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01. Introduction

Les aînés ne forment pas un groupe homogène, que ce soit au niveau social ou dans leur répartition sur les territoires. Différentes configurations amènent des vieillissements contrastés qui appellent à des approches interdisciplinaires liées aux expériences du vieillir : en banlieue, en milieu rural, en situation de handicap, avec des enfants à proximité, avec des revenus limités, avec un conjoint, en résidence pour aînés, etc. Les cumuls, les associations ou les changements des déterminants des configurations objectives ou symboliques du contexte du vieillissement génèrent des possibilités d’exclusion, temporaires ou non, ce qui transforme l’expérience du vieillissement chez soi et peut obliger à vieillir ailleurs que chez soi.

Au Québec, l’immigration est porteuse de changements et de stabilité démographiques, mais affecte néanmoins le portrait social des villes d’accueil. Avec environ 50 000 arrivants par année au Québec, le Grand Montréal attire 8 immigrants sur 10 (Gouv. du Québec, 2015). En 2017, même avec un léger recul, l’immigration économique représentait de loin le principal motif, soit 60% contre 23% pour le regroupement familial, 15% pour les réfugiés et 2% pour les autres catégories (CMM, 2019). En 2021, le recensement canadien montrait une population totale de 4 291 732 personnes pour la région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal, dont 1 022 940 personnes issues de l’immigration. La diversité culturelle, ethnique et religieuse y est relativement marquée, mais les concentrations résidentielles sont relativement faibles dans les quartiers dits « ethniques ». Depuis ses origines, Montréal se construit et se transforme considérablement au rythme des migrations (Germain, 2016); française, britannique et Irlandaise lors de sa fondation ; portugaise, grecque et italienne au début 20e siècle; aujourd’hui les origines sont toujours plus diversifiées (caribéenne, maghrébine, asiatique).

Pour la région métropolitaine, le vieillissement des populations issues de l’immigration suit la même tendance que celle de la population globale au Québec, avec une augmentation de la part de plus de 65 ans. Cependant, avec 20% en 2021, la proportion des plus de 65 ans tend à être plus élevée chez les immigrants que dans l’ensemble de la population métropolitaine (18%). Les aînés immigrants comptent pour 5,9% dans celle du Grand Montréal, soit presque 260 000 personnes. Dans ce contexte, les territoires d’immigration, les profils et les projets résidentiels des immigrants dans le Grand Montréal sont aujourd’hui mieux connus, mais ils le sont dans une moindre mesure pour la perspective de vieillissement et selon les territoires.

Dans cet article, nous proposons d’abord un cadrage théorique des facteurs d’inclusion et d’exclusion des personnes aînées issues de l’immigration avec le concept de normalité résidentielle (residential normalcy) (Golant, 2015). Nous proposons ensuite d’aborder trois territoires d’immigration contrastés dans le Grand Montréal : Parc-Extension, Montréal-Nord et Brossard. Pour ce faire, nous avons réalisé, d’un côté, une caractérisation urbaine des territoires et, d’un autre, des entretiens semi-directifs et des ateliers avec des intervenants auprès des aînés immigrants. Nous concluons nos analyses avec une discussion sur les enjeux et les éléments de solutions à mettre en place pour favoriser une meilleure inclusion et participation des aînés issues de l’immigration. En ce sens, il s’agira de mettre en lumière les configurations qui permettent aux personnes d’atteindre la normalité résidentielle et un sentiment positif face à leur milieu de vie.

02. Prendre place dans son quartier, un défi pour l’immigration et le vieillissement ?

L’intégration des immigrants au niveau de la langue, de l’emploi ou de l’éducation fait l’objet de nombreuses études (ex. Arcand, Najari, 2014; Eid, 2012), mais la question du logement et de l’habitat demeure cruciale et méconnue, notamment dans ses dynamiques avec la société d’accueil. Les territoires de l’immigration et les profils des immigrants sont aussi relativement bien documentés. Ainsi, alors que l’on connaît bien les géographies de l’immigration à Montréal (Marois, Lord 2017 ; Apparicio et al., 2007), des connaissances sur la signification (familiarité, sécurité, identités, etc.) que les immigrants âgés associent à leurs milieux de vie restent à construire, tout particulièrement sur les temps longs du vieillissement.

Nous abordons les dynamiques d’exclusion et de marginalisation, sous l’angle de la résilience des personnes vieillissantes d’ici et d’ailleurs dans leur parcours, tout comme la transformation de leurs milieux de vie (Garoon et al., 2016). Dans ce que Golant (2015) définit comme la « residential normalcy», soit le modèle théorique d’un environnement résidentiel congruent et résilient qui répond aux besoins émotionnels et fonctionnels auquel aspirent les personnes âgées, tout comme les décideurs de la ville, il s’agit d’approcher les difficultés d’inclusion et les opportunités que peut offrir un territoire. L’exclusion, en lien avec le concept de normalité résidentielle, peut être définie comme un processus lié, mais non limité, à la pauvreté et à la précarité. L’exclusion est située culturellement et historiquement et implique également l’exercice des droits fondamentaux. Une personne ou un groupe de personnes sont en situation d’exclusion lorsqu’ils sont privés des ressources économiques, sociales, spatiales, culturelles ou politiques nécessaires à la normalité résidentielle. L’exclusion n’est pas seulement fonctionnelle, elle possède des dimensions expérientielles, ce qui peut renforcer le sentiment et la perception d’être exclu.

