Abstracts
Résumé
Un débat est présentement en cours sur l’opportunité ou non d’établir des liens entre l’éthique et les neurosciences. À première vue, cette proposition remet en question une conception traditionnelle de l’éthique qui se distingue des sciences empiriques. Elle semble, entre autres, suggérer une façon déterministe et réductionniste de voir l’éthique. Nous soutenons dans cet article que, contrairement à ce que laissent entendre certaines critiques, les neurosciences peuvent être pertinentes pour l’éthique. Cinq arguments contre l’apport des neurosciences en éthique sont présentés et discutés (déterminisme, paralogisme naturaliste, dualisme, réductionnisme et hégémonie de l’objectivité). Nous soutenons que ces arguments n’impliquent pas l’impossibilité d’intégrer les neurosciences en éthique, sinon qu’ils suggèrent des façons plus nuancées de le faire. Suivant cette discussion, nous présentons une approche neurophilosophique émergentiste et interdisciplinaire qui se distingue de la « neurophilosophie de l’éthique » proposée par Patricia Churchland. Nous enchaînons ensuite avec la présentation d’un secteur de recherche en neurosciences (neurosciences du raisonnement moral et des émotions morales) qui illustrent l’intérêt de l’approche proposée. L’article conclut en présentant quelques commentaires critiques.
Abstract
Debates are taking place on the opportunity or not of establishing links between ethics and neuroscience. At first glance, this proposition jeopardizes a traditional conception of ethics that distinguishes it clearly from the empirical sciences. Taking this step seems to involve a deterministic and reductionist view of ethics. We argue in this article that, contrary to the views of some critics, neuroscience can be useful for ethics. Five arguments against integrating neurosciences in ethics are presented (determinism, naturalistic fallacy, dualism, reductionism and the hegemony of objectivity). We claim that these arguments do not imply the impossibility of the integration of neuroscience in ethics but constitute rather important qualifications that must be taken into account. Our next step is to present an emergentist and interdisciplinary neurophilosophical approach, which we distinguish from the neurophilosophy of ethics proposed by Patricia Churchland. We go on with the presentation of a research sector in neurosciences (neuroscience of moral reasoning and moral emotions) that illustrates the interest of the proposed neurophilosophical approach. The article concludes with critical remarks.
Article body
Introduction
Depuis une vingtaine d’années, plusieurs neuroscientifiques et philosophes s’interrogent sur le lien à établir entre, d’une part, les neurosciences et, d’autre part, certains thèmes de recherches considérer traditionnellement comme l’apanage de la philosophie[1]. Ces discussions concernent, entre autres, la nature de la conscience ainsi que la nature du raisonnement et de la conceptualité. Poser un tel rapport entre l’éthique et les neurosciences soulève cependant des difficultés. Quel intérêt les neurosciences peuvent-elles présenter pour l’éthique ? N’est-il pas évident que l’éthique est très souvent un effort pour éviter d’assimiler la bonne conduite humaine à celle de la nature[2] ? Par exemple, les étapes du développement embryologique (fécondation, nidation, différenciation cellulaire, viabilité, naissance) éclairent peu dans un débat sur le statut moral de l’embryon humain[3]. Effectivement, ces connaissances ne semblent pas nous aider à déterminer si l’avortement est éthiquement justifié ou non puisqu’elles ne déterminent pas si l’embryon est une personne ou un sujet moral ayant droit à la vie. De même, savoir que les plus forts, « les plus adaptés », sont souvent les gagnants dans la nature ne semble surtout pas un bon fondement moral pour justifier que l’on doive entraver le développement des individus « moins adaptés ». Au contraire, comme Thomas Huxley l’a soutenu dans son ouvrage Evolution and Ethics, « le progrès technique de la société dépend non pas de l’imitation du processus cosmique, encore moins de la fuite face à lui, mais du combat que nous menons contre lui[4] ». Il semble donc que les connaissances issues des sciences biologiques ne servent en rien l’éthique sinon que pour donner une description fidèle de la situation telle que : le sillon neural se développe à 14 jours et… Et alors interviendrait un jugement de valeur (éthique) juxtaposé à un jugement de fait (scientifique) pour que l’on puisse véritablement parler d’éthique[5]. Telle est l’explication classique.
Cette distinction entre l’éthique et les sciences repose sur la thèse suivante : l’éthique est normative, elle informe sur ce qui doit être, le devoir tandis que les sciences sont descriptives, elles informent sur ce qui est, l’être. L’éthique et la science seraient donc deux types de discours distincts avec des compétences respectives. Il est même mal venu de confondre leur rôle. D’un côté, l’éthique n’est pas un discours intéressant pour décrire le monde, elle s’avère peu utile sur le plan explicatif. En effet, ce qu’un acteur devrait faire est loin de constituer une description adéquate de ce qu’il fera effectivement. D’un autre côté, la science n’indique pas ce qu’il serait souhaitable de faire. L’existence de nombreux problèmes éthiques relatifs à l’usage des connaissances scientifiques et de leurs applications forme justement une preuve que la science est incapable de parvenir à l’autosuffisance sur le plan normatif.
Un tel tableau représente une attitude répandue sur la question de l’intégration des sciences biologiques en éthique. Elle semble avoir toute sa pertinence. Pourquoi alors soutenir que les neurosciences ont des implications pour l’éthique ? Pourquoi reprendre un vieux projet tellement discrédité que le simple fait de rejeter « l’autorité de la nature » est pratiquement un trait essentiel de notre propre ethos, la modernité[6] ? Et de surcroît, pourquoi faire appel aux neurosciences qui incarnent si souvent le réductionnisme associé aux sciences naturelles décrié par les anthropologues ainsi que par les éthiciens[7] ? Le souci éthique ne devrait-il pas même condamner une tentative de rapprocher les neurosciences de l’éthique ? Ce projet, imprégné de confusion conceptuelle, d’amalgames sémantiques selon Ricoeur, ne constitue-t-il pas en fait un danger pour le statut pratique de l’éthique ?
Une tentative de rapprochement entre l’éthique et les neurosciences doit d’abord examiner les différents arguments auxquels nous avons fait allusion (le déterminisme ; le paralogisme naturaliste ; le dualisme sémantique ; le réductionnisme et le danger pour l’éthique). Suite à une discussion de ces arguments, nous soutenons qu’ils ne constituent non pas un obstacle absolu mais des occasions de nuancer l’usage et l’interprétation de l’apport des neurosciences. Une fois que ce « comment tenir compte des neurosciences en éthique » est explicité, nous nous penchons sur le « pourquoi », soit la justification d’une telle approche. Notre thèse est qu’une « approche neurophilosophique », qui sera distinguée d’une « neurophilosophie de l’éthique », peut enrichir l’éthique. Le secteur des neurosciences du raisonnement moral et des émotions morales est retenu pour illustrer cette thèse. Enfin, quelques remarques critiques sur cette approche neurophilosophique sont présentées.
I. Examen critique des arguments contre l’apport des neurosciences en éthique
La mise en relation de la philosophie et des neurosciences ne va pas de soi et est le sujet d’âpres discussions. Mettre en évidence l’intérêt des neurosciences pour l’éthique mérite encore de plus amples clarifications. De nombreux obstacles théoriques et conceptuels guettent cette tentative. Il est donc important de déterminer avant tout quels sont ces arguments et de les examiner individuellement de façon critique.
1. L’apport des neurosciences implique-t-il le déterminisme ?
Un premier argument contre l’apport des neurosciences en éthique est qu’étudier l’éthique à partir des neurosciences conduit à adopter une forme de déterminisme qui abolit la volonté humaine et même le libre arbitre en réduisant tout à une vision causale de l’univers où tout événement est le résultat de ses seules conditions antécédentes. Or, la capacité de choisir est essentielle à l’éthique. Sans cette possibilité, l’être humain n’est qu’un simple objet dont les comportements sont dictés par « les lois de la nature » en opposition avec sa propre « subjectivité » capable d’autonomie et d’autodétermination[8].
Une telle conception de l’apport des sciences de la vie s’avère erronée sur plusieurs points. La réfuter exigerait un long développement pour clarifier les ambiguïtés des concepts de déterminisme, de causalité et de libre arbitre. Il nous suffira pour nos fins de faire valoir comment il est faux et simplificateur d’affirmer l’existence d’un tel déterminisme au sujet du système nerveux et des neurosciences. Premièrement, même si la science adhère à l’idée que tout dans le monde est déterminé au sens où le monde peut être décrit et expliqué par des lois, cela ne veut pas dire que tout est causalement lié[9]. La science est déterministe dans la mesure où elle n’admet pas l’existence de miracles ou d’événements surnaturels. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle adopte un déterminisme causal strict où tous les événements du monde sont cause de toutes les autres[10]. De façon générale, la science peut admettre, sans se compromettre, un déterminisme plus souple que celui de Laplace. Il faut donc distinguer le déterminisme strict du déterminisme souple, celui auquel les sciences sont véritablement engagées.
Deuxièmement, les systèmes biologiques sont ouverts et dynamiques. Ils sont complexes ou du moins plus complexes que les systèmes inorganiques[11]. Comme Ernst Mayr[12] le souligne, cela explique en partie pourquoi les sciences de la vie ne sont pas susceptibles d’offrir des prédictions aussi exactes que les sciences physiques. Il en découle que les sciences biologiques ne se conforment pas à l’épistémologie des sciences exactes articulée en termes de lois universelles[13], mais plutôt à des lois probabilistes souffrant de nombreuses exceptions[14]. La nature même des systèmes vivants conduit donc à tempérer de façon générale l’interprétation déterministe des sciences de la vie[15].
Troisièmement et à un niveau plus empirique, les neurosciences se prêtent tout particulièrement à une réfutation du déterminisme étant donné la complexité de l’organisation du système nerveux. Car même si certaines opérations semblent très mécaniques, comme l’action synaptique neurotransmetteur-récepteur ou même certains phénomènes moteurs qui permettent que l’on adopte « vis-à-vis d’eux un point de vue déterministe[16] », il n’en demeure pas moins que la complexité proscrit un déterminisme prédictif plus global. Selon l’hypothèse de Changeux, le cerveau est un organe dynamique, projectif ayant une activité endogène spontanée[17]. De surcroît, le développement neurologique fait intervenir une série de périodes critiques où la stimulation joue un rôle essentiel cela a été démontré dans l’organisation des cartes corticales pour les vibrisses du rat, du cortex visuel primaire du chat ainsi que pour la représentation corticale somatosensorielle des doigts du singe[18]. Ces données appuient la thèse que le système nerveux est un système ouvert, probabiliste et non déterministe lorsqu’il est pris dans l’entière complexité de son développement. Il est bien établi aussi que le système nerveux est l’hôte de phénomènes dynamiques. Par exemple, une certaine modulation de la douleur se fait à partir des neurones du gris périaqueducal[19] qui reçoivent des afférences de structures télencéphaliques et diencéphaliques. Ces neurones entourant l’aqueduc cérébral dans le mésencéphale projettent aux noyaux du raphé essentiellement sérotoninergiques qui eux-mêmes projettent à la corne dorsale de la moelle épinière. La sérotonine agit alors en 1) inhibant les neurones qui transmettent des stimuli de douleurs par des voies ascendantes et 2) en excitant les interneurones inhibiteurs enképhalininergiques[20]. Ainsi, le cerveau n’est pas qu’un simple réceptacle, mais un organe dynamique et interactif dans le traitement des stimuli, même ceux aussi « simples » que la douleur. En outre, le système nerveux comprend une incroyable complexité, soit 1011 neurones et 1014 synapses ainsi qu’une très grande variabilité sur les plans, entre autres, de la morphologie cellulaire, des schémas de connectivité, de la cytoarchitectonique et de la neurotransmission[21]. Le système nerveux est donc garant d’une singularité[22]. À côté de l’enveloppe génétique qui contient les grandes balises du développement, la sphère épigénétique[23] représente une indétermination substantielle qui permet à l’individu de s’adapter aux pressions de l’environnement grâce à son système nerveux[24]. Un cerveau humain rigidement déterminé, il faut le souligner, serait sûrement un outil d’adaptation beaucoup moins efficace.
L’argument voulant que les neurosciences à l’instar les sciences de la vie au sens large anéantissent le libre arbitre sous prétexte d’adopter une forme de déterminisme strict est indu. Cela relève plutôt d’une vieille conception du déterminisme scientifique, d’une interprétation désuète de la causalité dans les sciences de la vie ainsi que d’une négligence des résultats empiriques des neurosciences[25]. Bien que les neurosciences puissent identifier des déterminants qui influencent nos choix[26], faire intervenir les neurosciences n’équivaut pas à éliminer le libre arbitre ou la possibilité du choix éthique.
