Abstracts
Résumé
Dans cet article, nous nous intéressons à la nature des technologies de l’information et de la communication (TIC) mobilisées par les enseignants universitaires pour enseigner et aux facteurs explicatifs de cette utilisation. Nous procédons d’abord à un éclairage théorique notamment concernant les concepts de « TIC » et d’« utilisation ». Puis, à l’appui des données recueillies en mai 2016 auprès de 248 enseignants d’une université française, nous montrons que les TIC mobilisées par les enseignants à l’intérieur, mais aussi en dehors des heures de cours, sont plutôt d’ordre générique en opposition aux technologies plus sophistiquées. Les enseignants utilisent par ailleurs davantage les TIC en travaux dirigés et en travaux pratiques qu’en cours magistral. Nous analysons ensuite les facteurs, liés aux caractéristiques de l’enseignant ainsi qu’au contexte d’enseignement, tenant un rôle explicatif dans l’utilisation des TIC par les enseignants. Il en ressort que le sentiment de compétence en TIC de l’enseignant et les méthodes pédagogiques mobilisées en cours constituent des variables prégnantes dans l’explication de cette utilisation des TIC. Nous discutons ces résultats au regard de la littérature scientifique existant sur le sujet et proposons plusieurs perspectives de recherche.
Mots-clés :
- utilisation des TIC,
- outils numériques,
- enseignement universitaire,
- modèles intégratifs
Abstract
In this article, we are interested in the nature of information and communication technologies (ICT) mobilized by university teachers to teach and the factors that explain this use. First, we proceed to theoretical insights, particularly concerning the concepts of “ICT” and “use”. Then, in support of data collected in May 2016 from 248 teachers at a French university, we show that ICTs mobilized by teachers during and outside class hours can be described as classics. Teachers also use ICT more in tutorials and practical work than in lectures. We then analyze the factors, related to the characteristics of the teacher as well as to the teaching context, which play an explanatory role in the use of ICT by teachers. It emerges that the teacher's sense of ICT competence and the pedagogical methods used in class are important variables in explaining this use of ICT. We discuss these results in the light of the existing scientific literature on the subject and propose several research perspectives.
Keywords:
- ICT use,
- digital tools,
- university teaching,
- integrative models
Article body
Introduction
L’université française a été confrontée ces 35 dernières années à des enjeux majeurs : son accès s’est démocratisé, multipliant quasiment par deux ses effectifs entre 1980 et 2015 (MENESR[1], 2017 : 31), et générant des problématiques liées tout autant à la réussite étudiante qu’à la qualité des enseignements. Elle a été longtemps critiquée pour sa pédagogie traditionnelle inadaptée à l’hétérogénéité croissante du public étudiant (Bourdieu et Passeron, 1964 : 53 ; Bireaud, 1990 : 14 ; Bertrand, 2014 : 6). Désormais, nombreux sont les politiques et acteurs du système à vouloir faire entrer l’université dans l’ère du numérique pour faire face à la concurrence internationale. En effet, les objectifs définis par la stratégie de Lisbonne en mars 2000 témoignent de l’importance pour les pays membres d’améliorer la qualité et l’efficacité de leur système éducatif, afin de le rendre économiquement compétitif. La question du numérique à l’université s’inscrit de ce fait dans un contexte où la structuration de l’espace d’enseignement supérieur européen, la pression des classements internationaux et la banalisation du numérique conduisent les décideurs politiques à vouloir adapter les pratiques d’enseignement aux technologies du moment (Albero, 2014 : 28). Aujourd’hui, les attentes en faveur d’une nouvelle conception de la pédagogie dans l’enseignement supérieur à l’heure du numérique sont largement partagées (StraNES[2], 2015 : 90) et le numérique, entendu sous forme de technologies de l’information et de la communication, pourrait bien constituer un levier aidant à la rénovation et à la transformation des pratiques d’enseignement (Bertrand, 2014 : 25). Par conséquent, s’inscrivant dans la mouvance de travaux traitant de la place des technologies de l’information et de la communication (TIC) à l’université (Albero, 2014 ; Gremmo et Kellner, 2011 ; Trestini, 2012), cet article, basé sur une enquête empirique, vise à apporter un éclairage nouveau sur l’utilisation du numérique par les enseignants universitaires dans le cadre de leur fonction d’enseignement. Précisons dès à présent que le concept du « numérique » représente d’après Simonnot (2013 : 5) une « catégorie large qui recouvre à la fois des supports (informatisés) et les pratiques qui les produisent, leur permettent de se développer, d’y accéder ou de les échanger ». Nous concernant, nous mobiliserons ce terme uniquement pour désigner les types de supports informatisés. En d’autres termes, ce sont donc aux différents types de TIC utilisés par les enseignants que nous nous intéressons plus particulièrement dans cette recherche.
