Abstracts
Résumé
Pour déterminer la cognoscibilité du Premier principe, Avicenne emprunte dans sa Métaphysique trois voies : la connaissance scientifique par démonstration, l’intuition intellective et la connaissance à travers le discours prophétique. Dans le cadre de la réception de l’Éthique aristotélicienne, les maîtres ès arts de Paris empruntent deux de ces voies au milieu du xiiie siècle. Même si beaucoup d’éléments sont semblables dans les deux cas, les artiens ne sortiront pas de leur spécificité professionnelle : le discours philosophique.
Abstract
To determine the cognoscibility of the First Principle, Avicenna (in his Metaphysics) follows three ways : scientific knowledge through demonstration, intellectual intuition and knowledge through prophetical discourse. Within the framework of the Aristotelian Ethics’ reception, the Parisian Arts Masters follow two of these ways at the middle of the 13th century. Although many elements from Parisian masters are similar to Avicenna’s, the magistri artium do not abandon their professional specificity that is philosophical discourse.
Article body
Introduction
Le problème de déterminer le type de connaissance que nous pouvons avoir de Dieu a tourmenté maints esprits anciens et médiévaux. Parmi les maîtres ès arts de Paris de la première moitié du xiiie siècle, bien qu’ils ne soient pas supposés donner des cours en métaphysique[1] et bien sûr moins encore en théologie, la question se pose aussi. Or, les disciplines enseignées par les artiens étant principalement la grammaire, la logique et l’éthique aristotéliciennes, cette question est à chercher dans les commentaires artiens de l’Éthique à Nicomaque. C’est dans un de ces commentaires que nous avons trouvé une batterie d’arguments pour et contre les diverses possibilités d’intelligibilité du Premier principe. Dans les discussions des commentaires, nous avons trouvé plusieurs points qui montrent une influence du philosophe persan Ibn Sînâ, plus connu en Occident sous le nom d’Avicenne. Il nous a paru alors important de souligner ces points qui arrivent chez les maîtres ès arts non sans médiation des philosophes espagnols (Dominique Gundissalinus)[2] ou des théologiens parisiens (Philippe le Chancelier)[3], mais qui reprennent en quelque sorte chez nos maîtres les traits philosophiques de leur source avicennienne.
En effet, il y a eu historiquement des raisons purement philosophiques qui ont mené à une problématisation du thème de la connaissance de Dieu. Chez Aristote lui-même, qui n’est pas le premier à exposer cette idée, dans l’Éthiqueà Nicomaque, livre X, on retrouve un idéal de connaissance du supérieur dans la valorisation de la vertu de sagesse comme connaissance de ce qui est supérieur et plus divin, voire comme l’effort de ressembler au divin[4]. Cette valorisation n’est pas sans rappeler celle de Platon dans plusieurs de ses oeuvres, notamment dans le Théétète 176b, où il présente une consigne qui deviendra l’adage des écoles philosophiques de l’Antiquité tardive : « l’assimilation au divin dans la mesure du possible[5] ». Dans les deux cas, à savoir celui d’Aristote comme celui de Platon, la connaissance du divin est posée comme extrêmement souhaitable en soi-même et suscitant, dans le cas de la sophia aristotélicienne, le bonheur (eudaimonia) de l’homme.
Or, en ce qui concerne les philosophies développées dans un contexte monothéiste, comme chez les chrétiens et chez les musulmans, cette connaissance du divin est spécifiée comme connaissance de Dieu, lequel est représenté dans un contexte philosophique comme le Premier principe[6]. Les philosophes arabes ont développé de cette façon un idéal contemplatif de connaissance du supérieur et particulièrement du Premier principe[7]. Chez les philosophes parisiens lecteurs de l’Éthique à Nicomaque vers 1240-1250 — dans les traductions fragmentaires de l’Ethica Noua, livre I, et de l’Ethica Vetus, livres II-III[8] —, le souverain bien, posé par Aristote dès le début et identifié avec le bonheur, ne peut être autre que Dieu, le Premier principe[9]. Or, l’éthique étant une science sur le bien, il faut d’emblée s’interroger sur la possibilité de connaissance de son sujet principal, le bien, et principalement du souverain bien, le Premier principe. C’est ainsi que les maîtres ès arts de Paris arrivent à s’interroger sur l’intelligibilité du Premier principe en soi, et sur nos possibilités d’en avoir l’intellection.
Dans ce qui suit, nous présenterons le problème et les réponses concernant la cognoscibilité du Premier principe chez Avicenne — qui constitue une des sources principales des philosophes parisiens du xiiie siècle — pour ensuite les comparer avec les discussions des maîtres ès arts de Paris. Parmi eux, nous attirerons l’attention surtout sur le Commentarium in Ethicam nouam du Pseudo-Peckham[10], mais aussi sur le Compendium examinatoire du ms. Ripoll 109 (appelé couramment « Guide de l’étudiant parisien[11] ») et la Divisio scientiarum d’Arnoul de Provence[12].
I. Connaissance du Premier principe selon Avicenne
Chez Avicenne, nous trouvons la question sur la connaissance du Premier principe selon divers aspects. D’abord, il traite de la possibilité d’une connaissance scientifique, c’est-à-dire, qui puisse être énoncée selon la structure de la définition, par un genre et une espèce. Ensuite, il considère la possibilité d’une connaissance intuitive du Premier principe, dans une intuition ou appréhension intellectuelle. Finalement, il suggère, non sans équivoques, la possibilité d’une connaissance mystique du Premier principe[13].
1. Connaissance scientifique du Premier principe selon Avicenne
Dans le livre VIII de sa Métaphysique, Avicenne entreprend de prouver l’existence du Premier principe et d’en décrire les attributs. Le Premier principe, nécessairement existant, est une pure existence sans aucune privation. Or, puisque toute chose causée a une quiddité à laquelle s’ajoute son existence qui découle d’une cause nécessaire, « le Premier n’a donc pas de quiddité, mais de lui s’écoule l’être sur les <choses> ayant une quiddité[14] ». Il est parfaitement simple et rien ne s’ajoute à lui, donc « le Premier n’a pas de genre ; en effet, le Premier n’a pas de quiddité, mais ce qui n’a pas de quiddité, n’a pas de genre ; car, le genre répond à la question “qu’est-il”[15] ». Étant donné que la quiddité est la réponse à la question « qu’est-ce que c’est » et que cette question est répondue par une définition contenant le genre et la différence spécifique, le Premier principe n’aura pas non plus de différence, ce qui implique qu’il ne pourra pas être défini. Finalement, puisqu’il est une cause mais il n’est pas causé, il est impossible de faire une démonstration du Premier principe :
Et c’est pourquoi <le Premier> n’a pas de différence ; et c’est parce qu’il n’a pas de genre ni de différence qu’il n’a pas de définition. Et aucune démonstration n’est faite de lui parce qu’il n’a pas de cause. Similairement, on ne demande pas « pourquoi » relativement à lui[16].
Ensuite, dans le chapitre 5, Avicenne va prouver que le Premier principe n’a pas de qualité ni de quantité, ni d’endroit (ubi), ni de temps (quando), ni de similaire ni de contraire. Le philosophe persan récapitule ce qu’il a dit auparavant, à savoir que le Premier principe n’a pas de définition et qu’aucune démonstration n’est produite à son égard, puisqu’Il est la preuve de toute chose. Finalement, il ajoute qu’il n’y a relativement au Premier principe que des signes évidents (signa manifesta — al-dalâ’il al-wâd(iha)[17].
Si la démonstration par la cause (propter quid) n’est pas possible pour le Premier principe, il reste tout de même une possibilité de connaissance scientifique — même si ce n’est pas au sens le plus fort du terme — sous la forme de la démonstration par les faits (quia) et par les effets, en parlant par exemple des « signes manifestes ». L’être par soi nécessaire qu’est le Premier principe selon Avicenne fait peut-être l’objet d’une démonstration proprement métaphysique, par le biais des notions de possible et de nécessaire, dans la Métaphysique du Shifa.
Nous pourrions conclure qu’à proprement parler une connaissance scientifique, par les causes, du Premier principe n’est pas possible selon Avicenne. Or, il faut considérer qu’il présente dans les chapitres 4 et 5 de nombreux indices ou « signes évidents » pour désigner l’existence nécessaire du Premier principe ; ces signes, il l’avoue lui-même, se trouvent dans une voie négative du savoir[18].
2. Connaissance intuitive du Premier principe selon Avicenne
Par la suite, dans le livre VIII, chapitre 7, Avicenne propose un autre type de connaissance, intuitive, du Premier principe. Pour déterminer quelle sorte d’intuition ou appréhension (apprehensio—idrâk) peut être adéquate pour lui, il les énonce d’abord toutes :
Toute beauté et convenance, quand on les appréhende, on <les> aime et on <se> délecte ; le principe de cela est leur appréhension, soit sensible, soit imaginative, soit estimative, soit conjecturale, soit intelligible[19].
Après avoir présenté les cinq types d’appréhension : sensible, imaginative, estimative, conjecturale et intelligible, le philosophe persan désigne une correspondance entre la qualité de l’appréhension, celle de l’objet appréhendé et la jouissance de la faculté qui appréhende :
Mais parce que celui qui appréhende est d’autant plus compréhensif et certain que l’appréhendé est plus beau et plus noble en soi-même, aussi, la vertu appréhendant ce qu’elle doit avoir, sa délectation en lui est plus grande[20].
De plus, l’appréhension adéquate entre chaque type d’objet (sensible, imaginatif, estimatif, conjectural ou intelligible) et la faculté correspondante entraîne une délectation : ainsi, la délectation sensible consiste en l’appréhension du sensible et la délectation intelligible se trouve dans l’intellection de l’intelligible (ou appréhension intelligible). Le degré de délectation correspond au degré d’appréhension. Tout est en place pour passer à la question de l’appréhension du Premier principe. Or, l’Être nécessaire (necesse esse) — ou l’Existant nécessaire (al-wâjib al-wujûd) — étant le plus parfait, l’intellection qu’il a de lui-même est la plus parfaite et dans son acte de parfaite intellection, l’appréhendé, l’action et l’agent de l’appréhension s’identifient.
