Abstracts
Résumé
La survie et la croissance des entreprises constituent une problématique majeure sur laquelle la recherche en gestion peut apporter des éclairages fondamentaux. De nombreux travaux de recherche sur la défaillance des entreprises soulignent le rôle du dirigeant dans le processus de défaillance, notamment de sa capacité à concevoir une réflexion stratégique. Dans cet article nous avons interrogé, au cours d’une recherche intervention, seize dirigeants de très petites entreprises (TPE) sur leur réflexion stratégique et leur pilotage de l’entreprise. Cette recherche nous permet de proposer une méthodologie de l’accompagnement du dirigeant de TPE dans la conception d’une réflexion stratégique et d’outils de pilotage appropriés.
Mots-clés:
- Défaillance d’entreprises,
- TPE,
- Survie/Croissance,
- Compétences stratégiques,
- Dysfonctionnements
Abstract
Firms’ survival and growth address a major problem on which management sciences can give some relevant proposal. A lot of researches on firm’s failure stress the role of the company’s owner in the failing process, particularly his lack of strategic skills. In this article we analyzed, through a qualitative research, the way 16 company’s owners of very small companies design their strategic thinking et their administration methods. This research allows us to propose a methodology to train and help leaders of very small companies to design a strategic thinking as well as appropriate management tools.
Keywords:
- Small firm’s failure,
- VSE,
- Growth,
- Strategic competencies,
- Dysfunctions
Resumen
La supervivencia y el crecimiento de las empresas es un problema importante, acerca del cual la investigación en gestión puede ofrecer un esclarecimiento fundamental. Muchos estudios de investigación sobre fracasos de empresas resaltan el papel del gerente en el proceso de falla, incluida la capacidad de concebir una reflexión estratégica. En este artículo entrevistamos a 16 líderes de muy pequeñas empresas para comprender su pensamiento estratégico y su gestión de la misma. Esta investigación nos permite proponer una metodología de apoyo al líder de pequeñas empresas en la concepción de una reflexión estratégica y herramientas apropiadas de control.
Palabras clave:
- Quiebra,
- PyME,
- Desarrollo,
- Competencias estratégicas,
- Errores funcionales
Article body
Introduction
Les défaillances d’entreprise constituent un indicateur alarmant de l’économie française : 62 000 faillites d’entreprise recensées en 2014 par l’INSEE (2016a) avec un impact immédiat sur le taux de chômage. De fait, ces données interpellent le politique. Les pouvoirs publics, las de lutter contre les défaillances des entreprises établies, voient dans l’entrepreneuriat un levier de lutte contre le chômage et de création d’emplois (Les Assises de l’Entrepreneuriat, 2013). Toutefois, sur ce champ aussi, les statistiques ne sont pas bonnes : en 2013, l’Assemblée nationale (2013) fait ressortir un taux d’échec à la création d’entreprise de plus de 33 % les trois premières années de leur existence. Par ailleurs, seulement 4 % des entreprises dépassant le seuil des cinq ans créent des emplois. Ainsi, la survie et la croissance des entreprises constituent une problématique majeure sur laquelle la recherche en gestion peut apporter des éclairages fondamentaux.
Headd et Kirchhoff (2007) estiment que les facteurs externes, notamment la situation du secteur d’activité, n’impactent que peu la dynamique des entreprises, ce que confirme Janssen (2009) qui a montré que la dynamique de l’environnement ne constitue statistiquement pas une variable explicative des défaillances, précisant que ce serait bien plutôt la représentation que les dirigeants se font de leur environnement qui influerait sur la dynamique de succès de leur entreprise. A contrario, il semblerait que la personnalité et les capacités des dirigeants déterminent la survie/croissance d’une entreprise nouvellement créée (Janssen, 2006) ; personnalité, dont Janssen (2006) présente une typologie à partir de 28 caractéristiques groupées en cinq catégories (psychologie, expertise, contexte familial, motivation, démographie et existence d’une équipe dirigeante). De ces catégories, la plus impactante semble, selon l’auteur, relever de l’expertise.
L’effet inverse est aussi vérifié, les faiblesses des dirigeants constituant un facteur déclencheur du processus de défaillance (Crutzen et Van Caillie, 2007). Parmi ces faiblesses, l’absence de réflexion stratégique occupe une place prédominante et représente même la cause majeure de défaillance des très petites entreprises (TPE)[1] (Julien, 2005).
Ces constats nous ont conduits à considérer l’accompagnement des dirigeants de la TPE dans la conception de sa réflexion stratégique. Nous avons cherché à mesurer l’impact d’un accompagnement à la conception de la réflexion stratégique sur la situation de l’entreprise et son potentiel de survie/croissance.
Pour cela, nous avons mené une recherche-intervention auprès de seize dirigeants de TPE afin d’envisager un accompagnement de ces dirigeants dans la conception d’une réflexion stratégique. Cette recherche intervention s’est déroulée dans le cadre d’une recherche doctorale sur trois années.
Cet article synthétise la recherche ; il permet à la fois de mieux comprendre le processus de formalisation d’une réflexion stratégique par le dirigeant et de proposer une modalité particulière d’accompagnement en vue d’une meilleure formalisation. Cet article s’articule en trois parties. Après un cadrage théorique articulant, dans la première partie, défaillance d’entreprise et réflexion stratégique, nous détaillerons dans la seconde partie notre étude qualitative et en présenterons les résultats principaux ; la troisième partie donnera les grandes lignes des modalités d’accompagnement à déployer pour assurer la survie/croissance des TPE.
1. Articuler défaillance d’entreprise et réflexion stratégique
Khelil, Smida et Zouaoui (2012) intègrent la défaillance économique comme l’une des trois dimensions de l’échec entrepreneurial, ses deux autres dimensions étant la disparition de la nouvelle entreprise et la déception de l’entrepreneur. C’est sur la conception économique de la défaillance que nous avons centré notre recherche.
1.1. Appréhender la défaillance d’entreprise
En dépit d’un nombre important de travaux traitant de la défaillance des entreprises, il n’existe pas encore de consensus sur le concept même de défaillance (Koenig, 1985 ; Guilho, 2000). Le récent colloque sur la défaillance d’entreprise[2] a confirmé ce constat, distinguant la notion de défaillance selon des aspects juridiques (faillite, liquidation…) ou économiques (cessation de paiement, impossibilité de payer les salaires…).
Levratto (2012) définit la défaillance comme l’incapacité de l’entreprise à répondre de manière régulière aux exigences formulées par ses divers partenaires. De manière très générale, la défaillance caractérise l’état d’une entreprise qui n’est pas en mesure de faire face à ses obligations vis-à-vis de ses débiteurs.
La défaillance d’entreprise peut alors être comprise d’un point de vue statutaire, financier et s’élargir avec une prise en considération de la destruction des ressources de l’entreprise (matérielles, immatérielles, financières et humaines). À l’instar de Charreaux (1996), nous considérons ainsi la défaillance d’entreprise comme un processus progressif de dégradation des performances et des capacités, pouvant ou non, entraîner l’entreprise vers la défaillance juridique.
Depuis le début du siècle dernier (Fitzpatrick, 1932), de nombreux travaux décortiquant l’estimation du risque de faillite d’une entreprise ont vu le jour (voir le travail de synthèse de Van Caillie, 2006). Trois catégories de recherche peuvent être distinguées : 1) les travaux portant sur la prédiction des faillites à court terme, 2) les travaux abordant les facteurs (causes et symptômes) de la défaillance de l’entreprise et, finalement, 3) les contributions visant à mettre en évidence un ou plusieurs modèles dynamiques qui articulent chronologiquement les différents facteurs de défaillance de l’entreprise (Van Caillie, 2004).
