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Actes de colloques et mélanges
1. Joachim Schmiedl, Robert Walz, éd., Die Kirchenbilder der Synoden. Zur Umsetzung konziliarer Ekklesiologie in teilkirchlichen Strukturen. Freiburg i.Br., Verlag Herder GmbH (coll. « Europas Synoden nach dem Zweiten Vatikanischen Konzil », 3), 2015, 320 p.
En analysant la réception de l’ecclésiologie de Vatican II par des synodes tenus dans des Églises locales (ici, il s’agit notamment des Églises d’Allemagne, de Suisse, d’Autriche et des Pays-Bas), ce volume, qui rassemble les contributions tenues lors d’un colloque ayant eu lieu en 2014 à Vallendar, montre qu’il ne peut s’agir là que d’une réception « active ». Ceci démontre le rôle prépondérant des évêques. Ainsi, dans une ouverture magistrale, le cardinal Karl Lehmann analyse la théologie de l’épiscopat selon Vatican II. Pour les lectrices et lecteurs non germanophones, il est important de comprendre le rôle quasiment testamentaire de cette contribution, car Lehmann a, durant trois décennies, personnellement incarné le type d’épiscopat dont il parle dans cette contribution. Quant à la conclusion fort pertinente du volume, elle est issue de la plume de Matthias Sellmann, un des théologiens pratiques les plus intéressants de l’espace germanophone. Or, Sellmann lie « dogme » et « pastorale » dans une interférence créative et parfois surprenante. Elle laisse loin derrière elle les frustrations qui n’ont pas manqué de marquer l’histoire de la synodalité postconciliaire. En même temps, elle ne sous-estime pas non plus les questions sous-jacentes non seulement aux frustrations, mais aussi à l’enthousiasme synodal. Grâce à cette contribution de Sellmann, le regard sur Vatican II est donc résolument tourné vers l’avenir (qu’on lise notamment les contributions d’Ottmar Fuchs ou de Richard Hartmann !) et il serait intéressant de comparer ce regard « allemand » avec d’autres perspectives issues de l’Église universelle. Plusieurs contributions sont d’ailleurs consacrées à la question du ministère et des ministères telle qu’elle s’est présentée lors des synodes en Allemagne, en Suisse et en Autriche. On peut penser que ces questions, formulées à partir des expériences de certaines Églises locales, impactent l’Église universelle qui ne peut pas se dispenser d’y réfléchir à la hauteur des expériences locales. La vivacité des réflexions de l’après-Concile, reflétant à la fois une audace perdue par la suite et des résistances résultant parfois d’incompréhensions qui auraient pu être évitées, est loin d’être exploitée. Certes, aujourd’hui, la situation est inédite et il faut sortir des sentiers battus. Néanmoins, on peut être d’avis que ceci ne peut pas se faire sans connaître et comprendre les sentiers traditionnels (et les sentiers alternatifs discutés lors des synodes) et sans les garder en estime. Une fidélité créatrice, qui est la conséquence logique de ce volume, ne peut pas se dispenser de cette connaissance. Outre sa valeur historiographique et théologique, ce livre est donc une mise en garde contre toute superficialité naïve.
Michael Quisinsky
2. Elisabeth Dieckmann, Karl Lehmann, éd., Blick zurück nach vorn. Das Zweite Vatikanum aus der Perspektive der multilateralen Ökumene. Würzburg, Echter Verlag GmbH, 2016, 296 p.
Sans aucun doute, Vatican II était un événement oecuménique. Il a impacté non seulement l’Église catholique, mais aussi les communautés ecclésiales qui sont désormais des partenaires oecuméniques. En 2014, la Arbeitsgemeinschaft Christlicher Kirchen (ACK) (dont Elisabeth Dieckmann présente fort bien le travail, voir p. 267-291) a organisé un colloque sur Vatican II en se consacrant aux perspectives émanant d’un « oecuménisme multilatéral ». Derrière ce titre se cache l’ambition de mener un dialogue à plusieurs voix.
Dans un premier temps, des théologiens mennonites, baptistes, luthériens et orthodoxes évaluent Unitatis Redintegratio et dégagent son potentiel d’une manière beaucoup plus profonde — et parfois surprenante — que cela ne serait possible avec un regard intra-catholique. Dans un deuxième temps, on présente des personnages et des moments forts (en l’occurrence Edmund Schlink qui représente en quelque sorte les observateurs non catholiques et la rencontre entre Paul VI et le patriarche Athénagoras) qui ont marqué la perception de Vatican II. Certes, ceci se fait de manière très exemplaire, mais cela ne diminue pas pour autant le mérite des articles en question. Au contraire, ils montrent que l’oecuménisme ne peut pas se contenter de généralités, mais qu’il a justement besoin de personnages convaincus et convaincants ainsi que de moments forts qui permettent de se repérer dans la complexité de plus en plus grandissante de l’oecuménisme. Dans un troisième temps, des théologiens de différentes confessions chrétiennes analysent des enjeux centraux de la pensée oecuménique, avant qu’une quatrième partie ne se consacre aux défis actuels et futurs. Le volume se conclut par deux contributions programmatiques qui tournent le regard vers l’avenir, comme le fait déjà la contribution du cardinal Lehmann dans la quatrième partie.
Tout n’est pas dit dans ce volume ambitieux, mais il démontre néanmoins qu’on ne comprend pas l’importance de Vatican II si on ne prend pas en considération sa dimension oecuménique. Certes, cette dimension s’avère de plus en plus complexe, ce qui est aussi un résultat de Vatican II. Ceci nécessite cet habitus théologique qu’incarne le cardinal Lehmann, qui rappelle que le « Kairos » (p. 236) du travail oecuménique n’est pas terminé, même si une situation de plus en plus complexe est difficile pour tout le monde. Dans ce sens, ce livre, qui est à la fois un bilan et une proposition de la manière de continuer, peut montrer le chemin du dialogue oecuménique : d’une part, il est indispensable de se (re-)familiariser (et de familiariser les étudiants actuels en théologie) avec les grands acquis oecuméniques depuis Vatican II pour que les résultats colossaux de tant de travail ne tombent pas dans l’oubli et, d’autre part, il faut plus que jamais concevoir l’oecuménisme comme un chemin commun qui évalue, sine ira et studio et dans une perspective de grâce, les forces et les faiblesses de chaque confession (voir le plaidoyer de Mgr Karl-Heinz Wiesemann, p. 264 et suiv., qui se réfère à l’échange des dons prôné par le pape Jean-Paul II). Comme ce livre le montre, Vatican II reste pour cela une référence incontournable, et pas seulement pour les catholiques romains.
Michael Quisinsky
3. Christoph Böttigheimer, René Dausner, éd., Das Konzil eröffnen. Reflexionen zu Theologie und Kirche 50 Jahre nach dem Zweiten Vatikanum. Freiburg i.Br., Verlag Herder GmbH, 2016, 112 p.
Pour conclure le cinquantenaire de Vatican II, un grand congrès « Das Konzil eröffnen » a été tenu à l’académie catholique de Munich. Il était placé sous la présidence d’honneur du regretté cardinal Karl Lehmann, dont on ne peut pas surestimer les mérites pour la réception du Concile en Allemagne et au-delà. Le titre joue sur le mot « eröffnen », qui signifie à la fois inaugurer et rendre intelligible. Dans ce petit volume, la déclaration finale du colloque de Munich est publiée. Elle est accompagnée des commentaires de chacune de ses douze parties : « Liberté et foi », « Théologie comme science », « Théologie et magistère épiscopal », « Réforme des structures ecclésiales », « Oecuménisme intra-chrétien », « Église et judaïsme », « Exigences de la Révélation et pluralité des religions », « Dialogue interreligieux et Mission », « Liturgie et Inculturation », « Foi et formation », « Église et monde des médias » et « Création et écologie ». Avant toute autre chose, et au-delà des nombreuses manifestations et publications autour du cinquantenaire qui ont toutes leur mérite, le congrès de Munich était une manière innovante de commémorer : contrairement à un colloque classique où des exposés se succèdent, il s’agit d’une interaction entre différents exposés et l’ensemble des participants. C’est ainsi qu’on trouve, après la déclaration (p. 22-30) et les commentaires (p. 32-104) la signature des 103 participants qui soutiennent les propos de la déclaration. En quelque sorte, il s’agit là d’un véritable « who’s who » de la théologie germanophone, même si tous les courants et écoles ne sont pas représentés de la même manière. Sans doute ne devrait-on pas non plus exagérer l’unanimité des participants quand il s’agit d’exploiter les conséquences qui résultent des thèses fondamentales de leur déclaration finale. Quoi qu’il en soit, on voit clairement qu’une grande partie de la théologie germanophone se base très explicitement sur le Concile et s’inscrit, de différentes manières, dans l’appel du pape François d’aller de l’avant avec la réception de Vatican II. En même temps, on remarquera que cela n’est que le début. Car tout dépend de la mise en oeuvre de cette volonté commune : quelles formes de dialogue intrathéologique ? Quelles modalités du dialogue interdisciplinaire ? Quel rôle pour la théologie dans l’Église et dans le monde ? Quels types de recherches ? Quel horizon du travail théologique individuel et collectif ? En quelque sorte, c’est la question qui se pose dès la fin de Vatican II. Dans ce contexte, il est certainement une avancée théologique et ecclésiologique majeure, que le pape François ne cesse de rappeler aux théologiens et à tout le peuple de Dieu, c’est l’importance de la synodalité de l’Église — au-delà des institutions synodales. Le colloque de Munich, ainsi que les publications qui en sont issues[1], s’inscrit clairement dans une dynamique qui veut répondre aux défis sous-jacents à ces questions. Ainsi, même si l’on ne peut pas entrer dans le détail des questions et enjeux, ce volume court, mais lourd de poids théologique, permet une vue d’ensemble d’un grand nombre de défis théologiques actuels, et plus encore, des pistes de recherches débattues pour y répondre. D’ailleurs, sans vouloir surévaluer l’impact de la théologie germanophone dans le monde, il serait intéressant de comparer ce texte, sur le plan de la méthodologie autant que sur le plan du contenu, avec celui établi par le congrès de Paris en 2015 et intitulé 50 ans après le concile Vatican II. Des théologiens du monde délibèrent[2].
Michael Quisinsky
4. Christoph Böttigheimer, René Dausner, éd., Vaticanum 21. Die bleibenden Aufgaben des Zweiten Vatikanischen Konzils im 21. Jahrhundert. Freiburg i.Br., Verlag Herder GmbH, 2017, 795 p.
Avec le titre Vaticanum 21, la commémoration de Vatican II est résolument tournée vers le présent et l’avenir, et ceci n’est pas le moindre mérite de ces actes du colloque de Munich (voir aussi la recension précédente). D’ailleurs, l’interférence entre passé et avenir est une dimension centrale de toute herméneutique de Vatican II. Dans ce sens, on peut rappeler le mot de Bernard de Clairvaux mis en avant par Yves Congar, selon lequel l’Église est « ante et retro oculata ».
La théologie germanophone se distinguant par une forte institutionnalisation (notamment de nombreuses facultés dans des universités étatiques), il n’est pas facile de réunir différents courants et écoles théologiques germanophones dans un seul et même volume et encore moins de situer ces courants et traditions dans les recherches internationales sur Vatican II. Il faut d’autant plus louer cette initiative que le volume commence par quelques aperçus de la discussion internationale (les contributions de Massimo Faggioli, Christoph Theobald avec des reprises par Eva-Maria Faber et Peter Hünermann) et se termine par la traduction allemande du grand texte établi par le congrès international tenu à Paris en avril 2015, 50 ans après le concile Vatican II. Des théologiens du monde délibèrent[3]. Parmi les auteurs des 41 contributions, il y a donc plusieurs auteurs non germanophones. Au-delà de ce souci réel d’internationalisation, le volume tente également d’offrir une vue d’ensemble de la discussion germanophone. Certes, c’est une tâche difficile à réaliser, car dans les années du cinquantenaire de Vatican II, un grand nombre des théologiennes et théologiens germanophones s’est exprimé sur le Concile, tantôt de manière originelle et programmatique, tantôt de manière plutôt réceptive, ce qui a néanmoins pu influencer fortement l’ensemble d’une approche théologique.
Les douze workshops, qui correspondent aux douze parties de la déclaration finale (voir également la recension précédente), témoignent de la volonté des organisateurs d’instaurer un dialogue autour de Vatican II plutôt que d’offrir des approches « monographiques », certes plus homogènes, mais finalement plus restreintes. En fait, ce qui est sous-jacent à cette option méthodologique, c’est toute la question de savoir pourquoi et comment parler de Vatican II aujourd’hui. Au fond, il s’agit d’un procédé qui essaie de correspondre à cette synodalité que le pape François, à la suite de Vatican II, ne cesse de préconiser comme étant fondamentale pour la vie de l’Église. C’est ce que rappelle le regretté cardinal Karl Lehmann († 2018) dans sa contribution très profonde (p. 636). Celle-ci se lit presque comme un testament spirituel de celui qui fut un infatigable promoteur de la lettre et de l’esprit de Vatican II en Allemagne et au-delà. On lira avec beaucoup d’intérêt la réponse de Massimo Faggioli à l’exposé du cardinal Lehmann, qui témoigne en quelque sorte d’une nouvelle génération reprenant le flambeau de la réception et de l’herméneutique de Vatican II.
Les lectrices et lecteurs germanophones de ce volume auront vraisemblablement tendance à évaluer telle ou telle contribution à partir des discussions au sein de la théologie germanophone en cherchant à justifier telle position et à réfuter telle autre. Est-ce la meilleure manière de lire ce volume (qu’il faut d’ailleurs lire en entier, même si les différentes contributions peuvent aussi être très enrichissantes si elles sont lues séparément) ? Les lectrices et lecteurs non germanophones auront peut-être plus facilement un accès « global » qui permet, au-delà des divergences, de découvrir les convergences au niveau des défis et des pistes de réponses, souvent d’autant plus stimulants qu’on ne les intègre pas dans un système préétabli. Un volume incontournable donc, dont il faut (savoir) se servir.
Michael Quisinsky
5. Joachim Schmiedl, Wilhelm Rees, éd., Die Erinnerung an die Synoden. Ereignis und Deutung - im Interview nachgefragt. Freiburg i.Br., Verlag Herder GmbH (coll. « Europas Synoden nach dem Zweiten Vatikanischen Konzil », 4), 2017, 516 p.
En Allemagne, on ne peut pas surestimer l’impact du synode commun des diocèses de la RFA tenu à Würzburg de 1971 à 1975. Certes, dans l’ensemble, ce synode est moins ancré dans la conscience collective que le Concile. Il n’en reste pas moins le grand événement fédérateur pour toute une génération de catholiques engagés qui, sans être révolutionnaires, ont vécu le Concile comme point culminant d’une évolution qui, pour eux, nécessitait naturellement un prolongement. Le synode a pu donner à cette génération le sentiment que malgré des conflits et des tensions, et au-delà des questions héritées de l’avant-Concile et surgies dans l’après-Concile, le catholicisme allemand et mondial dans son ensemble vont dans la bonne direction. Si l’on compare le catholicisme dans les années 1970 en Allemagne de l’Ouest, d’une part, et en France, d’autre part, on constatera une perception très différente de l’après-Concile. Mutatis mutandis, cela vaut aussi pour la Suisse et l’Autriche où des synodes ont également joué un rôle important. En ce qui concerne l’Allemagne de l’Est, la situation était fort différente avec une diaspora historique et un régime athée.
Ce livre sera désormais indispensable pour saisir la portée des décisions des différents synodes. Car même si ces décisions n’ont pas toutes pu être réalisées au niveau de l’Église locale et encore moins au niveau de l’Église universelle, elles ont fortement marqué les esprits et les attentes dans les Églises locales. Pour comprendre cette dynamique fortement présente sur le terrain (ce qui inclut aussi des craintes et des déceptions), il ne faut donc pas seulement lire les textes finaux, si riches soient-ils, mais savoir aussi à quoi ils réagissaient et quelles réactions ils déclenchaient. Inversement, pour saisir la portée historique et théologique de ces témoignages et leur analyse, il faut les mettre en relation avec les documents officiels.
Les auteurs — aux éditeurs s’ajoute Richard Hartmann — ont interviewé et mis en contexte deux cents personnes, et ont analysé ces entretiens d’une manière extrêmement consciencieuse. Les contributions maîtrisent parfaitement les avantages et les difficultés de l’histoire orale, de manière à avoir suffisamment de compréhension théologique des enjeux, tant au niveau du contenu qu’au niveau des processus. Si l’on peut féliciter les auteurs de cette étude pour leur initiative d’interroger les témoins des synodes germanophones, on louera également leurs compétences méthodologiques ainsi que leur conscience scientifique. Ainsi, un index des personnes citées fera de cet ouvrage un outil de travail dont les nombreuses pistes de recherches devraient être exploitées ces prochaines années.
Michael Quisinsky
6. Annette Schavan, Hans Zollner, éd., Aggiornamento damals und heute. Perspektiven für die Zukunft. Freiburg i.Br., Verlag Herder GmbH, 2017, 232 p.
Coédité par l’ancienne ambassadrice de la République Fédérale d’Allemagne auprès du Saint-Siège, Annette Schavan, et le jésuite Hans Zollner, théologien à l’Université pontificale grégorienne, ce livre rassemble des contributions qui s’efforcent de démontrer le lien entre l’aggiornamento à l’époque du Concile et l’aggiornamento aujourd’hui. Il s’agit là d’une approche stimulante qui permet de contextualiser le Concile ainsi que sa réception et l’herméneutique contemporaines. Ceci d’autant plus que Schavan et Zollner connaissent aussi bien la situation religieuse de leur Allemagne natale que les avantages de la multiperspectivité romaine au centre d’une Église mondiale. Des regards « locaux » et « mondiaux » se croisent de manière très constructive.
Ainsi, des réflexions herméneutiques, comme celles de Peter Hünermann concernant les changements intervenus notamment avec Gaudium et Spes et la synodalité qui devrait s’ensuivre, ou encore de Margit Eckholt au sujet d’une Église-monde, combinent de manière fructueuse l’enracinement dans le contexte académique allemand, qui reste pour la théologie catholique une situation privilégiée, et l’ouverture « catholique » pour d’autres contextes ecclésiaux. D’ailleurs, dans ce sens, on lira avec intérêt les réflexions de Thomáš Halík sur le passage du catholicisme à la catholicité.
Deux autres dimensions marquent les différentes contributions : premièrement, elles s’inscrivent résolument dans le programme du pape François, deuxièmement, elles renvoient aux interférences entre l’herméneutique conciliaire et les défis actuels, comme la crise migratoire. Pour tous ceux qui veulent savoir comment sortir d’un certain nombrilisme théologique dont la réception future de Vatican II n’est pas à l’abri, ce livre est une source d’inspiration.
Michael Quisinsky
7. Hans-Jürgen Feulner, Andreas Bieringer, Benjamin Leven, éd., Erbe und Erneuerung. Die Liturgiekonstitution des Zweiten Vatikanischen Konzils und ihre Folgen. Münster, LIT Verlag (coll. « Österreichische Studien zur Liturgiewissenschaft und Sakramententheologie », 7), 2015, 346 p.
