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L’ouvrage rassemble trois textes. Le premier, d’Innocent Himbaza, présente le mariage et la bénédiction d’un point de vue biblique. Le second, de François-Xavier Amherdt, expose la vision catholique du mariage comme vocation d’alliance. Le troisième, de Félix Moser, offre une synthèse de la théologie du mariage du point de vue protestant. Une introduction et une conclusion encadrent l’ensemble.
Selon l’introduction, la problématique générale serait celle d’une « période de transition » marquée par le passage d’une définition hégémonique et normative du mariage comme « l’union de l’homme et de la femme » vers une redéfinition dont la nature demeure à préciser. Bien que les expressions utilisées dans l’introduction ne soient pas entièrement claires, un objectif un peu plus précis se dégage néanmoins : « Afin de contribuer à ce débat dans les Églises, les auteurs de ce livre entendent préciser le sens et les enjeux des gestes qu’on pose et des paroles qu’on prononce lors d’un mariage “religieux” ou lors d’une bénédiction d’une personne, d’un couple ou d’une communauté » (p. 8). L’ouvrage est donc à apprécier à la lumière des deux aspects impliqués dans ce but : 1) la contribution au débat qui devrait normalement accompagner une période « de transition » ; 2) l’analyse des gestes et des paroles du mariage religieux chrétien ou d’une bénédiction matrimoniale chrétienne.
Dans sa contribution, Innocent Himbaza s’efforce d’exposer la complexité du mariage dans la Bible. Il se concentre sur le récit de la Genèse (2,21-24), reconnaissant sa portée programmatique, malgré le fait qu’« il n’est ni le plus ancien récit biblique ni le plus ancien sur la question du mariage. Sur cette question, il reflète plutôt une prise de position assez évoluée qui promeut un idéal à l’époque de la rédaction » (p. 17). L’auteur poursuit avec la présentation des mariages bibliques : Abraham avec Sara, Hagar et Qetoura ; Isaac avec Rébecca ; Jacob avec Léa et Rachel ; la demande de mariage de Sichem ; Samson et la femme Philistine ; les mariages de David et de Salomon ; celui de Booz avec Ruth ; Tobias avec Sara. On n’oublie pas le « mariage de rêve » (p. 35) du Cantique des cantiques, ni l’importance de la métaphore nuptiale pour les prophètes, particulièrement chez Osée, Jérémie et Ézéchiel. L’application de la métaphore nuptiale aux rapports entre Dieu et le peuple ne pouvait qu’exercer en retour une influence sur la conception du mariage. Connoté à l’Alliance entre Dieu et son peuple, le mariage commencera à être considéré du point de vue de la fidélité/infidélité. Ce qui a conduit le prophète Malachie à considérer comme inacceptable la répudiation.
Selon l’auteur, les récits sur le couple « le plus célèbre » (p. 49) du Nouveau Testament, Joseph et Marie, laisseraient apparaître les coutumes juives de l’époque. De particulière importance, dans le contexte du Nouveau Testament, sont les propos de Jésus : lorsqu’il prend position quant au divorce : Mt 5,27-28.31-32 ; 19,3-12 (Himbaza exclut les versets 10-12, alors qu’ils concernent le mariage et les eunuques pour le royaume) et les parallèles Mc 10,2-12 ; Lc 16,18) et lorsqu’il répond à une question sur la loi du lévirat (Mt 22,23-30 et les parallèles Mc 12,18-25 ; Lc 20,27-36). Toutefois, le mariage dans les premières communautés chrétiennes a suscité d’autres questions pour lesquelles on n’avait pas « d’ordre du Seigneur » (1 Co 7,25). Ainsi, Paul n’hésite pas à donner des avis personnels. Le corpus paulinien nous offre aussi le « code domestique » de la lettre aux Éphésiens (5,22-33 ; 6,1-9) soulevant la difficile question de l’asymétrie entre la soumission de la femme au mari et l’amour que celui-ci doit manifester pour sa femme. On ajoute un paragraphe sur la fameuse hymne à l’amour (1 Co 13). Une synthèse conclut la partie sur le mariage dans la Bible.