La plupart des travaux recensés par Van Caillie (2006) adoptent une approche quantitative dans une logique prédictive excluant la dimension organisationnelle de l’entreprise ; il s’agit alors d’identifier les causes et les processus conduisant une entreprise à la défaillance.
Pourtant dès 1976, Argenti précisait que, pour comprendre complètement le phénomène de la défaillance et pouvoir le prévenir, il est nécessaire de l’appréhender dans sa globalité socioéconomique avec une approche qualitative et qualimétrique. Argenti (1976) insistait sur l’idée selon laquelle seule une approche qualitative globale, articulant les aspects organisationnels, humains, stratégiques et financiers, peut permettre d’identifier les causes à l’origine de la défaillance.
Depuis, de nombreux travaux ont été menés sur la défaillance d’entreprise avec une approche organisationnelle/qualitative (Argenti, 1976 ; Malecot, 1981 ; Hambrick et D’Aveni, 1988 ; Laitinen, 1991), travaillant sur des études empiriques basées sur des échantillons relativement petits. C’est aussi selon une approche organisationnelle et qualitative que nous avons mené notre recherche-intervention.
1.2. Défaillance d’entreprise et capacités du dirigeant
Si le dirigeant constitue la pierre angulaire des facteurs de survie/croissance d’une TPE, il peut également en devenir un facteur crucial de défaillance.
Crutzen et Van Caillie (2007) ont mené une recherche bibliographique extensive sur les facteurs de défaillance des entreprises qu’ils ont combinée à l’observation empirique de 50 cas d’entreprises en difficulté. Cette recherche les a conduits à considérer deux grandes familles d’entreprises et à élaborer un modèle organisé en quatre grandes étapes chronologiques : 1) l’origine des difficultés, 2) l’apparition et la détérioration des symptômes de défaillance, 3) le passage au rouge des indicateurs et finalement 4) la faillite de l’entreprise.
Leur recherche montre une double origine des difficultés qui renvoie aux deux approches traditionnelles de l’entreprise : l’approche darwiniste et l’approche behavioriste (De Wit et Meyer, 2004) :
l’approche behavioriste considère l’équipe dirigeante comme l’élément moteur expliquant la structure et le fonctionnement du système de gestion de l’entreprise ;
l’approche darwiniste envisage l’entreprise dans un environnement, dont elle subit plus qu’elle n’influence le comportement et l’évolution.
Dans ces deux approches, le comportement des dirigeants reste le facteur principal de défaillance, même dans l’approche darwiniste, c’est bien la capacité des dirigeants à réagir, à proagir, en activant les ressources adéquates qui va déterminer l’adaptation réussie ou non de l’entreprise et par conséquent sa survie.
Les recherches sur les liens entre capacités des dirigeants et défaillances de l’entreprise sont nombreuses, la plupart mettant l’accent sur une capacité particulière comme le montrent bien le recensement des travaux de recherche sur le sujet réalisé par Crutzen et Van Caillie (2007).
Ces travaux montrent une distinction marquée entre, d’une part, les recherches portant sur les capacités techniques telles qu’« expérience technique de l’activité », « compétences en gestion », « capacités de contrôle », et, d’autre part, les recherches portant sur les capacités à organiser la réflexion stratégique telles que « connaissance et compréhension de l’environnement » et « capacités d’adaptation et d’anticipation ».
La grande absente est la capacité visionnaire, à tout le moins la capacité à exprimer une vision, donnant du sens à l’action collective, cette capacité apparaissant pour Mintzberg, Ahlstret, Lampel et Cohen (2009) comme le fondement même de la stratégie de type entrepreneurial, un processus encastré dans une dynamique cognitive en prise avec la situation interne et externe de l’entreprise.
Pour aller plus loin, Crutzen et Van Caillie (2009) ont établi, à partir d’une étude sur 50 TPE « reconnues en difficulté » par le tribunal de commerce, 7 profils d’entrée dans le processus de défaillance que nous avons synthétisés dans le tableau 1 (le nombre pour chaque profil correspond au nombre de TPE sur les 50 analysées).
Dans ce tableau, le facteur « capacités des dirigeants » renvoie en grande partie à la capacité à concevoir la réflexion stratégique, capacité qui se retrouve dans les différents agrégats que sont : la compréhension de l’environnement et de ses évolutions, la capacité d’anticipation et de réactivité, la capacité à mobiliser et gérer les ressources appropriées, la mise en oeuvre d’outils de pilotage budgétaire et financier pertinents.
Dans ce tableau, le facteur « capacités des dirigeants » apparaît bien comme le facteur dominant de l’entrée dans le processus de défaillance des TPE analysées.
1.3. La réflexion stratégique moteur de la survie/croissance de la TPE
Helfer, Kalika et Orsoni (2000) structurent la réflexion stratégique en articulant l’analyse stratégique, permettant d’établir un diagnostic interne (ressources et compétences) et externe (structuration et dynamique de l’environnement), avec la vision permettant de donner un sens à l’action. Plusieurs recherches récentes montrent l’impact de la réflexion stratégique pour des perspectives de l’entreprise de survie/croissance (Dutta, 2015 ; Pisapia, Reyes-Guerra et Coukos-Semmel, 2005 ; Turner et Endres, 2017).
De façon très explicite, lorsque les travaux recensés par Mitchelmore et Rowley (2010) montrent que la survie/croissance d’une TPE dépend des capacités de son dirigeant à comprendre l’environnement, établir un diagnostic, anticiper et réagir aux évolutions en sachant mobiliser des ressources vers ses objectifs, c’est bien à sa capacité à organiser la réflexion stratégique à laquelle il est fait référence.
Cette importance de la réflexion stratégique se retrouve chez Boughattas-Zrig et Bayad (2009) sur trois domaines de capacité du dirigeant de TPE : (1) la capacité à élaborer une vision d’affaires, (2) la capacité à identifier des opportunités et (3) l’habileté à réseauter.
Dans la continuité des travaux de Chetler et Jansen (1992), Man, Lau et Chan (2002) et Man, Lau et Snape (2008) montrent une corrélation entre les capacités des dirigeants à concevoir la réflexion stratégique et la performance de leur entreprise, notamment la capacité à reconnaître une opportunité, la volonté de créer de la valeur. Le modèle de Man, Lau et Snape (2008) identifie la capacité à élaborer une réflexion stratégique comme la capacité à saisir des opportunités, l’engagement dans l’action, mais aussi la capacité à conceptualiser l’action pour créer du sens.
Julien et Marchesnay (1988) dans La Petite Entreprise insistent sur la nécessité d’une stratégie dans les petites entreprises, « on ne saurait trop souligner les ravages causés par le sophisme selon lequel la petite entreprise n’a pas de stratégie (domaine réservé aux grandes entreprises), ou en ferait sans le savoir ». Même si, comme l’a montré Torrès (1999), le processus de décision des TPE fonctionne le plus souvent selon le schéma intuition-décision-action qui rend la stratégie avant tout implicite et souple, la stratégie entrepreneuriale repose sur la vision stratégique du dirigeant et revêt une grande faculté d’inflexion, rendue possible par le fait que les intentions stratégiques émanent d’une seule personne. L’auteur préfère alors parler « d’intuition stratégique » qui émerge d’un ensemble de schèmes structurés formant la « configuration stratégique cognitive de l’entrepreneur » (Rouveure, 2017). Ainsi, les perceptions de l’entrepreneur influencent ses actions dans l’entreprise.
La réflexion stratégique permet de générer une évolution de la pensée cognitive de l’entrepreneur en effectuant des allers-retours entre l’orientation stratégique qu’il envisage et la formulation de ses décisions. La conception d’une réflexion stratégique joue donc un rôle dans l’évolution d’un « ensemble de schèmes cognitifs de l’entrepreneur sur le futur désiré » (Verstraete, 2001) grâce à une analyse et une synthèse de la pensée stratégique (Barton et Haslett, 2007).
