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Introduction

Les biotechnologies appliquées à la santé humaine s’imposent aujourd’hui comme le nouveau paradigme fondateur des recherches dans le secteur pharmaceutique. Ces nouvelles technologies sont diffusées le plus souvent par des PME créées par des chercheurs issus du monde universitaire. Elles constituent de véritables vecteurs de transferts technologiques entre le monde universitaire, d’une part, et l’industrie pharmaceutique, de l’autre part. Selon Rothaermel (2000), les PME de BASH viennent bouleverser les pratiques, les actifs clés et les compétences distinctives des grandes firmes pharmaceutiques par un phénomène de « coopération créatrice ». Cette « coopération créatrice » est de nature à menacer d’obsolescence les pratiques en matière de R-D des firmes pharmaceutiques.

Les PME de BASH sont caractérisées par la longueur des cycles de développement des produits (12 à 15 ans) et l’importance des investissements (entre 300 à 700 millions de dollars). Entre la découverte académique qui va motiver la création de la PME, les trois à quatre collectes de fonds successives auprès d’investisseurs en capital-risque, la conclusion d’accords de collaboration avec quelques laboratoires pharmaceutiques, l’introduction en Bourse et les collectes de fonds secondaires sur le marché boursier et, enfin, la mise sur le marché du premier médicament de la société, il se sera écoulé entre 12 et 15 ans.

Dans le domaine de la haute technologie et notamment celui des biotechnologies, on assiste à une concentration spatiale des activités de R-D de certaines zones géographiques (Desmarteau etal., 2005). Ces PME de BASH sont caractérisées par l’importance des liens qu’elles tissent avec les acteurs de la recherche scientifique et avec les acteurs de leur milieu d’implantation. Ces coopérations peuvent être expliquées par l’importance de la dimension tacite dans les connaissances produites dans le domaine des BASH. Ces nouvelles connaissances trouvent souvent leurs origines dans les recherches scientifiques. De ce fait, les relations de proximité deviennent un élément central pour la performance et le développement de ces PME puisqu’elles permettent, d’une part, de réduire l’impact des contraintes liées à leur taille (compétences, ressources, etc.) et, d’autre part, de faciliter la transmission des connaissances scientifiques issues des laboratoires publics. En effet, la proximité géographique favorise le développement de relations informelles et permet d’encourager la mobilité de la main-d’oeuvre qualifiée (Bessant, Pavitt et Tidd, 2006).

Aujourd’hui, la politique technologique en France se focalise sur la notion des pôles de compétitivité ; en effet, la localisation des PME de BASH est marquée par sa forte concentration sur certaines technopoles. À titre d’exemple, les 350 sociétés de biotechnologies implantées dans la Silicon Valley, qui se sont développées autour de Stanford University, Berkeley University et de l’Université de Californie à San Francisco, sont considérées comme de véritables « usines » à recherche fondamentale. En France, les PME de BASH sont aussi le plus souvent localisées à proximité des laboratoires de recherche dont elles sont issues. Certaines régions commencent à émerger comme zones géographiques spécialisées dans les BASH (autour de la région Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Rhône-Alpes). La région Île-de-France est considérée aujourd’hui comme un lieu exceptionnel pour le développement des sciences du vivant en Europe (rapport Ernst et Young, 2004). C’est une région qui connaît une forte concentration spatiale des différents acteurs actifs dans les domaines des biotechnologies. On y retrouve les industriels de la pharmacie, les fabricants de dispositifs médicaux, centres hospitaliers, organismes de recherche et d’enseignement et des entreprises de biotechnologies. Ces différents acteurs forment ce qu’on appelle aujourd’hui le Bio Cluster. La région Île-de-France peut être considérée comme la technopole française dédiée aux biotechnologies appliquées à la santé humaine.

Les éléments que nous avons présentés nous poussent à nous interroger sur l’impact réel de la localisation et des coopérations sur le développement des PME de BASH en France. Cet article s’articule autour de trois sections. La première souligne l’importance des coopérations réalisées par les PME de BASH dans le processus de transfert des connaissances du monde académique vers l’industrie ; la deuxième section nous permettra d’énoncer les hypothèses de la recherche ; enfin, la troisième section sera consacrée à la présentation de l’étude empirique que nous avons menée sur 60 PME de BASH en France.