Comment commenter un document conciliaire ? Ces dernières années, un certain nombre de monographies ont montré l’intérêt d’études d’une seule main. Leur point fort est la cohérence et l’analyse systématique d’un texte conciliaire qui, par la force des choses, est souvent hétérogène et complexe. En revanche, le risque d’un commentaire issu d’une seule plume est qu’il reflète avant tout l’interprétation qu’en donne une personne. Ceci ne diminue pas pour autant la valeur et la nécessité de pareilles interprétations. À côté de cela, des recueils d’articles peuvent réunir des courants théologiques différents, ce qui démontre la multiperspectivité du Concile lui-même. Leur point faible peut cependant être que les interprétations peuvent parfois aller un peu dans tous les sens, sans que des lignes directives apparaissent.
Ce volume, qui reprend en outre les contributions de colloques tenus à Vienne (Autriche) en 2013 et à Phoenix (Arizona, USA), combine les avantages des deux approches. En suivant quelques notions-clés qui structurent Sacrosanctum Concilium, le volume est une sorte de commentaire sui generis, dont la multiperspectivité enrichit chacune des différentes contributions. On salue en même temps des perspectives novatrices, ainsi par exemple le rapport entre liturgie et oecuménisme décrit dans la première contribution de Hans-Jürgen Feulner.
Dans les diverses régions linguistiques, le mouvement liturgique ainsi que la réforme liturgique se sont déroulés de manières différentes, et c’est pourquoi on comparera avec intérêt les approches germanophones et anglophones qui dominent dans ce volume. Certes, une comparaison anglo-germanique reste partielle et devrait être complétée par d’autres aires linguistiques, mais à titre d’exemple, elle permet de traiter certains des grands enjeux herméneutiques dans une interférence incontournable entre universalité et concrétion. Parmi ces enjeux herméneutiques, qu’il suffise de mentionner l’impact de la sécularisation, le rôle des « ruptures », le langage sacral, le christocentrisme, l’inculturation ou encore le rôle de la liturgie des heures.
Michael Quisinsky
8. Joachim Schmiedl, éd., Der Tiber fließt in den Rhein. Das Zweite Vatikanische Konzil in den mittelrheinischen Bistümern. Mainz, Selbstverlag der Gesellschaft für mittelrheinische Kirchengeschichte (coll. « Quellen und Abhandlungen zur mittelrheinischen Kirchengeschichte », 137), 2015, 268 p.
Loin de tout patriotisme local, ce volume est exemplaire quant à l’intérêt global des recherches sur le terrain à propos de la préparation et de la réception de Vatican II. Certes, les diocèses de l’Allemagne et plus particulièrement ceux de la Rhénanie dont il est question dans ce volume se distinguent par des évêques hors du commun tels que le futur cardinal Herrmann Volk, des conjonctures favorables à une certaine créativité audacieuse comme c’était le cas du diocèse de Limbourg ou encore des lieux propices à la réflexion théologique tels que les facultés de Francfort et Mayence. Ceci dit, l’intérêt du volume dépasse largement cette région, car sans aucune exception, les contributions, richement documentées et profondément réfléchies, liant compétences historiques et théologiques, sensibilisent de manière concrète pour des enjeux herméneutiques plus généraux.
Joachim Schmiedl commence ce volume avec une vue d’ensemble des évêques de la région. Sa contribution est d’ailleurs heureusement suivie de celle de Peter Walter sur l’importance oecuménique des activités conciliaires de Mgr Volk. On comparera avec intérêt l’examen de la revue diocésaine Paulinus (diocèse de Trèves) et celui de la revue catholique critique Imprimatur. Aujourd’hui, il paraît plus qu’évident qu’au-delà de questions de générations et de sensibilités, les deux revues représentent, certes à titre très divers, des courants différents dans le catholicisme qui ont marqué une réception au pluriel et parfois conflictuelle.
Il est évident que le titre est une inversion du célèbre The Rhine flows into the Tiber de Ralph M. Wiltgen. Joachim Schmiedl remarque à juste titre que le sens inverse est également vrai. Plus encore, ce volume, qui reprend les contributions d’un colloque de la Gesellschaft für mittelrheinische Kirchengeschichte tenu à Mayence en 2014, démontre que l’un n’existe pas sans l’autre, reprenant par là même la définition de la Catholicité donnée par le pape François et selon laquelle la relation entre les Églises locales et l’Église universelle peut être réciproquement enrichissante. À travers des questions qui ne sont locales qu’à première vue, plusieurs contributions, dont par exemple celle de Leonhard Hell, peuvent servir de modèle méthodologique.
Michael Quisinsky
9. Wolfgang Dembski, Dieter Höltershinken, Norbert Neu, éd., Neue Wege der katholischen Kirche in Dortmund nach dem Zweiten Vatikanischen Konzil. Bochum, Projekt Verlag, 2015, 181 p.
On aurait tort de traiter ce livre comme un simple livre de souvenirs, même s’il fait en quelque sorte partie des nombreuses publications récentes qui s’appuient sur des témoignages (Zeitzeugen). En fait, les vingt-quatre contributions, qui décrivent des aspects les plus variés de la vie catholique autour du Concile et depuis, sont souvent rédigées par des témoins de l’époque conciliaire.
Comme tous les livres de ce genre, l’intérêt n’est pas le même pour ceux qui ont un rapport personnel avec la région concernée et pour ceux qui s’intéressent de manière générale à la réception conciliaire sur le terrain. Néanmoins, chacune de ces publications réussit à mettre en évidence une ou plusieurs dimensions de la réception conciliaire qui risquerait d’échapper dans une vue « d’en haut ». Dans le cas présent, les auteurs de ce livre, pleinement conscients d’une situation radicalement changée tant au niveau de la société qu’au niveau de la vie religieuse, veulent montrer comment le potentiel de la foi s’est concrétisé après le Concile, et ceci sous-entend qu’il pourrait l’être à nouveau dans une situation pourtant différente.
Le lecteur non germanophone trouvera un aperçu très vivant du catholicisme allemand (discussion sur la nature de la paroisse/communauté, musique, liturgie, diaconat, différentes conceptions pastorales, ministères laïcs [Gemeindereferentinnen], pastorale des aînés, travail dans des hospices, presse catholique, pour n’en nommer que quelques-uns) avec ses forces et ses faiblesses.
Michael Quisinsky
10. Rosa Bruno-Jofré, Heidi MacDonald, Elizabeth M. Smyth, Vatican II and Beyond. The Changing Mission and Identity of Canadian Women Religious. Montréal, Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2017, 192 p.
La réception du concile Vatican II suscite un intérêt important au Québec si l’on songe aux travaux poursuivis par Gilles Routhier et Philippe Roy-Lysencourt, mais on oublie parfois que trois historiennes débroussaillent et approfondissent depuis plusieurs années ce chantier sous l’angle des communautés religieuses féminines du côté du Canada anglais. Il s’agit de Rosa Bruno-Jofré (Université Queen’s), Heidi MacDonald (Université de Lethbridge) et Elizabeth M. Smyth (Université de Toronto).
Leur dernier effort collectif se présente sous la forme d’un petit ouvrage divisé en trois chapitres rédigés par chacune d’elles. Le livre comprend aussi une introduction et une conclusion collective à laquelle s’ajoutent une bibliographie et un index. Les trois chapitres couvrent différentes échelles, car on passe d’une analyse du rôle des femmes au sein de la Conférence religieuse canadienne à la lecture plus intimiste d’écrits personnels de supérieures de congrégations.
Le texte de l’historienne Heidi MacDonald (« Smaller Numbers, Stronger Voices : Women Religious Reposition Themselves through the Canadian Religious Conference, 1960-80s ») explicite le rôle de démarchage de ce regroupement des communautés religieuses et son impact positif sur les congrégations féminines. Après une longue introduction qui contextualise l’évolution du recrutement et des différents rôles des religieuses, MacDonald situe le rôle de Pie XII dans l’amorce de certains changements dans la décennie 1950 qui s’accélèrent dans la décennie suivante avec les indications des documents conciliaires sur la refonte des identités congréganistes, la modernisation des constitutions et le renouvellement des rôles apostoliques. Simultanément, les gouvernements provinciaux et fédéral interviennent dans les sphères traditionnelles d’action des communautés religieuses (santé, éducation) et les effets des processus de sécularisation viennent bousculer ce qui devait être une adaptation selon les « signes des temps ».
C’est dans ce contexte que la Conférence religieuse canadienne (CRC) s’est constituée. L’auteure rappelle que les différentes communautés religieuses du Canada d’expression française ou anglaise, masculines et féminines, ont partagé une seule et même association, ce qui n’a pas été le cas dans la majorité des pays. Cela a pour conséquence que tous ses représentants entendront et répéteront les mêmes messages à leurs membres et défendront des positions souvent avant-gardistes sur les rôles et la place des femmes au sein de la société et de l’Église. Ces deux particularités méritaient d’être soulignées.
La CRC s’est donné très tôt des mandats de recherche et de documentation sur le recrutement, le vieillissement et le devenir de ses membres, un rôle de représentation auprès des autres corps de la société civile et religieuse — notamment les évêques — et celui de « discernement », c’est-à-dire d’identifier et expérimenter de nouvelles actions susceptibles de nourrir le côté prophétique des congrégations.
Le chapitre permet donc de saisir dans sa globalité le rôle de cette organisation et vient compléter adéquatement le texte du père Yvon Pomerleau, « La Conférence religieuse canadienne (CRC) : 60 ans au service des communautés religieuses », paru dans le collectif Understanding the Consecrated Life in Canada : Critical Essays on Religious Trends, sous la direction de Jason Zuidema. Toutefois, l’étude ne permet pas d’approfondir l’impact de l’androcentrisme de l’Église sur les décisions de la CRC et ne dit absolument rien sur de possibles résistances ou demandes du côté des religieuses, pas plus qu’il ne permet de mesurer le poids réel de toutes les supérieures féminines dans les échanges.
Le texte de Rosa Bruno-Jofré se penche sur le cheminement de soeur Alice Trudeau, la supérieure des Missionnaires oblates dans les années 1980 (« The Missionary Oblate Sisters : Renewal and the Tortuous Journey of the Prophetic Feminist Vision of Alice Trudeau ») qui s’est confrontée aux résistances de plusieurs membres de sa congrégation qui hésitaient ou refusaient d’embrasser intégralement les changements imposés par Perfectae Caritatis. Ces frictions ne sont pas sans conséquences sur la vie communautaire et les choix subséquents de vie missionnaire de la supérieure générale. Le texte de Rosa Bruno-Jofré illustre avec acuité le problème des écarts de vision entre les membres d’une même communauté. Utilisant le concept bourdieusien de « champ », elle démontre clairement les limites d’une vision dite « prophétique » lorsque les forces d’inertie et les contradictions propres à la congrégation et l’institution romaine viennent neutraliser les efforts d’un groupe de femmes dans son processus de transformation. Pour soeur Trudeau, il y a là une véritable traversée du désert comme générale de sa communauté et comme femme de foi. Malgré cela, elle ne désespère pas et une fois ses deux mandats achevés, elle amorce un virage personnel à travers un ressourcement intellectuel, spirituel et humaniste.
Dans un esprit d’oblation totale et d’action comme membre du « Corps du Christ », elle part en mission avec l’idée d’une ouverture à « l’autre » qui n’est pas nécessairement catholique et que l’on ne cherche pas à convertir de force. Elle joint avec quelques compagnes une ONG non confessionnelle active auprès de réfugiés africains au Congo et au Burundi. Cette expérience libératrice pour elle lui permet de vivre les enseignements de Vatican II de manière exceptionnelle et de s’épanouir à travers les valeurs dictées par les Évangiles. Il n’est donc pas surprenant de la voir partager le sort des plus démunis dans un esprit d’imitation de Jésus-Christ jusqu’au bout, puisqu’elle mourra en mission.
Dans le dernier chapitre (« Living Religious Life on a Broad Canvas : Vatican II and Sister Mary Alban (Bernadette) Bouchard, csj »), Elizabeth M. Smyth livre avec méticulosité la complexité des choix et des décisions d’une autre soeur, Bernadette Bouchard, qui profite des ouvertures du monde catholique pour développer ses compétences théologiques entre autres. L’auteure rappelle que ces transformations ne peuvent être considérées sans que l’on mentionne d’abord les racines historiques des transformations de la vie religieuse amorcées dans les années 1950 et les mutations sociales majeures qui affectent simultanément la société en général après 1960, ce qui n’est pas sans répéter des éléments déjà exposés par Heidi MacDonald dans le premier chapitre.
En posant son regard sur soeur Bouchard, Elizabeth M. Smyth illustre à quel point la période est porteuse de nouveautés stimulantes, de contradictions, d’avancées, de reculs et de questionnements constants chez les religieuses. Ainsi, l’auteure démontre que recevoir Vatican II n’est pas une mince affaire et que des changements positifs côtoient aussi des déceptions. Les écrits de soeur Mary Alban témoignent d’un cheminement individuel marqué par une ouverture et un désir de continuer à faire signe dans un monde changeant et montrent que la foi et l’espérance ont été des phares dans cette longue période. Comme soeur Trudeau, soeur Bouchard trouve un renouvellement de sens dans sa vocation à travers un quart de siècle de mission en Haïti, plus particulièrement auprès des femmes de la perle des Antilles. Elle aussi meurt en mission, emportée par une leucémie.
On regrettera l’absence d’un article synthèse global sur l’horizon d’attente et la réception du concile Vatican II dans les congrégations religieuses canadiennes anglophones. Les nombreux textes produits par les trois historiennes depuis deux décennies leur donnaient le matériel nécessaire pour saisir le processus et la chronologie de la réception conciliaire sur le long terme. Cela dit, le livre est une contribution positive à l’historiographie conciliaire et à celle vouée à l’histoire des communautés religieuses féminines. Loin de clore le sujet, il appelle de nouvelles études.
Dominique Laperle
11. Regina Heyder, Gisela Muschiol, éd., Katholikinnen und das Zweite Vatikanische Konzil. Petitionen, Berichte, Fotografien. Münster, Aschendorff Verlag GmbH & Co. KG, 2018, 702 p.
C’est un livre exceptionnel que Regina Heyder, qui en a rédigé la plus grande partie, vient d’éditer avec Gisela Muschiol et qui se consacre aux femmes catholiques autour de Vatican II. Comme le montre Regina Heyder dans son introduction très complète et très bien documentée, une étude de ce genre a fait défaut dans l’historiographie de Vatican II et de sa réception. Les éditrices et auteurs (dont un homme) s’efforcent de combler cette lacune — conscients que ce travail pourtant colossal ne constitue, en reprenant les mots célèbres de Karl Rahner, que le « début d’un début » (p. 28).
Un premier chapitre présente les propositions envoyées à Rome par des associations catholiques féminines, des couvents et certaines femmes qui ont pris l’initiative personnelle de se manifester avant le Concile. Un deuxième chapitre retrace les activités romaines durant le Concile d’un certain nombre de femmes. Le troisième chapitre enfin se consacre à des aspects centraux de la réception conciliaire par des femmes, incluant pour une partie non négligeable (et cela est révélateur) des sujets « chauds » tels que Humanae Vitae — et la question de l’ordination diaconale des femmes. Dans les trois chapitres, 196 documents jusqu’ici inédits — provenant de vingt archives — sont publiés et commentés. Il s’agit là d’une documentation extrêmement précieuse pour des recherches futures, et ce d’autant plus que les commentaires et annotations de Regina Heyder et de son équipe sont historiquement et théologiquement très profonds. Certes, en retraçant le parcours conciliaire de protagonistes telles que Gertrud Ehrle, Josefa Theresia Münch, Marianne Dirks, Gertrud Luckner ou encore de soeur Marianne Schrader — pour ne nommer que quelques-unes —, on évoque le contexte germanophone. Mais au fil de la lecture, on s’aperçoit rapidement qu’au-delà de cet enracinement local, régional et national, on découvre des questions et des pistes de réponses importantes pour l’Église universelle, et pas uniquement à cause des réseaux internationaux dont les catholiques allemands pouvaient faire partie. Il est aussi intéressant de constater qu’un certain nombre d’hommes catholiques, par exemple Mgr Augustinus Frotz (évêque auxiliaire à Cologne) ou le père Placidus Jordan, o.s.b., du monastère de Beuron, soutenaient fortement leurs soeurs dans la foi. D’ailleurs, la demande de Josefa Theresia Münch de dire « Orate fratres et sorores » a été acceptée dans la liturgie germanophone contrairement aux usages dans la liturgie italophone (p. 60). Au-delà de cette prière, ceci est tellement entré dans les moeurs (germanophones) par exemple lors des lectures bibliques que même un frère allemand se trouve un peu dépaysé dans une liturgie italophone ou francophone où l’on ne s’adresse pas aussi explicitement aux soeurs…
Les documents témoignent d’une ambiance de discussion conciliaire de plus en plus ouverte. Au niveau du langage et de la réalité sociétale sous-jacente aux différents documents édités, on remarque combien le contexte des années 1960 était très différent du nôtre. On a d’autant plus l’impression de lire des documents prophétiques, comme le montrent par exemple les remarques de la Arbeitsgemeinschaft Katholischer Frauen de la très catholique Bavière en vue du schéma 13 : les femmes expriment leur crainte que des décisions prématurées par exemple dans le domaine de la régulation des naissances puissent empêcher le Concile de porter ses fruits au niveau religieux et sacramentel (p. 207). En ce qui concerne l’atmosphère dans laquelle se déroule la réception conciliaire « sur le terrain », il est également très instructif de lire des lettres telles que celle de Mgr Carl Joseph Leiprecht (Rottenburg) qui manifeste sa grande sympathie pour des réformes concrètes et visibles (ici : distribution de la communion et homélie par des soeurs) ; s’il demande la patience, c’est dans l’optique d’une évolution qui va dans le sens de ce avec quoi il sympathise (p. 600 et suiv.).
Ces quelques observations ne peuvent donner qu’un aperçu de la richesse de ce volume. Vu la qualité méthodologique de cette publication, il va presque de soi de dire que l’index et la bibliographie très complète sont également d’une très grande qualité et font que ce livre, au-delà d’une lecture qui passionne, peut très bien servir d’outil de travail.
Michael Quisinsky
12. Dries Bosschaert, Johan Leemans, éd., Res Opportunae Nostrae Aetatis. Studies on the Second Vatican Council offered to Mathijs Lamberigts. Leuven, Paris, Bristol, Peeters (coll. « Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium », CCCXVII), 2020, xi-578 p.
Le dynamisme de la Faculté de théologie de la Katholieke Universiteit Leuven (KUL) n’est plus à démontrer. Les spécialistes du monde entier savent qu’il s’y trouve des intellectuels d’un niveau exceptionnel et que l’un des champs explorés avec bonheur par plusieurs d’entre eux demeure sans contredit celui du concile Vatican II. Le collectif présenté ici rend hommage au professeur Mathijs Lamberigts qui vient de prendre sa retraite et qui, à titre de « jeune » professeur émérite, reçoit les hommages de ses collègues dans un volumineux ouvrage publié chez Peeters. Rappelons que le professeur Lamberigts est né à Kessenich en 1955. Outre ses fonctions d’enseignement et de direction d’étudiants à la maîtrise ou au doctorat, il a été bibliothécaire universitaire (1989-2000) et également doyen de la Faculté de théologie et d’études religieuses lors de deux mandats (2000-2008, 2014-2018). Ce sont toutefois moins ses talents d’administrateur que ceux de chercheur qui sont célébrés ici.