Ainsi l’évolution des représentations du dirigeant lui permet de mieux apprécier son agir managérial et stratégique (Filion, 2012) et de réduire les risques liés à l’influence de son identité professionnelle sur son comportement stratégique (Reyes, 2016).
Toutefois cette évolution de ses représentations passe le plus souvent par un processus d’accompagnement du dirigeant.
1.4. Accompagner le dirigeant de TPE dans la conception d’une réflexion stratégique
Concevoir une réflexion stratégique n’est pas nécessairement une capacité naturelle chez le dirigeant de TPE ; cette capacité se développe aussi par le truchement de la formation et de l’accompagnement. Le rapport de l’OCDE sur la formation des dirigeants de PME (2002) montre qu’« il existe une corrélation positive entre le niveau de formation des dirigeants et les performances d’une PME. Il existe des signes avant-coureurs de l’incidence d’une formation formelle des dirigeants sur la réduction du taux d’échec des petites entreprises, qui courent de plus grands risques de faire faillite que les grandes entreprises, surtout au cours des premières années ».
De fait la formation des dirigeants de TPE doit devenir un axe prioritaire d’action des pouvoirs publics soucieux de réduire le nombre de défaillances.
Bien entendu tous les dirigeants ne présentent pas un comportement identique. Marchesnay (2000) a proposé une typologie autour de quatre idéaux types, en fonction de l’intégration du dirigeant au territoire et de son positionnement concurrentiel :
l’isolé est peu intégré à la vie économique et sociale et la compétitivité de son entreprise est faible ;
le notable bénéficie d’une meilleure insertion professionnelle et locale et reste réticent à une ouverture hors de son implantation d’origine ;
le nomade ne cherche pas à s’intégrer au tissu local, il a le souci de valoriser les capitaux qu’il a investis en fonction de l’opportunité qu’il a saisie ;
l’entreprenant tire parti des spécificités du territoire auquel il est attaché, grâce à une stratégie proactive.
Le premier type de dirigeants souffre d’une carence en matière d’analyse stratégique, de culture d’acquisition et de renouvellement de savoirs, son entreprise est complètement dominée par l’environnement. Le second type de dirigeants s’appuie sur le triptyque « PIC » (pérennité, indépendance et croissance), il ne sort jamais de sa zone de confort et manque de vision stratégique. Cette absence de vision stratégique caractérise aussi le type 3, dont le pilotage est essentiellement opportuniste et financier, il souffre d’une sous-capitalisation des savoirs et compétences accumulés au cours des différentes opportunités. Le quatrième type de dirigeants possède une double capacité à gérer le risque et à développer constamment des savoirs propres à son entreprise. Les décisions stratégiques relèvent le plus souvent, d’une démarche organisée et réfléchie dans une perspective de maîtrise des facteurs clés de succès centrés sur la culture d’innovation et de cohérence organisationnelle.
Si le type 2 développe une entreprise pérenne et bien implantée sur son territoire, le type 4 va, à moyen long terme, transformer une PME en ETI.
Cette typologie ne constitue pas une fin en soi, mais elle est éclairante pour mieux comprendre le dirigeant et lui proposer des accompagnements pertinents pour lui permettre de concevoir une réflexion stratégique.
À partir d’une analyse approfondie de la littérature, le tableau 2 propose une correspondance entre la typologie des dirigeants et celle des domaines sur lesquels il semble nécessaire de l’accompagner dans la conception d’une réflexion stratégique.
Les organismes classiques de formation, offrant des sessions traditionnelles et collectives de formation, ne sont pas adaptés aux dirigeants, car ils n’intègrent que rarement ses spécificités socioprofessionnelles, et n’offrent pas cette « pratique pédagogique personnelle complètement clarifiée, organisée, conscientisée, utilisant l’environnement total,dont le dirigeant a besoin » (Le Meur, 1993). De fait, il faut mettre en oeuvre un accompagnement personnalisé.
L’accompagnement entrepreneurial est défini comme « un processus organisé par une tierce partie, s’inscrivant dans la durée et permettant à un (ou des) porteur(s) de projet ou un (ou des) entrepreneur(s) de bénéficier d’une dynamique d’apprentissage (formation, conseil…), d’un accès à des ressources (financières, informationnelles…), d’une mise en réseau, de services (administratifs, hébergement…) et d’une aide à la décision (accompagnement professionnel, mentorat…) » (Labex Entreprendre, 2014).
L’accompagnement est inséré dans un réseau d’acteurs divers et porté par des acteurs institutionnels que l’on peut classer en huit catégories (non exhaustives) : les chambres de commerce et d’industrie (CCI), les chambres des métiers et d’artisanat (CMA), les boutiques de gestion d’entreprise (BGE), les couveuses d’entreprises, les coopératives d’activité et d’emploi (CAE), les pépinières d’entreprises, les technopoles et les incubateurs académiques.
Les réseaux d’entreprises, tels que les groupements de commerçants, le centre des jeunes dirigeants, ou encore les réseaux sectoriels, permettent au dirigeant de partager son savoir-faire, ses connaissances de la filière, de recueillir des informations sur l’environnement, échanger sur ses activités de gestionnaire (Baillette, 2003). En un sens, l’apprentissage par les pairs au sein d’un réseau d’entreprises est le plus facile à mettre en oeuvre, car il reste ancré dans la logique d’apprentissage classique du dirigeant qu’est l’autodidaxie (il apprend par lui-même). Géraudel et Jaouen (2012) ont bien montré l’importance de l’écosystème et des maillages relationnels dans la réussite des petites entreprises. Au sein des réseaux d’entreprises, le accompagnement professionnel ou le parrainage apparaissent comme des modalités d’accompagnement efficaces et appréciées des dirigeants de TPE (Carrier, 1996, 2009 ; Louart, 2002). Cette logique réticulaire, en grande partie explicative de la réussite des petites entreprises allemandes (Bourgeois et Lasserre, 2007), devrait être fortement favorisée et valorisée par les pouvoirs publics, comme l’ont été les pôles de compétitivité, ces derniers demeurant, toutefois, de par leur complexité, peu ouverts aux TPE.
Les organismes consulaires, tels que les chambres de commerce et d’industrie ou chambres des métiers et de l’artisanat, présentent un maillage national dense et leur rôle de conseil auprès des chefs d’entreprise est particulièrement important tant sur les stratégies de développement sur le territoire que sur le déploiement à l’international (Mira Bonnardel, 2015). Grâce à leur panel d’activités de consultation, d’aide aux entreprises (assistance technique, actions de promotion, information, appui à l’international, formalités administratives) et de formation, ils apportent aux dirigeants des TPE un espace d’information, de formation et d’échange propice à l’élaboration d’une réflexion stratégique. L’accompagnement qu’ils proposent aux dirigeants passe notamment par des cycles de conférences, des séminaires thématiques et des écoles de formation, afin de se former au métier de chef d’entreprise. Leur action devrait toutefois être davantage promue et ciblée vers les besoins des dirigeants de TPE, peu naturellement enclins à les consulter.
Les boutiques de gestion d’entreprise apportent un accompagnement qui permet aux porteurs de projets de tester leur projet de création. Créée en 1979, cette catégorie d’accompagnement a permis en 2012 la création de 16 100 emplois, l’une de ses finalités est de proposer au porteur de projet la création de son propre emploi (Labex Entreprendre, 2014).
