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Introduction

Les entreprises innovantes de croissance[2] sont connues pour représenter un fort atout pour le développement d’une économie, grâce au vivier de croissance, d’emplois (Aaboen, Lindelöf, Von Koch et Löfsten, 2006 ; Chanut-Guieu et Tannery, 2009) et d’innovation qu’elles représentent (Cassar, 2004 ; Gimmon et Levie, 2010). Cependant, on observe une forte hétérogénéité de croissance entre ces entreprises. En France, cinq ans après leur création, seuls 20 % d’entre elles parviennent à dépasser un chiffre d’affaires de 700 000 € et à obtenir un résultat d’exploitation positif (Tarillon, Grazzini et Boissin, 2013). Les entreprises innovantes françaises connaissent des difficultés de croissance en comparaison de leurs homologues anglo-saxonnes ou allemandes (De Chalus, 2012). Si certaines comme Critéo, Ask ou encore AWox connaissent des croissances fulgurantes (Debouté et Ferran, 2013), d’autres ont plus de mal à décoller.

Ces entreprises innovantes ont de forts besoins en ressources, qu’il s’agisse de ressources financières ou cognitives (Hayat, 2012). Or elles ne disposent le plus souvent, notamment dans leurs premières années, que de ressources internes très limitées. Ainsi, elles vont avoir besoin de s’entourer de nombreuses parties prenantes qui pourront leur apporter ces ressources (Certhoux, 2007). La question de la gouvernance, envisagée comme les mécanismes qui vont permettre de mieux comprendre les relations qu’entretiennent les dirigeants avec ces parties prenantes et qui vont donc influencer leurs décisions et délimiter leur espace discrétionnaire (Charreaux, 1997), est donc primordiale pour appréhender les trajectoires de croissance de ces entreprises.

De plus, le dirigeant joue un rôle essentiel dans ces trajectoires qui dépendent fortement de ses objectifs personnels, économiques (Chabaud et Degeorge, 2015 ; Janssen, 2011) et sociaux-environnementaux (St-Pierre et Cadieux, 2011), mais aussi de ses motivations (Davidsson, 1989 ; Wiklund, Davidsson et Delmar, 2003 ; Wiklund, Patzelt et Shepherd, 2009). Ainsi, afin de mieux comprendre la croissance des entreprises innovantes, il est judicieux de considérer de manière centrale la vision qu’ont les dirigeants de la gouvernance d’entreprise.

Les visions coercitives (rôle de contrôle et de surveillance des mécanismes de gouvernance) et cognitives (rôle de conseil, d’accompagnement et d’apport de ressources) de la gouvernance sont cruciales pour décrire les structures de gouvernance de ces entreprises innovantes (Charreaux, 2008). Wirtz (2011) propose un métamodèle théorique qui permet de prendre en compte ces deux visions par alternance tout au long des phases de croissance d’une société. Nous avons pour objectif d’opérationnaliser ce métamodèle sur le terrain des entreprises innovantes de croissance en étudiant les relations entre la vision des dirigeants sur la gouvernance, les mécanismes de gouvernance qu’ils ont effectivement mis en place dans leur entreprise et la croissance de celle-ci.

Grâce aux réponses de 253 dirigeants d’entreprises innovantes de croissance françaises soutenues par le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MENESR), nous montrons que les chefs d’entreprise peuvent avoir trois visions de la gouvernance qui sont liées à la mise en place de certains mécanismes spécifiques – conseil d’administration, équipe de direction, présence de capital-risqueurs ou d’anges financiers[3] –, eux-mêmes à l’origine d’une croissance plus ou moins forte au sein de leur entreprise.

Cet article est structuré de la manière suivante. Tout d’abord, nous présentons l’origine des deux visions de la gouvernance puis nous décrivons le métamodèle théorique proposé par Wirtz (2011) et la manière dont une revue de littérature approfondie nous permet de l’opérationnaliser sur le terrain des entreprises innovantes de croissance. Dans une seconde partie, nous décrivons la méthodologie quantitative utilisée dans ce travail. Nos résultats sont ensuite présentés en trois parties principales : la description des trois prismes de la gouvernance mis en évidence (cognitif, coercitif managérial et coercitif financier), les relations observées entre ces prismes et les mécanismes de gouvernance à l’oeuvre dans les entreprises innovantes de croissance et enfin, la relation observée entre ces mécanismes et la croissance de ces entreprises. Pour terminer, nous discutons nos résultats en les mettant en perspective par rapport aux recherches antérieures qui se sont intéressées à ce sujet puis nous présentons les apports, limites et opportunités de recherches ouvertes par notre travail.

1. De différentes visions de la gouvernance à la croissance des entreprises innovantes

Il n’existe aujourd’hui, à notre connaissance, aucun consensus quant à la relation qui pourrait exister entre les structures de gouvernance des firmes et leur croissance (Janssen, 2011). Or la question de la gouvernance, et plus spécifiquement celle de la vision qu’en ont les dirigeants, est centrale dans les entreprises innovantes de croissance. Nous commençons donc par décrire l’origine des visions coercitive et cognitive de la gouvernance puis nous présentons un métamodèle adapté à la gouvernance spécifique des entreprises innovantes (Wirtz, 2011), qui prend en compte simultanément ces deux visions et qui permet de mieux comprendre le lien entre la structure de gouvernance et la croissance de ces entreprises.

1.1. Des théories de la firme à la gouvernance d’entreprise

Il existe deux visions principales de la gouvernance qui font échos aux évolutions des théories de la firme (Tarillon, Grazzini et Boissin, 2015 ; Wirtz, 2011). Schématiquement, comme l’illustre la figure 1, la gouvernance d’une entreprise peut se situer le long d’un continuum : d’une vision purement coercitive centrée sur la notion de contrôle à une vision purement cognitive centrée sur l’apport de ressources.

Figure 1

Fondements théoriques de la gouvernance d’entreprise

Fondements théoriques de la gouvernance d’entreprise
Source : travail personnel

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1.1.1. Les théories contractuelles de la firme et la vision coercitive de la gouvernance

La gouvernance d’entreprise est le plus souvent perçue au travers d’une vision classique, dite « anglo-saxonne », qui envisage les mécanismes de gouvernance comme un moyen pour les actionnaires de contraindre les actions des dirigeants, considérés comme opportunistes. L’étude des relations entre ces deux acteurs permet de comprendre quels mécanismes peuvent être mis en place pour inciter les agents (les dirigeants) à agir dans l’intérêt de leurs donneurs d’ordre (les actionnaires), dans le cadre d’une relation d’agence. Jensen et Meckling (1976) définissent la relation d’agence « comme un contrat au travers duquel une personne (le principal) engage une autre personne (l’agent) pour réaliser un service en son nom qui implique de déléguer à l’agent la prise de certaines décisions » (p. 308). Dans ce cadre, des coûts vont apparaître lorsque les intérêts des deux parties seront divergents et que l’on sera dans une situation d’asymétrie d’information (Coriat et Weinstein, 1995) : les coûts d’agence. Ici, c’est le dirigeant qui détient plus d’informations que les actionnaires sur le travail qu’il doit fournir. Ainsi, ces derniers vont devoir mettre en place des mécanismes d’incitation et de surveillance, c’est-à-dire des mécanismes de gouvernance, qui visent d’une part à inciter le dirigeant à agir dans leur intérêt et d’autre part à mettre en place un système de contrôle pour s’assurer qu’il met effectivement en place ces actions.

