Abstracts
Résumé
Cet article examine la crédibilité et la pertinence du rôle conféré à Justin Martyr dans le dialogue interreligieux contemporain. En effet, le concept du Logos spermatikos qu’il a introduit dans la théologie chrétienne est reconnu depuis Vatican II comme la justification de l’ouverture vis-à-vis des religions non chrétiennes. En examinant le dialogue pratiqué par Justin en personne, l’auteur de cet article parvient à la conclusion que l’ouverture des chrétiens engagés dans le dialogue interreligieux contemporain va au-delà de celle de Justin.
Abstract
This article examines the credibility and relevance of the role Justin Martyr is accredited with in the contemporary interreligious dialogue. In fact, the concept of Logos spermatikos he introduced into the Christian theology is acknowledged since Vatican II as the justification of the openness towards the non-Christian religions. While examining the dialogue practiced by Justin himself, the author of this article reaches the conclusion that the open mindedness of Christians involved in the contemporary interreligious dialogue goes beyond the one of Justin.
Article body
S’inscrivant en faux contre la vision globale du monde telle que conçue par le modernisme, le postmodernisme défend les particularités ou la multiplicité des vérités. Le dialogue interreligieux contemporain, du moins dans sa mouvance la plus connue, s’inscrit dans la même logique en favorisant l’échange entre les adeptes de différentes religions, renonçant ainsi à la prétention de la supériorité d’une religion particulière par rapport à d’autres, ainsi qu’à l’objectif de gagner son partenaire de dialogue à sa religion. Cet article se penche sur la place qu’occupe Justin Martyr dans cette perception du dialogue. En effet, sa doctrine du Logos spermatikos est interprétée par plusieurs courants comme une ouverture vis-à-vis des religions non chrétiennes et un accueil de leurs adeptes dans le christianisme. Cette théorie justinienne ayant fait l’objet de plusieurs travaux d’érudition[1], cet article n’entend pas y revenir. Il se concentre plutôt sur le rôle conféré à Justin dans le dialogue interreligieux contemporain en raison de ce concept qui porte sa marque[2] et en juge la pertinence en le replaçant dans toute la théologie justinienne. À ce titre, cet article porte sur un aspect de la connaissance qui n’a pas encore fait l’objet d’une investigation sérieuse.
I. Définition du dialogue contemporain
Le terme « dialogue » peut être utilisé dans un sens social, politique, culturel ou religieux. Dans ce dernier cas, il sous-entend le dialogue interreligieux. C’est effectivement ce sens que cet article se propose d’examiner dans les lignes qui suivent.
Le Conseil oecuménique des Églises (COE) et l’Église catholique dominent le débat portant sur le « dialogue interreligieux contemporain » compte tenu de la place de choix accordée à ce sujet dans ces milieux. Jean-Claude Basset, qui se situe dans le sillage du COE, précise qu’il existe cinq éléments à considérer lorsqu’il est question du dialogue interreligieux : la rencontre personnelle, l’échange de paroles, la réciprocité, l’altérité et l’enjeu[3]. Ce dialogue est une rencontre personnelle entre les adeptes de religions différentes et nécessite un échange verbal entre eux. Dans la mesure où il s’agit d’un dialogue, les interlocuteurs ont un droit égal à la parole. Il constitue le cadre idéal du donner et du recevoir où le respect de l’autre est de rigueur. Celui qui s’y engage prend un risque étant donné que « la conversion sous toutes ses formes ne saurait être exclue du dialogue[4] ». Autrement dit, entreprendre un dialogue interreligieux, c’est prendre le risque de se convertir à la religion de l’autre même si son but ultime n’est pas la conversion.
L’Église catholique qui adopte les mêmes présupposés que le COE a une position officielle que le cardinal Francis Arinze[5] résume comme suit : « Le dialogue interreligieux est la rencontre des gens de diverses religions, dans un climat de liberté et d’ouverture, afin d’écouter l’autre, de tenter de comprendre la religion de la personne qui est en face, dans l’espoir de trouver des possibilités de collaboration avec elle[6] ». Quatre types de dialogues sont clairement définis[7] :
Le « dialogue de vie » qui concerne les relations interreligieuses dans le cadre des relations ordinaires de la vie courante : rencontres familiales, culturelles, professionnelles, politiques, commerciales, etc. Il est question de respecter le prochain non seulement comme un être humain, mais comme une personne qui a sa foi, ses croyances et ses convictions culturelles. Le but de ce type de dialogue étant de puiser dans les valeurs communes pour faire face aux défis communs, il ne nécessite donc pas des convictions religieuses identiques[8].
Le « dialogue d’action » ou « dialogue de justice » a lieu lorsque les chrétiens se joignent à d’autres personnes pour contribuer à la libération sociale de l’homme, à son développement et à son affranchissement de toutes les forces aliénantes qui enfreignent son épanouissement. Ce type de dialogue est pratiqué par tous les humanistes à travers le monde[9].
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Le « dialogue d’échange » ou « dialogue intellectuel » est un autre type de dialogue qui concerne les
experts du christianisme et des autres religions qui se rencontrent pour échanger des informations sur leurs croyances religieuses respectives et sur les traditions dont ils ont hérité. Ils s’écoutent les uns les autres, s’efforçant de comprendre en profondeur la religion des autres telle qu’elle est présentée par des représentants compétents et qualifiés de ces traditions religieuses. Ils essaient de voir quelles croyances et quelles pratiques les rapprochent et celles qui les séparent[10].
Il va sans dire que ce type de dialogue n’est pas à la portée de tous les croyants, car il est réservé aux érudits en matière religieuse. Son but est de permettre aux interlocuteurs de tenter d’un commun accord de faire face aux problèmes que pose le monde moderne en s’appuyant sur leurs traditions religieuses[11].
Le « dialogue de l’expérience religieuse[12] » ou « dialogue spirituel[13] » enfin, engage des croyants de différentes religions dans l’échange d’expériences religieuses. Les moines, les ascètes et d’autres figures spirituelles partagent leurs expériences à travers la méditation, le mysticisme, la prière et la manière d’entrer en contact avec Dieu. Il ne concerne que ceux dont la maturité spirituelle est évidente. Les visites intermonastiques sont à classer dans cette catégorie[14].
De ces quatre types de dialogue, l’accent porte plus sur le « dialogue d’échange[15] » et le « dialogue de l’expérience religieuse ». En effet, le « dialogue de vie » et le « dialogue d’action » peuvent être considérés comme secondaires, car ils ne sont pas à proprement parler religieux. Leur point de départ est l’appartenance commune à l’humanité. En outre, ils n’excluent pas les adeptes d’idéologies humanistes ou même athées[16]. Les critères suivants déterminent les conditions de possibilité du dialogue interreligieux telles que conçues par l’Église catholique et le COE[17] :
La nécessité d’une identité religieuse exempte de toute ambiguïté de la part des interlocuteurs. Il est important que ceux-ci soient attachés à leurs traditions religieuses respectives[18].
L’ouverture d’esprit. Les partenaires du dialogue sont appelés à se défaire de tout préjugé pour accueillir avec joie l’action de Dieu dans la religion de l’autre. Un vrai dialogue ne saurait perdre de vue le désir d’enrichissement inhérent à cet exercice[19].
L’engagement de la part des partenaires du dialogue de ne pas transformer l’exercice en une occasion de prosélytisme. Le désir de convertir l’autre à sa religion ne fait pas partie du dialogue[20]. En d’autres termes, le dialogue et la recherche de la conversion de son partenaire s’excluent mutuellement[21].
Le but du dialogue est la conversion à Dieu et non pas à la religion de l’autre[22]. Le dialogue doit être considéré comme une fin en soi et non pas un moyen[23]. C’est ensemble que les partenaires du dialogue cherchent la vérité qui n’est pas plus à l’un qu’à l’autre.
Le vrai dialogue se veut une marque d’authenticité, d’humilité, d’honnêteté et de sensibilité.
William Cenkner résume la position officielle de l’Église catholique sur le dialogue interreligieux en ces termes :
Therefore, one can respond affirmatively to the following questions. Does Catholicism as essentially mission-oriented, evangelizing, accept dialogue in a universal sense ? Yes. Does Catholic mission-practice today encourage universally to experience and express faith in culture-specific and historical contexts of vastly different cultures ? Yes. Is interreligious dialogue a part of the mission of the church ? Yes. Although the church in its work of proclamation seeks new members, does it reject as a goal of dialogue the increase of membership ? Yes. Does it reject proselytism as a form of mission or dialogue ? Yes[24].