Dans une seconde partie, le texte se concentre sur la bénédiction. D’abord, en exposant la notion de bénédiction dans la Bible hébraïque et dans la Bible grecque de la Septante, l’auteur souligne la différence entre une parole de Dieu qui se veut efficace et qui suscite une parole humaine de réponse dans la Bible hébraïque et l’idée de « bien parler » ou de « dire du bien » introduites avec les verbes grecs eulogéô et eucharisteo. On se concentre surtout sur l’Ancien Testament, ajoutant quelques notes sur le Nouveau Testament, avant de passer à la question de la bénédiction lors du mariage. On nous présente alors les bénédictions suivantes : la bénédiction du mâle et de la femelle par Dieu (Gn 1,27-28) ; la bénédiction de Rébecca par son frère et sa mère (Gn 24,55-60) ; la bénédiction de Jacob par Isaac (Gn 28,1-4) ; la bénédiction de Ruth (Rt 4,11-12) et celle de Tobit (Tb 7,12-14). On reprend la question de la bénédiction dans le NT, mais du point de vue général, car le NT ne contient pas de bénédictions pour le mariage. À ce sujet, l’auteur commente : « […] comme les cérémonies de bénédiction du mariage ont été thématisées en dehors des textes bibliques, c’est par la bénédiction en général qu’on peut appréhender le mieux celle des mariés en particulier » (p. 104-105).
Le texte ne se conclut pas sans tenter d’ouvrir des possibilités d’appropriation du mariage et de la bénédiction pour aujourd’hui. L’auteur esquisse une perspective qui pourrait intégrer les enjeux des mariages arrangés, de l’endogamie, du lévirat, de la polygamie, du divorce, etc., que l’on trouve dans la Bible et finit avec une note sur « la question de la bénédiction des couples homosexuels ».
Ce texte est loin d’être satisfaisant. La contribution qu’il prétend donner au débat de « transition » de la normativité hétérosexuelle à la diversité humaine dans les Églises est plutôt de l’ordre de la confirmation de ses propres convictions que de la conclusion d’une étude exégétique. Ce qui ne s’accorde pas avec la vision normative du mariage est très simplement réduit à un « aspect culturel ». De façon étonnante, l’auteur semble sympathique à la polygamie, rappelant que « certaines populations du monde aujourd’hui la pratiquent comme une coutume locale et [que] certains chrétiens issus de ces régions revendiquent sa légalisation » (p. 113). La normativité hétérosexuelle trouve ses repères dans les récits de la Genèse. Au sujet de ces textes, Himbaza juxtapose des critères de lecture synchronique du texte et des considérations de l’histoire de la rédaction : les textes de la Genèse représenteraient une synthèse tardive, une évolution dans la conception biblique du mariage comme l’union monogamique, indissoluble, entre un homme et une femme. Cependant, ni les arrangements polygamiques ni toutes les autres bizarreries bibliques entourant le mariage n’ont jamais été effacés du grand récit biblique.
Le contexte prophétique se révèle être un terreau riche pour l’investissement théologique du mariage à la lumière de l’alliance et donc du rapport entre Dieu et le peuple. L’intention des prophètes est de dénoncer l’infidélité du peuple à l’alliance, affirmant la fidélité de Dieu. L’effet collatéral sur le mariage consisterait dans la tendance à le considérer comme reflet de l’alliance de Dieu avec son peuple. D’où l’émergence d’une position contraire au divorce. Quel est le problème ici ? Très simplement la possibilité d’identifier Dieu à l’homme-mâle. Himbaza assume très rapidement l’aspect qui devrait être interrogé : la possibilité d’une lecture métaphorique du mariage à partir de l’Alliance, basée sur la lecture métaphorique de l’Alliance comme alliance matrimoniale. On remarquera comment, dans ce cas, la métaphore renvoie à une autre métaphore, alors que, dans le cas du mariage, la métaphore est appliquée à une réalité humaine. Ep 5,21-33 soulève le même problème (« je dis cela par rapport à Christ et à l’Église »).
Les textes évangéliques et les prises de position attribuées à Jésus ne sont pas bien explorés. Par ailleurs, Paul n’hésite pas à donner des avis personnels en absence d’ordres du Seigneur. On croirait que Paul ne connaît pas très bien la Bible, oubliant notamment la supposée bénédiction matrimoniale de la Genèse (on se souviendra que la 1 Co est de rédaction antérieure aux Évangiles). « 1 Co 7 montre donc que toutes les questions liées au mariage ne sont pas réglées d’avance dans la Bible » (p. 55). Oui, et encore plus : en régime chrétien, les questions liées au mariage constituent matière de discernement personnel dans le contexte de la vie de la foi.