Dans cette vision, la structure de gouvernance d’une entreprise est uniquement un moyen de contrôle sur les actions des dirigeants (Grundei et Talaulicar, 2002). Les auteurs de ce courant coercitif « mettent l’accent sur le rôle disciplinaire du système de gouvernance, dont la fonction principale serait de gérer les conflits d’intérêts dans les organisations marquées par une forte séparation entre le contrôle et la propriété » (Wirtz, 2008, p. 5). Ainsi, les mécanismes de gouvernance ont pour fonction de limiter l’espace discrétionnaire du dirigeant. Cette fonction est d’autant plus importante dans les entreprises innovantes de croissance que « l’innovation est par essence associée à des contingences imprévisibles » (Hege, 2001, p. 9) et que la présence de capital-risqueurs ou d’anges financiers est souvent synonyme de conflits d’agence importants issus de situations telles que le biais de continuation de la part des dirigeants[4] ou encore la difficile évaluation de la valeur d’un projet ex ante (Pouget et Stephany, 2002).

1.1.2. Les limites de la vision coercitive de la gouvernance

Cependant, cette vision purement coercitive de la gouvernance issue des théories contractuelles de la firme présente plusieurs limites qui illustrent la complexité de transposer en l’état ce modèle à une entreprise innovante de croissance (Wirtz, 2011).

Depret et Hamdouch (2004) montrent par exemple qu’il apparaît dans ce type d’entreprises de nouveaux problèmes liés à la gouvernance qui ne peuvent pas être expliqués et résolus par cette vision classique coercitive comme l’importante multiplicité des apporteurs de fonds ou de manière plus générale l’élargissement du nombre de parties prenantes. Gabrielsson et Huse (2002) montrent que cette vision ne permet pas non plus de comprendre totalement les tenants et les aboutissants de la relation entre dirigeants et investisseurs en capital. Selon Sapienza, Manigart et Vermeir (1995), il existe un très faible pouvoir explicatif des risques de conflits d’agence sur l’implication des investisseurs en capital et donc sur la performance des entreprises innovantes de croissance.

Selon Gomez (2003), ces limites seraient notamment dues à la trop forte implication des capital-risqueurs et des anges financiers en tant qu’actionnaires. En effet, selon cet auteur, « pour que la théorie [de l’agence] fonctionne, il est fait l’hypothèse que l’opposition entre actionnaires et dirigeants permet un équilibre des responsabilités efficace dans la firme managériale, car il délimite le pouvoir souverain du dirigeant. [Or cette hypothèse n’est tenable] que tant que l’actionnariat est fractionné, peu nombreux, et se contente devoter avec les pieds, c’est-à-dire d’exprimer son évaluation par un comportement d’achat ou de vente de ses actions » (Gomez, 2003, p. 200), ce qui n’est pas toujours le cas lorsque des investisseurs en capital sont présents dans une entreprise.

Enfin, la vision des dirigeants d’entreprises innovantes eux-mêmes sur la gouvernance nous incite à aller plus loin que la pure représentation coercitive. En effet, ces dirigeants sont souvent à la recherche d’indépendance et acceptent difficilement une ingérence dans la gestion de leur entreprise en termes de contrôle et de surveillance. Dans une étude sur les jeunes entreprises innovantes, Nakara et Mezzourh (2011) expliquent « que la plupart des entrepreneurs rejettent tout contrôle disciplinaire strict, c’est-à-dire sous la forme d’une surveillance étroite […]. En revanche, ils restent favorables à la notion d’accompagnement et/ou de conseil. D’où l’importance de la vision cognitive » (p. 65).

1.1.3. Les théories des ressources et la vision cognitive de la gouvernance

Un autre courant s’est développé sur la base des théories des ressources afin de mieux comprendre le fonctionnement de la gouvernance au sein des entreprises innovantes de croissance : la vision dite « cognitive » de la gouvernance (Charreaux, 1997). Cette seconde approche envisage les mécanismes de gouvernance comme un apport de ressources, de compétences et donc comme un accompagnement du dirigeant pour soutenir la croissance de sa société.

Deux théories de la firme très complémentaires ont principalement servi de base à la construction de cette vision : l’approche par les ressources[5] (Barney, 1991 ; Penrose, 1959) et la théorie de la dépendance aux ressources (Pfeffer et Salancik, 1978).

Ces théories des ressources expliquent comment une entreprise obtient, au sein de son environnement, un avantage concurrentiel durable (Prévot, Brulhart, Guieu et Maltese, 2010) sur la base de ressources et compétences à forte valeur, rares, non substituables et non imitables (Barney, 1991). On peut ainsi envisager à la fois une perspective interne sur la manière dont l’entreprise spécifie ses besoins (au travers de l’approche par les ressources) et une perspective externe pour mieux comprendre comment elle les comble (au travers de la théorie de la dépendance aux ressources). « On pourrait [alors] dire que l’on a une vision de la firme comme un “noeud de compétences” plutôt que comme un noeud decontrats » (Weinstein, 2008, p. 94).

La prise en compte des théories des ressources dans l’analyse de la gouvernance permet d’élargir la vision et le rôle des mécanismes de gouvernance. Ainsi, loin de seulement contrôler et surveiller les actions des dirigeants comme le préconise les théories contractuelles de la firme, dans cette nouvelle vision, les mécanismes de gouvernance vont plutôt avoir pour rôle d’accompagner le dirigeant en lui apportant les ressources et les compétences nécessaires à la croissance de son entreprise (Depret et Hamdouch, 2004). Ce passage d’une vision coercitive à une vision cognitive de la gouvernance nécessite une évolution du cadre d’analyse des relations entre dirigeants et actionnaires. La première vision envisage les mécanismes de gouvernance comme un moyen de réduire les coûts d’agence liés aux conflits d’intérêts qui apparaissent (Jensen et Meckling, 1976). Au contraire, en s’appuyant sur la notion de ressources, la seconde vision oppose à cette notion de conflits et de coûts d’agence classique celle de « conflits cognitifs » (Charreaux, 2005) et de « coûts d’agence de compétence » (Certhoux et Zenou, 2006) que les mécanismes de gouvernance vont chercher à réduire. Le tableau 1 propose une synthèse du rôle des mécanismes de gouvernance selon ces deux visions.