Cet aperçu sur la nature du dialogue interreligieux selon la vision du COE et de l’Église catholique permet de conclure qu’il s’agit d’une communication entre des personnes de religions différentes qui a pour seul objectif l’écoute de l’autre et qui proscrit formellement toute tentative de convaincre son interlocuteur de se convertir à sa religion. Si on s’accorde pour reconnaître que la position du COE et celle de l’Église catholique dominent le paysage du dialogue interreligieux contemporain, il reste qu’on trouve sous la plume d’autres écrivains comme John Stott une autre perception de ce même dialogue. Celui-ci estime pour sa part que « le dialogue est un signe d’amour chrétien authentique […]. Il montre notre désir ardent d’écouter à travers les oreilles des autres et de voir à travers leurs yeux, pour saisir ce qui les empêche d’entendre l’Évangile et de voir le Christ[25] ». Selon lui, le dialogue interreligieux doit s’inspirer du modèle laissé par Jésus-Christ et Paul. Selon ce modèle, le dialogue n’a d’autre but que la proclamation de l’Évangile en vue de la conversion de l’interlocuteur[26]. Il oppose cette perception du dialogue qui vise la conversion à celle qu’il appelle « dialogue moderne des chrétiens avec les non-chrétiens », qui sombre dans l’incroyance et le compromis au détriment de la foi et de la proclamation[27].
Il ne serait sûrement pas déplacé de s’interroger sur le dialogue pratiqué par Justin Martyr qui est non seulement cité comme la source de l’ouverture de l’Église catholique envers les autres religions, mais qui est aussi un des premiers auteurs chrétiens à avoir pratiqué ce qu’on pourrait qualifier de dialogue avec ses contemporains non chrétiens. Sa proximité avec l’époque du Nouveau Testament et sa position clé en tant que témoin de la rencontre entre la foi et la culture hellénistique font de sa perception du dialogue un sujet d’un grand intérêt.
II. Influence de Justin sur le dialogue interreligieux contemporain
La conception d’un dialogue qui s’adapte à la philosophie contemporaine ne date pas de longtemps[28]. Le postmodernisme et le dialogue contemporain ont en commun l’idée qu’il y a une pluralité de vérités. La vérité étant plurielle, rester à l’écoute de l’autre pour admirer ce que Dieu a déjà fait dans la religion de l’autre se veut une conséquence logique de cette conception du dialogue. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que du point de vue théorique, les prémisses du dialogue contemporain remontent à une tradition théologique et philosophique lointaine[29]. Lors du Concile Vatican II justement, les Pères ont opéré un retour aux sources en s’appuyant sur la Tradition pour fonder cette ouverture. G. Comeau écrit : « C’est à Justin, un Père de l’Église du iie siècle, qu’ils [les Pères du Concile] ont emprunté la catégorie des “semences du Verbe” : le Verbe de Dieu a répandu ses semences dans tout l’univers[30] ». Vittorio Subilia abonde dans le même sens dans son travail portant sur une appréciation du Concile Vatican II, d’un point de vue réformé, lorsqu’il affirme :
Pour retrouver la première expression historique, il suffit de remonter jusqu’à un apologète du iie siècle, Justin Martyr, le premier théoricien de la convergence du christianisme et des religions. D’après sa théorie de la raison séminale (spermatikos logos, σπερματικὸς λόγος) empruntée au stoïcisme mais non dépourvue d’influences platoniciennes, il croit pouvoir affirmer que, en vertu de l’action du Logos, des semences de vérité et de bien sont innées en tout homme et éparses, quoique fragmentaires et partielles, en toute religion : leur plénitude est réalisée seulement chez les chrétiens qui suivent le Christ, incarnation totale du Logos divin[31].
La théologie naturelle qui est conçue comme une preparatio evangelica s’appuie aussi sur cette base théologique[32]. Klauspeter Blaser établit un lien étroit entre la théorie du Logos spermatikos et l’idée selon laquelle Dieu ne peut se laisser enfermer dans une seule religion, idée qui conditionne le dialogue interreligieux contemporain[33].
La grande ouverture dont les Pères de Vatican II ont fait preuve vis-à-vis des religions non chrétiennes s’appuie sur la théorie du Logos spermatikos de Justin. En effet, les Pères conciliaires étaient fiers d’inviter les chrétiens à « être familiers avec leurs traditions nationales et religieuses ; découvrir avec joie et respect les semences du Verbe qui s’y trouvent cachées[34] ».
Selon Blaser, « la vieille doctrine du Logos spermatikos » est en vogue à la fois dans la théologie catholique et dans le protestantisme moderne[35]. C’est dans cet ordre d’idées que Karl Rahner[36] défend la thèse qui considère les adeptes des religions non chrétiennes comme des « chrétiens anonymes ». Les arguments mis en avant pour défendre sa théorie des « chrétiens anonymes[37] » ont été critiqués par nombre d’auteurs, dont Hans Küng qui estime que ce concept est un frein au dialogue. Aussi, affirme-t-il :
N’est-ce pas dans le seul cerveau des théologiens que les innombrables fidèles des religions non chrétiennes sont enrégimentés dans la sainte Église Romaine ? […] Par le monde entier, on ne trouvera pas un juif, un musulman ni un athée sérieux qui ne ressentirait comme insolente l’affirmation qu’il est un « chrétien anonyme ». Une telle annexion du partenaire met un terme au dialogue, avant même qu’il ne soit ouvert. […] Que diraient les chrétiens, si les bouddhistes leur reconnaissaient gracieusement la qualité de « bouddhistes qui s’ignorent »[38] ?
Paul Tillich les considère de son côté comme des membres de l’« Église latente ». Dans cette optique, l’action missionnaire du chrétien devrait consister à considérer les païens, les humanistes et les juifs non pas comme des étrangers, mais comme des « membres de la communauté spirituelle latente[39] ». Pour Tillich, les non-chrétiens sont membres de la communauté spirituelle en raison de leur participation au Logos divin qui confère à toutes les religions un fond commun[40]. Il s’inscrit en faux contre l’exclusivisme et plaide en faveur d’un universalisme qui accueille tout ce qu’il y a de vrai. Ce faisant, il déclare s’inscrire dans le sillage de Justin et ses successeurs[41]. André Gounelle a raison de se demander « si Tillich ne surestime pas l’ouverture des penseurs de ce courant[42] ».
Eu égard à tous les points de vue susmentionnés, il ne serait pas osé d’affirmer que le concept du Logos élaboré par Justin a donc joué un rôle déterminant dans la théorie du dialogue interreligieux contemporain. Les semences de vérité qu’il a déclarées inhérentes à toute âme humaine et son audace consistant à considérer comme chrétiens les sages de l’Antiquité qui ont marché selon les instructions du Logos ont servi de base à l’ouverture vis-à-vis des adeptes des religions non chrétiennes. Mais Justin est-il allé aussi loin dans son ouverture vis-à-vis des non-chrétiens que ceux qui se réclament de son école ?
III. Le dialogue pratiqué par Justin
Justin est un homme de dialogue. Son Dialogue avec Tryphon témoigne de son intérêt pour cet exercice. Il s’agit du premier ouvrage de dialogue entre chrétiens et juifs qui nous est parvenu. Les débats publics qu’il engageait avec ceux qui ne partageaient pas la même foi que lui et son école de philosophie chrétienne[43], probablement accessible aux non-chrétiens aussi, étaient des occasions de dialogue. Sa doctrine du Logos était un tremplin pour entrer en dialogue avec le monde hellénisé et l’Écriture jouait le même rôle face aux juifs. Ainsi, c’est sur leur propre terrain qu’il abordait ses interlocuteurs.
1. Principes régissant le dialogue chez Justin
1.1. Ouverture vis-à-vis des croyances de l’interlocuteur
L’ouverture vis-à-vis des partenaires du dialogue est l’un des principes qui régissent le dialogue justinien. En effet, au iie siècle, la philosophie était devenue un art de vivre. Comme l’affirme si bien A.-M. Malingrey, « le verbe philosophein a pour équivalent l’expression kalôs zèn et c’est pourquoi aussi le titre de philosophos postule chez ces auteurs une véritable valeur morale : “être bon et être philosophe, c’est la même chose” (Dion de Pruse)[44] ». Le statut que la philosophie a acquis à l’époque de Justin faisait du philosophe un guide de la conscience. En tendant la main à la philosophie grecque et en conférant au christianisme le titre de philosophie, il ouvrait la voie à la possibilité que l’Évangile se répande[45]. Il s’est efforcé de transmettre le message chrétien dans le cadre de la culture philosophique antique[46]. Cependant, il est important de souligner que Justin ne met pas le christianisme sur un pied d’égalité avec la philosophie. Il élève celui-là au-dessus de la philosophie des Anciens, qui était pourtant de loin meilleure que celle de son époque[47].