Ces acteurs réalisent un travail important qui semble pourtant ne pas porter ses fruits au regard du nombre considérable de défaillances d’entreprise dans leurs trois premières années d’existence. Il faut donc repenser les modalités de l’accompagnement des dirigeants de TPE pour les accompagner dans la conception d’une réflexion stratégique propre à donner du sens à leur action. C’est l’objectif de notre recherche.
Ainsi, ce rapide cadrage théorique montre que les travaux de recherche sur les facteurs de survie/croissance des entreprises convergent, non seulement, pour désigner le dirigeant comme pivot, mais aussi, plus spécifiquement, pour pointer l’insuffisance de réflexion stratégique comme l’un des facteurs déterminants de défaillance.
Toutefois, le lien entre la faiblesse de la réflexion stratégique et la défaillance sont le plus souvent analysés post-mortem, ce qui réduit considérablement l’efficacité des processus d’accompagnement des dirigeants, dont la mise en oeuvre ne permet pas d’anticipation de la défaillance.
L’objet de notre travail est double : nous voulons d’une part mettre en valeur des indicateurs permettant d’alerter sur les risques de défaillance, et, d’autre part, proposer une nouvelle approche de l’accompagnement combinant les besoins de personnalisation et de socialisation du dirigeant de la TPE.
Notre programme de recherche doctorale nous a ainsi amenés à conduire une recherche-intervention au sein de seize TPE au cours de laquelle nous avons repéré les dysfonctionnements propres à chaque entreprise puis une analyse des liens entre ces dysfonctionnements et les modalités de conception d’une réflexion stratégique par leurs dirigeants a été effectuée. Les principaux résultats de cette analyse sont présentés dans la partie suivante.
2. Dirigeants de TPE et réflexion stratégique – Analyse de seize cas
Dans cette seconde partie, nous exposerons tout d’abord la méthodologie et le champ de recherche avant de présenter nos résultats.
2.1. Méthodologie et champ de recherche
Cette étude de cas est extraite d’une recherche qualitative inscrite dans le cadre plus large d’une recherche-intervention doctorale visant à réduire les risques de défaillance de la petite entreprise par le repérage et l’analyse de ses dysfonctionnements et la mise en oeuvre d’une méthodologie d’accompagnement de son dirigeant permettant de diminuer ces dysfonctionnements et par la même le risque de défaillance. Nous avons choisi une approche qualitative, car elle nous permet d’analyser un phénomène complexe en profondeur (Miles et Huberman, 1984). Nous avons aussi choisi une recherche-intervention instaurant sur la durée une relation de confiance entre le chercheur et le dirigeant qui permette d’obtenir des informations précises et moins filtrées. Nous nous reposons dans cette recherche sur un raisonnement scientifique déductif consistant à développer une hypothèse puis à collecter des données permettant de la questionner (Savall et Zardet, 2004).
La méthode de recherche repose sur deux séries d’entretiens semi-directifs réalisés auprès de seize dirigeants de TPE. Le guide d’entretien ne fait pas l’objet d’une normalisation stricte cependant, nous avons respecté certains axes recommandés pour ce type d’approche et qui permettent de structurer l’entretien : une introduction, le centrage du sujet, l’approfondissement et la conclusion (Gavard-Perret et al., 2012).
Les thématiques sur lesquelles nous nous sommes appuyés reposent sur les six catégories de la performance sociale (Savall et Zardet, 1987, 2010) qui nous permettent d’appréhender une vision systémique de l’entreprise sur son environnement interne et externe : conditions de travail, organisation du travail, communication-coordination-concertation, gestion du temps, formation intégrée et mise en oeuvre stratégique. Dans cet article, nous nous concentrons sur l’analyse de la dernière dimension, « mise en oeuvre stratégique ». La durée des entretiens varie de 1 heure à 2 h 20 avec une moyenne de 1 h 50.
Notre recherche s’intéresse aux TPE nouvellement créées. Leurs dirigeants en sont les fondateurs, totalement ou partiellement propriétaires (moyenne de plus de 75 % des parts détenues au capital), ayant le statut de gérant.
Les entreprises ont été créées depuis deux ou quatre ans par un à quatre associés ; elles comptent un effectif compris entre zéro et quatre salariés. Les données économiques seront présentées dans nos résultats, il convient de préciser que le chiffre d’affaires de ces seize entreprises varie de 67 000 € à 680 000 € avec une moyenne de 232 000 € pour l’ensemble de l’échantillon[3]. Ces entreprises ne sont pas à proprement parler en défaillance, elles font preuve toutefois de plusieurs dysfonctionnements et connaissent des difficultés et/ou une diminution de leur chiffre d’affaires que l’on ne peut pas imputer à la dégradation de leur secteur d’activité. Cette situation nous permet de penser que notre analyse se situe ante-défaillance.
Nous avons choisi de questionner des dirigeants d’entreprise en activité plutôt que des dirigeants en situation post-défaillance de leur entreprise. En effet, interroger un dirigeant post-défaillance se heurte indiscutablement au filtre de la rationalisation a posteriori des actions, des choix et des chaînes causales. Nous avons donc jugé préférable de limiter ce filtre en interrogeant des dirigeants, dont l’entreprise n’a jamais connu de forte croissance et dont les différents indicateurs financiers et commerciaux permettent de penser à une défaillance possible, voire probable dans le court terme.
MacMillan (1975) présente une confusion possible entre l’entreprise et l’entrepreneur, particulièrement pertinente dans les TPE : « In small businesses the owner is the business ». Cette confusion s’accentue en outre davantage dès lors que l’entrepreneur est propriétaire de son entreprise, partiellement ou entièrement : ce dernier engage son investissement pour chacune de ses décisions stratégiques. Ainsi, nous devons nous intéresser aux caractéristiques de cet acteur clé de notre recherche telles que son âge, son sexe et son niveau d’études.
Nous n’avons pas réalisé de restriction particulière concernant les données personnelles du dirigeant, mais notre échantillon se rapproche des statistiques nationales[4] : l’âge varie de 31 à 61 ans avec une moyenne de 40 ans et la représentation femme/homme est de 31 % pour les femmes. Nous pouvons ainsi considérer notre échantillon comme représentatif sur les critères d’âge et de répartition homme/femme des entrepreneurs. Le niveau d’études des dirigeants de notre échantillon est en moyenne plus élevé de celui décrit par l’INSEE (2016b).
Dans cette recherche, nous avons pris en considération deux indicateurs de santé opérationnelle : le taux de marge opérationnelle et l’indicateur CHVACV (contribution horaire à la valeur ajoutée sur coûts variables).
La CHVACV permet de mesurer la valeur économique générée par une heure de travail dans l’entreprise. Véritable indicateur de survie-développement de l’entreprise, il s’obtient en divisant la valeur ajoutée sur coûts variables par le nombre d’heures annuelles réalisées par l’ensemble du personnel de l’entreprise (Savall et Zardet, 2009). Il présente l’avantage d’intégrer plusieurs facteurs, tels que l’évolution de la productivité de l’entreprise, se plaçant ainsi comme un outil d’analyse de la situation stratégique de l’entreprise et d’aide à la prise de décisions stratégiques et opérationnelles.
Savall et Zardet (2009) ont démontré sur la base d’un échantillon de 1 200 entreprises et une évaluation réalisée sur plusieurs années que la CHVACV constitue bien un indicateur de capacité de survie-développement variant entre 26 € et 53 € ; en deçà de 26 €, il peut donner un signal d’alerte de risque de défaillance. Notre échantillon se situe dans une fourchette plus basse, entre 4 € et 50 €, avec une moyenne de 18 € sur les seize entreprises. Cet indicateur nous permet de constater la situation précaire de notre échantillon de recherche.