Alors l’être nécessaire (necesse esse, al-wâjib al-wujûd), qui est dans l’ultime <degré> de perfection et de beauté et de charme, en cela qu’Il s’intellige soi-même dans un tel ultime <degré> de perfection et de beauté et de charme, <Il intellige> aussi qu’il est très certainement un et avec la perfection de <l’acte d’>intelliger, et avec l’intelligence de l’intelligeant et de l’intelligé. C’est pourquoi lui-même est l’aimant maximal et l’aimé de lui-même, et plus délectant et délecté, parce que la délectation n’est que l’appréhension du convenable selon qu’il est convenable ; d’où la délectation sensible est la sensibilité du convenable, et la <délectation> intelligible résulte de l’intellection du convenable[21].
Avicenne considère alors que l’appréhension la plus juste et la plus délectable du Premier principe est celle que le Premier principe a de lui-même :
Maintenant donc, le Premier est le meilleur « appréhenseur » avec la meilleure appréhension du meilleur appréhendé, et c’est pourquoi <le Premier> est le meilleur délectant avec la meilleure délectation dans le meilleur délecté, et cela est ce en quoi rien ne peut être comparé à lui. Ces intentions n’ont d’autres noms que ceux-ci, mais celui qui rejette ceux-ci, qu’il en introduise d’autres, s’il peut[22].
Par conséquent, pour Avicenne, l’appréhension adéquate du Premier principe est l’appréhension intellectuelle. Or, dans le cas des intellects humains, pendant leur séjour dans le corps, même s’ils peuvent atteindre leur perfection en acte, la jouissance n’est pas correspondante en intensité avec la perfection atteinte, à cause de l’empêchement du corps.
Or, il arrive que la vertu appréhensive ne se délecte pas de ce qu’il faut se délecter à cause de certains accidents, comme le malade ne se délecte pas du sucré et le rejette à cause de quelque chose qui <lui> arrive. Il faut que tu saches que similairement est notre disposition pendant que nous sommes dans le corps ; en effet, quoique notre vertu intelligible ait acquis sa perfection en acte, pourtant nous ne trouvons pas dans cette réalité autant de délectation que la réalité <devrait nous donner>, et cela arrive à cause de l’empêchement du corps[23].
Il faut conclure, donc, que le seul qui peut avoir une intellection convenable du Premier principe est le Premier principe lui-même, car il n’est pas dans sa nature d’être appréhendé convenablement par quelque autre intellect. Toutefois, notre intellect peut avoir une intuition ou appréhension intelligible du Premier principe dans la mesure de ses possibilités. En effet, il doit s’efforcer de s’assimiler à lui dans la mesure du possible[24]. Même pour décrire ce que l’Existant nécessaire est, les mots nous manquent. Avicenne lance un défi à ceux qui voudraient tenter de le décrire, pour qu’ils trouvent de meilleurs noms[25].
La délectation de toute puissance est la réalisation de sa perfection, comme nous l’avons vu, et la perfection de l’âme raisonnable est de devenir un monde intelligible en acte[26]. Pourtant, même si elle atteint sa perfection en acte en vue de l’assimilation avec la Bonté ultime dans l’intellection de son essence dans sa perfection, l’âme raisonnable ne peut pas trouver cette délectation à cause de l’empêchement du corps. Notre intellection du Premier principe n’arrive donc que dans la mesure du possible.
3. Une voie alternative pour la connaissance du Premier principe
Cela étant posé, il convient de se demander s’il n’y a pas une possibilité pour l’homme de connaître convenablement le Premier principe. Pour vérifier cela, Avicenne analyse un cas particulier de connaissance, celui du prophète. Le prophète accède à une perfection totale de l’âme raisonnable[27]. Ensuite, le prophète fait connaître la majesté de Dieu au moyen de signes et symboles[28]. Mais pour mieux comprendre le phénomène du prophète, il faut emprunter une voie alternative. En fait, c’est la voie de la « mystique » qui nous permet de considérer ce que l’on ne peut pas investiguer scientifiquement, c’est-à-dire de parler de l’ineffable. Or, la tâche du prophète consiste à donner des indices sur l’ineffable essence du Premier principe à l’aide d’une argumentation par des syllogismes poétiques et rhétoriques[29], c’est-à-dire dans une expression complètement différente du langage philosophique, caractérisé principalement par la démonstration. S’il y a une connaissance du Premier principe, donc, elle tombe hors de la portée philosophique ; mais c’est à l’aide de la philosophie que l’on découvre les conditions de possibilité de cette connaissance parmi les hommes.
D’après ces informations que nous avons rassemblées et qui étaient disponibles au début du xiiie siècle aux maîtres ès arts de Paris, nous pouvons dégager certains traits généraux relatifs à la position qu’Avicenne développe dans le livre de la philosophie première quant à la connaissance du Premier principe possible pour l’homme. D’abord, il semble clair qu’il n’y a pas de connaissance scientifique dans le sens de démonstration par les causes (propter quid) et de définition selon la quiddité. Ensuite, la connaissance intuitive intelligible qui nous est possible ne correspond pas à la perfection de la réalité à connaître ; donc, l’intellection du Premier s’achève seulement selon la mesure du possible. Finalement, nous pouvons envisager une troisième voie de connaissance, appelons-la « mystique », laquelle, à l’aide des argumentations et syllogismes poétiques et rhétoriques, essaie de rendre compte de cette essence insondable que constitue le Premier principe.
II. Connaissance du Premier principe selon les maîtres ès arts de Paris
Les maîtres ès arts de Paris seront confrontés à la question de la cognoscibilité ou de l’intelligibilité du Premier principe, d’une manière singulière. Ils trouvent ce questionnement lors de leur analyse de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, livre I, chapitre 1, où le Stagirite traite de la connaissance de la fin désirable pour elle-même :
S’il est donc quelque fin […] que nous souhaitons pour elle-même et pour laquelle nous souhaitons les autres, […] il est clair que cette fin doit constituer le bien et ce, au titre suprême. Est-ce que dès lors, pour l’existence, la connaissance de celui-ci n’est pas aussi d’un grand poids[30] ?
Les artiens se poseront donc la question de savoir si le souverain bien, qui est le Premier principe, est connaissable : c’est le cas du Commentairesurla Nouvelle Éthique du Pseudo-Peckham (1245-1250)[31], du Compendium examinatoire du ms. Ripoll 109 (vers 1240)[32] et de la Division des sciences d’Arnoul de Provence[33]. Nous examinerons ces trois textes suivant le même schème que nous avons dégagé d’Avicenne pour bien montrer les ressemblances et les différences entre les auteurs.
1. Connaissance scientifique du Premier principe
Le Pseudo-Peckham se demande explicitement si le souverain bien non causé peut être connu (Vtrum summum bonum incausatum possit cognosci). Bien qu’en suivant un ordre différent de celui d’Avicenne, l’artien parisien utilisera dans son commentaire les divers éléments qui constituent la réponse du philosophe persan. D’abord, il considérera que l’optimal (optimum) simple ou l’optimal absolu n’est pas proprement définissable et que, en outre, on peut le connaître seulement par une esquisse :
L’optimal <purement et> simplement ou non causé n’est pas proprement définissable. Pourtant, selon ce que l’on entend communément par le nom de définition, on définit […] non seulement par les <choses> antérieures <purement et> simplement, mais aussi quant à nous, comme on peut définir par l’effet ou <par> les signes, et c’est de cette manière qu’<Aristote> parle ici. Ce qui est patent par cela qu’il dit « il faut tenter d’entendre qu’est-ce qu’il est par une esquisse (typo) », d’où il ne dit pas qu’est-ce qu’il est <purement et> simplement, mais qu’est-ce qu’il est par une esquisse (typo). […] Ou on peut dire qu’il parle de l’optimal non <purement et> simplement ou non causé mais en général[34].
En effet, on reprend ici l’énonciation avicennienne selon laquelle il n’y a que certains signes qui puissent se donner du Premier principe, sans pourtant procurer une véritable définition. Dans cette même optique, le Pseudo-Peckham complète son analyse en considérant que l’on ne peut pas connaître par nature la quiddité du bien non causé, c’est-à-dire « qu’est-ce que c’est » le bien non causé, selon son essence :
Il faut savoir que l’on ne peut pas connaître par nature, je ne dis pas par grâce, qu’est-ce que c’est le bien non causé selon son essence, et ceci par affirmation ; mais par privation des autres <choses>, on peut bien connaître qu’est-ce qu’il n’est pas. Et la cause <de ceci> est l’insaisissabilité de son essence par l’intellect fini. Cependant, par certaines <choses> qui sont dites de lui sous une certaine relation à nous, comme « sagesse », « bonté », ou des <choses> de cette sorte, d’une telle manière il peut être connu, mais cette connaissance n’est pas proprement le « qu’est-ce que c’est » et cette connaissance n’est même qu’en raison des effets : d’où nous connaissons les effets, mais nous ne connaissons pas qu’est-ce que c’est l’essence qui est reliée <à ces effets>[35].
Le Premier principe ne peut donc pas être connu quant à sa quiddité. En outre, nous, en tant qu’intellects finis, ne pouvons pas le connaître affirmativement si ce n’est que par grâce, tandis que nous pouvons seulement le connaître par la voie négative, à savoir par la privation de toutes les quiddités qu’il n’est pas. On peut aussi arriver à connaître le Premier principe d’une autre façon : par ses effets, ce qui pourrait correspondre à une démonstration par les faits (quia).