Tableau 1

Les rôles du système de gouvernance dans les visions coercitive et cognitive

Les rôles du système de gouvernance dans les visions coercitive et cognitive
Source : Tarillon (2014), adapté de Charreaux (2005, 2008)

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1.2. Un métamodèle de la gouvernance à l’oeuvre dans les entreprises innovantes de croissance

Ces deux visions de la gouvernance peuvent a priori paraître antagonistes. Cependant, il serait plus juste de les considérer comme complémentaires (Weinstein, 2008) puisqu’une approche multithéorique est essentielle pour étudier l’impact des mécanismes de gouvernance sur le fonctionnement organisationnel (Daily, Dalton et Cannella, 2003). Ceci est d’autant plus vrai dans les entreprises innovantes que ces sociétés rencontrent des défis spécifiques dans leur gestion (Brunninge, Nordqvist et Wiklund, 2007) : structure de capital particulière avec une place centrale du dirigeant (Bertrand, 2012), structure de gouvernance souvent très informelle (Uhlaner, Wright et Huse, 2007), dirigeant avec un niveau de capital humain très élevé (OSÉO, 2011 ; Pigé, 2002), ou encore ressources limitées (Garg, 2013).

1.2.1. Dynamisme de la gouvernance dans les entreprises innovantes de croissance

Afin de prendre simultanément en compte ces deux visions de la gouvernance et sur la base des travaux de Charreaux (2008), Wirtz (2011) propose un métamodèle de la gouvernance (Figure 2). Celui-ci décrit la situation spécifique à l’oeuvre dans les entreprises innovantes de croissance. « Partant des caractéristiques du dirigeant qui sont à la base de sa vision stratégique, le modèle fait intervenir le système de gouvernance et ses différents leviers (coercitifs et cognitifs) pour modeler la latitude […] et influencer les choix stratégiques » (Charreaux, 2008, p. 34). Dans ce modèle, la stratégie de croissance est donc mise en place par le dirigeant, mais elle est aussi influencée par les interactions entre ce dernier et les mécanismes de gouvernance à l’oeuvre dans son entreprise.

Figure 2

Métamodèle de la gouvernance dans le cas des entreprises innovantes de croissance

Métamodèle de la gouvernance dans le cas des entreprises innovantes de croissance
Source : adapté de Wirtz (2011)

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Selon Wirtz (2005, 2011), alors que dans les grands groupes managériaux, les leviers coercitifs sont centraux, les leviers cognitifs ont une importance essentielle dans les entreprises innovantes pour soutenir la croissance. Il propose de prendre en compte les visions cognitives et coercitives de la gouvernance en les alternant dans le but d’accompagner les différentes phases successives de croissance de l’entreprise, comme l’illustre la figure 3.

Pour lui, un rôle principalement cognitif des mécanismes de gouvernance est primordial dans les premières phases de croissance de l’entreprise (lorsqu’elle a des ressources très limitées et un capital très peu ouvert). Au contraire, dans les phases suivantes (lorsqu’elle dispose de plus de ressources et que son capital est plus ouvert), c’est un rôle plutôt coercitif de la gouvernance qui deviendra central puisque les actionnaires, en plus grand nombre, ne pourront plus (ou dans tous les cas difficilement) avoir des relations directes et basées sur le transfert de connaissances avec le dirigeant. Dans une entreprise innovante de croissance, les actionnaires jouent simultanément ou alternativement en fonction du stade de croissance, un rôle plutôt coercitif ou cognitif.

Figure 3

Croissance et évolution du type de gouvernance

Croissance et évolution du type de gouvernance
Source : adapté de Wirtz (2011)

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1.2.2. Construction du modèle de recherche : lien entre gouvernance et croissance dans les entreprises innovantes

Le métamodèle présenté ci-dessus est un modèle théorique dans lequel Wirtz (2011) décrit le dynamisme de la structure de gouvernance des entreprises innovantes de croissance, allant d’une place centrale des leviers cognitifs vers une importance de plus en plus forte des leviers coercitifs. Dans son travail, il invite à mener des recherches empiriques pour confronter ce métamodèle à la réalité des entreprises innovantes. Nous nous appuyons sur une revue de littérature approfondie pour construire un modèle de recherche qui permette d’opérationnaliser ce métamodèle.

Dans un premier temps, nous suivons la proposition de Wirtz (2011) qui présente la place centrale de trois mécanismes de gouvernance au sein des entreprises innovantes de croissance : le conseil d’administration, l’équipe de direction et la présence d’investisseurs en capital. Si ces mécanismes de gouvernance spécifiques et intentionnels sont primordiaux, c’est parce qu’ils sont le plus souvent à la base de la mise en place de mécanismes non intentionnels (Charreaux, 1997) comme la culture de la prise de décision, la surveillance mutuelle des dirigeants, le système de fonctionnement du conseil d’administration ou encore la philosophe dominante des investisseurs (hands-on ou hands-off) (Wirtz, 2011). De plus, ces mécanismes ont une influence directe sur la croissance d’une entreprise. Kor et Sundaramurthy (2009) mettent par exemple en évidence l’existence d’une relation positive entre la croissance et la présence d’un conseil d’administration qui comprend des administrateurs indépendants[6]. Cerrada et Janssen (2006) soulignent l’importance des conseils apportés au dirigeant sur la base de l’expérience des administrateurs. Dromby (2000) montre quant à lui un lien positif entre la croissance et la présence d’une équipe de direction. Enfin, de nombreux auteurs soulignent l’influence positive de la présence d’investisseurs en capital, c’est-à-dire d’anges financiers et de capital-risqueurs (Bertoni, Ferrer et Martí, 2013 ; Magnier et Tassone, 2012) sur la croissance des entreprises innovantes.

Dans un second temps, afin d’opérationnaliser le métamodèle de Wirtz (2011), nous développons une échelle de dix-huit items qui décrit les rôles potentiels qu’accordent les dirigeants aux actionnaires. L’objectif est de caractériser la vision qu’ont les dirigeants de la gouvernance d’entreprise : d’une vision cognitive à une vision coercitive. La littérature ne propose pas, à notre connaissance, d’échelle permettant de caractériser le rôle des actionnaires dans les entreprises innovantes de croissance. Pour construire cette échelle, nous avons donc fait le choix de nous appuyer d’une part sur les rôles proposés dans la littérature pour les capital-risqueurs et les anges financiers, qui sont des actionnaires très présents dans les entreprises innovantes (OSÉO, 2011). D’autre part, nous utilisons les rôles proposés pour le conseil d’administration puisque les actionnaires y ont souvent une place privilégiée dans les entreprises innovantes de croissance (Forbes et Milliken, 1999).