2. L’apport des neurosciences peut-il éviter le paralogisme naturaliste ?
Le paralogisme naturaliste, premièrement formulé par David Hume, constitue une deuxième objection couramment évoquée contre l’apport des neurosciences en éthique. Dans A Treatise of Human Nature de 1739, Hume pose un clivage entre l’être et le devoir-être, le is et le ought, ou dans des termes plus contemporains entre le descriptif et le normatif [27]. Il y aurait toujours un saut dans l’argumentation lorsque nous partons des faits établis pour conclure sur ce qui devrait être[28]. Dans ses Principia Ethica de 1903, G.E. Moore a accentué cette dichotomie en soutenant que le bien (good), le concept éthique par excellence auquel renvoient toutes les propositions éthiques, est une propriété non naturelle, c’est-à-dire que toute naturalisation du terme « bien » doit toujours être jugée elle-même comme bien ou non. C’est l’open question de Moore. Par exemple, dire comme un hédoniste que « le bien, c’est ce qui est plaisant » suppose que nous déterminions après avoir tracé cette équivalence si le plaisir est bien en lui-même. Toute traduction du bien en une propriété naturelle implique ce paralogisme naturaliste[29]. L’apport des neurosciences peut-il se faire sans commettre ce paralogisme ?
Comme nous l’avons noté précédemment, l’usage direct de connaissances biologiques ne semble pas pouvoir éclairer les débats éthiques sinon simplement au niveau des informations nécessaires et préalables à une décision éthique bien informée. Par exemple, une certaine réflexion éthique sur l’avortement[30] doit être informée des différentes étapes embryogénétiques, quoique cela ne suffise pas en soi à produire un choix proprement éthique. La question se pose toujours à savoir si le fait que nous évoquons pour justifier un raisonnement éthique est lui-même bon ou bien. On pourrait régresser ainsi à l’infini comme Moore l’avait justement noté. En fait, Stent, qui reproche à la neurophilosophie de ne pas offrir ce type de justification, a tort d’attendre ce type d’éclairage des neurosciences[31]. Par contre, l’intérêt des neurosciences n’est pas exclusivement de fournir des informations sur tel ou tel phénomène biologique comme objet de réflexion de l’éthique, mais d’offrir des données portant sur l’être humain lui-même, sur sa propre nature éthique. Il se situe donc sur le matériau même de l’éthique, à savoir : la vie subjective, culturelle ou sociale et plus carrément sur notre conception de l’être humain en exposant ses dimensions biologiques. La nature des concepts et des raisonnements éthiques, les déterminants des comportements sont autant de domaines où les neurosciences pourraient contribuer non pas à simplement clarifier la conception que nous avons d’un phénomène en tant qu’objet de l’éthique, mais de pénétrer la conception que nous avons de nous-mêmes en tant que sujets éthiques. Cela laisse entrevoir comment les neurosciences peuvent, contrairement à certaines critiques, contribuer à l’éthique. Un tel apport ne se situe donc pas sur le même plan qu’une clarification des étapes de l’embryogenèse. Cette distinction entre deux types d’apport à un premier niveau plus direct et un deuxième niveau indirect nous amènera plus loin à proposer que les neurosciences ont une pertinence au niveau méta-éthique et non au niveau de l’éthique normative[32].
3. Comment l’apport des neurosciences peut-il se faire étant donné le dualisme sémantique ?
Le dualisme sémantique[33] est un autre argument contre l’apport des neurosciences. De façon générale, le dualisme des substances de Descartes[34] n’est plus admis sauf quelques rares exceptions chez les philosophes de l’esprit et les neuroscientifiques[35]. Cependant, on évoque fréquemment le dualisme sémantique (ou dualisme linguistique). Ce dualisme s’enracine non pas dans des considérations ontologiques, mais dans une sorte de dualisme des perspectives épistémologiques, lesquelles seraient irréductibles l’une à l’autre[36]. C’est ainsi que Ricoeur dans son dialogue avec Changeux dénonce « l’amalgame sémantique », sorte de confusion de propriétés sémantiques propres à deux niveaux de discours[37]. Un exemple serait d’affirmer que « le cerveau pense[38] ». Dans ce cas, on utiliserait un terme (la pensée) qui renvoie au corps vécu phénoménologiquement, le corps-sujet ou corps propre, pour ensuite l’attribuer à une partie de l’être humain, l’organe du cerveau, terme qui relève du discours objectif, le corps-objet[39]. Ces deux discours sont hétérogènes et on devrait donc éviter de tisser entre eux des rapports trop étroits d’identification. Cet argument a aussi été présenté par Gunther Stent qui soutient à la manière de Kant qu’un monde est construit par la raison théorique de la science et est gouverné par les lois de la détermination causale, un autre est construit par la raison pratique de l’éthique et est gouvernée par les lois de la liberté[40].
Le dualisme sémantique a l’intérêt de venir tempérer l’impulsion réductionniste des neurosciences. Il met en lumière la complexité phénoménologique du vécu et la nécessaire restriction d’optique opérée par les sciences lorsqu’elles tentent d’expliquer des phénomènes subjectifs. Cela dit, le constat d’une dualité au niveau des façons de comprendre certains phénomènes doit-il impliquer une dualité aussi étanche des perspectives ? Autrement dit, le fait de reconnaître l’existence de deux façons de concevoir un phénomène implique-t-il l’incapacité de traduire les termes propres à ces deux perspectives ou même de les mettre en relation ? Par exemple, dire que les émotions sont des états vécus subjectivement (qualia) n’empêche en rien une certaine explication neuroscientifique du phénomène. Le tenant du dualisme sémantique peut soutenir que le neuroscientifique n’a pas tout expliqué le vécu et la complexité associés à l’émotion. Par contre, les neurosciences peuvent en tenir compte dans l’interprétation des résultats. Puisque l’explication est nécessairement réductrice, les neurosciences pratiquent la science expérimentale fondée sur l’observation qui pénètre difficilement le « monde subjectif ». Ainsi le dualisme sémantique ne constitue pas un obstacle définitif à l’apport des neurosciences, mais plutôt une prise en compte de la complexité du vécu dans la mesure où celui-ci est quelque chose à expliquer et non à soustraire de l’explication scientifique). Il faut plaider pour la complexité sans pour autant prôner son ossification dans un dualisme des propriétés sémantiques.
4. L’apport des neurosciences implique-t-il le réductionnisme ?
L’argument du réductionnisme est fréquemment évoqué en éthique et en anthropologie contre le caractère réducteur de l’approche scientifique[41]. À cet égard, la compréhension scientifique du corps humain[42] ainsi que les méthodes médicamenteuses ou objectivantes[43] sont souvent dénoncées. La perspective des neurosciences n’est-elle pas elle-même une source de réduction sur la complexité de l’être humain ? Pourquoi alors la faire intervenir sur le plan de l’éthique qui devrait d’ailleurs éviter par définition le réductionnisme ?
Bien qu’il soit parfois transformé en condamnation de la médecine et de la science moderne, l’argument contre le réductionnisme est important. Une façon de le faire consiste à distinguer entre un réductionnisme ontologique et un réductionnisme méthodologique (ou épistémologique)[44]. Le premier est représentatif de la façon dont certains anthropologues et sociologues conçoivent la médecine et la science. Celles-ci réduiraient l’ensemble des phénomènes au monde moléculaire. Par conséquent, on en viendrait à nier l’importance de déterminants psychologiques, culturels ou sociologiques dans notre conception du corps et de la santé, posture effectivement malencontreuse[45]. Cependant, les neurosciences peuvent pratiquer une sorte de réductionnisme méthodologique ou épistémologique. En gros, il ne s’agit plus d’utiliser la science pour affirmer ce qui existe, mais plutôt pour comprendre ce qui est. Cette interprétation de la science plus modeste et prudente se fonde sur le fait que la science est une représentation, une connaissance affinée du monde à l’aide de la méthode expérimentale[46].
De façon générale, la distinction entre ces deux types de réductionnisme n’est pas effectuée dans les débats, d’où une série de malentendus. Les anthropologues et les éthiciens accusent les scientifiques d’être de vulgaires positivistes, les scientifiques accusent les premiers d’être antiscientifiques[47]. À notre avis, l’approche neurophilosophique qui sera esquissée doit être réductrice dans un sens méthodologique. Cela est nécessaire car elle accepte la méthode analytique qui vise à comprendre le tout à partir de ses parties et de leurs interactions. Cependant, il faut avouer que, dans la pratique quotidienne, l’interprétation que l’on fait des recherches neuroscientifiques s’avère réductrice dans un sens ontologique. Par exemple, Crick soutient que nos joies, nos peines, nos souvenirs, nos ambitions, notre identité personnelle et notre libre arbitre « ne sont en fait rien d’autre que le comportement d’une vaste assemblée de cellules nerveuses et les molécules qui leur sont associées[48] ». Cette forme de réductionnisme ontologique implique un rejet de certains phénomènes. Si cela n’est pas exclu comme possible résultat de la science, il faut se montrer prudent.
Enfin, ajoutons qu’en philosophie de la biologie, la question du réductionnisme a trouvé une certaine réponse dans la notion de propriété émergente. Une propriété émergente est une propriété qu’aucune des composantes d’un système ne possède de façon isolée en tant que simple composante, mais qui apparaît plutôt à un niveau supérieur d’organisation biologique en vertu de l’interaction des composantes du système. Mahner et Bunge[50] distinguent deux types d’émergence : l’émergence intrinsèque et l’émergence relationnelle. Dans l’analyse des systèmes biologiques[51] (où une propriété émergente P est une propriété d’un système [b]) : l’émergence intrinsèque est une propriété P globale du système b lorsque aucune des composantes du système ne possède la propriété P tandis que l’émergence relationnelle est une propriété P qu’un système acquiert parce qu’il est devenu une composante d’un système[52]. Par exemple, être vivant est une propriété émergente intrinsèque d’une cellule, le système, mais non d’une molécule de la cellule, la composante, tandis qu’être un prédateur est un exemple de propriété relationnelle détenue par un organisme pris en tant que macro-système[53]. Étant donné que la propriété émergente provient de l’interaction des composantes, on ne peut pas la comprendre (la vie, la prédation, etc.) en faisant l’économie de l’étude des composantes du système (les molécules, les autres composantes de la chaîne alimentaire, etc.). Ainsi, avec la notion de propriété émergente, la biologie peut reconnaître à l’instar des sciences sociales que certains phénomènes existent seulement à cause de leur inscription dans des relations complexes et qu’une approche réductionniste ou atomiste fixée sur des phénomènes individuels et ne se préoccupant pas de leurs interactions est insatisfaisante pour donner un juste aperçu du réel[54].
5. L’apport des neurosciences constitue-t-il un danger pour l’éthique ?
Un dernier argument de nature plus pratique consiste à se demander s’il est opportun d’intégrer les neurosciences à l’éthique. Ne compromettrait-on pas l’éthique elle-même en faisant appel à la science pour mieux la comprendre ? La perspective réductrice et descriptive des sciences ne conduirait-elle pas à discréditer le discours normatif de l’éthique en le réduisant à un discours factuel et objectif[55] ? N’est-ce donc pas un danger pratique pour l’éthique de faire appel aux neurosciences ?
Nous touchons ici à un argument important dans la mesure où dans la pratique, faire valoir le point de vue éthique relève toujours du défi[56]. À côté des normativités administratives, des normativités professionnelles ou même des normes de la pratique professionnelle, l’éthique fait souvent figure d’enfant pauvre devant se battre contre les forces envahissantes de la bureaucratisation, de la financiarisation de l’économie, de la techno-scientificisation et de la judiciarisation[57]. Autrement dit, le point de vue éthique est souvent un point de vue à revendiquer la perspective d’une perspective plus humaine. Pourquoi alors l’atténuer, voire le trahir, en le comprenant à partir des neurosciences ? Par exemple, Gunther Stent reproche à Patricia Churchland[58] d’être insensible aux pertes possibles pour notre humanité en affirmant que ce qui serait éliminé par le processus de la réduction interthéorique le serait parce que la psychologie du sens commun est erronée[59].
Un parallèle important pourrait être fait avec les QUALY’s (Quality Ajusted Life Years), une méthode objective pour évaluer la qualité de vie des patients qui a fait l’objet de discussions en éthique[60]. Cette méthode a de très nombreux défauts car elle réduit la notion de qualité de vie, une notion subjective, à une donnée, une information. Elle trahit donc les enjeux de la qualité de vie, notamment en excluant la perspective de la personne intéressée dans l’évaluation des interventions médicales. La perspective objective des neurosciences sur l’éthique souffre-t-elle des mêmes travers[61] ?