Par conséquent, le Premier principe ne peut pas être connu scientifiquement parce que sa quiddité se trouve être insondable pour nous et que nous ne pouvons pas non plus avoir une définition de lui. En outre, ajoutera le compilateur du Compendium examinatoire, le philosophe moral travaille avec des principes qui lui sont propres, et non pas par démonstration[36], car, quant à la félicité ou souverain bien, il n’y pas de science par les causes, ni de connaissance certaine parmi nous, mais seulement en raison de la fin[37].
2. Connaissance intuitive du Premier principe
La possibilité d’une intuition intellectuelle du Premier principe est aussi examinée par le Pseudo-Peckham dans sa question sur la cognoscibilité du souverain bien. Or, il détermine alors une série de distinctions destinées à préciser selon quel rapport le Premier principe peut nous être connaissable. La première distinction concerne une double façon d’être intelligible : par nature ou par volonté. Par nature le Premier principe n’est pas connaissable :
Il faut savoir que l’intelligible est double : un par nature et un autre par volonté, selon ce qu’on a l’habitude de dire, qu’il y a le spéculatif volontaire et le spéculatif naturel. Et je dis que le Premier, ou la Première Cause, même s’il n’est pas intelligible ou connaissable par nature, pourtant peut être connaissable par volonté non de celui qui connaît, mais de lui-même[38].
La cognoscibilité du Premier principe nous est de plus en plus éloignée du fait que non seulement il demeure inconnaissable par nature, mais aussi que, étant connaissable certes par volonté, il l’est seulement par sa propre volonté et non par la volonté de qui veut le connaître. Or, notre maître va analyser davantage le sujet en distinguant encore deux sortes de volontaire connaissable : celui qui conduit la faculté cognitive de la puissance à l’acte et celui qui la produit dans l’être, que l’on peut interpréter respectivement comme les activités exercées par l’intellect agent et par la Première Cause ou Premier principe. Ensuite, notre maître présente son avis quant à la cognoscibilité de ces deux « volontaires » :
Mais le volontaire connaissable est double : un qui est la cause de la vertu ou de la puissance de celui qui connaît non seulement en conduisant cette <vertu> de la puissance à l’acte, mais aussi en la produisant dans l’être et un tel, même si en tant qu’il est <spéculatif> naturel ou une nature ne peut pas être connu par l’âme, pourtant en tant qu’il est <spéculatif> volontaire ou par la volonté, est connaissable ; il y a un autre connaissable volontaire qui a seulement à conduire la vertu connaissante de la puissance à l’acte, mais il ne donne pas l’être à la puissance, et un tel est ainsi <connaissable>. Donc, la Première Cause d’une manière ne peut pas être connue par l’intellect, d’une autre manière elle <le> peut[39].
Le Pseudo-Peckham considère que le volontaire connaissable peut être connu en tant qu’il est celui qui conduit la vertu ou faculté cognitive de la puissance à l’acte. En ce sens, il se rapproche d’Avicenne qui soutient que l’intellect agent (lequel peut être connu par l’homme) conduit l’intellect humain de la puissance à l’acte[40].
Le Pseudo-Peckham distingue deux types de connaissables volontaires, or nous pouvons avoir deux interprétations de ces deux volontaires. 1) Selon une première interprétation, il les applique tous les deux au Premier principe ou Première Cause : « donc, la Première Cause d’une manière ne peut pas être connue par l’intellect, d’une autre manière elle <le> peut ». On pense alors que le Premier principe est un « connaissable volontaire » pour nous en tant qu’il conduit la faculté cognitive de la puissance à l’acte, mais non pas en tant qu’il produit dans l’être cette même faculté cognitive. De cette manière, ce serait plutôt le Premier principe lui-même qui conduit la faculté cognitive de la puissance à l’acte, attribuant ainsi au Premier principe une activité propre à l’intellect agent[41]. 2) Selon une deuxième interprétation, c’est une seule de ces deux options qui s’applique à la Première Cause, à savoir « un qui est la cause de la vertu ou de la puissance de celui qui connaît non seulement en conduisant cette <vertu> de la puissance à l’acte, mais aussi en la produisant dans l’être ». Dans ce cas, la Première Cause, remarque-t-il, même si elle n’est pas un spéculatif naturel, elle reste un spéculatif volontaire. L’autre connaissable volontaire « qui a seulement à conduire la vertu connaissante de la puissance à l’acte, mais il ne donne pas l’être à la puissance », peut être connu mais n’est pas la Première Cause.
Nous refusons encore de prendre position sur ce point, jusqu’à ce que de nouveaux éléments textuels nous donnent des repères plus certains.
Par ailleurs, le Pseudo-Peckham nous apporte encore une réponse alternative :
Autrement, on peut dire que dans la matière, la Première Cause ne peut nullement être connue, et ceci est à cause de sa distance et de son éloignement de toute créature. Pourtant dans les créatures ou par les créatures elle est connue d’une certaine façon. Et ceci parce qu’elles effectuent une certaine mesure entre l’excellence du Premier Intelligible et la finitude de l’intellect humain ; et <parce que> dans les créatures la <Première cause> a d’une certaine manière la species puisque la cause reluit d’une certaine manière dans l’effet. Et note que le Premier est dit infini non à cause de l’imperfection mais à cause de la puissance insaisissable et de la bonté insaisissable ; et cette infinitude ne supprime <aucune puissance, même> pas, du point de vue du concept, la puissance de définir. Ainsi donc, le <Premier> pourra être connu par l’intellect humain au moyen des créatures[42].
Le Premier principe ne pourrait pas être connu par nous en tant que nous restons plongés dans la matière ; dans les termes d’Avicenne, ce serait à cause de l’empêchement du corps. Pourtant dans les créatures ou par les créatures il est connu d’une certaine façon[43]. La raison en est que les créatures véhiculent une image représentative (species) du Premier principe, car toute cause est reflétée (reluceat) d’une certaine façon dans ses effets. L’image que les créatures reflètent exerce un certain mesurage de la démesure. En effet, le Premier principe étant insaisissable (incomprehensibile) par toute créature, la seule façon de le mesurer demeure de le rapporter à ce qui est défini. Le Premier principe, infini, nous est donc connaissable seulement à travers le prisme du fini.
Pour appuyer l’opinion du Pseudo-Peckham, parmi les maîtres ès arts de Paris, il faut considérer l’opinion d’Arnoul de Provence, le célèbre auteur de la Division des sciences. Il distingue entre la connaissance des intelligences célestes et la connaissance de l’âme humaine. Les intelligences célestes ont une connaissance intuitive directe ou immédiate du Premier principe, tandis que les âmes humaines en ont une intuition médiatisée[44] par les sens et l’imagination.
Quant à la connaissance de l’âme intellective, elle ne provient pas seulement du Premier, mais dépend des choses dont elle acquiert la connaissance à force de travail et de peine par l’intermédiaire des sens et de l’imagination, si bien que, par la connaissance des choses <qui en sont> comme la trace, elle vient à connaître son Auteur[45].
Arnoul de Provence pose, comme le Pseudo-Peckham, la connaissance du Premier principe à partir de ses effets ou « traces » (uestigia) qui nous sont accessibles par les sens et l’imagination. Les maîtres ès arts de Paris, même en valorisant au plus haut point la connaissance du divin, gardent leur compétence professionnelle spécifique en déterminant et en maintenant les conditions de possibilité d’une telle connaissance.
3. Connaissance « fronésique » : une troisième voie ?
Pour continuer le parallélisme avec l’analyse que nous avons faite de la possibilité de connaissance du Premier principe chez Avicenne, il faut déterminer s’il y a aussi une troisième possibilité de connaissance chez les artiens parisiens. Or, nous trouvons un autre traitement sur la connaissance du Premier principe dans la description des vertus intellectuelles, dont la fronesis constitue le degré suprême[46]. En tant que vertu intellectuelle, la fronesis entraîne une connaissance qui suscite une affection ou dilection du Premier principe dans la mesure du possible pour des créatures intelligibles comme les hommes :
La fronesis, quant à elle, est la connaissance du souverain bien avec sa dilection, dans la mesure où il peut y avoir connaissance du souverain bien, et par les créatures intelligibles dans lesquelles reluit maximalement son image, selon qu’il est possible qu’il reluise dans ses créatures. Et ainsi ces trois habitus <i.e. intelligence, sagesse et fronesis> se distinguent les uns des autres selon un mode plus noble <et, entre> les vertus existantes, <les vertus intellectuelles sont plus nobles> que les vertus morales par lesquelles l’âme ordonne bien le corps et ordonne bien à l’égard du prochain, afin qu’une partie de l’univers ne soit pas dissonante par rapport à une autre partie de l’univers selon l’affection, comme elle n’est pas dissonante selon la nature[47].
Le Pseudo-Peckham reprend dans la description de la fronesis plusieurs des éléments constitutifs de la discussion de la cognoscibilité du Premier principe, éléments, remarquons-le, déjà présents chez Avicenne, lequel certes n’en discute pas d’un point de vue éthique. La connaissance du souverain bien ou du Premier principe est possible, donc, dans la mesure où il est reflété dans les créatures, et il est reflété maximalement dans les créatures intelligibles, parmi lesquelles on trouve, outre les intelligences célestes, les âmes intellectives des humains. Pourtant, ce type de connaissance n’est pas une nouvelle approche du Premier principe : il s’agit, comme les différents éléments repris nous le laissent comprendre, d’une intuition intellective limitée à la capacité de l’agent de connaissance.