En questionnant les dirigeants sur leurs modes opératoires dans le management de leur entreprise, nous pouvons caractériser les modalités de conception de la réflexion stratégique chez les dirigeants de notre échantillon et analyser leurs impacts sur les deux indicateurs de défaillance de l’entreprise que nous avons sélectionnés.
2.2. Analyse des entretiens
Dans cette partie, l’analyse des résultats nous permet de montrer une faiblesse de la réflexion stratégique de notre échantillon puis d’analyser les impacts de cette faiblesse sur les deux indicateurs économiques que nous mobilisons. Enfin nous détaillerons plus spécifiquement un des résultats de notre analyse : le risque de sous-développement de l’entreprise suite à une focalisation de l’entrepreneur sur le court terme.
2.2.1. Une faiblesse généralisée de la réflexion stratégique
Notre repérage des dysfonctionnements au sein des entreprises de notre échantillon est distingué sur les trois thématiques de la réflexion stratégique qui sont articulées dans les travaux en management stratégique, dont nous avons présenté les fondamentaux en partie 1 : (a) analyse de l’environnement, (b) diagnostic des ressources financières, (c) identification d’opportunités. En appui sur le cadre théorique développé en partie 1, nous considérons que les dirigeants n’exprimant pas d’intérêt pour une de ces thématiques auront des difficultés à concevoir leur réflexion stratégique.
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Analyse de l’environnement : sept dirigeants sur les seize manifestent une absence d’analyse de leur environnement, parmi lesquels cinq estiment n’analyser aucune donnée sur leur secteur d’activité et ses tendances et quatre n’analysent pas leurs principaux concurrents.
L’absence d’analyse des principaux concurrents génère par exemple une absence de réflexion sur la tarification de l’entreprise en comparaison à la concurrence et peut se traduire par une tarification trop faible pour l’entreprise : trois dirigeants expliquent être dans cette situation et considèrent qu’ils auraient dû augmenter leur prix pour l’année en cours. Nous observons une incidence économique directe pour ces entreprises.
Par exemple l’absence d’analyse du secteur d’activité et de ses tendances entraîne une mauvaise connaissance du marché des fournisseurs qui peut se traduire par un surcoût pour l’entreprise : « je pourrais récupérer plusieurs centaines d’euros, le gain pourrait être de 2 000 € par an, mais pour ça il faudrait que je fasse l’analyse deux/trois jours par an, mais je ne le fais pas ».
Par ailleurs, les neuf dirigeants réalisant une analyse de leur environnement ancrent leurs actions sur une représentation non formalisée de leur environnement sur laquelle ils n’ont pas ou très peu d’échanges avec leur personnel.
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Analyse financière et budgétaire : seulement neuf dirigeants sur les seize utilisent des documents financiers et budgétaires qui leur permettent de connaître leur marge sur les produits et services vendus. Les sept autres dirigeants n’ont aucune idée des marges générées et font confiance à leur expert-comptable pour les alerter en cas de difficulté. Ces dirigeants n’ont aucune connaissance en finance, au point de confondre compte de résultat et bilan : « je n’ai que mon bilan dans lequel je vois très rapidement où sont les gros coûts ».
Les neuf dirigeants qui mobilisent des outils d’analyse financière ont, a contrario, tendance à en surévaluer le caractère important : « Sans document financier, ça ne peut pas fonctionner, parce que c’est ça la vie d’une entreprise. Aujourd’hui un comptable remet le bilan à un artisan trois mois après, pour peu qu’il ait fait une mauvaise année… Il a son bilan fin avril pour l’année d’avant, c’est trop tard, surtout s’il n’a aucun tableau de bord. Ça, c’est sûr et certain ».
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Saisie d’opportunités : neuf dirigeants sur les seize ont exprimé leur incapacité à saisir une opportunité lorsqu’elle se présente, avec une prise de conscience a posteriori des répercussions économiques pour leur entreprise notamment sur la réduction du chiffre d’affaires.
Parmi ces neuf dirigeants, sept avouent ne pas avoir exploité d’opportunités qui auraient augmenté le chiffre d’affaires de leur entreprise. Un dirigeant admet même ne pas avoir vendu des produits demandés par un client.
Une des raisons explicatives mise en avant par deux dirigeants est d’ordre stratégique (absence de réflexion et d’analyse sur l’exploitation de l’opportunité), mais les raisons évoquées pour ces refus de saisie d’opportunités sont aussi d’ordre éthique (deux dirigeants concernés), d’ordre commercial (refus de négociation : un dirigeant concerné), ou encore purement personnel comme le refus de faire évoluer l’entreprise (deux entrepreneurs concernés).
Le peu d’ouverture sur de nouvelles opportunités est lié aussi à l’absence de réflexion sur les opportunités ou menaces émanant de l’environnement évoquée au point a). Le refus de saisie d’opportunités est expliqué par des variables personnelles (refus de développement, âge de l’entrepreneur, situation familiale…) qui relie la dimension stratégique à la vie personnelle du dirigeant.
Nous observons que la réflexion portant sur les opportunités est dépendante de la gestion du temps du dirigeant et des priorités relatives à l’activité de son entreprise ; même si nous ne l’avons ni quantifié, ni qualifié, nous sentons une dépendance forte entre la mise en oeuvre d’une réflexion stratégique et l’organisation du travail ou la gestion du temps au sein de l’entreprise.
Généralement, les dirigeants des TPE de notre échantillon sont conscients de la faiblesse de leur aptitude à développer leur entreprise : onze dirigeants sur les seize interviewés reconnaissent cette faiblesse ; l’intégralité des entrepreneurs interviewés a montré un intérêt au développement d’une capacité de réflexion stratégique.
2.2.2. Quels impacts sur les indicateurs de l’entreprise ?
L’analyse détaillée des trois thématiques abordées avec les dirigeants renforce ce constat général d’atrophie de la réflexion stratégique. La question se pose alors d’en identifier les impacts sur les résultats de l’entreprise et son développement à moyen/long terme. Nous avons analysé s’il est possible de relier les lacunes en matière de réflexion stratégique et les résultats de l’entreprise, principalement le taux de marge et l’indicateur CHVACV (contribution horaire à la valeur ajoutée sur coûts variables). Le tableau 3 synthétise ces relations.
Les questions « Analyse de l’environnement » et « Saisie d’opportunités » ne présentent pas d’influence sur la performance économique de l’entreprise. Nous pouvons l’expliquer par la dimension temporelle propre à ces thématiques : les retombées économiques d’une analyse de l’environnement et d’une saisie d’opportunité ont peu d’impact sur la survie de l’entreprise, à court terme. En revanche, développer une capacité à investiguer ces deux thématiques pourrait favoriser le développement à moyen et long terme.
La question de « Analyse financière et budgétaire » apparaît en relation avec les résultats financiers : les dirigeants mobilisant des outils financiers et budgétaires s’intéressent particulièrement à la marge qu’ils dégagent en se fixant notamment une marge minimum tandis que les dirigeants ne mobilisant pas d’outil financier n’ont pas connaissance de leur marge réelle et fixent leur prix de vente en se basant sur la concurrence sans pour autant analyser leurs coûts réels. La thématique « Analyse financière et budgétaire » peut donc favoriser la survie de l’entreprise à court terme.
2.3. La focalisation sur le court terme et l’opérationnel : frein majeur au développement
Lorsque nous interrogeons les dirigeants sur les orientations qu’ils envisagent pour leur entreprise, nous pouvons établir deux constats : (1) leur discours est marqué par l’absence de vision, (2) il y a une césure entre les perspectives évoquées à moyen et long terme et les actions réalisées à court terme.
