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Résumé
Nous proposons une interprétation de la Sagesse biblique personnifiée comme figure d’anima, la part inconsciente féminine d’un homme, en nous appuyant sur le modèle de la psyché de Carl Gustav Jung tout en discutant de façon critique la sophiologie qu’il présente dans Réponse à Job. Cette approche psychologique de Sophia peut contribuer au débat sur son caractère insaisissable et sur l’articulation entre la Sagesse transcendante et la sagesse immanente.
Résumé
We offer an interpretation of Biblical Wisdom personified as an anima figure, the unconscious feminine part of a man, drawing on the model of Carl Gustav Jung’s psyche, while critically discussing the sophiology he presents in Answer to Job. This Sophia’s psychological approach can contribute to the debate about her elusiveness and the articulation between transcendent Wisdom and immanent wisdom.
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Introduction
Sophia, la Sagesse personnifiée de l’Ancien Testament est probablement l’une des figures les plus fascinantes et mystérieuses de la Bible. Aucun système ne semble pouvoir l’enfermer définitivement dans des concepts rationnels, comme peut en témoigner la multiplicité des approches qui en ont été faites. Cet aspect insaisissable de Sophia est mis en avant dans une étude récente bien documentée faisant un bilan de l’ensemble des interprétations de Sophia, depuis les temps bibliques jusqu’à nos jours[1]. En plus de l’« étrangeté » de Sophia, Dominique Cerbelaud soulève une question importante : « Comment s’articule [la] Sagesse transcendante avec la sagesse immanente qui se manifeste chez les humains ? Faut-il les distinguer ou les identifier ? […] Comme nous le verrons, cette question restera présente tout au long de l’histoire des interprétations[2]. » Nous proposons dans cet article une interprétation de Sophia qui participe au débat sur ces questions. Au risque à notre tour de la circonscrire dans des frontières, nous présentons une lecture psychologique de Sophia, comme anima, dans le cadre de la psychologie analytique[3]. Cet archétype est une figure essentielle de la psychologie jungienne[4], elle correspond à la part féminine inconsciente de la psyché masculine. Comme archétype de l’inconscient collectif, l’anima est une structure préformée qui, une fois « animée », « meublée » par le vécu personnel du sujet, devient un « complexe[5] ».
Nous adoptons l’ensemble de l’approche que Jung a de la psyché humaine[6], tout particulièrement sa notion d’archétype, celui de l’anima et celui du Soi, ainsi que son approche du processus de maturation psychique, l’individuation[7]. À ce titre, nous utilisons le principe jungien selon lequel les personnages d’une oeuvre littéraire représentent « des complexes fonctionnels relativement autonomes dans l’âme [psyché] de l’écrivain[8] ». Ainsi, pour notre étude, nous considérons Sophia comme une expression possible de l’anima des auteurs bibliques[9]. En effet, comme Jung l’indique, l’auteur n’a en général pas conscience que le complexe autonome appartient à sa propre psyché et lui confère donc une nature « céleste » extérieure à lui-même[10]. Cette lecture psychologique du texte biblique s’appuie sur une exégèse historico-critique de certains textes de l’Ancien Testament qui nous apparaissent témoigner de l’aspect archétypique, comme anima, de Sophia. La théologie sous-jacente à notre étude est tillichienne, car c’est une théologie qui peut s’articuler avec la psychologie de Jung, notamment parce que le processus de sanctification tillichien s’apparente au processus de réalisation de soi jungien, l’individuation[11].
En nous plaçant dans ce cadre, nous allons chercher à montrer que Sophia correspond à l’archétype de l’anima sous une forme évoluée, associée à une psyché masculine adulte et engagée dans le processus d’individuation. Or Jung lui-même, dans Réponse à Job, associe Sophia à un autre archétype, celui de la mère[12].
Pour cela, nous allons d’abord rappeler brièvement quelques caractéristiques essentielles de l’archétype de la mère et de l’anima, car ils sont très liés pour une psyché masculine[13]. Dans une deuxième partie, après avoir précisé le corpus sapientiel que nous utilisons, nous passerons en revue les caractéristiques essentielles de l’anima et montrerons qu’on les retrouve en de nombreux textes pour la Sagesse biblique. Enfin, nous aborderons quelques aspects de Sophia pouvant aussi correspondre à l’archétype du Soi.
I. L’archétype de la mère et l’anima
1. L’évolution de l’anima et sa projection
Un point de vue essentiel chez Jung est que l’on ne projette sur un objet donné, par exemple une femme aimée, que ce dont on est inconscient[14]. S’il y a conscience, il n’y a pas de projection. Or on connaît bien ses parents, du moins l’imaginaire, les fantasmes que l’on en a. Donc, pour Jung, cette image que l’on a de ses parents ne peut pas être projetée, ni sur des humains, ni sur des dieux, par exemple des couples (syzygies) divins du panthéon polythéiste[15]. En fait, c’est l’archétype[16] des parents qui est projeté sur les parents, ce qui leur confère un caractère numineux[17] auquel l’enfant est si sensible[18].
Pour ce qui concerne plus spécifiquement la psyché masculine, c’est l’anima qui est projetée sur la mère. La mère est en fait le premier support susceptible de recevoir la projection de l’anima. Ensuite, en se développant, la conscience se différenciant de son inconscient, l’anima se transforme, mûrit, et est susceptible d’être projetée sur une autre femme que la mère. Les cas existent cependant où le sujet devenu « adulte » choisit une partenaire sexuelle sur laquelle il projette une anima restée au stade de la mère, ce qui confère à cette femme une auréole de toute-puissance, parfois bien contre son gré, devant laquelle l’homme peut conserver une attitude infantile à la fois de demande de protection et de soumission. Il s’agit d’ailleurs d’un thème courant dans la culture, celui de la femme fatale[19].
L’approche de Jung est ainsi opposée à celle qui mettrait en avant la projection des parents sur des dieux ou d’autres humains. Pour Jung, l’homme ne projette pas sur la femme aimée l’image[20] qu’il a de sa mère, mais c’est son anima qui est d’abord projetée sur la mère, puis « via la soeur et d’autres figures semblables, à la femme aimée[21] ». L’archétype de la mère, pour une femme, est clairement distinct de celui de l’animus[22], mais pour un homme la distinction est plus délicate. Il ressort néanmoins de l’approche de Jung une différence essentielle : l’archétype de la mère (anima pendant l’enfance) n’a pas la même finalité que celui du partenaire amoureux : le premier tend à paralyser « aussi bien son dynamisme que sa persévérance » et l’éloigner du monde réel, le second oriente vers la maturation psychique[23]. L’anima (ou l’animus pour une femme) se développe au fur et à mesure que l’être se différencie de ses parents. Le sujet qui reste, même adulte, sous l’emprise de cet archétype sera bloqué dans sa croissance psychique. Dans cette relation régressive entre le fils et sa mère, c’est l’archétype « aussi antique que sacré » des « noces de la mère et du fils qui se réalise[24] ». L’homme doit ainsi surmonter sa tendance régressive à succomber à l’archétype de la mère, bien qu’elle soit auréolée de toute-puissance mystique. Le concept d’anima est « un contenu extrêmement dramatique de l’inconscient[25] » ; si, adulte, le sujet parvient à rentrer en dialogue avec l’anima, elle peut le conduire dans le processus d’individuation[26]. En effet l’intégration au conscient[27] d’un homme de sa part féminine, c’est-à-dire la prise de conscience de son anima, permet de réaliser la conjunctio oppositorum qui est nécessaire pour accéder à la « totalité » de son être.
2. Sophia comme mère ?
Dans Réponse à Job, Jung présente Sophia comme mère-amante en insistant plus sur le premier terme que sur le second, il associe Sophia à la Vierge Marie et met en avant l’importance du dogme de l’assomption[28]. Pour souligner la dimension maternelle de la Sagesse biblique, Jung utilise notamment Si 24,18 : « Je suis la mère du pur amour, de la crainte, de la connaissance et de la digne espérance, je suis donnée à tous mes enfants, de toute éternité à ceux qui ont été désignés par Lui[29] » ; or cette phrase ne figure pas dans l’original hébreu, il s’agit d’une glose grecque[30]. Pourtant, dans les textes sapientiaux, la figure personnifiée de Sophia est clairement présentée comme épouse[31], et non pas comme mère[32], alors que Jung met nettement l’accent sur cette dimension.
On peut mettre en avant, pour souligner le caractère évolué de l’anima à laquelle correspond Sophia, Si 15,2 : « Elle va au-devant de lui comme une mère et elle l’accueille comme la femme de sa jeunesse[33]. » Ce thème est encore plus explicite dans le développement de ce verset dans la version hébraïque de la conclusion du livre (Si 51,13 et suiv.)[34]. Ce texte montre que la Sagesse n’est pas fixée au stade de la mère puisque le jeune homme est appelé à quitter cette relation pour épanouir une relation intérieure avec une anima plus évoluée. De manière plus générale Jung propose une sophiologie, une histoire de la relation entre Yhwh et Sophia que l’on peut considérer comme une « mytho-théologie » et de laquelle nous nous écartons. Rappelons que Jung précise explicitement qu’il n’est pas exégète et que la théologie qu’il élabore dans son ouvrage est subjective et ne prétend pas à l’objectivité[35]. Cherchons maintenant à justifier, sur la base du dossier biblique, que Sophia peut être considérée comme anima au sens de « partenaire érotique » d’un homme adulte.
II. Sophia, la Sagesse biblique, figure évoluée de l’anima ?
1. Choix des textes bibliques
Les textes que nous utiliserons font partie du corpus biblique correspondant au courant de la sagesse mystique[36] et nous nous intéresserons, dans ce courant, plus spécifiquement aux textes pour lesquels la Sagesse est explicitement personnifiée. Ce courant sapientiel est le plus récent, il s’oppose aux deux courants précédents. Le plus ancien est celui de la sagesse traditionnelle qui s’appuie sur une observation concrète (Pr 10-29) des moeurs, elle permet de séparer les « sages », les « honnêtes hommes », des insensés[37]. Cette sagesse est assez conformiste, Dieu n’intervient que pour récompenser ou punir le comportement humain. Le deuxième courant a remis en cause la sagesse traditionnelle : dans ce courant contestataire, la sagesse divine, par opposition à la sagesse humaine acquise par l’expérience, n’est pas accessible à l’homme. Il correspond au Livre de Job (sauf Jb 32-37) et à Qohélet : Dieu seul possède la sagesse, elle n’est pas accessible aux humains[38]. Pour un autre groupe de sages, correspondant au courant de la sagesse mystique qui nous intéresse ici, Dieu, au contraire, peut instruire les hommes, par les songes notamment (Jb 33,14-17)[39]. Notre étude est centrée sur Pr 1-9 — plus spécifiquement même sur l’hymne à la Sagesse, Pr 8,22-31, le texte le plus célèbre concernant Sophia[40] — qui a inspiré les deux autres livres de ce courant, le Livre du Siracide et le Livre de la Sagesse, dont nous évoquerons quelques textes quand cela pourra enrichir notre propos[41]. Ces Livres « se situent dans une ambiance de “révélation”[42] », cette révélation est apportée par la « connaissance » de Sophia. Les textes que nous choisirons dans ces Livres correspondent à ceux pour lesquels des harmoniques érotiques de cette connaissance sont possibles.
2. L’anima considérée comme « épouse » intérieure
Jung distingue quatre niveaux de l’anima correspondant aux différentes étapes de l’avancée du sujet dans le processus de développement psychique. Ève, tout d’abord, qui correspond à une personnalisation purement instinctuelle de l’éros, puis Hélène (de Troie) qui a une dimension plus esthétique et romantique, ensuite Marie qui correspond à un éros entièrement spiritualisé se rapportant à la maternité spirituelle, et enfin Sophia, l’Éternel féminin. Sophia correspond à la Sagesse biblique de l’Ancien Testament[43].