2.1 Le quartier comme espace privilégié d’action sur l’exclusion des aînés issus de l’immigration

Les mobilités résidentielles et quotidiennes donnent de nouvelles perspectives aux dynamiques urbaines et aux possibilités d’exclusion. Si les limites de la localisation résidentielle sont discutées depuis les années 2000, ce n’est que récemment que sont abordées les dynamiques migratoires par le biais des espaces et des modes de vie (Wissink et al., 2016). Les mobilités ont transformé les villes avec davantage de fluidité et d’accessibilité aux ressources urbaines et aux lieux d’emplois, de loisirs et de socialisation. Les concentrations résidentielles des communautés ethniques dans l’espace urbain prennent de nouvelles significations auxquelles les immigrants, plus ou moins mobiles dans l’espace urbain, s’identifient et s’approprient pour leur parcours d’intégration. Vivre au sein de quartiers perçus comme ceux de la société d’accueil, ou dans d’autres, perçus comme appartenant aux communautés immigrantes, peut avoir plusieurs significations qui peuvent se comprendre qu’avec les perceptions des résidents (ex. Bolt et al., 2008). C’est dans l’espace d’action de la personne (Dijst, 1999), en lien avec les autres habitants, qu’il est pertinent de s’intéresser à l’espace des pratiques individuelles et sociales, contribuant à l’évolution des dynamiques plus globales. Le « quartier » (Guérin-Pace, 2007) figure dans nos travaux à la fois dans le cadre théorique et la stratégie méthodologique : 1) comme objet pragmatique de localisation et d’identification; 2) comme espace central dans la construction des identités dans un contexte de fragmentation des espaces de vie et des possibilités d’exclusion et de marginalisation. En conséquence, nous ne visons pas dans le cadre de cet article une communauté d’immigrants précise ou un sous-groupe de personnes âgées, mais nous considérons plutôt les milieux de vie dans leur diversité, avec l’ensemble des personnes en place dans leur environnement résidentiel.

2.2 Quelles places les aînés immigrants prennent-ils dans leurs milieux de vie au Québec aujourd’hui ?

La présence de plus en plus importante d’aînés dans la population appelle à la mise en place de stratégies, entre autres, pour favoriser le vieillissement indépendant chez soi. Dans une perspective de conservation de l’autonomie, l’environnement résidentiel est un facteur clé qui peut accentuer ou atténuer le déclin physique, physiologique et social qui accompagne l’avancée en âge. La population aînée issue de l’immigration est plus susceptible à se retrouver dans des situations d’exclusion sociale en fonction des déterminants individuels, familiaux ou structurels associés à leurs trajectoires de vie. Cela limite l’amplitude et la diversité de stratégies afin de compenser les pertes de capacités intrinsèques au vieillissement.

Le manque de connaissances sur ce sujet, reconnu par la politique nationale du vieillissement du Québec, ne serait pas une particularité. En effet, les études consacrées à la relation entre l’environnement et le vieillissement, prenant en compte les particularités des personnes âgées immigrantes, sont encore rares et se concentrent principalement sur l’environnement social du quartier (Gao et al., 2020). Ainsi, notre étude vise à combler cette lacune dans le contexte particulier montréalais. L’objectif général est d’explorer les facteurs environnementaux qui jouent sur l’inclusion et l’exclusion des personnes âgées avec le quartier comme unité d’analyse. La multiplicité et l’interdépendance de variables liées à l’environnement qui sont susceptibles d’agir sur la qualité du vieillissement appellent à une approche exploratoire. Cette dernière est également motivée par la complexité du phénomène et de son indissociabilité du contexte (MacCallum et al., 2019). Comment se matérialisent la présence et les modes de vie des immigrants âgés dans les dynamiques commerciales, de services, de travail, de loisirs et d’habitation du quartier ? Quels sont les obstacles ou les leviers de participation et d’inclusion ? Ces questions seront explorées dans la démarche empirique proposée dans les prochaines sections.

03. Des méthodologies pour approcher les facteurs d’inclusion et d’exclusion

Dans le contexte du programme de recherche « Vieillir et prendre sa place dans son quartier » (2020-2023), trois territoires ont été choisis pour leurs dynamiques d’immigration et le vieillissement marqué de leur population. L’objectif était de mieux comprendre l’expérience des aînés issus de l’immigration et ce qui favorise ou non leur participation et leur inclusion dans leur milieu de vie. Trois des 16 territoires du programme sont ici analysés, soit Parc-Extension et Montréal-Nord (faisant partie chacun d’un arrondissement de la Ville de Montréal) et Brossard (une ville faisant partie de l’Agglomération de Longueuil sur la rive sud du Grand Montréal). Ces territoires sont fortement marqués par un vieillissement démographique ainsi que des vagues importantes d’immigration passées et toujours en cours. Nombre de recherches et d’études ont été produites sur ces territoires et l’immigration dans leurs dimensions historiques, sociologiques, anthropologiques ou politiques et économiques. L’étude que nous proposons met en évidence les différentes formes de manifestation du phénomène du « vieillissement de l’immigration » en fonction des caractéristiques morphologiques et fonctionnelles des territoires. Les différences concernant la façon dont ces quartiers s’inscrivent dans la métropole ont également motivé cette sélection. Les contextes des territoires étudiés sont présentés à la section qui suit.