L’ouvrage regroupe un préambule historiographique, vingt-trois contributions réparties en trois grandes sections, un épilogue, une table des sigles et un index général des noms. Le collectif débute par le survol bibliographique de la contribution de Lamberigts à l’étude du concile Vatican II. Plus qu’une simple litanie de titres, Leo Kenis en profite pour inscrire cette oeuvre dans le cadre plus large de la recherche conciliaire développée à la Faculté de théologie et d’études religieuses de la KUL dans les années 1980. Les travaux de Lamberigts prennent leur envol avec sa participation aux activités du centre d’archives sur Vatican II (Centrum voor Conciliestudie Vaticanum II) hébergé au sein de la Faculté. Il inscrit donc sa production dans la continuité de celle de ses illustres prédécesseurs Maurits Sabbe et Jan Grootaers. Sa participation au projet de publication sur l’histoire du concile Vatican II dirigé par Giuseppe Alberigo est à l’origine de ses premières parutions sur le sujet. Très tôt, deux éléments apparaîtront et caractériseront ses écrits. D’abord, le souci de contextualiser les étapes de rédaction des textes conciliaires, et ensuite, une lecture critique et méticuleuse des moutures successives des textes. Bien appuyé sur la méthode historique, Lamberigts procède à des allers-retours entre les contributions des participants et les différentes versions des schémas conciliaires, de manière à bien faire ressortir les jalons des rédactions, mais aussi les grandes lignes directrices qui traversent toutes les étapes et qui deviennent les fondements du texte final. Kenis a aussi la délicatesse de mentionner les collaborateurs réguliers avec lesquels Lamberigts a rédigé et publié de nombreuses communications. Le cas du chanoine Leo Declerck est particulièrement intéressant, car avec lui, Lamberigts a produit une série d’études sur les évêques et les théologiens qui ont contribué à la rédaction des différents textes du corpus conciliaire. Ses penchants l’ont amené aussi à analyser les initiatives de départ de Jean XXIII ainsi qu’à revenir périodiquement sur le domaine liturgique. Il se dégage de ce portrait une sorte de symbiose avec l’objet d’étude et une proposition fondamentale d’interprétation de Vatican II sous l’angle de l’herméneutique de la réforme qui a été reprise à travers le monde par de nombreux chercheurs. La conclusion de Kenis confirme que tout son travail ne vise pas uniquement les cercles restreints des théologiens et des historiens, mais bien toute la communauté ecclésiale.
C’est dans cet esprit que les textes se succèdent dans les trois parties subséquentes. La première, qui compte sept contributions, porte sur les personnes en lien avec Vatican II (« Individual actors before, during, and after the Council »). Mgr Albert Pignon, le recteur du Collège belge de Rome, fait l’objet d’une longue analyse de Dries Bosschaert, Leo Declerck et Claude Troisfontaines. Ils démontrent que le Concile est tributaire non seulement de ses protagonistes les plus flamboyants, mais aussi du « dévouement et [de] la compétence de beaucoup de collaborateurs qui ont travaillé en toute discrétion en coulisses [et l’]historiographie du Concile devrait encore approfondir le rôle de ces periti » (p. 111). Philippe Chenaux poursuit ensuite une analyse pointue des débats autour d’une conférence du dominicain Edward Schillebeeckx et illustre les déchirures importantes entre le magistère romain et certains théologiens issus de la majorité conciliaire sur les questions du pouvoir central de l’Église et de son partage. Johan De Tavernier propose ensuite une réflexion sur l’évolution de l’Église comme agente propagandiste de la justice sociale, de la démocratie et de la liberté religieuse à travers le concept de la dignité humaine. L’ouverture de l’Église sur ces questions est étudiée à travers les contributions respectives et complémentaires de John Courtney Murray et d’Emiel-Josef de Smedt au document Dignitatis Humanae. Cette « ouverture » de l’Église est suivie de l’étude d’un épisode de « fermeture » à l’égard des travaux du jésuite Henri de Lubac et de son éviction de Fourvières dans la période préconciliaire. Étienne Fouilloux nous rappelle ici les enjeux de contestations et de soumissions dans une affaire demeurée douloureuse pour de nombreux intellectuels et croyants de l’archidiocèse de Lyon, mais aussi de toute la France. Toutefois, Fouilloux nous révèle les jeux de pouvoir subtils entre le prélat des Gaules, Mgr Garlier, les censeurs romains et l’apport personnel de Pie XII dans une réponse nuancée dans cette affaire et qui se trouve évoquée dans l’encyclique Humani Generis. Soulignons que l’étude d’Anton Milh dédiée au dominicain belge Remi Hoeckman, un apôtre du rapprochement entre les différentes dénominations chrétiennes et le dialogue oecuménique, et celle de Paul Pulikkan consacrée au rôle du jésuite Joseph Neuner dans l’inclusion de l’hindouisme et du bouddhisme lors de la rédaction de Nostra Aetate, répondent exactement à l’appel de Lamberigts à étudier des figures moins flamboyantes du Concile.
La deuxième partie (« Unfolding Event, Dynamic Process ») compte aussi sept études dont plusieurs se penchent sur les subtilités de certaines expressions conciliaires ou des chapitres des constitutions. Celle de Peter de Mey (« The Difficult Cooperation between the Secretariat for Christian Unity and the Oriental Commission in the Preparation of De Oecumenismo : December 1962-November 1963 »), dans l’approche des sources privilégiée par Lamberigts, démontre avec rigueur les difficultés de toutes sortes (quiproquos, mauvaises interprétations, tactiques de toutes sortes et même actes de sabotage) et comment certains textes du corpus conciliaire sont venus difficilement au monde. Dans un esprit quelque peu similaire, Joseph Famerée, dans son texte « In quibus et ex quibus (LG 23A) : Le sens controversé d’une expression conciliaire », illustre avec un grand à-propos comment une expression, tirée ex nihilo de son contexte des années plus tard, peut provoquer une controverse. Il propose donc une étude attentive des étapes de rédaction du texte et une explicitation de ce que signifie le rôle d’unité du pape, de la fonction d’unité des évêques dans leurs Églises particulières et de ses effets sur une théologie de la plénitude ecclésiale de chaque Église locale et de l’Église universelle (p. 294-295). Le texte de Famerée permet de comprendre que la réception de cette expression conciliaire est inexacte dans la lettre Communionis Notio de la Congrégation pour la doctrine de la foi de 1992. Un bel exemple, donc, de l’importance de ne pas banaliser, dans le processus de réception, un détournement de sens aux conséquences fâcheuses. Outre des propositions en allemand de Leonhard Hell (« “Volk Gottes als Leib Christi” — oder umgekehrt ? ») et de Joachim Schmiedl (« Priesterbilder im Wandel ? Was europäische Bischöfe vom Zweiter Vatikanum erwarteten »), Alberto Melloni revient sur les débats et les problèmes ecclésiologiques liés à l’expression de « Marie, Mère de l’Église » dans le De Beata Maria Virgine et nous rappelle le poids des dévotions personnelles et collectives dans la religion vécue par les pères du Concile, mais aussi dans la rédaction des textes, à la lumière des différentes expériences vécues. Philippe Roy-Lysencourt, le fin connaisseur du Coetus Internationalis Patrum, nous revient sur « La résistance des catholiques traditionalistes à la déclaration Nostra Aetate » du concile Vatican II et nous démontre l’articulation de leur position et les nuances à retenir sur les positions de ce groupe. Enfin, on retrouve le style de Bernard Sesboüé dans le texte de Karim Schelkens qui suit. Il s’inscrit dans la veine de ces grandes études érudites qui analysent des expressions religieuses qui ont des conséquences ecclésiologiques et historiques surprenantes au sein de l’institution, dans les travaux des intellectuels et les perceptions des croyants. Schelkens analyse le fameux Subsistit In de la constitution Lumen Gentium qui nuançait l’exclusivité du Salut de l’âme au sein du catholicisme. Une telle ouverture inscrivait durablement le Concile comme pierre d’angle du dialogue oecuménique. Toutefois, la formulation entraîne d’âpres débats au sein de l’Église et mène à la rupture des traditionalistes. Comme le montre bien le théologien de Tilburg, le débat reste ouvert et fécond, du moins, pour les théologiens.
La troisième partie (« Crafting the Council’s Legacy ») groupe les sept derniers textes de l’ouvrage. Ils font ressortir l’héritage multiforme du Concile et de ses textes sur le plan ecclésial et théologique en le faisant dialoguer avec les temps présents, mais aussi avec des préoccupations exprimées par Lamberigts dans ses travaux. Ainsi, Sandra Arenas, dans un texte d’une grande richesse (« The Crisis of Ecclesial Power. Rereading the Lay-Hierarchy Divide from a Latin America Case ») réfléchit sur l’évolution des rapports entre laïcs et clercs au Chili, dans une perspective conciliaire. À travers une contextualisation percutante, elle dégage les difficultés récurrentes de l’épiscopat chilien à s’extirper d’un modèle d’autorité pyramidal et de ses effets délétères sur les croyants et la réception du Concile. Le livre offre un panorama stimulant sur les courants d’idées qui viennent nourrir la collégialité nouvelle au sein de l’épiscopat chilien, mais aussi au sein de celui des autres pays de l’Amérique du Sud. La partie consacrée à la période postconciliaire décrit des initiatives importantes sur le plan spirituel et social et ses effets sur le peuple croyant, notamment grâce aux réalisations des mouvements d’action catholique spécialisée ou à l’influence de la théologie de la libération. Toutefois, comme le démontre Sandra Arenas, la remontée des forces traditionalistes au sein de l’épiscopat et son silence face à certains événements politiques contrecarrent les projets de subsidiarités du pouvoir et d’autonomie des laïcs. Rien de surprenant à ce qu’après le long silence de la période de la dictature, les abus du clergé aient été dénoncés ces dernières années.
Oliver Gangoso Dy illustre l’apport que représente une meilleure connaissance de la place de la tradition augustinienne dans le corpus conciliaire. Il démontre son point de vue en repérant des traces des Confessions, notamment le triptyque conceptuel memoria-contuitus-expectatio, dans les versions préliminaires du Dei Verbum. La proposition de Michael Quisinsky (« Catholic Curiosity. Church History as Fundamental Theology ») fait référence quant à elle à la première passion de Lamberigts, saint Augustin, mais dans un dialogue avec Thomas d’Aquin sur le concept de la curiositas que l’on retrouve dans Optatam Totius. L’auteur souligne que cette curiosité si présente chez Lamberigts reflète sa compréhension de la relation intrinsèque entre l’histoire de l’Église et la théologie fondamentale. Puis, Joris Geldhof appelle à travers une approche héortologique, à une meilleure compréhension des gains liturgiques et de l’opérationnalité des choix effectués en amont et pendant le Concile. Après deux textes sur le dialogue interreligieux de Terrence Merrigan (« Between Scylla and Charybdis. Breaking the Impasse in Contemporary Theology of Interreligious Dialogue ») et de Didier Pollefeyt (« Unrevoked covenant ― Revoked Consensus ― Indestructible Love ? The Reception of Nostra Aetate 4 in Jewish Catholic Relations »), la section se termine avec deux contributions sur les apports théologiques de Vatican II. Dans « La fabrique théologique », Gilles Routhier illustre à quel point le processus de rédaction des textes conciliaires a permis un dépassement du modèle de la théologie scolastique instauré depuis le concile de Trente. Cela dit, Routhier rappelle que le Concile a permis aux periti d’exposer aux évêques des idées théologiques nouvelles. Les différents documents, dans toutes leurs phases d’écriture, sont des laboratoires rédactionnels. Les grandes idées de la théologie nouvelle défendue par Congar, Rahner, Schillebeeckx ou Lubac s’y retrouvent. Le Concile devient le théâtre d’une adoption à la fois d’une forme et d’un fond, sans toutefois devenir celui de la création d’une nouvelle forme de théologie. On peut suivre Routhier lorsqu’il dit que « ce n’est donc pas dans l’enseignement ex professo de Vatican II sur la théologie qu’il nous faut chercher si nous voulons tirer le meilleur enseignement du Concile sur la méthode théologique. Si on veut y parvenir, c’est à l’observation de la “fabrique théologique” qu’a été Vatican II qu’il faut se livrer » (p. 510). Enfin, dans un texte d’une profonde érudition, le jésuite Christoph Theobald appelle à une reréception ou à une réécriture de l’ecclésiologie du Concile afin d’éviter une « idéologisation de l’ecclésiologie dogmatique ». Il appelle à une « nouvelle herméneutique vécue dans des conditions susceptibles de mener à un aggiornamento ecclésial et ecclésiologique, digne du travail accompli par les pères du Concile et leurs experts louvainistes en particulier » (p. 534).
Cet ouvrage touffu et riche, préparé avec soin par les éditions Peeters, laissera aux lecteurs l’image d’un hommage senti au professeur Lamberigts par ses collègues et ses anciens étudiants. C’est un livre qui va pourtant bien au-delà de la simple reconnaissance, car il représente une véritable somme de savoirs qui propose avec pertinence un nouveau jalon dans les études consacrées au concile Vatican II.
Dominique Laperle
Monographies sur la période préconciliaire
13. Ângelo Cardita, éd., Romano Guardini. La formation liturgique. Leuven, Paris, Bristol, Peeters (coll. « Textes et études liturgiques/Studies in Liturgy », XXVI), 2017, 124 p.
Cet ouvrage de taille plus que raisonnable rend accessible au lectorat francophone un classique des études liturgiques qui, contrairement à d’autres textes de Romano Guardini (notamment L’esprit de la liturgie, trad. Robert D’Harcourt, Paris, Plon, dès 1930 ; Liberté, grâce et destinée, trad. Jeanne Ancelet-Hustache, Paris, Seuil, 1949), n’avait pas encore été traduit en français. Publié initialement en 1923, année durant laquelle Romano Guardini a commencé à enseigner à l’Université de Berlin, au moment où le mouvement liturgique préconciliaire en était à ses débuts, les quatre essais qu’il contient (cinq si on inclut la postface tout de même substantielle, et six si on compte également la brève mais importante introduction qui donne le ton) développent une réflexion fondamentale sur la formation liturgique « dans son sens le plus large » (p. 17).
Il y a bien sûr dans ces essais quelques éléments qui concernent l’éducation à la liturgie dispensée aux plus jeunes ; ils apparaissent en conclusion de chacun d’eux sous la forme de brefs « conseils pratiques » (p. 75) inscrits en petits caractères, ce qui a pour effet de les démarquer de l’ensemble. Toutefois, le lecteur est bien davantage invité à une réflexion sur la manière dont la liturgie, par son mouvement propre, forme l’humain et le fait entrer dans « une façon d’agir, de vivre et d’être » (p. 17). De manière générale, l’ouvrage donne une bonne idée du « style » Guardini, soucieux de rattacher son propos aux Écritures ; soucieux également de montrer la complexité de la réalité humaine prise en charge par l’action liturgique, en la présentant le plus souvent sous deux côtés opposés mais non contradictoires et qui donnent à penser ; soucieux enfin de situer le fait liturgique dans la longue histoire qui part de l’Antiquité, passe par le Moyen Âge, jusqu’à la Renaissance, la Modernité et le « mouvement de la jeunesse » qui prend forme à son époque et dans lequel il place l’espoir d’un retour à l’équilibre.
Sans jamais perdre de vue la liturgie en tant que telle, qui ne tarde pas à devenir le coeur du propos, les essais débutent par des considérations plus générales. Dans un registre qui relève de l’anthropologie philosophique classique, le premier essai part de la relation entre l’âme et le corps qu’il transpose ensuite à la liturgie. Au même titre que l’âme anime le corps, la liturgie contribue à former l’humain à travers l’activité symbolique. Ainsi, « c’est l’homme tout entier qui réalise l’acte liturgique » (p. 20) et, inversement, la liturgie ne saurait viser autre chose que le devenir humain, étant entendu que l’attitude symbolique caractérise l’attitude humaine et que « ce qu’“être humain” signifie, le Christ ressuscité nous le montre par “ce qu’il a souffert afin d’entrer dans sa gloire” (Lc 24,26) » (p. 24).
Le deuxième essai — « L’homme et la chose » — explore quant à lui le rapport que l’homme entretient avec son monde en s’en laissant imprégner et en s’y exprimant, jusqu’à l’habiter comme on « habite » une maison, c’est-à-dire en « éprouv[ant] de manière vivante chaque pièce et chaque mur, chaque chaise et chaque décoration » (p. 37). De cette dynamique, le domaine religieux participe, et tout particulièrement la liturgie qui organise le temps et l’espace. Mais plus significativement encore, la liturgie travaille à orienter la création vers son créateur et, par là, elle vise « l’accomplissement de la régénération “à laquelle toute la création aspire” (Rm 8,19) » (p. 40).
Le troisième essai explore quant à lui le rapport entre « individu et collectivité » qui renvoie à la dimension sociale et politique de l’existence. Guardini distingue alors deux voies par lesquelles il est possible pour chacun de rejoindre la grande « collectivité humaine ». La « voie mécanique » consiste à « évit[er] tous les intermédiaires : famille, peuple, État » (p. 48). Elle convient à certaines circonstances, mais étant davantage centrée sur l’individu et encline à l’internationalisme, elle « tombe trop aisément dans une attitude vague et désengagée, dépourvue de tout sens du devoir et de la responsabilité » (p. 49). La « voie organique » prend l’option inverse et traverse ces intermédiaires que la précédente contourne. Moins directe, elle assume davantage « les tâches concrètes à accomplir », en vue d’une plus grande « part de responsabilité envers l’histoire » (ibid.). Dans le rapport à l’Église, on retrouve ces deux voies, mais la préférence de Guardini va à la seconde, car elle répond mieux aux défis de son époque, une époque centrée sur la conscience personnelle qui, pour cette raison même, risque de perdre de vue le réel, c’est-à-dire non seulement « la réalité des autres », mais la place incontournable des unités collectives intermédiaires. Tout cela se joue notamment dans la liturgie animée par l’Église. Là plus qu’ailleurs, dans cette collectivité qui célèbre, le « croyant » peut « élargir progressivement sa conscience religieuse, son moi-priant […] jusqu’à ce qu’il apprenne à recevoir comme sienne la substance de la vie des autres, c’est-à-dire leur quête de salut, leurs souffrances et leurs désirs » (p. 57-58).
Le quatrième essai — « Objectivité » — revient plus directement sur un thème qui traverse les précédents : « l’activité expressive » mise en oeuvre par la liturgie. Recelant une part de « subjectivité évidente » que la modernité a investie considérablement, cette activité expressive n’en contient pas moins une part d’objectivité qui, bien que pouvant être « étouffée par une froide métaphysique des substances » (p. 63), doit être prise en compte et même retrouvée. Dans cette perspective d’objectivité, « le moi ne cherche pas à exprimer des sentiments, des inspirations, des états, mais plutôt des réalités, des vérités, des essences » (p. 62). Une telle manière d’assumer l’activité expressive requiert écoute, obéissance et discipline, afin de laisser place à « l’expression d’un homme [qui n’est] pas encore » (p. 71) et qui est appelé à devenir. Guardini pointe ici vers l’« Esprit formant la liturgie » (ibid.) qui, à son tour, forme l’homme et travaille à le conformer au Christ.
Enfin, dans la postface, Guardini réfute trois objections qui pourraient lui être adressées et qui, pour une bonne part, demeurent encore aujourd’hui bien présentes : la nostalgie qui conduit à idéaliser l’héritage catholique ; le caractère secondaire de la liturgie de l’Église par rapport aux conséquences pratiques et immédiates de la foi dans la vie quotidienne ; « la vie liturgique » qui peut à tout moment « se transformer en un passe-temps culturel d’ordre religieux » (p. 85). Chaque fois, Guardini répond de manière à indiquer un équilibre à viser. Par exemple, si la piété et la liturgie ont besoin de la culture pour s’exprimer et rejoindre la vie dans ses diverses dimensions, elles doivent aussi sans cesse remettre en question cette culture, de manière à conserver la tension avec elle.