1. Fondements théoriques

Dans la lignée des travaux de Marshall (1919), un ensemble de travaux de recherche dans le domaine de l’économie industrielle et notamment en économie spatiale ont vu le jour (Arena, Benzoni et Bandt, 1991 ; Rallet et Torre, 1995 ; Benko et Lipietz, 1992 ; Maillat et Perrin, 1993 ; Krugman, 1998 ; Lauriol, Perret et Tannery, 2008). Ces travaux avaient comme objet l’étude des concentrations spatiales des activités industrielles. Plus récemment, d’autres travaux ont examiné la relation entre le choix de localisation et le processus d’innovation à travers l’analyse de formes particulières de concentration spatiale, à savoir les technopoles, les clusters, les pôles de compétitivité, etc. (Quéré, 1990 ; Porter, 1998 ; Veltz, 1999 ; Barthe, Beslay et Grosseti, 2008 ; Pecqueur, 2008). Ces travaux relient des recherches appartenant à divers champs des sciences humaines et notamment dans le domaine management de l’innovation et de l’économie spatiale. Ils mettent l’accent sur l’importance des coopérations entre les entreprises et les différents acteurs présents dans leur milieu de localisation (Hubert, 2007). Les études empiriques soulignent aussi l’importance de certaines régions dans la dynamique de création de valeurs et d’emplois par l’innovation (Jaffe, Trajenberg et Henderson, 1993 ; Zucker, Darby et Armstrong, 1994).

D’autres travaux ont étudié les mécanismes par lesquels les connaissances issues de la recherche peuvent être transférées vers l’industrie (David, Mowery et Steinmueller, 1992 ; Faulkner et Senker, 1994 ; Salter et Martin, 2001). À travers les coopérations qu’établissent les PME de BASH avec les organismes de recherche académique, l’industrie pharmaceutique, les autres PME de biotechnologies et leurs participations à des consortiums de R-D, celles-ci peuvent constituer un moyen performant de transfert et de diffusion des connaissances. Ces PME créées par des chercheurs académiques jouent le rôle de véritables vecteurs de transfert technologique (Mustar, 2003).

La biologie moléculaire constitue aujourd’hui la principale source de l’innovation dans les biotechnologies modernes. Il s’agit d’une discipline scientifique qui a comme application industrielle l’industrie pharmaceutique. La biologie moléculaire est donc nécessaire au processus de recherche et de découverte pour l’industrie pharmaceutique (Cooke, 2003) ; les PME de BASH sont devenues les principaux fournisseurs de connaissances et de savoirs pour l’industrie pharmaceutique. La figure 1 représente l’interaction entre la science et l’industrie par le biais du génie moléculaire (Depret et Hamdouch, 2001). Dans ce contexte, l’idée de transfert des savoirs entre les institutions de recherche et l’industrie pharmaceutique prend tout son sens. Le génie biomoléculaire devient donc une technique issue des milieux universitaires, mais qui constitue en même temps une source d’innovations dans les milieux de l’industrie pharmaceutique.

Dès lors, le génie biomoléculaire peut être vu comme l’interface entre les prolongements techniques des connaissances scientifiques et les dynamiques d’innovation qui se manifestent dans la pharmacie. La flèche qui part de l’académie vers l’industrie indique le cheminement de la connaissance scientifique vers le marché, mais aussi le chemin qu’adoptent les processus d’invention puis d’innovation. La flèche en pointillé montre les enjeux économiques et politiques entre la sphère académique et l’industrie (Poncet, 2003).

Figure 1

Rôle des PME de BASH dans le transfert des connaissances

Rôle des PME de BASH dans le transfert des connaissances
Source : Poncet, 2006.

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Dans un domaine comme les biotechnologies où une partie importante des connaissances sont produites dans les universités et les autres centres de recherche, l’emploi productif de ces connaissances nécessite un procédé de transformation efficace et performant. En effet, même si la connaissance est codifiée dans des brevets et des publications, son exploitation nécessite le transfert de certains composants possédés uniquement par le producteur de cette connaissance (Dasgupta et David, 1994).

Cependant, les connaissances produites dans le domaine des biotechnologies naissent dans le monde universitaire et nécessitent de ce fait des mécanismes facilitant leur transfert vers l’industrie pharmaceutique. Certes, ce transfert est facilité par les relations de proximité, mais il demeure des entraves et des obstacles empêchant le transfert de ces connaissances. Pourquoi le transfert des connaissances produites dans les milieux universitaires est difficile à opérer vers le monde industriel ? Quelles sont les explications de cette difficulté liée au transfert de ces connaissances ? Ces problèmes de transfert ont pour origine deux principales causes. Premièrement, les laboratoires pharmaceutiques ont développé depuis des décennies des routines et des procédures de résolution des problèmes rencontrés lors du processus d’invention et d’innovation en utilisant des solutions issues de la chimie. Il s’agit donc de problèmes liés à la dépendance de l’industrie pharmaceutique à l’égard du paradigme chimique et à l’héritage du passé (Dosi, 1984). Deuxièmement, la connaissance qui constitue l’objet du transfert technologique de la sphère académique vers l’industrie pharmaceutique présente certaines caractéristiques qui rendent son transfert d’un milieu à un autre difficile, voire impossible (Jasimuddin, 2007).