Tout d’abord, les rôles du conseil d’administration peuvent être placés sur un continuum, avec d’une part une perception traditionnelle du rôle du conseil, qui doit ratifier et contrôler les stratégies, et d’autre part, un rôle de leadership avec une forte implication dans la mise en place des objectifs, des valeurs et de la vision de l’entreprise. Dans une vision purement coercitive, le conseil a donc un rôle de contrôle et de surveillance (Lynall, Golden et Hillman, 2003) et permet d’assurer aux actionnaires que les dirigeants opportunistes vont bien agir dans leur intérêt, c’est-à-dire maximiser leur profit. Au contraire, dans une perspective cognitive, le conseil doit permettre d’apporter des compétences, de l’expérience et du réseau afin d’accompagner les dirigeants (Gabrielsson et Huse, 2002). Ici, on ne considère pas que les dirigeants et les actionnaires ont forcément des intérêts divergents (McNulty et Pettigrew, 1999) et le conseil cherche donc plutôt à rapprocher les visions cognitives des actionnaires et des dirigeants (Charreaux, 2005) pour éviter de potentielles incompréhensions et donc des conflits cognitifs.

Plus précisément, le conseil d’administration peut avoir plusieurs rôles. Dans un article de synthèse qui propose un agenda de recherche pour approfondir l’étude des conseils d’administration, Bonn et Pettigrew (2009) décrivent trois types de rôles principaux : un rôle de surveillance et de contrôle du conseil d’administration ; un rôle lié à l’investissement dans les prises de décisions stratégiques et un rôle destiné à fournir des ressources et l’accès à un réseau. Dans une recherche qui s’intéresse à la situation des PME françaises et de leur dirigeant, Karoui et Khlif (2007) ont pour leur part mis en évidence quatre types de rôles du conseil d’administration : un rôle de contrôle et de surveillance (implication des administrateurs dans le contrôle des comptes, de la performance de l’entreprise, des équipes de direction et de la rémunération de l’équipe dirigeante), un rôle de management du leadership stratégique (implication des administrateurs dans la nomination des dirigeants), un rôle de service et de soutien (gestion de la réputation et de l’image de l’entreprise, intermédiation avec certains acteurs de l’environnement externe, collecte de l’information sur les évolutions de l’environnement, contribution à l’obtention de certaines ressources stratégiques) et un rôle stratégique (discussion des alternatives stratégiques, participation aux choix d’une stratégie, discussion des plans d’actions stratégiques).

Tout comme pour le conseil d’administration, les rôles des investisseurs en capital (anges financiers et capital-risqueurs) peuvent être plutôt orientés vers une vision coercitive ou vers une vision cognitive.

Sapienza, Manigart et Vermeir (1995, 1996) classent, en France, ces rôles du plus important au moins important : un rôle stratégique (c’est-à-dire un rôle de sounding board et de conseiller d’affaires ou financier) ; un rôle interpersonnel (c’est-à-dire un rôle de coach, de mentor, d’ami ou de confident) ; et enfin un rôle de réseau (c’est-à-dire que les investisseurs fournissent des contacts professionnels, industriels ou avec des individus pouvant potentiellement être recrutés dans l’entreprise). Dans une étude sur des capital-risqueurs français au début des années 2000, Bonnet (2005, p. 110) met en évidence trois grands rôles de ce type de financeurs : un rôle de contrôle « qui regroupe les activités permettant d’orienter et de contrôler les actions des dirigeants dans l’objectif que celles-ci soient conformes à la stratégie préalablement définie et à l’intérêt des actionnaires », un rôle de conseil « qui peut se décomposer en conseil stratégique, conseil financier et conseil opérationnel » et un rôle interpersonnel « qui relève du soutien personnel apporté par les capital-investisseurs aux dirigeants : rôle de confident, d’entraîneur (accompagnateur), apport d’encouragements et de soutien moral ».

Sur la base des rôles du conseil d’administration et des investisseurs en capital identifiés dans la littérature, le tableau 2 présente une synthèse des rôles des actionnaires dans les entreprises innovantes de croissance en fonction de leur orientation plutôt coercitive (de contrôle) ou plutôt cognitive (stratégique, service, conseil, réputation, soutien, accompagnement…). Ces dix-huit rôles identifiés permettent de caractériser la vision qu’ont les dirigeants de la gouvernance.

Suite à la construction de cette échelle, la figure 4 présente le modèle de recherche global que nous utilisons dans ce travail, adapté du métamodèle proposé par Wirtz (2011). Nous cherchons à comprendre dans quelle mesure la croissance des entreprises innovantes étudiées peut être expliquée par la présence de certains mécanismes de gouvernance (la présence d’un conseil d’administration et sa composition, la présence d’une équipe de direction et la présence d’investisseurs en capital (capital-risqueurs et anges financiers)). Nous allons plus loin ensuite en cherchant à savoir si la vision qu’ont les dirigeants de la notion de gouvernance peut influencer la présence de ces mécanismes. Ainsi, nous souhaitons savoir si la vision plutôt cognitive ou coercitive de la gouvernance qu’ont les dirigeants peut influencer positivement ou négativement les trajectoires de croissance des entreprises innovantes.

Tableau 2

Les dix-huit rôles des actionnaires dans les entreprises innovantes de croissance

Les dix-huit rôles des actionnaires dans les entreprises innovantes de croissance
Source : travail personnel

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Figure 4

Le modèle de recherche

Le modèle de recherche
Source : travail personnel

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2. Méthodologie de la recherche

Le travail présenté dans cet article s’intéresse aux entreprises innovantes de croissance françaises soutenues par le MENESR et issues des incubateurs publics et du concours I-Lab et créées entre 1999 et 2012, soit une population de 2 703 entreprises.

2.1. Construction de l’échantillon

Parmi ces 2 703 sociétés, nous nous sommes plus spécifiquement intéressés aux 1 843 entreprises qui étaient toujours indépendantes et en activité en 2014, au moment de notre étude[7]. Celle-ci s’appuie sur des données primaires recueillies grâce à l’administration en ligne d’un questionnaire au printemps 2014. Nous avons contacté par courriel les dirigeants de ces entreprises afin d’obtenir leurs réponses sur différents thèmes et notamment la croissance et la gouvernance de leur entreprise[8].

Nous avons ainsi obtenu 253 réponses complètes et exploitables, ce qui correspond à un taux de réponse de 14,10 % conforme aux études menées dans des domaines similaires (Talaulicar, Grundei et Werder, 2005).