Ce texte montre clairement que pour Jung la Sagesse biblique se situe au sommet de la hiérarchie des figures d’animas. Nous allons maintenant souligner les caractéristiques de Sophia correspondant aux aspects de l’anima comme épouse, liée à un psychisme différencié de la mère. Pour cela, nous nous appuyons sur des textes de Jung, mais nous ferons aussi référence à l’ouvrage Animus et anima de son épouse et collaboratrice, Emma Jung, qui, à notre sens, synthétise bien l’approche que Jung a de l’anima[44].
En premier lieu, l’anima étant chez Jung un complexe autonome, il convient de souligner que Sophia est personnifiée en de nombreux textes. La question du sens de cette personnalisation a soulevé plusieurs débats[45]. Pour notre part, nous pensons avec de nombreux exégètes et en particulier avec André Robert que la sagesse n’est pas un « simple attribut divin », mais que « La Sagesse personnifiée de Pr I-IX est présentée d’une façon indiscutable, bien que discrète, comme un Être divin[46] ». Dans une perspective jungienne, il s’agit d’un complexe autonome de l’auteur qui se manifeste dans son écriture dans la mesure où, pour Jung, l’anima apparaît avec des caractéristiques numineuses[47].
Nous nous concentrerons essentiellement sur l’aspect positif de Sophia. En effet, tout archétype est ambivalent et présente tout à la fois une face négative et une face positive. C’est l’attitude consciente du sujet qui détermine cet aspect de l’anima : le sujet doit coopérer avec les forces inconscientes et suivre ses voies[48], sans quoi elles s’opposent à lui et peuvent revêtir un caractère destructeur[49]. Cet aspect est bien exprimé en Pr 1,20-33 où Sophia, personnifiée comme prophétesse, appelle les hommes à l’écouter et à suivre ses conseils[50]. Elle annonce de terribles châtiments à ceux qui la rejettent et, de surcroît même, s’en réjouit : « […] à mon tour je rirai de votre malheur, je me moquerai quand l’épouvante viendra sur vous […] alors ils m’appelleront, mais je ne répondrai pas, ils me chercheront mais ne me trouveront pas […]. C’est leur indocilité qui tue les gens stupides et leur assurance qui perd les sots » (Pr 1,26-32). Cet aspect de l’inconscient, qui s’oppose à qui ne le prend pas suffisamment en considération et donc n’adopte pas l’attitude « religieuse[51] » adéquate, est valable pour tous les archétypes[52]. Attachons-nous maintenant aux caractéristiques de l’anima qui nous apparaissent les plus essentielles, en les abordant successivement.
3. L’attirance érotique exercée par l’anima
La relation avec l’anima, pour conduire à la transformation de soi, doit impliquer tout l’être, et ne se limite pas à recevoir d’elle un enseignement « intellectuel[53] ». Ainsi, la dimension « érotique » de la relation est essentielle. Sophia apparaît en Pr 1-9 comme une « compagne » intime à rechercher, comme le montre une analyse précise des termes hébreux utilisés. En effet, même pour les termes où le sens érotique n’est pas le seul possible, ils peuvent prendre ce sens compte tenu du contexte littéraire[54]. Pour ce qui concerne Pr 1-9, il s’agit des expressions suivantes, que nous évoquons brièvement dans l’ordre où ils interviennent dans le texte[55].
Le couple de verbes « chercher-trouver » de 1,28 ; 8,17 et 8,35[56] correspond à une recherche amoureuse qui fait écho à son usage en 7,15 concernant la femme adultère[57]. Le mot « délices » de 2,10[58] et 3,17 a un sens érotique, comme en 9,17 où le terme « délicieux » se rapporte aux attraits érotiques de « Dame folie », la femme adultère[59]. En 3,18 et 4,13, le verbe « saisir » concernant Sophia a aussi un sens érotique, comme en 7,13 à propos des ébats amoureux avec la femme adultère[60]. En 4,5 et 4,7, le verbe « acquérir » peut prendre le sens d’épouser[61]. La traduction de 4,8 est souvent édulcorée, or, on peut proposer la suivante : « Caressera là et elle t’excitera, elle t’honorera quand tu l’auras étreinte. Elle te mettra sur la tête une guirlande ravissante et elle t’offrira une couronne d’apparat[62] ». L’ambiance érotique de Pr 5 est assez explicite, ce texte met en opposition (symétrie antithétique) les attraits érotiques exercés par la femme adultère (5,1-14) et ceux de Sophia (5,15-23). Cette dernière partie peut être considérée comme un des plus beaux chants d’amour de la Bible et constitue « une métaphore érotique dans les rapports des apprentis-sages avec la Sagesse[63] ». Le thème de l’eau est très prégnant dans ce texte consacré à Sophia (six fois pour neuf versets), elle est abondante et ruisselle. On connaît bien l’importance de ce thème biblique lié aux rencontres amoureuses[64], soulignons aussi que dans une perspective jungienne, l’eau symbolise l’inconscient. On peut proposer, pour 6,22, la traduction suivante : « Quand tu te déplaceras, “elle” [Sophia] te conduira ; quand tu te coucheras, “elle” veillera sur toi ; et quand tu te réveilleras, “elle” te parlera[65]. » Cet accompagnement intime de la Sagesse est caractéristique de l’anima pour qui « coopère » avec elle.
L’autodescription de la Sagesse en 8,4-21 n’évoque pas la beauté physique de la Sagesse, mais nous pensons[66] avec C. Camp que Sophia, dans ce préambule à l’hymne à la Sagesse (8,22-31), cherche à susciter « l’admiration et la réponse empressée de son amoureux[67] ». Le terme « connaissance » intervient dans ce paragraphe deux fois et peut, comme en 2,10, prendre une connotation érotique[68] : la connaissance proposée par Sophia suppose une union amoureuse. Il s’agit très typiquement de la manière dont l’anima d’un homme peut apporter la « connaissance » : par l’attraction érotique[69]. Compte tenu que le langage des rêves est symbolique, l’expression « pour qui sait comprendre » des deux versets 8,8-9 : « Toutes les paroles de ma bouche sont […] franches pour qui sait comprendre », prend un relief particulier dans une approche jungienne. En effet, cela peut correspondre à l’interprétation d’un langage imagé, comme en Mc 4,23 à propos des paraboles[70]. Le terme traduit par « désir » en 8,11, comme en 3,15, a souvent dans la Bible une connotation amoureuse quand il est associé à l’attirance d’une personne pour une autre[71]. Enfin, pour ce qui concerne ce paragraphe, le verbe aimer des versets 17 et 21 peut avoir un sens érotique[72].
Il n’y a aucun terme explicitement érotique dans l’hymne à la Sagesse (8,22-31), mais on peut interpréter les versets 30-31 comme l’expression de la médiation érotique que Sophia exerce entre les humains et Dieu[73]. Ainsi Sophia apparaît comme une jeune artiste (ʹāmôn) qui mène une danse sacrée et érotique pour attirer les humains vers Dieu[74]. La suite (8,32-36) reste dans le même registre[75] : le verset 34 fait référence à Ct 2,9[76] et le « chercher-trouver » du verset 35, comme on l’a vu plus haut, a un sens amoureux possible.
Enfin, même si Pr 9 ne contient aucun terme explicitement érotique, le manger et le boire peuvent avoir un sens métaphorique lié à la sexualité[77]. Nous comprenons ainsi l’invitation au banquet de la Sagesse comme un appel à un amour érotique pour elle. Pour compléter cette interprétation de Pr 1-9, rappelons que Sophia, en Sg 6,12-9 apparaît aussi comme l’anima de Salomon, dont il est « amoureux de la beauté » (Sg 8,2)[78]. Abordons maintenant un aspect particulièrement intéressant de Pr 1-9 pour notre étude.
4. Le couple anima négative-anima positive
La situation de la mise en concurrence d’une anima positive et d’une anima négative est typique dans les rêves et les contes de fées et peut entraîner une grande souffrance pour les hommes dont l’anima est ainsi divisée. La structure de l’ensemble de Pr 1-9 met clairement en opposition les attraits érotiques de la femme adultère, à l’allure de courtisane[79], et ceux de Sophia[80]. Le point commun entre ces deux figures est l’attraction érotique qu’elles exercent, mais l’homme « se perd » en la femme adultère, ce qui figure une perte de conscience et, au contraire, il s’épanouit dans sa relation amoureuse avec Sophia, ce qui figure une plus grande conscience. Nous avons évoqué plus haut que les textes de Pr 5 et Pr 7 mettent en opposition les deux « soeurs rivales[81] », Sophia et la femme adultère. La différence entre les attitudes du « fils » devant Sophia et la femme fatale est très nette. En 7,1-5, il est en effet appelé à être actif vis-à-vis de Sophia, il doit lui parler et lui réclamer l’intelligence. Alors qu’en 5,3-11 et 7,6-27, l’homme qui succombe à la femme fatale est envoûté et passif, subjugué[82] par cette femme qui l’entraîne vers la mort, vers la nuit de l’inconscience, la folie (5,23)[83]. Rappelons que Jung répète inlassablement l’immense danger d’un tel envoûtement. Le verset 7,9 insiste beaucoup sur le « lieu » de rencontre avec la femme fatale, la nuit : « Que ce soit à la brune, à la tombée du jour, que ce soit au coeur de la nuit et de l’obscurité. » Cette femme adultère figure ainsi typiquement une anima destructrice qui ensorcelle l’homme, elle le fait sombrer dans l’inconscience. Face à elle, Sophia, figurée par l’épouse de la jeunesse, est reconnue dans la lumière de la loi et du discernement comme de nombreux passages l’expriment[84] : il ne s’agit pas d’« esclavage amoureux ». On retrouve à nouveau le diptyque anima positive/anima négative en Pr 9, dont nous avons vu plus haut qu’il a aussi des sous-entendus érotiques. On peut comprendre ce diptyque comme opposant la lumière de la conscience apportée par l’attraction de Sophia à celle de l’obscurité de l’inconscience, séjour des morts (9,18) vers lequel entraîne la femme fatale. Soulignons que la conscience que nous évoquons ici ne se réduit absolument pas à une « conscience morale », mais jaillit d’une relation profonde avec l’anima positive, elle-même ainsi tirée de l’inconscience[85]. Cette relation engage tout l’être, le corps et l’esprit[86], ainsi que l’exprime Pr 2,10a : « Ainsi la sagesse pénétrera ton coeur », car le terme « coeur », dans la Bible, se rapporte à une réalité vaste et profonde incluant l’inconscient[87].
Pour conclure ce paragraphe, notons que la mise en concurrence permanente de la femme adultère et de Sophia souligne la grande difficulté de cette dernière, l’anima positive, à se faire entendre. Cela montre sa fragilité en quelque sorte, du moins au sens de celle de la brise légère par contraste avec la fureur de la tempête correspondant à sa concurrente. Cette caractéristique se retrouve aussi dans les contes de fées mettant en scène un couple d’animas antagonistes, comme par exemple dans L’ondine de l’étang mentionné plus haut : le texte décrit longuement les multiples difficultés que rencontre l’humble épouse pour sortir son époux de l’envoûtement de la terrible ondine[88]. Il s’agit d’une caractéristique importante de l’anima positive par contraste avec le « pouvoir » d’envoûtement de l’anima destructrice.
5. L’anima est liée à la création
Pour Jung, le masculin est associé au discernement et à la différenciation (logos), alors que l’anima a une fonction de lien (éros)[89]. Ce lien concerne l’homme avec la création[90] et l’homme avec le monde divin. Ce sont des caractéristiques essentielles de Sophia. En effet, elle est intimement liée à la Nature, ainsi que le montre Pr 3,13-20, où Sophia est présentée comme l’arbre de vie[91]. De manière plus générale, son lien intime avec la création est souligné dans le texte biblique, en 5,15-19, où Sophia est associée à l’eau et à une « biche amoureuse et gracieuse gazelle », et surtout en Pr 8,22-31, l’hymne à la Sagesse[92]. Ces caractéristiques sont proches de celles des divinités de la nature, mais de notre point de vue Sophia constitue une forme supérieure d’anima[93]. Dans le contexte biblique monothéiste, Sophia est médiatrice entre les hommes et Dieu, or, il s’agit là d’une caractéristique essentielle de l’anima : mettre en relation la conscience avec l’inconscient, le monde auquel Jung associe la source des représentations du divin.