1.1. Sentier de dépendance et contraintes héritées du passé

La notion de sentier de dépendance s’appuie sur une dimension historique reconnue et incorporée à l’étude des technologies. Le courant évolutionniste incorpore dans ces analyses le poids des investissements passés, le rôle de l’histoire de la firme et l’impact des modes de fonctionnement en place comme contraintes de ses comportements futurs (Nelson et Winter, 1982 ; David, 1992). Du point de vue des actifs et des ressources, cette approche est intéressante puisqu’elle développe l’analyse selon laquelle les opportunités de l’apprentissage sont dépendantes des activités passées de l’entreprise.

Les premiers travaux menés en termes de sentier de dépendance ont surtout été consacrés à l’adoption par les firmes de trajectoires technologiques particulières (Dosi, 1984). Des firmes engagées dans des processus de R-D peuvent se trouver dans l’incapacité de saisir des opportunités technologiques, du fait des engagements passés ou des compétences requises non encore développées. L’expérience passée de la firme conditionne donc ses choix en matière d’orientations technologiques. Les firmes pharmaceutiques se trouvent alors prisonnières des investissements et de l’ensemble des compétences qu’elles ont développées dans le domaine de la recherche. Le recours aux biotechnologies risque de rendre obsolètes les routines et les savoir-faire accumulés par l’industrie pharmaceutique. La « coopération créatrice », au sens de Saives, Desmarteau et Seni (2005), peut constituer une solution à ces problèmes liés au sentier de dépendance.

1.2. Les propriétés de la connaissance

Le Knowledge Management permet d’établir une distinction fondamentale entre la connaissance tacite et la connaissance explicite (Bounfour, 1998, 2006 ; Garavelli, Gorgoglione et Scozzi, 2002 ; Collins et Hitt, 2006 ; Jasimuddin, 2007). Aujourd’hui, plusieurs travaux dans le domaine du management des connaissances se sont développés autour de la problématique du transfert et de la diffusion des connaissances (Prax, 2003 ; Morgan et Terziovski, 2006 ; Ferrary et Pesqueux, 2006). Ces travaux tentent de présenter des solutions aux problèmes liés à la gestion courante de la connaissance, mais aussi aux difficultés liées à son transfert et sa diffusion. Ils mettent l’accent sur la dimension tacite de la connaissance qui rend les opérations de recherche et d’accès, de transport, de stockage, d’échange, de transaction et, enfin, de transmission difficiles à réaliser (Cowan et Foray, 1998).

En effet, en l’absence d’une formalisation par le biais du langage, la connaissance n’est plus séparable de son détenteur et de son contexte d’utilisation ; elle ne peut être acquise que par des processus d’imitation et d’expérimentation (Reix, 1995).

D’autres caractéristiques de la connaissance scientifique viennent perturber le processus du transfert, à savoir les coûts de reproduction de la connaissance (Callon, 1994 et 1999). Les coûts d’acquisition de la connaissance sont les coûts d’investissements intellectuels nécessaires pour former une communauté capable de comprendre et d’exploiter la connaissance.

La codification des connaissances tacites est nécessaire avant toute opération de transfert technologique. Toutefois, le processus de codification des connaissances tacites proposé par Nonaka (1994) présente plusieurs limites. En effet, il exige que les acteurs concernés aient déjà les capacités nécessaires pour comprendre et assimiler les nouvelles connaissances produites. Cela n’est pas le cas dans le domaine des BASH dans la mesure où les industries pharmaceutiques ne détiennent pas les bases nécessaires pour comprendre les connaissances développées dans le domaine des biotechnologies. Les connaissances fondamentales dans le domaine des biotechnologies naissent privées et ne deviennent publiques qu’à coup d’investissements coûteux. L’industrie pharmaceutique doit donc disposer d’une capacité d’absorption, soit une capacité lui permettant d’assimiler et de reproduire les connaissances disponibles (Foray et Mowery, 1990). Cette capacité suppose l’existence de compétences spécifiques permettant l’utilisation de ces savoirs.

Cette première partie nous a permis de montrer l’importance du rôle que jouent les PME de BASH dans le processus de transfert des connaissances tacites du monde universitaire vers l’industrie. Ce transfert de connaissances est susceptible d’être facilité par la proximité géographique entre la PME et les différents acteurs de son milieu. Ces connaissances ne peuvent être obtenues qu’à travers des coopérations solides que doit tisser la PME avec les acteurs de BASH.