L’exemple des QUALY’s est certes préoccupant. Il indique certaines limites des méthodes objectives et doit conduire à nuancer leur apport. Cependant, une promesse offerte par les neurosciences est de favoriser une compréhension plus approfondie de l’éthique elle-même. Un peu à la manière de la psychologie morale et sociale, elle peut ouvrir sur une meilleure compréhension de l’être humain et révéler l’existence de nouveaux phénomènes ou même nous amener à revoir notre conception de certains phénomènes comme d’autres disciplines empiriques. Bien sûr, cet espoir est conditionnel à l’interprétation des résultats des neurosciences. Celles-ci n’épuisent pas exhaustivement la réalité éthique ; elles doivent seulement essayer de la comprendre en donnant une représentation plus approfondie du monde. Maintenir la pluralité des points de vue est une façon d’éviter l’hégémonie de l’objectivité au détriment de considérations plus subjectives en éthique tel que le point de vue du patient par exemple. Au niveau de l’interaction pratique des perspectives, une approche plus objective doit demeurer modeste et ouverte. Cependant, refuser la connaissance objective d’un phénomène n’est pas nécessairement une attitude prudente en soi.
II. De la neurophilosophie de l’éthique vers une approche neurophilosophique émergentiste et interdisciplinaire
Depuis une vingtaine d’années, plusieurs neuroscientifiques et philosophes ont entamé un dialogue sur des questions traditionnellement philosophiques comme la nature de la conscience, de la pensée, des émotions, de l’esprit, de la représentation, de la connaissance et de l’éthique. Certains ont proposé de manière explicite que les neurosciences pourraient contribuer à l’éthique. Il s’agit d’une « thèse neurophilosophique minimale » qui permettra d’entamer la discussion sur la neurophilosophie[62] de l’éthique. De prime abord, la neurophilosophie se distingue de « la philosophie des neurosciences ». Celle-ci a comme objet les présuppositions et les problèmes philosophiques des neurosciences tandis que la neurophilosophie est généralement considérée comme une « application » des résultats des neurosciences aux problèmes de la philosophie de l’esprit[63] ou à des questions philosophiques traditionnelles telles que la conception des théories scientifiques, la nature de la connaissance scientifique, la psychosémantique, etc.[64]. L’hypothèse de travail générale sous-jacente à la neurophilosophie est que les thèses ou les concepts philosophiques seront ou bien remis en question, approfondis et réformés, ou bien carrément « éliminés » dans un processus d’interanimation avec les explications neuroscientifiques. De la même manière, la « neurophilosophie de l’éthique » se distingue aussi du projet d’une « éthique des neurosciences » ayant pour objet la psychochirurgie[65], la neurobiologie et la neuropharmacologie[66], la neuropsychiatrie[67] ou les neurotechnologies[68].
1. La neurophilosophie de l’éthique
Patricia et Paul Churchland sont les deux philosophes contemporains ayant le plus insisté sur l’intégration des neurosciences en philosophie, notamment en éthique. Cette proposition « d’interanimation » entre ces deux disciplines a reçu le nom de « neurophilosophie[69] ». Ce projet vise à faire co-évoluer les théories respectives de ces disciplines tout en tenant compte des niveaux théoriques hiérarchiquement plus élevés et moins élevés[70]. La neurophilosophie de Patricia Churchland remet en question le clivage entretenu entre l’activité des neurosciences et celle de la psychologie et de la philosophie[71]. Cela implique une contrainte de la spéculation philosophique par les faits scientifiques[72]. Il en découle une critique de la méthode traditionnelle de l’analyse conceptuelle, la « arm-chair philosophy », se pratiquant en vase clos par rapport aux autres disciplines. Pour Churchland, cette dernière approche pourrait conduire à des propositions irréalistes du point de vue de nos meilleures connaissances scientifiques.
La neurophilosophie de Patricia Churchland est associée à la thèse du matérialisme éliminativiste selon laquelle la psychologie du sens commun est une théorie tellement fausse qu’elle sera carrément éliminée par les concepts neuroscientifiques émergents[73]. La neurophilosophie est donc une forme de physicalisme ou de matérialisme pour lequel une science du cerveau constitue la bonne explication du comportement humain. Elle est éliminativiste puisqu’elle propose l’élimination éventuelle de la psychologie du sens commun[74]. L’argument éliminativiste est ancré dans le connexionnisme selon lequel l’esprit humain fonctionne selon des principes connexionnistes[75] et non selon une approche scientifique s’appuyant sur les ressources de la psychologie du sens commun tel que le cognitivisme classique[76]. Patricia Churchland soutient que certains progrès en neurosciences devraient informer notre façon de concevoir l’éthique et la prise de décision dans le domaine social et dans le domaine de l’éducation[77]. Par exemple, elle[78] soutient que les travaux des neurosciences computationnelles indiqueraient que les concepts moraux sont en fait des prototypes qui émergent de l’apprentissage, constituant des généralisations à partir d’exemples[79]. Or, cette façon de voir l’éthique concorderait davantage avec Aristote et sa conception de la vie éthique qu’avec celle de Kant, qui serait inadéquate[80]. Cette dernière thèse a aussi été soutenue par Paul Churchland[81].
2. Une approche neurophilosophique émergentiste et interdisciplinaire
Nous aimerions maintenant distinguer la neurophilosophie de l’éthique de Patricia et Paul Churchland de l’approche neurophilosophique proposée. Contrairement à la neurophilosophie de l’éthique, l’approche neurophilosophique laisse en suspens la question de la réduction interthéorique et repose sur une philosophie émergentiste des neurosciences, accentue davantage l’aspect méthodologique multi-niveau des sciences de l’esprit et opte pour une perspective naturaliste et interdisciplinaire plus large, laissant une place importante aux sciences humaines et sociales. En gros, la neurophilosophie de l’éthique implique un rapport déséquilibré entre les neurosciences et la philosophie, celle-ci devant en quelque sorte ployer sous les évidences scientifiques. L’approche neurophilosophique est plus modérée et implique un rapport moins contraignant.
Plusieurs difficultés sont inhérentes à la neurophilosophie de l’éthique de Patricia et Paul Churchland[82]. Premièrement, Patricia et Paul Churchland proposent trop rapidement que les neurosciences peuvent infirmer de « fausses doctrines » en éthique, présentant ainsi les neurosciences comme une contrainte pour l’éthique[83]. On pourrait qualifier cette thèse de neurophilosophie ontologique, c’est-à-dire d’une sorte de nouvelle perspective sur l’être humain qui est informée par les neurosciences et qui tend à balayer notre « ancienne » façon de concevoir l’être humain. En contrepartie, l’approche neurophilosophique se veut davantage méthodologique, une sorte de cadre qui permet d’entrevoir comment nous pouvons mettre en relation les neurosciences et la philosophie dans un contexte d’échange et de collaboration. Ces deux perspectives correspondent respectivement aux deux types de réductionnisme que nous avons présenté. La neurophilosophie ontologique est d’esprit éliminativiste. Elle vise à établir ce qui est afin de rejeter certains éléments ne correspondant pas à l’ontologie scientifique. L’approche neurophilosophique adopte une attitude plus nuancée en utilisant la méthode analytique qui vise à comprendre un système à partir de ses composantes et de leurs interactions, ce qui la rapproche de l’émergentisme. Les propositions de Changeux[84] sont moins enracinées dans l’éliminativisme davantage propre à Patricia et Paul Churchland[85]. Changeux[86] est conscient de la pertinence des différents niveaux de description[87].
La neurophilosophie de Patricia Churchland est pratiquement une relation à sens unique où les neurosciences dirigeraient l’éthique. L’interprétation des neurosciences de Patricia et Paul Churchland est alors trop « ontologisante » car elle contraindrait l’éthique à ne reconnaître comme réels et vrais que les objets des neurosciences. Cette dimension ontologique est fort problématique. Comment la science peut-elle prétendre infirmer les intuitions morales et comment pourrait-elle y suppléer ? De plus, il est loin d’être clair que l’éthique soit une théorie, et qu’elle le soit au même titre que les théories scientifiques. En outre, beaucoup de considérations éthiques échappent présentement aux neurosciences et peut-être que certains phénomènes ne seront jamais abordés. Par conséquent, au lieu de la thèse de la contrainte par les neurosciences, la voie plus modérée de l’approche neurophilosophique consiste à soutenir que les neurosciences peuvent « informer et enrichir » nos différentes conceptions de l’éthique et non les infirmer comme si l’éthique était une théorie au même titre que les théories scientifiques.
Deuxièmement, les propositions de Patricia et Paul Churchland sont insuffisamment documentées au niveau de la pertinence possible des neurosciences pour soutenir d’autres positions éthiques que l’éthique aristotélicienne de la vertu. Par exemple, Andy Clark, a aussi tenté d’appliquer les réseaux de neurones à l’éthique comme Paul Churchland[88]. Clark retient la délibération éthique où l’échange de raisons en vue du consensus moral est interprété comme une contribution collective à la production de normes partagées[89]. Son interprétation de l’apport des réseaux de neurones à l’éthique est plus nuancée que celle de Patricia et de Paul Churchland : il ne s’agirait pas de rejeter le paradigme cognitiviste avec ses règles explicites, mais de reconceptualiser le rôle des règles. Celles-ci seraient des balises, ou des approximations plus ou moins grossières, mais tout de même capables d’indiquer les contours de l’agir moral et de signaler les dérapages. Lorsque nous franchissons les limites indiquées par les principes (maximes, règles ou normes), nous serions « alertés » de la transgression pour éventuellement rectifier le tir. L’interprétation de Clark permet de conserver le rôle de la psychologie du sens commun, laquelle est fort importante en éthique car les neurosciences ne peuvent pas prétendre remplacer l’éthique, du moins sans entrer dans des spéculations pour un avenir lointain comme l’a fait Paul Churchland[90]. L’interprétation unidirectionnelle de Patricia et Paul Churchland voile la complexité de l’apport des neurosciences à l’éthique et doit inciter à davantage de nuances et de prudence. Les prétentions de contrainte ou de restriction de l’éthique suggérées par Patricia et Paul Churchland doivent être affaiblies car les « neurosciences de l’éthique » sont embryonnaires et leur interprétation souvent spéculative. L’approche neurophilosophique esquissée n’invite pas à de telles interprétations définitives.
Troisièmement, Churchland et Churchland, comme nous l’avons pressenti, proposent une « neurophilosophie forte » qui soutient que les neurosciences pourraient en quelque sorte discréditer certaines positions éthiques (comme par exemple l’éthique kantienne ou en fait toute éthique fondée sur des principes). Cette thèse n’est pas sans lien avec le fait que Patricia et Paul Churchland articulent le rapport entre la philosophie et les neurosciences à partir de la question de la réduction interthéorique. Or, le cadre de la réduction interthéorique est trop restrictif pour aborder l’éthique. Les concepts de l’éthique, par exemple une émotion morale comme l’empathie, pourrait difficilement se réduire à des mécanismes neurobiologiques. Ce projet s’avère trop ambitieux, voire une quête du Graal dans l’état actuel des neurosciences. Plutôt qu’une conception réductionniste des rapports entre niveaux d’analyse, l’approche neurophilosophique s’insère dans une conception émergentiste des neurosciences[91] où les niveaux d’organisation peuvent donner lieu à des propriétés émergentes, nouvelles et non réductibles à l’analyse des parties[92].
Le cadre proposé laisse donc en suspens la thèse éliminativiste quant au mental étant donné nos connaissances actuelles et ce point de vue nous semble plus utile pour mettre en relation les différentes approches en éthique. Dans l’approche neurophilosophique, le niveau mental devient un niveau de description plus abstrait, lequel doit être reconstruit et expliqué par les neurosciences[93]. C’est en gros la thèse méthodologique de la co-évolution théorique de Patricia Churchland[94] et de John Bickle[95], mais sans les pressions éliminativistes suggérées par Patricia Churchland. Cette position laisse place à un spectre d’échanges interdisciplinaires allant de la réduction à la non-élimination en passant par la révision.
Quatrièmement, l’approche neurophilosophique est aussi un naturalisme au sens très large d’une approche visant à insérer les phénomènes étudiés dans l’étude du monde matériel, ici le système nerveux. Il s’agit donc d’une contribution pour jeter des ponts entre les neurosciences et les sciences humaines et plus largement à la reconnaissance de l’apport et de la pertinence des sciences biologiques dans les sciences sociales sans pour autant les y réduire[96]. Autrement dit, dans cette perspective il n’y a pas qu’un seul type de variable (biologique, économique, social, etc.) d’où découlerait une idéologie explicative (biologisme, économisme, sociologisme, etc.). On pourrait aussi qualifier cette approche de naturalisme faible dans la mesure où elle tente de situer la morale dans le prolongement de la nature et de l’expérience sans visée réductionniste et qu’elle ne souhaite pas assimiler la morale à la biologie (naturalisme fort[97] ou moralisme biologique[98]). Ce naturalisme moral doit être distingué du réalisme moral lequel implique que les propriétés morales sont réelles et objectives[99].