6. L’anima est médiatrice entre la conscience et l’inconscient
La fonction de l’anima est de jouer un rôle de relation, de médiation entre le conscient et l’inconscient[94]. L’union érotique d’un homme avec son anima, dans un rêve, symbolise l’intégration de sa composante féminine à sa personnalité consciente (le « moi ») : c’est une étape essentielle du parcours initiatique de réalisation de soi.
Comme mentionné plus haut, la Sagesse biblique, en Pr 1-9, notamment en 8,30-31, apparaît comme médiatrice érotique entre les humains et Yhwh[95]. En fait, cette finale de l’hymne à la Sagesse constitue le sommet de ce poème exceptionnel, constitué de 22 stiques, autant que de lettres de l’alphabet hébreu. Les versets 30-31 sont structurés de la façon suivante[96] :
La symétrie est tout à fait remarquable, par les positions des termes ša`ašu`îm (délices) et meśaḥeqet (dansant) dans l’ensemble du passage. On peut montrer que, compte tenu du contexte de Pr 1-9, le terme ša`ašu`îm fait partie du langage érotique[98]. Pour ce qui concerne le terme meśaḥeqet, en s’appuyant sur les autres occurrences de ce terme dans la Bible et des parallèles égyptiens et sumériens, on peut en souligner la connotation non seulement ludique, mais aussi sacrée et érotique, ou à tout le moins la très grande intimité entre Dieu et Sophia et Sophia et les hommes.
7. L’anima est insaisissable
Les contenus inconscients sont insaisissables[102], ils n’ont pas de forme déterminée et concrète, dans les rêves ils affleurent dans la conscience mais souvent sous une forme assez voilée. Ils ont cette fâcheuse tendance à retourner facilement de là d’où ils viennent, c’est-à-dire l’inconscient[103]. Il faut un « moi » suffisamment fort pour qu’il puisse entrer en relation durable avec des éléments inconscients[104]. Cet aspect est souvent relevé par Emma Jung pour l’anima, par exemple elle souligne un propos de la nymphe divine Urvashi : « Je suis aussi éphémère que l’aurore et difficile à saisir que le vent ». Elle souligne aussi cet aspect de l’anima en l’illustrant par un autre texte : « Oengus […] vit en rêve une très belle jeune fille arriver à ses côtés, mais elle disparut dès qu’il chercha à prendre sa main[105]. » Cet aspect évanescent peut aussi s’exprimer par l’association de l’anima à la brume et aux nuages[106].
Sophia, là encore, présente toutes ces caractéristiques. En Pr 8,22-31, le thème de l’eau est très important, par comparaison avec le ciel et la terre (en Gn 1,1-2,4, un autre récit de création, les proportions sont beaucoup plus équilibrées), ce qui fait écho à Pr 5,15-18 évoqué plus haut[107].
Pour ce qui concerne ses relations avec les hommes épris d’elle, Sophia, « réclame des amants mais se dérobe dès qu’ils sont trop proches (empressés) » et elle a « une fameuse tendance à se dérober au moment où l’on croit la saisir[108] ».
8. Sophia a besoin de la prise de conscience de l’homme
Nous allons voir au prochain paragraphe tout le bénéfice qu’a un homme à « épouser » son anima, mais, comme complexe autonome, l’anima, pour prendre consistance et sortir de l’inconscience, a besoin que l’homme prenne conscience d’elle. C’est ainsi que l’on peut comprendre l’appel incessant de Sophia à se faire aimer en Pr 1-9[109]. À ce titre, Si 24 est aussi éclairant, notamment les versets 6 et 7 : « Sur les vagues de la mer et sur la terre entière, sur tous les peuples et toutes les nations s’étendait mon pouvoir. Parmi eux tous j’ai cherché où reposer : en quel territoire pouvais-je m’installer ? » Sophia a besoin d’habiter en l’homme[110]. L’anima non reconnue reste indifférenciée et est à l’origine de bien des troubles, qui sont figurés par Pr 1,24-32, comme on l’a vu plus haut.
9. L’union avec son anima conduit à la réalisation de soi
Le processus de réalisation de soi, l’individuation, est au coeur de la psychologie de Jung, il est réalisé par la prise de conscience, l’intégration, d’éléments de son « autre part » dont, pour l’homme, l’anima est une part essentielle[111]. L’hymne à la Sagesse — une expression condensée de l’ensemble de Pr 1-9 sur la question qui nous concerne ici — présentant l’attraction érotique que l’anima exerce sur l’homme peut ainsi se comprendre comme un voyage initiatique, ce que confirme sa suite immédiate, 8,32-35, car le « fils[112] », grâce à l’action érotique de Sophia, a acquis la sagesse[113]. On peut comprendre ce processus comme celui de la réalisation de soi au sens où Jung l’entend. Le verset 35 est en effet clair : « Car celui qui me trouve a trouvé la vie et il a rencontré la faveur du SEIGNEUR ». En fait, il s’agit même d’une nécessité : « Mais celui qui m’offense se blesse lui-même[114]. Tous ceux qui me haïssent aiment la mort » (8,36). Cela correspond bien à la perspective jungienne : vivre vraiment, par opposition à la manière de vivre de celui qu’il qualifie d’« homme normal », suppose rentrer en dialogue avec son anima, l’« archétype de la vie[115] ». D’autres passages indiquent clairement tout le bénéfice qu’a l’homme à épouser la Sagesse, tout particulièrement le passage précédent l’hymne à la Sagesse, Pr 8,14-21[116].
Soulignons dans ce contexte un aspect caractéristique de Sophia, que nous avons déjà relevé plus haut à propos de la mise en perspective de Sophia par opposition à la femme adultère. C’est la conscience, l’éveil (Pr 8,34 l’exprime assez bien) auquel elle est associée, par opposition à l’inconscience de l’homme épris de la femme fatale[117]. La présentation de l’homme qui a « acquis » la sagesse est celle d’un homme tout à fait épanoui, en terme jungien qui a accompli le processus de réalisation de soi, souvent symbolisé par le roi, ce que l’on retrouve en Pr 8,15-16.
Comme la description de la Sagesse se mêle à celle de l’homme « qui en a fait sa compagne », Sophia, figure d’anima, pourrait aussi être comprise comme figure du Soi. Abordons maintenant cet aspect.
III. Sophia, figure de l’anima ou du Soi ?
Nous avons retenu parmi les différentes connotations possibles du terme ʹāmôn (Pr 8,30), celle d’une personne adulte et plus particulièrement encore, avec un sens érotique, celle de « jeune artiste ». Mais ʹāmôn évoque aussi l’enfant dont on peut souligner qu’il est « en train […] de grandir[118] ». Par ailleurs, Sophia, notamment en Pr 1-9, présente des éléments que, d’un point de vue jungien, l’on pourrait qualifier de masculins : son lien avec l’ordre, la loi et la discipline[119]. Cet aspect de Sophia apparaît aussi dans une autre connotation du terme ʹāmôn, celle de « maître d’oeuvre[120] ».
Ces deux dimensions de Sophia, même si elles semblent contradictoires, non seulement entre elles (comment être à la fois enfant et « maître d’oeuvre ») mais aussi avec son aspect essentiel, de notre point de vue, qu’est celui d’épouse à rechercher, peuvent se comprendre dans une perspective jungienne. En effet, les archétypes ne peuvent pas être nettement délimités, ils s’interpénètrent[121]. Tout particulièrement, la frontière, pour un homme, entre l’anima et le Soi est floue[122]. Le Soi correspondant à la totalité de la psyché, il inclut donc nécessairement l’anima, or les éléments qui restent inconscients se « contaminent ». En quoi les deux éléments soulignés ici sont caractéristiques du Soi ? Dans un texte consacré aux archétypes de l’enfant et du Soi, Jung souligne la dimension hermaphrodite des images de l’enfant quand il correspond à une image du Soi[123]. Les éléments masculins associés à Sophia pourraient ainsi se comprendre, dans la psyché des auteurs, par une « contamination », de leur anima par le Soi[124]. Ainsi, la polysémie du terme ʹāmôn a peut-être pu, vraisemblablement inconsciemment, pour les auteurs bibliques, permettre une expression de l’archétype de l’anima « contaminé » par le Soi. En faveur de cette interprétation, on peut souligner que Sophia est associée à l’arbre de vie, un symbole important du Soi (Pr 3,13-20). Pour compléter cette discussion sur le Soi et Sophia, rappelons que pour une femme, la Sagesse biblique correspondrait non pas à l’anima, comme pour un homme, mais à son Soi[125]. Dans ce cas, la différence que nous avons soulignée plus haut entre Sophia comme mère et Sophia comme Soi prend un autre sens, non moins important[126].
Conclusion
Nous avons montré que la Sagesse biblique remplit les critères de l’anima. Il s’agit d’une anima évoluée qui conduit à la réalisation de Soi, figurée par l’homme « sage », par opposition à une anima liée à une psyché plus infantile, figurée par la femme adultère en Pr 1-9. Interpréter Sophia comme figure d’anima permet de donner du sens, d’un point de vue psychologique, au caractère fondamentalement insaisissable de Sophia. Cela permet aussi de relier, dans une perspective jungienne, deux aspects de la Sagesse biblique qui peuvent sembler contradictoires : son caractère tantôt immanent, tantôt transcendant, dualité qui traverse toute l’histoire des interprétations de Sophia[127]. C’est par l’union érotique avec son anima, sa part féminine inconsciente (pôle transcendant), qu’un homme peut développer sa personnalité et devenir « sage ». En effet la sagesse immanente, tel qu’en témoigne Salomon, la figure typique de l’homme « sage », est liée à la Sagesse transcendante, personnalisée par Sophia : c’est la relation avec elle comme épouse qui lui permet de devenir sage[128]. Ainsi, dans le Livre de la Sagesse, Salomon obtient la sagesse grâce à Sophia, dont il est devenu « l’amant de sa beauté » (Sg 8,2). À la fin de notre parcours, nous avons mis en avant quelques caractéristiques de Sophia correspondant à l’archétype du Soi, ce qui n’a rien de surprenant, car, dans l’inconscient, les archétypes ne sont pas nettement séparés[129].
Ce travail pourrait être prolongé par une étude du lien entre Sophia et Christ[130] dans une perspective jungienne[131]. Sophia, et non pas Marie, qui est plutôt du côté de l’archétype de la mère[132], pourrait alors apparaître comme une figure typiquement chrétienne de l’anima. Considérer la figure biblique de la Sagesse de ce point de vue serait susceptible de contribuer à enrichir la théologie tillichienne de la maturation psychique[133]. En effet, l’anima a les principaux caractères du symbole religieux tillichien, mais il y a une difficulté, car les images de l’anima sont subjectives, il apparaît donc difficile d’attribuer à ce symbole une certaine universalité, ce que requiert pourtant le symbole religieux tel que le conçoit Tillich[134]. La présente étude permet, en considérant la Sagesse biblique comme une image de l’archétype le plus évolué de l’anima[135], de donner à cet archétype un caractère « objectif », du moins d’en proposer une référence reconnue dans le christianisme. Ainsi, en s’appuyant sur l’étude citée précédemment, nous pouvons considérer l’anima comme un symbole sexuel tillichien s’enracinant dans la Bible[136].
Appendices
Notes
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[1]
Dominique Cerbelaud, Sophie. La figure biblique de la Sagesse et ses interprétations, Paris, Honoré Champion, 2016, deuxième volume de la trilogie « Figures frontalières ». L’auteur présente son étude comme « un status quaestionis aussi complet que possible sur le thème de la Sagesse » et il ajoute, « ce qui, à ma connaissance, n’avait jamais été fait » (p. 295). Dans l’introduction il souligne l’aspect insaisissable de Sophia : « La Sagesse court toujours […] cette singulière entité semble prendre plaisir à nous déconcerter […] cet aspect énigmatique a dérouté les commentateurs […]. Dès qu’on croit en avoir fini avec elle, la figure de la Sagesse réapparaît, suscitant de nouvelles perplexités et de nouvelles interprétations. Comme une source impossible à enclore, perpétuellement elle rejaillit » (p. 11). Cet ouvrage prolonge et approfondit, du même auteur, La figure de la Sagesse. Proverbes 8, 22-31, Paris, Cerf (coll. « Cahiers Évangile », 120, Supplément), 2002.