Après avoir défini cet acronyme « TIC », nous présentons des travaux sur l’utilisation des TIC et sur la distinction à effectuer entre les concepts d’« usage » et d’« utilisation » des TIC. Puis nous abordons le cadre méthodologique de la recherche et exposons les résultats d’une enquête de terrain menée dans une université française. Nous discutons ces derniers et concluons en proposant de nouvelles pistes de recherche.
1. De la question de l’efficacité à l’analyse de l’utilisation des TIC
La question de l’utilisation des TIC pour enseigner revêt toute son importance dans la mesure où nombre de travaux s’accordent à reconnaître, de manière globale, un effet positif des TIC sur la motivation et l’attention (Poyet, 2009 : 3), sur les apprentissages des élèves (Karsenti, Raby et Villeneuve, 2008 : 18) ou bien encore sur la conduite d’une approche pédagogique plus centrée sur l’élève (Karsenti et Dumouchel, 2010 : 228). A contrario, d’autres indiquent que les technologies auraient en réalité un impact modéré, voire inexistant et parfois négatif, sur les résultats des élèves (Michko, 2007 : 92 ; OCDE[3], 2015 : 5). Les recherches francophones sur le sujet dans l’enseignement supérieur se font particulièrement rares. En revanche, celles qui concernent les usages des TIC par les enseignants sont plus nombreuses. Plusieurs travaux concluent à des usages classiques, souvent même en renfort d’une pédagogie transmissive (Albero, 2011 : 12 ; Paivandi et Espinosa, 2013 ; Gremmo et Kellner, 2011 : 35-52). Au Canada, les outils communicationnels, rédactionnels et les plateformes de cours seraient les plus mobilisés par les enseignants (Léger Marketing, 2011). D’autres technologies permettant de rendre les apprenants davantage acteurs de la situation pédagogique, telles que les tests/quiz, les outils et logiciels spécialisés, les blogues, les wikis, les exerciseurs, les simulateurs ou bien encore les portfolios numériques, seraient utilisées par moins de la moitié des enseignants (Fusaro et Couture, 2012 : 52). De tels constats conduisent à s’interroger, dans le contexte français, sur la nature des TIC mobilisées par les enseignants. Des travaux indiquent que la présentation de type PowerPoint paraît être le type de TIC le plus répandu chez les enseignants (Demougeot-Lebel et Lanarès, 2013 : 195-210), cela particulièrement en cours magistral et dans les filières relevant des sciences humaines à tendance appliquée (Duguet, 2014 : 230). Qu’en est-il réellement aujourd’hui ? Avant d’apporter des éléments de réponse quant à cette question, il convient d’effectuer un cadrage théorique sur les termes d’« usage » et d’« utilisation » des TIC.
Nous nous intéressons uniquement à la dimension matérielle en tant que telle des TIC et non aux possibilités (pédagogiques ou non) qu’elles offrent. Ces technologies de l’information et de la communication rassemblent d’après Raby, Karsenti, Meunier et Villeneuve (2011 : 7) à la fois l’utilisation d’Internet, de logiciels de présentation, du courrier électronique et d’environnements d’apprentissage en ligne (2011 : 7). Dans une acception plus large, nous désignons à travers l’emploi de cet acronyme l’ensemble des matériels, logiciels et services numériques pouvant être utilisés pour enseigner. Ces éléments pourront en outre être qualifiés « d’outils numériques », s’agissant là d’un vocable fréquemment mobilisé dans la littérature scientifique pour désigner les différents types de TIC (Ben Youssef et Hadhri, 2009 : 28 ; Paivandi et Espinosa, 2013 : 10).