Justin est l’un des premiers penseurs chrétiens à proposer une réflexion sur l’être et le devenir du christianisme à une époque d’effervescence intellectuelle. Son dialogue se place inéluctablement dans la mouvance de la rhétorique gréco-romaine. Le Prologue de son Dialogue avec Tryphon est le reflet des dialogues socratiques. Son interlocuteur[48] conduit le dialogue progressivement avec douceur, le but étant de l’amener à réaliser que ses certitudes reposent sur du sable mouvant. Après avoir fait tomber tous ses arguments, il l’amène à réaliser que c’est vers le Christ qu’il lui faut se tourner. Justin à qui il ne restait qu’à rendre les armes devant les arguments inébranlables de son interlocuteur fit une expérience qu’il décrit en ces termes : « Mais un feu, subitement, s’embrasa dans mon âme. Je fus pris d’amour pour les prophètes ainsi que pour ces hommes amis du Christ. Dialoguant avec moi-même sur ces paroles, je trouvai que c’était l’unique philosophie, à la fois sûre et profitable[49] ». En s’inspirant de sa propre expérience de conversion au Christ, Justin confère à la philosophie le rôle de preparatio evangelica.
Il fait des concessions à ses interlocuteurs hellénistes en reconnaissant à Héraclite[50], Socrate[51], Platon[52], Homère[53] et bien d’autres le mérite d’avoir parfois énoncé des vérités confirmées par les Saintes Écritures. C’est ainsi qu’il déclare : « Sur certains points, nous sommes d’accord avec les plus estimés de vos philosophes et de vos poètes […][54] ». Il attribue au Logos la source de la vérité qui se trouve aussi bien chez les philosophes que les poètes grecs[55].
La méthode de Justin consiste à aller du connu vers l’inconnu. C’est à travers sa doctrine du Logos qu’il engage le dialogue avec les hellénistes. Marc-Aurèle, qui est l’un des destinataires de sa deuxième Apologie[56], n’était sûrement pas étranger au concept du Logos. D’ailleurs, la doctrine du Logos spermatikos enseignée par Justin est tributaire jusqu’à un certain point de la philosophie stoïcienne[57]. Sachant que le Logos et Dieu se confondent dans le stoïcisme, lui attribuer la source de la vérité pouvait difficilement être contesté par un bon stoïcien.
Face aux juifs, Justin préfère identifier un autre pont qui lui permet de faire passer son message afin de les aborder eux aussi sur leur propre terrain. C’est ce que confirme Jean-Daniel Dubois lorsqu’il dit :
Aujourd’hui, on peut comprendre que la lecture chrétienne de la Bible ait pu irriter les Juifs de Flavia Néapolis, contemporains de Justin. Mais comme il n’existe pas encore à ce moment-là de Bible chrétienne, avec un Ancien Testament et un Nouveau Testament, comme nous la connaissons de nos jours, Justin discute avec ses partenaires sur leur propre terrain[58].
Dans son Dialogue avec Tryphon, il rappelle à plusieurs reprises à ses interlocuteurs qu’il préfère se baser sur les écrits dont ils reconnaissent communément l’autorité. Sachant que la crédibilité de la Septante était contestée par certains juifs, il préfère avoir recours aux textes hébraïques[59]. Il fait preuve d’une bonne connaissance de l’interprétation rabbinique de l’Écriture. Progressivement, il identifie le Logos dans la Bible et s’applique à en prouver la préexistence et la divinité à ses interlocuteurs.
Le principe qui se dégage du dialogue justinien, c’est qu’il est nécessaire que celui qui s’engage dans le dialogue ait un minimum de connaissances sur ce qui fait autorité dans les croyances de son interlocuteur. C’est la condition rhétorique de l’identification d’un vrai pont avec les interlocuteurs.
L’autre principe non moins important du dialogue justinien est l’ouverture vis-à-vis du partenaire de dialogue. Il fait une concession audacieuse à l’égard du monde hellénisé lorsqu’il affirme :
Ceux qui ont vécu en conformité avec le Logos appartiennent au Christ, eussent-ils passé pour athées, comme par exemple, en Grèce, Socrate, Héraclite et leurs semblables, et, chez les Barbares, Abraham, Ananias, Azarias, Misaël, Élie et quantité d’autres, dont nous savons qu’il serait trop long d’énumérer ici les actions et les noms. De même, ceux qui avant le Christ ont vécu sans le Logos étaient mauvais, ennemis du Christ, meurtriers de ceux qui conformaient leur vie au Logos, tandis que ceux qui ont vécu ou qui vivent encore en conformité avec lui sont chrétiens, et n’ont à redouter ni terreur ni trouble[60].
Ces personnes sont déclarées chrétiennes par Justin en raison de leur refus de vouer un culte aux idoles, ce qui leur a valu d’être appelées athées, mais aussi à cause de la vérité qu’ils ont recherchée, enseignée et pratiquée. Ces sages de l’Antiquité se sont laissés guider par le Logos spermatikos qui a aussi éclairé les hommes de l’Ancien Testament et qui s’est finalement incarné en Jésus-Christ. Justin inaugure par là une « théologie de l’histoire de portée universelle[61] ». L’histoire sainte n’est plus la particularité exclusive d’Israël. Elle concerne dorénavant tous les peuples qui forment l’humanité. Aussi voit-on figurer côte à côte les saints du paganisme et ceux d’Israël, et dans les deux groupes, c’est Dieu à travers son Logos qui agit[62].
Pour avoir suivi les instructions du Logos, ces « saints » se sont illustrés comme disciples du Christ selon Justin. Il faut toutefois souligner que Justin ne s’attarde pas sur le salut de ces « chrétiens » d’avant l’incarnation du Christ. Certes, il les déclare disciples du Christ sans ambages, mais il semble ne pas dire explicitement qu’ils seront sauvés, à moins qu’on ne veuille déduire cela du fait qu’il les déclare chrétiens. Ceux qui se réfèrent à Justin comme source et autorité dans le dialogue interreligieux partent de ce présupposé pour déduire que le dialogue interreligieux exclut toute possibilité d’amener l’interlocuteur à se convertir, estimant qu’il faudrait au contraire rester à l’écoute de Christ qui oeuvre déjà dans la vie de l’interlocuteur non chrétien. La question qui mérite d’être posée est celle de savoir si cette position rend justice à la pensée de Justin considérée dans son intégralité.
Il convient de souligner aussi que tout en ayant de l’admiration pour ces sages de l’Antiquité qui ont vécu selon le Logos, Justin précise qu’en raison de leur participation au Logos spermatikos uniquement, ils se sont fourvoyés sur bien des points. Il constate les distorsions de la vérité chez eux. En plusieurs choses, ils se sont trompés, dit-il[63]. À ce titre, son ouverture n’est pas sans limites. Notons aussi que Justin déclare chrétiennes des personnes qui ont vécu avant l’incarnation du Logos, mais ne dit rien sur ceux qui vivent dans la nouvelle ère inaugurée par cet événement.
Il ne reconnaît comme chrétiennes que des personnes précises et n’affirme nulle part dans ses écrits que tous les non-chrétiens seraient intégrés dans le christianisme en raison de leur participation au Logos spermatikos. D’ailleurs juste après son affirmation audacieuse reconnaissant des sages du paganisme comme chrétiens, il dit de ceux qui n’ont pas conformé leur vie aux instructions du Logos qu’ils sont « mauvais », « ennemis du Christ » et « meurtriers[64] ». Il n’est donc pas exagéré d’affirmer qu’il n’existe chez Justin ni inclusivisme qui reconnaît tout le monde comme chrétien, ni universalisme.
Par ailleurs, il est important de dissocier l’ouverture de Justin à l’égard de la philosophie grecque de son aversion pour la religion païenne.
1.2. Dénonciation des manipulations démoniaques
Pour Justin, la dénonciation de la déformation de la vérité qu’il constate dans les croyances de l’interlocuteur fait partie intégrante du dialogue. À plusieurs reprises, il a tenté d’aider Tryphon et ses compagnons à comprendre qu’ils se trompaient dans leur interprétation des Saintes Écritures[65].