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[2]
Id., Sophie, p. 20.
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[3]
Pour une présentation très synthétique de l’anima, voir Carl Gustav Jung, « 28. Image de l’âme », dans Types psychologiques, Genève, Georg, 1950, p. 458-461 ; et pour une présentation plus développée, voir Id., « II. L’“anima” et l’“animus” », dans Dialectique du Moi et de l’inconscient, Paris, Gallimard, 1964, p. 143-199. Dominique Cerbelaud n’évoque pas Jung dans son Sophie. Pourtant dans le premier volume de sa trilogie, il consacre une section à l’« archétype du féminin » jungien. Dans ce texte, il n’utilise pas le terme anima, mais seulement l’archétype de la mère, en soulignant l’intérêt pour la mariologie de l’approche de Jung, dans Réponse à Job (Paris, Buchet/Chastel, 1964) ; voir Dominique Cerbelaud, Marie, un discours dogmatique, Paris, Cerf, 2003, p. 288-291, premier volume de la trilogie « Figures frontalières ».
-
[4]
Jung précise que l’anima et l’animus sont les figures autonomes de l’inconscient « les plus proches, les plus prochaines et les plus importantes » ; voir Carl Gustav Jung, Problèmes de l’âme moderne, Paris, Buchet/Chastel, 1960, p. 60. L’animus est l’équivalent pour une femme de l’anima d’un homme, il correspond à la part inconsciente masculine d’une femme.
-
[5]
Carl Gustav Jung, Dialectique du Moi et de l’inconscient, p. 149.
-
[6]
Rappelons que le modèle de la psyché élaboré par Jung est empirique, il s’appuie sur une observation clinique très riche. Notre posture est en revanche critique vis-à-vis de l’élaboration « mytho-théologique » de Jung, telle qu’il la propose dans Réponse à Job et dans le chapitre « Pensées tardives », dans son ouvrage autobiographique, « Ma vie ». Souvenirs, rêves et pensées, Paris, Gallimard, 1973, p. 512-557. Comme le souligne Jung, il s’agit d’une profession de foi personnelle qui ne prétend pas à une valeur universelle. Nous nous sommes expliqué par ailleurs sur notre position, notamment dans notre prise de distance vis-à-vis de la théologie de J.P. Dourley qui s’appuie non seulement sur la psychologie de Jung mais reste proche de sa théologie, voir notre « Le processus de sanctification de Paul Tillich et le modèle de la psyché de Carl Gustav Jung : un enrichissement possible ? Éléments de discussion sur la théologie de John P. Dourley », Laval théologique et philosophique, 75, 1 (février 2019), p. 17-37. Pour la suite, nous ferons référence à cet article par « Le processus de sanctification ».
-
[7]
Pour une synthèse de ces éléments, voir notamment Carl Gustav Jung, Dialectique du Moi et de l’inconscient.
-
[8]
Id., Types psychologiques, p. 479-480. Dans cette phrase, le terme « âme » est à comprendre au sens général de psyché comme « totalité des processus psychiques, conscients et inconscients » (ibid., p. 425), et non pas au sens plus restreint d’anima que Jung utilise parfois, comme en ibid., « 4. Âme », p. 425-431.
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[9]
En fait, les textes bibliques n’ont pris leur forme définitive que par les réécritures successives de nombreux auteurs. Ainsi, les questions soulevées dans ces textes dépassent les enjeux individuels des auteurs. L’anima évoquée ici correspond ainsi à une forme collective.
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[10]
Carl Gustav Jung, Types psychologiques, p. 410-411 : Jung considère que les prophètes d’Israël appartiennent au type « intuitif introverti » qui est très attaché à ses images inconscientes mais ne saisit pas leurs « rapports » avec « lui-même ». Nous pensons que cette remarque peut aussi être valable pour le milieu des « sages », du courant de la sagesse mystique (voir plus bas). Jung précise l’approche de ce type d’interprétation psychologique à propos de l’Apocalypse en mettant en avant les éléments correspondant à l’ombre inconsciente de Jean. Il souligne que l’Apocalypse a un véritable intérêt collectif, sous forme de « révélation », et ne se limite absolument pas à une expression individuelle comme le voudrait une herméneutique psychologisante réductrice, voir Réponse à Job, p. 167-168, 195-198. C’est aussi notre point de vue concernant les textes où l’on peut interpréter Sophia comme anima.
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[11]
C’est ce que nous avons montré dans notre « Le processus de sanctification ».
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[12]
Nous considérons que cette association s’inscrit dans la « mytho-théologie » personnelle de Jung de laquelle nous nous écartons, voir n. 6.
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[13]
Nous supposons en effet, compte tenu de la culture biblique, que les auteurs bibliques sont des hommes. Pour une femme qui serait auteure biblique ou lectrice, Sophia correspondrait à son Soi, le stade de développement vers lequel tend la psyché lors du processus d’individuation.
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[14]
Voir Carl Gustav Jung, Les racines de la conscience, Paris, Buchet/Chastel, 1971, p. 84-86. Jung précise ce qu’il entend par projection : « La projection est, comme nous l’apprend l’expérience médicale, un phénomène inconscient, automatique, par lequel un contenu dont le sujet n’a pas conscience est transféré sur un objet, de sorte qu’il paraît appartenir à cet objet. […] la projection cesse au moment où elle devient consciente, c’est-à-dire quand le contenu est perçu comme appartenant au sujet. »
-
[15]
Ibid., p. 84-87.
-
[16]
Dans ce texte, Jung utilise plutôt le terme imagines, voir l’explication de Michel Cazenave sur ce terme, ibid., p. 11.
-
[17]
Ce terme est « formé par R. Otto sur numen (être surnaturel sans représentation plus précise), […] exprime la majesté et la puissance invincible, soit ce qui, dans l’homme, manifeste ce que les anciens disaient “divine” » (Réponse à Job, p. 17, note du traducteur, Roland Cahen).
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[18]
On peut relever des ressemblances entre l’approche de Jung et la critique que Tillich fait de la projection freudienne dans La naissance de l’esprit moderne et la théologie protestante (Paris, Cerf, 1972, p. 175-176). Dans ce texte sur Feuerbach, Tillich rappelle que « la pensée freudienne interprète Dieu comme une projection humaine, comme une image paternelle, etc. », puis il souligne que la projection (par exemple du père) se fait sur l’écran de notre propre infinité. Ainsi Dieu, dans cet exemple lié au père, serait une « conjonction » de l’infinité humaine avec l’expérience personnelle du père. Cela rejoint la notion de complexe chez Jung où l’archétype est une structure inconsciente qui est « meublée » par l’expérience personnelle : l’archétype « informe » le noyau imaginaire parental. Ce rapprochement entre Tillich et Jung nous semble justifié, car Tillich reconnaît la valeur des archétypes jungiens et écrit qu’ils appartiennent au « mystère du fondement créatif de tout ce qui est » (Paul Tillich, « Carl Jung », dans The Meaning of Health. Essays in Existentialism, Psychoanalysis, and Religion, Chicago, Exploration Press, 1984, p. 178 : « The archetypal forms behind all myths belong to the mystery of the creative ground of everything that is »).
-
[19]
L’oeuvre de Léopold von Sacher-Masoch, notamment La Vénus à la fourrure et La Mère de Dieu, exprime ce type de situation de façon très expressive. Emma Jung (associée aux recherches de son époux et analyste elle-même) évoque l’anima destructrice de la femme fatale : « […] les hommes qu’elle envoûte perdent leurs qualités et leurs vertus masculines et finissent pas succomber » et donne l’exemple de la castration des prêtres de Cybèle, déesse représentant typiquement un archétype de la Mère (voir Emma Jung, Animus et anima, Ville d’Avray, La Fontaine de Pierre, 2017, p. 147). Du point de vue théologique, nous avons relevé par ailleurs une tendance semblable dans la lecture que fait J.P. Dourley de la théologie de Jung, dans Réponse à Job notamment, pour ce qui concerne la valorisation, excessive à notre avis, de la « religion de la déesse », voir « III.5. La déesse, mère de la Trinité », dans notre « Le processus de sanctification », p. 29-32. Nous partageons le point de vue du psychiatre et psychanalyste lacanien Jean-Pierre Lebrun qui, dans Fonction maternelle, fonction paternelle (Paris, Fabert ; Bruxelles, yapaka.be, 2011), développe l’idée que la fonction maternelle envahit notre société depuis quelques décennies, remettant ainsi en question le rapport à l’autorité, pour le plus grand tort de la liberté et de l’épanouissement social de l’individu. La perspective est lacanienne mais en termes jungiens, on pourrait analyser la situation comme une emprise négative de l’archétype de la mère (peut-être par une malheureuse opposition inconsciente à tous les excès dévastateurs du patriarcat) sur la société actuelle. L’excès de matérialisme peut aussi se comprendre comme un symptôme d’une société inconsciente de l’archétype de la mère et qui en subit l’aspect destructeur (voir Sibylle Birkhäuser-Oeri, Marie-Louise von Franz, La Mère dans les contes de fées, Ville d’Avray, La Fontaine de Pierre, 2014, p. 28, 200, 231 et 327). Marie-Louise von Franz est l’une des principales élèves et collaboratrices de Jung.
-
[20]
L’image plus ou moins fantasmée dont il est conscient, il ne s’agit pas de la mère « réelle ».
-
[21]
Carl Gustav Jung, Psychologie et alchimie, Paris, Buchet/Chastel, 1970, p. 118, n. 27. Jung précise que ce processus d’évolution de l’anima manifeste la vitalité de l’être psychique (voir p. 117-120).
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[22]
Voir n. 4.
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[23]
Carl Gustav Jung, Aïon. Études sur la phénoménologie du Soi, Paris, Albin Michel, 1983, p. 24-25 ; Id., « Les aspects psychologiques de l’archétype de la mère », dans Les racines de la conscience, p. 103-151 ; Id., « Contribution à l’aspect psychologique de la figure de Koré », dans Id., Charles Kerényi, Introduction à l’essence de la mythologie, Paris, Payot, 2001, p. 270 : « Un homme infantile possède, en règle générale, une figure d’Anima maternelle ; pour l’homme adulte, ce sera la figure d’une femme plus jeune ». Ysé Tardan-Masquelier synthétise bien cette question, dans Jung et la question du sacré, Paris, Albin Michel, 1998, p. 64 : « Jung distingue, à côté d’un archétype de la mère, un “Éternel féminin”, qui peut affleurer à la conscience par les mêmes symboles mais s’en distingue par la finalité : l’archétype de la mère réintègre perpétuellement le sujet dans une origine, dans une temporalité close où il se trouve semblable à lui-même mais sans acquisition véritable. Le rôle de l’anima est bien différent […] en un seul mot, [l’anima pour un homme est] l’archétype de l’altérité ». Et elle précise en note 31 : « La distinction et l’interprétation des symboles de la Mère et de l’anima introduisent au développement du “processus d’individuation” » ; voir aussi p. 93-95.
-
[24]
Jung poursuit : « Qu’a donc finalement à offrir la réalité banale avec ses bureaux d’état civil, ses salaires mensuels, ses loyers, etc., qui puisse faire contrepoids aux frissons mystiques de la hiérogamie, à la femme constellée que poursuit le dragon et aux pieuses équivoques qui enveloppent de leur trame les noces de l’Agneau ? À ce degré du mythe qui restitue au mieux l’essence de l’inconscient collectif, la mère est la fois vieille et jeune, Déméter et Perséphone, et le fils est à la fois l’époux et le nourrisson endormi ; état de plénitude indescriptible, avec lequel naturellement ne peuvent, et de loin, rivaliser les imperfections de la vie réelle, les efforts et les fatigues de l’adaptation, ainsi que la souffrance des multiples déceptions devant la réalité » (Jung, Aïon, p. 25). Voir aussi Id., Dialectique du Moi et de l’inconscient, p. 166-170, p. 217-218 (sur les dangers des déesses matriarcales).