La question de la bénédiction est très mal menée. Dans l’effort de trouver des bénédictions matrimoniales, on perd de vue l’ampleur de la bénédiction biblique dans l’Ancien Testament. Par contre, en ce qui concerne le Nouveau Testament, on procède exactement de façon contraire. Puisque le Nouveau Testament ne contient pas de traces de bénédictions matrimoniales, on comble le vide en ayant recours à l’idée de bénédiction en général.
Selon Himbaza, la bénédiction biblique n’est ni acte de ratification ni signe d’accueil. L’auteur parle de la « confusion actuelle au sujet du sens de la bénédiction et du geste posé par les Églises lors des cérémonies de mariage » (p. 121). On aurait apprécié des explications plus détaillées sur cette supposée confusion. Sur le plan analytique, ce texte n’ouvre aucune piste applicable aux bénédictions matrimoniales actuelles. Dans quelle mesure celles-ci s’inspirent des modèles bibliques ? À partir du moment où le NT ne témoigne d’aucune bénédiction matrimoniale, le retour à l’AT est-il justifiable ?
Le point de vue catholique sur le mariage développé par François-Xavier Amherdt fait appel aux concepts de « vocation » et d’« alliance ». Le mariage serait une vocation à l’alliance, une sorte de « modèle réduit » — au sens d’une « poupée russe » suggère l’auteur (p. 133) — de l’alliance entre Dieu et l’humanité ainsi qu’entre le Christ et l’Église. La perspective rejoindrait celles ouvertes par l’exhortation post-synodale Amoris laetitia (19 mars 2016), notamment assumant une attitude de « respect, délicatesse, miséricorde et patience » (p. 137) devant des situations difficiles de fragilité, tout en faisant retentir l’idéal évangélique. L’auteur offre un survol historique du mariage chrétien, fournissant des éléments quant à l’apparition de la bénédiction nuptiale, au développement de la doctrine des fins du mariage et du mariage en tant que sacrement. L’auteur développe alors l’idée du mariage comme vocation, soutenant l’existence d’une analogie entre les vocations bibliques et le mariage (p. 159-160). Pour compléter son approche, l’auteur introduit la référence à l’alliance, mobilisant aussi la notion de mystère de façon à renvoyer à l’aspect sacramentel (sacramentum étant la traduction latine du mysteriôn néo-testamentaire), lequel peut ainsi être conçu comme un « rendre visible ». « La vocation de l’alliance matrimoniale consiste par conséquent à rendre sacramentellement visible le mariage-alliance de Dieu avec l’humanité et celui du Christ avec l’Église […] » (p. 176). Dans le contexte du mariage, l’alliance serait traduite dans les termes de l’amour. Plus concrètement, l’amour d’amitié (philia) et l’amour don (agapè) « s’incarnent nécessairement pour le mariage dans l’amour de désir (eros) […] » (p. 179). L’auteur enchaîne alors avec la bénédiction, laquelle n’étant pas considérée indispensable à la validité canonique du mariage, viendrait s’ajouter au consentement des époux comme manière d’exprimer le contenu théologal du sacrement. On est renseigné également sur les divers types de bénédictions matrimoniales (bénédiction nuptiale, anniversaires, fiançailles, bénédiction des alliances). On n’oublie pas la dimension pneumatologique, mise en valeur par l’inclusion d’épiclèses (invocations du Saint-Esprit), notamment dans les bénédictions nuptiales. Le texte se conclut en traitant de la question de la possibilité d’un second mariage chrétien après le divorce ainsi que de la possibilité d’offrir des bénédictions nuptiales à des couples de même sexe. Dans le cas du divorce, l’auteur penche vers une réponse positive, alors que, dans le cas des couples homosexuels, « c’est plutôt vers une bénédiction des personnes (individuelles) en tant que personnes, comme le prévoient les premières pages du Livre des bénédictions, que la réflexion de théologie pastorale s’oriente […] » (p. 200).
La contribution au débat autour de la possibilité d’un mariage post-normatif consisterait dans cette ouverture « pastorale » à partir de la théologie liturgique des bénédictions. Cependant, non seulement rien de concret n’est dit sur cette prétendue réflexion de théologie pastorale, notamment sur ses fondements, mais aussi rien non plus à propos des obstacles d’ordre doctrinal et moral qu’il faudrait nécessairement surmonter — sans parler des préjugés ni des clichés — pour ouvrir un tel sentier. Encore une fois, cette contribution serait mieux décrite comme une confirmation des propres convictions de l’auteur. Si celui-ci se rapproche des orthodoxes pour proposer la possibilité d’un second mariage pourquoi alors conserver la distance par rapport aux protestants qui, comme Félix Moser, ne voient pas de contradiction entre la théologie de l’alliance et la bénédiction nuptiale de couples de même sexe ? Remarquons que, dans son texte, Félix Moser soulève la question de la différence d’attitude par rapport aux divorcés et par rapport aux personnes et aux couples homosexuels (cf. p. 240).