Par ailleurs, le naturalisme de l’approche neurophilosophique n’est pas restreint aux sciences naturelles. L’approche neurophilosophique est interdisciplinaire non seulement dans la mesure où elle implique les neurosciences, la psychologie (et les sciences cognitives) et la philosophie de l’esprit comme la neurophilosophie « traditionnelle », mais aussi parce qu’elle comporte un ajout des sciences humaines et sociales au processus d’interanimation théorique. Cela constitue un ajout essentiel, négligé par les neurophilosophes qui ont suggéré un apport des neurosciences en éthique sans impliquer les sciences humaines. Notre proposition rapproche en fait les neurosciences des sciences humaines comme Changeux l’avait présagé en 1983[100]. En fait, l’apport des neurosciences se fait aux sciences humaines, lesquelles contribuent ensuite à l’éthique à titre d’approche empirique. Comme Dewey l’a suggéré, toutes ces disciplines peuvent contribuer à étudier la nature humaine.
But in fact morals is the most humane of all subjects. It is that which is closest to human nature ; it is ineradicably empirical, not theological nor metaphysical nor mathematical. Since it directly concerns human nature, everything that can be known of the human mind and body in physiology, medicine, anthropology, and psychology is pertinent to moral inquiry. Human nature exists and operates in an environment. […] Moral science is not something with a separate province. It is physical, biological and historic knowledge placed in a human context where it illuminate and guide the activities of men[101].
Cinquièmement, la question peut être posée à savoir s’il est utile de tenir compte des neurosciences en éthique. Par exemple, Alasdair MacIntyre, un peu à la manière de Ricoeur[102], affirme que les neurosciences n’amènent pas de nouvelles informations pertinentes pour la morale et qu’elles n’amènent pas à reconcevoir notre façon de voir la moralité[103]. En fait, ce qui doit être expliqué, par exemple les vertus morales, précède les neurosciences et en est indépendant[104]. Au mieux ce sont la psychologie sociale et l’anthropologie qui peuvent nous indiquer comment les vertus morales sont acquises[105].
Cette critique permet de préciser que pour l’approche neurophilosophique, les neurosciences ont un apport possible au niveau de la méta-éthique et, dans une moindre mesure, au niveau de l’éthique appliquée, mais non au niveau de l’éthique normative[106]. Les nombreux arguments que nous avons considérés ont clairement démontré que les neurosciences éclairent difficilement l’éthique normative[107]. Par contre, déterminer ce qu’est une émotion ou ce qu’est une valeur n’est pas une tâche exclusivement normative propre à la philosophie[108]. Les explications et les descriptions des sciences empiriques peuvent donc être d’une certaine utilité sur ce plan[109]. Comme Singer, Siegler et Pellegrino[110] le soulignent, les approches empiriques peuvent remettre en question la définition de certains concepts. En outre, les approches empiriques peuvent indiquer la divergence entre les propositions et l’application et remettre en question le contenu empirique des propositions normatives. Par exemple, imaginons une recherche empirique sur le rôle des émotions dans la prise de décision éthique. Celle-ci pourrait justement contribuer à redéfinir la pertinence des émotions au niveau de l’éthique normative. Ce serait alors une contribution à la méta-éthique en tant que réflexion sur l’éthique elle-même. Cette même recherche pourrait aussi démontrer l’intérêt ou le non-intérêt de la prise en compte des émotions en éthique. Ce serait alors une contribution à l’éthique appliquée. Ces recherches n’indiquent pas ce que l’on doit faire au sens strict, mais elles touchent bel et bien aux autres dimensions de l’éthique.
En résumé, l’approche neurophilosophique :
est méthodologique et ne constitue pas une neurophilosophie ontologique. Elle propose non pas un rapport de contrainte, mais un rapport d’échange et de collaboration entre les neurosciences et l’éthique ;
ne suggère pas d’interprétations radicales qui viendraient infirmer ou confirmer définitivement certaines thèses philosophiques ;
est fondée sur une interprétation émergentiste des neurosciences et non sur une approche réductionniste ;
est un naturalisme interdisciplinaire large qui implique des disciplines telles que neurosciences, la psychologie (et les sciences cognitives), la philosophie de l’esprit ainsi que les sciences humaines et sociales ;
concerne la méta-éthique et dans une moindre mesure l’éthique appliquée et non l’éthique normative.
3. L’approche neurophilosophique illustrée par des travaux empiriques sur la relation entre la raison et les émotions
La question de l’apport respectif de la raison et des émotions en éthique est à l’origine de grands débats. De façon caricaturale, les rationalistes soutiennent que le raisonnement et la décision éthiques doivent être fondés sur des raisons souvent susceptibles d’être universalisées dans le sens où la justification raisonnable d’une action devrait être partagée par tous ou susceptible de l’être. Par contre, certains nuancent les prétentions à l’objectivité et à la rationalité dans le jugement moral[111]. Ils laissent plutôt la plus grande part à des facteurs subjectifs, tels que les émotions[112]. Plusieurs travaux classiques en neurosciences ont déjà abordé la question des bases neuronales du comportement social[113]. Plus récemment, la question du rapport entre la raison et les émotions a fait l’objet de certaines recherches neuroscientifiques importantes. Les résultats obtenus permettent d’illustrer la pertinence et l’intérêt d’une approche neurophilosophique. Les travaux d’Antonio Damasio et de ses collaborateurs[114] ont mis en lumière une dissociation entre la capacité de raisonnement moral abstrait telle que la réussite des tests de jugement moral de Kohlberg et le comportement moral réel chez un patient. Celui-ci, EVR, a subi une lésion bilatérale au cortex préfrontal ventromédian qui épargnait la plus grande partie du cortex frontal dorsolatéral et le pôle frontal[115]. Damasio et ses collaborateurs ont observé que ce patient n’a pas été capable de conserver son travail, qu’il avait de la difficulté à exécuter les étapes intermédiaires des tâches que l’on attendait de lui et sa capacité de planifier à court et à long terme était gravement diminuée[116]. Il se livrait à des atermoiements sans fin et à d’interminables comparaisons lorsque venait le temps d’effectuer un choix[117]. Ainsi, même s’il est capable de comprendre théoriquement les options et les conséquences de ses choix et est même capable de raisonnement moral abstrait, ce patient a de la difficulté à « décider qui est bon et qui ne l’est pas, par rapport à ses propres intérêts[118] » ; il lui « manque le sens de ce qui est socialement approprié[119] ».
Ces observations effectuées auprès du patient EVR concordent avec un important travail de reconstruction dirigé par Hanna Damasio qui a permis d’établir que le patient Phineas Gage, né en 1848, avait lui aussi souffert de changements profonds de personnalité suite à une lésion cérébrale impliquant les cortex préfrontaux droit et gauche. Cette lésion, en relation aux observations contemporaines, explique les anomalies au niveau de la prise de décision rationnelle et du traitement de l’émotion observées chez ce patient[120]. Comme EVR, avant la lésion, Gage avait été un homme responsable, intelligent et bien adapté socialement[121]. Encore une fois, comme EVR, plusieurs des capacités de Gage (intelligence, mouvement, parole, apprentissage, mémoire) étaient demeurées intactes après la lésion[122]. La description comportementale fournie par les médecins de l’époque indique que la décision rationnelle dans le domaine social ainsi que le traitement de l’émotion étaient compromis sans pour autant que soient touchées la logique abstraite des mêmes problèmes ou la capacité de calculer, ce qui correspond aux déficits observés chez les patients souffrant de telles lésions aujourd’hui[123]. Les observations chez ces patients ont conduit à proposer que les émotions et les mécanismes qui les sous-tendent participent à la prise de décision dans le domaine social et que cette participation dépend des régions frontales ventromédianes[124].
Damasio et al. ont formulé l’hypothèse des marqueurs somatiques pour expliquer le déficit d’EVR[125]. Cette hypothèse est fondée sur l’idée que les émotions ne sont pas des obstacles au bon raisonnement moral et à la prise de décision rationnelle, mais en sont en fait des constituantes essentielles. Les émotions seraient des marqueurs intervenant dans la sélection des réponses et qui accompagneraient « la projection interne des conséquences futures liées à des options cruciales[126] ». Ces marqueurs produiraient une « sensation viscérale » au sujet des options en forçant l’attention sur les conséquences négatives ou positives en plus de modifier les comportements d’appétence ou d’aversion en agissant sur les systèmes dopaminergiques ou sérotoninergiques par exemple[127]. Au niveau neuroanatomique, ce système impliquerait les cortex frontaux ventromédians, des effecteurs centraux autonomes (amygdales) ainsi que les voies et les cortex somatosensoriels[128]. Une rétroactivation multirégionale synchronisée permettrait d’établir une convergence de l’activité de ces nombreux systèmes activés simultanément pour définir « une situation sociale donnée, en termes cognitifs et émotionnels[129] ». L’activation des cortex ventromédians serait suivie « d’une rétroactivation de beaucoup des aires qui faisaient partie de l’ensemble original[130] ». Cette rétroactivation entraînerait ensuite la production d’un état somatique utile dans l’évaluation du comportement social et éthique[131]. Damasio a tenté de montrer que les patients de type EVR sont dépourvus de « marqueurs somatiques[132] ». Autrement dit, ils sont incapables de sentir la charge émotionnelle des décisions qu’ils prennent, d'où leur incompétence morale et sociale. Ces observations suggèrent une relation spécifique entre la raison pratique et les émotions dans le jugement et le comportement éthiques. Elles indiquent que ces deux dimensions sont intimement liées et que l’on aurait tort de dissocier la raison des émotions dans la prise de décision socialement et moralement appropriée[133]. De nombreux autres travaux convergent avec l’hypothèse de Damasio.
Par exemple, Partiot, Grafman, Sadato, Wachs et Hallett[134] ont démontré à l’aide de la tomographie par émission de positrons (TEP) que le cortex préfrontal dorsolatéral ainsi que le cortex temporal postérieur (gyrus temporal moyen droit, cortex pariétal inférieur droit et le précuneus gauche) étaient davantage activés dans une tâche de planification non émotionnelle tandis que le cortex préfrontal médian et le cortex temporal antérieur (partie antérieure du gyrus temporal moyen) étaient plus activés dans une planification émotionnelle[135]. Ces résultats indiquent que des régions distinctes des cortex temporal et préfrontal, voire deux réseaux neuronaux, sont activées dans l’élaboration de plans émotionnels et non émotionnels[136]. L’étude appuie la dissociation entre la connaissance émotionnelle et non émotionnelle telle que suggérée par le cas de Phineas Gage[137] et celui d’EVR.
Moll et ses collaborateurs[138] ont étudié les corrélats neuronaux des émotions morales. Conformément à la théorie de Damasio, celles-ci permettraient d’attribuer une valeur aux événements, aux objets et aux actions par une évaluation rapide, automatique et inconsciente[139]. Cette équipe a observé que les émotions morales activent l’amygdale, le thalamus, le mésencéphale supérieur ainsi que le cortex orbital et préfrontal et la scissure temporale supérieure (STS)[140]. Dans leur étude, la condition morale (opposée à la condition déplaisante) a indiqué une activation spécifique du cortex orbitofrontal médian, du gyrus frontal inférieur, du cortex temporal antérieur, de la scissure temporale supérieure (STS) et de l’amygdale (bilatérale)[141].