-
[25]
Id., Aïon, p. 26. Jung poursuit : « […] si on peut le décrire [le concept d’anima] en langage rationnel, scientifique, on ne parvient pas, et de loin, à en exprimer la nature vivante. C’est pourquoi je préfère consciemment et délibérément le mode d’expression mythologique et dramatique, car […] ils sont non seulement beaucoup plus expressifs mais aussi plus exacts qu’un langage abstrait ». Il évoque aussi explicitement les contes de fées comme mode d’expression des archétypes (Id., Réponse à Job, p. 207).
-
[26]
Id., Aïon, p. 45. C’est aussi le thème de l’ensemble de son ouvrage, Psychologie du transfert (Paris, Albin Michel, 1980).
-
[27]
Le conscient correspond au complexe que Jung nomme le « moi » (c’est le seul complexe doué de conscience).
-
[28]
Id., Réponse à Job, p. 65-241 (p. 68 pour le terme « mère-amante »). De notre point de vue, les liens entre Sophia et Marie n’ont pas de fondements exégétiques solides, pour une discussion sur l’histoire de l’interprétation mariale de Sophia, voir Dominique Cerbelaud, « La mariologie catholique », dans Sophie, p. 205-217. Nous pensons que Jung a été trop influencé, dans son interprétation de la Sagesse biblique de l’Ancien Testament par « La Sophia » gnostique (Sophia-Achamoth, la mère déchue du plérôme valentinien, elle est associée à la substance matérielle du monde). Pour une présentation de la reprise de la figure de la Sagesse biblique par la gnose, on pourra consulter Dominique Cerbelaud, « La gnose hétérodoxe », dans Sophie, p. 153-168. L’auteur souligne une différence essentielle entre la Sagesse biblique, associée à une valeur positive du monde créé, et Sophia-Achamoth, associée à un monde dont il faut se libérer : le remaniement opéré par la gnose a dénaturé la Sagesse biblique (p. 157-158).
-
[29]
Carl Gustav Jung, Réponse à Job, p. 67.
-
[30]
Compte tenu de l’immense érudition de Jung, il semble probable qu’il ait eu accès à cette information mais il l’a passée sous silence, peut-être pour appuyer la thèse défendue : il met l’accent sur la dimension « mère » de Sophia.
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[31]
Explicitement en Sg 6-8, comme épouse de Salomon.
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[32]
Soulignons qu’en Pr 4,3 et 6,20, la mère du « fils » est bien présente et valorisée, mais il ne s’agit pas de Sophia, qui est figurée comme épouse. Cette mère humaine n’est jamais mise en concurrence avec Sophia (contrairement à la femme adultère), ce qui montre que Sophia ne s’attribue pas la maternité de son « amant ». De plus, en analysant de près Pr 8,22-31, on peut montrer que Yhwh peut être considéré non seulement comme Père, mais aussi comme Mère (voir notre L’éros, un chemin vers Christ-Sophia, Approches bibliques et théologiques, préface de François Nault, Paris, Montréal, Médiaspaul, 2016, p. 69-71. Pour la suite, nous ferons référence à ce livre par L’éros, un chemin vers Christ-Sophia), or, de notre point de vue, Yhwh étant une figure distincte de Sophia, elle n’est pas Mère dans ce texte.
-
[33]
Traduction à partir de l’original hébreu, voir Charles Mopsik, La Sagesse de Ben Sira, Lagrasse, Verdier, 2004, p. 156.
-
[34]
La note a de la TOB, correspondant au titre (« Recherche passionnée de la Sagesse ») donné pour Si 51,13-30, indique que ce texte décrit « d’après certains commentateurs, d’une façon très réaliste et pleine de doubles sens, l’amour et la recherche de la sagesse sous l’image des relations d’un enfant avec sa nourrice, puis [nous soulignons] d’un jeune homme avec son amie. La traduction grecque aurait édulcoré cet aspect ». Pour des commentaires plus détaillés, on pourra consulter André Dupont-Sommer, Marc Philonenko, dir., La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1987, p. 318-322.
-
[35]
Nous avons déjà évoqué cette question en n. 6, que nous complétons ici. Jung écrit dans son introduction à Réponse à Job, intitulée « Lectori benevolo » (au lecteur bienveillant), « je ne puis me contenter d’user d’objectivité : je dois également laisser parler ma subjectivité et mes émotions pour décrire ce que je ressens à la lecture de certains Livres des Écritures […]. Je n’écris pas cet ouvrage en exégète (je ne le suis pas) ». Jung écrit, de plus, dans une lettre adressée à Henry Corbin le 4 mai 1953 : « Il [Réponse à Job] “m’est venu” pendant une maladie, dans la fièvre […]. Le tout était une aventure qui m’est arrivée, et que j’avais hâte d’enregistrer » (ibid., p. 259). Henry Corbin commente ce livre : « Le texte allemand de Jung présente, par moments, la tonalité effective d’une passion contenue qu’il est difficile de faire passer en français » et précise que l’inspiration qu’il en a eue « lui était venue d’un seul coup, au cours “d’une maladie, dans la fièvre” ». Plus tard, en 1957, dans son autobiographie, Jung écrit à propos de la rédaction de Réponse à Job : « Je le fis dans la forme sous laquelle elle s’était imposée à moi, celle d’une expérience vécue, dont je ne réprimais pas les émotions. C’est avec une intention bien précise que j’avais choisi cette forme. J’avais à coeur d’éviter de donner l’impression que je voulais annoncer une “vérité éternelle” […]. Je n’avais jamais pensé que l’on pourrait me soupçonner d’avoir prétendu proclamer une vérité métaphysique » (« Ma vie », p. 347). L’approche que Jung a de Sophia, focalisée sur la figure de la mère, peut être rapprochée de la forme de fascination que Jung avait pour sa mère (ibid., p. 91), en effet, dans un rêve que Jung présente comme ayant conduit à la rédaction de Réponse à Job, sa mère a une place assez importante, voir ibid., p. 342-344. Il est assez remarquable, alors même que pour Jung l’archétype de la mère s’identifie à celui de l’anima pour l’enfant, il n’utilise ce terme, très connoté comme partenaire sexuelle, qu’une seule fois dans tout son livre à propos de la « compagne divine dont l’image vit en tout homme » (p. 213), expression qui est tout à fait conforme à l’ensemble de sa psychologie.
-
[36]
Jean Hadot, « Sagesse (livres de) », dans Encyclopaedia Universalis, t. 21, Paris, Encyclopaedia Universalis, 2012, p. 452-454.
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[37]
Ibid. D’un point de vue jungien, cette sagesse peut s’apparenter au développement des personas (masques sociaux), les personnalités que l’on adopte tour à tour pour s’adapter au milieu extérieur en fonction des situations, par exemple le rôle professionnel ou le rôle familial. Pour Jung, chez un homme, l’anima est le pôle opposé à la persona, l’anima correspondant à son intériorité inconsciente.
-
[38]
En Jb 28 notamment. De manière générale le Livre de Job, par son questionnement sur la thèse traditionnelle de la rétribution immédiate, constitue une contestation très vigoureuse de la morale traditionnelle intérieure aux milieux sapientiaux.
-
[39]
« Pourtant Dieu parle d’abord d’une manière et puis d’une autre, mais l’on n’y prend pas garde : dans le songe, la vision nocturne, lorsqu’une torpeur accable les humains, endormis sur leur couche. Alors il ouvre l’oreille des humains et y scelle les avertissements qu’il leur adresse, afin de détourner l’homme de ses actes, d’éviter l’orgueil au héros. » Sauf mention contraire, les traductions de la Bible sont celles de la TOB. On pourra remarquer que dans une perspective jungienne, le déroulement chronologique de ces trois courants de sagesse correspond à une évolution psychique. La sagesse traditionnelle peut être associée à un faible développement psychique où le sujet reste très attaché à l’archétype de la mère qui exerce alors un rôle négatif : une emprise de cet archétype peut conduire à un attachement excessif aux traditions et au passé. En principe, ce stade cesse pour laisser la place, vers l’adolescence, à une distanciation vis-à-vis de la mère. Le « moi » du sujet s’affirme alors, on peut y associer à ce stade de développement la sagesse contestataire : le divin est patriarcal et lointain, la sagesse de Dieu ne se communique pas. Enfin, dans le dernier stade de développement psychique, l’individuation, le sujet, ayant bâti un « moi » suffisamment solide dans l’étape précédente pour pouvoir « affronter » l’inconscient, peut engager un dialogue avec lui tout en maintenant une distance critique sans se laisser submerger. L’anima, qui précédemment était figée au stade de la mère, se développe et prend la stature de partenaire sexuel avec laquelle le sujet peut entretenir une relation de réciprocité adulte et durable. Cela pourrait correspondre au courant de la sagesse mystique : la Sagesse de Dieu est communicable à qui a assez de discernement et de vigilance pour la recevoir sans tomber dans le piège d’aspects négatifs de l’inconscient, tel qu’il est, par exemple, figuré par la femme adultère en Pr 1-9, nous y reviendrons abondamment plus bas.
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[40]
L’étude des différentes interprétations de la Sagesse réalisée par Dominique Cerbelaud, Sophie, montre bien toute l’importance de Pr 8,22-31.
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[41]
L’ensemble des textes appartenant à ce courant sont Pr 1-9 ; Pr 31,10-31 (introduction et conclusion du Livre des Proverbes) ; Jb 32-37 ; le Livre du Siracide et le Livre de la Sagesse ; voir Jean Hadot, « Sagesse (livres de) ».
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[42]
Ibid., p. 454.
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[43]
Carl Gustav Jung, Psychologie du transfert, p. 26-27 : « Chez un être dont le tempérament entraîne une orientation spirituelle, l’activité pulsionnelle revêt à son tour un certain caractère symbolique. Il ne s’agit plus de la simple satisfaction d’une pulsion ; cette activité est au contraire liée à des “significations” qui la rendent plus complexe […]. La phénoménologie érotique fournit sans doute les exemples les plus parlants de ce genre de complications. L’Antiquité tardive connaissait déjà la fameuse échelle des quatre : Chawwa (Ève), Hélène (de Troie), Marie et Sophia. Cette série se retrouve de façon allusive dans le Faust de Goethe : on y rencontre d’abord Marguerite, personnification d’une relation d’ordre purement instinctuel (Ève) ; puis Hélène […] ; ensuite Marie, en tant que personnification de la relation céleste, c’est-à-dire religieuse et chrétienne ; enfin l’Éternel Féminin (Sophia), expression qui désigne la Sapientia alchimique. Comme le choix des noms le montre, il s’agit ici de quatre degrés de l’éros hétérosexuel, voire de quatre niveaux de l’image de l’anima, donc de quatre stades de la culture de l’éros. Le premier stade, celui de Chawwa, Ève, la terre, est uniquement biologique […]. Le deuxième stade correspond à un éros à prédominance encore sexuelle, mais de caractère esthétique et romantique […]. Le troisième stade élève l’éros à la vénération la plus haute et à la dévotion religieuse, et ainsi la spiritualise. Contrairement à Chawwa, il s’agit ici de maternité spirituelle. Le quatrième degré enfin éclaire un aspect qui, de façon inattendue, va plus loin encore que le troisième stade, pourtant difficilement surpassable : c’est la Sapientia […]. Ce degré représente une spiritualisation d’Hélène, c’est-à-dire de l’éros pur et simple. C’est pourquoi la Sapientia est mise dans un certain parallèle avec la Sulamite du Cantique des Cantiques ». Nous avons relevé certains liens entre la Sulamite et la Sagesse biblique, voir L’éros, un chemin vers Christ-Sophia, p. 19-80, notamment p. 26-27.