Face aux païens, il vilipende sans complaisance l’oeuvre du diable dans leurs religions[66]. Il dénonce la parodie de l’Eucharistie dans les mystères de Mithra[67], les mythologies[68] et les fables[69]. Pour lui, il ne s’agit là que de l’oeuvre des démons. Les idoles étant la création des hommes sous l’influence des démons, on ne peut à travers eux parvenir à la connaissance du vrai Dieu[70]. Il estime que les dieux païens sont des démons qui harcèlent ceux qui les adorent[71] et il n’hésite pas à se moquer d’eux. Il écrit : « Ô stupeur ! Ce sont, nous dit-on, des débauchés qui façonnent et fabriquent des dieux devant lesquels on viendra se prosterner ! Ce sont des gens de cette sorte qu’on établit comme gardiens des temples où ces dieux sont consacrés, sans même comprendre que c’est une impiété de penser ou de dire que des hommes sont les gardiens des dieux[72] ! »
Il se lance dans une critique acerbe des vices auxquels se livrent les dieux du paganisme. Faisant référence à la mythologie grecque, il dénonce Zeus, le père des dieux, qui y est décrit comme un parricide, partenaire d’innombrables compagnes adultères et ayant des enfants qui ont hérité de sa conduite abjecte. Il conclut que ce sont les démons qui agissent sous ce nom, car l’imitation de Dieu étant un idéal, comment pourrait-on recommander l’imitation d’un parricide et d’un adultère en proie à ses pulsions amoureuses[73] ? Ainsi, lorsqu’on évoque la main tendue de Justin à l’hellénisme, il ne faut pas perdre de vue son opposition à la religion grecque.
Sa diatribe contre les dieux romains qu’il n’hésite pas à appeler démons, consacre la vacuité du paganisme romain de sa substance, dans la mesure où sans les dieux, il n’y a pas de religion romaine. Vis-à-vis de celle-ci, Justin se refuse à toute concession. Sa grande ouverture vis-à-vis de la philosophie contraste avec son refus total de créer un pont entre la religion romaine et le christianisme. Comme l’affirme A.-G. Hamman, « il (Justin) exclut toute valeur à la religion païenne, à laquelle il se garde de faire le moindre emprunt littéraire : elle est pour lui maléfice des démons qui dévoient les croyants[74] ».
Ainsi, selon Justin, loin de porter exclusivement sur les similitudes entre les croyances des interlocuteurs[75], le dialogue pointe du doigt aussi tout ce qui empêche le partenaire de parvenir à la connaissance de la vérité. Cela étant, le dialogue ne consiste pas à amadouer l’interlocuteur au mépris de la vérité. La preuve en est que Justin n’a pas hésité un seul instant à dénoncer l’oeuvre du diable dans la religion traditionnelle face aux païens et les erreurs d’interprétation et de compréhension de l’Écriture face aux juifs. Ces divergences n’ont pas pour but de ridiculiser l’interlocuteur, mais plutôt d’ôter le voile qui l’empêche de connaître la vérité.
2. Le but du dialogue selon Justin
Le dialogue de Justin se situe dans un cadre apologétique[76]. Il a su mettre le dialogue au service de l’apologétique. Il est important de garder à l’esprit que la propaganda faisait partie des buts que les apologistes en général et Justin en particulier cherchaient à atteindre, ce qui veut dire que pour eux, dialogue et proclamation vont de pair. Or, la proclamation implique l’appel à la conversion. C’est dans cette optique que Justin lance un appel à la conversion à Tryphon et ses compagnons en des termes suffisamment clairs :
Mais comme je m’attends à embarquer bientôt, avec la permission et avec l’aide de Dieu, je vous exhorte à livrer ce suprême combat pour votre propre salut, en ayant soin de préférer à vos didascales le Christ du Dieu tout-puissant. […] Priant aussi pour eux, je leur dis pour ma part : il n’est pas de meilleure prière que je puisse faire pour vous, mes amis, que de vous voir reconnaître que c’est par cette voie-là qu’à tout homme est donné de trouver le bonheur, et croire sans réserve, vous aussi comme nous, que c’est à nous qu’appartient le Christ de Dieu[77].
Cet appel à la reconnaissance de Jésus comme le Christ de Dieu adressé à Tryphon et à ses amis sert de conclusion au dialogue de Justin avec eux. C’est en quelque sorte le dernier coup de marteau qu’il donne à une longue argumentation. Par conséquent, il serait difficile de nier l’importance que Justin accorde à l’appel à la conversion dans le dialogue sans faire violence aux textes. Il suit le même principe dans ses Apologies. Son discours sur le Logos est à mettre au compte de la propaganda dans la mesure où il s’en sert comme tremplin pour inviter ses interlocuteurs à la foi chrétienne. Lorsqu’il dit à ses interlocuteurs que les dogmes chrétiens sont les plus augustes en raison de leur dépendance du Logos parfait et que les philosophes ainsi que les poètes grecs doivent toutes les vérités qu’ils ont énoncées au Logos parfait[78], on ne peut pas ne pas y voir un appel indirect adressé à ses interlocuteurs d’adhérer à la foi chrétienne.
Dans sa première Apologie, il écrit : « Or, nous pensons qu’il est de l’intérêt de tous de ne pas se voir détourner de cet enseignement, mais au contraire d’y être clairement invités[79]. » Plus loin, il ajoute à propos de leurs persécuteurs : « […] ceux-là, non seulement nous ne les haïssons pas, mais, comme il est manifeste, ils nous font pitié, et nous ne désirons que leur repentir et leur conversion[80] ». Il conclut sa deuxième Apologie dans le même sens en émettant le voeu que « tous les hommes, partout, connaissent la vérité[81] ». La vérité dont il est question est celle qui émane du Logos parfait que les chrétiens suivent.
Il ne retient du monde païen que ce qui peut l’aider à transmettre son message évangélique à ses interlocuteurs. De la même manière que Jésus s’identifie au Taheb samaritain dans son dialogue avec la femme samaritaine[82] en dépit de l’imperfection de la conception de ce Taheb[83], Justin identifie le Logos à Jésus-Christ. Ce faisant, il atteint son but consistant à faire remarquer à ses interlocuteurs que le Logos qu’ils ont connu imparfaitement s’est révélé en la personne de Jésus-Christ. Par conséquent, croire en lui, c’est adhérer au Logos parfait.
3. Continuité et discontinuité
S’il est un principe commun entre Justin et les tenants du dialogue interreligieux contemporains, c’est surtout l’importance accordée à l’écoute et au respect de l’autre. Des deux côtés, on s’entend aussi pour reconnaître que Dieu est à l’oeuvre dans la vie du partenaire non chrétien même s’il appartient à une religion autre que le christianisme. L’ouverture vis-à-vis de son interlocuteur est aussi un principe partagé de part et d’autre. Dans la mesure où Justin est le premier auteur chrétien dont les écrits nous sont parvenus à s’investir dans le dialogue avec les non-chrétiens et à faire preuve d’une ouverture sans précédent, son recours comme prémisse du dialogue interreligieux contemporain est tout à fait légitime. Cependant, il y a lieu de constater que la nature du dialogue justinien n’est pas identique à celle du dialogue interreligieux contemporain dans sa mouvance la plus connue.
Réduire le dialogue justinien à son ouverture à l’égard des non-chrétiens reviendrait à ignorer une autre dimension de sa pensée. Alors que les tenants du dialogue interreligieux contemporain estiment que le dialogue ne doit porter que sur ce qui est commun aux croyances des partenaires[84], ce n’est pas le cas pour Justin qui fait des divergences une partie essentielle de son dialogue aussi bien avec le monde hellénisé qu’avec les juifs. Pour lui, le dialogue ne doit pas seulement porter sur les analogies. Au contraire, les similitudes ne doivent servir que de moyen pour mettre à jour les défaillances présentes dans les croyances de l’interlocuteur. Il n’hésite pas à dénoncer l’oeuvre du diable dans les croyances de ses interlocuteurs. Par sa doctrine du Logos, le message qu’il véhicule n’est pas que les hommes connaissent Dieu en raison de leur participation au Logos et qu’ils n’auraient plus rien à faire. Au contraire, il insiste sur le fait qu’étant donné que leur participation au Logos spermatikos ne leur donne accès qu’à une partie de la vérité, tous sont invités à participer au Logos parfait qui leur permettra d’accéder à toute la vérité. Il met en exergue l’égarement des penseurs païens parce qu’ils n’ont eu accès qu’à une partie de la vérité. Même ceux qu’il considère comme des illustres païens qui se sont démarqués par leur conduite n’ont pas échappé à ces erreurs[85]. Sur ce point, il faut maintenir que l’ouverture de Justin est limitée. Ce n’est pas tout le monde sans distinction qu’il déclare chrétien. Il n’a porté son choix que sur quelques penseurs qu’il estime s’être mis à l’école du Logos et qui, à ce titre, méritent d’être appelés « disciples du Christ ».
