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Les transformations récentes du marché du travail touchent tous les groupes d’âge, et ce livre s’intéresse aux jeunes et à la manière dont les entreprises peuvent s’adapter pour attirer et retenir cette main-d’œuvre, dont on dit qu’elle est très mobile. Ce n’est pas nécessairement toujours le cas, mais clairement davantage en contexte de rareté de main-d’œuvre, comme c’est le cas actuellement.

Les transformations associées aux technologies et à l’intelligence artificielle se traduisent notamment par des effets importants en termes de tâches, de précarité, d’engagement ou de non-engagement au travail, ou encore de nouvelles formes d’engagement dans le travail et l’emploi. Au cours des dernières décennies, on a beaucoup traité des comportements des jeunes (définis comme moins de 30 ans en général) à l’endroit du travail, de la vie hors travail, des loisirs et de la conciliation emploi-famille notamment. (Tremblay, 2019 et 2024, à paraître en septembre 2024)

Avec l’augmentation de la rareté de main-d’œuvre observée au cours des dernières années au Québec et au Canada, encore plus qu’en France, d’où est issu ce livre, les organisations cherchent des moyens d’attirer et de conserver la main-d’œuvre en général, mais entre autres les jeunes, comme les plus âgés, qui sont parfois tentés de quitter le marché du travail.

Dans cet ouvrage, Suzy Canivenc s’intéresse aux actions des entreprises pour satisfaire les attentes des salariés, notamment des jeunes salariés. Ce que je trouve intéressant ici, c’est que contrairement à nombre d’ouvrages ou d’analyses qui mettent en avant des différences radicales entre les jeunes et les ‘autres’, cet ouvrage affirme que les attentes et aspirations des jeunes présentent une grande continuité avec les attentes et aspirations d’autres groupes, une position que je soutiens mais qui ne semble pas recueillir l’aval de nombre de personnes s’intéressant à la situation et aux aspirations des jeunes. Combien d’enquêtes qui mettent en évidence les particularités des générations X, Y ou Z ? Si cet ouvrage reconnaît qu’il y a certains traits plus marqués chez certaines générations, l’auteure considère néanmoins qu’ils se diffusent rapidement chez d’autres classes d‘âge. Pour ma part, je pense que la situation macro-économique, le niveau de chômage et d’activité par exemple, agit fortement sur les perceptions et affirmations des ‘jeunes’. Ainsi, les jeunes arrivés sur le marché du travail dans les années de pénurie de main-d’œuvre peuvent ‘se permettre’ de demander des heures réduites, une semaine de 4 jours, des vacances plus longues, ou autres aménagements de temps de travail. À l’inverse, les jeunes qui arrivaient sur le marché du travail dans une période de chômage élevé, comme les années 1980 et 1990 au Québec (Tremblay, 2022), ne pouvaient se permettre de demander plus d’autonomie, de vacances, d’aménagements de temps de travail, et surtout pas au moment de la première entrevue d’embauche, alors que c’est davantage le cas aujourd’hui. Certains conseillers en ressources humaines ou employeurs affirment même qu’ils ont l’impression que ce sont les jeunes, futurs employés, qui leur font passer une entrevue, et non l’inverse.

Donc, une approche intéressante dans cet ouvrage, où l’on souligne quelques ‘traits plus marqués’ chez les jeunes que dans d’autres classes d’âge (chapitre 3), mais tout en observant que nombre de ces traits se trouvent aussi chez les autres générations (chapitre 2). Le chapitre 1 montre de son côté qu’il y a une certaine continuité entre les demandes d’hier et celles d’aujourd’hui, donc non seulement des similitudes entre générations aujourd’hui, mais aussi par le passé. Autre élément intéressant, l’ouvrage va à l’encontre de l’idée que les jeunes soient tous des « techies », ou experts en technologies. Étant nés avec la technologie numérique, ils l’utiliseraient tous facilement et intensément. Encore une idée préconçue qui est contestée ici. L’auteure souligne que « la façon dont les jeunes utilisent la technologie numérique est très hétérogène : les profils d’usagers sont tout aussi différenciés que dans les autres classes d’âge, allant des actifs aux réticents en passant par les modérés, dans des proportions équivalentes. » (p. 49).

L’ouvrage est issu d’une recension exhaustive des écrits sur le sujet et cite un grand nombre de sources, incluant des enquêtes menées par divers groupes ou organisations, qui viennent appuyer les propos de l’auteure. Outre la remise en question de certaines idées reçues sur les jeunes, l’ouvrage interroge aussi certaines perceptions ou affirmations qui ont eu cours pendant et depuis la pandémie. Ainsi, l’ouvrage permet de déconstruire et d’analyser davantage les expressions comme la « quête de sens » la « grande démission » et, ainsi, de déterminer la part de réalité et la part de fantasme que l’on peut retrouver sous ces expressions.

Un des aspects intéressants de l’ouvrage pour les personnes travaillant dans des organismes d’employabilité, des organismes conseillant les entreprises à la recherche de salariés, ou encore les entreprises publiques et privées elles-mêmes, se trouve dans la présentation de nombreux exemples d’entreprises qui ont mis en place de nouvelles pratiques, par exemple en matière de rémunération, d’organisation du travail ou encore de collaboration entre des jeunes et des plus âgés dans des projets d’innovation (de produits ou autres).

L’ouvrage souligne que plusieurs organisations ont déjà amorcé des actions pour avancer dans ce qu’elles désignent comme « le futur du travail », mais qu’il faut aller plus loin dans ce domaine. L’auteure note que deux axes sont au cœur des principales actions, soit :

« -les actions en termes de RSE (responsabilité sociale d’entreprise) …

-les actions en termes d’Expérience Collaborateurs en lien avec la question des conditions de travail. ».

Suzy Canivenc considère que pour attirer les jeunes, et autres employés d’autres groupes aussi en fait, il faut aller « au-delà des démarches de façade qui ne convainquent plus les salariés », et qu’il faut plutôt adopter des « approches multidimensionnelles qui s’enracinent dans la réalité et le quotidien de travail. ». (p. 7).

L’ouvrage contient une bibliographie importante, peut-être davantage centré sur les publications européennes et françaises, mais qui sont très intéressantes pour l’enseignement et la recherche au Québec comme ailleurs. Les thèmes de la relation au travail, de l’autonomie, de la gestion des âges, de l’innovation organisationnelle, de la rémunération sont parmi les thèmes abordés et l’ouvrage peut sans doute être utile dans des cours en sociologie du travail, gestion des organisations, entre autres.