2. Types de coopérations et importance de la localisation

La survie et le développement des PME de BASH sont assurés en partie par la qualité et la nature des coopérations qu’elles entretiennent avec les différents acteurs de leur milieu d’implantation. La section précédente montre l’importance des PME de BASH dans le processus de transfert technologique entre le monde universitaire et l’industrie pharmaceutique. La recherche dans le secteur pharmaceutique a été longtemps dominée par le paradigme chimique. Depuis les années 1970, ce paradigme est à bout de souffle. On assiste dès lors à une baisse de la productivité et de la rentabilité de la recherche de ce secteur (Depret et Hamdouch, 2001). L’avènement des nouvelles connaissances issues des travaux sur les biotechnologies modernes constitue la garantie d’une nouvelle relance et une importante opportunité de croissance pour le secteur pharmaceutique (Desmarteau et al., 2005). Les coopérations entre les firmes pharmaceutiques et les PME de BASH peuvent constituer un moyen de consolidation industrielle du secteur pharmaceutique et évitent ainsi la disparition de cette industrie. La « coopération créatrice » serait donc une alternative à la « destruction créatrice » (Desmarteau et Saives, 2008). Les coopérations entre les firmes pharmaceutiques et les PME de BASH sont incitées par la complémentarité des actifs nécessaires au processus d’industrialisation des connaissances dans le domaine des BASH (Saives et al., 2005).

Les coopérations des PME de BASH avec les firmes de l’industrie pharmaceutique sont d’une grande importance dans la mesure où elles permettent de contribuer au développement de ces PME (Depret et Hamdouch, 2001). Ces coopérations sont un indice de la fiabilité de la recherche entreprise dans la PME (Zucker et Darby, 1997). Ces coopérations sont aussi nécessaires pour assurer la fabrication et la commercialisation des produits de ces PME dans la mesure où les coûts de construction d’une unité de production pour des produits issus des BASH dépassent de loin les capacités matérielles de ces PME (Mangematin, 2003). Compte tenu des recherches antérieures, nous proposons l’hypothèse suivante :

H1 : L’impact des coopérations avec les firmes de l’industrie pharmaceutique sur le développement des PME de BASH est plus fort pour celles localisées dans des technopoles.

Les PME constituent le moyen de transfert technologique par excellence puisqu’elles permettent la mobilité des détenteurs de la connaissance (Cordey-Hayes et Gilbert, 1996). Dans cette logique, les coopérations avec les organismes de recherche publique revêtent une importance toute particulière dans le développement de ces PME dans la mesure où une grande partie des PME développent des technologies issues de travaux de recherche menés dans leurs laboratoires d’origine (Carayannis et al., 1998 ; Mustar, 2003). Le maintien des relations avec les laboratoires et les centres de recherche scientifique permettent à la jeune PME d’accéder à de nouvelles connaissances en relation directe avec les technologies qu’elles sont en train de développer et surtout d’utiliser des plateformes technologiques nécessaires aux travaux de recherche menés au sein de la PME. Les créateurs de ces PME continuent d’exercer des activités d’enseignement et d’encadrement de travaux de recherche dans leurs laboratoires ou institutions d’origine (Fontes, 2005). Ces discussions conduisent à formuler l’hypothèse suivante :

H2 : L’impact des coopérations avec la recherche universitaire sur le développement des PME de BASH est plus fort pour celles localisées dans des technopoles.

Les coopérations intersectorielles ont été largement étudiées dans les sciences de gestion. Les coopérations des PME de BASH avec les autres entreprises de biotechnologies permettent d’accéder à des ressources difficiles à transférer et à développer par les propres compétences de la PME (Quélin, 1996). Ce type de coopération est très important pour assurer le développement des PME de BASH. S’allier avec d’autres entreprises de biotechnologies permet à la PME de BASH de connaître le niveau de développement des technologies de ses principaux concurrents, d’un côté, mais surtout d’accéder à leurs connaissances et à leurs savoirs (Longhi et Quéré, 1994). Ces coopérations permettent à la PME de développer de nouvelles compétences grâce au partage et à l’échange de nouvelles pratiques dans le domaine de la recherche et du développement (Ruffieux, 1991). Compte tenu des recherches antérieures, nous proposons l’hypothèse suivante :

H3 : L’impact des coopérations avec les entreprises de biotechnologies sur le développement des PME de BASH est plus fort pour celles localisées dans des technopoles.