2.2. Mesures des variables

Mesure de la croissance – Pour mesurer la croissance des entreprises étudiées, nous utilisons deux indicateurs en parallèle : le chiffre d’affaires et les effectifs. En effet, la croissance revêt un caractère multidimensionnel (Achtenhagen, Naldi et Melin, 2010 ; Boissin et Trometter, 2003 ; Delmar, Davidsson et Gartner, 2003 ; Mangematin et al., 2002) et peut être mesurée au travers de divers indicateurs non systématiquement corrélés (Delmar, Davidsson et Gartner, 2003 ; Janssen, 2005). Même si la littérature propose parfois d’utiliser des indicateurs financiers tels que l’actif, le bénéfice ou la valeur ajoutée pour caractériser la croissance (Catherine et Corolleur, 2001 ; Kouame, 2012 ; Weinzimmer, Nystrom et Freeman Sarah, 1998), les deux indicateurs les plus utilisés que sont le chiffre d’affaires et les effectifs semblent rester les plus pertinents, notamment dans un souci de comparaison avec d’autres études (Tarillon, Grazzini et Boissin, 2013). Plus spécifiquement, nous mesurons la croissance en interrogeant les dirigeants sur le taux de croissance annuel moyen de leur entreprise sur la période des trois dernières années[9]. En effet, la majorité des études s’intéresse à des périodes de trois à cinq ans et un recul de trois ans permet de s’assurer que les dirigeants ont encore bien en mémoire les chiffres qu’ils avancent (Tarillon, 2014 ; Almus, 2002 ; Asquin et Chastand, 2009 ; Baum, Locke et Smith, 2001) (Annexe 1).

Mesure de la vision de la gouvernance – Notre objectif est de caractériser la vision qu’ont les dirigeants de la notion de gouvernance. Pour cela, nous nous intéressons aux rôles qu’ils accordent aux actionnaires de leur entreprise au travers des dix-huit rôles identifiés dans la littérature. L’objectif de ces items est de pouvoir déterminer dans quelle mesure les dirigeants interrogés ont une vision plutôt coercitive ou cognitive de la gouvernance. Nous avons donc construit une échelle de dix-huit items en fonction de ces rôles potentiels (Annexe 2).

Mécanismes de gouvernance – Nous utilisons ici les mécanismes de gouvernance identifiés dans la littérature comme ayant une influence sur les trajectoires de croissance des entreprises étudiées :

  • présence d’un conseil d’administration ;

  • présence d’administrateurs indépendants au sein du conseil d’administration ;

  • présence d’une équipe de direction ;

  • présence d’investisseurs en capital : anges financiers et capital-risqueurs.

2.3. Méthodes statistiques utilisées

Pour analyser les données recueillies, nous utilisons le logiciel IBM SPSS Statistics (Figure 5). Tout d’abord, afin de caractériser les représentations coercitives ou cognitives des dirigeants en termes de gouvernance, nous menons une analyse en composantes principales (ACP) sur les réponses aux dix-huit items décrivant les rôles des actionnaires. Celle-ci permet de réduire le nombre de variables à étudier en un nombre restreint de facteurs qui seront utilisés par la suite pour faire le lien avec la présence des différents mécanismes de gouvernance (Jolibert et Haon, 2012). L’indice KMO et le test de sphéricité de Bartlett confirment la pertinence d’utiliser une ACP sur les dix-huit items de départ (Annexe 3). Le critère de qualité de la représentation des variables, le critère de Keiser, le pourcentage de variance expliquée et le pourcentage de variance cumulée nous permettent d’identifier trois facteurs (Annexe 4).Pour interpréter ces facteurs, nous utilisons la méthode de la rotation Varimax qui permet d’affecter clairement les items à chaque facteur en maximisant les saturations dans chaque composante.

Une fois identifiés et décrits les trois facteurs liés aux rôles des actionnaires, nous utilisons la méthode de la régression logistique binaire pour étudier l’influence des représentations des dirigeants sur la mise en place des mécanismes de gouvernance étudiés – conseil d’administration, présence d’administrateurs indépendants, équipe de direction, présence d’investisseurs en capital (business angel et capital-risqueurs). Enfin, nous nous appuyons sur des tests t de Student afin d’étudier la relation entre la présence de ces mécanismes et la croissance des entreprises étudiées. En effet, ces tests ont la caractéristique de permettre d’étudier la relation entre une variable indépendante binaire et une variable dépendante continue.

Figure 5

Les trois étapes de la méthode statistique utilisée

Les trois étapes de la méthode statistique utilisée
Source : travail personnel

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2.4. Description de l’échantillon

Avant de présenter les résultats obtenus, nous décrivons les caractéristiques des entreprises étudiées en termes démographiques et en termes de structure de gouvernance.

2.4.1. Caractéristiques des entreprises

Trois régions concentrent la majorité (39,9 %) des entreprises étudiées. 15,8 % des entreprises se situent en Île-de-France, 15,4 % en Rhône-Alpes et 8,7 % en Provence-Alpes-Côte d’Azur[10].

15,5 % des entreprises de notre échantillon ont uniquement été lauréates du concours I-lab, 50,6 % ont uniquement été incubées et 33,9 % ont bénéficié des deux dispositifs[11].

Près de 30 % des entreprises se sont développées dans le domaine de la santé et des biotechnologies (29,2 %). Un peu plus de 20 % se sont appuyées sur des compétences relevant du logiciel et du multimédia : logiciel et outils internet (20,6 %) et commerce et services en ligne (1,6 %). Le reste des sociétés se répartit principalement entre les domaines de l’industrie et de la chimie (10,3 %), de l’électronique (8,7 %) et de l’énergie et cleantech (6,7 %).

Les entreprises étudiées ont un chiffre d’affaires moyen en 2012 de 685 k€ et médian de 163 k€ (écart-type : 1 400 k€). Elles ont un effectif moyen de 9,1 personnes et médian de 5 personnes.

Leurs trajectoires de croissance sur les trois dernières années[12] sont quant à elles plutôt hétérogènes même si on note que globalement, elles connaissent une croissance relativement importante. En effet, environ 63 % d’entre elles ont connu une croissance de leur chiffre d’affaires et 49 % une croissance de leur effectif durant cette période (Figure 6).

Figure 6

Croissance annuelle moyenne en termes de chiffre d’affaires et d’effectifs

Croissance annuelle moyenne en termes de chiffre d’affaires et d’effectifs
Source : travail personnel

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2.4.2. Caractéristiques de la structure de gouvernance des entreprises innovantes de croissance

Les entreprises étudiées privilégient les statuts qui facilitent l’entrée de potentiels investisseurs. 57,7 % d’entre elles ont fait le choix de se structurer sous forme de sociétés par action simplifiée (SAS ou SASU, la SAS à associé unique) et 9,1 % sous forme de société anonyme (SA). Au contraire, 32 % ont choisi la société à responsabilité limitée (SARL et EURL, sa forme unipersonnelle)[13].