2. Conceptualisation des termes « usage » et « utilisation » des TIC
Le terme d’« usage » s’inscrit dans une perspective sociologique indiquant que l’on cherche à prendre en compte le cadre plus large qui englobe les interactions entre les humains et les machines (Proulx, 2002 : 185). Ainsi, comme l’évoquent Lefebvre et Fournier (2014 : 41) en se référant aux travaux de Baron et Bruillard (1996), ce concept d’usage traduit des usages sociaux, par opposition à celui d’« utilisation » qui fait référence à une action ponctuelle et aux aspects manipulatoires des TIC. Des modèles d’utilisation des TIC ont d’ailleurs été produits, identifiant les processus à l’oeuvre dans l’intégration des TIC par les enseignants dans leur enseignement. Une présentation exhaustive de ces modèles ne constitue pas l’objet de notre propos. Néanmoins, ceux-ci distinguent en général plusieurs stades d’intégration, à l’image du modèle de Raby (2004 : 345) qui décrit quatre étapes du processus d’appropriation des TIC par les enseignants : la sensibilisation aux TIC, l’utilisation à des fins personnelles, l’utilisation à des fins professionnelles et l’utilisation à des fins pédagogiques. Cette idée d’une intégration reposant sur un continuum se retrouve dans les travaux de Karsenti (2013 : 74-75) et dans son modèle « ASPID » : l’intégration des TIC commence par une phase « d’adoption », suivie soit d’une « détérioration », soit d’effets positifs sur l’enseignement par le biais de la « substitution », du « progrès » et de l’« innovation ». Les termes d’« usage » et d’« utilisation » supposent finalement de s’intéresser à la manière dont les enseignants s’emparent des TIC pour enseigner. Or, dans le travail présenté ici, c’est davantage à la nature des TIC mobilisées, en tant qu’artefacts, que nous nous intéressons. Le terme d’« utilisation » renverra donc uniquement au type de TIC mobilisé par l’enseignant. Notre questionnement est alors le suivant : quels types de TIC les enseignants mobilisent-ils pour enseigner ? Comment expliquer l’utilisation de ces TIC ? Constituant à notre sens une étape préalable indispensable à la compréhension des pratiques numériques des enseignants, nous faisons délibérément le choix de limiter cette recherche à la description des outils numériques utilisés par les enseignants pour enseigner, l’analyse fine des raisons de cette utilisation et des objectifs pédagogiques qui y sont liés pouvant, nous y reviendrons en conclusion, faire l’objet d’un prolongement de ce travail. Au regard de la littérature préalablement mentionnée, notre travail s’appuie particulièrement sur quatre hypothèses fortes :
Hypothèse 1 Pour reprendre les termes de Ben Youssef et Hadhri (2009 : 51), les TIC mobilisées par les enseignants durant les heures de cours sont davantage de type « générique » que de type « sophistiqué ». Par « générique », terme auquel nous substituerons parfois celui de « classique », entendons des outils usuels permettant des usages de base et n’impliquant pas nécessairement une transformation des méthodes d’enseignement de l’enseignant (traitement de texte, logiciels de présentation, bureautique, etc.) en opposition aux technologies « sophistiquées » qui sont a priori pour le moment moins démocratisées parmi les enseignants (boîtiers de vote, création collaborative de contenus, ressources interactives, etc.). Nous supposons en ce sens que la présentation de type PowerPoint constitue l’un des outils les plus privilégiés par les enseignants.
Hypothèse 2 Les enseignants utilisent davantage de TIC en travaux dirigés (TD) ou travaux pratiques (TP) qu’en cours magistraux (CM). Bien que cette hypothèse puisse paraître a priori tautologique, des éléments laissent penser que l’affirmation d’une telle hypothèse n’est pas si évidente.
Hypothèse 3 Les enseignants mobilisent les TIC même en dehors des heures de cours (par exemple pour préparer les cours, pour communiquer avec les étudiants, etc.), mais les TIC utilisées restent là encore plutôt de type « générique ».
Hypothèse 4 Les facteurs liés au contexte d’enseignement exercent davantage d’effet sur l’utilisation des TIC que les caractéristiques personnelles des enseignants.
3. Choix méthodologiques
En mai 2016, une enquête par questionnaires a été soumise via Internet, grâce à l’outil LimeSurvey, à l’ensemble de la communauté enseignante d’une université française, soit environ 1 500 personnes. Le questionnaire, construit à l’appui de la littérature scientifique, était composé de quatre parties :
« Vous et vos enseignements » : genre de l’enseignant, ancienneté, statut professionnel, composante principale d’enseignement, niveaux et types de cours d’enseignement, méthodes pédagogiques (cf. annexe 1) et conception de l’enseignement, en nous appuyant pour ce dernier élément sur l’item ouvert « selon vous, qu’est-ce qu’enseigner ? » issu des travaux de Demougeot-Lebel et Perret (2011 : 58).
« Votre utilisation du numérique pour enseigner » : sentiment de compétence en TIC, types de TIC mobilisées et motifs de ces utilisations.
« Votre regard sur les outils numériques » : représentations concernant les TIC, matériel numérique mis à disposition par l’université.
« Votre formation en outils numériques » : nombre de formations auxquelles ont participé les enseignants, nature de ces formations et motifs de non-participation.