De manière pertinente, sans doute pour éclairer la question de la formation liturgique en lien avec les travaux du concile Vatican II, l’éditeur a reproduit en Annexe 1 une lettre écrite par Guardini en 1964, dans laquelle il revient sur le mouvement liturgique et sur les travaux qui, à ses yeux, restent à réaliser. Ses réflexions insistent alors sur un nécessaire travail d’approfondissement de l’« acte liturgique », une tâche réflexive et pratique qui passe par « l’éveil du sens ecclésial » (p. 92) et qui va bien au-delà des réformes de surface : « Que doit-il arriver pour que l’homme moderne [apprenne l’acte liturgique] de la juste manière ? » (p. 91).
Dans l’Annexe 2, l’éditeur signe un article dans lequel il explique d’abord l’intention qui est à l’origine de l’ouvrage : « On ne s’explique pas […] que les essais exploratoires de Guardini sur la formation liturgique n’aient jamais été traduits en français jusqu’à présent. Il fallait remédier à une telle absence, non par romantisme mais par amour pour la cause liturgique autant sur le plan pratique que sur le plan théorique » (p. 94-95). À son tour, dans le sillage des réflexions de Guardini, Ângelo Cardita discute de « l’enjeu de la formation à la liturgie et par la liturgie » (p. 95), c’est-à-dire de la formation liturgique dans sa globalité : « Ainsi, former à la liturgie sera toujours former l’être humain dans son identité et dans ses rapports, de même que se laisser former par la liturgie sera toujours un approfondissement de la dialectique qui identifie et différencie la religion avec la culture » (p. 94). Mais de manière originale, dans l’horizon résolument interdisciplinaire des études rituelles contemporaines, et à partir de divers exemples concrets tirés notamment de la liturgie eucharistique, Cardita suggère de développer une formation liturgique sensible aux dimensions esthétique, affective et spirituelle de l’existence : « […] la formation émotive et la formation esthétique s’appellent mutuellement ; elles se complètent et s’ouvrent à la dimension spirituelle et théologale de la proclamation (téméraire !?) de la mort du Seigneur, de la célébration (joyeuse !?) de sa résurrection et de l’attente (confiante !?) de son retour dans la gloire » (p. 110).
Le texte de Guardini édité et traduit dans cet ouvrage en est bien un du début du xxe siècle. La crise moderniste demeure récente, et on sent à travers la plume de l’auteur combien le catholicisme n’est pas sorti indemne de sa résistance à la modernité. Le thomisme demeure aussi au coeur de la formation théologique, comme en témoignent quelques développements sur les rapports entre la grâce surnaturelle et la nature. À plus d’une reprise, Guardini pose un regard critique sur la modernité et présente le Moyen Âge comme une époque plus équilibrée sur le plan de la liturgie. Toutefois, Guardini n’est pas simplement un antimoderne, comme en témoigne sa sensibilité — avant l’heure — pour le renouvellement de la liturgie et comme l’attestent quelques notes de bas page nuancées :
[…] si le Moyen Âge est mis au premier plan de notre discussion et que nous montrons en quoi il est supérieur à la modernité, cela n’est pas du romantisme. D’ailleurs, je ne crois pas que la modernité soit mauvaise en elle-même […]. Chaque époque doit et peut être catholique, c’est-à-dire complètement fidèle à ses propres tâches tout en restant en harmonie avec le monde. […] En fait, je cherchais plutôt […] à faire prendre conscience de ce qui nous manque par rapport à l’époque médiévale.
p. 51
En raison de ces différents éléments qui peuvent passer inaperçus aux yeux d’un lecteur qui survole rapidement les notes ou qui n’a pas une connaissance suffisante de l’histoire de la théologie, une introduction de l’éditeur aurait pu être pertinente, ne serait-ce que pour situer brièvement Guardini dans le siècle théologique qui l’a porté, ou encore pour mettre en évidence le regard singulier sur la modernité que lui fournissent ses réflexions sur la ritualité humaine.
Cet ouvrage peut aisément devenir un outil de travail ; malgré sa petite taille, il contient la pagination du texte original allemand, un index des noms, un index des sujets, ainsi qu’un index des termes allemands. Surtout, il se lit bien.
Patrice Bergeron
14. Istvan Csonta, The Preconciliar Schema on the Lay Apostolate. An Historical Critical Investigation. Leuven, Katholieke Universiteit Leuven (coll. “Dissertation Katholieke Universiteit Leuven”), 2020, 306 p.
In the first volume of Giuseppe Alberigo’s History of Vatican II, the French historian Étienne Fouilloux devoted a chapter to the antepreparatory period of Vatican II, yet he did not analyse in details the 252 vota on the apostolate on the laity, and in another chapter, Joseph Komonchak described the work of the Commission for the Apostolate of the Laity in a mere four pages. This indicates a strange situation in the field of Vatican II scholarship : for most of the conciliar texts, and in particular for those who brought along an innovation in Catholic ecclesiology, full redaction histories have been written in the past decades. This was not the case for the topic of the Lay Apostolate.
Recently Dr. Istvan Csonta, currently professor in Church History at the Episcopal College of Pecs, has provided with a first step to unravel this blind spot. Csonta’s dissertation has offered a detailed analysis of the work of the Preparatory Commission for the Apostolate of the Laity, between the autumn of 1960 and the spring of 1962. His work analyses the various documents and processes which led to the writing of the Schema in detail.
After an opening survey of the Catholic Action movements in the pre-conciliar era (chapter 1) he has written an in-depth analysis of the vota from bishops and other institutional actors regarding the lay apostolate. This Hungarian scholar is the first to have studied this dossier, so important for the rediscovery of the laity in Catholicism, at length. In doing so, Csonta not only paid more attention to the vota than any study before, rightly emphasizing the impact of Canon Law as a means of hierarchical control and as influencing the vota.
In a next step, spread over chapters 3 to 6, his dissertation discusses the contribution of the three sub-commissions of the Preparatory Commission for the Apostolate of the Laity. The particular merit of the dissertation is to provide, for the first time, an analysis of the work of the Commission and a detail exegesis, understanding the eventual Schema Constitutionis de Apostolatu Laicorum of March 1962 against the horizon of its redaction itinerary. In doing this, he has used three types of primary sources : the most important one is the collection of papers and documents gathered by Joseph Cardijn, a member of the first sub-commission between 1960 and 1962, kept in the Kadoc Archives in Leuven. Parts of the eleven-volume Acta et documenta praeparatoria were also used in the second chapter, and furthermore some reference are made to the archive collections in the Leuven Centre for the Study of Vatican II and to the Archivio Apostolico Vaticano.
Using these materials, the author explains the composition of the three sub-commissions, their internal dynamics, their different meetings, the documents produced by their members, the drafts produced along the way and the final redaction process of the Schema. His analysis does more than merely corroborate some points made by Komonchak, he offers solid proof for intuitions such as the fact that Commission members who resided in Rome — the Comitatus enucleatus Romanus — played a much bigger role than the non-Roman members. Many, especially in Rome but also elsewhere, were neo-Thomists who followed a deductive approach in theology and pastoral matters and relied on previous pontifical documents such as Casti Connubii and Corporis Mystici. Other Commission members (Salvatore Lener, Joseph Cardijn, Fulton Sheed and Jean Rodhain), brought in other and more open perspectives, which would later return in the conciliar hall. It is important to see that, even though their views were not always reflected in the final schema of 1962, a variety of voices and opinions was already represented in the preconciliar commission. This adds to the ongoing change in perspective of the preconciliar preparations.
The study makes clear how on the one hand the work of the Commission seemed almost entirely to neglect the outcome of the preconciliar vota, on the other hand, various sections of the 1962 Schema were later integrated, with significant differences of emphasis however, into the Decree Apostolicum Actuositatem and the Constitution Gaudium et Spes. This makes the study of these preconciliar years important as an horizon for understanding the actual council debate.
What is also worth pointing out is that Csonta’s study highlights that one of the key questions before the council was whether or not the Italian model of Catholic Action, with a tight control from the hierarchy over lay associations by way of a well-defined ‘mandate’, should prevail. In this regard, it is striking to see how the approach of the preparatory commission explains very well why this commission, at the end of the day, lost much time and energy, and how Roman actions tended to push other perspective aside. Still the picture is nuanced, since the dissertation also illustrates that on several occasions pope John XXIII favoured, directly or indirectly (through Mater and Magistra for example), a more open perspective, and thus exercised a particular influence on the preconciliar commission. In all, this study offers a valuable step towards further research into the conciliar debate on the laity.
Karim Schelkens
15. Saretta Marotta, Gli anni della pazienza. Bea, l’ecumenismo e il Sant’Uffizio di Pio XII. Bologna, Il Mulino (coll. « Istituto per le scienze religiose - Testi, ricerche e fonti ». Nuova serie, 63), 2020, 761 p.
This monograph, with a preface by prof. Dr. Franz Xaver Bischof highlighting Bea as ‘the porte-parole’ of Catholic ecumenism during Vatican II, offers an important contribution to the historical study of the connection between Vatican II and the preconciliar era. Given his position as the first president of the Secretariat for Promoting Christian Unity in June 1960, the German Jesuit Bea is often remembered and portrayed as the ‘Cardinal of Unity’, the main protagonist behind the council’s ‘dialogue texts’ Unitatis Redintegratio, Dignitatis Humanae and Nostra Aetate. The key insight of this book is that the pivotal role Augustin Bea played during the council cannot be properly understood unless one seriously accounts for his career in the decade between 1949 and 1960.
This voluminous book does not offer a full biography, but is entirely devoted to a detailed description of exactly that period. Italian historian Saretta Marotta, who studied at La Sapienza in Rome and at the Ludwig-Maximilians-Universität in Munich, has written the volume while being a research fellow of Alberto Melloni’s Istituto per le Scienze Religiose in Bologna, and as a researcher of KU Leuven’s Center for Ecumenical Studies under the direction of Prof. Dr. Peter De Mey. All of these ties made Dr. Marotta the best equipped scholar for this complex undertaking. The research for this book relies upon a rich variety of almost fourty archive collections, consulted in Germany, Italy, Belgium and Switzerland.
While it is impossible to describe in detail the richness of documentation of this study, some elements should be underlined. First and foremost, the author offers a very precise chronologically built portrait of Bea’s career in the last decade of the long pontificate of pope Pius XII. Under this pope, a particular influence of German Catholics has been noted before, but this study offers new materials documenting the importance of the Jesuit Robert Leiber (who later became critical of the pope’s attitude in his final years), but even more so the role of the Paderborn archbishop Lorenz Jaeger and of Josef Höfer are strikingly portrayed. In this regard, the book holds valuable annexes in which original sources documenting the correspondence between Bea, Jaeger and Höfer.
This milieu became important for Bea, who after his rectoral mandate at the Pontifical Biblical Institute (1930-1949), became a consultor to the Congregation of the Holy Office in 1949. Combined with the fact that he already acted as personal confessor and advisor to Pacelli as of 1945, this gave Bea a crucial position, at a moment when the impact of the non-Catholic ecumenical movement grew rapidly as of the establishment of the World Council of Churches in Amsterdam in 1948.
Marotta delicately sketches how Bea did not initially, in the international environment of the late 1940s, display any genuine ecumenical awareness, but was triggered into it through his German contacts. His ‘mediating’ role became increasingly important, given his connection with other Jesuits in the ranks of the Holy Office, such as Dutchman Sebastian Tromp and the Frenchman Charles Boyer. At some length the author describes Bea’s intricate position as regards the monitum of 1948, but particularly important are the book’s second and third chapters, which reconstruct how Bea became involved in ecumenical circles as of 1951, initially via Germany, soon the liaison with Bea’s later successor, the Dutchman Johannes Willebrands was added to it, and at this juncture also the francophone milieu’s of the Benedictines of Chevetogne and the Parisian Dominicans entered the scene. This archipelago of local Catholic foyers will eventually be connected in the Catholic Conference for Ecumenical Questions. The author succeeds well in explaining how Bea became a diplomatic reference point for Catholic ecumenism on an international scale, also through the development of contacts with the World Council of Churches and with the International League for Apostolic Faith and Order (ILAFO).
The book closes with the shift from Pius XII to the new pontificate of John XXIII, and one its crucial insights is that it underlines how Bea’s position under Pius XII has proven crucial in order to help a broad introduction of the ecumenical agenda into John XXIII’s council. In sum, this is a very valuable historical study. It not only adds to the picture painted in the ‘classic’ biography by Bea’s secretary, Stjepan Schmidt, it also offers keen insight into the importance of Ignatian spirituality for the evolution of Catholic ecumenism, presenting the notion of patient discernment as a key concept for the ecumenical advance.
Karim Schelkens
Monographies sur la période conciliaire
16. Enzo Petrolino, Il Concilio Vaticano II e il diaconato. La Chiesa mistero di comunione e di servizio. Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2013, 245 p.
Tandis que le concile de Trente avait décidé de ne pas instaurer le diaconat, c’est avec le concile Vatican II qu’il sera rétabli dans l’Église latine comme un degré permanent de la hiérarchie. Il est d’une importance capitale que l’assemblée conciliaire, en octobre 1963, ait donné une réponse affirmative à l’une des cinq questions d’orientation pour le renouveau de la vie ecclésiale, celle qui traitait précisément du diaconat. En effet, Vatican II, par son ecclésiologie de communion centrée sur Lumen Gentium, établit sans équivoque que le ministère diaconal doit renaître dans l’Église comme un ministère « propre », et non plus seulement comme une étape du parcours des candidats au sacerdoce.
L’ouvrage, constitué de quinze courts chapitres, aborde d’abord le sujet des « signes des temps ». Le fait que l’on reprenne conscience de la nature ministérielle de la communauté chrétienne a été l’un des signes des temps les plus significatifs de la période post-conciliaire. S’ensuivit la redécouverte de la réalité pascale et baptismale de l’Église qui en rend visible et efficace la vitalité dans l’Esprit selon l’image paulinienne : « À chacun est donnée une manifestation de l’Esprit pour le bien commun » (1 Co 12,7). Un dynamisme qui peut se traduire également au niveau opérationnel, pour mieux configurer la structure ecclésiale et ses relations internes selon la volonté du Seigneur. La ministérialité qualifie l’Église dans sa réalité interne et par rapport aux dynamiques externes : Jésus, le Seigneur et Maître, se déclare serviteur ; l’Église, son épouse, est au service du salut et de la libération du monde. Toute participation à la vie de l’Église, comme vocation de tout baptisé, est donc appelée à servir : sinon, elle ne serait pas évangélique.
L’auteur approfondit ensuite les documents du Magistère, le texte de la Commission théologique internationale sur la figure du diacre et sur son rôle dans la nouvelle évangélisation. Il parvient à retracer le long cheminement de la réflexion sur l’identité du diaconat, avec une prise de conscience progressive de la richesse variée des potentialités que l’Esprit lui donne par rapport au contexte ecclésial et social actuel. Signe efficace de la grâce et présence ministérielle vivante qui rend le Christ Serviteur et Seigneur visible à la communauté des croyants, le ministère diaconal est aussi en dialogue attentif et constant avec les réalités du monde, afin d’annoncer à tous le Christ, espérance des hommes, et d’être une expression et un instrument parmi eux de la diaconie de l’Église.
Emanuele Avallone
17. Pierre Hurtubise, Chroniques conciliaires. Vatican II tel que je l’ai expliqué aux lecteurs et lectrices du journal Le Droit 1962-1965. Leuven, Peeters, Maurits Sabbe Library, Faculty of Theology and Religious Studies (coll. « Instrumenta Theologica », XXXVI), 2014, xiv-225 p.
Dans cet ouvrage sont réunies soixante-trois chroniques écrites par Pierre Hurtubise pour le journal Le Droit d’Ottawa durant les quatre périodes conciliaires (1962-1965). Elles sont précédées d’une préface du professeur Gilles Routhier, d’un avant-propos qui les situe dans le contexte et d’un épilogue qui est en réalité un article publié dans Le Droit en 1990, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la clôture du Concile. Ce texte présente un regard rétrospectif sur ce qu’il est advenu des espoirs suscités par Vatican II.
À l’époque où il composa ces chroniques, Pierre Hurtubise était un jeune professeur d’histoire de l’Église et préparait un doctorat en histoire moderne qu’il obtint en 1969 à la Sorbonne. Actuellement, il est professeur émérite de l’Université Saint-Paul à Ottawa (établissement dont il fut recteur de 1989 à 1994) et directeur du Centre de recherche en histoire religieuse du Canada. Il a décidé de republier ses articles sur le Concile pour les raisons suivantes qu’il explique au début de son ouvrage :
Si je reprends aujourd’hui, mais sous la forme d’un livre cette fois, l’ensemble de ces textes, c’est, bien évidemment, tout d’abord en raison du fait que nous venons de célébrer le 50e anniversaire de l’ouverture et de la première session du deuxième concile du Vatican, mais c’est aussi parce qu’encouragé en cela par un certain nombre de proches et d’amis, j’ai pensé que je pourrais par là, d’une part, fournir aux témoins de Vatican II, à mes anciens lecteurs et lectrices en particulier, l’occasion de revivre ce moment-clé de l’histoire de l’Église et de leur propre histoire ; d’autre part, faire vivre ce même moment à une plus jeune génération qui n’en a, en général, qu’une très vague idée et souvent n’arrive même pas à imaginer ce qu’il fut et à quel point l’Église en sortit transformée, trop au goût de certains, pas suffisamment au goût d’autres.
p. 6
Les chroniques concernant la première session sont moins riches que les autres et cela pour deux raisons : l’information venant de Rome laissait à désirer à cause du secret conciliaire et l’auteur ne pouvait pas quitter Ottawa où il enseignait. Malgré tout, ces articles donnent une bonne idée des événements majeurs de la session. À partir de la deuxième session, les papiers de Pierre Hurtubise sont beaucoup plus fournis et étoffés, car ses supérieurs l’envoyèrent poursuivre des études d’histoire de l’Église à Rome où il put suivre les événements de beaucoup plus près, d’autant plus que le Saint-Siège décida, durant l’intersession, que le secret conciliaire serait interprété d’une manière beaucoup plus souple. À Rome, il a pu profiter des communiqués officiels résumant les interventions des Pères conciliaires, des conférences de presse, des échanges avec les collègues, des periti, des centres d’information ou de documentation mis en place par certains épiscopats, des conférences et des tables rondes organisées un peu partout dans la Ville Éternelle, de ses confrères avec qui il vivait au Studium Generale des Oblats de Marie-Immaculée et dont certains étaient impliqués dans les travaux du Concile, du journal d’un confrère évêque, ainsi que de Mgr Denis Hurley, archevêque de Durban, qui l’« honora de sa confiance et de son amitié et fut pour [lui], durant les trois dernières sessions de Vatican II, un merveilleux guide à travers les méandres du relief conciliaire » (p. 5).
Comme le souligne Gilles Routhier dans la préface qu’il a consacrée au livre, « la reprise de ces chroniques nous permet de voir plus concrètement comment [le concile Vatican II] a été raconté au public canadien et comment des journalistes, catholiques et religieux pour un grand nombre, ont cherché à le comprendre et à la [sic] raconter ». Il ajoute : « Ce retour sur ces chroniques, nous aidera à mieux apprécier le travail des journalistes, nous permettra de voir les représentations que ces récits mettent en jeu et les catégories interprétatives qui les sous-tendent. Ainsi, nous serons mieux en mesure de comprendre l’interprétation du concile qui s’est développée chez les fidèles et la réception qu’on a donnée à son enseignement. Ces chroniques mettent en valeur un acteur influent, les journalistes et les médias, et nous permettent d’en saisir le rôle » (p. xii).