En effet, les choix managériaux effectués apparaissent fortement influencés par les compétences de chacun. Par exemple, ce dirigeant, disposant d’une forte expérience en finance, ne met en place que des outils d’analyse financière qu’il considère comme primordiaux. Cet autre dirigeant, avec une longue expérience dans le secteur d’activité de son entreprise, oriente toutes ses prestations sur ce même secteur, quelle qu’en soit la situation économique ou concurrentielle. Cet autre encore, disposant d’une forte expérience en management des équipes va consacrer tout son temps à la gestion du personnel.
En contrepartie, ces dirigeants négligent d’autres aspects de gestion et, s’ils sont conscients de la nécessité de faire évoluer le métier de leur entreprise, ils semblent totalement démunis devant le choix, la décision ou la mise en oeuvre du changement. L’absence d’analyse, d’ouverture, de prise de recul, de questionnement, de diagnostic interne et externe, soit tous les éléments d’une réflexion stratégique, se traduit par une atrophie de la variété des activités qu’il doit réaliser au détriment de celles qu’il maîtrise depuis la création.
Cette absence de réflexion stratégique associée à l’absence d’une vision, induit clairement des incohérences dans le management de l’entreprise : nous pouvons illustrer ce constat avec ce dirigeant qui a évoqué un refus de développement de son activité en début d’entretien et qui a fait ressortir le souhait d’une diversification de son activité en fin d’entretien.
Les dirigeants expriment avant tout des préoccupations de court terme : « la stratégie c’est d’abord d’essayer d’améliorer un peu ce qu’on a, de se payer mieux » ou encore « il n’y a pas vraiment de stratégie si ce n’est de faire en sorte que l’entreprise vive, faire en sorte que, si on a des salariés, on puisse les payer et de mieux en mieux ».
L’atrophie du pilotage de l’entreprise et l’incohérence dans la stratégie de l’entreprise engendrent une désorganisation ainsi qu’une focalisation du dirigeant sur une de ses priorités majeures, la gestion de la production du produit/service. Ces deux conséquences poussent le dirigeant dans une dynamique à court terme qui freine le développement de l’entreprise, mettant même en cause sa survie. Tous en conviennent, tous ont envie de progresser et tous se déclarent prêts à être accompagnés dans la mise en oeuvre d’une réflexion stratégique.
3. Réduire le risque de défaillance des TPE : accompagner le dirigeant dans la conception de sa réflexion stratégique
Notre analyse exploratoire menée auprès de seize dirigeants de TPE, dont les indicateurs de santé opérationnelle se présentent comme faibles peu d’années après la création de l’activité, montre à quel point ces dirigeants sont peu aguerris à la réflexion stratégique et au pilotage financier. En absence de toute réflexion stratégique, les dirigeants en sont réduits à un pilotage à vue court-termiste.
3.1. De la faiblesse de la réflexion stratégique à la défaillance de l’entreprise
L’absence de réflexion stratégique conduit à l’atrophie du pilotage qui s’articule principalement autour des compétences des dirigeants réduisant par ailleurs sa vision sur son entreprise. Or les compétences des dirigeants sont le plus souvent spécialisées, en lien avec leur formation ou leur expérience professionnelle ante-création. De fait, le pilotage se focalise sur le champ de compétences du dirigeant, comme cela apparaît nettement dans notre échantillon ; cette focalisation entraîne alors une atrophie du système de pilotage, qui ne permet pas de structurer une réflexion stratégique globale, renforçant encore la prégnance du court terme et de l’opérationnel et la myopie vis-à-vis des opportunités à saisir. La suite logique de ce cheminement conduit non seulement l’entreprise à une situation difficile, mais menace la survie même de l’organisation.
Il convient d’ajouter que la faiblesse de la réflexion stratégique du dirigeant est elle-même dépendante des capacités de l’entrepreneur sur cette dimension. Une formation à la réflexion stratégique apporterait une sensibilisation au dirigeant.
Nous avons illustré cette trajectoire de la faiblesse de la réflexion stratégique face au risque de défaillance par la figure 1 qui montre les points de bifurcation.
La difficulté pour le dirigeant réside dans la transversalité de la stratégie qui appelle une réflexion sur l’intégration d’un ensemble de données externes et internes. Le développement d’une vision systémique de l’entreprise permet d’élargir et de structurer le pilotage de l’entreprise par son dirigeant. Pour ce faire, casser ce cheminement vers la défaillance et le détourner vers la croissance ne peut se faire que par la mise en oeuvre d’un accompagnement des dirigeants de TPE orienté vers la réflexion stratégique pour donner du sens à la décision et à l’action.
3.2. Accompagner les dirigeants pour une prise de conscience des risques de défaillance
La figure 1 précédente explicite l’impact de la faiblesse de la réflexion stratégique sur l’augmentation du risque de défaillance par une atrophie du pilotage de l’activité du dirigeant. Notre analyse montre que les catégories « Analyse de l’environnement » et « Saisie d’opportunités » n’ont pas d’impact direct sur les indicateurs de santé opérationnelle que sont le taux de marge opérationnelle et la CHVACV : ces facteurs peuvent impacter la performance économique de l’entreprise seulement à moyen et long terme. La difficulté réside dans la nécessité de prise de conscience du dirigeant de cette relation complexe entre une activité à valeur ajoutée indirecte ayant des répercussions économiques difficilement visibles à court terme.
À partir de notre analyse, nous considérons la nécessité de redimensionner les formations et l’accompagnement proposés aux dirigeants dans la perspective d’améliorer leur capacité à concevoir une réflexion stratégique.
Pour ce faire et pour créer une réelle dynamique de changement chez le dirigeant de TPE, nous avons traduit les dysfonctionnements repérés dans ces entreprises en valeur économique au sein d’une approche complète permettant de concrétiser les liens cachés entre coûts et performances.
L’accompagnement s’inscrit alors dans un cadre en trois étapes tel que présenté dans la figure 2.
Cette méthode d’accompagnement impulse une conduite du changement d’autant plus acceptée que les dirigeants découvrent, notamment lors de l’étape 2, les marges de manoeuvre, dont ils disposent pour introduire une meilleure structuration du pilotage de l’entreprise.
Lors de ces trois étapes de l’accompagnement, nous avons constaté une réduction progressive, mais majeure, de la résistance au changement des dirigeants. En plaçant le chercheur en sciences de gestion au coeur du phénomène entrepreneurial, la méthode proposée le propulse comme un acteur clé pour l’amélioration de la performance économique des entreprises de ce champ.
3.3. Présentation de notre proposition d’accompagnement en trois étapes
Notre proposition d’accompagnement repose sur trois étapes complémentaires et non substituables au fil desquelles se crée la confiance nécessaire à l’acceptation du changement.
3.3.1. Étape 1. Repérage des dysfonctionnements induits par la faiblesse de la réflexion stratégique
La première étape consiste à réaliser deux séries d’entretiens permettant premièrement de repérer les dysfonctionnements puis de traduire ces derniers en valeur économique. Cette étape se révèle cruciale tant pour la construction du diagnostic socioéconomique par l’intervenant-chercheur pour la présentation de l’effet miroir (Étape 2) que pour le développement d’une prise de conscience de l’entrepreneur sur les dysfonctionnements qu’il induit. La réalisation des deux premiers entretiens a pour objectif de générer cette prise de conscience en élargissant la vision de l’entrepreneur à une dimension systémique de son entreprise. Cette étape impacte les processus cognitifs de l’entrepreneur en agissant sur la réflexion stratégique et permet de générer un processus de « fabrication de sens », transformant les informations et connaissances en décisions et actions. Ainsi, l’entrepreneur prend conscience de ses erreurs, des activités qu’il ne réalise pas au sein de son entreprise et peut concevoir de les intégrer dans son métier de dirigeant.