L’utilisation des TIC par les enseignants est analysée selon deux axes : d’une part, nous proposons un volet descriptif permettant de connaître les effectifs d’enseignants mobilisant les différentes TIC proposées, pendant les cours, en dissociant les CM des TD/TP, mais aussi en dehors des heures de cours. D’autre part, nous modélisons l’effet des caractéristiques personnelles des enseignants et des caractéristiques de contexte sur l’utilisation des TIC afin d’examiner la manière dont ces facteurs sont liés les uns aux autres, en raisonnant selon la clause « toutes choses égales par ailleurs », c’est-à-dire à caractéristiques identiques. Ces traitements statistiques sont réalisés à l’appui du logiciel SPSS.
4. Description de l’utilisation du numérique par les enseignants
4.1 Présentation de l’échantillon
L’échantillon est composé de 248 répondants (15 % de la population visée initialement), majoritairement des hommes (59,3 %). Environ la moitié des enseignants (46,4 %) sont nés entre 1948 et 1964, tandis que 34,3 % le sont entre 1965 et 1978 et 19,4 % entre 1979 et 1989. Les professeurs des universités ou maîtres de conférences titulaires d’une habilitation à diriger des recherches (HDR), ainsi que les maîtres de conférences (sans HDR) sont les plus représentés (respectivement 31,9 % et 37,9 %). Par ailleurs, 17,6 % des enseignants ont moins de six années d’expérience, tandis que 46,4 % exercent la profession depuis plus de 16 ans. Aussi, 44,3 % sont en activité dans des composantes liées aux sciences humaines, aux sciences économiques, au droit, aux lettres et aux langues, 25,9 % dans des composantes dites de « sciences dures » et 29,8 % dans des instituts dont le fonctionnement s’apparente davantage à une école (IAE, IUT, IUVV, ISAT, ESIREM, AGROSUP[4]). Au total, 69 % enseignent à la fois en licence et en master, alors que 16,9 % enseignent uniquement en licence et 10,1 % uniquement en master. Les enseignants ont également été priés d’indiquer, sur une échelle allant de 1 à 6, leur niveau de compétence en technologies numériques. À ce sujet, 54,8 % mentionnent avoir un niveau que nous considérons comme intermédiaire en matière de maîtrise des outils numériques (positionnement en 3 ou 4 sur l’échelle proposée), 27,4 % un niveau expert (positionnement en 5 ou 6 sur l’échelle) et 12,1 % déclarent être novices (positionnement en 1 ou 2). Par ailleurs, 56,9 % n’ont participé à aucune formation aux TIC au cours des deux années précédentes. Enfin, 31,9 % ont une conception de l’enseignement centrée sur l’enseignant, 29,9 % sur l’étudiant et 12,9 % ont une conception mixte.
4.2 Utilisation des TIC pour enseigner
Nos lectures et l’expérience professionnelle d’un ingénieur en pédagogie numérique nous ont conduits à développer une typologie des TIC potentiellement utilisées par les enseignants pendant les cours. Certes, ce procédé suppose l’introduction de biais dans le choix des items. Néanmoins, un prétest du questionnaire nous a également permis d’affiner nos propositions :
Les TIC les plus mobilisées durant les heures de cours à la fois en CM et en TD/TP sont les logiciels de présentation (59,3 %), les sites Internet (40,3 %), le traitement de texte (37,9 %) et les ressources audio et vidéo (37,5 %). Seuls les logiciels de présentation sont davantage mobilisés pendant les cours magistraux que durant les travaux dirigés ou les travaux pratiques. Autrement dit, les enseignants semblent davantage utiliser les TIC durant les TD/TP que durant les CM. Un tel constat vaut particulièrement pour l’utilisation de sites Internet (25,4 %), du traitement de texte (21,4 %), des outils et logiciels spécialisés (20,6 %) ou encore des fichiers bureautiques (18,1 %). Il est par ailleurs intéressant de noter qu’une proportion non négligeable d’enseignants, allant de 22,2 % à 36,7 %, ne connaît pas certaines TIC telles que les outils et logiciels spécialisés, les boîtiers de vote électroniques, les ressources interactives ou bien encore la création collaborative de contenus sur un wiki.