Ce constat conduit à un principe fondamental dans le dialogue interreligieux. Selon Justin, la relation du chrétien avec le Logos lui donne accès à toute la vérité. Il s’inscrit en faux contre l’idée selon laquelle le chrétien serait en train de tâtonner à la recherche de la vérité. Dans son expérience personnelle décrite dans le Prologue de son Dialogue avec Tryphon, le tâtonnement a eu lieu avant sa conversion au Christ. Il défend l’idée qu’en Christ les chrétiens ont tout le Logos, donc une pleine connaissance de la vérité[86]. Il ne nie pas qu’on pourrait trouver une partie de la vérité dans d’autres traditions religieuses. À cet égard, il dit à ses interlocuteurs que tout ce qu’il y a de bon qui a été exprimé par les leurs appartient aux chrétiens[87]. Par conséquent, lors du dialogue, le chrétien ne s’attend pas à découvrir des vérités qui vont le déconcerter au point d’en être ébranlé dans sa foi en Christ, car la vérité qu’il va apprendre de son interlocuteur ne va que confirmer ce qu’il a déjà trouvé dans le Logos parfait en qui se trouve la plénitude de la vérité.
Cette attitude pour lui ne relève pas d’une quelconque présomption ou d’un manque d’humilité. Son authenticité n’est pas non plus à remettre en cause étant donné qu’il ne cache pas ses véritables intentions. Son message n’est pas ambigu, car il est énoncé clairement : le Logos spermatikos est inné au genre humain, ce qui lui permet d’accéder à une partie de la vérité. Or la plénitude de la vérité ne se trouve qu’en Christ qui est l’incarnation du Logos parfait. Par conséquent, pour avoir part à cette plénitude, il faut adhérer à la doctrine du Christ que les chrétiens suivent.
Justin fait l’éloge du christianisme. Il en démontre la supériorité par rapport aux autres religions et philosophies. Le point focal du dialogue selon lui c’est Jésus-Christ, le Logos parfait. Il reste fidèle à ce principe, que ce soit dans son dialogue avec le monde païen ou avec les juifs. Il insiste sur la valeur salvifique de sa mort[88] et invite ses interlocuteurs à adhérer au Logos parfait en se convertissant. Ce faisant, Justin s’intègre dans la ligne de la tradition apostolique, ainsi que le confirme Martin Goldsmith :
Le dialogue apostolique visait clairement la conversion des auditeurs et des participants. En lisant le livre des Actes, nous n’avons jamais le sentiment que les apôtres encourageaient les Juifs à être de meilleurs Juifs, et les païens à mieux servir leurs divinités ! Certainement pas ! Les apôtres déployaient tous leurs efforts pour convaincre leurs interlocuteurs, Juifs ou non, de se repentir et de croire en Jésus-Christ comme leur Sauveur et Seigneur[89].
L’originalité de Justin est de rester dans la tradition apostolique sans s’y limiter. Il a maintenu le dialogue au service de la propaganda, mais il a aussi accepté de faire des concessions sans précédent. En tant que chrétien, il a communiqué sa foi autour de lui de la manière la plus acceptable. Il a approché le monde grec avec sa théorie du Logos et le monde juif avec son interprétation rabbinique. Il convient de reconnaître qu’il est important d’éviter l’anachronisme[90]. Le contexte du dialogue de Justin n’est pas le même que celui qui prévaut de nos jours. Évoquer Justin en sa qualité de témoin privilégié de la rencontre entre l’Évangile et la culture grecque comme celui qui a inauguré l’ouverture du christianisme à l’égard des non-chrétiens est tout à fait justifié. Il a été audacieux en leur tendant la main. Cependant, il serait tout à fait légitime de se demander si les tenants du dialogue interreligieux contemporain, particulièrement celui mené par l’Église catholique et le COE, n’ont pas exagéré l’interprétation du rôle qui lui est conféré.Certes, il est vrai qu’en intégrant certains sages du paganisme dans la chrétienté, il est indéniable que Justin fait preuve d’inclusivisme. Toutefois, il n’inclut pas tous les païens dans la chrétienté. Conséquemment, il n’adhère pas à l’universalisme. Il a mis le dialogue est un moyen au service de la propaganda. La mouvance du dialogue interreligieux contemporain la moins connue représentée par John Stott se rapproche de Justin sur ce point, mais s’en dissocie par sa réticence à faire des concessions aux non-chrétiens comme l’a fait le père de l’apologétique chrétienne.
Appendices
Notes
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[1]
Voici à titre indicatif quelques travaux sur la doctrine du Logos de Justin : R. Holte, « Logos spermatikos. Christianity and the Ancient Philosophy according to St. Justin’s Apologies », Studia Theologica, 12 (1958), p. 109-168 ; J.H. Waszink, « Bemerkungen zu Justins Lehre vom Logos Spermatikos », JAC Erganzungsband, 1 (1964), p. 380-390 ; A.J. Droge, « Justin Martyr and the Restoration of Philosophy », Church History, 56 (1987), p. 303-319 ; R.M. Price, « “Hellenization” and the Logos Doctrine in Justin Martyr », Vigiliae Christianae, 42 (1988), p. 18-23 ; E. Osborn, « Justin Martyr and the Logos spermatikos », Studia missionalia, 42 (1993), p. 143-159 ; M.J. Edwards, « Justin’s Logos and the Word of God », Journal of Early Christian Studies, 3 (1995), p. 261-280 ; A. Baciu, La théorie du Logos chez saint Justin martyr et philosophe, Studia Universitatis Babeş - Bolyai, Theologia Orthodoxa, 1, 1 (2006), p. 95-112 ; etc.
-
[2]
Justin Martyr est le premier auteur chrétien dont les écrits nous sont parvenus à faire usage de l’expression Logos spermatikos dans la théologie chrétienne.
-
[3]
J.-C. Basset, Le dialogue interreligieux : chance ou déchéance de la foi ?, Paris, Cerf (coll. « Cogitatio Fidei », 197), 1996, p. 23.
-
[4]
Ibid., p. 25.
-
[5]
Le cardinal Francis Arinze a exercé les fonctions de président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux de 1984 à 2002. Son point de vue permet de se faire une idée de la manière dont l’Église catholique conçoit le dialogue interreligieux. L’article de W. Cenkner, paru la même année que l’ouvrage du cardinal Arinze, aborde aussi la question du dialogue interreligieux dans la perspective de la position officielle de l’Église catholique (« Mission and/or Dialogue : A Roman Catholic Perspective », Buddhist-Christian Studies, 17 [1997], p. 130-139). En effet, Vatican II marque pour l’Église catholique un tournant décisif dans son engagement dans le dialogue interreligieux. Avant la fin du Concile Vatican II, le pape Paul VI a créé en 1964 le Secrétariat pour les non-chrétiens. C’est en 1989 que le pape Jean-Paul II l’a renommé Conseil pour le dialogue interreligieux. À noter qu’avant Vatican II, les mots mission et évangélisation étaient des termes qui traduisaient l’établissement des communautés catholiques en terres étrangères. Mais à partir de Vatican II, la dynamique a changé avec l’engagement de l’Église catholique dans le dialogue interreligieux. C. Lienemann-Perrin, « Mission et dialogue interreligieux. Une relation antagoniste ou de convergence », dans M. Delgado, B.T. Viviano, éd., Le dialogue interreligieux, Colloque de Fribourg, 1-2 juin 2005, Fribourg, Fribourg Academic Press, 2007, p. 75-88 ; R.W. Lee, « Christianity and the Other Religions : Interreligious Relations in a Shrinking World », Sociological Analysis, 53 (1992), p. 134 ; J. Dupuis, Jesus Christ at the Encounter of World Religions, Maryknoll, Orbis, 1991, p. 207-228. Les documents suivants peuvent être consultés avec profit à propos de l’engagement des Pères de Vatican II envers les adeptes des religions non chrétiennes : Ad Gentes, no 9 ; Lumen Gentium, no 17 ; Gaudium et Spes, no 11 ; Nostra Aetate, no 2. Voir aussi : Secretariatus pro non Christianis, « The Attitude of the Church towards the Followers of Other Religions : Reflections and Orientations on Dialogue and Mission », Bulletin, 56 (1984), p. 126-144 ; J. Masson, « La Déclaration sur les religions non chrétiennes », Nouvelle Revue Théologique, 87 (1965), p. 1 066-1 083 ; R.B. Sheard, Interreligious Dialogue in the Catholic Church Since Vatican II, Lewiston, Mellen, 1987 ; P.F. Knitter, No Other Name : A Critical Survey of Christian Attitudes Toward Other Religions, Maryknoll, Orbis, 1985 ; ainsi que B.T. Viviano, « L’histoire de “Nostra aetate”, la Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes », dans Delgado, Viviano, éd., Le dialogue interreligieux, p. 11-20.