Il faut en outre souligner que ces chroniques laissent une place importante à la dimension historique. Cela s’explique par le fait que Pierre Hurtubise, en plus d’être journaliste, était historien et, par conséquent, soucieux de situer les événements dans le temps long de l’histoire de l’Église. À la valeur du fond, il faut ajouter les qualités de la forme. Pierre Hurtubise a une très belle plume et ses chroniques sont agréables à lire. Cet ouvrage est donc une nouvelle pierre apportée à l’historiographie de Vatican II et il sera particulièrement utile aux historiens qui voudront étudier le Concile sous l’angle des médias.
Philippe Roy-Lysencourt
18. Hans Küng, Sämtliche Werke : Konzil und Ökumene. Freiburg i.Br., Verlag Herder GmbH, 2015, 780 p.
Le deuxième volume des Oeuvres complètes du théologien suisse Hans Küng est consacré au Concile, mais aussi à l’oecuménisme. Ceci s’explique dès la première contribution qui est une conférence jusqu’ici inédite tenue par Küng, à ce moment-là vicaire à Lucerne, à la Faculté de Bâle en 1959. C’est l’éminent théologien protestant Karl Barth, auquel Küng a consacré sa thèse de 1957, qui a invité le jeune théologien catholique. Dans cette conférence, on trouve plusieurs sujets chers au futur théologien de Tübingen, notamment les questions ecclésiologiques autour de la notion d’une Église pécheresse et les enjeux d’une réforme de l’Église. Si plusieurs des monographies de Küng autour du Concile (Konzil und Wiedervereinigung ; Strukturen der Kirche) sont republiées ici, on y trouve aussi des publications moins accessibles, par exemple sa leçon inaugurale à la Faculté de Tübingen ou la transcription d’une discussion à laquelle participait également Heribert Schauf, de même que quelques textes inédits. L’échange de lettres avec Paul VI (p. 775-776) trouverait-il un écho lointain dans l’échange de lettres avec le pape François, publié dans le troisième volume de l’autobiographie de Küng ? Au-delà des sujets qu’on associe communément à l’oeuvre théologique de Küng, on remarquera son intérêt pour des questions exégétiques et surtout liturgiques. Chaque texte est introduit par une note biographique, souvent tirée des trois volumes de l’autobiographie de Küng. Même si des autobiographies sont un genre spécial, cela donne des informations utiles pour l’interprétation des différents textes.
Paradoxalement, la contribution au Concile de Küng, un des théologiens conciliaires les plus célèbres des dernières décennies, est peu examinée. D’ailleurs, sa contribution au Concile et à sa réception réside finalement non pas dans tel ou tel paragraphe de tel ou tel document, mais dans une sensibilisation d’une partie du public germanophone (et aussi d’un public international) pour les enjeux conciliaires, non sans créer d’ailleurs des attentes qui en fin de compte n’étaient pas réalisables. S’il ne faut pas réduire son oeuvre à des conflits qui l’ont marqué, comme la discussion autour de différents sujets dont notamment l’infaillibilité, culminant dans la rémission de la missio canonica en 1979, ils ont définitivement fait de ce « shooting star » de la théologie un théologien sui generis. Certes, il l’était déjà pendant le Concile, préférant influencer les travaux à travers l’opinion publique plutôt qu’à travers le travail des commissions. Ceci, ainsi qu’une certaine tendance de Küng à lire l’événement conciliaire à travers ce vécu personnel, rend sa véritable contribution au Concile difficile à appréhender. Le langage de Küng, accessible au-delà des cercles des théologiens professionnels, ainsi que son goût pour des opinions tranchées peuvent expliquer, dans la relecture, les réticences ressenties par une génération plus ancienne de théologiens et ecclésiastiques, mais aussi le grand succès de Küng auprès d’une jeune génération.
Cette question des générations et des sensibilités n’est pas la moindre raison pour laquelle le rôle de Küng est sans doute plutôt celui d’un « symbole pour des espoirs déçus », comme l’a fort bien résumé l’oecuméniste Lukas Vischer, observateur conciliaire du Conseil oecuménique des Églises. Ceci dit, ce jugement est sans doute la meilleure piste de recherche pour examiner le rôle de Küng entre d’un côté les travaux romains et de l’autre l’opinion publique (au sein du catholicisme et au-delà) dans différents pays. Examiner ce rôle serait une tâche difficile qui nécessiterait certainement des outils méthodologiques à inventer. En lisant ce volume, on peut néanmoins être d’avis que c’est une tâche nécessaire pour comprendre l’évolution du catholicisme postconciliaire.
Michael Quisinsky
19. Sebastian Kirschner, Ein Volk aus göttlicher Erwählung. Die Gottesvolk-Theologie Gerhard von Rads in ihrer Zeit und in ihrer Bedeutung für die Ekklesiologie des 2. Vatikanischen Konzils. Neukirchen-Vluyn, Neukirchener-Verlagsgesellschaft mbH (coll. « Biblisch-Theologische Studien », 158), 2016, 137 p.
Il est toujours délicat d’examiner la contribution d’une personne au Concile. Sebastian Kirschner a le courage de le faire non pas dans une thèse de doctorat, mais dans un travail de master, genre dont les limites (temps et pages à disposition) et les objectifs rendent la tâche encore plus difficile. Ceci dit, il s’agit d’un petit livre inspirant. Dans trois chapitres, Kirschner situe d’abord le théologien protestant Gerhard von Rad (1901-1971) dans l’histoire de la théologie, puis présente sa théologie du peuple de Dieu et analyse ensuite comment celle-ci a pu influencer Vatican II avant de conclure par des réflexions sur la signification actuelle de cette théologie. En somme, ce sont notamment les biblistes catholiques autour de l’Institut biblique pontifical, dont le futur cardinal Bea, qui étaient en contact avec des exégètes tels que von Rad. Kirschner peut s’appuyer sur les témoignages inédits de Norbert Lohfink, dont la soutenance de thèse le 22 novembre 1962 est une date incontournable pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire du Concile (voir p. 68). En comparant les positions de von Rad avec celles d’autres théologiens, dont plusieurs acteurs conciliaires (par exemple Karl Rahner et Yves Congar), Kirschner reste prudent quant à l’influence directe de von Rad, mais on peut partager son avis sur le fait que von Rad représente au mieux cette « ambiance générale » difficile à prouver et pourtant bien réelle dont la théologie conciliaire du peuple de Dieu a pu profiter. Selon Kirschner, la manière dont le Concile évoque l’histoire et l’histoire du salut serait assez proche de celle proposée par von Rad (p. 114 et suiv.), théologien protestant auquel le renouveau exégétique catholique devrait beaucoup. Une piste prometteuse à exploiter, ce qui est désormais possible grâce à ce travail remarquable auquel on souhaite une suite.
Michael Quisinsky
20. Piero Doria, Storia del Concilio ecumenico Vaticano II. Da Giovanni XXIII a Paolo VI (1959-1965). Todi (PG), Tau editrice s.r.l., 2016, 458 p.
Dans le panel d’études sur l’histoire du concile Vatican II, le livre de Piero Doria apporte des nouveautés significatives. Publié cinquante ans après la clôture du Concile, il se présente comme une véritable « chronologie », et a cela de notoire que son auteur travaille aux Archives apostoliques du Vatican. En charge de dresser l’inventaire des archives du Concile, il a la possibilité d’accéder à des documents de première main et de vérifier de visu l’énorme volume de données transmises dans son ouvrage. Dans ce cadre, on comprend aisément qu’il ait renoncé à présenter des notes qui, rien que pour les références d’archives et bibliographiques, auraient considérablement alourdi le format du livre. Du reste, son propos n’est pas de présenter une histoire scientifique de l’événement, mais plutôt une histoire vulgarisée qui, tout en étant fondée scientifiquement, n’a pas d’objectif critique.
Le travail de l’auteur ne se limite pas à l’étude des sessions conciliaires et aux textes publiés. Il prend soin également de nous mener dans ces « environnements » qui ne sont pas seulement liés au Concile, mais le symbolisent d’une certaine manière. Ainsi, il y a un fil conducteur dans les seize chapitres de l’ouvrage. Partant du pontificat de Jean XXIII, il se penche sur l’annonce du Concile, sur les réponses de la hiérarchie catholique à la consultation papale, sur la mise en place des commissions préparatoires et des secrétariats jusqu’à la phase préparatoire tout entière (novembre 1960-octobre 1962) avec force détails, notamment sur les voyages du pape Jean XXIII à Lorette et Assise.
Les quatre périodes conciliaires (11 octobre-8 décembre 1962 ; 29 septembre-4 décembre 1963 ; 14 septembre-21 septembre 1964 ; 14 septembre-8 décembre 1965) sont relatées avec des dates précises, sans oublier la précieuse contribution aux débats qu’apportèrent les experts du Concile, les auditeurs et auditrices, les observateurs délégués, les invités et les membres du Coetus Internationalis Patrum qui exprimèrent leur contestation au sein du Concile. Au fil des pages, le lecteur voit se dérouler les jours et les actes de Vatican II.
Il ne manque pas de relater des événements « conciliairement » symboliques, tels que les voyages de Paul VI en Terre Sainte, à Bombay et à l’ONU, sans oublier la publication des encycliques de Jean XXIII, Mater et Magistra et Pacem in Terris, qui sont déjà empreintes du climat concilaire, ainsi que d’Ecclesiam Suam de Paul VI, qui énonce la résolution ecclésiologique de Vatican II. L’auteur met bien en évidence les liens, les implications entre les événements internes et externes au Concile, sans oublier le contexte historique de l’époque, comme la tragédie de Vajont en Italie et l’assassinat de John F. Kennedy aux États-Unis.
L’auteur apporte une contribution précieuse à l’histoire du Concile grâce à la précision de ses données statistiques qui, derrière la froideur des chiffres, nous révèlent ce que l’historien français Philippe Levillain appellera la « mécanique politique de Vatican II ». L’analogie avec les procédures parlementaires, en y regardant de plus près, ne fut qu’apparente. En réalité, comme le montre également Piero Doria, les personnes, les réglementations et les structures ont évolué vers la recherche d’un consensus, en gardant bien à l’esprit qu’on ne peut dans l’Église se contenter de simples majorités, mais qu’on tend toujours vers l’unanimité.
Il conclut par une synthèse des onze documents conciliaires promulgués en 1965 et par la chronologie et les actes du concile Vatican II.
À la lecture de cet ouvrage, on saisit mieux combien le terme d’événement est approprié pour parler de Vatican II. À ce propos, Paul Ricoeur écrivait : « Tout ce qui arrive ne fait pas événement, mais seulement ce qui surprend notre attente ». De ce point de vue, il ne fait aucun doute que lorsque Jean XXIII annonce sa volonté de convoquer un Concile oecuménique, même si l’idée n’était pas nouvelle, elle suscita d’abord la surprise, puis assez vite l’émotion et l’espoir. En tant qu’« événement », Vatican II n’a pas été, comme l’écrivit Jean-Paul II dans l’exhortation Novo Millennio Ineunte du 6 janvier 2001, au terme du grand Jubilé de l’an 2000, simplement « la grande grâce dont l’Église a bénéficié au vingtième siècle », mais aussi une boussole fiable pour nous orienter sur le chemin de l’Église aujourd’hui (cf. no 57).
Emanuele Avallone
21. Angelo Lameri, Alla ricerca del fondamento teologico della partecipazione attiva alla liturgia. Il dibattito nella commissione liturgica preparatoria del Concilio Vaticano II. Roma, Centro Liturgico Vincenziano (CLV), Edizioni Liturgiche, 2016, 142 p.
La question de la participation active de tous les fidèles à la célébration liturgique constitue l’une des pierres angulaires pastorales de la Constitution Sacrosanctum Concilium. C’est aussi la raison et le fondement de la réforme qui s’ensuivit.
Dans les décennies précédant le concile Vatican II, le mouvement liturgique avait prôné un rapprochement entre le peuple de Dieu et la liturgie, et entre la liturgie et le peuple, afin que chaque fidèle puisse puiser le véritable esprit chrétien dans la participation active à la célébration des saints mystères, comme à sa source propre.
L’ouvrage s’articule autour du débat qui anima la Commission liturgique préparatoire de Vatican II. Parmi les réflexions et les débats des membres et consultants de la « Pontificia commissio de sacra liturgia praeparatoria Concilii Vaticani II », figure la question « De fidelium participatione in sacra liturgia », traitée par l’une des treize sous-commissions de la Commission liturgique. Le texte approfondit également les rapports demandés et présentés à la Commission par certains de ses membres (P. Jounel, G. Bevilacqua) et par des théologiens extérieurs sollicités (K. Rahner et A.-M. Roguet, plus tard cooptés dans la Commission), ainsi que quelques lettres des protagonistes du débat sur la participation active des fidèles à la liturgie et sur son fondement théologique.
L’essai qui présente les documents, dont certains sont encore inédits, aide le lecteur à les replacer dans leur contexte et à mieux comprendre la démarche de la sous-commission « de Participatione », ainsi que les différentes positions et perspectives débattues, dans un esprit de communion ecclésiale, afin d’arriver à une proposition qui fasse quasiment l’unanimité, et puisse ensuite être soumise à l’attention et à la discussion des Pères conciliaires.
Emanuele Avallone
22. Stefan Würges, Die allgemeine Berufung zur Heiligkeit im Zweiten Vatikanischen Konzil. Werdegang und Systematik. Münster, LIT Verlag (coll. « Theologie des geistlichen Lebens », 2), 2018, 440 p.
Grâce à l’exhortation Gaudete et exsultate du pape François, la vocation universelle à la sainteté est redevenue un sujet dont on parle dans l’Église. Stefan Würges examine quant à lui comment ce sujet est présent et fondé dans les documents de Vatican II. Dans son étude très détaillée, il expose d’abord comment le cinquième chapitre de LG a été élaboré et quelles sont les implications théologiques de cette genèse. Ensuite, il évalue de manière systématique ce même chapitre. Ceci le mène à une vue d’ensemble de Lumen Gentium, avant d’analyser la notion de la vocation universelle à la sainteté dans les autres documents conciliaires. Cette notion ne serait pas présente de manière explicite, mais de manière souvent implicite (voir p. 356 et suiv.). Finalement, il donne un aperçu de la réception postconciliaire, en limitant toutefois celle-ci à la réception par les papes de Paul VI à François. L’étude de Würges est un outil précieux pour tous ceux qui s’intéressent à ce sujet central de la vie chrétienne qu’est la sainteté.
Au-delà de la richesse et de la précision des analyses, le livre de Würges mérite attention dans la mesure où il défend une idée importante. En fait, selon Würges, on peut prétendre que la notion de la vocation universelle à la sainteté constitue le centre du message conciliaire. Reprenant le schéma ad extra-ad intra, il propose donc un modèle d’interprétation dans lequel tous les documents conciliaires sont à lire à la lumière du cinquième chapitre de LG (voir notamment p. 294 et suiv., 388 et suiv.).
Certes, il serait à examiner comment ce modèle, qui n’est pas sans avoir un potentiel heuristique, d’une interprétation globale du Concile peut être mis en rapport avec d’autres modèles mettant l’accent sur d’autres aspects. Dans une pareille discussion, il faudrait sans doute préciser quelques notions herméneutiques. Car s’il est vrai que la sainteté constitue le centre de la vie chrétienne, elle dépasse une vision parfois un peu statique qui est sous-jacente à certains propos de cette étude, par exemple quand elle parle d’« appliquer » (p. 390) le corpus textuaire du Concile.
Michael Quisinsky
Monographies sur la réception du Concile
23. Joachim Schmiedl, Dieses Ende ist eher der Anfang. Die Rezeption des Zweiten Vatikanischen Konzils durch die deutschen Bischöfe (1959-1971). Paderborn, Verlag Ferdinand Schöningh, 2013, 349 p.
Réunis au Concile, les évêques étaient la voix de leurs diocèses, certes de manières très diverses. De retour dans leurs diocèses, ils étaient la voix du Concile, également de manières très diverses. Il est donc tout naturel que le rôle des évêques pour la réception du Concile mérite la plus grande attention. Ceci d’autant plus que les évêques ne sont pas seulement à la tête de leurs diocèses, mais aussi membres d’une conférence épiscopale et, le cas échéant, d’autres structures de collaboration interdiocésaine. À travers les évêques, c’est donc un ensemble de questions centrales qui entre en jeu. Certaines questions sont spécifiques à un diocèse (biographie de l’évêque, histoire du diocèse), d’autres relèvent de questions ecclésiologiques et canoniques (rapport entre évêques diocésains et évêques auxiliaires d’une part et entre Église locale et Église universelle d’autre part). Nous devons à Joachim Schmiedl cet ouvrage qui, à travers les évêques de l’Allemagne de l’Ouest (RFA), constitue une étude de cas exemplaire, tant au niveau méthodologique qu’au niveau proprement théologique. Bien évidemment, le rôle de l’évêque dans un diocèse est d’autant plus prééminent qu’il se manifeste souvent de manière indirecte. C’est pourquoi il est difficile de se limiter à un certain type de documents « officiels » (prédications, Amtsblätter, etc.). En même temps, pareille limitation est incontournable, car il serait illusoire de demander une analyse exhaustive de l’influence directe et indirecte d’un évêque, dont l’action dépend, après tout, de multiples facteurs (collaborateurs, influences théologiques et autres, popularité auprès de ses diocésains) et ne se reflète pas seulement dans des sources écrites souvent difficilement accessibles.
En ce qui concerne la situation spécifique en Allemagne, Schmiedl a parfaitement raison de commencer en 1959 et de s’arrêter en 1971. Or, dès l’annonce du Concile en 1959, on peut observer une réception certes d’abord timide, mais reflétant néanmoins certaines évolutions préconciliaires qui détermineront largement la réception globalement très positive du Concile par les catholiques allemands. Le début du synode commun des diocèses d’Allemagne de l’Ouest (RFA) à Würzbug (1971-1975) sous la présidence du cardinal Julius Döpfner (et avec la présence décisive de son lointain successeur comme président de la conférence épiscopale, le jeune théologien Karl Lehmann) marque un changement qualitatif considérable : il ne s’agit plus des évêques diocésains individuels qui essaient de promouvoir et canaliser (et parfois freiner) la réception du Concile, mais d’une démarche collective de l’épiscopat allemand en entente avec des organismes de laïcs engagés.
Michael Quisinsky
24. Dirk Ansorge, éd., Das Zweite Vatikanische Konzil. Impulse und Perspektiven. Münster, Aschendorff Verlag GmbH & Co. KG (coll. « Frankfurter Theologische Studien », 70), 2013, 473 p.
L’une des premières séries de conférences organisées par les nombreuses facultés de théologie en Allemagne à l’approche du cinquantenaire de Vatican II était celle qui a eu lieu à la Faculté de Francfort (St Georgen) en 2012/2013. Si toutes ces séries de conférences n’ont pas apporté du nouveau aux recherches sur le Concile, ils en ont diffusé et rendu accessible les résultats. En quelque sorte, à travers ces manifestations, de nombreuses facultés germanophones ont vécu une « mise à jour » conciliaire, et beaucoup d’étudiants ont pu être familiarisés avec un Concile qui pour eux fait partie de l’histoire. Aussi, il est très stimulant de lire des analyses de théologiennes et théologiens qui ne sont pas forcément des spécialistes du Concile, mais qui s’y réfèrent dans leurs domaines de spécialisation dont, inversement, les résultats sont parfois négligés par les spécialistes du Concile.