La collecte de données s’est effectuée en deux parties. La première partie a consisté en une description du contexte du vieillissement des immigrants dans les 3 territoires à l’étude selon 4 grands types d’activités identifiés dans la littérature à la base de la normalité résidentielle (residential normalcy) : s’alimenter, rester en santé, se divertir et socialiser ainsi que trouver du soutien. Ces analyses descriptives ont été construites avec des données secondaires provenant de plusieurs sources (recensement, enquête origine-destination, littérature grise, données métropolitaines ouvertes, etc.) et les Enhanced Points of Interest (EPOI) (DMTI, 2020). La deuxième partie a consisté, dans une première étape, en des entretiens semi-dirigés (Parc-Extension et Montréal-Nord) et, dans une deuxième étape, en des groupes de discussion (Brossard) avec des intervenants locaux œuvrant auprès des aînés immigrants. Le schéma de discussion des groupes de discussion a été développé avec les résultats des entretiens et réutilisé pour d’autres des 17 territoires du programme de recherche. Pour identifier les acteurs, les organisations d’intérêt social et les organismes communautaires, ainsi que les institutions publiques et parapubliques œuvrant dans les trois territoires, les données du service 211 du Grand Montréal ont été mobilisées. Les acteurs rencontrés sont des professionnels d’organismes engagés dans l’offre de services aux aînés et dans la défense des droits des aînés et des aînés immigrants ainsi que des professionnels municipaux liés aux services de loisirs et de bibliothèques et des professionnels d’établissements provinciaux dans le domaine de la santé et des services sociaux.

Le travail de terrain avec des participants avait initialement été prévu avec des groupes de discussion uniquement. Une première partie du terrain de recherche a toutefois été menée avec des entretiens semi-directifs à la fin de la pandémie de Covid-19 où les ateliers en groupe n’étaient pas possibles, notamment avec des personnes âgées. La stratégie méthodologique a été adaptée en conséquence. Les entretiens ont été entièrement retranscrits et soumis à une analyse thématique à l’aide du logiciel QDA Miner. Selon une approche déductive, des codes initiaux ont été établis à partir du cadrage théorique sur la normalité résidentielle. Ces codes ont été successivement révisés et regroupés (Braun et Clarke, 2006) aboutissant à cinq thèmes principaux. La présentation des résultats à la section qui suit est structurée selon ces thèmes (5.2.1 à 5.2.5). Une fois l’interdiction de mener des groupes de discussion levée, des ateliers ont été organisés. Les échanges de groupe ont été construits selon les 5 thèmes issus de l’analyse thématique des entretiens. Les groupes de discussion ont été soumis à une analyse descriptive propre à ce type d’outil et les données qu’il peut générer. Si les cinq thèmes principaux identifiés avec les entretiens semi-directifs ont structuré les discussions, puisqu’il s’agissait d’un groupe d’individus, c’est l’analyse des consensus, des dissensions et des points de convergence au sein du groupe qui a été l’objectif principal. En ce sens, les personnes du groupe ont discuté et réagi aux enjeux et défis que pose le vieillissement des immigrants dans leurs territoires d’intervention.

La démarche empirique a été approuvée par le Comité d’éthique de la recherche en arts et humanités (CÉRAH) et le Comité de reprise des activités de recherche (CRAR) de l’Université de Montréal. Les participants ont reçu un formulaire d’information et de consentement une semaine avant la réalisation des entretiens et leur consentement a été recueilli lors des rencontres. Les entretiens ont été menés en ligne avec le logiciel Zoom à l’exception d’un entretien qui a été mené en présentiel avec un masque à la demande de l’interviewé. En tout, neuf professionnels ont été rencontrés en entretien à Parc-Extension et Montréal-Nord à l’été 2022. Deux ateliers de groupes ont été faits à Brossard à l’été 2023 avec 16 et 12 professionnels et bénévoles respectivement.

04. Présentation des territoires à l’étude

Le tableau 1. montre des caractéristiques principales des formes urbaines des trois territoires à l’étude. Les trames de rues, le bâti résidentiel dominant et le bâti commercial disponible viennent structurer les différents lieux d’activités. Ces dimensions sont en outre des témoins du développement historique de ces milieux de vie.

Tableau 1

Caractéristiques morphologiques et fonctionnelles des territoires à l’étude

Caractéristiques morphologiques et fonctionnelles des territoires à l’étude
Source des images : Google Earth

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4.1 Parc-Extension

Parc-Extension a été fondé au début du 20e siècle par la « Park Realty Company » en tant que banlieue de tramway. À partir des années 1930, le territoire a connu une urbanisation rapide avec l'arrivée de citoyens de la classe ouvrière et la construction d'immeubles à haute densité. Le quartier a commencé à accueillir un grand nombre de populations immigrantes, d'abord dans les années 1960 avec l'arrivée d'un grand nombre d'immigrants grecs, puis, dans les années 1980 et 1990, d'immigrants originaires d’autres pays du sud global. Depuis le début des années 2000, la plupart des immigrants qui s'installent dans le quartier sont originaires d'Asie du Sud-Est.