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[6]
F. Arinze, À la rencontre des autres croyants. Le dialogue interreligieux, un engagement et un défi, Paris, Médiaspaul, 1997, p. 12-13.
-
[7]
Cf. « Dialogue and Proclamation » du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux et la Congrégation pour l’évangélisation des peuples (Origins, 21, 8 [July 4, 1991]), p. 121, 123 et suiv. Voir aussi « The Attitude of the Church towards the Followers of Other Religions », daté de 1984, publié par le Secrétariat pour les non-chrétiens (Bulletin, Secretarius pro non Christianis, 56, 19 [1984, 2], p. 136-138) ; J. Dupuis, « Forms of Interreligious Dialogue », Bulletin, Secretariatus pro non Christianis, 59 (1985, 2), p. 164-171. Pour plus d’informations sur ces quatre types de dialogues, voir G. Baumet al., Le dialogue interreligieux dans un Québec pluraliste : Comité des rapports interculturels et interreligieux. Assemblée des évêques catholiques du Québec, Montréal, Médiaspaul, 2007, p. 68-75.
-
[8]
Arinze, À la rencontre des autres croyants, p. 14 ; Cenkner, « Mission and/or Dialogue : A Roman Catholic Perspective », p. 133-134.
-
[9]
Arinze, À la rencontre des autres croyants, p. 15 ; Cenkner, « Mission and/or Dialogue : A Roman Catholic Perspective », p. 134.
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[10]
Arinze, À la rencontre des autres croyants, p. 16.
-
[11]
Cenkner, « Mission and/or Dialogue : A Roman Catholic Perspective », p. 134.
-
[12]
Ce type de dialogue est appelé « dialogue des moines » par Basset (cf. Le dialogue interreligieux : chance ou déchéance de la foi ?, p. 336).
-
[13]
Cenkner, « Mission and/or Dialogue : A Roman Catholic Perspective », p. 134.
-
[14]
Arinze, À la rencontre des autres croyants, p. 17 ; Cenkner, « Mission and/or Dialogue : A Roman Catholic Perspective », p. 134. Voir aussi F.X. Clooney, « Comparative Theology : A Review of Recent Books », Theological Studies, 56 (1995), p. 521-550.
-
[15]
Basset l’appelle « dialogue des théologiens ». Selon lui, il s’agit de la forme de dialogue la plus répandue, dont on a le plus de comptes rendus. Elle est héritière de la tradition universitaire de l’étude des religions comparées. Basset établit une différence entre ce type de dialogue et celui qu’il nomme « dialogue des prêtres », qui concerne la pratique religieuse et communautaire, tandis que le « dialogue des théologiens » s’intéresse plutôt aux options et systèmes théologiques cf. Basset, Le dialogue interreligieux : chance ou déchéance de la foi ?, p. 229-336.
-
[16]
Ibid., p. 326-327.
-
[17]
Cf. E.O. Springsted, « Conditions of Dialogue : John Hick and Simone Weil », The Journal of Religion, 72 (1992), p. 19-36.
-
[18]
Arinze, À la rencontre des autres croyants, p. 102-103.
-
[19]
Ibid., p. 103-104.
-
[20]
Ibid., p. 75.
-
[21]
Ibid., p. 76.
-
[22]
Ibid., p. 78. L’auteur reconnaît toutefois qu’il peut arriver que dans la pratique du dialogue, un des partenaires parvienne à un niveau de conviction qui l’amène à changer de religion étant donné qu’on ne peut pas fixer de limites à l’action de Dieu. Dans un tel cas, cette personne devra au préalable s’en remettre aux conseils de croyants sages et avertis. Cf. ibid., p. 79.
-
[23]
J. Dupuis, « Le dialogue interreligieux à l’heure du pluralisme », Nouvelle Revue Théologique, 120 (1998), p. 561.
-
[24]
Cenkner, « Mission and/or Dialogue : A Roman Catholic Perspective », p. 137. Pour le rapport entre le dialogue et la mission, voir M. Dhavamony, « The Christian Theology of Interreligious Dialogue », Studia Missionalia, 43 (1994), p. 66-67.
-
[25]
J. Stott, Mission chrétienne dans le monde moderne, trad. Silvain Dupertius, Lavigny, Groupes Missionnaires, 1977, p. 107.
-
[26]
Ibid., p. 83.
-
[27]
Ibid., p. 84.
-
[28]
V. Subilia, Le nouveau visage du catholicisme. Une appréciation réformée du Concile Vatican II, trad. Émile Ribaute, Genève, Labor et Fides (coll. « Oecuménique », 6), 1968, p. 216.
-
[29]
Ibid., p. 216.
-
[30]
G. Comeau, « Les bases théologiques de la rencontre entre christianisme et religion : point de vue catholique », Perspectives missionnaires, 36 (1998), p. 13.
-
[31]
Subilia, Le nouveau visage du catholicisme, p. 216-217. S’il est vrai qu’à travers cette déclaration, l’auteur fait ressortir l’originalité de Justin à travers sa doctrine du Logos spermatikos, il reste que son interprétation de sa pensée est sujette à caution. En effet, dans toutes ses oeuvres, Justin est sans compromis pour les religions païennes qu’il attribue aux démons. Par contre, il est resté ouvert vis-à-vis de la philosophie grecque. Sa notion de Logos spermatikos est un tremplin pour inviter tous les hommes à embrasser le Logos parfait qui est Jésus-Christ.
-
[32]
Ibid., p. 217.
-
[33]
K. Blaser, La théologie au xxe siècle : Histoire-défis-enjeux, Lausanne, L’Âge d’Homme (coll. « Symbolon »), 1995, p. 27.
-
[34]
Ad Gentes, no 11, dans P.-A. Martin, dir., Vatican II : Les seize documents conciliaires, texte intégral, Paris, Montréal, Fides, 19672, p. 447.
-
[35]
Blaser, La théologie au xxe siècle, p. 380.
-
[36]
K. Rahner écrit à ce propos : « Il existe un christianisme implicite, anonyme […]. Il existe parfaitement et doit exister un rapport, dans une certaine mesure anonyme et cependant réel, de l’homme individuel à la concrétude de l’histoire du salut, et par suite aussi à Jésus-Christ, et cela en celui même qui n’a pas encore fait toute l’expérience historique concrète, en même temps qu’explicitement réfléchie […], dans la parole et le sacrement, qui le lierait à cette réalité de l’histoire du salut, mais possède le rapport existentiellement réel de façon simplement implicite, dans l’obéissance face à sa propre référence de grâce au Dieu de l’auto-communication absolue, présente dans l’histoire, en ce que cet homme accueille sa propre existence sans prévention […]. À côté de quoi il y a le christianisme plénier, venu explicitement à lui-même dans l’écoute croyante de la parole de l’Évangile, dans le sacrement et dans l’accomplissement explicite de la vie chrétienne, cet accomplissement qui se sait lui-même en rapport à Jésus de Nazareth » (K. Rahner, Traité fondamental de la foi. Introduction au concept de christianisme, trad. G. Jarczyk, Paris, Centurion, 1983, p. 242-243).
-
[37]
En ce qui concerne la notion de chrétiens anonymes, voir K. Rahner, Theological Investigations, V, London, Darton, Longman & Todd, 1966, chap. 6. Voir aussi Id., Theological Investigations, XIV, London, Darton, Longman & Todd, 1976, chap. 17.
-
[38]
H. Küng, Être chrétien, trad. fr. H. Rochais et A. Metzger, Paris, Seuil, 1978, p. 100-101. Kenneth Surin estime que la notion même de chrétiens anonymes suppose la suprématie du christianisme vis-à-vis des autres religions (« Revelation, Salvation, the Uniqueness of Christ and Other Religions », Religious Studies, 19, 3 [1983], p. 323-343) ; en ce qui concerne la critique du concept de « chrétiens anonymes », voir aussi E.O. Springsted, « Conditions of Dialogue : John Hick and Simone Weil », The Journal of Religion, 72, 1 [1992], p. 26 ; M. Fédou, Les religions selon la foi chrétienne, Paris, Cerf, 1996, p. 72-78.