Les coopérations avec la recherche privée sont intéressantes pour les PME de BASH. Plus développée aux États-Unis grâce au nombre important de ces laboratoires et centres de recherche privés, ce type de coopération permet de financer une partie de la recherche entreprise dans la PME (Zucker, Darby et Wang, 2004). Plusieurs travaux aux États-Unis montrent l’importance de ce type de coopérations dans le développement des PME de hautes technologies. Ces discussions conduisent à formuler l’hypothèse suivante :

H4 : L’impact des coopérations avec les organismes de recherches privées sur le développement des PME de BASH est plus fort pour celles localisées dans des technopoles.

Les accords de coopération passés entre les entreprises en matière de recherche et développement sont des dispositifs institutionnels construits par les agents et qui permettent le partage et l’appropriation des externalités. Les consortiums de R-D regroupent souvent des entreprises (généralement de grande taille) et des organismes de recherche publics (Blanchot et Fort, 2007). Ces coopérations sont le plus souvent observées dans la phase préconcurrentielle, permettant aux entreprises d’avoir une nouvelle base de connaissances (Kanter, 1990 ; Evan et Olk, 1990 ; Niosi et Bergeron, 1991). Ces accords limitent l’étendue des externalités et permettent aux différents acteurs membres des accords de coopération de s’approprier les résultats de la recherche. Ce type de coopération est très courant dans le domaine des biotechnologies (Cassier, 1997 et 1998 ; Fonrouge, 2007). Dans le domaine des BASH, un consortium international sur le décryptage du génome humain (lancé en 1990 et achevé en 2003) a permis d’éviter la répétition des travaux de recherche dans ce domaine et de réduire le temps de découverte pour certaines connaissances. Les résultats des recherches sont ainsi partagés par l’ensemble des participants à ce consortium international. Compte tenu des recherches antérieures, nous proposons l’hypothèse suivante :

H5 : L’impact des participations à des consortiums de R-D sur le développement des PME de BASH serait plus fort pour celles localisées dans des technopoles.

3. Rôle modérateur de la variable localisation dans la relation coopération-développement

Afin de valider les hypothèses de recherche, nous avons choisi de comparer les PME appartenant au pôle de compétitivité Medicen Paris Région, localisées dans la région Île-de-France et les autres PME localisées en dehors de cette région. Spécialisé dans les hautes technologies pour le diagnostic, la thérapeutique et le médicament, le pôle de compétitivité Medicen Paris Région entend devenir le premier cluster européen dans le domaine des innovations thérapeutiques. Le choix de la région Île-de-France pour l’accueil de ce pôle a été motivé par le fait que la région IDF est la première région européenne pour le nombre des entreprises des sciences du vivant et qu’elle représente plus de 40 % des dépenses totales de la recherche publique française en matière de santé. Le pôle de compétitivité Medicen est en effet en mesure de concurrencer les autres grands pôles mondiaux de cette spécialité, ceux du Grand Londres, de Berlin ou de Munich et ceux de la région de Boston ou de la côte ouest des États-Unis.

Figure 2

Cadre conceptuel de la recherche

Cadre conceptuel de la recherche

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Deux bases de données permettent une recherche simple et efficace des entreprises de biotechnologies en fonction de leur domaine d’activité, à savoir celle de l’association France Biotech[1] et celle du ministère délégué à l’Enseignement supérieur et la recherche[2].

Pour être qualifiée comme PME de BASH, celle-ci doit avoir comme objet la mise sur le marché de médicaments et de thérapies exploitant des connaissances issues des travaux sur les biotechnologies. De façon opérationnelle, nous n’avons gardé dans notre population que les entreprises ayant au moins un produit en développement en phase préclinique. Nous avons ainsi recensé 64 PME de BASH en France. Cette étude a permis de collecter des informations sur 60 des 64 entreprises recensées (31 en région Île-de-France et 29 en dehors de cette région). En raison du faible nombre de la population totale, il était préférable de procéder à un recensement et non pas à un échantillonnage probabiliste. Cette étude a eu lieu entre septembre 2004 et décembre 2005.

Notre questionnaire a été administré aux responsables et/ou fondateurs des PME de BASH. Vu la difficulté de contacter ces personnes, d’un côté, et la réticence des responsables de ces PME à l’égard de toute demande d’informations, de l’autre côté, nous avons opté pour une méthode de collecte de données qui consiste à combiner les différents moyens d’administration du questionnaire. Nous avons commencé par envoyer le questionnaire par voie postale. Le taux de réponse était faible (huit entreprises ont retourné le questionnaire rempli). En second lieu, nous avons envoyé le questionnaire par le courriel. Cette étape nous a permis d’avoir la réponse de 21 PME supplémentaires. Afin d’obtenir les réponses des 31 PME restantes, nous avons procédé à des entretiens face à face pour les PME de la région Île-de-France et à des entretiens téléphoniques pour les PME situées en dehors de cette région.