Parc-Extension est bordé au nord par l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville, à l’est par le quartier Villeray, au sud par l’arrondissement Outremont et à l’ouest par la municipalité de Ville Mont-Royal. Le quartier est enclavé par le boulevard Crémazie, le chemin de fer du Canadian Pacific, l’avenue Beaumont (maintenant ouverte sur Outremont par le campus MIL) et par le boulevard de l’Acadie. Six grandes artères quadrillent le quartier : les rues Jean-Talon Ouest, Jarry Ouest, Saint-Roch, le boulevard de l’Acadie et les avenues Querbes et Beaumont. À l’interne, la rue Saint-Roch divise le nord et le sud du quartier. L’accès aux commerces de proximité à pied est possible grâce à la relative petite échelle du quartier. Deux stations de métro (du Parc et Acadie) sont sur la ligne bleue. Bien que située en dehors du périmètre du quartier, la station Acadie n’est que de l’autre côté de la rue. Une gare de trains de banlieue se trouve sur la frontière du quartier (gare Parc) sur l’axe entre Saint-Jérôme et la gare Lucien L'Allier (au centre-ville de Montréal). Des bus locaux sur les axes est-ouest et nord-sud sont à plusieurs niveaux. On retrouve un service de bus express sur l’axe nord-sud qui se rabat sur le métro Parc et la gare Parc (de train de banlieue).

Du point de vue de la forme, le quartier se caractérise par la configuration orthogonale de ses rues, ce qui facilite la mobilité et permet aux commerces et aux services d'être situés à proximité d’une grande majorité des résidents. Les rues nord-sud sont principalement destinées à un usage résidentiel, avec des triplex ou des multiplex de densité moyenne, tandis que les rues est-ouest sont destinées à un usage commercial ou mixte, généralement dans des bâtiments de même gabarit de 2 à 3 étages. Le territoire possède une défavorisation sociale relativement marquée et est l’objet d’une gentrification relativement soutenue depuis plus de deux décennies, processus abondamment étudiés dans la littérature en études urbaines (ex. Reiser, 2021 ; Poirier, 2006).

4.2 Montréal-Nord

Montréal-Nord était à l'origine un village rural jusqu'aux années 1940, lorsque des industries du textile et du vêtement ont commencé à s'établir dans le territoire. Au milieu des années 1940, un chemin de fer a été inauguré, entraînant une urbanisation rapide caractérisée, d'abord par l'arrivée d'immigrants italiens, puis, plus tard dans les années 1960, par celle d'immigrants haïtiens. La désindustrialisation de Montréal a entraîné un déclin de la condition économique du quartier, bien qu'il ait continué à être façonné par des vagues significatives et continues d'arrivées et d'installations d'immigrants. Montréal-Nord présente une hétérogénéité marquée de configurations de rues et d'usages. Les secteurs ouest et sud de l'arrondissement respectent une grille orthogonale perméable, tandis que les secteurs est et nord possèdent un tracé de rues moins perméable et où l’on dépend de la voiture pour se déplacer. L'arrondissement est fortement fragmenté, avec le boulevard Pie-IX à l'ouest, le boulevard Lacordaire à l'est et le boulevard Henri-Bourassa au centre. Toute la partie sud de l'arrondissement est marquée par la présence de la voie ferrée mentionnée précédemment.

Le territoire de Montréal-Nord est bordé à l’est par l’arrondissement Rivière-des-Prairies – Pointe-aux-Trembles, au sud par les arrondissements Villeray – Saint-Michel – Parc-Extension, Saint-Léonard et Anjou. L’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville borde Montréal-Nord. Le territoire est délimité (respectivement) par les terrains de l'Hôpital psychiatrique Rivière-des-Prairies et du Cegep Marie Victorin, par le boulevard Industriel, par le boulevard Saint-Michel, l’avenue Oscar et l’avenue Wilfrid-Saint-Louis. Au nord, l’Arrondissement est délimité par la Rivière des Prairies. Trois grandes artères structurent le quartier avec les boulevards Pie-IX, Saint-Michel (sur l’axe nord-sud) et le boulevard Henri-Bourassa Est qui est rejoint par le boulevard Léger (sur l’axe est-ouest).

Le territoire de Montréal-Nord n’est pas directement desservi par le métro. Cependant, le Service Rapide par Bus (SRB) permet une connexion relativement rapide par autobus à la station Pie-IX de la ligne verte du métro. Des lignes express quadrillent le territoire de Montréal-Nord du nord au sud (469 Express Henri-Bourassa, 439 Express Pie-IX) et d’est en ouest (440 Express Charleroi, 467 Express Saint-Michel), ce qui améliore la mobilité dans le quartier. La ligne 439 permet aussi de rejoindre Laval. Pour les déplacements plus locaux, Montréal-Nord possède un réseau étendu de lignes d’autobus. Les lignes 48, 49, 33, 43, 40, 67, 41, 32 couvrent l’ensemble du territoire et permettent de se rendre dans plusieurs points d’intérêts du territoire pour les activités analysées (s’alimenter, rester en santé, se divertir et socialiser et trouver du soutien). Cela dit, plusieurs de ces lignes ont une fréquence qui dépasse les vingt minutes. De façon générale l’accès aux ressources à pied est relativement réduit par les distances à parcourir. L’accès aux ressources d’intérêt est donc en fonction du transport en commun (réduit en fin de semaine) ou à l’utilisation de l’automobile.