-
[39]
P. Tillich, Théologie systématique, IV, La vie et l’Esprit, trad. J.-M. Saint, Genève, Labor et Fides, 1991, p. 170-171. Parallèlement à l’existence de « l’Église latente », qui est en voie d’être préparée par l’histoire et n’appartient pas à une catégorie historique définie, il y a « l’Église manifeste » qui est un groupe historique défini au sein duquel se manifeste directement l’Être Nouveau.
-
[40]
Id., Aux frontières de la religion et de la science, trad. F. Chapey, Paris, Centurion ; Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1970, p. 182.
-
[41]
Id., Christianity and the Encounter of the World Religions, New York, London, Columbia University Press, 1963, p. 35 (Le christianisme et les religions, trad. F. Chapey, précédé de Réflexions autobiographiques, Paris, Aubier-Montaigne, 1968, p. 101).
-
[42]
A. Gounelle, « Paul Tillich et les religions non chrétiennes », Laval théologique et philosophique, 54, 2 (1998), p. 365.
-
[43]
« Actes du martyre des saints Justin, Chariton, Charitô, Évelpistos, Hiérax, Péon et Libérien, martyrs à Rome » 3, 2-3, dans Justin, Apologies, introduction, texte critique, traduction, commentaire et index par A. Wartelle, Paris, Études augustiniennes, 1987, p. 229.
-
[44]
A.-M. Malingrey, Philosophia, une étude d’un groupe de mots dans la littérature grecque des Présocratiques au ive siècle ap. J.-C., thèse de doctorat, Strasbourg, 1961, p. 100.
-
[45]
Comme le précise S.J.G. Sanchez : « Les chrétiens ne pouvaient plus se passer des règles de logique, des procédés d’argumentation et de démonstration dont la philosophie grecque avait donné la théorie. Ils n’avaient aucune chance d’être écoutés en pays grec et latin s’ils ne commençaient par s’y soumettre » (Justin apologiste chrétien. Travaux sur le Dialogue avec Tryphon de Justin Martyr, Paris, J. Gabalda, 2000, p. 148). G. Bardy abonde dans le même sens lorsqu’il affirme qu’en face des païens, Justin privilégiait les arguments philosophiques et les preuves juridiques et morales, sans perdre totalement de vue le recours au témoignage des prophéties dont il soulignait avec force la réalisation (« Les écoles romaines au second siècle », Revue d’histoire ecclésiastique, 28 [1932], p. 509).
-
[46]
L’ouverture de Justin n’était pas bien perçue par les fidèles non lettrés de l’Église qui ne voyaient pas la philosophie d’un bon oeil. L’aventure des gnostiques comme Valentin, qui était contemporain de Justin, n’était pas de nature à changer leur perception. Rappelons au passage que le mot philosophie n’est mentionné qu’une seule fois dans le Nouveau Testament, et ce, dans un sens péjoratif (Col. 2,8).
-
[47]
Dial. II, 1-2.
-
[48]
Le vieillard.
-
[49]
Dial. 8, 1 : διαλογιζόμενός τε πρὸς ἐμαυτὸν τοὺς λόγους αὐτοῦ ταύτην μόνην εὕρισκον φιλοσοφίαν ἀσφαλῆ τε καὶ σύμφορον.
-
[50]
II Apol. 8, 1.
-
[51]
I Apol. 5, 4.
-
[52]
I Apol. 60, 1.
-
[53]
I Apol. 18, 5.
-
[54]
I Apol. 20, 3. Sauf indication contraire, nos traductions des Apologies de Justin suivent celles d’André Wartelle (Justin, Apologies, introduction, texte critique, traduction, commentaire et index par André Wartelle, Paris, Études augustiniennes, 1987) avec quelques changements lorsqu’ils sont jugés pertinents.
-
[55]
II Apol. 8, 1-10. En dehors du Logos, l’autre source de vérité qu’on retrouve chez les Grecs est le plagiat de Moïse selon Justin (I Apol. 44, 8-10 ; 59, 1-6).
-
[56]
Tout en considérant Marc-Aurèle comme l’un des destinataires de la seconde Apologie de Justin, nous sommes conscient du débat qui porte sur le caractère fictif ou non des apologies du iie siècle. Voir P. Ndoumaï, « Le genre littéraire des apologies du iie siècle : fictions ou oeuvres authentiques ? », Bulletin de Littérature Ecclésiastique, 109 (2008), p. 367-392.
-
[57]
Le consensus est loin d’être trouvé sur la source du logos spermatikos de Justin. Parmi ceux qui pensent que Justin le doit au Moyen platonisme, se trouvent en bonne place C. Andresen (« Justin und der mittlere Platonismus », Zeitschrift für die Neutestamentliche Wissenschaft, 44 [1953], p. 157-195), R.A. Norris (God and World in Early Christian Theology : A Study in Justin Martyr, Irenaeus, Tertullian and Origen, London, Adam & Charles Black [coll. « Studies in patristic thought »], 1966, p. 45-50), et J. Daniélou (Message évangélique et culture hellénistique aux iie et iiie siècles, Tournai, 1961, p. 317-328). R.M. Price pense pour sa part que l’idée lui vient de l’Ancien Testament (« “Hellenization” and the Logos Doctrine in Justin Martyr », Vigiliae Christianae, 42 [1988], p. 20). Par contre R. Holte (« Logos Spermatikos. Christianity and Ancient Philosophy According to St. Justin’s Apologies », Studia Theologica, 12 [1958], p. 141-142), qui critique les positions d’Andresen, affirme que l’expression est un emprunt fait par Justin au stoïcisme. Il ajoute que Justin a transformé la signification de cette expression. N. Pycke (« Connaissance rationnelle et connaissance de grâce chez saint Justin », Ephemerides Theologicae Lovanienses [1961], p. 57), Sanchez (Justin apologiste chrétien. Travaux sur le Dialogue avec Tryphon de Justin Martyr, p. 190) et G. Bardy (« Saint Justin et la philosophie stoïcienne », Recherches de Science Religieuse, 14 [1924], p. 40-41) sont du même avis. H. Chadwick (« Justin Martyr’s Defense of Christianity », Bulletin of the John Rylands University Library, 47 [1964-1965], p. 296), quant à lui, penche pour l’idée que Justin dépendrait de l’évangile selon Jean et de Philon d’Alexandrie. Tous ces auteurs sont au moins d’avis que la doctrine du Logos spermatikos porte l’empreinte de Justin, quelle que soit la toile de fond sur laquelle il a bâti son idée.
-
[58]
J.-D. Dubois, « Introduction », dans A.-G. Hamman, éd., Justin Martyr, Oeuvres complètes, trad. G. Archambault, L. Pautigny, E. Gauché, Paris, Migne (coll. « Bibliothèque », 1), 1994, p. 10.
-
[59]
Ibid.
-
[60]
I Apol. 46, 3-4 : Kαὶ οἱ μετὰ λόγου βιώσαντες Χριστιανοί εἰσι, κἂν ἄθεοι ἐνομίσθησαν, οἷον ἐν Ἕλλησι μὲν Σωκράτης καὶ Ἡράκλειτος καὶ οἱ ὅμοιοι αὐτοῖς, ἐν βαρβάροις δὲ Ἀβραὰμ καὶ Ἀνανίας καὶ Ἀζαρίας καὶ Μισαὴλ καὶ Ἠλίας καὶ ἄλλοι πολλοί, ὧν τὰς πράξεις ἢ τὰ ὀνόματα καταλέγειν μακρὸν εἶναι ἐπιστάμενοι τανῦν παραιτούμεθα. ὥστε καὶ οἱ προγενόμενοι ἄνευ λόγου βιώσαντες, ἄχρηστοι καὶ ἐχθροὶ τῷ Χριστῷ ἦσαν καὶ φονεῖς τῶν μετὰ λόγου βιούντων· οἱ δὲ μετὰ λόγου βιώσαντες καὶ βιοῦντες Χριστιανοὶ καὶ ἄφοβοι καὶ ἀτάραχοι ὑπάρχουσι.
-
[61]
C. Munier, dans Justin Martyr, Apologie pour les chrétiens, Paris, Cerf (coll. « Sources Chrétiennes, 507 »), 2006, p. 32-33.
-
[62]
I Apol. 46, 3.