C’est aussi cette même intuition intellective qui est proposée, nous semble-t-il, par Arnoul de Provence dans sa Division des sciences :
Car selon que, par sa partie supérieure, l’<intellect> intuitionne le Créateur sans beaucoup et <sans> grande affection, il est informé par un habitus de vertu qui est dit « intelligence » ; mais selon que davantage par l’affection il s’étend et que l’affect s’intensifie, <l’intellect> est informé par un deuxième habitus de vertu qui est dit « sagesse », quasi « assaisonnée de saveur » ; enfin, selon que par un affect et un amour intenses <l’intellect> s’enflamme de telle sorte qu’à Lui, autant que possible, il se conforme, il s’acquiert un habitus de vertu qui est dit fronesis, c’est-à-dire « information »[48].
Arnoul considère, en effet, que l’intellect intuitionne (intuetur) le Premier principe, en se conformant à Lui dans la mesure du possible. L’intellect, par sa partie supérieure, c’est-à-dire la partie spéculative[49], est « informé » par le Premier principe. Cette information[50] que constitue la fronesis correspond à une mise en acte et un perfectionnement de l’intellect humain[51]. Tout ceci est compris à l’intérieur d’une démarche naturelle de connaissance ; il ne faut pas une figure extraordinaire ni « supranormale[52] » comme le prophète pour exercer les vertus intellectuelles — quoique peu d’hommes peuvent arriver à la fronesis, notamment les philosophes[53] — ; en outre, la démarche des vertus intellectuelles est décrite suivant un langage philosophique et technique accepté dans la communauté épistémique des maîtres parisiens.
Conclusion
La possibilité de la connaissance du Premier principe chez les maîtres ès arts de Paris semble s’éclaircir à l’aide d’un examen de cette même possibilité chez Avicenne. En effet, nous pouvons voir que l’analyse du philosophe persan contient certains éléments qui joueront après lui dans la scolastique latine. Il abandonne d’abord la possibilité d’une connaissance scientifique proprement dite du Premier principe, en constatant qu’il n’a pas de quiddité et, donc, pas de définition et que, puisqu’il n’a pas de cause (car il est la cause de tout), aucune démonstration par la cause ne peut être produite à son sujet. Ensuite, il précisera qu’aucune intuition intellectuelle du Premier principe n’est parfaite, sauf celle du Premier principe lui-même, car il dépasse tout infiniment ; même les intellections des intelligences cosmiques ne se font que dans la mesure du possible pour chacune ; pourtant, il est important que l’on essaie de se conformer et de s’assimiler à lui dans la mesure dont chacun est capable. Finalement, une nouvelle voie est ouverte quant à la connaissance du Premier principe dans la figure du prophète, qui constitue une sorte d’exception à la loi naturelle mais qui doit être pris en considération. Parmi les hommes, c’est seulement le prophète qui peut parvenir à la connaissance la plus élevée, mais il ne pourra la communiquer aux autres qu’à travers la poétique et la rhétorique. Un nouveau discours doit surgir alors, absolument éloigné du discours philosophique : il s’agit des allégories qu’Avicenne développe dans ses récits « mystiques ».
Quant aux maîtres ès arts de Paris, ils suivent un parcours semblable à celui de la Métaphysique avicennienne. D’abord, ils considèrent qu’il n’y a pas à l’égard du Premier principe de connaissance scientifique « quidditative » (du quid est) : aucune démonstration ni aucune définition au sens strict ne sont possibles à son sujet. Ensuite, la connaissance intuitive se trouve limitée par la finitude de l’intellect humain. L’intuition intellectuelle du Premier principe, donc, jamais parfaite, reste seulement achevable dans la mesure du possible pour chacun. Jusqu’ici nous voyons un parcours dont le parallèle avec Avicenne est remarquable. Pourtant, le parallèle s’arrête là, puisque nos maîtres ès arts n’iront pas jusqu’à la confection d’une mystique. Même s’ils définissent, dans leurs doctrines sur les vertus intellectuelles en général et sur la fronesis en particulier, la conformation ou l’assimilation au Premier principe, cette assimilation reste dans la mesure du possible, c’est-à-dire dans les limites d’un intellect fini. S’ils n’en nient pas la possibilité d’une expérience proprement mystique, ils ne développent pas non plus un discours poétique pour en rendre compte ; leur démarche reste complètement dans leur champ scientifique de compétence : la philosophie et, plus précisément, l’éthique. Dans ce contexte, la vertu de la fronesis, qui occupe certes le degré suprême parmi les vertus intellectuelles, ne serait pas à proprement parler mystique. Elle représente une démarche humaine non pas réservée à une figure exceptionnelle, comme le prophète chez Avicenne, mais théoriquement possible pour tous, quoique pratiquement achevable presque seulement par les philosophes professionnels que sont les artiens.
Appendices
Remerciements
Je tiens à remercier le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) pour le soutien financier qu’il accorde à ma recherche postdoctorale. Je veux aussi manifester ma gratitude à David Piché qui a apporté d’importantes suggestions pour la rédaction et le contenu de cet article ainsi qu’à Claude Lafleur, Joanne Carrier, et François Lortie pour la lecture et révision.
Notes
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[1]
1.Cf. C. Lafleur et J. Carrier, « La réglementation “curriculaire” (“de forma”) dans les introductions à la philosophie et les guides de l’étudiant de la Faculté des arts de Paris au xiiie siècle », dans C. Lafleur et J. Carrier, éd., L’enseignement de la philosophie au xiiie siècle. Autour du « Guide de l’étudiant » du ms. Ripoll 109, Actes du colloque international édités, avec un complément d’études et de textes, par C. Lafleur et J. Carrier, Index et bibliographie avec l’assistance de L. Gilbert et de D. Piché, Turnhout, Brepols (coll. « Studia Artistarum. Études sur la Faculté des arts dans les Universités médiévales », 5), 1997, p. 522-526. Selon le décret de 1215, édicté par le cardinal légat Robert de Courçon, les maîtres ès arts (magistri artium, alias « artiens » ou « artistes » — artist<a>e) ne pouvaient pas donner de cours sur les livres de métaphysique et de philosophie naturelle d’Aristote, non plus que sur les sommes (summ<a>e) s’y rapportant. Cf. H. Denifle et E. Châtelain, Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP), t. I, no 20, Paris, Delalain, 1889, p. 78. Le programme scolaire de 1215, centré principalement sur la logique et la grammaire en bannissant au complet la philosophie naturelle d’Aristote, devient en 1255 — dans un calendrier des cours que les maîtres de la Faculté des arts se donnent eux-mêmes, ce qui contraste avec le statut de 1215 qui avait été imposé à cette Faculté par le cardinal légat du pape — un cursus où les ouvrages sur la métaphysique et sur la philosophie naturelle d’Aristote, maintenant enseignés dans les faits, occupent dorénavant un nombre important de semaines d’études (cf. CUP, t. I, no 246, p. 277-279).
-
[2]
Cette influence a été prouvée, en ce qui concerne surtout la division des sciences, par les travaux de Claude Lafleur (cf. C. Lafleur, Quatre introductions à la philosophie au xiiie siècle, Paris, Vrin ; Montréal, Institut d’études médiévales [coll. « Publications de l’Institut d’études médiévales », 23], 1988). Plus récemment, d’autres études ont corroboré cette influence, cf. A. Fidora, « Politik, Religion und Philosophie in den Wissenschaftseinteilungen der Artisten im 13. Jahrhundert », dans A. Fidora, J. Fried, M. Lutz-Bachmann et L. Schorn-Schütte, éd., Politischer Aristotelismus und Religion in Mittelalter und Früher Neuzeit, Berlin, Akademie Verlag (coll. « Wissenskultur und gesellschaftlicher Wandel », 23), 2007, p. 27-36. Or, en ce qui concerne la psychologie et la théorie de la connaissance développée dans le De Anima de Gundissalinus, elles ne semblent pas avoir eu beaucoup d’adeptes, cf. D. Hasse, Avicenna’s De Anima in the Latin West. The formation of a Peripatetic Philosophy of the Soul, 1160-1300, Londres, The Warburg Institute ; Turin, Nino Aragno Editore (coll. « Warburg Institute Studies and Texts », 1), 2000, p. 17-18. Selon D. Hasse, la question de l’influence du De Anima de Gundissalinus doit être réexaminée, car il n’y a pas d’évidence matérielle d’une fréquentation assidue du texte : seulement trois auteurs le citent et il ne nous est parvenu que six manuscrits du De Anima.
-
[3]
Cf. V. Buffon, L’idéal éthique des maîtres ès arts de Paris vers 1250, Québec, Faculté de philosophie, Université Laval, 2007.
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[4]
« Celui qui a une activité intellectuelle et cultive son intelligence tout en étant parfaitement disposé semble bien être aussi le plus cher aux dieux. En effet, si l’on se préoccupe un peu des affaires humaines du côté des dieux, comme le veut l’opinion, on peut aussi raisonnablement penser que ces derniers mettent leur joie dans ce qu’il y a de meilleur et leur est le plus apparenté — c’est-à-dire l’intelligence » (Aristote, Éthique à Nicomaque, X, 9 [1179a22-32], trad. R. Bodéüs, Paris, Flammarion [coll. « GF », 947], 2004, p. 536-537). Voir aussi Éthique à Nicomaque, X, 7 (1177a12-1178a8) et plus particulièrement 1177b34-35 : « […] il faut […] dans toute la mesure du possible (eph’hoson endékhetai), se comporter en immortel et tout faire pour vivre de la vie supérieure que possède ce qu’il y a de plus élevé en soi ».