Des technologies comme le traitement de texte (90,7 %), le courriel (88,7 %), les logiciels de présentation (85,9 %) et le dépôt de ressources numériques sur la plateforme d’enseignement en ligne (61,7 %) sont mobilisées en dehors des heures de cours par une large majorité d’enseignants (tableau 2). A contrario, les tests, quiz, exerciseurs, ainsi que la création collaborative de contenus sur un wiki sont employés par à peine plus d’un enseignant sur dix. Bien que les réseaux sociaux constituent actuellement un véritable phénomène de société, ceux-ci ne sont mobilisés que par à peine plus d’un cinquième des enseignants. Un tel résultat renvoie au constat de Demougeot-Lebel (2014 : 13) selon qui les enseignants, au moins en ce qui concerne ceux de la génération Y ou, autrement dit, ceux nés entre 1979 et 1989, font usage de ce type de technologies dans leur sphère privée, mais très peu dans le cadre de leurs activités d’enseignement.
5. Analyse des facteurs explicatifs de l’utilisation des TIC par les enseignants
Dans ce travail, nous cherchons à expliquer deux variables dépendantes : l’utilisation des TIC pendant les heures de cours et l’utilisation en dehors des heures de cours. À cet effet, nous avons construit a posteriori des scores synthétiques d’utilisation des TIC :
Un score (A) d’utilisation DURANT les heures de cours : pour chacun des items apparaissant dans le tableau 1, nous avons attribué 0 point lorsque l’enseignant ne connaissait pas l’outil numérique mentionné, 1 point s’il le connaissait mais ne le mobilisait pas, 2 points s’il ne l’utilisait qu’en CM ou en TD/TP et 3 points s’il le mobilisait à la fois en CM et en TD/TP.
Un score (B) d’utilisation EN DEHORS des heures de cours : aucun point n’a été attribué lorsque l’enseignant ne connaissait pas la technologie mentionnée, 1 point lorsqu’il la connaissait mais ne la mobilisait pas et 2 points quand il utilisait l’outil en question.
Plus ces scores sont élevés, plus ils signifient que les enseignants utilisent une variété de TIC. Le calcul des indices alpha de Cronbach indique que ces deux scores ont une bonne cohérence interne (respectivement 0,740 et 0,808). Ces derniers ont ensuite été standardisés et constituent les variables dépendantes que nous avons cherché à expliquer. Les variables indépendantes, ou autrement dit explicatives, introduites dans les analyses tiennent quant à elles à la fois :
des caractéristiques personnelles et professionnelles des enseignants : sexe, âge, statut professionnel, ancienneté, conception de l’enseignement, sentiment de compétence en TIC, représentation des TIC, nombre de formations auxquelles l’enseignant a participé ces deux dernières années, méthode pédagogique mobilisée en cours ;
et du contexte d’enseignement : composante d’enseignement, type de cours enseigné, niveau d’enseignement, matériel mis à disposition par l’université.
La représentation des TIC est abordée à travers trois items insérés de façon dichotomique dans les modèles : vous considérez le numérique comme un moyen de rénover la pédagogie universitaire, vous vous sentez obligé d’utiliser le numérique en raison de la nature des cours que vous enseignez, le nombre d’heures de cours que vous assurez a une influence sur votre utilisation du numérique pour enseigner. Elle l’est néanmoins également à travers deux scores, l’un lié à la représentation de l’effet des TIC sur les étudiants et l’autre aux difficultés d’usage des TIC. De même, nous avons construit un score synthétique de méthode pédagogique afin de faciliter l’appréhension de cette variable dans nos modèles explicatifs (annexe 1). Enfin, un score de matériel a été créé à l’appui des items suivants : mise à disposition par l’université d’un ordinateur fixe, d’un ordinateur portable, d’une connexion Internet, d’un vidéoprojecteur, d’un tableau blanc interactif, d’outils nomades, d’une salle informatique et de matériel multimédia (micro, webcam, etc.). Nous avons attribué à chacun de ces items zéro point en cas de réponse négative et un point en cas de réponse positive de la part de l’enseignant. Plus le score est élevé, plus il indique que les enseignants disent avoir accès à du matériel fourni par l’université pour enseigner. Le modèle suivant permet d’expliquer l’utilisation des TIC par les enseignants durant les heures de cours. Seules les variables significatives sont présentées.
Seules les variables liées au sentiment de compétence des enseignants, à certains aspects de leur représentation des TIC et aux méthodes pédagogiques mobilisées en cours s’avèrent significatives. Ainsi, plus l’enseignant se sent compétent pour utiliser les TIC, plus il mobilise une variété de technologies pour enseigner. De même, les enseignants voyant le numérique comme un moyen de rénover la pédagogie universitaire et déclarant être contraints d’utiliser les TIC en raison de la nature des cours qu’ils enseignent ont un score d’utilisation des TIC plus fort. En outre, plus le score de méthode pédagogique en CM et en TD/TP est élevé, plus le score d’utilisation des TIC l’est également. Autrement dit, les enseignants ayant davantage recours à des méthodes visant à rendre les étudiants acteurs de leurs apprentissages utilisent une plus grande variété de TIC pour enseigner durant les heures de cours. Le tableau 5 présente un modèle explicatif de l’utilisation des TIC en dehors des heures de cours.