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[44]
Comme indiqué en n. 25, l’anima s’appréhende essentiellement par son mode d’expression mythologique, plus que par des concepts abstraits, ce qui est l’objet de l’ouvrage d’Emma Jung, Animus et anima. La partie sur l’anima est intitulée « L’anima représentée par les divinités de la nature », et elle précise, p. 161 : « Au cours de ce travail j’ai cherché à représenter l’anima comme une divinité de la nature, et je n’ai pas pris en considération les formes supérieures de ses manifestations, comme par exemple la Sophia. Il me semblait important de souligner son appartenance à la nature, car c’est un trait distinctif de l’essence du féminin. » Cependant, comme nous le verrons, plusieurs caractéristiques de l’anima relevées par E. Jung sont générales et se retrouvent aussi pour la Sagesse biblique (comme relevé en n. 28, Jung, de notre point de vue, a une interprétation de la Sagesse biblique assez gnostique, et nous pensons que, dans son sillage, son épouse également). Emma Jung évoque d’ailleurs quelques phrases plus loin l’assomption de Marie et semble ainsi tout à fait s’inscrire dans la perspective de Réponse à Job que nous avons discutée plus haut. Pour ce qui nous concerne, Sophia, psychologiquement, « dépasse » Marie (« maternité spirituelle » correspondant au stade « le plus saint et le plus pur »), ainsi que nous l’avons relevé en citant un passage de Psychologie du transfert (note précédente). Ainsi, Sophia garde des éléments « naturels ». On peut incidemment relever, pour une mère, les dangers de s’identifier à Marie, qui présente un aspect exclusivement lumineux de l’archétype de la mère (donc non « naturel »). En effet, le risque est que la part sombre de cet archétype se développe inconsciemment en une telle femme « chrétienne », avec des conséquences terribles à la fois pour elle et ses enfants.
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[45]
L’éros, un chemin vers Christ-Sophia, p. 62-64.
-
[46]
André Robert, « Les attaches littéraires bibliques de Prov. I-IX », Revue Biblique, 43, 2 (1934), p. 188-189.
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[47]
Carl Gustav Jung, Aïon, p. 42, l’anima et l’animus sont « ressentis la plupart du temps comme fascinants ou numineux. Une atmosphère les enveloppe souvent, faite de sensibilité, d’intangibilité, de mystère, d’intimité douloureuse et même d’absolu. »
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[48]
Ibid., p. 34. Nous avons proposé par ailleurs une interprétation théologique de l’action de l’inconscient dans une perspective tillichienne, notamment en soulignant que les rêves, chez Tillich, sont un medium de révélation et en montrant les ressemblances entre l’action du Soi, chez Jung, qui conduit à l’individuation et, chez Tillich, la créativité dirigeante de Dieu qui conduit au processus de sanctification, voir notre « Le processus de sanctification ».
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[49]
Carl Gustav Jung, Psychologie du transfert, p. 31. Cet aspect est souligné dans Sibylle Birkhäuser-Oeri, Marie-Louise von Franz, La Mère dans les contes de fées, p. 42-43, 49 ; et dans Emma Jung, Animus et anima, p. 119.
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[50]
Cet aspect de Sophia apparaît aussi, mais sous une forme atténuée, en Pr 8,36. Comme l’indique Jung, l’anima est exigeante, dans les rêves, notamment, elle peut vivement reprocher à un homme de ne pas suffisamment se soucier d’elle (voir Carl Gustav Jung, Psychologie et alchimie, p. 158).
-
[51]
Jung définit la religion de la façon suivante : « Comme le dit le mot latin religere, la religion est le fait de prendre en considération, avec conscience et attention, ce que Rudolf Otto a fort heureusement appelé le numinosum, c’est-à-dire une existence ou un effet dynamique, qui ne trouve pas sa cause dans un acte arbitraire de la volonté » (Carl Gustav Jung, Psychologie et religion, Paris, Buchet/Chastel, 1958, p. 17).
-
[52]
« Certains contenus inconscients s’efforcent de devenir conscients et se vengent quand leur exigence n’est pas prise en considération » (voir Emma Jung, Animus et anima, p. 148-149).
-
[53]
Carl Gustav Jung, Aïon, p. 45-47.
-
[54]
Pour les détails de l’argumentaire exégétique, voir L’éros, un chemin vers Christ-Sophia. Cette étude s’appuie notamment sur les liens littéraires entre le Cantique des Cantiques et Pr 1-9 étudiés par Claudia V. Camp, dans Wisdom and the Feminine in the Book of Proverbs, Decatur, Almond (coll. « Bible and Literature Series », 11), 1985, Chapter 4 : « Female Roles and Images Relating to Personified Wisdom », p. 79-149. Sophia apparaît être en quelque sorte une forme divine de la Sulamite. Le sage est censé chercher et aimer Sophia de façon semblable au bien-aimé du Cantique pour la Sulamite. Pour une discussion sur ce point, voir L’éros, un chemin vers Christ-Sophia, p. 26-28.
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[55]
Nous rappelons ici les principaux résultats de l’étude présentée dans L’éros, un chemin vers Christ-Sophia.
-
[56]
Ibid., p. 34-35.
-
[57]
Ibid.
-
[58]
Nous aborderons plus loin le terme « connaissance ».
-
[59]
Ibid., p. 35-37.
-
[60]
Ibid.
-
[61]
Ibid., p. 37.
-
[62]
Ibid., p. 37-38. L’argumentaire fait notamment référence à André Lelièvre, Alphonse Maillot, Commentaire des Proverbes, t. III, Chapitres 1-9, Paris, Cerf (coll. « Lectio Divina », Commentaires, 8), 2000, p. 79, 81 et 82. Ces exégètes écrivent, à propos de Pr 4,8-9 : « Quelle que soit la traduction (souvent édulcorée !), il y a un clair parallèle entre la jouissance sexuelle et la joie que procure la Sagesse. Il n’y est pas jusqu’à la “couronne de charme” ou “le diadème d’argent” du v. 9 qui ne fassent songer à l’adéquation entre l’apprentissage de la Sagesse et l’initiation à l’amour pour un jeune homme que les prostituées couronnaient de fleurs odorantes. » Pour aller dans le sens de ces auteurs, on peut rappeler qu’Enkidu, un homme sauvage, réplique de Gilgamesh, a été « dompté » et initié à la sagesse par une courtisane et, après six jours et sept nuits passés avec elle, « il avait acquis la raison, il déployait l’intelligence. Il revint s’asseoir aux pieds de la courtisane, il se mit à contempler le visage de la courtisane, et ce que disait la courtisane, ses oreilles le comprenaient ».
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[63]
Ibid., p. 224.
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[64]
Notamment dans le Cantique des Cantiques, en Gn 24,10-27 (Isaac et Rebecca), Gn 29,9-11 (Jacob et Rachel) et en Ex 2,15-21 (Moïse et Çippora). De manière plus générale, les premiers livres de la Bible présentent la source comme un lieu de rencontre entre Dieu et l’homme, voir Maurice Cocagnac, Les symboles bibliques, Paris, Cerf, 2006, p. 61.
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[65]
André Lelièvre, Alphonse Maillot, Commentaire des Proverbes, t. III, p. 141 et 143 ; voir L’éros, un chemin vers Christ-Sophia, p. 41-43 pour une discussion sur cette traduction controversée.
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[66]
Voir L’éros, un chemin vers Christ-Sophia, p. 45-47.
-
[67]
Claudia V. Camp, Wisdom and the Feminine in the Book of Proverbs, p. 103 : « […] the admiration and active response of her lover ».
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[68]
L’éros, un chemin vers Christ-Sophia, p. 35-36.
-
[69]
Ce terme est aussi utilisé en Gn 4,1a : « Adam connut Ève » ; or Ève peut être considérée comme l’anima d’Adam, en comprenant le terme tsélach de Gn 2,21, couramment traduit par « côte », au sens de « côté », voir Gérard Siegwalt, Dogmatique pour la catholicité évangélique, t. IV, L’affirmation de la foi. Anthropologie théologique : 2. La réalité humaine devant Dieu, Genève, Labor et Fides, 2005, p. 246-248.
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[70]
Marc Girard a élaboré une présentation très fine et approfondie des points communs et différences entre le signe, l’image, la métaphore, l’allégorie, la parabole, le type, le symbole et le mythe-récit en précisant soigneusement les distinctions entre symbole et parabole (p. 71-75). La comparaison entre Pr 8,8-9 et Mc 4,23 est donc superficielle mais du point de vue où l’on se place pour le terme « comprendre », on peut souligner la parenté entre l’interprétation d’une parabole et celle d’un symbole, au sens de Jung, d’autant plus que la parabole de la lampe de Mc 4,21-22 comporte un symbole important, celui de la lumière. Voir Marc Girard, « Éléments de terminologie, le symbole et les notions affines », dans Symboles bibliques, langage universel. Pour une théologie des deux testaments ancrée dans les sciences humaines, Montréal, Paris, Médiaspaul, 2016, p. 29-94. Nous avons montré par ailleurs que l’approche que le psychologue Jung a des symboles s’apparente à celle du théologien Tillich, voir notre « Sanctification et individuation : une discussion de l’approche téléologique du symbole chez Tillich, Jung et Ricoeur », dans Marc Dumas, Benoit Mathot, Marc Boss, dir., Paul Tillich et Paul Ricoeur en dialogue, Berlin, Walter de Gruyter (coll. « Tillich Research/Tillich-Forschungen/Recherches sur Tillich »), 2022, p. 107-121.
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[71]
L’éros, un chemin vers Christ-Sophia, p. 37.
-
[72]
Ibid., p. 45-46.
-
[73]
Ibid., p. 72-78. On peut aussi relever que dans cet hymne, Sophia est fille de Yhwh et présente à ses côtés, ce qui, en considérant Yhwh comme une figure de l’archétype du « vieux sage », est aussi une caractéristique de l’anima. Voir Carl Gustav Jung, Métamorphoses de l’âme et ses symboles, Paris, Georg, 1993, p. 551-555 ; des exemples sont donnés dans Emma Jung, Animus et anima, p. 149-150.
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[74]
« Chapitre 3, l’hymne à la Sagesse, Pr 8,22-31 », dans L’éros, un chemin vers Christ-Sophia, p. 55-80. Nous reviendrons plus en détail sur les versets 8,30-31 plus bas. Signalons que Teilhard de Chardin, sans faire d’exégèse, avait compris ce texte de manière érotique et l’a exprimé dans son célèbre poème, L’Éternel Féminin de la façon suivante (Sophia appelée « l’Éternel féminin » parle) : « Bientôt, cependant, il s’étonne de la violence qui se déchaîne en lui à mon approche, et il tremble en constatant qu’il ne peut s’unir à moi sans être pris, nécessairement, comme le serviteur d’une oeuvre universelle de création. […] il s’aperçoit qu’en moi il touche la grande Force secrète, la mystérieuse Latence, — venue sous cette forme pour l’entraîner. Celui qui m’a trouvée est à l’entrée de toutes choses. Non seulement par l’intermédiaire de sa sensibilité à lui, mais par les connexions physiques de ma nature à moi, je me prolonge dans l’âme du Monde : — ou plutôt je suis l’attrait de l’universelle présence et son innombrable sourire. C’est moi l’accès au coeur total de la création » (Pierre Teilhard de Chardin, « L’Éternel féminin », dans Écrits du temps de la guerre, Paris, Grasset, 1965, p. 255-256). Pour une étude plus détaillée de la lecture érotique que fait Teilhard de l’hymne à la Sagesse, voir L’éros, un chemin vers Christ-Sophia, p. 133-142.
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[75]
La TOB traduit 8,32a par « Et maintenant, fils, écoutez-moi » : le terme « fils » pourrait laisser penser que Sophia se présente ici comme mère et non pas comme épouse, mais nous pensons que ce terme est plutôt une reprise de « fils d’Adam » (traduit par la TOB par « les hommes »), placé un mot avant dans le texte hébreu.
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[76]
L’éros, un chemin vers Christ-Sophia, p. 47-48.
-
[77]
Ibid., p. 48-49.