Le nombre moyen d’actionnaires est de 40,9 personnes. Ce chiffre semble au premier abord très important, mais s’explique par quelques valeurs extrêmes d’entreprises cotées en bourse[14]. En effet, le nombre médian d’actionnaires est lui de cinq personnes (écart-type : 502,65). De plus, 56,9 % des entreprises ont moins de cinq actionnaires et plus de 80 % moins de 10.

96,4 % des dirigeants interrogés sont actionnaires de leur entreprise, ils sont 40,3 % à détenir plus de 50 % du capital et 20,6 % à détenir entre 33 et 49 %, c’est-à-dire à bénéficier au minimum d’une minorité de blocage. Nous trouvons également des anges financiers et des capital-risqueurs dans ces entreprises. Les premiers sont présents dans 27,3 % des sociétés et les seconds dans 27,7 %. Une corrélation fortement significative peut être remarquée entre la présence de ces deux types d’investisseurs : plus de 45 % des sociétés ayant accueilli des anges ont aussi reçu un soutien de la part de capital-risqueurs et vice-versa.

30,8 % des entreprises ont mis en place un conseil d’administration qui compte en moyenne 4,64 administrateurs (médiane : 5). 41 % de ces conseils contiennent des administrateurs indépendants. De plus, 51,8 % des sociétés possèdent une équipe de direction qui est en moyenne composée de 2,97 personnes (médiane : 3).

Enfin, le tableau 3 propose une synthèse des rôles accordés aux actionnaires, du plus au moins important. Les dirigeants prêtent aux actionnaires des rôles relativement variés. Le premier rôle est celui d’écoute et de conseil pour les prises de décisions stratégiques, le troisième consiste en un apport de réseau et le quatrième porte sur la contribution des actionnaires à la gestion de l’image et de la réputation de la société. Or il s’agit de rôles purement cognitifs. Au contraire, le second rôle, qui est celui de contrôle de la performance financière de l’entreprise est, lui, plutôt coercitif. Cette première description de la vision de la gouvernance qu’ont les dirigeants souligne l’importance de la prise en considération des deux visions théoriques (coercitive et cognitive) dans une vision élargie de la gouvernance.

Tableau 3

Rôle des actionnaires selon les dirigeants

Rôle des actionnaires selon les dirigeants

a Rôle principalement cognitif

b Rôle principalement coercitif

Source : travail personnel

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3. Résultats : liens entre les trois visions de la gouvernance et la croissance des entreprises innovantes

3.1. Les trois prismes de la gouvernance

Premièrement, la réalisation d’une analyse en composantes principales (ACP) menée sur la vision qu’ont les dirigeants des dix-huit rôles potentiels des actionnaires, nous permet de mettre en évidence trois visions centrales de la gouvernance d’entreprise comme le montre le tableau 4.

Le premier facteur accorde un rôle cognitif aux actionnaires, c’est-à-dire un rôle d’expertise, d’accompagnement et de réseau. Il a pour caractéristique de regrouper les rôles des actionnaires se centrant sur des actions de service et d’accompagnement. Ainsi, les actionnaires jouent un rôle principalement cognitif en faisant profiter le dirigeant de leurs compétences, leurs connaissances et leur réseau. Les actionnaires ont donc un pouvoir habilitant et accompagnerait le dirigeant dans le développement de son entreprise.

Le second facteur accorde quant à lui un rôle coercitif managérial aux actionnaires, c’est-à-dire un rôle d’organisation, de direction et de contrôle. Il se rapporte principalement à une notion de contrôle et de sélection des administrateurs et de l’équipe de direction, mais aussi à une aide auprès des dirigeants quant à l’identification de ces membres. Les actionnaires jouent ici un rôle actif dans l’organisation, la direction et la gestion de l’entreprise et dans les processus de prise de décision, que ce soit au niveau de la stratégie générale, des actions mises en oeuvre pour atteindre les objectifs liés à cette stratégie ou en termes de recrutement des membres clés de la société comme les membres de l’équipe de direction ou les administrateurs.

Enfin, le troisième facteur illustre une vision purement coercitive financière de la gouvernance. Les actionnaires jouent un rôle purement coercitif de contrôle de la performance de l’entreprise. Ceci correspond à la vision « traditionnelle » de la gouvernance dans laquelle les actionnaires sont uniquement là pour contrôler ex post les performances du dirigeant et de la société.

Tableau 4

Matrice des composantes après rotations – Rôle des actionnaires

Matrice des composantes après rotations – Rôle des actionnaires

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Nous mettons en évidence trois prismes de la gouvernance. Les dirigeants d’entreprises innovantes de croissance envisagent tout d’abord la gouvernance au travers des deux prismes coercitifs et cognitifs. Ainsi, pour eux, les actionnaires peuvent avoir un rôle d’expertise, d’accompagnement et de réseau, mais aussi un rôle coercitif financier (contrôle ex post des performances de l’entreprise et du dirigeant). Nous mettons également en évidence un troisième prisme de la gouvernance qui correspond au rôle coercitif managérial des actionnaires (contrôle de la stratégie d’entreprise, nomination des administrateurs et de l’équipe de direction…).

3.2. Relations entre les trois prismes et les mécanismes de gouvernance des entreprises innovantes de croissance

Dans une deuxième étape, nous présentons les résultats des cinq modèles de régressions logistiques binaires que nous avons utilisés pour mettre en évidence les relations entre les trois prismes de la gouvernance identifiés dans l’étape précédente (variables indépendantes) et la présence des mécanismes de gouvernance identifiés dans la littérature : conseil d’administration, administrateurs indépendants, équipe de direction, anges financiers et capital-risqueurs (la présence ou non de chaque mécanisme est la variable dépendante de l’un de nos cinq modèles). Le tableau 5 présente les résultats de ces tests.

Nous montrons qu’une vision cognitive de la gouvernance impacte négativement la présence d’un conseil d’administration et de capital-risqueurs. Ainsi, les dirigeants qui accordent aux actionnaires un rôle cognitif fort semblent réticents à mettre en place ces deux types de mécanismes de gouvernance. Ensuite, les résultats soulignent qu’une vision purement coercitive managériale de la gouvernance est négativement corrélée à la présence d’anges financiers alors qu’elle est positivement liée à celle d’une équipe de direction. Ainsi, les dirigeants qui accordent aux actionnaires un rôle de contrôle sur la gestion opérationnelle de l’entreprise ont plus tendance à s’entourer de compétences en interne, c’est-à-dire à mettre en place une équipe de direction, plutôt qu’à chercher ces compétences en externe en faisant appel à des anges financiers. Enfin, une vision coercitive financière, c’est-à-dire un rôle de contrôle de la performance ex post du dirigeant et de son entreprise accordé aux actionnaires, est très fortement et très positivement corrélée à la mise en place de tous les mécanismes de gouvernance étudiés (hormis la présence d’administrateurs indépendants qui ne semble pas influencée par la vision coercitive ou cognitive du dirigeant).