Là encore, le sentiment de compétence en TIC déclaré par l’enseignant et les scores de méthodes pédagogiques en CM et en TD/TP s’avèrent particulièrement explicatifs de l’utilisation des TIC par les enseignants en dehors des heures de cours. De même, la composante d’enseignement joue un fort rôle explicatif : le fait d’enseigner dans une composante dont le fonctionnement s’apparente à celui d’une école ou bien encore dans une composante dite de « sciences dures » diminue le score d’utilisation des TIC en dehors des heures de cours. Il serait néanmoins intéressant d’étudier si un tel résultat peut s’expliquer par le fait que les enseignants de ces composantes utilisent les TIC prioritairement pendant les heures de cours, mais aussi d’examiner ce résultat à la lumière du statut des enseignants ayant rempli le questionnaire.
6. Discussion
Les résultats présentés permettent d’apporter plusieurs réponses à nos hypothèses de recherche. Ainsi, l’analyse descriptive des types de TIC mobilisées par les enseignants pour enseigner durant les heures de cours montre que celles-ci sont de nature plutôt générique. Le PowerPoint constitue un outil privilégié par une large majorité d’enseignants. Ces résultats tendent à rejoindre ceux de Fusaro et Couture (2012 : 52), de Demougeot-Lebel et Lanarès (2013 : 195-210), de Duguet (2014 : 230) ou bien encore de l’enquête de Léger Marketing (2011). En effet, selon cette dernière, les outils communicationnels, rédactionnels et les plateformes de cours sont les plus mobilisés par les enseignants. C’est également le cas parmi les enseignants de notre échantillon, notre première hypothèse s’en trouvant validée. De tels résultats posent question dans un contexte où le numérique est perçu comme un levier pour rénover la pédagogie universitaire (Bertrand, 2014 : 25). Ils confortent les conclusions de Lebrun[5] (2015) qui montre que l’outil numérique à lui seul ne peut influencer la pédagogie, et que seul le renouvellement de la pédagogie doit conjointement permettre de développer l’outil numérique. Il serait alors intéressant d’examiner à quelles fins pédagogiques ces TIC sont mobilisées. Nos résultats indiquent également, conformément à notre deuxième hypothèse, que les enseignants utilisent une plus grande variété de TIC en TD/TP qu’en CM. On peut toutefois apporter une nuance à ce résultat. À l’heure où l’on met l’accent sur la volonté de développer l’utilisation des TIC chez les usagers du système universitaire, comme en témoignent notamment la stratégie nationale et d’innovation de 2008 ou bien encore le schéma stratégique des systèmes et technologies de l’information et de la communication formulé en 2013 (Endrizzi, 2012 : 3), les différentes technologies interrogées dans notre travail demeurent non utilisées par une proportion non négligeable d’enseignants. Il apparaît donc que les injonctions politiques n’ont pas encore permis de convertir les enseignants au « tout numérique ». Conformément à notre troisième hypothèse, nous montrons que les enseignants mobilisent des TIC même en dehors des heures de cours, bien que celles-ci restent de nature plutôt générique, ou autrement dit classique : outre les logiciels de traitement de texte et de présentation, la consultation de fichiers bureautiques et de site Internet, le courriel et, dans une moindre mesure, les plateformes d’enseignement, les autres technologies restent en marge. Ces différents constats conduisent à s’interroger quant aux pistes pouvant être évoquées pour mieux comprendre l’utilisation de ce type de TIC. Or, conformément à notre quatrième hypothèse, nos résultats indiquent que les facteurs explicatifs de l’utilisation des TIC par les enseignants relèvent davantage de la « sphère psychosociale » et de la « sphère cognitive » des enseignants (Trestini, 2012 : 33) plutôt que des caractéristiques intrinsèques des TIC. Le sentiment de compétence des enseignants en TIC est particulièrement explicatif de leur utilisation de ces dernières. Or, la perception de compétence d’un individu apparaît, d’après certaines théories de la motivation (Viau, 1998), comme étant un déterminant de la motivation. On peut donc supposer qu’un individu se sentant plus compétent sera davantage motivé pour mobiliser les TIC, d’où l’effet significatif de cette variable. Néanmoins, considérant que le sentiment de compétence pourrait jouer un rôle médiateur dans l’explication de l’influence du contexte sur l’utilisation des TIC, il serait intéressant d’étudier de manière plus approfondie les facteurs influant sur ce sentiment. Par ailleurs, plus les enseignants mobilisent des méthodes pédagogiques visant à impliquer les étudiants dans leurs apprentissages, plus ils utilisent une variété de TIC pour enseigner. Un tel constat viendrait alors renforcer une hypothèse selon laquelle l’utilisation des TIC pourrait constituer un vecteur d’innovation pédagogique. Pour vérifier une telle supposition, il conviendrait néanmoins d’examiner plus précisément la façon dont les enseignants font usage des TIC pédagogiquement parlant.