Les textes documentés dans ce volume datent des derniers mois du pontificat de Benoît XVI. Certaines évolutions postérieures n’y figurent donc pas. C’est aussi une preuve que l’historiographie du Concile est elle-même inscrite dans l’histoire. Qu’il suffise de mentionner trois articles dont l’intérêt devrait être particulièrement manifeste pour l’ensemble de la théologie.
Michael Sievernich, s.j., théologien pastoral à Franfort, présente le caractère pastoral du Concile en démontrant comment la réciprocité dialectique entre Église et Monde (GS 40) inscrit résolument la foi dans l’histoire. Une de ses conclusions mérite d’être citée : « Si l’Église élargit ses contextes et les considère de manière constitutive […], de nouvelles solutions peuvent être trouvées pour des vieux problèmes » (p. 19). Thomas Schüller, canoniste à Münster, évalue le rapport entre Concile et Codex dans l’horizon de la question de la continuité et de la discontinuité. Ce faisant, il s’exprime contre une canonistique « correcte », représentée en outre par Georg Bier, dont il examine la thèse désormais célèbre selon laquelle l’évêque ne serait qu’un fonctionnaire du pape. Il s’agit là d’une question herméneutique de première importance et l’article de Schüller présente une contribution majeure au dossier en question. Quant à l’article de Peter Hünermann, il n’est pas nécessaire de présenter l’auteur auquel les recherches sur le Concile doivent tant. Cela dit, ceux qui cherchent dans la multitude de ses écrits un condensé particulièrement instructif peuvent lire ce chef-d’oeuvre qu’est son article sur les « énoncés théologiques centraux du Concile ». La manière dont Hünermann développe ceux-ci en se basant sur la notion de sacramentalité est particulièrement intéressante.
Michael Quisinsky
25. Ansgar Kreutzer, Günther Wassilowsky, éd., Das II. Vatikanische Konzil und die Wissenschaft der Theologie. Frankfurt am Main, Peter Lang AG (coll. « Linzer philosophisch-theologische Beiträge », 28), 2014, 325 p.
Si Dieu est l’objet de la théologie aussi bien avant qu’après le Concile, le statut scientifique de celle-ci a néanmoins vécu de grands changements. La Faculté de théologie de Linz en Autriche a profité des 50 ans de Vatican II pour entreprendre une réflexion sur ces changements et sur la situation et les tâches actuelles de la théologie comme science. Après l’ouverture de Peter Walter (Freiburg im Breisgau), démontrant pourquoi il serait faux d’établir une alternative pure et simple entre continuité et discontinuité, les théologiennes et théologiens de Linz se consacrent à des sujets tels que le changement de paradigme pour la théologie systématique (Hanjo Sauer, Franz Gruber), l’importance des Écritures (Christoph Niemand), le rôle de la conscience humaine au Concile et dans la théologie morale depuis (Michael Rosenberger), ou encore les nouveaux apprentissages de l’éthique sociale rendus possibles grâce au Concile (Ferdinand Reisinger). Plusieurs contributions ont une visée clairement pastorale, mettant ainsi en relief l’interpénétration entre dogme et pastoralité opérée par Vatican II (Hildegard Wustmans, et autres). La conclusion d’Ansgar Kreutzer est une réflexion particulièrement prometteuse, exposant la dimension « performatrice » de Vatican II : à travers le Concile, l’Église s’est modernisée elle-même ainsi que la théologie qui se fait en son sein. On ne peut qu’espérer que les analyses de Kreutzer soient lues et reçues par tous ceux qui s’intéressent à l’herméneutique conciliaire.
Michael Quisinsky
26. Stefan Voges, Konzil, Dialog und Demokratie. Der Weg zur Würzburger Synode 1965-1971. Paderborn, Verlag Ferdinand Schöningh (coll. « Veröffentlichungen der Kommission für Zeitgeschichte - Reihe B : Forschungen »), 2015, 458 p.
Le synode commun des diocèses allemands tenu à Würzburg entre 1971 et 1975 joue un rôle primordial dans l’histoire religieuse de la République Fédérale d’Allemagne. Disons-le d’emblée : c’est certainement grâce à cet événement conciliaire que le catholicisme allemand n’a pas connu une crise comparable à celle qui par exemple a secoué le catholicisme français, si bien documentée par Denis Pelletier, et dont les répercussions se font encore sentir au-delà de la France. Durant quatre ans, le synode commun a réuni les différents acteurs et courants, et au-delà des divergences et tensions, il a réussi à fournir, avec ses documents finaux, un véritable vade-mecum de la réception conciliaire. Certes, le grand public n’a pas suivi en détail les débats à Würzburg comme il avait pu suivre les débats conciliaires quelques années plus tôt, comme le montrent aussi les « Zeitzeugenberichte » récoltés ces dernières années dans plusieurs diocèses allemands. Mais on peut néanmoins dire que le synode, sous la présidence prophétique du cardinal Döpfner, a réuni suffisamment de participants catholiques pour pouvoir équilibrer des tensions et fédérer les différentes attentes. Malgré ce rôle inestimable du synode, ceci ne veut pas dire que les acteurs du synode et ceux qui ont été motivés par ses résultats ont été préservés de lourdes déceptions dans les années suivantes.
L’étude de Voges est consacrée à la préparation de ce synode. Fort bien documentée et s’appuyant sur des sources inédites, elle permet de situer cette préparation dans un panorama instructif du catholicisme allemand, marqué d’une part par des institutions bien enracinées telles que la conférence épiscopale et les « Katholikentage » et, d’autre part, par des groupes résultant de la dynamique conciliaire. Voges démontre comment on a dû trouver un règlement synodal et une « manière de procéder » spécifique qui répondait à l’effervescence palpable un peu partout. Il réussit particulièrement bien à mettre en évidence le rôle des théologiens tels que Karl Rahner, d’une part, et les attentes d’un public plus large, d’autre part, représenté par un grand sondage effectué à la veille du synode. Une des grandes questions sous-jacentes est celle de l’articulation entre le « dogme » et la « pastorale », réinterprétant par cette articulation même la signification des deux dimensions. Des regards vers les pays voisins, notamment les Pays-Bas, et des réflexions théologiques font de cette étude un outil incontournable pour comprendre l’importance de cet événement exceptionnel qui, il faut le répéter, marque le catholicisme allemand au plus haut point.
Michael Quisinsky
27. Herbert Haslinger, Gemeinde - Kirche am Ort. Impulse des Zweiten Vatikanischen Konzils. Paderborn, Bonifatius GmbH, 2015, 212 p.
La paroisse a-t-elle été oubliée par le Concile ? Certains le pensent. Ceci dit, lors du Concile, le rôle prépondérant de la paroisse pour la vie chrétienne allait quasiment de soi. Cela n’est plus le cas aujourd’hui, la vie chrétienne s’étant diversifiée et la paroisse, pour des raisons ecclésiologiques et sociologiques, traversant une crise profonde. Même par ceux qui se réclament de Vatican II, la paroisse est aujourd’hui parfois dénigrée de différentes manières. Alors est-ce que le Concile pourrait aider à trouver des pistes pour sortir de cette crise multiforme ? La réponse de Herbert Haslinger, professeur de théologie pastorale à Paderborn, est clairement affirmative. Plus encore, Haslinger semble dire que c’est précisément le Concile qui est la clé pour sortir de la crise actuelle.
Tout d’abord, une remarque terminologique s’impose. Pour plusieurs raisons, après le Concile, le mot allemand Gemeinde, qui n’est pas identique au mot français « communauté », a partiellement remplacé celui de « paroisse » (pour la difficulté de la terminologie, voir p. 66-71). Si donc Gemeinde est au centre de ce livre et non pas « paroisse », ce sont les discussions autour de cette dernière qui sont, en fin de compte, visées par les propos de Haslinger. Malgré ses limites évidentes, la paroisse est et reste l’auto-obligation indispensable de l’Église de se rendre présente dans un territoire concret (pas trop grand, pour être précis) — et, surtout, au service d’un territoire concret au-delà d’un cercle de pratiquants et initiés. Haslinger fournit un plaidoyer fulgurant pour cette Église « vor Ort » et attachée à un territoire. Ce faisant, il critique les différentes formes d’une exagération de l’idée de Gemeinde dans les décennies postconciliaires aussi bien qu’une dépréciation de plus en plus à la mode aujourd’hui d’éléments fondateurs de la paroisse comme celui de la territorialité. En effet, les exagérations comme les dépréciations en question favorisent le risque de devenir un « petit troupeau » qui se désintéresse de son environnement. Face à ces tendances qui méconnaissent le génie propre de la paroisse, Haslinger met en relief le potentiel spécifique de l’institutionnalisation qui la caractérise, sans bien évidemment isoler celle-ci d’autres formes de vie ecclésiale. Bien entendu, ce n’est qu’une certaine attitude qui est capable de soulever ce potentiel et de le transformer en « service pour le monde », ce qui est d’après Haslinger la véritable mission de l’Église.
Si Haslinger décrit le défi pour toute communauté chrétienne « sur place » (et donc pour un lieu et à son service), il le fait en se basant explicitement sur Vatican II (voir notamment le chapitre II qui fournit une interprétation très dense des documents conciliaires) et en mettant en relief tout particulièrement l’idée de l’Église comme sacrement.
Pour des raisons sans doute assez divergentes, tous ne seront certainement pas d’accord avec toutes les conclusions de Haslinger et, malgré une terminologie semblable, l’évolution factuelle dans plusieurs diocèses ne va pas dans le sens esquissé dans ce livre. Quoi qu’il en soit, le défi lancé par Haslinger — dont l’ecclésiologie ressemble d’ailleurs à celle du pape François — à ceux qui n’accordent pas la même importance à la paroisse est énorme. Car s’il est facile de démontrer les limites actuelles des paroisses réelles, il ne suffit pas de vouloir remplacer celles-ci par des formes de communautés idéalisées ou, pire encore, imaginaires. Au contraire, la question de savoir comment les intuitions chrétiennes peuvent prendre forme, sur le terrain, de manière institutionnelle, devrait être une des questions centrales pour la suite du chemin de l’Église à travers le temps. Dans la multitude des réflexions sur l’avenir des communautés et paroisses, ce livre bénéfique et désormais incontournable a le mérite de développer, à la hauteur de la situation actuelle tout en la transcendant, une théologie profondément conciliaire de la paroisse et des communautés chrétiennes au service du monde.
Michael Quisinsky
28. Margit Eckholt, An die Peripherie gehen. In den Spuren des armen Jesus - Vom Zweiten Vatikanum zu Papst Franziskus. Mainz, Matthias Grünewald Verlag, 2015, 342 p.
Les liens entre l’Allemagne et l’Amérique latine sont forts. À travers « Adveniat », les catholiques allemands soutiennent dès avant le Concile les chrétiens latino-américains, et les jumelages entre beaucoup de diocèses allemands et des pays latino-américains depuis les années 1950 n’ont fait qu’élargir la base de l’intérêt réciproque. Puisque les Églises locales d’Amérique latine ont joué un rôle prépondérant dans la réception de Vatican II, la théologie germanophone s’y est toujours intéressée de près. Margit Eckholt, professeure de théologie à Osnabrück, peut prendre en quelque sorte le relais de Bernhard Welte et de Peter Hünermann quand il s’agit d’exploiter la richesse de la pensée catholique latino-américaine dans une perspective européenne et plus exactement germanophone. Elle rassemble plusieurs contributions dans ce volume qui est devenu une monographie de première classe.
Dans une première partie, E. analyse Vatican II comme base ecclésiologique de la pensée catholique latino-américaine, se référant d’ailleurs au mot célèbre de Karl Rahner selon lequel Vatican II a fait de l’Église catholique une Église mondiale. Dans une deuxième partie, elle démontre comment la coïncidence entre les 50 ans de Vatican II et le pontificat du pape François peuvent inaugurer une nouvelle qualité de cette dimension mondiale de l’Église. Exploitant résolument les perspectives ouvertes par le pape François, Eckholt expose l’intérêt qu’a la théologie de saisir le kairos du pontificat actuel. La troisième partie s’efforce de démontrer comment, concrètement, l’appel du premier pape latino-américain à aller vers les « périphéries » peut élargir notre regard sur les évolutions en Amérique latine et la réception possible en Europe des multiples et multiformes découvertes théologiques qui l’accompagne.
Ce livre est d’une exemplarité remarquable quand il s’agit, dans une Église mondiale, d’apprendre les uns des autres. C’est une condition incontournable pour la catholicité vécue au quotidien. Cela dit, on peut avoir parfois l’impression qu’il y a, chez les théologiens allemands, une certaine tendance à avoir un regard romantique sur d’autres Églises locales — l’herbe est toujours plus verte chez les autres… Non seulement ce n’est pas le cas chez Margit Eckholt, mais plus encore elle démontre, et de manière fondamentale, comment on peut éviter tous les pièges de ce style. Ce faisant, elle articule de manière heureuse les enjeux et découvertes des différentes régions tout en fournissant des réflexions pertinentes sur les « dynamiques interculturelles » (p. 317). À l’heure d’une « mondialisation » de la théologie, ces fondements d’une théologie à la fois universelle et concrète sont on ne peut plus précieux et c’est pourquoi on souhaite vivement que ce livre soit traduit dans d’autres langues.
Michael Quisinsky
29. Marcel Lefebvre, Écône, chaire de vérité. Sermons. Riddes, Éditions IRIS, 2015, 1 102 p.
Les Éditions IRIS du séminaire d’Écône ont publié, en 2015, un recueil très utile aux chercheurs qui travaillent sur la réception du concile Vatican II par les catholiques traditionalistes, puisqu’il comprend l’intégralité des homélies prononcées au séminaire d’Écône par Mgr Marcel Lefebvre, soit 214 sermons prêchés entre 1971 et 1990. À ceux-ci, il faut ajouter 3 « sermons historiques » prononcés par le fondateur de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X : à Lille le 29 août 1976 ; à l’occasion de son jubilé d’or sacerdotal le 23 septembre 1979 ; et pour ses 60 ans de prêtrise au Bourget le 19 novembre 1989. En outre, l’ouvrage contient le texte de l’homélie prononcée par l’abbé Franz Schmidberger, alors supérieur général de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, lors des funérailles de Mgr Lefebvre le 2 avril 1991.
À ce contenu, les éditeurs ont ajouté neuf tables et index très précieux : I. Références scripturaires ; II. Références magistérielles ; III. Références liturgiques ; IV. Calendrier liturgique ; V. Références à saint Benoît et saint Thomas ; VI. Table toponymique ; VII. Table onomastique ; VIII. Index analytique ; IX. Table chronologique. Cette dernière est accompagnée d’indications thématiques donnant des renseignements sur le contenu de chaque sermon. Malgré ce riche apparat savant, un élément de première importance manque à l’ouvrage : un texte introductif présentant les choix éditoriaux, les règles qui ont guidé la transcription de sermons oraux, ainsi que les principes qui ont été retenus dans la ponctuation et la syntaxe des phrases. Espérons qu’une éventuelle réédition donne ces renseignements essentiels.
Philippe Roy-Lysencourt
30. Benedikt J. Michal, Die Kirche als « Mysterium ». Eine analytische und synthetische Lektüre des Zweiten Vatikanischen Konzils. St. Ottilien, EOS Verlag (coll. « Münchener Theologische Studien - II. Systematische Abteilung », 76), 2016, 444 p.
Un corpus textuaire aussi grand que celui de Vatican II pose automatiquement un problème herméneutique : comment résumer une richesse si grande ? Un procédé courant et nécessaire est de recourir à des mots ou concepts-clés qui permettent de systématiser une complexité qui pourtant dépasse toute systématisation. Benedikt J. Michal propose une lecture analytique et synthétique de Vatican II en partant de la notion d’Église comme « mystère ».
L’auteur procède en quatre chapitres. Le premier chapitre décrit la notion de mystère avant Vatican II, c’est-à-dire depuis Vatican I. Dans un deuxième chapitre, Michal analyse la notion de mystère dans Lumen Gentium. Le troisième chapitre propose une base pour une ecclésiologie conciliaire, et le quatrième chapitre esquisse une ecclésiologie du mystère.
Recourir à une seule notion comme clé herméneutique nécessite une mise en contexte de cette notion. C’est ce que fait l’auteur de différentes manières. Ainsi, il saisit la grande richesse de la notion de mystère. Ceci dit, ce procédé risque d’en rester à une juxtaposition des différents aspects. Michal voit ce danger et insiste en outre sur l’interconnexion des différentes utilisations de la notion de mystère dans le corpus textuaire de Vatican II, mais aussi dans le rapport de celui-ci avec Vatican I (voir par exemple p. 321-323 : c’est Vatican II qui affirme que Vatican I fait partie de la Tradition tout en l’intégrant dans une vision plus large) ; c’est encore l’intérêt d’un schéma graphique (p. 326) et de l’énumération de cent « pierres de construction » (p. 328-335).
Cette étude a le mérite incontestable d’exploiter la richesse d’une notion certes difficile, mais essentielle pour la compréhension de l’Église. Reste à savoir quelles conclusions en tirer et comment les contextualiser. Ainsi, pour donner un exemple en matière de conclusions, la notion de mystère peut effectivement désamorcer des conflits autour de différentes positions tenues à Vatican II (p. 349) et ce n’est pas la moindre tâche de toute herméneutique conciliaire. Ceci dit, comme dans le cas de toutes les positions théologiques, et comme dans celui de chaque document conciliaire, il ne faut pas sous-estimer l’impact du processus conciliaire et de ses conséquences pour l’herméneutique qui reste, en fin de compte, pluri-optionnel. En ce qui concerne la contextualisation, il est certes vrai que la notion de mystère doit être redécouverte. Mais elle n’est pas la seule notion mise en valeur par Vatican II. Michal propose par exemple de mettre en rapport les notions de mystère et de sacrement, ce qui est très stimulant. Mais faut-il faire une sorte de concours pour déterminer laquelle des notions est, en fin de compte, la plus importante, ou ne faut-il pas plutôt exploiter, dans une herméneutique prenant aussi en considération le regard venant du monde auquel s’adresse le Concile, la diversité des notions et images, comme Michal le fait lui-même quand il termine sa thèse avec une comparaison entre l’échelle de Jacob et le mystère de l’Église ? C’est donc une vraie question que pose cette thèse : comment gérer une diversité légitime de notions-clés et, surtout, comment gérer une diversité également légitime d’implications et les conséquences herméneutiques qui les accompagnent ?
Michael Quisinsky
31. Benedikt Hampel, Geist des Konzils oder Geist von 1968 ? Katholische Studentengemeinden im geteilten Deutschland der 1960er Jahre. Münster, LIT Verlag (coll. « Historia profana et ecclesiastica », 20), 2017, 488 p.
Cette thèse en sciences historiques examine les changements survenus dans les années 1960 au niveau des paroisses universitaires. Méthodologiquement, il s’agit d’un double croisement : celui entre les répercussions du Concile et de « 1968 » d’une part, et celui entre la RFA et RDA d’autre part. Ce dernier point est particulièrement important, car tandis que les idées communistes et marxistes ont pu attirer des jeunes en Allemagne de l’Ouest à la recherche d’une forme de société alternative, la situation de leurs compatriotes à l’est était exactement l’inverse et il fallait résister à une domination de la part du régime communiste.