3.3.2. Étape 2. L’effet miroir
Lors de la deuxième étape, l’accompagnateur (intervenant-chercheur) présente une retranscription de l’analyse socioéconomique à l’ensemble des dirigeants interviewés sous la forme d’un effet miroir. Cet effet miroir constitue un levier important pour la modification du comportement des dirigeants et leur permet de prendre conscience de cette « atrophie » du pilotage de leur activité. Dans l’échange avec ses pairs sur le diagnostic socioéconomique interorganisation, le dirigeant ouvre son champ perceptif, reconnaissant ses propres biais chez ses pairs. Cette étape est fondamentale pour opérer la transformation cognitive et ainsi favoriser une réelle dynamique de changement chez chaque dirigeant présent à cet échange.
3.3.3. Étape 3. Conception de la réflexion stratégique
Enfin, la troisième étape s’articule sur la conception d’une réflexion stratégique avec l’apport d’outils et de méthodes pouvant être mobilisés dans l’objectif de consolider l’entreprise et projeter avec les dirigeants des possibilités stratégiques en adéquation avec leur vision et le potentiel de ressources de l’entreprise. Nous proposons alors un appui méthodologique simple basé sur le classique modèle LCAG de Harvard articulant le diagnostic externe (basé sur l’analyse des opportunités et menaces de l’environnement) et interne (basé sur l’analyse des forces et faiblesses de l’entreprise) avec la vision du dirigeant. Cette analyse pose la base de conception de la réflexion stratégique en questionnant l’approche intuitive du dirigeant.
Pour aller plus loin, nous proposons ensuite la réflexion autour d’un « plan d’actions stratégique interne externe » (PASINTEX) et d’un « plan d’actions prioritaires » (PAP). Le PASINTEX permet de construire une « image » de la situation de l’entreprise à moyen long terme tandis que le PAP cible l’ensemble des objectifs sur le semestre. Ces deux outils, interconnectés, apportent à l’entrepreneur une stimulation dès lors que les objectifs fixés se traduisent en actions concrètes à réaliser au sein de l’entreprise.
Ces trois étapes consolidées édifient une première instauration de la dynamique du changement chez le dirigeant vers la conception d’une réflexion stratégique à même de donner du sens à l’action.
4. Les apports de la recherche
La recherche présentée dans cet article vise à contribuer à une meilleure connaissance de la défaillance des TPE. Sa contribution peut être synthétisée sur deux plans : le plan théorique et le plan managérial.
4.1. Sur le plan théorique
Nous avons montré, sur une recherche qualitative, qu’il y a bien articulation entre la défaillance de la PME – que nous avons pris au sens économique (Charreaux, 1996 ; Khelil, Smida et Zouaoui, 2012) – et la réflexion stratégique ou plutôt l’absence de la réflexion stratégique.
Les seize entreprises de notre recherche relèvent toutes le profil 2 dans la classification de Crutzen et Van Caillie (Tableau 2) : des entreprises avec des performances médiocres depuis leur création. Ce profil est majoritaire dans la classification des auteurs, il est caractéristique des entreprises, dont le dirigeant ne possède ni « intuition stratégique » (Torrès, 1999), ni outils de gestion appropriés.
Notre recherche nous amène à confirmer l’origine du processus de défaillance en lien avec les capacités du dirigeant, mais en combinant les deux approches behavioriste et darwiniste : si le dirigeant est bien l’élément central de l’origine de la défaillance, c’est surtout sa relation à son environnement ancrée dans une myopie volontaire qui constitue le maillon faible de la survie de l’entreprise. Parce qu’il ne propose pas de réaction face aux évolutions opportunes ou menaçantes de son environnement, sa configuration stratégique cognitive s’atrophie, sa capacité d’action se réduit, affaiblissant à peau de chagrin son « intuition stratégique » et mettant en danger la survie à long terme de son entreprise.
Lorsque par ailleurs leurs regards sur l’extérieur leur permettent de capter une opportunité, la majorité des dirigeants de notre échantillon avoue leur incapacité à la saisir pour la transformer en création de valeurs ; confirmant la faiblesse voire l’absence de réflexion stratégique (Man, Lau et Chan, 2002).
Nous avons pu constater que cette déficience de l’analyse externe est d’autant plus dangereuse qu’elle n’impacte pas nécessairement les indicateurs de gestion (chiffre d’affaires, taux de marge, contribution) ; ses effets n’étant pas visibles sur le court terme, ils ne déclenchent pas d’action corrective et sont d’autant plus pernicieux sur la survie/croissance à moyen ou long terme.
Plus grave probablement, la relation de plusieurs dirigeants à leur propre entreprise reste ambiguë et marquée par des processus décisionnels, dont les fondations semblent peu solides, car non étayées par des outils de gestion.
En effet, gérer les ressources, optimiser l’organisation et la gestion du temps, diagnostiquer les problèmes semble étranger aux pratiques de la majorité des dirigeants de notre échantillon.
Comme l’ont montré les travaux recensés par Crutzen et Van Caillie (Tableau 1), les compétences en gestion et capacités de contrôle constituent aussi des éléments discriminants des potentialités de survie/croissance des entreprises, a contrario leur sous-développement est en cause dans le processus de défaillance. Avec l’analyse des indicateurs opérationnels des entreprises de notre échantillon, nous avons pu confirmer l’impact de l’absence d’outils de gestion sur la santé financière des entreprises concernées.
À partir de là, notre recherche apporte une contribution intéressante en éclairant le processus de prise de conscience des dirigeants sur leurs dysfonctionnements. En effet, les travaux de recherche sur la défaillance étudient généralement les entreprises en situation post- défaillance. Nous avons travaillé avec des dirigeants, dont les entreprises sont en difficulté, pour lesquels la probabilité de se situer en situation ante-défaillance est forte. Nous avons donc pu mettre en oeuvre un processus de prise de conscience et montrer que la concrétisation des conséquences des dysfonctionnements sur un indicateur financier simple et étalonnable provoque un choc salutaire chez le dirigeant. Ce processus de prise de conscience, à notre avis insuffisamment étudié dans les travaux antérieurs, constitue pourtant la clé d’acceptation du dirigeant d’un accompagnement lui permettant un développement de ses compétences et in fine une diminution du risque de défaillance de son entreprise.
4.2. Sur le plan managérial
Le second apport de notre recherche réside dans la proposition d’accompagnement novatrice dans le sens où elle combine réflexion sur le sens de l’action, apprentissage par l’échange avec le collectif de pairs et autodidaxie, car il est important d’articuler plusieurs approches afin de repenser l’apprentissage entrepreneurial et de favoriser la réflexivité du dirigeant (Sammut, 2005) :
la réflexion sur le sens de l’action est réalisée dans l’interaction avec le chercheur qui écoute, analyse et identifie les dysfonctionnements et les retranscrit en coûts et performances selon l’approche coûts-performances cachés de la théorie socioéconomique (Savall et Zardet, 2005) ; cette première étape permet une première prise de conscience, premier déblocage cognitif, nécessaire à la volonté de changement ;
l’apprentissage par l’échange s’effectue dans l’étape « effet miroir » dans un groupe de pairs, c’est-à-dire composé d’autres dirigeants de TPE. Le collectif permet de renforcer le premier déblocage cognitif et d’aller plus loin dans l’apprentissage porté par la dynamique de groupe (Fabbri et Charue-Duboc, 2013 ; Messeghem, Sammut, Chabaud, Carrier et Thurik, 2013) et la transformation des processus cognitifs, libérant, au moins partiellement, le dirigeant de son cadrage mental et lui donnant l’envie nécessaire pour aller plus loin dans l’apprentissage ;
l’autodidaxie, mode d’apprentissage par l’action privilégié des dirigeants, peut ensuite reprendre cours sur une formule régénérée, car le dirigeant a modifié ses perceptions, ses structures mentales ont évolué générant une modification de ses attitudes et comportements que nous avons pu constater chez les dirigeants, dont un quart de notre échantillon est demandeur d’une poursuite du travail avec nous.