Les formes bâties résidentielles sont très variées : certains secteurs sont dominés par des habitations unifamiliales, d'autres par des plex et des walk-up et d'autres par des tours de haute densité. Nous observons également deux grands secteurs commerciaux caractérisés par des centres commerciaux typiques des milieux suburbains avec des « strip malls » répartis dans les parties sud et est de l'arrondissement. Le territoire est marqué par des inégalités sociales et matérielles particulièrement marquées. Les rives de la RivièredesPrairies sont marquées par de l’habitat individuel et des complexes résidentiels de grand gabarit pour aînés favorisés. Le nord-est est marqué par de l’habitat social et privé de densité moyenne avec des problèmes de qualité avec une population relativement défavorisée. Le reste du territoire est habité par une population familiale avec des revenus moyens et modestes. Comme pour Parc-Extension, nombre de recherches ont également montré les problèmes de pauvreté, d’inégalité et de mal-logement du territoire (ex. Jolivet et al., 2021 ; Cariès et al., 2021).

4.3 Brossard

Fondée en 1958, la Ville de Brossard est une banlieue de la rive sud de la région métropolitaine de Montréal. Développée à l’époque sous le modèle de banlieue pavillonnaire, elle était constituée de quartiers exclusivement résidentiels. Depuis, une diversification fonctionnelle s’opère graduellement, au début des années 2000 avec le secteur commercial Quartier DIX30 et avec une accélération au cours des 10 dernières années avec l’arrivée de 3 gares du Réseau Express Métropolitain (REM). Si Brossard se diversifie avec l’implantation d’infrastructures de transport collectif, transformation du commerce et de l’établissement de lieux d’emploi, elle conserve des caractéristiques typiques de la banlieue nord-américaine.

Le modèle de trame de rues dominant est curviligne et est structuré d’abord pour les voitures. S’y déplacer autrement qu’en automobile est difficile, sauf aux heures de pointe où le transport collectif est plus fréquent. La forme de bâti résidentiel historique est composée de maisons unifamiliales, ce qui se traduit par une faible densité résidentielle. Récemment, un bâti résidentiel dense est en cours de développement autour des nœuds de transport collectif structurant. L’activité commerciale de la ville est toujours principalement centrée sur les grands centres commerciaux et les commerces de grandes surfaces, comme on observe généralement en banlieue de la région métropolitaine. L’une des caractéristiques particulières de Brossard est sa diversité ethnique, ce qui en fait une « ethnoburb » (Charbonneau, Germain, 2002). Les principaux groupes ethniques sont les personnes d’origine chinoise, maghrébine, asiatique du Sud et latino-américaine. Tout comme Parc-Extension et Montréal-Nord, Brossard a fait l’objet de recherche extensive depuis les années 1990 en études urbaines, notamment sur sa population immigrante et sur les caractéristiques des types d’immigrants qui s’y installent (ex. Charbonneau, Germain, 2002; Germain, Poirier, 2007).

05. Résultats

5.1 Constats fonctionnels et socio-économiques sur les milieux de vie

Les trois territoires étudiés se distinguent de manière significative sur le plan de l’organisation urbaine, ce qui, nous en faisons l’hypothèse, posent des défis différenciés au vieillissement et à l’intégration des communautés immigrantes vieillissantes selon les quatre activités analysées en lien avec la normalité résidentielle : s’alimenter, rester en santé, se divertir et socialiser ainsi que rester en santé.

5.1.1 Parc-Extension, une position centrale et historique en immigration

Des usages majoritairement résidentiel et mixte résidentiel-commercial sont observés à Parc-Extension. Les commerces s’organisent sur les bouts d’îlots. Les rues commerciales sont parallèles à la rue Jean-Talon Ouest – la plus importante – orientée est-ouest. Hormis celle-ci, on retrouve dans un ordre d’importance commerciale décroissante les rues (en nombre brut de commerce) Jarry, Crémazie Ouest, Saint-Roch, Liège, Ogilvy, Beaumont, d’Anvers et Ball. C’est également à ces endroits que se localisent les points d’intérêt pour se divertir et socialiser et rester en santé, notamment les cliniques. Les avenues d’Anvers et Ball sont moins commerçantes. Il y a une présence d’un secteur industriel au sud de l’arrondissement, le long de la voie ferrée. Des espaces à bureaux sont présents sur l’avenue Beaumont et dans le secteur avoisinant la gare et le métro Parc. Quelques blocs ou bâtiments sont consacrés à des usages institutionnels à travers le quartier. Il y a peu d’espaces verts.

