
Mal faire, dire vrai, p. 139.
-
[36]
Les Aveux de la chair, p. 136 sq., fournit l’exposé le plus complet des trois métaphores proposées par Cassien : celle du meunier qui vérifie la qualité du grain, celle du centenier qui départage les hommes aptes ou inaptes au combat, et celle, plus fréquente, du changeur.
-
[37]
L’Herméneutique du sujet. Cours au Collège de France. 1981-1982, Paris, Seuil (coll. « Hautes études »), 2001, p. 484.
-
[38]
Mal faire, dire vrai, p. 147.
-
[39]
« Les techniques de soi », dans Dits et écrits, vol. 4, Paris, Gallimard, 1994, p. 800.
-
[40]
Ibid., p. 799.
-
[41]
Voir Agustín Colombo, « What Is a Desiring Man ? », Foucault Studies, 29 (2021), p. 71-90 (p. 87) ; et Philippe Chevallier (« Michel Foucault et le “soi” chrétien », Astérion [https://journals.openedition.org/asterion/2403 ], 11 [2013], mis en ligne le 18 juillet 2013, consulté le 30 octobre 2022) qui note, à propos de Tertullien : « On peut discuter cette interprétation chargée d’un texte où se lit tout de même difficilement la notion de “vérité de ce que nous sommes” ».
-
[42]
Peter Brown, Genèse de l’Antiquité tardive, trad. Aline Roussel, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque des histoires »), 1983, p. 184.
-
[43]
Du Gouvernement des vivants, p. 291 ; Institutions, 6, 9 ; 12, 6 ; Conférences, 19, 12.
-
[44]
Sécurité, territoire, population, p. 180.
-
[45]
Du Gouvernement des vivants, p. 260 sq. ; Mal faire, dire vrai, p. 136 sq. ; Les Aveux de la chair, p. 122 sq. Dans son appareil critique, Michel Senellart fait remarquer que le terme recherché par Foucault n’est pas subditio mais subjectio (Du Gouvernement des vivants, p. 279, n. 78).
-
[46]
Institutions, 4, 12, cité par Foucault dans Les Aveux de la chair, p. 123.
-
[47]
Mal faire, dire vrai, p. 135.
-
[48]
Ibid., p. 137.
-
[49]
Les Aveux de la chair, p. 124.
-
[50]
Cette hypothèse est inspirée par les travaux de Saba Mahmood, Politique de la piété ; et ceux de Niki Kasumi Clements, Sites of the Ascetic Self.
-
[51]
Saba Mahmood, Politique de la piété, p. 53.
-
[52]
Institutions, 3, 3.4.
-
[53]
Ibid.
-
[54]
Conférences, 15, 7.2. Voir aussi 9, 1 et 3.
-
[55]
Institutions, 4, 42.
-
[56]
Ibid., 5, 12 ; Conférences, 18, 11.
-
[57]
Voir L’Usage des plaisirs et Le souci de soi.
-
[58]
Cette ligne d’interprétation, qui est en particulier celle de Niki Kasumi Clements, dans Sites of the Ascetic Self, doit beaucoup à la critique que Talal Asad, dans Genealogies of Religion, adresse à Foucault en foucaldien, ainsi qu’aux travaux de Saba Mahmood, Politique de la piété.
-
[59]
Niki Kasumi Clements, Sites of the Ascetic Self, p. 103 (notre traduction).
-
[60]
Michel Foucault, L’Herméneutique du sujet, p. 398.
-
[61]
Conférences, 14, 9.
-
[62]
Voir Owen Chadwick, John Cassian. A Study in Primitive Monasticism, p. 88.
-
[63]
Elizabeth Clark, Reading Renunciation, Asceticism and Scripture in Early Christianity, Princeton, Princeton University Press, 1999.
-
[64]
Le Courage de la vérité, p. 307-308.
-
[65]
Ibid., p. 297.
-
[66]
Ibid., p. 300.
-
[67]
Ibid., p. 303.