3.1. Détermination de la variable développement

Comme nous ne disposons pas de mesure pour la variable développement, elle sera construite à partir d’autres variables qui peuvent être considérées comme des indicateurs du développement. Dans les études sur le développement des entreprises, souvent le chiffre d’affaires ou son évolution dans le temps sont considérés comme des déterminants du développement des entreprises. Cependant, la plupart des PME de BASH étudiées ne réalisent pas de chiffre d’affaires. En effet, les PME de BASH en France, vu leur âge, sont encore en phase de recherche.

Afin de trouver une bonne estimation de la variable développement, nous avons choisi de construire une variable à partir de trois indicateurs du développement. Les deux premiers indicateurs, à savoir le nombre de salariés et le nombre de chercheurs, constituent des indicateurs du développement qu’on retrouve dans plusieurs études. Cependant, nous avons ajouté une troisième variable, soit le nombre de produits en développement. Cette variable est composée de la somme des produits en développement au sein de la PME, et ce, dans les différentes phases de leur développement. Le développement d’un médicament issu des biotechnologies se décompose en cinq phases : préclinique, Phase I, Phase II, Phase III et la Phase IV. Afin de construire la variable développement, nous avons procédé à une analyse en composantes principales (ACP) des trois variables déjà citées ; les axes qui seront obtenus seront introduits dans la régression.

Les résultats du tableau 1[3] permettent donc de conclure que les variables sont corrélées et qu’il est, de ce fait, possible de les regrouper sous la forme de facteurs ou axes.

L’ACP réalisée sur les trois variables déterminant le développement des PME de BASH en France a abouti à la formation d’un seul axe factoriel (tableau 2). Cet axe permet de restituer 84,014 % de l’inertie totale. Le deuxième axe permet certes d’améliorer l’inertie, mais présente une valeur propre inférieure à 1. Le tableau 3 présente la corrélation des trois variables avec l’axe factoriel. Les trois variables présentent une forte corrélation avec l’axe factoriel identifié. En définitive, l’analyse en composantes principales permet de garder un seul axe qui constitue une bonne estimation de la variable développement (plus de 84 % de l’information restituée).

3.2. Traitement des données et résultats

La validation empirique des hypothèses de la recherche passe par la réalisation d’une régression en sous-groupes de la variable développement sur l’ensemble des variables qui mesure les différentes formes de coopération. Rappelons que la variable localisation est une variable dichotomique qui prend deux valeurs (1 si la PME est localisée dans la région Île-de-France et 0 si la PME est localisée hors de la région Île-de-France).

Les variables représentant les formes de coopérations sont les suivantes : coopérations avec l’industrie pharmaceutique, coopérations avec les entreprises de biotechnologie, coopérations avec les organismes de recherche publique, coopérations avec les organismes de recherche privée et enfin participations dans des consortiums de recherche. Les résultats des deux régressions seront présentés en fonction de la localisation de la PME.

Les résultats de la régression des PME localisées dans la région Île-de-France (voir tableau 4) sont très intéressants dans la mesure où la signification du modèle est bonne R2 = 85,1 %. Les résultats du modèle pourront donc être généralisés. Au regard de ce critère, le modèle constitue une bonne estimation de la variable développement.

Le test de Fisher-Snedecor permet de comparer l’importance de l’explication fournie par le modèle aux variations apportées par les résidus (tableau 5). Les résultats de l’ANOVA pour les PME localisées hors de la région Île-de-France présentent une valeur très faible du test de Fisher, soit 4,255. Au seuil de 10 %, le modèle ainsi retenu pour les PME localisées en dehors de la région Île-de-France est explicatif du phénomène étudié. Pour le modèle comprenant les PME localisées dans la région Île-de-France, le test de Fisher est significatif (valeur du test élevé 40,588) ; le modèle est significatif au seuil de 1 %.

Pour déterminer le rôle modérateur de la variable « localisation » dans la relation coopération-développement, nous présenterons dans ce qui suit les résultats des deux régressions en sous-groupes opérées sur les PME des BASH en France. L’analyse sera effectuée en regardant la signification des coefficients en utilisant le test de Student, ensuite, nous comparerons les valeurs des coefficients standardisés (Bêta) pour les deux sous groupes.

3.3. Discussion

L’interprétation des résultats d’une régression obéit toujours aux mêmes règles statistiques. Notons que jusqu’à cette étape, les deux sous-modèles étaient acceptables au regard des critères du seuil de détermination et de la significativité du test de Fisher. L’interprétation des résultats se basera sur les résultats présentés dans le tableau 6 présenté en annexe.