3.3. Relations entre la présence des mécanismes de gouvernance et la croissance des entreprises innovantes

Pour finir, la troisième étape de notre modèle de recherche consiste à tester les relations entre la présence des mécanismes de gouvernance cités précédemment (variables indépendantes) et la croissance des entreprises étudiées en termes de chiffre d’affaires et d’effectifs (variables dépendantes)[16]. Le tableau 6 présente les résultats pour ce point.

Tableau 5

Résultats des modèles de régression logistique binaire des trois prismes de la gouvernance sur les mécanismes à l’oeuvre dans les entreprises innovantes de croissance

Résultats des modèles de régression logistique binaire des trois prismes de la gouvernance sur les mécanismes à l’oeuvre dans les entreprises innovantes de croissance

Légende : * = p < 0,05 ; ** = p < 0,01 ; *** = p < 0,001

Source : travail personnel

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Tableau 6

Résultats des tests t de Student pour étudier les relations entre la présence des mécanismes de gouvernance des entreprises innovantes et la croissance

Résultats des tests t de Student pour étudier les relations entre la présence des mécanismes de gouvernance des entreprises innovantes et la croissance

Légende : les valeurs sont mesurées sur une échelle de Likert de 1 à 7 ; * = p < 0,05 ; ** = p < 0,01 ; *** = p < 0,001

Source : travail personnel

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La présence d’un conseil d’administration, d’une équipe de direction et de capital-risqueurs est favorable à la croissance des entreprises innovantes étudiées. En effet, les entreprises ayant mis en place ce type de mécanismes connaissent une croissance plus importante que leurs homologues qui ne l’ont pas fait. Toutefois, la croissance n’est pas liée à la présence d’anges financiers au sein du capital de l’entreprise. La figure 7 présente un résumé synthétique de ces résultats.

Figure 7

Les relations entre gouvernance et croissance

Les relations entre gouvernance et croissance
Source : travail personnel

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La vision des dirigeants en termes de gouvernance influence donc les mécanismes qui sont mis en place dans leur entreprise, qui influencent eux-mêmes la croissance de celle-ci. Tout d’abord, plus les dirigeants ont une vision cognitive de la gouvernance et moins ils ont tendance à mettre en place un conseil d’administration. Au contraire, ceux qui ont une vision coercitive financière le font beaucoup plus. Or la présence d’un conseil d’administration semble soutenir la croissance des entreprises étudiées. Ensuite, la présence d’une équipe de direction, qui est également favorable à la croissance, est, elle aussi corrélée positivement à une vision coercitive de la gouvernance, à la fois managériale et financière. Enfin, les dirigeants ayant une vision coercitive financière de la gouvernance sont plus enclins, au contraire de ceux ayant une vision purement cognitive, à faire entrer des capital-risqueurs dans leur société, ce qui soutient aussi leur croissance.

4. Discussion

Dans le prolongement des travaux de Bonn et Pettigrew (2009), Forbes et Milliken (1999) ou encore de Huse (2000), nous mettons en évidence trois types de rôles joués par les actionnaires au sein d’une entreprise innovante de croissance : un rôle cognitif, un rôle coercitif managérial et un rôle coercitif financier. Ces résultats permettent de confirmer en partie de manière empirique la distinction que font Charreaux (2008) et Wirtz (2011) entre la gouvernance cognitive et coercitive. Cependant, nous allons plus loin en montrant qu’il existe dans les entreprises innovantes de croissance deux types de gouvernance coercitive : un premier type uniquement lié à un contrôle de la performance financière de l’entreprise et un second type lié à la direction, à l’organisation et au contrôle managérial opéré par les actionnaires.

Nos résultats montrent que la première vision s’appuie principalement sur les approches ressources (Karoui et Khlif, 2007). Dans cette vision cognitive, les actionnaires ont un rôle central d’apport de compétences et de connaissances, notamment en termes de détermination de la stratégie d’entreprise. Ces résultats vont donc dans le sens de ceux de Gabrielsson et Huse (2002) qui soulignent la place primordiale du rôle de la formulation de la stratégie de long terme des actionnaires. Cette première vision est également en accord avec les conclusions de Nakara et Mezzourh (2011) puisque selon ces auteurs, dans les entreprises innovantes de haute technologie, les actionnaires doivent surtout jouer un rôle d’apport de réseau et de construction de la réputation de l’entreprise. De la même manière, les résultats de Bertoni, Colombo et Grilli (2005) ou Sapienza, Manigart et Vermeir (1995, 1996) décrivent eux aussi la place centrale de ce rôle cognitif de la gouvernance, notamment dans les entreprises innovantes de croissance.

La deuxième vision de la gouvernance, dite coercitive managériale, s’accorde selon nous plutôt avec les codes de bonnes pratiques délivrés par les pouvoirs publics (Bouton, 2002 ; OCDE, 2004). Ici, les actionnaires ont un rôle fort à jouer dans l’identification, la nomination et la détermination des membres clés de l’entreprise (équipe de direction et administrateurs). Ce rôle se rapproche fortement de celui désigné par Karoui et Khlif (2007) comme un rôle de « management du leadership stratégique ».

Enfin, la troisième vision de la gouvernance, dite coercitive financière, fait écho de manière directe aux théories de la firme (Baudry, 2003) qui accordent au système de gouvernance d’une entreprise un rôle uniquement disciplinaire, c’est-à-dire de contrôle et de surveillance des performances financières (modèle anglo-saxon). Il s’agit du rôle le plus décrit dans la littérature puisqu’on le retrouve dans la plupart des typologies de rôles du conseil d’administration (Bonn et Pettigrew, 2009 ; Forbes et Milliken, 1999 ; Grundei et Talaulicar, 2002 ; Huse, 2000 ; Karoui et Khlif, 2007) et des capital-investisseurs (Denis, 2004). Nous confirmons donc l’importance de la prise en compte d’une vision élargie de la gouvernance dans les entreprises innovantes de croissance (Wirtz, 2011) qui ne prennent pas uniquement en compte la vision cognitive décrite précédemment, mais aussi la vision disciplinaire. Plus spécifiquement, nous montrons que dans cette vision coercitive, les dirigeants d’entreprises innovantes de croissance peuvent accorder aux actionnaires un rôle de contrôle de la performance de l’équipe de direction (Castaldi et Wortman, 1984 ; Gabrielsson et Huse, 2002) ainsi que des performances financières et opérationnelles de la société (Bonnet, 2005 ; Morris, Watling et Minet, 2000).