Conclusion
La question des moyens financiers alloués par les instances gouvernementales pour intégrer les TIC à l’université maintient d’actualité la question de l’impact de ces TIC sur l’enseignement et sur l’apprentissage (Lefebvre et Fournier, 2014 : 39). Dans ce cadre, cette recherche avait pour objectif d’apporter un éclairage nouveau sur le type de TIC mobilisé par les enseignants pour enseigner et les facteurs influant sur cette utilisation. Nous avons mené à cet effet une enquête par questionnaires auprès de l’ensemble de la communauté enseignante d’une université française. L’exploitation des résultats réalisée à partir des données fournies par les 248 enseignants de l’échantillon a permis de montrer que les enseignants mobilisaient des TIC de nature plutôt « générique », qualifiée aussi de « classique », que cela soit à l’intérieur ou en dehors des heures de cours, et qu’ils utilisaient davantage de TIC en TD/TP qu’en CM. De même, la représentation que se font les enseignants des TIC, mais surtout leur sentiment de compétence en la matière et les méthodes pédagogiques auxquelles ils ont recours pour enseigner s’avèrent particulièrement explicatifs de l’utilisation des TIC par les enseignants. Ce travail se heurte toutefois à certaines limites. Ainsi, la représentativité des répondants pourrait être largement discutée. Il est en effet probable que les enseignants les plus réfractaires aux technologies n’aient pas complété le questionnaire, notamment du fait de son mode de passation, ce qui laisse penser que même les plus technophiles (nos répondants) ont un usage plutôt modéré des TIC. Il serait en ce sens intéressant de poursuivre l’analyse de l’utilisation des TIC par les enseignants à travers une série d’entretiens pour tenter d’atteindre les enseignants les moins « connectés ». De plus, investiguer au sein d’autres universités permettrait de voir si ces résultats peuvent être confortés, et si l’effet du contexte d’enseignement est susceptible de varier en fonction de la politique de l’établissement en matière de technologies numériques. Une deuxième limite tient au fait que nous nous en tenons à un travail très descriptif qui pourrait sembler a priori trop réducteur, car nous avons considéré les TIC uniquement au sens matériel du terme, sans envisager la manière dont les enseignants se saisissent pédagogiquement parlant des technologies pour enseigner. Si nos résultats permettent d’avoir une vision récente des types de TIC mobilisés par les enseignants, les modèles d’utilisation des TIC mériteraient d’être éclairés également au regard de l’intention pédagogique des enseignants. D’autres facteurs, tels que les attentes des étudiants à l’égard des usages des TIC faits par les enseignants, ainsi que le rôle de la dynamique collective de la composante d’enseignement pourraient également être pris en compte dans l’analyse.
En outre, certaines mesures restent à affiner, comme il en est le cas par exemple pour la formation des enseignants : il se pourrait que la prise en compte d’autres indicateurs, tels que la proximité physique de l’enseignant avec un service de formation au numérique, contribue à une meilleure explication du rôle joué par la formation des enseignants sur leur utilisation des TIC. Il est par ailleurs probable que notre appréhension de certains concepts, comme la conception de l’enseignement mesurée à travers un seul item (interrogeant les enseignants sur leur conception de l’enseignement à travers la question « qu’est-ce qu’enseigner ? »), contribue à expliquer la non-significativité de certains d’entre eux. De même, la construction des différents scores synthétiques présentés offre une vision quelque peu réductrice des choses.