PME localisées hors de la région Île-de-France

Aucun des coefficients de régression Bêta n’est significatif au seuil de 10 % pour les PME localisées hors de la région Île-de-France. Cela signifie qu’il y a absence d’un effet modérateur de la variable localisation dans la relation coopération-développement pour les PME de BASH localisées hors de la région Île-de-France. Les coopérations avec les différents acteurs présents dans le milieu d’implantation de la PME ont certes un impact sur le développement, mais cet impact n’est pas amplifié par la localisation de la PME. En effet, les accorts de coopération pour ces PME sont relativement faibles avec les acteurs du milieu d’implantation. Cela pourrait être expliqué par la distance qui sépare ces PME des différents centres de recherche ou tout simplement par l’absence d’acteurs de biotechnologie dans le milieu d’implantation. Les PME localisées en dehors de la région Île-de-France ne peuvent bénéficier des mêmes atouts que ceux que pourrait offrir un choix de la localisation dans une forme spatialisée de l’innovation (technopole ou autre).

PME localisées dans la région Île-de-France

L’examen des différents coefficients de régression du modèle concernant les PME de BASH localisées dans la région Île-de-France montre une forte interaction entre trois variables explicatives (coopérations avec industrie pharmaceutique, coopérations avec entreprises de biotechnologies et coopérations avec organismes de recherche publique) et la variable à expliquer, le développement. La statistique t de Student est significative pour les trois variables explicatives au seuil de 10 % pour les variables coopérations avec industrie pharmaceutique (8 %) et coopérations avec entreprises de biotechnologies (5,2 %) et au seuil de 2 % pour la variable coopérations avec organismes de recherche publique (1,9 %). Le coefficient de régression β est positif pour les trois variables explicatives. Il montre l’existence d’une corrélation positive entre les variables explicatives et la variable développement.

Les résultats de la régression montrent que plus le niveau de développement des PME de BASH est élevé, plus le nombre de coopérations réalisées avec des entreprises de l’industrie pharmaceutique est important. Les groupes pharmaceutiques rencontrent des difficultés dans l’utilisation des connaissances développées dans le domaine des BASH (problème de changement de paradigme technologique, de sentier de dépendance et de dimension tacite des connaissances issues des BASH). Les coopérations avec les PME de BASH constituent une solution à ces problèmes (Desmarteau et Saives, 2008). Dès lors, le rôle de ces PME est de faciliter le transfert de ces connaissances vers l’industrie pharmaceutique, soit par des accords de coopération, soit en suivant des stratégies d’absorption propres aux groupes pharmaceutiques. L’engagement d’un groupe pharmaceutique dans un accord de coopération avec une PME de BASH témoigne tout d’abord de la qualité des travaux menés au sein de la PME, mais aussi du niveau de développement de cette PME. Les accords de coopérations des PME avec les groupes pharmaceutiques constituent un gage de confiance pour les autres investisseurs (Depret et Hamdouch, 2001). Les entreprises du secteur pharmaceutique, par leurs moyens financiers, leurs capacités en termes de recherche et d’innovation, assurent un niveau de développement important aux PME de BASH. La dimension locale s’avère importante dans l’élaboration des relations de coopérations. La plupart des groupes pharmaceutiques français et internationaux possèdent des locaux dans la région Île-de-France. Cette proximité est de nature à faciliter les liens entre ces groupes, d’un côté, et les PME de BASH localisées dans cette région, de l’autre côté. Cela nous permet d’accepter la première hypothèse selon laquelle l’impact des coopérations avec les firmes de l’industrie pharmaceutique sur le développement des PME de BASH est plus fort pour celles localisées dans des technopoles.

Les résultats de la régression montrent aussi que pour les PME de BASH localisées dans la région Île-de-France, les coopérations avec d’autres entreprises de biotechnologies jouent un rôle positif sur le développement de ces PME. En effet, il est très improbable de trouver deux PME de BASH développant les mêmes technologies et appartenant au même milieu d’implantation. Donc, a priori, il n’y a pas d’effet d’interaction entre la localisation et le fait de réaliser des coopérations avec d’autres PME de biotechnologies. L’appartenance à la région Île-de-France facilite les coopérations entre les PME de cette région et celles qui se trouvent dans d’autres régions du monde. La région Île-de-France offre des services qui facilitent le rapprochement entre PME. Il s’agit d’une région caractérisée par la commodité des moyens de transport, de logement et de communication ; ce sont des atouts importants pour toute relation de coopération. Ces résultats permettent donc d’accepter l’hypothèse selon laquelle l’impact des coopérations avec les entreprises de biotechnologies sur le développement des PME de BASH est plus fort pour celles localisées dans des technopoles.