-
[63]
II Apol. 13, 3.
-
[64]
I Apol. 46, 3-4.
-
[65]
Dial. 20, 3 ; 34, 1 ; 36, 2 ; 110, 2.
-
[66]
C’est dans ce sens qu’abonde Benoît XVI lorsqu’il affirme : « En effet, les premiers chrétiens refusèrent courageusement tout compromis avec le paganisme. Ils le considéraient comme une idolâtrie, au prix d’en être taxés d’“impiété” et d’“athéisme”. Justin, en particulier, spécialement dans sa première Apologétique, développa une critique implacable à l’égard de la religion païenne et de ses mythes, considérés par lui comme de diaboliques déviations hors du chemin de la vérité. La philosophie représentait au contraire le domaine privilégié de la rencontre entre le paganisme, le judaïsme et le christianisme, précisément sur le plan de la critique de la religion païenne et de ses mythes erronés » (« Saint Justin, philosophe et martyr », trad. M. Taillé, La Documentation catholique, 2378 [15/04/2007], p. 361).
-
[67]
I Apol. 66, 1-4 ; Dial. 70,1 ; 78, 6.
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[68]
Dial. 69, 2-3. D’une part, Justin condamne la mythologie grecque, d’autre part il n’hésite pas à y déceler des ressemblances avec la doctrine chrétienne pour montrer que les chrétiens ne racontent pas des étrangetés dans la mesure où certaines vérités enseignées par le christianisme sont semblables à celles qui sont véhiculées à travers la mythologie et qui ne semblent pas choquer les gens. Ainsi, il établit une corrélation entre la souffrance du Christ et la mise en pièces de Dionysos ; la naissance virginale de Jésus est rapprochée de celle de Persée (I Apol. 22, 5 ; Dial. 70, 5) ; l’ascension de Jésus est rapprochée de celle des Dioscures (I Apol. 21, 2) ; les guérisons et miracles opérés par Jésus sont rapprochés de ce qui est dit d’Asclépios (I Apol. 22, 6 ; Dial. 69, 3). Il ne valide pas la mythologie par ces rapprochements. Il croit au contraire que les païens ont mal compris ces mystères chrétiens qu’ils ont plagiés.
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[69]
I Apol. 25, 1-3 ; 54, 1-55, 1.
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[70]
I Apol. 53, 6.
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[71]
I Apol. 5, 2 ; 9, 1.
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[72]
I Apol. 9, 5 : ὢ τῆς ἐμβροντησίας, ἀνθρώπους ἀκολάστους θεοὺς εἰς τὸ προσκυνεῖσθαι πλάσσειν λέγεσθαι καὶ μεταποιεῖν, καὶ τῶν ἱερῶν, ἔνθα ἀνατίθενται, φύλακας τοιούτους καθιστάναι, μὴ συνορῶντας ἀθέμιτον καὶ τὸ νοεῖν ἢ λέγειν ἀνθρώπους θεῶν εἶναι φύλακας.
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[73]
Cf. I Apol. 21, 4-5 ; II Apol. 12, 5 ; 14, 2.
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[74]
A.-G. Hamman, « Dialogue entre christianisme et culture grecque », dans B. Pouderon, J. Doré, dir., Les Apologistes chrétiens et la culture grecque, Paris, Beauchesne (coll. « Théologie historique », 105), 1998, p. 48.
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[75]
J.I. Cabezon, « Scholarship as Interreligious Dialogue », Buddhist-Christian Studies, 18 (1998), p. 92.
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[76]
J. Blandenier, « Panorama historique des rapports interreligieux », dans Louis Schweizer, dir., Conviction et dialogue. Le dialogue interreligieux, Cléon d’Anran, Excelsis ; Meulan, EDIFAC (coll. « La Foi en Dialogue »), 2000, p. 77.
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[77]
La traduction suit celle de Philippe Bobichon (Justin Martyr, Dialogue avec Tryphon, Fribourg, Academic Press, Éditions Saint-Paul [coll. « Paradosis », 47, 1], 2003). Dial. 142, 2-3 : ἀναχθήσεσθαι δὲ ἤδη προσδοκῶν, ἐπιτρέποντος τοῦ θεοῦ καὶ συνεργοῦντος, ὑμᾶς προτρέπομαι, ἐνστησαμένους ὑπὲρ τῆς ἑαυτῶν σωτηρίας μέγιστον τοῦτον ἀγῶνα, τῶν διδασκάλων ὑμῶν σπουδάσαι προτιμῆσαι μᾶλλον τὸν τοῦ παντοκράτορος θεοῦ Χριστόν […] ἐγώ τε ὑπὲρ αὐτῶν εὐχόμενος ἔφην· Οὐδὲν ἄλλο μεῖζον ὑμῖν εὔχεσθαι δύναμαι, ὦ ἄνδρες, ἢ ἵνα, ἐπιγνόντες διὰ ταύτης τῆς ὁδοῦ δίδοσθαι παντὶ ἀνθρώπῳ εὐδαιμονεῖν, πάντως καὶ αὐτοὶ ἡμῖν ὅμοια ποιήσητε, τὸ ἡμῶν εἶναι τὸν Χριστὸν τοῦ θεοῦ.
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[78]
II Apol. 10, 2.
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[79]
I Apol. 10, 5 : Kαὶ ὑπὲρ πάντων ἀνθρώπων ἡγούμεθα εἶναι τὸ μὴ εἴργεσθαι ταῦτα μανθάνειν, ἀλλὰ καὶ προτρέπεσθαι ἐπὶ ταῦτα.
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[80]
I Apol. 57, 1 : οὓς οὐ μόνον οὐ μισοῦμεν, ἀλλ’, ὡς δείκνυται, ἐλεοῦντες μεταθέσθαι πεῖσαι βουλόμεθα
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[81]
II Apol. 15, 4. Cette affirmation met en évidence le fait que pour Justin, le tout n’est pas de connaître la vérité intellectuellement, car il faut la pratiquer. Et son voeu le plus ardent est que chaque homme, en quelque lieu qu’il se trouve, marche d’une manière digne de la vérité, ce qui n’est possible qu’en se tournant vers le Logos incarné.
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[82]
Jn 4.
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[83]
G.-D. Sixdenier, « Les Samaritains », Living Past, 1 (1999), http://cimec.ro/arheologie/livingpast/nr1/sixdenier/samaritains.htm (consulté le 24 février 2009).
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[84]
Mgr Arinze écrit à ce sujet : « Lors des rencontres de dialogue, personne n’essaye de convaincre les autres de la justesse de ses convictions et des erreurs de ses partenaires » (Arinze, À la rencontre des autres croyants, p. 12).
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[85]
II Apol. 10, 3.
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[86]
II Apol. 10, 1.
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[87]
II Apol. 13, 4.
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[88]
Dial. 86, 3-4 ; 89, 13 ; I Apol. 14, 1 ; 63, 1-16.
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[89]
M. Goldsmith, Et les religions non chrétiennes ?, Saint-Légier, Emmaüs (coll. « Mission »), 1999, p. 121.
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[90]
Le dialogue de Justin et celui des tenants du dialogue interreligieux contemporain se situent dans deux contextes différents. Le premier l’a engagé dans une période d’incertitude, de marginalisation et d’autodétermination du christianisme. Considéré comme une superstitio, il était menacé de disparition face à la religion d’État. Le judaïsme à l’ombre duquel il se tenait par le passé n’était plus en odeur de sainteté devant la classe dirigeante romaine depuis la révolte juive dirigée par Bar-Hokhba (132-135). À plusieurs reprises dans son Dialogue avec Tryphon, Justin souligne la relation tendue entre chrétiens et juifs, dénonçant les derniers qui ont persécuté les premiers pendant cette guerre. Par contre, le dialogue interreligieux contemporain se situe dans un contexte totalement différent, car le christianisme n’est plus menacé de disparition. De sa condition d’Église persécutée dans les premiers siècles de son existence, elle est entrée dans une ère de domination. Ainsi, pendant plusieurs siècles, le monde chrétien est resté au-devant des autres nations. En outre, le christianisme contemporain évolue dans un contexte postmoderne qui favorise la pluralité des vérités. Au iie siècle, Justin a engagé son dialogue dans le cadre de la défense et de la justification de la foi chrétienne, ce qui n’est pas le cas pour le dialogue interreligieux contemporain. Ces remarques permettent de se rendre à l’évidence que l’ouverture vis-à-vis des non-chrétiens ne se comprend pas aujourd’hui de la même manière qu’au iie siècle.