Néanmoins, ces premiers résultats empiriques permettent d’apporter de nouvelles pistes de réflexion quant à la place que tient le numérique à l’université. Malgré des injonctions politiques visant à encourager les enseignants à faire usage du numérique pour rénover les pratiques pédagogiques, des efforts restent à effectuer en la matière. Il ne s’agit pas là d’incriminer les enseignants concernant leur utilisation restreinte des TIC, mais plutôt de comprendre les raisons d’une telle situation en examinant par exemple leur perception des outils numériques, et plus largement de leur métier et de leur formation à ces outils. On pourrait d’ailleurs à ce titre se pencher sur la manière dont ils se forment en ligne, les enseignants disposant d’un éventail croissant de possibilités en la matière. De même, il serait intéressant d’étudier davantage le contexte, notamment en matière de politique incitative à l’égard des TIC de la part des instances universitaires, dont les enseignants dépendent. Cet article soulève également des questions concernant les usages pédagogiques que font les enseignants des TIC. En effet, différents modèles d’intégration des TIC (Raby, 2004 : 345 ; Karsenti, 2013 : 74-75) montrent qu’il ne suffit pas de mobiliser les TIC pour les rendre efficaces, mais qu’il est nécessaire de repenser la scénarisation pédagogique et de s’appuyer sur les TIC pour rendre les apprenants davantage acteurs de leurs apprentissages. Il paraît donc pertinent de se demander si, bien que les TIC mobilisées par les enseignants soient de nature plutôt « générique », celles-ci permettent un réel repositionnement pédagogique. Cet article apporte en outre des pistes de réflexion quant aux solutions à mettre en oeuvre pour développer l’utilisation des TIC par les enseignants, par exemple en renforçant leur sentiment de compétence en la matière.
Appendices
Annexe
Annexe 1. Construction des scores de représentation des TIC et de méthodes pédagogiques
Plusieurs types d’items ont été mobilisés pour construire le score de représentation des TIC, d’abord concernant le score de représentation de l’effet des TIC sur les étudiants : l’emploi de ces outils favorise la motivation des étudiants (1), la réussite (2), et facilite la compréhension du cours par les étudiants (3). Le score de représentation lié aux difficultés d’usage des TIC s’appuie lui aussi sur plusieurs items : l’emploi des outils numériques pour enseigner est inutile/sans intérêt (1), il prend trop de temps en matière de préparation (2), les outils numériques sont trop compliqués à utiliser (3), l’enseignant ne sait pas quels outils numériques utiliser (4), il se sent en décalage avec l’engouement actuel pour les outils numériques (5), il considère que l’emploi de ces outils dissipe l’attention des étudiants (6), il considère que c’est une perte de temps pour le déroulement du cours (7) et que son utilisation est difficile en raison du nombre d’étudiants présents en cours (8).
Pour chacun de ces items, nous avons attribué 0 point en cas de réponse négative et 1 point en cas de réponse positive. De ce fait, concernant le premier score, plus il est élevé, plus il indique que les enseignants ont une représentation positive de l’effet des TIC sur les étudiants. En revanche, plus le deuxième score est élevé, plus il indique que les enseignants ont une représentation négative des TIC.
Nous avons également créé deux scores de méthodes pédagogiques, l’un concernant les méthodes mobilisées en TD/TP et l’autre les méthodes en CM, à l’appui des items suivants, issus des travaux de Bédard et Viau (2001 : 19) : procéder à un exposé magistral du cours (1), interagir avec les étudiants (2), faire travailler les étudiants de façon individuelle sur des exercices (3), faire réaliser des exercices en équipes portant sur les notions étudiées (4), présenter aux étudiants un cas concret à analyser pour choisir des solutions (5), faire rechercher des notions théoriques nécessaires à la compréhension (et à la résolution) d’un problème (6), faire réaliser un projet d’équipe comportant les mêmes étapes que dans la vie professionnelle (7), faire présenter par les étudiants des exposés au reste du groupe (8).
Nous n’avons attribué aucun point lorsque l’enseignant n’utilisait jamais la méthode et un point lorsqu’il la mobilisait. Ce principe de codage a néanmoins été inversé en ce qui concerne le premier item, lié à la présentation magistrale du cours par l’enseignant. Plus ces scores sont élevés, plus ils signifient que les enseignants font usage de méthodes visant à rendre l’étudiant davantage acteur de ses apprentissages.
Notes
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[1]
Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
-
[2]
StraNES : Stratégie nationale de l’enseignement supérieur prévue par la loi de juillet 2013.
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[3]
OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques.
-
[4]
IAE : Institut d’administration des entreprises ; IUT : Institut universitaire de Technologie ; IUVV : Institut universitaire de la vigne et du vin ; ISAT : Institut supérieur de l’automobile et des transports ; ESIREM : École supérieure d’ingénieurs de recherche en matériaux et en informatique ; AGROSUP : Institut supérieur des sciences agronomiques, de l’alimentation et de l’environnement.
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[5]
Conférence « la pédagogie inversée », donnée par Marcel Lebrun le 18 mars 2015, Canopée de Poitiers. <http://web.crdp-poitiers.org/crdp/questions-deducation-la-pedagogie-inversee/>.
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