-
[68]
Ibid., p. 304.
-
[69]
Ibid., p. 305.
-
[70]
Cité par Foucault dans ibid.
-
[71]
Voir Giuseppe Scarpat, Parrhesia. Storia del termine e delle sue traduzioni in Latino, Brescia, Paideia, 1964, p. 102-104.
-
[72]
Basilius Steidle, « παρρησία - praesumptio in der Klosterregel St. Benedikts », Zeugnis des Geistes. Beiheft zum XXIII. Jahrgang der Benediktischen Monatschrift (1947), p. 44-61.
-
[73]
Conférences, 2, 15. L’occurrence de discretio ici semble rappeler qu’elle est elle-même un don divin et non une qualité personnelle dont on peut se prévaloir. Voir aussi ibid., 3, 16.
-
[74]
Ibid., 2, 5-6.
-
[75]
Ibid., 6, 3.
-
[76]
Giuseppe Scarpat, Parrhesia.
-
[77]
Institutions, 2, 13 : l’Ennemi essaie surtout « d’abattre ou d’affaiblir notre confiance (fiducia), lorsqu’il a remarqué que, par la pureté de nos prières, nous tendons à Dieu ».
-
[78]
Conférences, 9, 32.
-
[79]
Ibid., 11, 12.
-
[80]
Ibid., 9, 24 (nous soulignons).
-
[81]
Le Courage de la vérité, p. 308.
-
[82]
Conférences, 11, 13.
-
[83]
Ibid., 10, 10. Adalbert de Voguë note que la formule n’a pas connu de réel succès dans le monachisme latin pour la prière permanente, malgré sa présence dans l’office. L’origine orientale de la formule est rendue manifeste par le datif mihi (plutôt que me) correspond au grec moi. Voir Adalbert de Voguë, Histoire littéraire du mouvement monastique, p. 265.
-
[84]
Conférences, 10, 10.
-
[85]
Ibid., 10, 11.
-
[86]
Ibid.
-
[87]
Ibid.
-
[88]
Ibid.
-
[89]
Ibid.
-
[90]
Ibid., 9, 15.
-
[91]
Ibid.
-
[92]
Ibid., 12, 9-22 ; Thomas L. Humphries, Ascetic Pneumatology from John Cassian to Gregory the Great, Oxford, Oxford University Press (coll. « Oxford Early Christian Studies »), 2013. Sur la théologie cassianienne de la grâce, voir la mise au point de Jérémy Delmulle, Prosper d’Aquitaine contre Jean Cassien. Le Contra collatorem, l’appel à Rome du parti augustinien dans la querelle postpélagienne, Barcelone, Rome, Fédération Internationale des Instituts d’Études Médiévales (coll. « Textes et Études du Moyen Âge »), 2018, p. 242 sq.
-
[93]
Je remercie Philippe Büttgen d’avoir attiré mon attention sur ce point crucial.
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[94]
L’Usage des plaisirs, p. 13-14.
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[95]
« Conversazione con Michel Foucault » (« Entretien avec Michel Foucault », Entretien avec D. Trombadori, Paris, fin 1978), Il Contributo, 4, 1 (janvier-mars 1980), p. 23-84 ; Dits et écrits, vol. 4, p. 43. Voir David Simonetta, « Philosophie », dans Fabrice de Salies, dir., Dictionnaire Foucault, Paris, Bouquins, à paraître.
-
[96]
Ibid.
-
[97]
Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal, trad. Cornélius Heim, Paris, Gallimard, 1971,§ 58, p. 72.
-
[98]
Id., Le Gai savoir, trad. Pierre Klossowski, Paris, Gallimard, 1982, IV, p. 292.
-
[99]
Jean-Louis Chrétien, « Abandon », dans Pour reprendre et perdre haleine. Dix brèves méditations, Montrouge, Bayard, 2009, p. 182.
-
[100]
L’expression d’« abandon le plus secret » est celle d’Angelus Silesius, citée dans ibid., p. 181.