Ces mêmes résultats montrent l’importance du rôle des coopérations avec la recherche publique dans le développement des PME de BASH. En effet, l’appartenance à la région Île-de-France permet de faciliter les relations entre la PME et les différents organismes de recherche scientifique. La région Île-de-France regroupe un nombre important d’institutions de recherche publique en France. Cette région est connue pour sa concentration de l’effort national de la recherche et de l’innovation en France. Les coopérations avec la recherche publique contribuent le plus à l’explication du niveau du développement des BASH (β = 0,48). Ces résultats sont conformes avec les travaux qui mettent l’accent sur l’importance de la coopération entre ces PME et la recherche scientifique (Mustar, 2003 ; Poncet, 2006) et permettent donc d’affirmer l’hypothèse selon laquelle l’impact des coopérations avec la recherche scientifique sur le développement des PME de BASH est plus fort pour celles localisées dans des technopoles.

L’impact des coopérations avec la recherche privée n’est pas amplifié par la localisation de l’entreprise. Ce résultat peut être expliqué par le fait que ces coopérations ont souvent une dimension internationale. Le faible nombre de laboratoires de recherche privée en France et la spécificité des recherches effectuées par les PME de BASH permettent à celle-ci de nouer des coopérations avec des laboratoires privés internationaux. L’impact de la participation dans des consortiums de recherche sur le développement n’est pas affecté par la localisation de la PME et sera de ce fait exclu du modèle de régression. En effet, les consortiums de R-D dans le domaine des biotechnologies ont souvent une dimension européenne ou internationale.

Conclusion

Le secteur des BASH est un secteur caractérisé par l’importance de la recherche et la qualité des relations que les PME entretiennent avec la recherche scientifique. L’analyse des PME de BASH a donc permis de mettre en évidence leur forte dépendance à l’égard des connaissances scientifiques produites dans le domaine des biotechnologies. Ces connaissances sont le plus souvent produites au sein d’institutions de recherche scientifiques financées en grande partie par des fonds publics. L’accès à ce type de connaissances à fortes dimensions tacites nécessite le recours à des accords de coopérations formels et informels, facilitant l’industrialisation de ces connaissances. Le dynamisme des PME de BASH dépend de la qualité des coopérations qu’elles entretiennent avec les acteurs locaux. Les BASH ne peuvent pas être considérées comme des activités classiques, fermées et indépendantes de leur environnement territorial. À travers cette recherche, nous avons questionné les vertus de la localisation géographique pour le développement des PME de BASH. En effet, la proximité géographique entre agents favorise les coopérations et les échanges des connaissances scientifiques.

De façon générale, cet article montre la place occupée par les différents types de coopérations dans le développement des PME de BASH en France, mais aussi le rôle catalyseur que peut jouer le choix de leur localisation. Les coopérations avec la recherche publique expliquent le plus le niveau de développement de ces PME. Ces coopérations permettent à la PME de BASH d’accéder à un certain nombre de connaissances produites par la recherche publique (Poncet, 2006). Ces coopérations sont le plus souvent informelles dans la mesure où l’entrepreneur-chercheur garde toujours des relations de collaboration avec ses anciens collègues (cas où la PME est une spin-off d’un centre ou d’un organisme de recherche publique) ; ajoutons aussi que pour les PME de la région de l’Île-de-France, les coopérations avec l’industrie pharmaceutique et les autres entreprises de biotechnologies permettent d’assurer un niveau de développement élevé. Il s’agit d’une « coopération créatrice » permettant aux groupes pharmaceutiques de mieux gérer le changement de paradigme de recherche en pharmacie. En effet, ces PME ont pour tâche de transférer les connaissances qu’elles ont acquises et développées du monde universitaire vers le monde industriel. Ce résultat conforte l’hypothèse selon laquelle les PME de BASH constituent des vecteurs de transfert technologique entre la recherche académique et l’industrie (Mustar, 2003). Les PME localisées hors de la région Île-de-France ne bénéficient pas des mêmes atouts et leur faible niveau de coopération ne permet pas d’expliquer leur développement. Dès lors, il apparaît que l’appartenance à un milieu d’implantation à forte identité territoriale fournit à la PME un ensemble d’atouts assurant son développement. Les politiques technologiques doivent davantage favoriser la mise en place et le développement de technopoles dédiés aux biotechnologies permettant ainsi de rapprocher les différents acteurs de ce secteur d’activité. La proximité joue un rôle important dans le rapprochement des PME de BASH de l’industrie pharmaceutique et des institutions de recherche scientifique.