Tableau 2

Répartition des ressources urbaines à Parc-Extension par activité de la vie quotidienne

Répartition des ressources urbaines à Parc-Extension par activité de la vie quotidienne

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Parc-Extension, en tant que territoire urbain près du centre de Montréal, est ainsi bien desservi en matière de ressources urbaines, pour les quatre activités analysées, soit de s’alimenter, rester en santé, se divertir et socialiser et trouver du soutien. Ce territoire se caractérise par une spatialisation des ressources de proximité de long de rues commerçantes, à l’instar des quartiers centraux montréalais. Le territoire possède une offre des ressources diversifiées, composées de commerces, de services, de groupes communautaires, tout comme des points de services qui relèvent de l’État comme des établissements de santé, des cliniques et autres services à vocation publique. Cependant, l’ouest du territoire ne compte aucun service de santé, mais reste à distance de marche relative des services de santé situés dans l’est.

5.1.2 Montréal-Nord, une position excentrée avec une immigration moins favorisée

Le territoire de Montréal-Nord possède des usages majoritairement résidentiels. Les commerces s’organisent sur les bouts d’îlots, les rues commerciales étant orientées d’est en ouest. On retrouve notamment la rue de Charleroi et Fleury Est. Mais les grands boulevards du territoire (Pie-IX, Saint-Michel, Henri-Bourassa Est et Léger) échappent à cette logique et éloignent et structurent un nombre important de commerces, ce qui entraîne l’usage de la voiture. On retrouve à l’extrémité est du territoire et le long des boulevards Pie-IX et Henri-Bourassa Est des lots commerciaux de grandes tailles que l’on peut associer avec des usages industriels. Ces derniers se concentrent aux extrémités sud et est du territoire le long du chemin de fer. Au contraire des espaces industriels qui sont nombreux, très peu d’espaces de bureau sont présents dans Montréal-Nord. Les lots caractérisés par des usages institutionnels sont bien dispersés dans Montréal-Nord. En général, Montréal-Nord manque d’espaces verts, particulièrement dans le secteur nord-est, le secteur le plus défavorisé du territoire. On retrouve des parcs linéaires le long de la Rivière des Prairies, mais là encore, l’accès aux berges est limité et privatisé par des usages résidentiels, particulièrement pour le secteur nord-est qui en est éloigné.

Tableau 3

Répartition des ressources urbaines à Montréal-Nord par activité de la vie quotidienne

Répartition des ressources urbaines à Montréal-Nord par activité de la vie quotidienne

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La logique d’implantation des ressources urbaines à Montréal-Nord associée aux conditions de transport forme une fracture pour la proximité et la diversité. Accéder aux différents points d’intérêt autrement qu’en voiture est difficile, particulièrement pour une population défavorisée comme on retrouve sur le territoire. C’est particulièrement vrai dans le cas du secteur nord-est qui est isolé et qui regroupe très majoritairement des locataires. La participation d’une partie de la population à une vie de quartier est particulièrement difficile par cet accès aux ressources, limitant non seulement la disponibilité de services de consommation, mais également l’accès à des possibilités de rencontre, de soin et de support. En ce sens, le territoire de Montréal-Nord se caractérise par une offre relativement limitée des ressources associées au divertissement et à la socialisation, ce qui peut limiter la participation à la vie culturelle et sociale des plus isolés ou incapables de se déplacer à l’extérieur du secteur.

5.1.3 Brossard, une position proche du centre-ville avec une dynamique de requalification

Le territoire de Brossard est bordé à l’ouest par le fleuve Saint-Laurent, au nord par la Ville de Saint-Lambert et Longueuil, à l’est par la municipalité de Carignan et au sud par celle La Prairie. Le territoire est délimité (respectivement) par le fleuve Saint-Laurent / l’autoroute 20, par plusieurs rues locales et collectrices en plus de plusieurs espaces commerciaux et industriels partagés avec Greenfield Park. Une grande section agricole et de boisé autour de l’autoroute 10 (Centre plein air Brossard) et la rivière Saint-Jacques complètent le contexte. Le boulevard Taschereau et l’autoroute 10 et l’autoroute 30 sont les principaux axes du territoire, avec les boulevards de Rome, Marie-Victorin, Matte, Lapinière ainsi que la Grande-Allée étant des axes plus locaux.

Le territoire de Brossard oblige des déplacements fortement marqués par la voiture individuelle. La présence des centres commerciaux Quartier DIX30 et Mail Champlain et de multiples autres espaces commerciaux sur le territoire (ex. secteur Lapinière) expliquent en partie cette situation. Ces espaces nécessitent l’accès à une voiture pour y accéder aisément. Cela dit, des services en transport en commun sont relativement efficaces, mais surtout organisés pour répondre aux besoins de travailleurs et des actifs pour rejoindre les principaux pôles d’emplois (centre de Montréal) et d’enseignement (Montréal et Longueuil). Ainsi, plusieurs circuits de bus sont orientés vers la station de métro à Longueuil ou vers les nouvelles stations du REM. La structure et la configuration fonctionnelle du transport en commun à Brossard sont en pleine réorganisation, d’où l’objectif de mieux desservir les secteurs à l’intérieur même de la municipalité plutôt que les nœuds de transport qui mènent vers Montréal.