En ce qui concerne l’analyse des gestes et paroles lors d’une célébration matrimoniale, on reste aussi sur notre soif. On faillit à atteindre les buts explicitement annoncés et, plus profondément, à prendre au sérieux la liturgie comme lieu de théologie. La façon dont le Rituel de mariage mobilise l’Église locale et l’Église domestique comme contexte vivant au coeur duquel le couple est situé ; la façon dont la Parole de Dieu est rituellement annoncée, interprétée et appropriée ; la façon dont l’échange du consentement, expression de la liberté, et le don de la bénédiction, manifestation de la grâce et de l’action de l’Esprit Saint, interagissent au centre de la célébration ; la façon dont la ministérialité des mariés entre en relation avec la ministérialité de celui qui préside l’eucharistie et, donc, le lien entre les deux sacrements, rien de cela n’est pris en considération.
Le troisième texte offre le point de vue protestant sur le mariage. L’auteur, Félix Moser, brosse d’abord le contexte historique, rappelant l’intrication des pouvoirs religieux et politiques au Moyen Âge. La Réforme ne tombe pas du ciel. Plus largement, en ce qui concerne l’histoire des mentalités, l’époque en est une d’insécurité. Le mal, son origine et ses manifestations, est l’un des problèmes fondamentaux. La femme et la sexualité sont comprises à partir de clefs négatives. Il y a aussi à considérer la Renaissance et l’humanisme, en confluence avec le retour aux écritures préconisé par la Réforme. Celle-ci pose la question de Dieu et de son action dans le monde, dans les termes de la justification par la grâce.
Dans le contexte de la Réforme protestante, le mariage n’est pas un thème prépondérant. Cependant, Luther en fait la défense face à la tendance à le dévaluer par rapport aux voeux monastiques. Si, dans un premier moment, Luther considère encore le mariage comme un sacrement, par la suite, à partir du moment où la notion de sacrement se limite à celle d’un signe institué par le Christ en vue d’une promesse, le mariage est exclu de la liste des sacrements. Selon l’exégèse luthérienne du chapitre 2 de la Genèse, le mariage relève de l’ordre de la création. Le mariage est toléré comme « un garde-fou contre une sexualité libre » (p. 213). Pour Zwingli, il est également à promouvoir pour des raisons d’ordre social, notamment la responsabilité des parents à l’égard des enfants. On souligne la dimension de liberté : « […] à strictement parler tant l’État que l’Église ne marient pas. Ces deux institutions accueillent dans deux cérémonies publiques distinctes le mariage librement consenti par les époux » (p. 214). Les réformateurs acceptent qu’il y ait des motifs légitimes pour le divorce : l’impuissance sexuelle, l’adultère, le refus des relations sexuelles.
Moser propose une lecture de l’évolution du mariage dans les termes d’un rapport de désacralisation de l’institution et de sanctification des conjoints, intégrant dans cette lecture le « mariage d’amour », le partage des tâches et responsabilités par les couples modernes, et la notion de réciprocité. L’auteur reconnaît que le projet de désacralisation a échoué en partie et que l’amour a fini par être sacralisé. Cela expliquerait l’accent sur le mariage comme event (événement ponctuel axé sur le présent). L’auteur présente alors la perspective de la « fidélité créatrice » comme réponse aux défis contemporains, ouvrant une voie vers l’importance du langage symbolique et de la parole performative dans le contexte de la célébration rituelle. « Dans cette perspective, célébrer signifie interrompre le quotidien, inscrire dans le temps et dans l’espace une pause pour redire l’histoire des deux destinées qui vont s’unir » (p. 227). L’auteur inscrit l’acte de bénir au coeur d’une dynamique appelée à constituer un « moment de rencontre essentiel entre l’event et l’offre chrétienne » (p. 228). Pour terminer, l’auteur élabore des pistes pour répondre aux enjeux tirés de trois lieux en débat : la compréhension de la sexualité humaine, l’attitude face aux divorcés, et la possibilité de bénir des couples de même sexe. L’auteur soutient que « la sexualité est don de Dieu et qu’elle n’est pas liée à la seule capacité d’enfanter » (p. 234). En ce qui concerne le divorce, celui-ci « ne doit pas être compris comme un échec irrémédiable » ; il « peut et doit aussi être surmonté » (p. 237). Finalement, selon Moser, une théologie de la bénédiction et de l’alliance de Dieu autorise le rite de la bénédiction des couples homosexuels parce que « le salut des personnes n’est pas engagé par leur orientation sexuelle » (p. 242).