L’étude de Moll et al.[142] converge aussi avec les résultats d’une étude d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) effectuée par Greene et ses collaborateurs[143]. Celle-ci a démontré l’importance de l’engagement émotionnel dans le jugement moral dans certaines des mêmes aires cérébrales que Damasio[144] (le gyrus frontal médian ; le gyrus du cingulum bilatéral et le gyrus angulaire bilatéral) ainsi qu’une diminution des aires associées à la mémoire de travail lors des dilemmes chargés émotivement (« moral-personnal dilemmas[145] »). Greene et ses collaborateurs ont noté qu’aucune approche éthique cohérente ne semblait permettre de comprendre pourquoi des dilemmes éthiques « moraux personnels » incitaient à des réponses différentes qu’à d’autres types de dilemmes (« moraux impersonnels » ou « non moraux »). L’hypothèse confirmée par l’étude est que l’engagement émotionnel de ce type de dilemme vient modifier sensiblement le raisonnement. En outre, « l’interférence émotionnelle » dans les dilemmes moraux augmente le temps de réponse et modifie considérablement la psychologie morale des sujets[146]. Ils ont aussi remarqué que le temps de réaction augmentait pour les réponses incongruentes du point de vue émotionnel (et il est légèrement plus court pour les réponses congruentes) et que les réponses « inappropriées » prennent en fait plus de temps que les réponses appropriées pour les deux autres conditions (non morale et morale impersonnelle)[147]. Greene et ses collaborateurs ont démontré : 1) que les trois régions activées préférentiellement par la condition « morale personnelle » sont liées aux émotions ; 2) que le pattern du temps de réaction pour la condition « morale-personnelle » appuie l’hypothèse de l’engagement émotionnel supplémentaire ; 3) que les dilemmes moraux impersonnels ressemblent davantage aux dilemmes non moraux qu’aux dilemmes moraux personnels ; et 4) qu’il y a une corrélation entre le type de dilemme et l’activité neuronale[148].
Ces observations neuroscientifiques suggèrent une importante contribution des émotions dans l’activité de la raison pratique. Elles indiquent que contrairement à ce que l’on croit parfois explicitement, et plus souvent implicitement, les émotions ont un rôle important dans la prise de décision et dans la réflexion éthique. Par exemple, les émotions ne seraient pas sans valeur au niveau du jugement moral et même que la rationalité pourrait difficilement être séparée des émotions sous peine de devenir déraisonnable. Ces résultats remettent donc en question certaines conceptions que nous entretenons au sujet des émotions et de la rationalité en éthique. Sur le plan de l’éthique, elles mettent en lumière la complexité du jugement moral et son engagement émotionnel. Bien sûr, ces résultats ne nous disent pas ce que l’on devrait faire ni même comment on devrait intégrer les émotions dans les théories éthiques et l’éthique appliquée. Beaucoup d’autres recherches empiriques ainsi que d’importantes réflexions théoriques seraient nécessaires à cet effet. Par contre, ces résultats alimentent une approche neurophilosophique où nos conceptions philosophiques et éthiques des émotions et de la raison doivent entrer en dialogue avec les données des neurosciences.
Conformément à nos développements théoriques, cet apport des neurosciences, d’une part, 1) ne suggère pas le déterminisme ; 2) ne commet pas le paralogisme naturaliste ; 3) n’est pas éliminé à cause du dualisme sémantique ; 4) n’est pas réductionniste et 5) n’impose pas l’hégémonie de l’objectivité. D’autre part, l’apport des neurosciences se fait dans le cadre d’une approche qui 1) ne propose pas un rapport de contrainte, mais permet d’informer et d’enrichir notre conception des émotions et du raisonnement moral ; 2) ne soutient pas l’infirmation ou la réfutation d’une approche éthique donnée (ici le rationalisme) ; 3) s’insère dans une conception émergentiste et multi-niveau des neurosciences ; 4) peut contribuer d’abord aux sciences humaines, lesquelles contribuent ensuite à la recherche empirique en éthique dans une approche naturaliste large et interdisciplinaire ; et 5) se fait au niveau de la méta-éthique et de l’éthique appliquée et non directement au niveau d’une éthique normative. L’approche neurophilosophique peut donc approfondir notre connaissance de l’éthique.
4. Les limites de l’approche neurophilosophique proposée
Quelques commentaires et remarques s’imposent sur la portée et la valeur de l’approche neurophilosophique esquissée. La première remarque concerne le glissement dans l’identification de l’approche neurophilosophique et d’une neurophilosophie ontologique de l’éthique. Il s’agit alors de passer d’un cadre de recherche à une soi-disant « nouvelle conception de l’être humain », une neurophilosophie ontologique. Plusieurs moments de l’histoire de la médecine peuvent nous mettre en garde contre l’identification entre hypothèse de travail et connaissance certaine au sujet du système nerveux. Par exemple, les hypothèses phrénologiques de Gall ont certainement constitué un avancement dans la connaissance du cerveau en popularisant une forme de localisationnisme. Cependant, les usages crânioscopiques de ses thèses sont beaucoup plus douteux. Par exemple, Gall estimait que la crânioscopie pouvait contribuer à la pratique judiciaire d’abord en éclairant les faits (l’instruction) et ensuite en aidant à choisir un châtiment approprié (selon une règle de proportion entre la taille de la saillie crânienne correspondant avec la nature de l’infraction[149]). Peu d’entre nous seraient prêts à subir un procès gouverné par de telles pratiques. De même, la lobotomie préfrontale (ablation des deux lobes préfrontaux) et ensuite la leucotomie préfrontale (section des projections allant du thalamus au cortex préfrontal) toutes deux popularisées par Moniz[150] afin de traiter la maladie mentale (sans diagnostic précis) ont provoqué beaucoup de remous étant donné que les résultats de ces interventions agressives étaient souvent peu convaincants[151]. Finalement, il y a aussi aujourd’hui l’usage répandu de psychotropes et d’antidépresseurs qui pose de nombreuses questions. A-t-on trop facilement recours aux traitements pharmacologiques au détriment d’autres types d’intervention ? Favorise-t-on une conception mécaniste de l’être humain en négligeant les aspects sociaux, culturels de la maladie en ne traitant que des symptômes[152] ? Ces trois exemples font prendre conscience que les connaissances que nous avons sur le cerveau sont provisoires, partiales et partielles. Tout cela invite à la prudence lorsqu’on tente d’identifier un projet de recherche donné offrant certaines connaissances sur le cerveau à une « neurophilosophie ontologique ». Il ne faut donc pas chercher à imposer trop rapidement une compréhension de l’homme et ensuite une éthique normative et des applications précises à partir des données neuroscientifiques. Cela amène à poser des bémols, par exemple, quant aux propositions de Paul Churchland[153] qui tendent à appuyer une éthique de la vertu plutôt qu’une éthique fondée sur des « normes abstraites » à partir de connaissances fort limitées du cerveau[154].
L’approche neurophilosophique peut contribuer à une plus grande compréhension de l’éthique, notamment au niveau méta-éthique. Cela dit, il faudra toujours à cette approche un apport motivationnel dans le sens où elle ne peut pas en elle-même constituer une éthique, mais doit s’allier à un souci éthique, le souci de faire le bien, le juste. Ainsi, elle semble plutôt un complément, une méta-perspective sur l’éthique. Elle doit s’inscrire en outre dans un cadre interdisciplinaire où l’on tient compte de la diversité des perspectives et de la multiplicité des façons de concevoir l’éthique afin d’en éviter la sur-objectivation qui pourrait l’accompagner si elle est mal interprétée. Cela permet aussi de ne pas négliger le rôle critique de l’éthique que l’apport des neurosciences pourrait occulter[155].
Conclusion
Dans cet article, nous avons tenté de montrer la pertinence et la valeur d’une approche neurophilosophique en éthique. Un tel projet de rapprochement entre les neurosciences et l’éthique est inévitablement confronté à un certain nombre d’objections. Le déterminisme, le paralogisme naturaliste, le dualisme, le réductionnisme et l’hégémonie de l’objectivité sont autant d’écueils qui guettent ce projet. Cependant, nous avons soutenu qu’une approche neurophilosophique est pertinente pour l’éthique. Les débats traditionnels au sujet de la relation raison-émotion sont un lieu où une approche neurophilosophique démontre son intérêt. Par contre, il faut prendre garde de ne pas passer trop directement d’une approche neurophilosophique à une neurophilosophie ontologique de l’éthique. Une précipitation à confondre ces deux entreprises peut amener une inférence imprudente et la validation d’une éthique normative à partir de données partielles et partiales. L’héritage de Gall, de Moniz et certains moments moins heureux de la neuropsychiatrie sont des rappels que nos connaissances sur le cerveau sont toujours provisoires. Cependant, une approche neurophilosophique, sans nécessairement suggérer des orientations précises, peut servir à approfondir notre conception de l’éthique.
Le dialogue contemporain entre ceux qui étudient le système nerveux et ceux qui se préoccupent de l’éthique est à peine entamé. Il y a tout à espérer qu’il pourra se poursuivre et s’intensifier dans l’optique ultime d’une humanité plus éclairée sur sa propre nature et sur ses propres choix.
Appendices
Notes
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[*]
Nous aimerions remercier Hubert Doucet, Pierre Poirier, Laurent Descarries ainsi que Stéphane Potvin pour leurs précieux commentaires sur une version antérieure de cet article. Nous aimerions aussi remercier les auditeurs d’une conférence intitulée « Les fondements naturels de l’éthique d’un point de vue neurophilosophique » au colloque « Neurophilosophie : promesses et défis d’une nouvelle interaction » (ACFAS, Sherbrooke, 2001) pour leurs commentaires. Nous portons l’entière responsabilité des propos tenus dans cet article.
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[1]
Voir, entre autres : Mario Bunge, The Mind-Body Problem. A Psychobiological Approach, Oxford, Pergamon Press, 1980 ; Jean-Pierre Changeux, « Les progrès des sciences du système nerveux concernent-ils les philosophes ? », Bulletin de la Société française de Philosophie, 75 (1981), p. 73-105 ; Jean-Pierre Changeux, L’homme neuronal, Paris, Hachette, 1983 ; Jean-Pierre Changeux et Paul Ricoeur, Ce qui nous fait penser : La nature et la règle, Paris, Poches Odile Jacob, 2000 ; Patricia S. Churchland, « Les neurosciences concernent-elles la philosophie ? », traduction de Jean-Noël Missa, dans Jean-Noël Missa, coord., Philosophie de l’esprit et sciences du cerveau, Paris, Vrin, 1991, p. 11-22 ; Patricia S. Churchland, Neurophilosophy : Toward a Unified Science of the Mind-Brain, Cambridge, MA, Bradford Book-MIT Press, 1986 ; Paul M. Churchland, « Eliminative materialism and the propositional attitudes », Journal of Philosophy, 77, 2 (1981), p. 67-90 ; Paul M. Churchland, A Neurocomputational Perspective : The Nature of Mind and the Structure of Science, Cambridge, MA, Bradford Books et MIT Press, 1989 ; Paul M. Churchland, The Engine of Reason, the Seat of the Soul : A Philosophical Journey into the Brain, Cambridge, MA, Bradford Books et MIT Press, 1995 ; Francis Crick, The Astonishing Hypothesis : The Scientific Search for the Soul, Londres, Simon & Schuster, 1995 ; Antonio Damasio, L’erreur de Descartes, trad. de l’anglais par Marcel Blanc, Paris, Odile Jacob, 2001 ; Gerald D. Edelman, Biologie de la conscience, trad. de l’anglais par Ana Gerschenfeld, Paris, Odile Jacob, 2000 ; Jean-Noël Missa, La philosophie de l’esprit à la lumière des neurosciences, Paris, Vrin, 1993.
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[2]
De Sousa distingue le naturalisme positif (« cela est bon parce que c’est naturel »), le naturalisme négatif (« ce n’est pas bon parce que cela ne suit pas le cours de la nature ») et l’antinaturalisme (« il est bon de ne pas suivre le cours de ce qui est naturel ») (Ronald De Sousa, « Arguments from Nature », dans David Copp et David Zimmerman, éd., Morality, Reason and Truth : New Essays on the Foundations of Ethics, Totowa, NJ, Rowman & Allanheld, 1985, p. 170). La troisième attitude est un trait de la modernité (Danièle Letocha, « Comment définir la modernité quand on est encore régi par ses impératifs ? », Carrefour, 13, 1 [1991]), tandis que la première et la deuxième sont souvent le propre d’un « retour à la nature » sous la forme d’un écologisme biocentriste ou physicocentriste. Voir Catherine Larrère, Les philosophies de l’environnement, Paris, PUF, 1997, p. 23-33. Ils sont aussi caractéristiques de la position de certains mouvements religieux sur l’avortement, les nouvelles technologies de reproduction, etc. (De Sousa, « Arguments from Nature », p. 170). Ces trois thèses se situent au niveau de l’éthique normative. Le naturalisme qui nous intéresse se situe au niveau métaéthique comme la deuxième partie le montrera.
-
[3]
Jean-Marie Therrien, « Philosophie et bioéthique : le statut de l’embryon et les seuils », Philosopher, 11 (1991), p. 173-184. C’est l’avis de Gros et Jacob (cité par Jean-Marie Therrien, « Philosophie et bioéthique : le statut de l’embryon et les seuils », p. 174) : « Contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, ce n’est pas à partir de la biologie qu’on peut se former une certaine idée de l’homme, c’est au contraire à partir d’une certaine idée de l’homme qu’on peut utiliser la biologie au service de celui-ci ».