Richement documentée, cette étude démontre la complexité des évolutions au sein de l’Église et au sein de la société, dont on peut retenir qu’un des points névralgiques est le rôle grandissant attribué à l’individu, sa subjectivité et sa conscience. Cela implique un nouveau rapport à l’autorité et à l’histoire dont on se sent acteur. Certes, tous les étudiants n’étaient pas impliqués de manière directe dans ces évolutions et l’un des mérites de cette étude est de démontrer comment certaines idées générales qui étaient « dans l’air » se sont manifestées de manière concrète, avec toutes les nuances que cela implique.
Après la lecture de ce livre, on peut retenir que la question posée dans le titre est en quelque sorte dépassée : Il n’y a pas de réception du Concile en dehors de son contexte historique. Les changements de société des années 1960 étaient brusques, même s’ils venaient de loin. Le Concile a rendu possible de réagir et d’agir, même si toutes les réactions et actions n’ont pas été fructueuses. Dans ce sens-là, il n’y a pas d’« esprit du Concile ou esprit de 1968 », mais des tentatives d’être chrétien à un moment donné de l’histoire.
Michael Quisinsky
32. Thomas Meckel, Konzil und Kodex. Zur Hermeneutik des Kirchenrechts am Beispiel der christifideles laici. Paderborn, Verlag Ferdinand Schöningh, 2017, 289 p.
Dès l’annonce du Concile, le pape Jean XXIII a évoqué l’importance de l’aggiornamento du droit canonique. En promulguant le nouveau CIC, le pape Jean-Paul II n’a cependant déclaré qu’au conditionnel que celui-ci « pourrait être » considéré comme dernier document du Concile (voir p. 50). Selon Thomas Meckel, professeur de droit canonique à Francfort (Faculté de St. Georgen), il s’agit là d’une nuance de taille, établissant un rapport interdépendant entre le Concile et le Codex. Celui-ci serait d’ailleurs, comme il le précise avec Klaus Lüdicke, en quelque sorte l’« avant-dernier » document du Concile (p. 56). Le fait suivant le démontre : l’étude de Meckel entre dans le vif du sujet de l’herméneutique conciliaire. Il prend clairement position contre une « canonistique correcte » représentée par exemple par Norbert Lüdecke et Georg Bier, car celle-ci ne serait pas capable de saisir ni le proprium du Concile ni celui du Codex ni leur interdépendance réciproque. En revanche, Meckel argumente en faveur d’un droit canonique inscrit dans l’histoire au service de la mission pastorale de l’Église telle que le Concile l’a conçue.
En fait, Meckel développe, à travers l’exemple des christifideles laici, une herméneutique fondamentale du droit canonique. Inscrivant cette question dans le temps long — en analysant des moments-clés comme le CIC de 1917, l’Action Catholique, l’Encyclique Mystici Corporis etc. —, il parvient à démontrer que les fondements théologiques du CIC de 1983 (dont la dignité baptismale de tous les christifideles) ne sont pas les mêmes que ceux du CIC de 1917 (notamment l’idée d’une societas perfecta). Non seulement cela rend impossible d’interpréter le CIC de 1983 de la même manière que celui de 1917 (ce que ferait la « canonistique correcte »), mais encore cela permet d’exploiter de nouvelles pistes dans la vie ecclésiale, comme Meckel le montre à partir du contexte pastoral allemand dans lequel des ministères non ordonnés jouent un rôle grandissant.
Résolument conciliaire et résolument canoniste, ce livre permet de réinscrire le droit canonique dans l’ensemble de l’Église, montrant à la fois le rôle théologiquement incontournable du droit canonique et sa capacité à évoluer. Cumulant profondeur théologique, sensibilité historique et clairvoyance pastorale, il permet de réorienter certains débats des dernières années dont on pourrait presque penser qu’à force de décrire des trajectoires à sens unique ils ont mené vers des voies sans issue.
Michael Quisinsky
33. Giovanni Cavalcoli, Karl Rahner. Il Concilio tradito. Verona, Fede & Cultura, 2017, 357 p.
Une des questions les plus importantes qui s’est posée après le concile Vatican II a été celle de sa juste interprétation pour une application adéquate. Durant cette période, les papes et la Congrégation pour la Doctrine de la Foi ont fait un grand nombre d’interventions dans lesquelles ils exhortaient les catholiques à interpréter le Concile conformément au Magistère de l’Église. Par ailleurs, l’histoire des conciles nous apprend qu’après chaque événement conciliaire des problèmes liés à ce même concile surgissent, même si celui-ci n’avait pas l’intention de les provoquer. Parmi les grands théologiens qui ont cherché à interpréter Vatican II se trouve Karl Rahner. Le but de ce livre est non seulement d’offrir une présentation globale de la pensée de Rahner — laquelle est riche de nombreux thèmes, notamment dans la période pré-conciliaire, ce qui, d’ailleurs, l’a amené à être expert au Concile —, mais aussi d’exposer de manière critique certains aspects de sa réflexion. Après avoir abordé le problème gnoséologique dans le premier chapitre, l’auteur se concentre sur les thèmes de la transcendance de Dieu dans le deuxième, de l’anthropologie dans le troisième, de la christologie dans le quatrième et de la vie chrétienne dans le cinquième.
Le mérite du travail de Cavalcoli est d’avoir mis en lumière l’impact de la pensée de Rahner sur le Concile. Toutefois, on peut déplorer des faiblesses, notamment en ce qui concerne la relation du théologien allemand avec d’autres théologiens importants qui, avec lui, ont joué un grand rôle dans l’évolution des thèmes discutés au Concile.
Emanuele Avallone
34. Christoph Theobald, L’avvenire del Concilio. Nuovi approcci al Vaticano II. Bologna, Edizioni Dehoniane Bologna, 2016, 240 p.
Après la publication du volume La réception du concile Vatican II. 1 : Accéder à la source (2009), le volume suivant se propose de développer une nouvelle réflexion sur le concile Vatican II, en présentant non seulement une approche globale de la réception de l’événement conciliaire, mais aussi et surtout une perspective théologique. L’ouvrage tente de replacer le concile Vatican II dans la tradition considérée dans sa globalité oecuménique et de voir quel rapport le Concile entretient avec elle. L’ouvrage est divisé en deux parties pour refléter les deux faces inséparables d’une même réalité ou d’un même mouvement de radicalisation, dans le sens d’un accès à la racine.
Dans la première partie, les considérations herméneutiques aident à lire le corpus conciliaire dans son unité stylistique, totalement déterminée par l’entrée de l’histoire dans la structure normative du catholicisme. L’enjeu est d’élaborer des critères de réception post-conciliaire dans le grand processus d’apprentissage historique qui nous entoure et nous implique, en prenant en considération son déroulement effectif. C’est le concept de « tradition » qui est engagé dans ce processus et ces critères, jusqu’à l’hypothèse d’une « grammaire générative » des rapports constitutifs existants entre l’Évangile, la société et l’Église.
Dans la deuxième partie, l’auteur reviendra sur les principaux textes du Concile, essentiellement, mais pas exclusivement, sur les constitutions, en les traitant dans une perspective rigoureusement intertextuelle, précisément pour en saisir la vision globale, dont il faut évaluer la pertinence en fonction des nouveaux problèmes d’aujourd’hui. Ainsi, les potentialités de Dei Verbum et Gaudium et Spes se révèlent à la lumière des réceptions germanophones et francophones de la théologie des « signes des temps ».
Le volume trace donc un parcours intéressant pour entrer dans une nouvelle phase de réception du Concile, afin d’en faire ressortir le potentiel, tout en tenant compte du contexte transculturel et des racines concrètes de nos existences.
Emanuele Avallone
35. Piero Coda, Il Concilio della Misericordia. Sui sentieri del Vaticano II. Roma, Città Nuova Gruppo Editoriale C.A., 2015, 248 p.
La célébration du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde décrété par le pape François et le cinquantième anniversaire de la clôture de Vatican II forment le contexte et expriment l’actualité de ce volume : une bonne occasion d’évaluer si et dans quelle mesure l’Église catholique a été façonnée par la conscience prophétique de son identité et de sa mission exposées au Concile. Il rassemble en effet une série d’essais et de conférences sur l’événement conciliaire, ses documents et ses perspectives qui en décrivent encore l’actualité en adéquation avec le magistère du pape François, en entrant au coeur du débat sur l’herméneutique de Vatican II et les moyens concrets d’actualiser son message. Le profil esquissé fait ressortir que l’annonce de l’Évangile ne peut manquer de croiser, dans un esprit d’écoute, de dialogue et de convivialité, les pensées et les intentions de paix, de fraternité et de justice qui fleurissent partout dans le but de faire émerger cette révolution spirituelle et culturelle réellement en mesure de promouvoir les nouveaux paradigmes de pensée et de pratique que notre époque réclame sans plus tarder.
Le texte est divisé en quatre parties. Il s’ouvre par un essai dans lequel l’auteur présente une clé de lecture de l’événement conciliaire. Cette prémisse herméneutique est le point de départ de la première partie du volume, qui contient des essais à caractère ecclésiologique. Dans la deuxième partie, l’attention se porte sur la Parole de Dieu qui « s’est faite chair » (Jn 1,14), et sur la façon dont elle est entrée radicalement dans l’expérience de l’humanité, au point d’« in-former » l’existence humaine à la vie divine. La troisième partie rassemble quelques articles sur la réponse de l’humanité à Dieu dans le Christ, une réponse qui tisse de nouveaux liens entre les hommes en rapport avec les différentes cultures et les dialogues oecuménique et interreligieux. La quatrième et dernière partie souligne non seulement la valeur de la théologie par rapport à Vatican II et aux kairos du contexte actuel, mais aussi la théo-logique qui se dégage de l’événement conciliaire. La dernière contribution proposée se distingue des précédentes par son genre littéraire : il s’agit d’une interview, réalisée en mars 2014 à l’occasion d’un congrès d’études sur Vatican II. On voit se dessiner, sous forme autobiographique, le « style de théologie » que Vatican II a forgé dans l’expérience d’étude, d’enseignement et de service ecclésial et culturel de la personne interrogée. Un regard pertinent sur le vécu qui accompagne et inspire le magistère théologique.
Emanuele Avallone
36. Georg Pahlke, éd., Aufbruch im Umbruch. Das Zweite Vatikanische Konzil und das Erzbistum Paderborn. Paderborn, Bonifatius GmbH, 2017, 347 p.
Les études sur la réception de Vatican II dans une Église locale sont révélatrices pour la compréhension de Vatican II au niveau de l’Église universelle. C’est ce que montre parfaitement ce volume sur l’archidiocèse de Paderborn dont l’excellente introduction par Hans Jürgen Brandt et Karl Hengst donne une vue d’ensemble très suggestive.
Réputé être une région profondément catholique, l’archidiocèse de Paderborn, dont l’archevêque au moment du Concile, Lorenz Jaeger, fut un des pionniers de l’oecuménisme, a certes des particularités. Néanmoins, certaines évolutions sont — mutatis mutandis — révélatrices et représentatives d’autres diocèses allemands. Cela est notamment vrai pour la réforme liturgique, elle-même emblématique du vécu de toute une génération de catholiques qui ont préparé Vatican II et accompagné les premiers pas de sa réception (voir la contribution de Jürgen Bärsch et aussi celle d’Erika Heitmeyer et Maria Kahle sur les recueils de chants, les Gesangbücher étant en Allemagne un outil d’inculturation pluriséculaire dont le rôle est difficile à surestimer). Comme dans d’autres régions allemandes, l’afflux de réfugiés catholiques venant des anciennes régions allemandes devenues polonaises (notamment la Silésie) a rendu nécessaire la construction de nouvelles églises (voir la contribution d’Emanuale von Branca, Stéphanie Lieb et Heinrich Otten). Leur architecture est révélatrice autant des changements ecclésiologiques et sociologiques que des idées pastorales de l’époque qui ont mené à la fondation de nouvelles paroisses. Mais ce sont surtout les parcours de vie des chrétiens qui témoignent du rôle spirituel de Vatican II. La contribution de l’abbé Werner König est un de ces témoignages de « Zeitzeugen » qui ont désormais leur droit de cité dans l’historiographie du Concile au niveau des diocèses, et elle est bien complétée par la contribution de Konrad Schmidt sur l’ensemble des prêtres, leur formation, leurs crises — et leurs départs. Gerhard Krombusch se consacre au locus theologicus parfois un peu délaissé qu’est l’école publique avec ses cours de religion, secondé par Franz Hucht et ses analyses de la pastorale des jeunes.
Certes, les données statistiques présentées par Arnold Otto donnent à réfléchir, mais elles ne représentent que la surface de mutations très profondes, dont les raisons et conséquences, mais aussi les enjeux et les potentiels, commencent à peine à être découverts.
Michael Quisinsky
37. Georg Bergner, Volk Gottes. Entstehung, Rezeption und Aktualität einer ekklesiologischen Leitmetapher. Würzburg, Echter Verlag GmbH (coll. « Bonner Dogmatische Studien », 58), 2018, 580 p.
Si Vatican II a sans aucun doute mis en valeur la « métaphore ecclésiologique » du peuple de Dieu, nous devons à cette thèse soutenue à Bonn par Georg Bergner une mise en contexte prenant en considération aussi bien des préparations même lointaines du Concile que sa réception, pour cette métaphore reprise ensuite lors du synode extraordinaire de 1985 et désormais par le pape François. Une première grande partie analyse le terme « peuple de Dieu » comme centre de l’ecclésiologie de Vatican II, résumant d’abord son rôle au sein de l’essor ecclésiologique du xxe siècle puis son rôle dans la constitution Lumen Gentium, et poursuivant avec une analyse des réflexions d’Yves Congar, de Karl Rahner et de Hans Küng vers la fin du Concile et pendant l’immédiat après-Concile. Une deuxième partie sur la réception du terme « peuple de Dieu » dans les débats centraux de l’après-Concile est également composée de trois chapitres : d’abord, Bergner analyse les débats dans l’ancienne RFA où de nombreux catholiques ont oeuvré pour une démocratisation de l’Église ; ensuite, il examine le rôle de ce terme dans la théologie de la libération. On peut lire ces deux chapitres dans une approche comparatiste. Quant au chapitre suivant, il est consacré à la relation entre le judaïsme et le christianisme, défiant finalement l’ensemble de la théologie chrétienne. La troisième grande partie traite des perspectives actuelles du terme « peuple de Dieu ». C’est ici que, dans un premier chapitre, Bergner analyse le synode de 1985. Dans un tout autre contexte, le terme joue actuellement un rôle majeur dans les discussions actuelles concernant la pastorale contemporaine en Allemagne, ce qui est traité dans le chapitre suivant. Enfin, une vue d’ensemble de la théologie du peuple de Dieu selon le pape François ouvre des perspectives d’avenir. Une conclusion résume fort bien les résultats de cette thèse bien documentée.
Certes, le sujet est si vaste qu’on peut se poser des questions, par exemple celle de savoir pourquoi l’auteur, dans le premier chapitre de la troisième partie, ne s’intéresse pas plus au synode commun des diocèses allemands à Würzburg. En revanche, on peut être d’avis que sa méthodologie, pesant les pour et les contre par exemple des différentes prises de position lors du synode de 1985 (que l’auteur interprète fort bien comme « déjà vues » lors des débats conciliaires tout en analysant la suite de ces débats jusqu’au synode extraordinaire et au-delà), permet de sortir de certaines impasses dans les discussions entre plusieurs herméneutiques conciliaires. Le potentiel créatif de cette méthodologie est annoncé dans un des résultats majeurs de cette étude, selon lequel on ne peut comprendre le terme « peuple de Dieu » que dans son rapport à la notion d’Église comme sacrement.
Michael Quisinsky
38. Marin M. Lintner, Cinquant’anni di Humanae Vitae. Fine di un conflitto - riscoperta di un messaggio. Brescia, Queriniana Editrice, 2018, 176 p.
L’étude de Martin M. Lintner a été publiée pour le 25 juillet 2018, cinquantenaire de la publication d’Humanae Vitae, l’encyclique de Paul VI sur la procréation. Ce document pontifical a longtemps suscité de nombreuses controverses. On sait bien que plusieurs époux et certains théologiens sont convaincus que la décision de Paul VI concernant les méthodes de régulation des naissances était une mauvaise décision. C’est ainsi qu’émerge le doute : si la majorité des croyants n’a toujours pas trouvé de consensus sur cette question, ce n’est pas un signal clair, selon le sensus fidei du peuple de Dieu, dans le sens d’une remise en cause doctrinale. Le « drame » d’Humanae Vitae réside en partie dans le fait qu’immédiatement après sa publication, elle ait été qualifiée d’« encyclique de la pilule » et réduite, par conséquent, à une interdiction des méthodes non naturelles de contrôle des naissances. Le pape François, à la suite des rapports finaux des synodes des évêques de 2014 et 2015 sur la famille, a écrit en 2016 dans son exhortation apostolique post-synodale Amoris laetitia : « Il faut redécouvrir le message de l’encyclique Humanae Vitae de Paul VI, qui souligne le besoin de respecter la dignité de la personne dans l’évaluation morale des méthodes de régulation des naissances » (no 82).
Ce volume, traduit de l’allemand par Antonio Staude, passe en revue la genèse et les développements de l’encyclique. Il étudie les troubles que suscita le débat animé sur le mariage lors de la dernière session de Vatican II, examine de manière critique comment l’encyclique Humanae Vitae a intégré Gaudium et Spes et se penche également sur la façon dont elle a été reçue par les papes, après Paul VI.
Le texte est divisé en trois parties. La première retrace les différents événements historiques qui ont mené à la publication de ce document magistériel. La deuxième partie relate la réception de l’encyclique en partant des premières réactions et prises de position des trente-huit conférences épiscopales du monde entier, en particulier de celles d’Italie, d’Allemagne, d’Autriche et de Belgique. Il accorde une attention particulière à Jean-Paul II, ferme défenseur du document, qui aurait, selon l’auteur, laissé entendre que le texte manquait de fondement biblique et anthropologique. Enfin, la troisième partie propose d’abord une réflexion critique sur les formes d’argumentation employées dans Humanae Vitae et par Jean-Paul II, contre la régulation artificielle des naissances : il se demande si elles sont suffisamment convaincantes pour motiver une interdiction catégorique de ces méthodes, pour finalement conclure en saisissant le défi lancé récemment par Amoris laetitia, dans lequel le pontife demande précisément de redécouvrir le message d’Humanae Vitae.
Emanuele Avallone
39. Paweł Stanisław Gałuszka, Karol Wojtyła e Humanae Vitae. Il contributo dell’arcivescovo di Cracovia e del gruppo di teologi polacchi all’enciclica di Paolo VI. Siena, Edizioni Cantagalli S.r.l., 2017, 552 p.
Le volume de Gałuszka correspond à sa thèse de doctorat soutenue en 2016 à l’Institut pontifical Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille à Rome et a été imprimé à l’occasion du 50e anniversaire de la publication d’Humanae Vitae. Cette encyclique est toujours l’objet d’un vif débat théologique et pastoral et constitue encore un point sensible dans la vie de l’Église catholique. Il suffit de voir la discussion qu’elle suscita entre 2014 et 2015, entre les deux synodes sur la famille. Réagissant aux assertions de l’Instrumentum laboris préparé pour la XIVe Assemblée Ordinaire du Synode des Évêques, qui au § 137 remettait en question le caractère contraignant de la norme enseignée au no 14 du document paulinien, un groupe important, au niveau international, de théologiens et philosophes catholiques experts en morale, présidé par David S. Crawford et Stephan M. Kampowski, publia dans le First Things du 10 septembre 2015 un « Appeal. Recalling the Teaching of Humanae Vitae (and Veritatis Splendor) ». L’appel eut du succès et en incita beaucoup à redécouvrir l’encyclique, avant que son enseignement soit confirmé par l’exhortation apostolique du pape François, Amoris laetitia (nos 80-82).