-
[78]
D’autres textes présentent aussi la Sagesse comme une épouse à rechercher, voir Si 6,22-31 ; 15,2 (développé en 51,13s) ; 24,1-34 ; Sg 6,12-9. Notons cependant que de manière générale les relectures grecques de Pr 1-9 en ont édulcoré la dimension à proprement parler érotique, ainsi que nous l’avons montré par ailleurs (L’éros, un chemin vers Christ-Sophia, p. 81-85). On peut ainsi considérer que la langue grecque, plus conceptuelle et moins expressive que l’hébreu, a contribué à « spiritualiser » Sophia. Cette spiritualisation — Jung fait partie de ce courant — a pu conduire à associer Marie à Sophia, ce dont nous avons discuté plus haut. De plus, sachant que les auteurs du Nouveau Testament ont été influencés par la Septante, cela peut expliquer que les textes du Nouveau Testament faisant référence à Sophia ne présentent pas d’éléments érotiques.
-
[79]
Jung souligne que la prostituée correspond à un « stade primitif infantile » de l’anima, voir Problèmes de l’âme moderne, p. 54. Voir aussi Sibylle Birkhäuser-Oeri, Marie-Louise von Franz, La Mère dans les contes de fées, notamment p. 65-66, 100-129 et 255-259. Par exemple, dans le conte édité par les frères Grimm, L’ondine de l’étang, un homme est attiré dans les profondeurs de l’étang (symbole de l’inconscient) par une très séduisante ondine (son anima négative, figure de femme fatale). C’est sa ravissante et honnête jeune épouse (son anima positive) qui le libère de l’ondine. Du côté de la littérature moderne, Emma Jung décrit une anima destructrice en prenant l’exemple d’Antinéa, la femme fatale du célèbre roman de Pierre Benoît, L’Atlantide (1919), voir Animus et anima, p. 146-149. Emma Jung évoque à ce propos les écrits de Chrétien de Troyes : « Pour le héros éperdu d’amour, l’action la plus difficile est de combattre un opposant qui est en quelque sorte son double [anima négative]. S’il l’emporte, il peut se libérer de la fascination amoureuse qui l’isole et se tourner à nouveau, avec sa dame, vers la société et le monde ». Là encore, il y a une concurrence entre une anima destructrice qui isole du monde et une anima positive qui permet l’insertion dans la société.
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[80]
L’éros, un chemin vers Christ-Sophia, p. 31-53.
-
[81]
Comme dans le Cantique des Cantiques, le terme « soeur » correspond à la bien aimée. Dans une perspective jungienne, l’anima est aussi associée à la soeur. On le retrouve dans de nombreux contes de fées, comme dans le conte édité par les frères Grimm, Frérot et Soeurette, où Soeurette peut être considérée comme l’anima secourable de Frérot (voir Sibylle Birkhäuser-Oeri, Marie-Louise von Franz, La Mère dans les contes de fées, p. 124-131). Dans ce conte, le frère et la soeur sont « liés l’un à l’autre par un très grand amour, quasiment incestueux ». Rappelons que pour Jung, « [l]’inceste symbolise l’union de l’être avec lui-même, l’individuation ou réalisation de Soi » (Psychologie du transfert, p. 77, voir aussi p. 31-33 pour une discussion sur l’imagination incestueuse en dialogue avec Freud et Adler).
-
[82]
Les termes utilisés sont très expressifs, comme en 6,25b : « qu’elle ne te captive pas par ses oeillades ». Le terme hébreu « prendre » traduit ici par « captiver » a en effet un sens d’enfermement. L’analogue, exprimé dans les contes de fées, est celui de l’ensorcellement, par exemple par une ondine ou une sirène.
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[83]
Pour Jung, la nuit symbolise l’inconscience et la lumière, la conscience. On relèvera aussi Pr 5,5-6 : « Ses pieds descendent vers la mort. C’est aux enfers que mènent ses pas. Loin de frayer une voie vers la vie, ses sentiers se perdent elle ne sait où. »
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[84]
Le Livre des Proverbes est présenté comme destiné à éduquer, à donner connaissance et discernement (Pr 1,1-7) : cela correspond, typiquement, à l’élargissement de la conscience, car il s’agit de l’apprentissage de la vie en toutes ses dimensions, et non pas seulement d’un point de vue intellectuel (ce que relève la note e de la TOB à propos du terme « connaissance »). On peut notamment relever Pr 4,1-9 et 5,1-2.
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[85]
Pour Jung (c’est le thème général de Dialectique du Moi et de l’inconscient), il y a deux attitudes à éviter, celle, psychotique, qui consiste à sombrer dans l’inconscience (il s’agirait ici de la relation avec la femme adultère), mais aussi celle du refoulement de tout ce qui vient de l’inconscient, ce qui peut correspondre à une vie très « morale » et bien « rangée » (persona : idéal du moi). On pourrait associer à cela la sagesse traditionnelle, auquel le courant de la sagesse mystique s’oppose, comme on l’a évoqué plus haut. D’un point de vue jungien, cette « position morale » est aussi une forme d’inconscience puisque le moi, autocrate, s’est coupé de l’inconscient. Ce type d’homme peut être victime du déferlement de l’inconscient refoulé, par exemple par une liaison avec une femme fatale. L’attitude juste consiste en un dialogue avec l’inconscient, ce qui permet d’élargir la conscience : c’est, de notre point de vue, ce qui est illustré dans la relation de l’homme avec Sophia en Pr 1-9.
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[86]
Rappelons que l’anthropologie hébraïque ne distingue pas le corps et l’esprit. La traduction mot à mot de Pr 2,10 est : « Car la Sagesse viendra dans ton coeur et la connaissance pour ton être sera douce. » Le terme traduit par « être » correspond à la racine npš (néfèsh) qui recouvre tout l’être de la personne, son « moi vivant ». De manière générale, l’anthropologie hébraïque conçoit l’humain comme une unité, animé par le souffle divin rvḥ, (ruah) : les termes hébreux npš (néfèsh) et bś (basar), traduits parfois par « âme » et « chair », correspondent à une seule et même réalité, celle de la personne humaine. Le basar est la manifestation concrète de la néfèsh. L’articulation entre ces deux termes dans l’anthropologie hébraïque ne correspond pas à celle de l’anthropologie grecque, dont nous sommes héritiers. Cette dernière approche de l’humain tend à séparer deux composantes de l’humain, le corps étant envisagé comme réalité distincte de l’âme, et déprécié par rapport à celle-ci.
-
[87]
Le terme coeur correspond à « toutes les formes de la vie intellective, les affects, les émotions et le domaine inconscient où s’enracinent toutes les activités de l’esprit » (Maurice Cocagnac, Les symboles bibliques, p. 233). Pour une présentation beaucoup plus complète du symbolisme biblique du coeur, voir Marc Girard, Symboles bibliques, p. 1 435-1 456 (p. 1 443 pour les occurrences bibliques où le coeur est « l’organe de l’intuition poétique, de la voyance, voire des préjugés et des visions, songes ou imaginations illusoires » ; cette liste, d’un point de vue jungien, se rapporte à l’inconscient).
-
[88]
« L’ondine est un degré encore plus instinctif d’un être féminin fascinant que nous désignons du nom d’anima » (Carl Gustav Jung, Les racines de la conscience, p. 51).
-
[89]
Id., Aïon, p. 27 ; voir aussi Emma Jung, Animus et anima, p. 112.
-
[90]
Animus et anima, p. 121, il s’agit en fait d’un thème essentiel de son étude qui correspond à l’anima représentée par les divinités de la nature.
-
[91]
Si 24,12 reprendra le thème de l’arbre pour symboliser la Sagesse qui, en grandissant, est devenue semblable à un cèdre ou un palmier. Rappelons que les arbres sous diverses formes sont associés à l’amour dans le Cantique des Cantiques et peuvent représenter la bien-aimée (Ct 1,6 ; 7,8-9 ; 7,13 ; 8,11-12).
-
[92]
L’éros, un chemin vers Christ-Sophia, p. 64-68. Un autre texte important de ce point de vue est Si 24.
-
[93]
Nous relevons une différence essentielle, dans le cadre de notre méthode d’interprétation, entre la Bible et les contes de fées, qui s’explique par la différence du milieu des auteurs. Pour les contes de fées, il s’agit de milieux archaïques, proches de la nature (« primitifs » comme l’exprime souvent Jung) (voir Carl Gustav Jung, Psychologie du transfert, p. 82-85 ; Sibylle Birkhäuser-Oeri, Marie-Louise von Franz, La Mère dans les contes de fées, p. 11-12, 33 et 224), alors que les milieux des « sages » israéliens correspondent a priori à des psychismes plus différenciés et évolués.
-
[94]
Carl Gustav Jung, Dialectique du Moi et de l’inconscient, p. 198.
-
[95]
« Médiation érotique de la Sagesse entre Yahvé et les humains », dans L’éros, un chemin vers Christ-Sophia, p. 72-78.
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[96]
En fait l’ensemble du poème est structuré de la même façon : en faisant apparaître les trois seuls êtres vivants mentionnés dans le texte, on a Yhwh, 11 stiques (22-27a) ; Sophia, 11 stiques (27b-31) ; humains. Sophia est ainsi placée exactement entre Yhwh et les humains (voir Jean-Noël Aletti, « Proverbes 8,22-31. Étude de structure », Biblica, 57, 1 [1976], p. 27).
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[97]
YHWH n’est pas mentionné mais se rapporte aux deux premiers mots du verset 30 : « et j’étais à son côté » (traduction littérale).
-
[98]
Nous avons évoqué cette question plus haut.
-
[99]
Nous rappelons que notre perspective théologique est celle de Tillich, dont on connaît toute l’importance qu’il donne au symbole. Il n’y a absolument rien de « réducteur », dans ce cadre, à associer Yhwh à une figure symbolique, contrairement au sens courant que l’on donne à ce terme, par exemple en utilisant l’expression « ce n’est qu’un symbole ».
-
[100]
L’anima est initiatrice, ainsi que l’expriment bien les célèbres deux derniers vers de Faust : « L’Éternel Féminin nous attire vers le haut. »
-
[101]
Nous rappelons que notre perspective théologique est tillichienne, le processus de sanctification s’apparentant à l’individuation jungienne, voir n. 11.
-
[102]
Voir n. 25.
-
[103]
Rappelons que l’eau est un symbole de l’inconscient. Emma Jung relate une légende galloise où une figure d’anima plonge dans l’eau dès que l’homme touché par son incomparable beauté cherche à s’en emparer (voir Animus et anima, p. 114).
-
[104]
« Un moi clairement conscient est […] nécessaire pour maintenir la qualité de cette relation. En effet, même si les figures de l’inconscient cherchent à être acceptées par l’homme, c’est-à-dire par la conscience, elles sont de nature versatile et retournent facilement là d’où elles proviennent » (ibid., p. 154).
-
[105]
Pururavas et Urvashi, Rig-Védas, X, 95, Satapathabrâmana (voir ibid., p. 87-89) ; et Le rêve d’Oengus, légende irlandaise du viiie siècle (voir ibid., p. 93-94).
-
[106]
Ibid., p. 92.
-
[107]
On peut aussi noter qu’en Si 24,23-34, la sagesse, liée à la loi, est explicitement associée à l’eau. Ce passage est placé juste après un éloge de la Sagesse (24,1-22), texte qui relit Pr 8,22-31.
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[108]
Voir André Lelièvre, Alphonse Maillot, Commentaire des Proverbes, t. III, p. 196 et p. 215. On pourrait aussi évoquer L’éloge de la Sagesse de Jb 28,12-28 (voir aussi Ba 3,15-38) : « Mais la Sagesse, où la trouver ? […] Elle se cache aux yeux de tout vivant […]. Mais la sagesse d’où vient-elle ? […] », mais dans ce texte, la dimension érotique de la relation avec Sophia n’apparaît pas ; ce texte appartient au courant contestataire évoqué dans l’introduction, et non pas au courant de la Sagesse mystique pour laquelle, malgré son caractère insaisissable, elle peut être communiquée par la médiation d’une relation de nature érotique.
-
[109]
Notamment en Pr 1,20-33, où malgré tous les efforts déployés par Sophia elle est rejetée ; en Pr 8,1-11 et 9,1-6.