De manière générale, la littérature souligne l’impact positif sur la croissance d’une certaine formalisation de la structure de gouvernance, au travers de la présence de mécanismes de gouvernance spécifiques : conseil d’administration (Cerrada et Janssen, 2006 ; Payne, Benson et Finegold, 2009), présence d’administrateurs indépendants (Kor et Sundaramurthy, 2009), équipe de direction (Dromby, 2000) et investisseurs en capital (Saty Kouame, 2012). D’autres auteurs cependant nuancent ces propos ou ne parviennent pas à mettre en évidence des relations aussi directes (Janssen, 2011 ; Lasch, 2005). Notre travail contribue à l’approfondissement de cette littérature puisque nous soulignons également l’influence positive de la présence d’un conseil d’administration, d’une équipe de direction et de capital-risqueurs sur la croissance des entreprises innovantes. Cependant, nous nuançons nous aussi ces résultats en montrant que dans le cas des entreprises étudiées, la présence d’administrateurs indépendants au sein du conseil d’administration ainsi que la présence d’anges financiers ne jouent pas de rôle positif dans le soutien de la croissance. Nous pouvons penser que la présence d’administrateurs indépendants n’influence pas la croissance de manière positive dans les entreprises innovantes car il s’agit d’entreprises de petite taille, peu formalisées et dont le fonctionnement est très spécifique et complexe à comprendre (contrairement aux grands groupes dans lesquels la présence d’administrateurs indépendants est reconnue comme favorable). Ainsi, il est probable que des administrateurs qui sont parfaitement au courant du fonctionnement de l’entreprise soient plus à même de soutenir son développement au contraire d’administrateurs qui en seraient trop éloignés. Ce résultat s’explique donc sans doute par le type d’entreprises étudiées. Les résultats obtenus sur l’influence ou plutôt la non-influence des anges financiers sur la croissance vont également dans le sens inverse de ceux obtenus dans la littérature. Ceci pourrait remettre en question la capacité des anges financiers à soutenir réellement la croissance des entreprises innovantes dans lesquels ils investissent. Peut-être ont-ils d’autres objectifs que la croissance du chiffre d’affaires et des effectifs à court terme ?

Au-delà de l’influence directe des mécanismes de gouvernance sur la croissance, nous allons plus loin en montrant que la mise en place de ces mécanismes est elle-même influencée par la vision de la gouvernance qu’ont les dirigeants d’entreprises innovantes de croissance. En effet, les dirigeants qui ont une vision purement coercitive financière du rôle des actionnaires au sein de leur entreprise ont plus tendance à mettre en place les mécanismes de gouvernance étudiés, ce qui renforce la croissance de leur société. Nous confirmons ainsi la pertinence de l’utilisation du métamodèle théorique construit par Wirtz (2011). Pour atteindre une croissance forte, une entreprise innovante doit faire évoluer sa structure de gouvernance vers des mécanismes et un fonctionnement plus coercitif. Sur cette base, nous soulignons qu’un dirigeant doit avoir les capacités d’accepter cette gouvernance coercitive (synonyme de fortes contraintes et d’évaluations de ses performances et de celles de l’entreprise) et donc de mettre en place une structure formalisée qui permet sa mise en oeuvre (au travers d’un conseil d’administration, d’une équipe de direction et de l’ouverture de son capital à des capital-risqueurs) pour soutenir la croissance de son entreprise.

Conclusion

Dans ce travail, nous soulignons l’importance de prendre en compte la vision de la gouvernance que peuvent avoir les dirigeants d’entreprises innovantes de croissance. En mettant en évidence l’existence de trois prismes de la gouvernance (cognitif, coercitif financier et coercitif managérial), nous montrons qu’une vision coercitive semble soutenir la création d’une structure de gouvernance formalisée (composée d’un conseil d’administration, d’une équipe de direction ou encore de capital-risqueurs), elle-même favorable à la croissance des entreprises étudiées.

Nous proposons un apport théorique principal en mettant en évidence l’existence des prismes de la gouvernance, cités précédemment. Les notions de gouvernance cognitive et coercitive ont déjà été présentées par plusieurs auteurs, mais nous proposons en plus de distinguer les notions de gouvernance coercitive financière et managériale afin de mieux comprendre la vision des dirigeants sur ces points. Notre recherche apporte également des contributions managériales. Tout d’abord, nos résultats peuvent permettre aux pouvoirs publics de s’intéresser de manière plus spécifique à la vision des dirigeants en termes de gouvernance dans le but de mieux anticiper la croissance future de leur société. Ainsi, il pourrait être envisagé d’utiliser les items proposés dans notre questionnaire (Annexe 2) pour interroger les porteurs de projets. Leur vision sur ces points permettrait tout d’abord de connaître leur appétence à la mise en place d’une structure de gouvernance formalisée et donc de mieux anticiper les trajectoires potentielles de croissance de leur entreprise. De plus, au-delà de cette simple évaluation de départ, ces résultats permettraient de mieux adapter leur formation et de mieux les sensibiliser aux questions liées à la gouvernance, en fonction de cette vision originelle. Ainsi, puisqu’un dirigeant qui n’a qu’une vision purement cognitive de la gouvernance et donc du rôle des actionnaires semble, même inconsciemment, brider la croissance de son entreprise, il serait intéressant de mettre en place des formations, des témoignages… qui permettent d’élargir sa vision. D’autre part, ce travail offre des apports à destination des dirigeants eux-mêmes. En les sensibilisant aux rôles variés de la gouvernance (cognitif, coercitif managérial et coercitif financier) dès la création de leur entreprise, nous pensons leur permettre d’être plus conscients de l’évolution nécessaire de leur structure de gouvernance pour soutenir la croissance de leur entreprise.

Enfin, trois limites principales existent dans notre travail. Nous ne nous concentrons ici que sur le rôle des actionnaires pour décrire la vision de la gouvernance. Il sera intéressant de mener de nouveaux travaux qui permettront d’élargir cette vision à celle du rôle des parties prenantes au sens large. De plus, nous n’envisageons qu’un seul facteur de croissance, la gouvernance. Or de nombreux autres facteurs existent (autres caractéristiques du dirigeant, de son entreprise ou de son environnement). Afin d’élargir notre compréhension, il nous semble donc nécessaire, dans le futur, d’étudier également ces autres facteurs, ce qui nous permettra de proposer une analyse globale des trajectoires de croissance des entreprises innovantes de croissance. Enfin, nous mesurons la croissance des entreprises étudiées sur la période des trois dernières années, ce qui peut amoindrir la pertinence de la relation de causalité mise en évidence au travers de nos analyses. Il sera intéressant de mesurer la croissance de ces sociétés dans le futur afin de pouvoir mesurer réellement l’influence de la vision de la gouvernance des dirigeants en 2014 sur la croissance des entreprises innovantes entre cette date et 2017 par exemple.