-
[4]
Cité par Marc Kirsch, « Introduction », dans Jean-Pierre Changeux, dir., Fondements naturels de l’éthique, Paris, Odile Jacob, 1993, p. 23.
-
[5]
Voir Potter pour un point de vue différent qui vise à mettre en relation les sciences humaines et les sciences de la vie afin de parvenir à une « nouvelle sagesse humaine » (Van Rensselaer Potter, « Bioethics The Science of Survival », Perspectives in Biology and Medicine, 14 [1970], p. 127-128).
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[6]
Danièle Letocha, « Comment définir la modernité quand on est encore régi par ses impératifs ? », p. 14.
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[7]
Gunther S. Stent, « The Poverty of Neurophilosophy », The Journal of Medicine and Philosophy, 15, 5 (1990), p. 539-557 ; David Le Breton, Anthropologie du corps et modernité, Paris, PUF (coll. « Sociologie aujourd’hui »), 1990.
-
[8]
C’était l’opinion de Kant en 1797 dans La métaphysique des moeurs, quoique obligé de reconnaître à l’homme la capacité de causer par ses propres actions des événements, introduit une dualité entre le phénomène et le noumène. Kant soustrait ensuite le « noumène de la liberté » à l’investigation scientifique pour laisser place à l’étude du simple phénomène de la liberté. Pour chaque phénomène, ouvert à l’explication scientifique, il y a un noumène correspondant impénétrable à l’enquête scientifique. Ainsi, Kant traduit à son époque la dualité entre sciences naturelles et éthique en une dualité de la nature humaine qui peut être prise comme phénomène ou comme noumène respectivement. « Or, là où cesse une détermination selon des lois de la nature, là cesse également toute explication […] pour rendre la loi de la nature valable en ce qui concerne les actions humaines, ils devraient considérer nécessairement l’homme comme phénomène ; lorsque maintenant on exige d’eux qu’ils aient à la concevoir, en tant qu’intelligence, comme une chose en soi ; ils n’en continuent pas moins à le considérer encore comme phénomène ; alors à coup sûr le fait de soustraire la causalité de l’homme (c’est-à-dire sa volonté) aux lois naturelles du monde sensible dans un seul et même sujet constituerait une contradiction ; cette contradiction s’évanouirait cependant, s’ils voulaient bien réfléchir et, comme de juste, reconnaître que derrière les phénomènes il doit y avoir pourtant pour les fonder (quoique cachées) les choses en soi, et qu’on ne peut pas exiger que les lois de leur opération soient identiques à celles auxquelles sont soumises leurs manifestations phénoménales » (Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs, trad. de Victor Delbos, Paris, Delagrave, 1994, p. 203-204). C’est aussi l’opinion de Sartre dans L’existentialisme est un humanisme, où il défend l’impénétrabilité de la subjectivité humaine à l’enquête scientifique. Considérer l’homme du point de vue des sciences naturelles s’avère alors une trahison de l’éthique. « Tout matérialisme a pour effet de traiter tous les hommes, y compris soi-même, comme des objets, c’est-à-dire comme un ensemble de réactions déterminées, que rien ne distingue de l’ensemble des qualités et des phénomènes qui constituent une table ou une chaise ou une pierre. Nous voulons constituer précisément le règne humain comme un ensemble de valeurs distinctes du règne matériel » (Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, présentation et notes par Arlette Elkaïm-Sartre, Saint-Amand, Gallimard [coll. « Folio/Essais »], 1996, p. 58).
-
[9]
Martin Mahner et Mario Bunge, Foundations of Biophilosophy, New York, Springer, 1997, p. 37.
-
[10]
Ibid.
-
[11]
Les systèmes inorganiques (météorologique, galactique) peuvent aussi être très complexes. Cependant, les systèmes organiques sont plus complexes. Voir Ernst Mayr, « Is Biology an Autonomous Science ? », dans Toward a New Philosophy of Biology, Cambridge, MA, Harvard University Press, 1988, p. 14.
-
[12]
Ibid.
-
[13]
Ibid., p. 19.
-
[14]
Ernst Mayr, « How Biology Differs from the Physical Sciences ? », dans David J. Depew et Bruce H. Weber, éd., Evolution at the Crossroads : The New Biology and the New Philosophy of Science, Cambridge, MA, MIT Press, 1985, p. 47.
-
[15]
Cette critique assimile sans distinction et de façon abusive les sciences de la vie aux sciences du monde physique. Il n’existe pas de distinction fondamentale entre les composés organiques et inorganiques sinon que la proportion des éléments fondamentaux ainsi que leurs liens comportent des différences. Les composés organiques comme les protéines, les acides nucléiques, les sucres et les graisses contiennent de grandes quantités de carbone, d’azote, d’hydrogène et d’oxygène par rapport aux composés inorganiques qui en contiennent moins. Ainsi, la distinction n’est pas dans les lois fondamentales qui régissent le comportement des atomes constitutifs de la matière, mais plutôt dans l’éventail d’atomes ainsi que dans leur organisation. À ce niveau, ce qui est organique et ce qui est inorganique ne présente pas de différence essentielle et ne justifie pas l’adoption d’une forme désuète de vitalisme.
-
[16]
Jean-Pierre Changeux, L’homme neuronal, p. 159.
-
[17]
Jean-Pierre Changeux et Paul Ricoeur, Ce qui nous fait penser : La nature et la règle, p. 119-126 ; Marc Jeannerod, Le cerveau machine : Physiologie de la volonté, Paris, Fayard, 1983, p. 141-159.
-
[18]
Michel Habib, Dyslexie : le cerveau singulier, Marseille, SOLAL éditeurs, 1997, p. 54-58 ; Gerald D. Edelman, Neural Darwinism : The Theory of Neural Group Selection, New York, Basic Books, 1987, p. 127.
-
[19]
La formation réticulée médullaire située aussi dans le tronc cérébral donne lieu à une voie noradrénergique descendante qui intervient aussi dans la modulation de la douleur (John H. Martin, Neuroanatomy, New York, McGraw-Hill, 1998, p. 148).
-
[20]
Ibid., p. 148.
-
[21]
Gerald Edelman, Neural Darwinism : The Theory of Neural Group Selection, p. 58 ; Changeux, L’homme neuronal, p. 261.
-
[22]
Jean-Pierre Changeux et Paul Ricoeur, Ce qui nous fait penser : La nature et la règle, p. 196.
-
[23]
C’est-à-dire ne faisant pas intervenir une variabilité génétique, mais une modification de la connectivité neuronale.
-
[24]
Jean-Pierre Changeux, L’homme neuronal, p. 301-304.
-
[25]
Pour un point de vue complémentaire voir Anthony Walsh, Biosociology : An Emerging Paradigm, Westport, CT, Praeger Publishers, 1995, p. 10-12.
-
[26]
Patricia S. Churchland, « Feeling Reasons », dans Paul M. Churchland et Patricia S. Churchland, On The Contrary, Cambridge, MA, MIT Press, 1998, p. 232-237.
-
[27]
David Hume, A Treatise of Human Nature, Oxford, Clarendon Press, 1975, p. 469.
-
[28]
Un autre argument contre l’apport des neurosciences est que l’usage de connaissances biologiques en éthique (autrement qu’à titre informatif) conduit à la réintroduction de la téléologie dans la nature. Autrement dit, faire intervenir ces connaissances impliquerait que l’on revienne sur l’évolutionnisme, l’un des piliers de la biologie moderne, qui a justement discrédité la thèse d’une finalité dans la nature. (D’ailleurs, la théorie de l’évolution est peut-être moins un instrument prédictif qu’un outil de reconstruction des données à partir d’événements ayant déjà eu lieu.) L’argument présenté vaut seulement si on prétend que la nature peut nous indiquer directement ce que l’on doit faire. On peut soutenir que les données biologiques peuvent éclairer la métaéthique (metaethical naturalism) sans pour autant adhérer à un naturalisme au niveau de l’éthique normative (normative ethical naturalism). (Larry May, Marilyn Friedman et Andy Clark, « Introduction », dans Larry May, Marilyn Friedman et Andy Clark, Mind and Morals : Essays on Ethics and Cognitive Science, Cambridge, MA, Bradford Book et MIT Press, 1996, p. 3.) Les deux thèses sont indépendantes.
-
[29]
G.E. Moore, Principia Ethica, Cambridge, Cambridge University Press, 1971, p. 10.
-
[30]
Certains pourraient soutenir que l’avortement est le droit exclusif et absolu de la femme parce que l’embryon ne détient aucun droit avant la naissance, ce qui invaliderait la nécessité de tenir compte des étapes du développement embryogénétique dans une réflexion sur l’avortement. La question du développement embryogénétique se pose donc seulement pour certaines approches, notamment celle de « l’humanité différée ». Voir David J. Roy, John R. Williams, Bernard M. Dickens et Jean-Louis Beaudoin, La Bioéthique : ses fondements et ses controverses, Saint-Laurent, Québec, Éditions du Renouveau Pédagogique, 1995, p. 221 pour cette position (ainsi que celle mentionnée précédemment) où l’embryon acquiert graduellement des droits à mesure qu’il grandit. La désignation « d’humanité différée » n’est toutefois pas utilisée par ces auteurs.
-
[31]
Gunther S. Stent, « The Poverty of Neurophilosophy », p. 556.
-
[32]
Ce type de distinction est aussi évoqué dans le projet d’une épistémologie naturalisée où l’on affirme que si « is » n’implique pas « ought », « ought », lui, implique « can » et que la connaissance du monde naturel peut nous aider à ce niveau. Voir Daniel Callahan, « Can Nature Serve as a Moral Guide ? », Hastings Center Report (novembre-décembre 1996), p. 21-22. Dans notre cas une connaissance du système nerveux peut nous donner une compréhension plus approfondie du « can ».
-
[33]
Le dualisme sémantique ressemble au paralogisme naturaliste qui pose un clivage entre le normatif et le descriptif. Cependant, le dualisme sémantique insiste non pas sur une dualité épistémologique entre faits et valeurs, mais sur une dualité des perspectives en s’inspirant de considérations phénoménologiques sur la nature respective des discours.
-
[34]
René Descartes, Méditations métaphysiques. Objections et réponses, suivies de quatre lettres, chronologie, présentation et bibliographie de Jean-Marie Beyssade et Michelle Beyssade, Manchecourt, Flammarion (coll. « GF »), 1992.
-
[35]
Nagel en philosophie et Eccles en neurosciences par exemple. Voir Thomas Nagel, « What is it like to be a bat ? », Philosophical Review, 83 (1974), p. 435-450 ; Karl R. Popper et John C. Eccles, The Self and Its Brain : An Argument for Interactionism, New York, Routledge, 1986.
-
[36]
Jean-Pierre Changeux et Paul Ricoeur, Ce qui nous fait penser : La nature et la règle, p. 23.
-
[37]
Ibid.
-
[38]
Ibid.
-
[39]
Ibid.
-
[40]
Gunther S. Stent, « The Poverty of Neurophilosophy », p. 556.
-
[41]
Il ne s’agit donc pas d’un argument portant sur la question traditionnelle en philosophie de l’esprit de la réductibilité du mental au physique, mais plutôt sur le caractère réducteur de l’approche scientifique en tant que tel.
-
[42]
David Le Breton, Anthropologie du corps et modernité, 1991.
-
[43]
Marcel Drulhe, « Comment mesurer la santé ? », Esprit (février 1997), p. 56-62 ; Édouard Zarifian, « Psychotropes, santé publique et éthique », Des paradis plein la tête, Paris, Odile Jacob, 1994, p. 191-196.
-
[44]
En 1981, Changeux ne semble pas contester que sa position soit caractérisée par Jacques Merleau-Ponty comme un « matérialisme méthodologique » Voir Jean-Pierre Changeux, « Les progrès des sciences du système nerveux concernent-ils les philosophes ? », p. 99.
-
[45]
Notons cependant que la pluralité des méthodes dans l’étude du système nerveux (les neurosciences) contribue à diminuer le caractère réducteur et simplificateur des neurosciences.
-
[46]
Jean-Pierre Changeux et Paul Ricoeur, Ce qui nous fait penser : La nature et la règle, p. 83.
-
[47]
Voir Anthony Walsh, Biosociology : An Emerging Paradigm, pour des considérations analogues sur le réductionnisme.
-
[48]
Francis Crick, The Astonishing Hypothesis : The Scientific Search for the Soul, p. 4. La traduction est la nôtre.
-
[49]
Si le réductionnisme ontologique est par définition éliminativiste, le réductionnisme méthodologique est par définition non éliminativiste, ou du moins la question de l’élimination est une question ouverte, puisqu’il reconnaît une certaine forme d’émergentisme où les propriétés du tout ne sont pas toujours réductibles aux parties.