L’étude s’appuie également sur une interview de 2016 avec Peter Seewald, dans laquelle le pape émérite Benoît XVI révélait : « Humanae Vitae a été un texte problématique pour moi, dans la situation et le contexte de la pensée théologique où je me trouvais alors. Elle contient des éléments tout à fait valables, évidemment, mais son mode d’argumentation n’était pas satisfaisant pour nous, pour moi, à l’époque. Je recherchais une vision anthropologique de plus grande ampleur. Et en effet, le pape Jean-Paul II a ensuite complété l’orientation de droit naturel de l’encyclique par une vision personnaliste ». C’est, sur le sujet, une contribution très précieuse et sans précédent. Il y étudie la contribution que l’archevêque de Cracovie et ses collaborateurs ont alors offerte au pape Montini, pour la préparation de l’encyclique, en étudiant non seulement les sources jusqu’alors accessibles uniquement en polonais et pas encore suffisamment étudiées, mais aussi en examinant des documents jusqu’alors inédits, conservés dans les archives du diocèse de Cracovie, comme l’échange épistolaire du métropolite polonais avec Paul VI, incluant notamment une lettre qui propose un projet d’application pastorale du texte magistériel.
La méthode de travail adoptée allie recherche historique et réflexion théologique, soin analytique et exégétique et vision synthétique. L’auteur partage son étude en quatre parties : dans la première, il expose le contexte de la discussion théologique morale polonaise qui précéda l’encyclique, en se concentrant plus particulièrement sur deux grandes personnalités, J. Woroniecki et Z. Kozubski, et sur les efforts continus de renouvellement de la pastorale familiale. De cette façon, il situe la pensée et l’activité de Karol Wojtyła dans son environnement et dans sa période de maturation, ce qui permet de mieux en apprécier l’inspiration et l’originalité. Il montre une proposition de théologie morale en Pologne qui cherchait à sortir du schéma naturaliste et des difficultés qu’il soulevait. Comme on peut le voir surtout dans Kozubski, ces difficultés provenaient surtout d’une manière excessive de lier la loi naturelle au biologisme, qui tendait à superposer aux valeurs personnelles les processus inhérents à la nature biologique. Les manuels d’éthique de la vie sexuelle, préparés selon ce modèle, se concentraient plutôt sur les aspects physiologiques de la sexualité et non sur les questions portant sur la vie morale dans son ensemble. La contribution de Wojtyła consistera en un développement progressif du sujet de l’éthique de la vie conjugale dans la pastorale, une émergence rapide de nouveaux problèmes éthiques de la vie sexuelle des conjoints et la collaboration des pasteurs avec le monde médical.
Dans la deuxième partie, la recherche offre un panorama des études du jeune prêtre, professeur à Lublin, et de l’évêque toujours en contact avec les familles, montrant que sa participation active aux travaux du concile Vatican II fut importante dans la maturation de sa pensée anthropologique et éthique. Cela permettra de mesurer combien la collaboration ultérieure de Wojtyła et de Paul VI, dans la rédaction du document pré-annoncé par Gaudium et Spes sur les principes moraux de la transmission de la vie humaine, est le fruit de l’archevêque de Cracovie.
La troisième partie est le coeur de la thèse et présente une étude précise du « Mémorial », c’est-à-dire de la contribution spécifique offerte par Wojtyła et ses collaborateurs de Cracovie à la préparation de ce texte magistériel décisif de Paul VI. Ce document préfigure les contenus que l’on trouvera plus tard dans d’autres textes préparés après la publication d’Humanae Vitae : la Lettre à Paul VI, les projets de l’Instruction spéciale et l’Introduction à l’encyclique « Humanae Vitae ». Il analyse également les publications dans lesquelles le prêtre, puis l’évêque Wojtyła a approfondi les questions portant sur « l’amour authentique » à la lumière de la personne et de sa vocation à être un « don gratuit ». C’est sur cette base que se formèrent les premiers articles scientifiques et populaires du futur pape, dont le célèbre livre Amour et responsabilité de 1960, mais aussi ses discours ultérieurs lors du Concile. À ces textes s’ajoutent aussi d’autres contributions de Wojtyła et de son entourage publiées dans le cadre de la parution d’Humanae Vitae. Le dossier documentant la collaboration active du cardinal polonais avec Paul VI, conservé dans les archives de la Curie métropolitaine de Cracovie, constituera une source exceptionnelle.
La quatrième et dernière partie est consacrée à la réception d’Humanae Vitae dans le milieu polonais.
Cette recherche a le mérite de montrer quelle était, sur la question de la contraception, la position de l’Église catholique et du milieu intellectuel polonais, désireux d’apporter des réponses concrètes et conformes à l’éthique de la vie conjugale. Cette étude, partant du personnalisme éthique de Vatican II, à travers une série de questions détaillées sur l’éthique de la vie conjugale, propose pas à pas une conception toujours plus intégrale de la personne, tracée par Paul VI dans l’encyclique Humanae Vitae, et qui met l’accent sur la vision du mariage et de la famille comme communio personarum.
Emanuele Avallone
40. Gilfredo Marengo, La nascita di un’enciclica. Humanae Vitae alla luce degli Archivi Vaticani. Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2018, 288 p.
Cinquante ans après la publication de l’encyclique Humanae Vitae, le 25 juillet 1968, l’ouvrage de Gilfredo Marengo, historien et professeur à l’Institut Pontifical Jean-Paul II au Latran, retrace le débat et les événements qui ont mené à la rédaction de ce document. « Par une dérogation spéciale, selon la décision du pape François — écrit dans la préface Mgr Pierangelo Sequeri, Président de l’Institut Jean-Paul II — nous avons pu accéder aux archives avant le délai ordinairement requis de soixante-dix ans. Nous disposons donc, pour les cinquante ans d’Humanae Vitae, d’une documentation de premier ordre pour reconstituer la genèse du document ».
Pour Marengo, le sujet du mariage et de la famille et la rédaction d’Humane Vitae s’inscrivent dans une démarche du concile Vatican II qui voulait une Église qui s’interroge avec les hommes et les femmes de notre époque pour en accompagner et éclairer le cheminement.
Il en ressort qu’on ne peut pas bien saisir la dynamique de son écriture si l’on ne considère pas quelles ont été, en ces années-là, les premières réactions à la réception de Vatican II, réception qui sembla bien plus complexe et difficile à mettre en oeuvre que ce à quoi on aurait pu s’attendre. L’ouvrage rapporte les actes du Saint-Siège sur le problème de la régulation des naissances de 1963 jusqu’à la rédaction définitive de l’encyclique, à travers la documentation des archives du Saint-Siège, ouverte pour la première fois à la consultation. Certains documents inédits sont publiés, documents d’une importance capitale pour comprendre la dynamique de cette histoire, notamment sur la période allant de l’été 1966 à la promulgation du document.
Selon l’auteur, si l’encyclique est d’une telle actualité, ce n’est pas simplement du fait que par ce texte le magistère ecclésiastique s’est prononcé clairement sur un problème brûlant de ces années-là, ressenti comme tel par tous, et non uniquement par les fidèles chrétiens.
En effet, le processus de composition d’un document du magistère ecclésial n’est pas seulement un mélange de thèses théologiques et de sage réflexion dans la composition d’un texte. Il prend forme également par la rencontre (et la confrontation) des sensibilités, des histoires personnelles, des tempéraments des différents acteurs.
On trouvera difficilement un document pontifical qui ait engagé autant de monde dans sa préparation. Et c’est précisément pour cette raison que l’auteur accorde une telle importance aux documents d’archives qui non seulement restituent le développement d’un parcours de réflexion et le débat qui l’a favorisé, mais permettent également d’apprécier le profil intellectuel et ecclésial des personnes qui prenaient part à ces discussions.
Emanuele Avallone
41. Emanuele Nadalini, La riforma della Chiesa come « problema irrisolto ». Thomassin, Rosmini, Dossetti e il Vaticano II. Marzabotto, Edizioni Zikkaron, 2017, 333 p.
Grâce à un travail historico-théologique au coeur des derniers siècles, l’auteur réexamine le concept d’Ecclesia semper reformanda.
L’ouvrage est divisé en quatre chapitres.
Le premier analyse la réforme de l’Église et de ses institutions à Vatican II en identifiant les acquisitions et les problèmes laissés en suspens par l’assemblée conciliaire, notamment ceux qui concernent l’écart entre la théologie, le droit et la vie institutionnelle de l’Église.
Dans le deuxième commence l’approfondissement historique. Le point central de l’analyse de l’auteur est Antonio Rosmini (1797-1855) et son ouvrage Les cinq plaies de la sainte Église, de laquelle découle une proposition ecclésiale globale et organique pour le présent et l’avenir.
En partant de la centralité du baptême (perspective sacramentelle et liturgique), Rosmini développa une proposition cohérente de relations fondées sur le droit au sein de l’Église, de sorte que sa structure externe corresponde à ses données théologiques les plus profondes. En effet, dans ses études émerge une revitalisation originale des thèmes du sensus fidei et du sensus fidelium, dans la proposition d’une ecclésiologie du Peuple de Dieu qui, à partir de la centralité du baptême, par un approfondissement historique du développement des doctrines et de leur rapport avec les phénomènes sociaux et politiques, est en mesure de structurer les catégories du « communiel » et du « collégial ».
L’une des sources historiques utilisées par Rosmini et mises en évidence dans le troisième chapitre du volume est Louis Thomassin (1619-1695) et son Ancienne et nouvelle discipline de l’Église, publiée à Paris en 1678. Thomassin a mené une tentative similaire à celle de Rosmini, c’est-à-dire de lire attentivement le développement de la discipline sur l’Église, en reconnaissant sa nature variable, son adaptation aux contextes, la possibilité qu’elle puisse être réformée. Au coeur de l’Ancien régime, il a senti la possibilité d’un nouveau qui avance et, comme Rosmini, dans le nouveau qui est déjà avancé, il a essayé d’articuler une proposition alternative de l’Église.
Enfin, dans le quatrième et dernier chapitre, l’auteur s’attarde sur la figure de Giuseppe Dossetti (1913-1966). Expert conciliaire du cardinal Lercaro de Bologne, il a lui aussi abordé le thème de la réforme de l’Église et de ses institutions, en essayant de concilier l’aspect théologique avec l’aspect juridique et institutionnel, en mettant en évidence la centralité de l’acte liturgique avec la nécessité connexe d’articuler les relations ecclésiales et communautaires en cohérence avec lui, en indiquant, comme il ressort des considérations de l’auteur, l’ampleur du « vague » et de l’« indéterminé » dans lequel se trouve la réflexion sur le « collégial » dans l’Église et les moyens de le surmonter.
Dans cet ouvrage, Rosmini et Thomassin sont utilisés comme une lentille pour étudier les grands problèmes non résolus de la réforme de l’Église aujourd’hui. Enfin, la pensée de Dossetti est utilisée pour proposer des orientations synthétiques et des pistes possibles pour l’avenir.
Emanuele Avallone
Compte rendu d’une journée d’étude
42. Philippe Roy-Lysencourt, Gilles Routhier, « Le concile Vatican II et sa réception : la question des résistances ». Québec, Université Laval, mercredi 11 septembre 2019.
Le 11 septembre 2019 s’est tenue à l’Université Laval au Québec (Canada) une journée d’étude intitulée : « Le concile Vatican II et sa réception : la question des résistances ». L’événement, organisé par les professeurs Gilles Routhier et Philippe Roy-Lysencourt, a réuni des historiens et théologiens de plusieurs pays.
Après les salutations initiales, Philippe Roy-Lysencourt, professeur d’histoire de l’Église dans cette même université, a analysé le concept de « Tradition » dans les discours de la minorité dite « conciliaire » à Vatican II. Au cours de cette conférence introductive, il a montré l’existence, dans l’histoire de l’Église catholique contemporaine, de deux grands mouvements traditionalistes : au xixe siècle, un traditionalisme qu’il a qualifié de « philosophico-apologétique » et qui est mort au concile Vatican I, puis au xxe siècle, un traditionalisme toujours bien vivant, et qu’il qualifie de « doctrinal ». Ce dernier est représenté par ceux qui se réclament de la Tradition en s’opposant aux changements introduits dans l’Église à l’occasion du concile Vatican II. Philippe Roy-Lysencourt a donc présenté rapidement ces deux traditionalismes et analysé quelques-unes de leurs caractéristiques communes : l’intransigeance, l’antilibéralisme, un caractère contre-révolutionnaire, l’ultramontanisme et peut-être un certain surnaturalisme.
Puis Gilles Routhier, professeur d’histoire de l’Église et directeur du Centre Vatican II de l’Université Laval, a souligné que la notion de Tradition est au coeur de l’argumentaire des résistants au concile Vatican II. C’est également en s’appuyant sur la notion de Tradition que ceux qui soutiennent les enseignements du Concile vont défendre ces derniers. C’est dire si de part et d’autre, on n’entend pas de la même façon ce terme équivoque qui demeure au centre du débat. Gilles Routhier s’est efforcé d’éclaircir le sens à donner à ce terme et la façon dont les uns et les autres le comprennent.
La discussion a ensuite porté sur le sujet : « Les catholiques traditionalistes et la réception du concile Vatican II ». Dans sa communication, Philippe Roy-Lysencourt a proposé une analyse de la réception du concile Vatican II par les catholiques traditionalistes. Il a montré qu’à ce stade de la recherche, nous pouvons considérer que la réception de Vatican II par les catholiques traditionalistes s’est effectuée en trois grandes phases : 1) une première réception qui va du 8 décembre 1965 (clôture du Concile) au 30 novembre 1969 (application de la réforme liturgique) ; 2) une deuxième phase qui se termine en 2000 (jubilé de l’an 2000 et reprise des discussions doctrinales entre la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X et le Saint-Siège) ; 3) une troisième période enfin qui s’étend de l’an 2000 à nos jours. Philippe Roy-Lysencourt a également indiqué que l’histoire de la réception du Concile par les traditionalistes ne suit pas la même chronologie que l’histoire du traditionalisme post-conciliaire.
Nadir Amrouni, doctorant en sciences des religions, a présenté ensuite les résistances à la réception du Concile à Strasbourg, sous l’épiscopat de Mgr Arthur Elchinger (1967-1984) qui représente un cadre intéressant pour une étude locale des résistances à la réception de Vatican II. Les archives abondent sur le sujet et certains témoins ont accepté de livrer leur témoignage. En effet, si les réformes induites par le Concile ont été accueillies très favorablement en Alsace, quelques prêtres ont cependant résisté à leur application. Des groupes de fidèles se sont rapidement formés autour d’eux pour les soutenir. Quelques années plus tard, ces mêmes fidèles ont demandé à la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, fondée par Mgr Lefebvre, de leur envoyer de nouveaux prêtres pour les encadrer. Que s’était-il passé ? À travers l’étude du parcours de deux prêtres alsaciens, Amrouni a exposé comment la contestation a entraîné dans un premier temps une résistance aux initiatives et à la personne même de l’évêque, puis un refus plus large des réformes conciliaires. Il a montré ensuite de quelle façon les prêtres formés à Écône ont rapidement repris ces groupes en main et concentré leurs critiques sur la réception du Concile.
Au début de l’après-midi, après un moment convivial, le professeur Rodrigo Coppe Caldeira, historien brésilien, a exposé les problématiques soulevées par la première session conciliaire dans son pays.
Ce fut ensuite au tour de Vinicio Couzzi Merida, professeur d’histoire au Brésil, de nous présenter sa réflexion sur la mission que le concile Vatican II (1962-1965) s’est proposé, à savoir celle d’instaurer un dialogue entre l’Église catholique romaine et le monde contemporain, face aux grandes transformations survenues depuis le xviiie siècle : les xixe et xxe siècles apportèrent en effet de grandes transformations en Occident. Ainsi, l’Église catholique a commencé son aggiornamento, qui fut inégalement reçu par l’épiscopat mondial : il y eut d’un côté des groupes favorables aux réformes proposées par le concile Vatican II, on les a nommés les « évêques d’Europe centrale », et de l’autre le Coetus Internationalis Patrum, qui souhaitait éviter les réformes les plus progressistes. Parmi les membres du Coetus se trouvait l’évêque de Campos dos Goytacazes, Dom Antônio de Castro Mayer (1904-1991). Catholique intransigeant, il s’est opposé à la mise en place de réformes conciliaires, causant, au sein de son diocèse, une dissidence dont la répercussion fut internationale. Dom Castro Mayer jugea le Concile moderniste, et pour cette raison pensait devoir résister aux réformes conciliaires, ce qui provoqua une grande division au sein du diocèse de Campos.
Puis le professeur Emanuele Avallone, italien, théologien et historien de l’Église, a présenté la personnalité de Luigi Maria Carli (1914-1986). Pour ce prélat, le Concile était l’occasion propice pour que « ce qu’il y avait d’aberrant dans la vie de l’Église et qui, depuis quelque temps, mijotait sous un calme apparent, explose violemment à la lumière du jour ». Il travailla au schéma De Sacra Liturgia, en demandant la rédaction d’un Codex Liturgicus qui puisse être un instrument souple à l’usage des prêtres pour éviter les différences d’une région à l’autre, et en promouvant une réforme de la Liturgie des Heures qui aide les prêtres dans leur vie de prière. Dans la Commissione De Episcopis, il demandait d’étendre le pouvoir des évêques diocésains, de remettre de l’ordre dans les diocèses et que soit créée une conférence épiscopale nationale pour traiter les sujets communs. Quant au débat sur le chapitre III de Lumen Gentium, on courait le risque, selon lui, de tomber dans une interprétation sociologique du collegium, que l’on ne pourrait éviter qu’en le comprenant comme un corpus dont le Souverain Pontife était le caput visibilis. Seule la « Nota praevia » à Lumen Gentium, voulue par Paul VI, clarifia pour Carli la véritable portée théologique de la question. Voix de celle que l’on appelait la « minorité » conciliaire, il fut un membre actif du Coetus Internationalis Patrum, et faisait le lien entre le groupe et la Conférence épiscopale italienne. Archevêque de Gaète de 1973 à 1986, il fut un exemple de réception obéissante du Concile : « Mon programme pastoral, c’est le Concile qui me le donne, ou plutôt qui nous le donne. C’est là qu’est écrit textuellement, pour tout évêque, le programme de sa vocation et de sa mission, programme désormais obligatoire pour tous et donc également pour moi, programme que l’on accepte ou bien que l’on trahit totalement ! » Enfin, il favorisa la renaissance de l’École de théologie pour les laïcs, la naissance des conseils pastoraux dans les paroisses et les visites pastorales.
À la fin de l’après-midi le professeur Routhier, en conclusion, souligna l’opportunité de cette journée de recherche pour avancer dans l’étude du concile Vatican II et de sa réception, en cherchant à impliquer toujours davantage de jeunes universitaires de différentes zones géographiques.
Emanuele Avallone
Appendices
Notes
-
[1]
Outre ce volume, il s’agit de Christoph Böttigheimer, René Dausner, éd., Vaticanum 21. Die bleibenden Aufgaben des Zweiten Vatikanischen Konzils im 21. Jahrhundert, Freiburg i.Br., Herder, 2017.
-
[2]
Mathijs Lamberigts, Gilles Routhier, Pedro Rubens Ferreira Oliveira, Christoph Theobald, Dries Bosschaert, éd., 50 ans après le concile Vatican II. Des théologiens du monde délibèrent, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 2015.
-
[3]
Voir la note précédente.