-
[5]
« Il est tout aussi impossible qu’il [le mal] ait son siège parmi les dieux : c’est donc la nature mortelle et le lieu d’ici-bas que parcourt fatalement sa ronde. Cela montre quel effort s’impose : d’ici-bas vers là-haut s’évader au plus vite. L’évasion, c’est de s’assimiler à Dieu dans la mesure du possible : or on s’assimile en devenant juste et saint dans la clarté de l’esprit » (Platon, Théétète, 176ab, éd. et trad. Diès, p. 208 : « οὔτ’ἐν θεοῖς αὐτὰ ἱδρῦσθαι, τὴν δὲ θνητὴν φύσιν καὶ τόνδε τὸν τόπον περιπολεῖ ἐξ ἀνάγκης. Διὸ καὶ πειρᾶσθαι χρὴ ἐνθένδε ἐκεῖσε φεύγειν ὅτι τάχιστα. Φυγὴ δὲ ὁμοίωσις θεῷ κατὰ τὸ δυνατόν· ὁμοίωσις δὲ δίκαιον καὶ ὅσιον μετὰ φρονήσεως γενέσθαι »). Cette phrase devenue adage est reprise maintes fois par des philosophes des différentes écoles de l’Antiquité tardive et du Moyen Âge byzantin, chez des auteurs comme Albinus, Plotin, Porphyre, Jamblique, Ammonius, Elias, David, Michel Psellos et Michel d’Éphèse. En outre, même si ces textes de Platon n’ont pas été traduits au Moyen Âge, la tradition néoplatonicienne latine a maintenu vivant le thème de l’assimilation au divin ou à Dieu, par exemple chez Boèce, De consolatione Philosophiae, III, 10, 23-25, dans Boèce, De consolatione Philosophiae, Opuscula theologica, éd. C. Moreschini, Munich et Leipzig, Saur (coll. « Bibliotheca Teubneriana »), 2000, p. 83-84. Boèce parle ici de l’« acquisition de la divinité (adeptio divinitatis) ». Nous verrons plus bas que chez Arnoul de Provence, l’énonciation du thème dans sa description de la fronesis ressemble profondément à celle de Platon dans le Théétète. Cf. ci-dessous, p. 101.
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[6]
Avicenne notamment utilise systématiquement cette formule le Premier (al-awâl) pour parler de Dieu. Or, les théologiens et artiens parisiens de la première moitié du xiiie siècle ont repris ce vocable (Primum ou Primus) à partir d’Avicenne, de Gundissalinus et du pseudo-Aristote, surtout dans le Liber de causis, cf. Anonyme, Liber de causis, éd. A. Pattin, dans A. Pattin, « Liber de causis, édition établie à l’aide de 90 manuscrits avec introduction et notes », Tijdschrift voor filosofie, 28 (1966), p. 90-203.
-
[7]
Cf. M. Fakhry, « The contemplative Ideal in Islamic Philosophy : Aristotle and Avicenna », Journal of the History of Philosophy, 14, 2 (1976), p. 137-145.
-
[8]
Sur les traductions latines médiévales de l’Éthique à Nicomaque, cf. R.A. Gauthier, « Praefatio », dans Aristote, Ethica Nicomachea, éd. R.A. Gauthier, Leiden, Brill ; Bruxelles, Desclée de Brouwer (coll. « Aristoteles Latinus », 26, 1), 1974. Sur l’Ethica Noua et Vetus en particulier, cf. F. Bossier, « L’élaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise », dans J. Hamesse, éd., Aux origines du lexique philosophique européen, Actes du Colloque international organisé à Rome par la F.I.D.E.M., Louvain-la-Neuve, Fédération Internationale des Instituts d’Études Médiévales (coll. « Textes et études du Moyen Âge », 8), 1997, p. 81-102.
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[9]
Il faut noter que cette affirmation ne fait pas l’unanimité, au moins chez les maîtres ès arts de Paris. Par exemple, le Compendium examinatoire contenu dans le ms. Ripoll 109 (Anonyme, Le « Guide de l’étudiant » d’un maître anonyme de la Faculté des arts de Paris au xiiie siècle, édition critique provisoire de C. Lafleur, avec la collaboration de J. Carrier, du ms. Barcelona, Arxiu de la Corona d’Aragó, Ripoll 109, f. 134ra-158va, Faculté de philosophie, Université Laval, Québec, 1992) considère que, en tant que souverain bien, la félicité est le Premier principe, bien que ce ne soit pas en tant que Premier principe qu’elle est le sujet de l’Éthique : « Item queritur utrum felicitas de qua hic agitur sit causata. Et uidetur quod non. Probat enim hic autor quod illa est bonum perfectissimum. Sed nichil est tale nisi Primum. Ergo hec felicitas est ut Primum ; ergo est incausata. — Ad hoc dicimus quod felicitas dicitur esse bonum perfectissimum inter bona participabilia uel humana. Et sic intelligit hic Aristotiles. Primum autem non est participabile in sui essentia, cum sit simplicissimum. Propter hoc illud quod dicitur hic, intelligitur de felicitate causata ». Pour sa part, le Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham distingue aussi entre la béatitude et le souverain bien pour l’homme : « En effet, la béatitude désigne le souverain bien en tant qu’il a l’être en nous par connaissance et affection <de l’âme>, et non seulement comme efficient ou final, mais <Aristote> désigne le souverain bien lui-même selon la notion d’efficient ou de fin seulement. Donc, parce que par connaissance et affection <de l’âme la béatitude> n’a l’être que dans la créature rationnelle, c’est pourquoi selon la notion de béatitude <ce bien> n’est désiré que par la créature rationnelle, d’où il n’est pas permis de mettre de l’avant <que> toutes <choses> choisissent le souverain bien et <que> le souverain bien et la béatitude <soient> une même <chose>, donc ce n’est pas pareillement que pour une <chose> semblable <l’appétit du bien> conduirait à la béatitude. Si, alors que nous voulions dire que lorsqu’on affirme <que> toutes <choses> désirent le bien, le “toutes <choses>” suppose l’homme uniquement qui, d’une certaine manière, est toutes <choses>, tantôt parce qu’<il est> fin de toutes <choses>, tantôt aussi parce que toute autre créature, soit selon le genre, soit selon l’espèce, trouve place en lui d’une certaine manière. Il serait alors facile de répondre en disant qu’on trouve le souverain bien à partir de l’homme comme cause de son être, cependant on ne le trouve pas à partir de lui par grâce ou par connaissance et amour » (Pseudo-Peckham,Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique, Leçon 1, q. 2 : notre traduction). Cf. Pseudo-Peckham,Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem, Lectio 1, q. 2, F (pour la définition des sigles, voir la note suivante), f. 3vb ; O, f. 4ra : « Beatitudo enim nominat summum bonum inquantum habet esse in nobis per cognitionem et affectum, et non solum sicut efficiens uel finalis, set summum bonum nominat ipsum sub ratione efficientis uel finis solum. Quia ergo per cognitionem et affectum non habet esse, nisi in rationali creatura, ideo sub ratione beatitudinis non appetitur, nisi a rationali creatura, unde non licet inferre omnia optant summum bonum, et summum bonum et beatitudo idem, ergo beatitudinem nec est similiter quod pro simili inducebat. Tum si uellemus dicere quod cum dicitur omnia appetunt bonum, li “omnia” supponit pro homine tantum qui quodam modo est omnia, tum quia finis omnium, tum etiam quia omnis alia creatura, aut secundum genus, aut secundum speciem, manet in eo aliquomodo. Tunc facile esset respondere, dicendo quod summum bonum habetur ab homine sicut causa sui esse, non tamen habetur ab eo per gratiam siue per cognitionem et amorem ».
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[10]
Le Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique (Commentarium in Ethicam Nouam et Veterem), attribué antérieurement au théologien franciscain Jean Peckham (H. Spettmann, « Der Ethikkommentar des Johannes Pecham », dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, Festgabe C. Baeumker zum 70. Geburtstag [16. September 1923], Münster, Aschendorff [coll. « Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, Texte und Untersuchungen », Supplementband 2], 1923, p. 221-242) et dont nous avons entrepris l’édition, se trouve dans les manuscrits suivants : Oxford, Bodleian Library, misc. lat., c. 71, f. 2r-52r (= O) ; Florence, Biblioteca Nazionale, conv. sopp., G 4. 853, f. 1r-77v (= F) ; Prague, Národní Knihovna České Republiky (auparavant Universitní Knihovna), III. F 10, f. 12r-23v (= P) (témoin partiel incluant le commentaire de l’Ethica Vetus — leçons 22 à 39, sans les questions) et Avranches, Bibliothèque Municipale, 232, f. 123r-125v (= A) (témoin partiel commençant à la leçon 43 et n’incluant que l’expositio littere de chaque leçon). Cf. O. Weijers, Le travail intellectuel à la Faculté des arts de Paris : textes et maîtres (ca. 1200-1500).V. Répertoire des noms commençant par J (suite : à partir de Johannes D.), Turnhout, Brepols (coll. « Studia Artistarum, Études sur la Faculté des arts dans les Universités médiévales », 11), 2003, p. 145-146 (entrée « Pseudo-Johannes Peckham »).
-
[11]
Anonyme, Le « Guide de l’étudiant » d’un maître anonyme de la Faculté des arts de Paris au xiiie siècle, édition critique provisoire de C. Lafleur, avec la collaboration de J. Carrier, du ms. Barcelona, Arxiu de la Corona d’Aragó, Ripoll 109, f. 134ra-158va, Faculté de philosophie, Université Laval, Québec, 1992.
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[12]
Arnoul de Provence, Diuisio scientiarum, dans C. Lafleur, Quatre introductions à la philosophie au xiiie siècle, Paris, Vrin ; Montréal, Institut d’études médiévales (coll. « Publications de l’Institut d’Études Médiévales », 23), 1988.