-
[110]
Emma Jung illustre cet aspect de l’anima avec le conte de fées Libussa, voir Animus et anima, p. 155-156. Dans ce conte, un guerrier « mal dégrossi » est transformé en homme d’une sagesse universelle et gagne ainsi une certaine notoriété grâce à sa relation avec une nymphe qui, grâce à cette relation amoureuse, « prend davantage d’épaisseur et de consistance ». Voir aussi ibid., p. 129.
-
[111]
L’ombre est un autre archétype dont il faut prendre conscience dans le processus d’individuation. Mais pour Jung, l’intégration de l’ombre, la part de soi que l’on a dû « laisser au bord du chemin », car elle ne convenait pas à l’environnement social et familial, est un processus moins difficile et long que celui de l’intégration de l’anima.
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[112]
Voir n. 75.
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[113]
Nous avons déjà fait référence plus haut à l’initiation d’Endiku par une courtisane qui lui a permis d’acquérir la sagesse. Pour une étude plus détaillée des rapprochements, voir L’éros, un chemin vers Christ-Sophia, p. 38 (n. 81) et p. 47.
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[114]
Nous soulignons ce terme, lui-même : il s’agit là encore d’une caractéristique de l’anima, qui fait partie de l’intériorité de l’homme. On peut aussi rapprocher cette remarque de Pr 4,23 (où le coeur, au sens hébraïque, correspond à l’intériorité — n. 87) : « Garde ton coeur plus que tout autre chose, car de lui jaillissent les sources de la vie » (traduction Segond).
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[115]
Carl Gustav Jung, Dialectique du Moi et de l’inconscient, p. 143-199 ; Id., Les racines de la conscience, p. 62 : « L’anima représente purement et simplement l’archétype de la vie » (en italique dans le texte).
-
[116]
Pour ce qui concerne le Livre de la Sagesse, on peut évoquer Sg 6,12-9, qui fait l’éloge de Sophia et présente tous les avantages qu’a Salomon à épouser Sophia, ainsi que Si 15,1-6. On retrouve pour Sophia dans ces textes l’ensemble des caractères de l’anima relevés en Pr 1-9, dont ils s’inspirent. Notons aussi d’autres aspects typiques de l’anima, elle est inspiratrice, ce que l’on trouve dans ces deux textes, notamment en Si 15,5 et Sg 9,11 ; elle est aussi prophétesse (au sens des devins, comme les sibylles) notamment en Sg 7,21, 7,27, 8,8. (On remarquera concernant Sg 7,27 que c’est grâce à Sophia que l’homme peut devenir prophète : dans une perspective jungienne, c’est l’intégration de son anima qui permet à un homme d’être intuitif.) Ces éléments sont développés dans Emma Jung, Animus et anima, p. 99-106 ; ils correspondent à la dimension intuitive de l’anima sur laquelle insiste Jung (Dialectique du Moi et de l’inconscient, p. 144, 195 ; et Les racines de la conscience, p. 120 : chez un homme qui est parvenu à enrichir sa personnalité masculine de sa part féminine, peuvent se développer « des qualités d’éducateur qu’une capacité féminine de pénétration intuitive perfectionne souvent à l’extrême »).
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[117]
On peut aussi relever que Sophia est associée à la Loi, notamment en Si 24 : là encore on est du côté de la conscience par comparaison à l’inconscience d’une relation adultère. En Pr 8,14-16 notamment, l’aspect législateur de Sophia apparaît nettement. Le judaïsme identifiera Sophia à la Torah. Pour une discussion sur cette identification, voir Dominique Cerbelaud, Sophie, p. 103-109.
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[118]
Pour un état des lieux du débat exégétique sur le sens que l’on peut donner au terme ʹāmôn, voir Dominique Cerbelaud, Sophie, p. 23-26 (p. 25 pour la citation). Il apparaît qu’« une majorité d’exégètes se rallie aujourd’hui à l’idée que la Sagesse se présente, en Pr 8,22-31, comme une petite fille s’ébattant devant son géniteur (ou sa génitrice), YHWH » (p. 26).
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[119]
Ces valeurs liées à l’organisation de la société sont masculines dans la culture d’Israël. Voir « Polyphonie des symboles masculins et féminins pour Yahvé et la Sagesse » dans L’éros, un chemin vers Christ-Sophia, p. 68-72. Voir aussi la n. 117 concernant l’identification de la Sagesse à la Torah.
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[120]
De notre point de vue, Pr 8,22-31 ne sépare pas une action de Yhwh qui serait « législatrice » de l’action ludique de Sophia, ainsi que le font généralement les théologiens, comme François Euvé (Penser la création comme jeu, Paris, Cerf [coll. « Cogitatio Fidei », 219], 2000, p. 157-158), qui comprennent plutôt le terme ʹāmôn au sens d’« enfant ». En effet, Yhwh apparaît intimement lié à la Sagesse, voir L’éros, un chemin vers Christ-Sophia, p. 55-80.
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[121]
Carl Gustav Jung, « Phénoménologie particulière de l’archétype de l’enfant », dans Id., Charles Kerényi, Introduction à l’essence de la mythologie, p. 160-161.
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[122]
Carl Gustav Jung, Psychologie du transfert, p. 107 (n. 18) ; et Id., Les racines de la conscience, p. 217. On pourrait aussi relever que des éléments de « mère » peuvent être associés à une anima évoluée, sans remettre en question la critique que nous avons faite de la position de Jung, qui est trop unilatéralement orientée vers l’archétype de la mère. En effet, on l’a vu, les deux archétypes sont naturellement liés pour un homme et, de plus, la « grossesse de l’anima » qui porte le « héros », symbole du Soi, correspond à l’individuation (voir Id., Types psychologiques, p. 430 : « […] l’enfant à naître, c’est l’individualité encore inconsciente »).
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[123]
Id., « Phénoménologie particulière de l’archétype de l’enfant », dans Id., Charles Kerényi, Introduction à l’essence de la mythologie, p. 152-158.
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[124]
Bernhard Lang (Drewermann, interprète de la Bible, Paris, Cerf, 1994) associe Sophia à l’archétype du Soi, mais sa démonstration n’est pas explicite. Il met surtout l’accent, en Pr 8,22-31, sur l’initiation de l’apprenti scribe, « dans un voyage initiatique qui mène, par un grandiose retour dans le temps, jusqu’à l’origine du monde. […] Le point culminant de cette initiation était l’étude du mythe de la création » (p. 167). En effet, d’un point de vue jungien, la création à laquelle assiste ainsi l’apprenti scribe est un écho à « ce qui se passe en lui-même » (p. 165). Ainsi, le jeune homme, en se laissant saisir par ce mythe de la création, est susceptible de renaître lui-même, intérieurement, à une nouvelle vie. En fait, dans ces pages, Sophia apparaît aussi comme compagne, « déesse personnelle », qui, malgré la mention de Lang sur le caractère « amical » de la relation qu’elle entretient avec le scribe, présente à notre avis les caractéristiques de l’anima. On pourra remarquer que dans ce texte l’auteur s’appuie sur une étude où il met en avant le caractère de « déesse personnelle » de Sophia et dans laquelle il évoque une « sorte de mariage mystique » entre Sophia et l’apprenti sage (p. 75). Ce texte se termine de plus par l’évocation du « mariage mystique avec Dame Sagesse » pour Henri Suso, Georg Gichtel et Dom Claude Martin (p. 89-91) : voir Id., « Figure ancienne, figure nouvelle de la Sagesse en Pr 1 à 9 », dans J. Trublet, dir., La sagesse biblique de l’Ancien au Nouveau Testament, Paris, Cerf, 1995, p. 61-97. Or, malgré le caractère d’anima de Sophia qui découle, à notre avis, de cette étude sur la « piété personnelle », Bernhard Lang n’associe pas cette « déesse personnelle » à l’anima, mais au Soi jungien.
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[125]
N. 13.
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[126]
Ann Belford Ulanov montre que l’histoire d’Éros et Psyché (l’anima) peut s’interpréter comme différents stades de développement de l’anima ou de la psyché féminine. C’est l’émancipation progressive vis-à-vis de la mère (Aphrodite) qui permet ce développement (« Chapter Eleven, Stages of Anima Development », dans The Feminine in Jungian Psychology and in Christian Theology, Evanstone, Northwestern University Press, 1971, p. 212-240). L’influence néfaste de la mère sur le développement de l’anima est aussi un thème important dans les contes de fées, voir Sibylle Birkhäuser-Oeri, Marie-Louise von Franz, La Mère dans les contes de fées, notamment p. 106-108.
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[127]
Notons que le caractère insaisissable de Sophia est aussi lié à son double aspect, immanent et transcendant, car la difficulté de ranger la Sagesse du côté humain ou divin participe à son aspect énigmatique.
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[128]
Dominique Cerbelaud évoque le portait biblique de Salomon comme « archétype du Sage », voir Sophie, p. 44-46.
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[129]
Notons que, comme évoqué dans l’introduction concernant les interprétations de Sophia, l’approche que nous en proposons ici est aussi réductrice : nous ne cherchons pas à circonscrire Sophia dans une figure d’anima, même en considérant sa possible « contamination » par le « Soi ». Notre propos est simplement de montrer que Sophia peut aussi, en plus de toutes les autres interprétations, se comprendre comme figure d’anima, sans chercher à l’enfermer dans cette composante du modèle jungien de la psyché.
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[130]
Comme l’indique Jean Hadot, le courant la Sagesse mystique a influencé le christianisme, voir « Sagesse (livres de) », p. 454. Michel Fédoux a souligné plusieurs enjeux de la christologie sapientielle, notamment dans la perspective de la théologie féministe. Depuis, Elizabeth A. Johnson a élaboré une théologie féministe où Sophia a une place déterminante non pas seulement pour Jésus qu’elle nomme « Jésus-Sophia », mais aussi pour les deux autres personnes de la Trinité, l’« Esprit-Sophia » et la « Mère-Sophia » (voir Elizabeth A. Johnson, Dieu au-delà du masculin et du féminin. Celui/Celle qui est, Paris, Cerf ; Montréal, Paulines [coll. « Cogitatio Fidei », 214], 1999, p. 197-297).
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[131]
Christ est un symbole essentiel du Soi (voir Car Gustav Jung, « Le Christ, symbole du Soi », dans Aïon, p. 51-84).
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[132]
Dans notre étude nous avons souligné l’aspect négatif de l’archétype de la mère, mais il présente aussi, comme tous les archétypes, des éléments positifs, notamment à certains stades du développement psychique (Carl Gustav Jung, « Les aspects psychologiques de l’archétype de la mère », dans Les racines de la conscience, p. 103-151). L’importance de cet archétype dans le développement psychique nous apparaît bien synthétisée par Ann Belford Ulanov, « Stages of Psychological Development », dans The Feminine in Jungian Psychology and in Christian Theology, p. 66-70.
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[133]
Nous avons montré par ailleurs que la théologie de la sanctification de Tillich peut être enrichie par la psychologie jungienne du processus d’individuation, voir notre « Le processus de sanctification ».
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[134]
Christophe Gripon, « L’anima selon Jung comme symbole religieux tillichien : un enrichissement possible pour le processus de sanctification ? », Laval théologique et philosophique, 76, 1 (février 2020), p. 61-81.
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[135]
Voir n. 43.
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[136]
On connaît l’importance que Tillich attribue au symbole sexuel comme médium de révélation : « […] ce n’est pas le sexuel en soi qui est révélateur, mais le mystère de l’être qui manifeste sa relation à nous d’une manière particulière par le médium du sexuel. Ceci explique et justifie la riche utilisation de symboles sexuels dans le christianisme classique. […] Le protestantisme, en rejetant le symbole sexuel, court le risque non seulement de perdre beaucoup de richesse symbolique mais aussi de couper le domaine sexuel du fondement de l’être et de la signification dans lequel il est enraciné et d’où il tire sa consécration » (Paul Tillich, Théologie systématique I, Québec, PUL ; Paris, Cerf ; Genève, Labor et Fides, 2000 [1951], p. 165-166, n. 51).