Le territoire de Brossard possède des usages majoritairement résidentiels de faible densité. Pour les activités analysées (s’alimenter, rester en santé, se divertir et socialiser, et trouver du soutien), les commerces s’organisent dans de grandes surfaces le long du boulevard Taschereau, le long du boulevard Matte et dans le district du Quartier DIX30 autour du nœud des autoroutes 10 et 30. Un secteur industriel/commercial délimite le territoire au sud, bordant le boulevard Matte. Les axes secondaires possèdent eux aussi des commerces, quoiqu’en densité moindre que les axes principaux en raison des logiques urbaines de banlieue présentes sur le territoire. Les lots caractérisés par des usages institutionnels sont dispersés, comme c’est le cas pour les espaces verts qui sont très nombreux sur le territoire, notamment dans les secteurs résidentiels.

Tableau 4

Répartition des ressources urbaines à Brossard par activité de la vie quotidienne

Répartition des ressources urbaines à Brossard par activité de la vie quotidienne

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La logique d’implantation des ressources urbaines de Brossard, associée aux conditions de transport, forme une fracture pour la proximité et la diversité. La dépendance à la voiture, les coupures urbaines créées par les voies de circulation collectrices et les voies métropolitaines dominent le territoire, entraînant de l’exclusion, en particulier pour les personnes sans automobile. Le manque d’organismes de soutien sur le territoire vient exacerber ces problèmes. Cependant, ceux présents compensent en partie ce manque et jouent un rôle indispensable de soutien à l’inclusion et au vieillissement. La présence abondante de parcs et d’espaces verts est cependant un atout important du territoire, quoique l’accès à ceux-ci est très souvent soumis aux mêmes barrières d’accessibilité automobile.

5.2 Constats des intervenants sur les milieux de vie

De manière globale, les résultats des entrevues et des ateliers de groupes indiquent que la problématique du vieillissement des immigrants est encore peu connue pour les territoires étudiés. Les participants reconnaissent que les aînés immigrants sont susceptibles d’avoir des besoins et des attentes qui diffèrent de celles des aînés nés au Canada et déplorent que ces spécificités ne soient pas encore reconnues par la société d’accueil.

5.2.1 Une problématique encore peu connue et reconnue, mais qui s’organise

Les participants indiquent que le manque de connaissances sur le vieillissement des immigrants amène à une non-reconnaissance institutionnelle qui limite l’accès à des services qui seraient en mesure de répondre adéquatement à leurs besoins.

« […] on découvre que les personnes âgées des communautés ethnoculturelles ou racisées, comme on dit aujourd'hui, puisque c'est très à la mode, n'avaient aucun service spécialisé pour ces personnes-là. (Participant de Parc-Extension) »

Des répondants de Parc-Extension et de Brossard sont engagés dans des actions coordonnées entre différents groupes communautaires dans le but de faire sortir les aînés immigrants de cette condition d’invisibilité. Ils s’organisent sur deux fronts complémentaires : la construction d’un discours unifié sur leurs spécificités et l’élargissement de la représentation institutionnelle. La création d’un discours commun vise, d’une part, à combler le manque de connaissances sur leur situation et, d’autre part, à identifier des besoins prioritaires pour bien cerner leurs revendications. Ces actions sont centralisées et coordonnées par un organisme leader avec pignon sur rue à Brossard.

« Surtout, la préoccupation fondamentale maintenant, c'est de créer une unité au niveau des discours parce qu'il y a beaucoup, beaucoup d'éléments. C'est pour ça que c'est très important le travail que vous vous faites. Il y a beaucoup d'éléments, mais il faut que ces éléments s'harmonisent, qu'il y ait un discours commun. » (Participant de Parc-Extension)

Ainsi, afin d’élargir la représentation institutionnelle des personnes âgées immigrantes, les professionnels mènent des efforts pour inclure des représentants dans une multiplicité d’institutions, organismes et tables de concertation opérant du niveau local au provincial. Une forte coopération avec des organismes qui desservent d’autres quartiers ou qui couvrent d’autres échelles territoriales est visible. Une telle organisation, réticulaire à Parc-Extension et centralisée en un lieu fort à Brossard, n’est pas visible à Montréal-Nord ou plutôt fragmentée selon les secteurs territoires à l’image de la forme urbaine.

Ainsi, la prise en compte des spécificités du vieillissement d’immigrants semble se manifester différemment à Montréal-Nord. Des préoccupations concernant les enjeux vécus par les aînés immigrants, ainsi que la mise en place d’actions pour élargir la reconnaissance de ce groupe n’y émerge pas clairement. Les aînés immigrants seraient-ils sous-représentés dans le milieu communautaire de Montréal-Nord ? Bien que cette hypothèse puisse être influencée par les limites de notre démarche, elle est étayée par l’absence de cette thématique au sein du Comité de réflexion sur le vieillissement (CRV) de Montréal-Nord, une concertation qui concerne les aînés au sein de la Table de quartier. Il n’y a pas de représentation territorialement dédiée aux aînés immigrants comme dans les deux autres territoires.