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[13]
L’existence d’une mystique chez Avicenne ne fait pas l’unanimité. H. Davidson pense qu’il n’y a pas d’expérience mystique, ou quelque chose de la sorte, chez Avicenne. Selon cet interprète, il y a chez Avicenne deux types de conjonction : l’une qui constitue la conjonction « quotidienne » que tout homme bien disposé par l’utilisation de la faculté cogitative peut achever ; l’autre qui constitue une plénitude de contemplation de l’âme où son activité s’apparente à celle des intelligences séparées parce que la conjonction est permanente, ce qui a lieu uniquement après la mort. Cf. H. Davidson, Alfarabi, Avicenna, and Averroes on Intellect : Their Cosmologies, Theories of the Active Intellect, and Theories of Human Intellect, New York et Oxford, Oxford University Press, 1992, p. 89-90, 103-105. Une position plus nuancée est celle de Badawi, qui admet une certaine mystique chez Avicenne. Il considère qu’Avicenne conçoit une « mystique intellectualiste » dans le Livre des directives et des remarques, mais il pense que cette mystique n’entre pas dans le système philosophique d’Avicenne dont la logique même la rejette et la renie. Cf. A.R. Badawi, Histoire de la philosophie en Islam, t. II, Les philosophes purs, Paris, Vrin (coll. « Études de philosophie médiévale », 40), 1972, p. 662-665. Similaire est l’opinion de M. Fakhry, voir ci-dessous. D’un autre point de vue, on affirme que « non seulement cette mystique est un couronnement de son système philosophique, mais encore qu’elle est une exigence de sa pensée » (A.M. Goichon, « Introduction », dans Avicenne, Livre des directives et des remarques, trad. A.M. Goichon, Beyrouth, Commission Internationale pour la traduction des chefs-d’oeuvre ; Paris, Vrin [coll. « Collection d’oeuvres arabes de l’Unesco »], 1951, p. 5. Cette opinion est partagée par D. Burrell, « Avicenna », dans J. Gracia et T. Noone, éd., A companion to philosophy in the Middle Ages, Malden, Blackwell Publishing [coll. « Blackwell Companions to Philosophy », 24], 2003, p. 203). Finalement, il y a d’autres interprètes qui considèrent qu’Avicenne a fait un virage vers le mysticisme dans la dernière période de sa vie, mysticisme qui était resté latent dans les ouvrages antérieurs (M. Fakhry, A History of Islamic Philosophy, New York et Londres, Columbia University Press, 1970, p. 178-183). Par ailleurs, certains divisent la mystique en naturelle et en religieuse : la mystique naturelle implique une connaissance directe, purement intellective, hors du commun, qui est achevée par peu d’hommes, dans la contemplation du divin ; la mystique religieuse, ou surnaturelle, dénote une expérience de connaissance directe, hors du commun, qui est arrivée à peu d’hommes, par la volonté de Dieu de se laisser contempler et de se présenter dans l’âme du mystique. Cf. la brève présentation et les critiques sur cette distinction chez Y. de Andia, HENOSIS : L’union à Dieu chez Denys l’Aréopagite, Leiden, New York et Köln, Brill (coll. « Philosophia Antiqua », 71), 1996, p. 19-21 ; cf. aussi Y. de Andia, « Union mystique et théologie mystique. À propos de Denys l’Aréopagite », dans P. Capelle, éd., Expérience philosophique et expérience mystique, Paris, Cerf (coll. « Philosophie & Théologie »), 2005, p. 148. Il nous semble que la plupart des interprètes incluent Avicenne dans ce que nous pouvons appeler mystique naturelle, alors que H. Davidson considère un concept plus restreint de mystique que nous pouvons appeler mystique surnaturelle ou religieuse. Nous adoptons un sens très large de « mystique » où l’on se trouve face à une expérience de connaissance inexplicable qui est au-dessus ou au-delà du langage philosophique conventionnel. Cf. J.M. Narbonne, « Tradition, philosophie et expérience dans la mystique plotinienne », dans Capelle, éd., Expérience philosophique et expérience mystique, p. 93-114.
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[14]
Avicenne, Métaphysique (Liber de philosophia prima sive de scientia divina), VIII, 4, éd. S. Van Riet, t. II, Leiden, Brill (coll. « Avicenna Latinus »), 1980, p. 402 : « Primus igitur non habet quidditatem, sed super habentia quidditates fluit esse ab eo ». Pour le texte correspondant dans l’édition arabe, voir Ibn Sînâ, Ilahiyât min al-Šifâ’, nouvelle éd. arabe et trad. anglaise de M. Marmura, Provo, Brigham Young University Press (coll. « Al-H(ikma », Islamic Translation Series, III, IV), 2004, p. 276. Nous utilisons la traduction latine médiévale d’Avicenne, puisque ce qui nous intéresse est son influence chez les artiens parisiens. Toutefois, nous renvoyons systématiquement à l’édition arabe, qui peut éclaircir le texte latin.
-
[15]
Avicenne, Métaphysique, VIII, 4, éd. S. Van Riet, p. 402 : « Primus etiam non habet genus ; primus enim non habet quidditatem, sed quod non habet quidditatem, non habet genus ; genus enim respondetur ad interrogationem per “quid est” ». Éd. Marmura, p. 277.
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[16]
Avicenne, Métaphysique, VIII, 4, éd. S. Van Riet, p. 402 : « Et ideo non habet differentiam ; quia enim non habet genus, nec habet differentiam, ideo non habet deffinitionem. Nec fit demonstratio de eo quia ipse non habet causam. Similiter non quaeritur de eo “quare” ». Éd. Marmura, p. 277.
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[17]
Avicenne, Métaphysique, VIII, 5, éd. S. Van Riet, p. 411 : « Iam igitur manifestum est quod primus non habet genus nec quidditatem nec qualitatem nec quantitatem nec quando nec ubi nec simile sibi nec contrarium qui est altissimus et gloriosus et quod non habet definitionem et quod non potest fieri demonstratio de eo sed ipse est demonstratio de omni quod est immo sunt de eo signa manifesta. Cum autem designatur eius certitudo non designatur nisi post anitatem per negationem consimilium ab ipso et per affirmationem relationum ad ipsum quoniam omne quod est ab ipso est et non est communicans ei quod est ab ipso ; ipse uero est omne quod est et tamen non est aliquod ex his » (les italiques sont de nous). Éd. Marmura, p. 282-283.
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[18]
Voir la note précédente.
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[19]
Avicenne, Métaphysique, VIII, 7, éd. Van Riet, p. 431 : « Omnis enim pulchritudo et convenientia cum aprehenditur (madruk) diligitur et delectat, cuius principium est sua apprehensio (idrâk) vel sensibilis vel imaginabilis vel aestimabilis vel putativa vel intelligibilis ». Éd. Marmura, p. 297.
-
[20]
Avicenne, Métaphysique, VIII, 7, éd. Van Riet, p. 431 : « Sed quia, quanto apprehensor (idrâk) est magis comprehendens et certior, et apprehensum (madruk) est pulchrius et nobilius in seipso, et ideo quod debet habere virtus apprehendens sua delectatio in illo est maior ». Éd. Marmura, p. 297.
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[21]
Avicenne, Métaphysique, VIII, 7, éd. Van Riet, p. 431 : « Tunc necesse esse (al-wâjib al-wujûd), quod est in ultimo perfectionis et pulchritudinis et decoris, eo quod intelligit seipsum in tali ultimo perfectionis et pulchritudinis et decoris, et cum perfectione intelligendi et cum intelligentia intelligentis et intellecti, et quod unum sunt certissime. Ideo ipse cui ipsius est maximus amator et amatum, et magis delectans et delectatum, quoniam delectatio non est nisi apprehensio convenientis secundum quod est conveniens ; unde sensibilis delectatio est sensibilitas convenientis, et intelligibilis est ut intelligat conveniens ». Éd. Marmura, p. 297.
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[22]
Avicenne, Métaphysique, VIII, 7, éd. Van Riet, p. 432 : « Iam ergo, Primus est excellentior apprehensor cum excellentiore apprehensione excellentioris apprehensi (f-al-awal afd(al mudrik bi-afd(al idrâk li-afd(al madruk), et ideo est excellentior delectator cum excellentiore delectatione in excellentiore delectato, et hoc est in quo nihil comparatur ei. Haec intentiones non habent alia nomina nisi haec, sed quisquis respuerit haec, inducat alia, si potest ». Éd. Marmura, p. 297. Il faut noter que « si potest » est un ajout dans la traduction latine.
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[23]
Avicenne, Métaphysique, VIII, 7, éd. Van Riet, p. 432-433 : « Contingit autem quod virtus apprehendens non delectatur in quo oportet, sicut infirmus non delectatur in dulci et respuit illud propter aliquid quod accidit. Similiter oportet ut scias esse nostram dispositionem dum sumus in corpore ; nos enim, quamvis nostrae virtuti intelligibili sit acquisita sua perfectio in effectu, non tamen invenimus in ipsa re tantum delectationis quantum ipsi rei, et hoc fit propter impedimentum corporis ». Éd. Marmura, p. 298. Or, si nous sommes relâchés du corps, rien n’empêchera que notre âme devienne un monde intelligible et éprouve une jouissance et une splendeur infinies. Avicenne, Métaphysique, VIII, 7, éd. Van Riet, p. 433 : « Si uero exueremur a corpore ad intelligendam nostram essentiam ita ut ipsa fiat saeculum intelligibile cognoscendo et speculando ea quae sunt certissime et ueras pulchritudines et uera delectabilia et sit coniuncta cum eis quemadmodum coniungitur unum intellectum cum alio intellecto profecto essemus tunc sic quod inueniremus delectationem et decorem infinitum ». Éd. Marmura, p. 298.
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[24]
« Il reste donc que la bonté recherchée par le mouvement est existant par soi, <et> sa nature n’est pas pour qu’elle soit appréhendée. Or, l’intellect ne recherche toute bonté de cette nature que pour s’y assimiler selon ce qui lui est possible ». Avicenne, Métaphysique, IX, 2, éd. Van Riet, p. 457 : « Restat igitur ut bonitas inquisita per motum sit existens per se cuius natura non est ut apprehendatur. Omnem autem bonitatem cuius haec est natura non inquirit intellectus, nisi ut assimiletur ei secundum quod sibi possibile est ». Éd. Marmura, p. 313.