-
[50]
Martin Mahner et Mario Bunge, Foundations of Biophilosophy, p. 31.
-
[51]
Les systèmes inorganiques peuvent avoir des propriétés émergentes, mais les propriétés émergentes des systèmes organiques sont importantes et présentes à de multiples niveaux d’organisation (Ernst Mayr, « Is Biology an Autonomous Science ? », p. 15).
-
[52]
Martin Mahner et Mario Bunge, Foundations of Biophilosophy, p. 30-31. Dans des termes plus formels, la thèse fondamentale de l’émergence — c’est-à-dire qu’une propriété possédée par un système n’est pas possédée par ses parties, ses composantes — peut être formulée ainsi (en suivant Mario Bunge) :
Em(q,a)=def[q∈P(a) & (∀y)(y∈C(a))→q∉P(y)]
Où :
Em(q,a) symbolise la proposition que q est une propriété émergente du système a
P(a) symbolise les propriétés du système a
C(a) symbolise les composantes du système a (David Blitz, Emergent Evolution : Qualitative Novelty and the Levels of Reality, Boston, Kluwer Academic Press [coll. « Episteme »], 1992, p. 178-179).
-
[53]
Martin Mahner et Mario Bunge, Foundations of Biophilosophy, p. 31.
-
[54]
David Blitz a proposé dans le cadre d’une analyse de la notion d’émergence, la caractérisation suivante des relations possibles entre le tout et la partie (voir le tableau). L’émergentisme se situe à mi-chemin entre le réductionnisme et le holisme et permet d’admettre l’apparition de la nouveauté qualitative (qualitative novelty) à certains niveaux d’organisation du vivant sans pour autant soutenir que ces propriétés émergentes propres au tout sont indépendantes de ses parties.
* Une propriété résultante est une propriété que le système possède ainsi que ses composantes tandis qu’une propriété émergente est une propriété que le système possède mais que ses composantes n’ont pas. Voir Martin Mahner et Mario Bunge, Foundations of Biophilosophy, p. 29.
-
[55]
Virginia Held, « Whose Agenda ? Ethics versus Cognitive Science », dans Larry May, Marilyn Friedman et Andy Clark, Mind and Morals : Essays on Ethics and Cognitive Science, p. 69-87.
-
[56]
Guy Durand, Introduction générale à la bioéthique : Histoire, concepts et outils, Montréal, Fides ; Paris, Cerf, 1999, p. 465.
-
[57]
Guy Rocher, « La bioéthique comme processus de régulation sociale », dans Marie-Hélène Parizeau, dir., Cahiers scientifiques, 66 (Canada, Acfas), p. 61-62.
-
[58]
Patricia Churchland, Neurophilosophy : Toward a Unified Science of the Mind-Brain, p. 481.
-
[59]
Gunther S. Stent, « The Poverty of Neurophilosophy », p 549.
-
[60]
Anne Fagot-Largeault, « Réflexions sur la notion de qualité de vie », Archives de philosophie du droit, 136 (1991), p. 135-153.
-
[61]
Notons que contrairement à l’apport des neurosciences, la méthode des QUALY’s contient déjà en elle-même une visée utilitariste et elle s’est développée conformément à cette visée. À ce niveau, la comparaison entre les neurosciences et les QUALY’s est boiteuse. C’est plutôt sur le plan de l’objectivité des méthodes que la comparaison est pertinente pour comprendre l’argument soulevé.
-
[62]
Le terme « neurophilosophie » est issu de débats méthodologiques et théoriques en neurosciences. Il provient d’un commentaire de William J. Davis, intitulé « Neurophilosophical reflections on central nervous pattern generators », adressé à l’article d’Allen I. Selverston (« Are central pattern generators understandable ? », The Behavioral and Brain Sciences, 3 [1980], p. 535-571). Le titre de l’article de Davis constitue le premier usage de l’adjectif « neurophilosophique ». Cependant, le contenu de l’article fait peu référence à la philosophie sinon, peut-être, pour souligner le caractère spéculatif ou théorique des arguments de son auteur ou pour indiquer l’aspect fondamental des questions soulevées par une compréhension du fonctionnement cérébral (Bernard Andrieu, La Neurophilosophie, Paris, PUF [coll. « Que sais-je ? »], 1998, p. 14). L’usage est donc fort différent de celui proposé par Patricia Churchland, dans Neurophilosophy : Toward a Unified Science of the Mind-Brain.
-
[63]
Ian Gold et Daniel Stoljar, « A Neuron Doctrine in the Philosophy of Neuroscience », Behavioral and Brain Science, version électronique, 22, 5 (1999), p. 39.
-
[64]
John Bickle et Pete Mandik, « The Philosophy of Neuroscience », Stanford Encyclopedia of Philosophy, version électronique (2001), p. 1.
-
[65]
Larry O. Gostin, « Ethical considerations of psychosurgery : the unhappy legacy of the pre-frontal lobotomy » (suivi d’un commentaire de Paul Bridges), Journal of Medical Ethics, 6, 1 (1980), p. 149-156 ; Georges Lanteri-Laura, « Examen historique et critique de l’éthique en neuropsychiatrie, dans le domaine de la recherche sur le cerveau dans le domaine et les thérapies dérivées », dans Gérard Huber, dir., Cerveau et psychisme humains : quelle éthique ?, Paris, John Libbey Eurotext (coll. « Éthique et Sciences »), 1996, p. 63-82.
-
[66]
Robert H. Blank, Brain Policy : How the New Neuroscience Will Change Our Lives and Our Politics, Washington, Georgetown University Press, 1999.
-
[67]
édouard Zarifian, « Psychotropes, santé publique et éthique ».
-
[68]
Jean-Didier Vincent, « Éthique et neurosciences », Rapport présenté à la 3e session du Comité International de Bioéthique (Unesco), www.unesco.org/ibc/fr/themes/neuro.html (27 au 29 septembre 1995) ; G.Q. Jr. MacGuire et Ellen E. McGee, « Implantable Brain Chips ? Time for Debate », Hastings Center Report, 29, 1 (1999), p. 7-13 ; Éric Racine, « Thérapie ou amélioration ? Éthique des neurotechnologies et philosophie des neurosciences », Ethica, 14, 1 (2002), p. 69-100.
-
[69]
Patricia Churchland, Neurophilosophy : Toward a Unified Science of the Mind-Brain. Selon Bernard Andrieu, la position de Patricia Churchland peut être rassemblée autour de trois thèses fondamentales. 1) La neurophilosophie souhaite l’élimination de la psychologie ordinaire (folk psychology, psychologie du sens commun ou psychologie des attitudes propositionnelles) comme modèle d’explication de la vie mentale au profit d’explications neuroscientifiques. 2) La neurophilosphie vise à réduire la psychologie ordinaire à des explications neuroscientifiques. 3) La neurophilosophie vise une science unifiée de l’esprit-cerveau (La Neurophilosophie, p. 20-25). Implicitement, il s’agit d’une référence au projet de l’unité de l’entreprise scientifique. Sciences humaines et sciences de la vie deviendraient une entreprise scientifique consolidée ayant comme fondement la science de l’esprit-cerveau (ibid., p. 24.) Par contre, la présentation d’Andrieu ne met pas assez l’accent sur le fait que la neurophilosophie de Patricia Churchland ne souhaite pas éliminer la psychologie du sens commun et qu’elle ne propose pas de la réduire à une psychologie neuroscientifique. Patricia Churchland fait plutôt le pari que les concepts neuroscientifiques remplaceront les concepts de la PSC car ceux-ci sont inadéquats et que nous gagnerons alors en acuité dans notre description du monde.
-
[70]
Patricia Churchland, Neurophilosophy : Toward a Unified Science of the Mind-Brain, p. xiii et 367 ; John Bickle et Pete Mandik, « The Philosophy of Neuroscience », p. 2.
-
[71]
Patricia Churchland, Neurophilosophy : Toward a Unified Science of the Mind-Brain, p. 2-3 ; John Bickle et Pete Mandik, « The Philosophy of Neuroscience », p. 2.
-
[72]
John Bickle et Pete Mandik, « The Philosophy of Neuroscience », p. 8.
-
[73]
Ibid., p. 3 ; Paul Churchland, « Eliminative materialism and the propositional attitudes ».
-
[74]
La psychologie du sens commun est une explication faisant référence aux désirs et croyances d’un agent (attitudes propositionnelles) avec le dessein de prédire et/ou d’en expliquer les agirs. Le paradigme de ce genre d’explication est le syllogisme pratique d’Aristote qui prend la forme suivante : X souhaite/désire C ; X croit que M est un moyen approprié pour obtenir C ; alors X fait M. Voir John Bickle et Pete Mandik, « The Philosophy of Neuroscience », p. 3.
-
[75]
Que nous ne pouvons revoir en détail ici.
-
[76]
John Bickle et Pete Mandik, « The Philosophy of Neuroscience ».
-
[77]
Patricia Churchland, « Feeling Reasons », p. 253.
-
[78]
Ibid.
-
[79]
Ibid.
-
[80]
Ibid.
-
[81]
Paul Churchland, A Neurocomputational Perspective : The Nature of Mind and the Structure of Science ; The Engine of Reason, the Seat of the Soul : A Philosophical Journey into the Brain ; Paul M. Churchland, « The Neural Representation of the Social World », dans Larry May, Marilyn Friedman et Andy Clark, Mind and Morals : Essays on Ethics and Cognitive Science, p. 91-108.
-
[82]
Il en va de même avec la neurophilosophie du libre arbitre de Walter (Henrik Walter, Neurophilosophy of Free Will : From Libertarian Illusions to a Concept of Natural Autonomy, Cambridge, MA, MIT Press, 2001).
-
[83]
Paul M. Churchland, « Activation Vectors vs. Propositional Attitudes : How The Brain Represents Reality », dans Paul M. Churchland et Patricia S. Churchland, On The Contrary, p. 39-44 ; Paul M. Churchland, « Evaluating our Self-Conception », dans ibid., p. 25-38 ; Paul M. Churchland, « Folk Psychology », dans ibid., p. 3-16.
-
[84]
Jean-Pierre Changeux, « Le point de vue d’un neurobiologiste sur les fondements de l’éthique », dans Gérard Huber, dir., Cerveau et psychisme humains : quelle éthique ?, p. 97-109 ; Jean-Pierre Changeux et Alain Connes, Matière à pensée, Paris, Odile Jacob, 1989 ; Jean-Pierre Changeux et Paul Ricoeur, Ce qui nous fait penser : La nature et la règle.
-
[85]
En fait, ce qui est problématique ici c’est l’engagement de Paul Churchland au matérialisme éliminativiste selon lequel : 1) La psychologie du sens commun est une théorie et 2) la psychologie du sens commun est une théorie fausse qui sera supplantée par les neurosciences (matures). Pour Paul Churchland, la psychologie du sens commun : 1) est une théorie superficielle et partielle ; 2) a peu évolué par rapport aux théories scientifiques et 3) est incommensurable avec les théories scientifiques contemporaines. Voir Paul Churchland, « Eliminative materialism and the propositional attitudes ».
-
[86]
Andrieu parle de la « neurophilosophie française » (plus respectueuse des différents niveaux d’organisation, ou peut-être plus émergentiste) de Jean-Pierre Changeux pour la différencier de la neurophilosophie américaine (éliminativiste) de Patricia Churchland (Bernard Andrieu, La Neurophilosophie, p. 25).
-
[87]
Jean-Pierre Changeux et Stanislas Dehaene, « Neuronal Models of Cognitive Functions », Cognition, 33 (1989), p. 63-109 ; Stanislas Dehaene et Jean-Pierre Changeux, « Pensée logico-mathématique et modèles neuronaux des fonctions cognitives. L’exemple des capacités numériques », dans Olivier Houdé et Denis Miéville, éd., Pensée logico-mathématique : nouveaux objets interdisciplinaires, Paris, PUF, 1993, p. 123-146.
-
[88]
Paul Churchland, A Neurocomputational Perspective : The Nature of Mind and the Structure of Science et « The Neural Representation of the Social World ».
-
[89]
Andy Clark, « Connectionnism, Moral Cognition, and Collaborative Problem Solving », dans Larry May, Marilyn Friedman et Andy Clark, Mind and Morals : Essays on Ethics and Cognitive Science, p. 109-127.
-
[90]
Paul Churchland, « Eliminative materialism and the propositional attitudes ».