Le texte de Félix Moser est le seul qui me semble en mesure de contribuer au dialogue dans les Églises chrétiennes. La perspective est bien ancrée dans les courants exégétiques et théologiques protestants historiques. D’une part, une conception du mariage comme réalité inhérente à la création mais détachée de l’ordre de la rédemption, alliée à une vision dynamique et ouverte de la sexualité sans la rattacher nécessairement à la procréation, permet de considérer positivement la possibilité d’un mariage entre personnes de même sexe. D’autre part, la scission entre l’ordre de la création et celui de la rédemption peut constituer un véritable problème théologique et pas seulement d’un point de vue catholique. Si l’on considère l’axiome selon lequel « tout ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé » (Grégoire de Nazianze), ou bien le mariage et la sexualité ne sont que des réalités destinées à disparaître avec la « figure » de ce monde qui passe (« […] à la résurrection des morts, les hommes ne prendront point de femmes, ni les femmes de maris, mais ils seront comme les anges dans les cieux » [Mc 12,25]), ou bien l’approche protestante oublie une dimension importante de la justification. Le fait que la théologie catholique accepte le mariage comme un sacrement semble s’accorder avec l’adage patristique. Dans le sacrement, la relation entre l’homme et la femme est assumée par la grâce sans exclure la dimension sexuelle, au contraire, l’incluant précisément pour la sauver, c’est-à-dire pour l’introduire dans l’ordre de la rédemption. Cependant, pourquoi de tous les aspects biologiques, on ne sauverait que la sexualité en fonction de la procréation ? Dans l’eucharistie, qu’est-ce qui est assumé par l’ordre de la grâce : la fonction biologique de la nutrition ou l’ouverture à une réalité qui travaille la nutrition biologique de l’intérieur pour aller au-delà de ses fonctions immédiates ?
En ce qui concerne l’analyse des gestes et des paroles rituelles, le texte de Moser offre une problématisation de la célébration du mariage dans le contexte actuel, ainsi que des pistes dans le sens de la rencontre entre la proposition chrétienne et les conditions — personnelles et culturelles — de son accueil. Moser procède non seulement à une analyse de la bénédiction au coeur de la liturgie reformée, mais construit également un cadre de compréhension de la tendance actuelle du mariage event.
La lecture des « consonances et dissonances » présentées dans la conclusion de ce livre à six mains confirme mon évaluation. Positivement, il faut le souligner, impliquer chacun des auteurs dans une dernière prise de parole considérant les textes des autres auteurs est à saluer dans ce genre d’ouvrage collectif. Toutefois, les textes n’ont pas tous la même qualité. Les consonances et dissonances présentées par Himbaza, du point de vue biblique, ne font que reprendre des idées générales et vagues. Le discours d’Amherdt est plus intéressant, mais il se concentre davantage sur la confirmation de ses propres convictions que sur la mise en valeur de points de repère à reprendre de façon critique. Encore une fois, c’est dans le texte final de Félix Moser que l’on peut trouver de la matière à penser. La mise au point au sujet de Gn 2,21-24 est d’une grande importance : oui, ce texte semble offrir le fondement du mariage, mais au sens strict, il ne concerne pas le mariage. Selon Moser, dissocier l’aspect de l’union sexuelle de celui de l’institution du mariage « permet de valoriser les couples très nombreux qui vivent leur fidélité hors mariage institué » et « autorise une critique libérée par rapport à certaines formes d’institution du mariage » (p. 253). L’auteur pense notamment aux mariages arrangés, mais on peut penser aussi à la polygamie et à l’endogamie, ainsi qu’à d’autres contraintes plus subtiles d’ordre familial, économique, culturel et religieux. Les autres remarques finales de Moser sont également pertinentes quant à l’objectif de contribuer au dialogue théologique sur le mariage : le « potentiel de contestation » patent dans Ga 3,26-29 (« […] il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ ») ; le défi de penser le sacré sauvegardant le mystère de l’agir de Dieu ; et la possibilité d’une confluence de « l’inculturation » catholique et de la « contextualisation » protestante. Comme lors des noces de Cana, on devait attendre jusqu’à la fin pour goûter un vin de bonne qualité.