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[25]
Cf. ci-dessus, n. 22.
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[26]
Avicenne, Métaphysique, VIII, 7, éd. Van Riet, p. 433 : « Scias autem quod delectatio cuiusque uirtutis plena est acquisitio suae perfectionis et ideo sensui sensata conuenientia et irae uindicta et spei consecutio et unicuique rei id quod est proprium, et animae rationali ipsam fieri saeculum intelligibile in effectu ». Éd. Marmura, p. 298. Voir aussi ce célèbre passage, Avicenne, Métaphysique, IX, 7, éd. Van Riet, p. 510-511 : « Dico igitur quod sua perfectio animae rationalis est ut fiat saeculum intelligibile et describatur in ea forma totius et ordo intellectus in toto et bonitas fluens in omne et ut incipiens a principio totius procedat ad substantias excellentiores spirituales absolute et deinde ad spirituales pendentes aliquo modo ex corporibus et deinde ad animas mouentes corpora et postea ad corpora caelestia et ut haec omnia sint descripta in anima secundum dispositiones et uires eorum quousque perficiatur in ea dispositio esse uniuersitatis et sic transeat in saeculum intellectum instar esse totius mundi cernens id quod est pulchritudo absolute et bonitas absolute et decor uerus fiat unum cum ea insculpta exemplo eius et dispositione eius et incedens secundum uiam eius conuersa in similitudinem substantiae eius ». Éd. Marmura, p. 350. A. de Libera (Penser au Moyen Âge, Paris, Seuil [coll. « Points Essais »], 1991, p. 290) a traduit du latin ce passage : « La perfection de l’âme raisonnable est de devenir un monde intelligible dans lequel se décrive ou se dessine la forme du tout et l’ordre intelligé dans le tout et la bonté s’écoulant en tout. Cette bonté commence à l’origine de tout, s’avance [procède] jusqu’aux substances spirituelles très nobles qui sont séparées, puis à celles qui, d’une certaine manière, dépendent des corps, puis aux âmes qui meuvent ces corps, puis à ces corps célestes eux-mêmes, pour que ceux-ci viennent tout ensemble inscrire en l’âme leurs dispositions et leurs puissances, jusqu’à ce que s’accomplisse et s’achève en elle la disposition de l’être de l’univers. C’est ainsi que l’âme se transforme alors en un monde intelligé, qui est à l’instar de l’être du monde tout entier, qu’elle contemple et distingue ce qui est la beauté absolue et le bien absolu, que le vrai beau s’unit à elle pour ne faire qu’un avec elle, et que, sculptée à son exemple et selon sa disposition, elle marche dans sa voie, transformée à l’image de sa substance ». On trouve un passage similaire dans le Livre des directives et des remarques : « La perfection de la substance intelligente, c’est qu’apparaisse en elle la clarté du Réel Premier dans la mesure de ce qu’il lui est possible d’en obtenir, suivant l’éclat qui lui est propre. (C’est) en outre qu’apparaisse en elle l’existence tout entière, telle qu’elle est et dégagée de (tout) mélange — en commençant à ce propos, après le Réel Premier, par les substances intellectuelles supérieures, ensuite les (êtres) spirituels célestes et les corps célestes, ensuite ce qui vient après eux ». J. Michot, « De la joie et du bonheur : essai de traduction critique de la section II, 8 des Ishārāt d’Avicenne », BPM, 25 (1983), p. 56. Cf. Avicenne, Livre des directives et des remarques, trad. Goichon, p. 472 ; éd. arabe, Avicenne (Ibn Sīnā), Al-Ishārāt wa-l-Tanbīhāt, éd. J. Forget, Leiden, Brill, 1892, p. 194.
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[27]
Avicenne, Métaphysique, X, 1, éd. Van Riet, p. 523 : « Sed ex hominibus ille est nobilior cuius anima fit intelligentia in effectu et acquirit mores qui sunt honestates practicae. Ex his autem ille excellentior est qui est aptus ad ordinem prophetiae et hic est ille in cuius uiribus animalibus sunt hae tres proprietates scilicet ut audiat uerbum dei et uideat angelos transfiguratos coram se in forma qua possint uideri ». Éd. Marmura, p. 358-359.
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[28]
Avicenne, Métaphysique, X, 2, éd. Van Riet, p. 535 : « Immo oportet ut insinuet eis gloriam dei et magnitudinem eius aliquibus nutibus et parabolis sumptis a rebus quae sunt apud eos gloriosae et magnificae et cum hoc dicat eis quod non est sibi aliquid aliud compar uel simile ». Éd. Marmura, p. 366.
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[29]
Avicenne, Métaphysique, X, 1, éd. VanRiet, p. 529. Éd. Marmura, p. 363. Pour un exemple de récit allégorique, voir la démarche du « connaisseur », dans Avicenne, Livredesdirectivesetdesremarques, IX, trad. Goichon, p. 483-501. Sur l’allégorie et la philosophie chez Avicenne, voir : P. Heath, AllegoryandPhilosophyinAvicenna, Philadelphia, University of Pennsylvania Press (coll. « Middle Ages Series »), 1992.
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[30]
Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 1, 1094a18-23, trad. Bodéüs, p. 48-49. L’italique est de nous. Pour l’édition du texte latin voir Aristote, Ethica Nichomachea, trad. Burgundio de Pise, éd. R.-A. Gauthier, Leiden, Brill (coll. « Aristoteles Latinus », XXVI, 2), 1972, p. 66 : « Si utique quis finis est […] quem per se volumus, alia vero propter illum. […] Ara igitur ad vitam cognitio eius maximum habet incrementum ».
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[31]
Pour une étude d’ensemble de ce commentaire voir V. Buffon, L’idéal éthique des Maîtres ès arts de Paris.
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[32]
Cet anonyme a été édité et traduit par Claude Lafleur. Cf. Anonyme, Le « Guide de l’étudiant » d’un maître anonyme de la Faculté des arts de Paris au xiiie siècle, édition critique provisoire de C. Lafleur, avec la collaboration de J. Carrier, du ms. Barcelona, Arxiu de la Corona d’Aragó, Ripoll 109, f. 134ra-158va, Québec, Faculté de philosophie, Université Laval, 1992. Anonyme, L’« abrégé examinatoire » (alias « Guide de l’étudiant parisien » ou « Compendium “Nos gravamen” ») du ms. Ripoll 109 vers 1230-1240, trad. C. Lafleur et J. Carrier, Québec, Faculté de philosophie, Université Laval (coll. « Cahiers du Laboratoire de Philosophie Ancienne et Médiévale de la Faculté de philosophie de l’Université Laval », V), 2004.
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[33]
Cf. Arnoul de Provence, Diuisio scientiarum, éd. Lafleur.
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[34]
Pseudo-Peckham, Commentarium in Ethicam Nouam, Lectio III, q. 1, Réponse, O, f. 6va, F, f. 6vb : « Optimum simpliciter siue incausatum diffinibile non est proprie. Acepto tamen communiter nomine diffinitionis, […] diffinitur non solum per priora simpliciter, sed etiam quo ad nos ut per effectum uel signa diffiniri potest et hoc modo loquitur hic. Quod patet per hoc quod dicit « temptandum est accipere quid sit typo » unde non dicit quid est simpliciter sed quid est typo. […] Vel potest dici quod loquitur de optimo non simpliciter siue incausato sed in genere. »
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[35]
Pseudo-Peckham, Commentarium in Ethicam Nouam, Lectio III, q. 2, Réponse, O, f. 6vb, F, f. 7ra : « Sciendum quod quid sit bonum incausatum secundum essentiam eius non potest cognosci per naturam, non dico per gratiam, et hoc per positionem ; sed per priuationem aliorum bene potest cognosci quid non est. Et causa est incomprehensio essentie eius ab intellectu finito. Tamen per aliqua que dicuntur de eo sub aliqua comparatione ad nos, ut “sapientia”, “bonitas” uel huiusmodi, quomodo potest cognosci, sed hec cognitio non est quid sit proprie neque etiam hec cognitio est nisi ratione effectus, unde effectus cognoscimus, sed essentiam que comparatur non cognoscimus quid sit ».
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[36]
Anonyme, Compendium examinatoire, éd. Lafleur, § 86.
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[37]
Anonyme, Compendium examinatoire, éd. Lafleur, § 84.
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[38]
Pseudo-Peckham, Commentarium in Ethicam Nouam, Lectio II, Pars II, q. 1, Réponse, O, f. 5vb, F, f. 6ra : « Sciendum quod intelligibile duplex est : quoddam per naturam et quoddam per uoluntatem. Secundum hoc quod solet dici quod est speculatiuum uoluntarium et est speculatiuum naturale. Et dico quod Primum, siue Prima Causa, etsi non sit intelligibile uel cognoscibile per naturam, per uoluntatem tamen non cognoscentis set ipsius potest esse cognoscibile ».
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[39]
Pseudo-Peckham, CommentariuminEthicamNouam, Lectio II, Pars II, q. 1, Réponse, O, f. 5vb, F, f. 6ra : « Sed uoluntarium cognoscibile duplex est : quoddam quod causa est uirtutis uel potentie cognoscentis non solum in reducendo eam de potentia in actum, sed etiam in producendo eam in esse, et tale, licet in quantum est naturale uel natura non possit cognosci ab anima, tamen in quantum uoluntarium siue per uoluntatem, cognoscibile est ; est aliud cognoscibile uoluntarium quod tantum habet reducere uirtutem cognoscentem de potentia in actum sed non dat esse potentie, et tale sic. Prima ergo Causa uno modo non potest cognosci ab intellectu, alio modo potest ».