-
[91]
Cette nuance n’est pas étrangère aux propositions de Jean-Pierre Changeux qui est l’un des premiers à avoir proposé la pertinence des neurosciences pour la philosophie (voir Jean-Pierre Changeux, « Les progrès des sciences du système nerveux concernent-ils les philosophes ? ») et pour l’éthique (Jean-Pierre Changeux, « Le point de vue d’un neurobiologiste sur les fondements de l’éthique » ; voir Jean-Pierre Changeux et Alain Connes, Matière à pensée ; Jean-Pierre Changeux et Paul ricoeur, Ce qui nous fait penser : La nature et la règle). Changeux note qu’il y a plusieurs niveaux anatomiques et physiologiques (moléculaire, cellulaire, circuits et réseaux de circuits) qui contribuent à une organisation hiérarchique dans le système nerveux. Par contre, contrairement à notre approche neurophilosophique, la position de Changeux suggère que la connaissance scientifique fournirait une sorte de point culminant où l’éthique pourrait puiser des connaissances universelles (Jean-Pierre Changeux, « Le point de vue d’un neurobiologiste sur les fondements de l’éthique »).
-
[92]
John T. Cacioppo, Gary G. Berntson, John F. Sheridan et Martha K. McClintock, « Multilevel integrative analyses of human behavior : Social neuroscience and the complementing nature of social and biological approaches », Psychological Bulletin, 126, 6 (2000), p. 829-843 ; Mario Bunge, The Mind-Body Problem. A Psychobiological Approach ; Mario Bunge, « Emergence and the mind », Neuroscience, 2, (1977a), p. 501-509 ; Mario Bunge, « Levels and reduction », Am. J. Physiol., 233, 3 (1977), p. R75-R82 ; Mario Bunge, Finding Philosophy in Social Science, New Haven et London, Yale University Press, 1996 ; Mario Bunge, Social Science under Debate, Toronto, University of Toronto Press, 1998 ; Mahner et Bunge, Foundations of Biophilosophy ; Ernst Mayr, « Is Biology an Autonomous Science ? ».
-
[93]
Jean-Pierre Changeux et Stanislas Dehaene, « Neuronal Models of Cognitive Functions » ; Stanislas Dehaene et Jean-Pierre Changeux, « Pensée logico-mathématique et modèles neuronaux des fonctions cognitives. L’exemple des capacités numériques » ; Jean-Pierre Changeux, « Les progrès des sciences du système nerveux concernent-ils les philosophes ? » ; Daniel C. Dennett, The Intentional Stance, Cambridge, MA, MIT Press, 1987.
-
[94]
Patricia Churchland, Neurophilosophy : Toward a Unified Science of the Mind-Brain, p. 312.
-
[95]
John Bickle, « Revisionary Physicalism », Biology and Philosophy, 7 (1992), p. 411-430.
-
[96]
La biosociologie se distingue de la sociobiologie par son anti-réductionnisme, son déterminisme modéré (du moins pas exclusivement génétique) et son anti-naturalisme. Voir Anthony Walsh, Biosociology : An Emerging Paradigm, p. 9-17 ; Mario Bunge, Social Science under Debate, p. 33-37.
-
[97]
Comme Potter a tendance à le faire. Voir Van Rensselaer Potter, « Bioethics The Science of Survival ».
-
[98]
Anne Fagot-Largeault, « Normativité biologique et normativité sociale », dans Jean-Pierre Changeux, dir., Fondements naturels de l’éthique, p. 193.
-
[99]
Larry May, Marilyn Friedman et Andy Clark, « Introduction », p. 1-15.
-
[100]
Jean-Pierre Changeux, L’homme neuronal, p. 332-344.
-
[101]
John Dewey, Human Nature and Conduct ; An Introduction to Social Psychology, New York, H. Holt and company, 1922, p. 295-296.
-
[102]
Jean-Pierre Changeux et Paul Ricoeur, Ce qui nous fait penser : La nature et la règle.
-
[103]
Alaisdair MacIntyre, « What Can Moral Philosophers Learn from the Study of the Brain ? », Philosophy and Phenomenological Research, 68, 4 (December 1998), p. 865.
-
[104]
Ibid., p. 867.
-
[105]
Ibid.
-
[106]
Il est à noter que la classification « métaéthique/éthique normative/éthique appliquée » recoupe évidemment une continuité dans la pratique. Elle a au moins le mérite de départager grossièrement différentes activités en éthique.
-
[107]
Voir la première note pour différentes thèses naturalistes se situant au niveau de l’éthique normative.
-
[108]
Mark L. Johnson, « How Moral Psychology Changes Moral Theory », dans Larry May, Marilyn Friedman et Andy Clark, Mind and Morals : Essays on Ethics and Cognitive Science, p. 46.
-
[109]
Ibid.
-
[110]
Peter A. Singer, Mark Siegler et Edmund D. Pellegrino, « Research in Clinical Ethics », The Journal of Clinical Ethics, 1, 2 (Summer 1990), p. 95-98.
-
[111]
Il y a toute une littérature foisonnante en philosophie entourant la nature des émotions et leur rapport avec le raisonnement moral. Voir P.E. Griffiths, What Emotions Really Are. The Problem of Psychological Categories, Chicago, Londres, The University of Chicago Press, 1997 ; M. Nussbaum, « Les émotions comme jugements de valeur », dans P. Paperman et R. Ogien, éd., La couleur des pensées, Paris, E´ditions de l’E´cole des hautes e´tudes en sciences sociales (coll. « Raisons pratiques », 6), 1995, p. 19-32 ; John Deigh, « Cognitivism in the Theory of Emotions », Ethics, 104 (1994), p. 824-854 ; R.C. Roberts, « What an Emotion Is : A Sketch », The Philosophical Review, 97 (1988), p. 183-209 ; Robert C. Solomon, « Emotions and Choice », réimp. dans A.O. Rorty, éd., Explaining Emotions, Berkeley, University of California Press, 1980, p. 251-281.
-
[112]
Ce tableau est bien sûr schématique et admet une série de positions intermédiaires. Voir Ronald De Sousa, « Moral Emotions », Ethical Theory and Moral Practice, 4, 2 (June 2001), p. 109-126.
-
[113]
E.A. Franzen et R.E. Myers, « Neural Control of Social Behavior : Prefrontal and Anterior Temporal Cortex », Neuropsychologia, 11 (1973), p. 141-157 ; Heinrich Klüver et Paul C. Bucy, « “Psychic blindness” and other symptoms following bilateral temporal lobectomy in Rhesus monkeys », Proceedings of the American Physiological Society, 49th Annual Meeting, American Journal of Physiology, 119 (1937), p. 3152-3153.
-
[114]
Antonio R. Damasio, « Emotion and human brain », dans Antonio R. Damasio et Anne Harrington, éd., Unity of knowledge : The convergence of natural and human science, New York, New York Academy of Sciences (coll. « Annals of the New York Academy of Sciences », 935), p. 101-106 ; Antonio Damasio, L’erreur de Descartes, trad. de l’anglais par Marcel Blanc, Paris, Odile Jacob, 2001 ; Antonio Damasio, « Comprendre les fondements naturels des conventions sociales et de l’éthique, données neuronales », dans Jean-Pierre Changeux, dir., Fondements naturels de l’éthique ; Paul J. Eslinger et Antonio Damasio, « Severe disturbance of higher cognition after bilateral frontal lobe ablation : Patient EVR », Neurology, 35 (December 1985), p. 1731-1741.
-
[115]
Antonio Damasio, « Comprendre les fondements naturels des conventions sociales et de l’éthique, données neuronales », p. 123.
-
[116]
Ibid.
-
[117]
Ibid., p. 123-124.
-
[118]
Ibid., p. 124.
-
[119]
Ibid., p. 124 et 128.
-
[120]
Hanna Damasio, Thomas Grabowski, Frank Randall, Albert M. Galaburda et Antonio R. Damasio, « The Return of Phineas Gage : Clues About the Brain from the Skull of a Famous Patient », Science, 264 (20 May 1994), p. 1102.
-
[121]
Ibid.
-
[122]
Ibid.
-
[123]
Ibid., p. 1104.
-
[124]
Ibid.
-
[125]
Antonio Damasio, L’erreur de Descartes et « Comprendre les fondements naturels des conventions sociales et de l’éthique, données neuronales ».
-
[126]
Antonio Damasio, « Comprendre les fondements naturels des conventions sociales et de l’éthique, données neuronales », p. 128.
-
[127]
Ibid., p. 129-130.
-
[128]
Ibid., p. 131.
-
[129]
Ibid., p. 132.
-
[130]
Ibid.
-
[131]
Dans leur discussion sur le rôle du cortex orbitofrontal (COF), Moll et al. suggèrent que : 1) le COF est un important médiateur des réponses autonomiques guidant le comportement motivé et l’évaluation sociale et émotionnelle implicite ; 2) les régions ventrales et médianes sont activées dans la prise de décision impliquant des récompenses et des punitions et dans le jugement moral et empathique ; 3) les observations précédentes impliquaient des réponses ouvertes/manifestes alors que leur étude engageait les sujets comme observateurs. Il y a donc une cohérence avec l’hypothèse que le COF est impliqué dans les comportements exécutifs implicites reposant sur l’évaluation des renforcements entre stimuli environnementaux. Le COFMéd/GFMéd, la STS et les régions limbiques et sous corticales pourraient jouer un rôle important dans la détection rapide et automatique d’événements sociaux et émotionnels et dans l’induction des dispositions (cognition, émotion et motivation) à la base de la sensibilité morale et le comportement moral (voir J. Moll, R. de Oliveira-Souza, P.J. Eslinger, I.E. Bramati, J. Mourao-Miranda, P.A. Andreiuolo et L. Pessoa, « The neural correlates of moral sensitivity : a functional magnetic resonance imaging investigation of basic moral emotions », J Neurosci, 22, 7 [Apr 2002], p. 2730-2737).
-
[132]
Dans son modèle neuroscientifique de la conscience, David Laberge soutient que le profil (landscape) corporel peut être prolongé ou modifié en intensité par le cortex préfrontal. La représentation du corps serait intimement liée à notre conception du soi. (David Laberge, « Attention, Awareness, and the Triangular Circuit », Consciousness and Cognition, 6 [1997], p. 174-175).
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[133]
Patricia Churchland, « Feeling Reasons », p. 237-244.
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[134]
A. Partiot, J. Grafsman, N. Sadato, J. Wachs et M. Hallett, « Brain activation during the generation of non-emotional and emotional plans », Neuroreport, 10, 6 (1996), p. 1397-1400.
-
[135]
Ibid., p. 1397.
-
[136]
Ibid., p. 1397-1399.
-
[137]
Ibid., p. 1399.
-
[138]
J. Moll, R. de Oliveira-Souza, P.J. Eslinger, I.E. Bramati, J. Mourao-Miranda, P.A. Andreiuolo et L. Pessoa, « The neural correlates of moral sensitivity : a functional magnetic resonance imaging investigation of basic moral emotions », p. 2730-2737.
-
[139]
Ibid., p. 2730.
-
[140]
Ibid.
-
[141]
Ibid.
-
[142]
Ibid.
-
[143]
Joshua D. Greene, Brian R. Sommerville, Leigh E. Nystrom, John M. Darley et Jonathan D. Cohen, « An fMRI Investigation of Emotional Engagement in Moral Judgment », Science, 293 (14 september 2001), p. 2105-2108.
-
[144]
Le cortex orbitofrontal n’a malheureusement pas été visualisé pour des raisons techniques (ibid., p. 2108).
-
[145]
Ibid., p. 2107.
-
[146]
Ibid., p. 2106 et 2107.
-
[147]
Ibid., p. 2107.
-
[148]
Ibid.
-
[149]
Georges Lanteri-Laura, « Examen historique et critique de l’éthique en neuropsychiatrie, dans le domaine de la recherche sur le cerveau dans le domaine et les thérapies dérivées », p. 67.
-
[150]
Mais initialement développées par Burckhardt en Suisse et Puusepp en Russie. Voir Larry O. Gostin, « Ethical considerations of psychosurgery : the unhappy legacy of the pre-frontal lobotomy ».
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[151]
Georges Lanteri-Laura, « Examen historique et critique de l’éthique en neuropsychiatrie, dans le domaine de la recherche sur le cerveau dans le domaine et les thérapies dérivées », p. 71.
-
[152]
Robert H. Blank, Brain Policy : How the New Neuroscience Will Change Our Lives and Our Politics, p. 113-131 ; Édouard Zarifian, « Psychotropes, santé publique et éthique ».
-
[153]
Paul Churchland, « The Neural Representation of the Social World ».
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[154]
Ibid., p. 105.
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[155]
Hubert Doucet, « La bioéthique : sens et limite d’un mouvement socioculturel », Ethica 10, 1 (1998), p. 55.