Au-delà du simple déblocage de la perception des dirigeants, nous avons constaté une nouvelle expression confirmée de leur volonté de changement face aux dysfonctionnements. Notons que cette volonté de changement était inexistante au démarrage de notre travail avec eux. Les principaux effets sont concrétisés par le souhait de mettre en place des outils de gestion, l’organisation des ressources et du temps apparaissant comme une véritable résolution pour tous les dirigeants du groupe.
L’originalité de notre accompagnement tient à notre approche combinatoire. Contrairement aux modalités d’accompagnement généralement mises en oeuvre de manière uniforme (1.4.), nous abordons l’accompagnement du dirigeant de TPE sur trois phases avec trois modalités distinctives, progressives et appuyées sur un ensemble d’informations d’origines qualitative, quantitative et financière.
La première étape se révèle comme une véritable maïeutique où l’entrepreneur découvre, tout au long de l’entretien, des dysfonctionnements propres à son entreprise, qu’il n’avait pas perçus auparavant. Ces dysfonctionnements sont traduits en données quantitatives telles que des fréquences, des volumes horaires et en valeurs financières par la méthodologie des coûts-performances cachés ; cette traduction déclenche la prise de conscience.
La seconde étape s’ancre dans une logique réticulaire d’apprentissage par le collectif permettant le renforcement de la prise de conscience de chaque dirigeant sur les potentialités de défaillance de son entreprise et de la nécessité d’introduire des changements dans son pilotage, voire d’accroître son champ de compétences.
La troisième étape accompagne le dirigeant dans la mise en oeuvre d’outils de gestion adaptés à son activité et consolide la transformation de ses processus cognitifs en l’amenant à travailler la conception de sa réflexion stratégique.
Notre proposition d’accompagnement s’adapte à tous les types de dirigeants de la typologie proposée par Marchesnay (2000). L’isolé se retrouvera intégré dans un réseau de dirigeants à partir duquel il pourra se socialiser, modifier la perception de son action et s’inspirer. Le notable pourra lever les freins cognitifs et penser un élargissement de son périmètre hors de son implantation d’origine. Le nomade, confronté à des pairs locaux, pourra recalibrer les opportunités locales. L’entreprenant pourra questionner la solidité de ses bases.
La force de notre proposition d’accompagnement managérial du dirigeant réside dans sa capacité à faire évoluer les filtres cognitifs qui brident, réduisent et rigidifient les potentialités du dirigeant à agir efficacement, ces dernières étant principalement déterminées par « la capacité du dirigeant à concevoir et à percevoir l’interconnexion existant tant entre l’interne et l’externe de son organisation qu’entre les ressources, dont il dispose et les activités qu’il propose » (Sammut, 2003).
Conclusion
Les nombreux travaux de recherche menés sur les défaillances d’entreprise pointent le dirigeant et ses capacités à organiser sa réflexion stratégique comme facteur de risque majeur d’enclenchement du processus vers la défaillance de son entreprise. Au cours d’une recherche-intervention menée auprès de seize TPE de la région Auvergne-Rhône-Alpes, nous avons cherché à déterminer comment l’absence de réflexion stratégique peut expliquer la trajectoire de l’entreprise vers la défaillance. Cette analyse nous a permis de tester un cadre méthodologique de l’accompagnement du dirigeant de la TPE dans l’élaboration d’une réflexion stratégique et d’outils de pilotage pertinents pour son activité.
Une recherche parallèle réalisée actuellement avec dix structures d’accompagnement, qui s’inscrivent parmi les huit catégories d’acteurs de l’accompagnement présentées dans notre partie 1, nous permet de confirmer que notre proposition d’accompagnement en trois étapes est tout à fait mobilisable par ces structures. Notre proposition apporte ainsi un enrichissement aux méthodes d’accompagnement existantes en favorisant une dynamique de changement chez l’entrepreneur à partir de l’analyse des dysfonctionnements en lien avec les indicateurs économiques et l’échange avec les pairs par l’effet miroir.
Cette recherche reste bien entendu exploratoire puisqu’appliquée à un nombre restreint d’entreprises et de pratiques analysées. Elle permet toutefois de formaliser une méthodologie d’accompagnement qui, partant d’indicateurs de dysfonctionnements opérationnels, conduit non seulement à structurer la pensée stratégique du dirigeant, mais aussi à élaborer une vision et des trajectoires vers des futurs possibles, désirés et désirables.
Cette recherche est aussi limitée par l’homogénéité de notre échantillon de dirigeants qui disposent d’un niveau d’études plus élevé que la moyenne qui a, d’après l’OCDE, une relation positive sur les performances de l’entreprise. Il serait alors intéressant d’élargir notre accompagnement à un échantillon de dirigeants présentant un niveau d’études différent pour vérifier si ce dernier impacte nos résultats.
La poursuite de notre recherche prévoit un travail approfondi sur la méthodologie de l’accompagnement du dirigeant de TPE au moins dans deux directions complémentaires. D’une part, nous allons confronter nos propositions sur un ensemble plus important et plus hétérogène d’entreprises nous permettant d’enrichir et consolider notre apport méthodologique. D’autre part, nous inscrirons nos observations de TPE dans une dynamique temporelle afin de proposer une analyse rétrospective des apports de l’accompagnement au regard des trajectoires de ces entreprises sur plusieurs années.
Appendices
Annexe
Annexe 1
Présentation de l’échantillon de recherche
Notes biographiques
Maître de conférences à l’École Centrale de Lyon, habilitée à diriger des recherches en sciences de gestion, Sylvie Mira Bonnardel enseigne principalement la stratégie et la finance d’entreprise à l’École Centrale de Lyon. Ses recherches portent principalement sur les stratégies d’innovation notamment en lien avec les stratégies de réseaux dans le contexte de l’innovation ouverte et des dynamiques entrepreneuriales.
Docteur en sciences de gestion, Thomas Rouveure mène des travaux de recherche sur les compétences des entrepreneurs et la cognition entrepreneuriale. Il accorde une attention particulière à la phase de post-naissance des entreprises.
Maître de conférences à l’IAE Lyon, et chercheure au sein de l’ISEOR, Centre Magellan, habilitée à diriger des recherches en sciences de gestion, Isabelle Geniaux travaille depuis plus de 25 ans dans le champ de l’entrepreneuriat, notamment sur la création de nouvelles activités par les PME. Elle a participé à de nombreux colloques et a plusieurs publications dans des revues internationales à son actif.
Notes
-
[1]
Le décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 propose une répartition des entreprises en quatre catégories reconnaissant ses critères économiques : les grandes entreprises (GE), les entreprises de taille intermédiaire (ETI), les petites et moyennes entreprises (PME) et les toutes petites entreprises (TPE). En France, une TPE réalise un chiffre d’affaires inférieur à 2 millions d’euros et compte un effectif inférieur à dix salariés.
-
[2]
Quand les PME matent l’échec. 2e Colloque interdisciplinaire sur la défaillance d’entreprise. Université Paris Ouest La Défense, 14 octobre 2016.
-
[3]
L’annexe 1 renseigne de manière plus approfondie notre échantillon d’analyse.
-
[4]
Selon une étude KMPG (2010), dans la population des dirigeants de TPE, on compte 30 % de femmes. La moyenne d’âge des créateurs se situe autour de 39 ans.
-
[5]
Les statuts sont présentés sous leur acronyme : société à responsabilité limitée (SARL), entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL).
-
[6]
Travailleur non salarié (TNS).
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