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[40]
« Dicemus quod anima humana prius est intelligens in potentia, deinde fit intelligens in effectu. Omne autem quod exit de potentia ad effectum, non exit nisi per causam quae habet illud in effectu et extrahit ad illum ». Avicenne, Liber de anima siue sextus de naturalibus, éd. S. Van Riet, Louvain, Peeters ; Leiden, Brill (coll. « Avicenna Latinus », I, 1-2), 1972, V, 5, p. 126. Cf. Avicenne,DeAnima, éd. arabe F. Rahman, Londres, New York et Toronto, Oxford University Press (coll. « University of Durham Publications »), 1959, p. 234. Cela provient d’Aristote, De Anima, III, 5, 430a10-16, trad. R. Bodéüs, Paris, Flammarion (coll. « GF », 711), 1993, p. 228. On le retrouve aussi chez Averroès, cf. Averroès, L’intelligence et la pensée : sur le De Anima, présentation et traduction inédite par A. de Libera, Paris, Flammarion (coll. « GF », 974), 1998, comm. 17, p. 104-105. En outre, « anima rationalis cum coniungitur formis aliquo modo coniunctionis, aptatur ut contingant in ea ex luce intelligentiae agentis ipsae formae nudae ab omni permixtione » (Avicenne, De Anima, éd. van Riet, p. 128 ; éd. ar. Rahman, p. 235-236).
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[41]
Curieusement, on trouve une identification de ces deux entités — et non seulement de leurs activités — dans le traité sur l’intellect attribué à Alexandre d’Aphrodise. Cf. Alexandre d’Aphrodise (?), De intellectu, dans P. Moraux, Alexandre d’Aphrodise exégète de la noétique d’Aristote, Liège, Faculté de philosophie et lettres ; Paris, Drotz, 1942, p. 189-190 et 192-193.
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[42]
Pseudo-Peckham, Commentarium in Ethicam Nouam, Lectio II, Pars II, q. 1, Réponse (Suite), O, f. 5vb, F, f. 6ra : « Aliter potest dici quod in materia Prima Causa nullo modo potest cognosci, et hoc est propter sui distantiam et remocionem sui ab omni creatura. Tamen in creaturis uel per creaturas aliquo modo cognoscitur. Et hoc quia quamdam temperantiam faciunt inter excellentiam Primi Intelligibilis et finitatem intellectus humani ; et in creaturis habet aliquo modo speciem cum causa aliquo modo reluceat in effectum. Et nota quod Primum dicitur infinitum non propter inperfectionem sed propter potentiam incomprehensibilem et incomprehensibilem bonitatem et hec infinitas non aufert potentiam finiendi intellectum. Sic ergo per creaturas poterit cognosci ab intellectu humano ».
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[43]
On peut interpréter ainsi le segment per creaturas selon l’emploi de l’expression dans la philosophie artienne de la deuxième moitié du xiiie siècle. Siger de Brabant, dans ses Questions sur la Métaphysique d’Aristote, affirme que la métaphysique (ou théologie philosophique) considère les choses connaissables par la raison humaine et per creaturas tantum, « par <le biais> des créatures seulement » (F. Pironet, « Théologie révélée versus théologie philosophique », Philosophiques, 31, 2 [2004], p. 320). Ce qui nous rappelle aussi l’analyse de F. Pironet sur un autre extrait des Questions sur la Métaphysique de Siger de Brabant, cf. Pironet, « Théologie révélée versus théologie philosophique », p. 321 : « pour lui [Siger] la distinction entre les deux théologies ne repose pas tant sur l’angle sous lequel elles peuvent considérer un même objet (x en tant qu’être, en métaphysique — x en tant que se rapportant à Dieu, en théologie) que sur la manière dont on acquiert la connaissance de cet objet (par la raison naturelle — par révélation) ». Nous voyons par ce texte que le point de vue pris par Siger de Brabant ne constitue pas une nouveauté, il s’agit plutôt d’une conceptualisation utilisée jadis dans le cadre de l’enseignement éthique et qui se glisse dans le discours métaphysique. C’est un point de vue partagé par C. Lafleur et J. Carrier, « Dieu, la théologie et la métaphysique au milieu du xiiie siècle, selon des textes épistémologiques artiens et thomasiens », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 89 (2005), p. 261-294.
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[44]
Arnoul de Provence, Diuisio scientiarum, éd. Lafleur, p. 300, 43-47 : « Quod autem intelligentie cognitio per intuitionem in Primum sit inmediata et anime humane mediata, habetur in libro De motu cordis, ubi dicitur quod intelligentia est substantia spiritualis illuminationum influentium a Primo prima relatione receptiva ; anima uero est substantia spiritualis illuminationum a Primo influentium secunda relatione perceptiva ». Les italiques sont dans l’original.
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[45]
Arnoul de Provence, La division des sciences, trad. C. Lafleur et J. Carrier, Québec, Faculté de philosophie, Université Laval (coll. « Cahiers du Laboratoire de Philosophie Ancienne et Médiévale », XI), 2004, p. 57. « Anime uero intellectiue cognitio non solum est a Primo, set dependet a rebus quarum cognitionem adquirit cum labore et pena, sensu ac ymaginatione mediantibus, ut earum cognitione, tanquam per uestigium, ueniat in cognitionem sui Factoris » (Arnoul de Provence, Diuisio scientiarum, éd. Lafleur, p. 299).
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[46]
La description de la fronesis chez les artiens parisiens a été discutée par plusieurs auteurs, notamment pour Arnoul de Provence, voir R.A. Gauthier, « Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprême », Revue du Moyen Âge Latin, 19 (1963), p. 129-170 ; plus récemment, Lafleur et Carrier, « Dieu, la théologie et la métaphysique » ; aussi C. Lafleur, « Scientia et ars dans les introductions à la philosophie des maîtres ès arts de l’Université de Paris au xiiie siècle », dans I. Craemer-Ruegenberg et A. Speer, éd., « Scientia » und « ars » im Hoch und Spätmittelalter, Berlin et NewYork, de Gruyter (coll. « Miscellanea Mediaevalia », 22), 1994, p. 45-65 ; en outre, une étude sur la fronesis chez le Pseudo-Peckham et chez Robert Kilwardby se trouve dans Buffon, L’idéal éthique des maîtres ès arts de Paris vers 1250, chapitre 3. Sur la répercussion de cet idéal philosophique dans la deuxième moitié du xiiie siècle, voir D. Piché,La condamnation parisienne de 1277, éd., trad. et comm. de D. Piché, avec la collaboration de C. Lafleur, Paris, Vrin (coll. « Sic et non »), 1999.
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[47]
Pseudo-Peckham,Commentarium in Ethicam Nouam, Lectio 21, q. 6, O, f. 29va, F, f. 33vb : « Fronesis uero est cognitio summi boni cum dilectione eius, prout potest <esse> cognitio summi boni et per intelligibiles creaturas in quibus maxime relucet eius ymago secundum quod possibile est in creaturis Suis relucere. Et sic hii tres habitus ad inuicem distinguntur secundum nobiliorem modum <et, inter> existentes uirtutes, <uirtutes intellectuales sunt nobiliores> quam uirtutes morales quibus anima bene ordinat corpus et bene ordinat erga proximum, ut non dissonet pars uniuersi a parte uniuersi secundum affectum, sicut non dissonat secundum naturam ».
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[48]
Arnoul de Provence, La division des sciences, Philosophia moralis, trad. Lafleur et Carrier, dans C. Lafleur et J. Carrier, Autour d’Arnoul de Provence maître ès arts de Paris, trad. C. Lafleur et J. Carrier, Québec, Faculté de philosophie, Université Laval (coll. « Cahiers du Laboratoire de Philosophie Ancienne et Médiévale », XI.3.1), 2005, p. 7-8. « Nam secundum quod per partem superiorem intuetur Creatorem absque multa et magna affectione, informatur habitu uirtutis qui dicitur intelligentia ; secundum uero quod ulterius per affectionem extenditur et affectus intenditur, informatur secundo habitu uirtutis qui dicitur sapientia, quasi sapore condita ; secundum autem quod per intensum affectum et amorem inflammatur ut Illi, quantum possibile est, se conformet, adquiritur ei habitus uirtutis qui dicitur fronesis, id est “informatio” » (Arnoul de Provence, Diuisio scientiarum, éd. Lafleur, p. 335-336).
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[49]
L’arrière-fond de cette division de l’intellect en supérieur et en inférieur est la théorie des deux faces de l’âme, provenant des Ennéades de Plotin IV, 8 (traité 6) et disponible chez les maîtres ès arts de Paris à travers les textes d’Avicenne et d’Algazel. Cf. Lafleur et Carrier, « Dieu, la théologie et la métaphysique », p. 290-291, n. 143. Pour une étude de cette théorie chez d’autres artiens (comme le Pseudo-Peckham) ainsi que chez les théologiens parisiens, cf. Buffon, L’idéal éthique des maîtres ès arts de Paris vers 1250, chapitre 2. Pour la théorie avicennienne des deux faces de l’âme, voir D. DeSmet, « La doctrine avicennienne des deux faces de l’âme et ses racines ismaéliennes », Studia Islamica, 93 (2001), p. 77-89.
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[50]
Au sujet de la fronesis comme intuition intellectuelle et comme information, il faut absolument consulter l’excellente analyse de Lafleur et Carrier, « Dieu, la théologie et la métaphysique », p. 290-291, n. 143.
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[51]
Les vertus intellectuelles sont décrites similairement par plusieurs maîtres ès arts, dont le compilateur du Compendium examinatoire du ms. Ripoll 109 : « La vertu intellectuelle est par l’admiration des formes à partir du Premier et par la contemplation de Celui-ci » (Anonyme, Compendium examinatoire, éd. et trad. Lafleur et Carrier, § 79 : « Virtus intellectualis est per admirationem formarum a Primo et Eius contemplationem »).
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[52]
C’est l’expression de Lafleur et Carrier, « Dieu, la théologie et la métaphysique », p. 290-291, n. 143.
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[53]
Ibid.