5.2.2 La communication, un facteur d'exclusion qui fait consensus, mais façonné selon les territoires

La communication est identifiée par tous les participants comme un facteur majeur d’exclusion des personnes âgées immigrantes. Les défis en ce sens sont principalement liés à la méconnaissance des langues officielles, notamment le français. On affirme que le manque de sa connaissance limite les interactions sociales à leur propre communauté et en particulier à la famille, soumettant les aînés au risque de se retrouver en situation d’isolement.

« Souvent, c'est les enfants qui font la traduction ou les petits enfants. C'est ça, ils vont se retrouver grandement pénalisés pour avoir accès aux services. Donc si vous ne maîtrisez pas la langue, plus l'enjeu de mobilité, bon c'est, c'est terrible. » (Participant Montréal-Nord)

La mobilité individuelle, dès qu’elle s’articule avec les transports collectifs ou le taxi, devient alors considérablement difficile. Cette méconnaissance linguistique représente également un obstacle majeur à l’accès aux biens et aux services, qui est en outre exacerbé par les distances et l’accessibilité à Brossard et Montréal-Nord. Les immigrants aînés, plus dépendants de leur famille et plus sensibles aux contraintes de l’environnement physique, s’y voient encore plus isolés qu’à Parc-Extension plus accessible.

Les difficultés de communication découleraient aussi de la méconnaissance numérique. Les aînés immigrants auraient de la difficulté à connaître les services et les activités offerts dans leur milieu de vie en raison d’un modèle de diffusion centrée sur l’internet. La localisation des points d’intérêt sur le territoire, peu importe leur dissémination, prend alors moins d’importance. Cependant, certains participants affirment que les aînés immigrants auraient tendance à être plus à l’aise avec les nouvelles technologies de communication en raison de la communication fréquente avec leurs proches qui demeurent dans leurs pays d’origine. La capacité à utiliser des fonctionnalités isolées des outils numériques à des fins précises, comme participer à des visioconférences, ne confère toutefois pas l’autonomie numérique. Ne maîtrisant pas la langue locale et étant isolés au sein de leur famille ou de leur communauté, les aînés immigrants seraient peu joignables. Les besoins propres à ce groupe auraient tendance à demeurer méconnus.

Les participants mentionnent de multiples stratégies entreprises par les organismes communautaires et institutions afin de surmonter les barrières de communication. Ces stratégies comprennent la diversification des langues utilisées dans des affiches et dépliants informatifs ainsi que dans les activités. L’adoption de canaux de communication moins conventionnels serait pour plusieurs plus efficace, à l’exemple des radios communautaires et des journaux de quartier. Les participants citent la production de contenus informatifs qui adoptent des langages alternatifs comme la dramatisation. Ces façons de faire sont plus adoptées par le milieu communautaire où la structure organisationnelle permet de la flexibilité, ce qui n’est pas le cas des municipalités. Bien qu’avec plus de ressources financières, le milieu institutionnel se heurte à une structure organisationnelle plus rigide et à des obstacles juridiques. Ainsi, les accommodements linguistiques y sont faits principalement de façon informelle, grâce notamment aux habiletés linguistiques de certains fonctionnaires. À ce titre, l’ensemble des participants manifeste des inquiétudes concernant la loi 96, qui oblige des communications de municipalités d’abord en français, et se demande si, en cas de besoin, ils pourront continuer à communiquer avec les citoyens dans d’autres langues.

5.2.3 L’influence des formes urbaines sur l’accès aux biens et services

Les participants reconnaissent d’emblée l’influence de l’environnement physique sur l’accès des aînés immigrants aux biens de consommation et aux services, mais cet effet n’est pas toujours compris dans sa complexité – par exemple les dimensions de la dépendance à la voiture. Sans surprise, ce thème ressort de façon plus importante à Montréal-Nord et à Brossard, puisque les caractéristiques physiques du quartier tendent à opérer comme un obstacle à la qualité de vie des personnes moins mobiles en général. Les participants reconnaissent que les aînés immigrants, comparativement à leurs homologues nés au Canada, peuvent avoir plus de difficultés à surmonter les obstacles imposés par l’environnement physique en raison des désavantages cumulés dans d’autres domaines, comme celui de la langue. Pendant qu’à Montréal-Nord on s’en remet aux services de transport en commun, ces problèmes prennent une dimension plus large à Brossard. Les participants de la Rive-Sud soulignent avoir mis en place des services de transport sur mesure, avec des taxis ou de la location d’autobus nolisés, pour rejoindre leurs communautés dans plusieurs zones non desservies en transport en commun.

En accord avec la littérature, les participants de Montréal-Nord et de Brossard indiquent que la distribution spatiale du commerce et des services qui est concentrée sur les grandes artères de circulation ne favorise pas l’accès des personnes âgées. Quoique ces artères soient mieux desservies en matière de transport en commun, l’accès à ces commerces nécessite de longues marches – pour les rejoindre – mais aussi, rendu sur place, avec de grands stationnements à franchir. Il s’agirait d’un environnement intimidant pour les personnes âgées en général et surtout pour les personnes âgées immigrantes qui font face à l’obstacle de la langue et qui ne sont pas familières avec l’environnement pour celles établies plus récemment. Les petits commerces familiaux, potentiellement plus attractifs pour les personnes âgées et les personnes âgées immigrantes, seraient difficilement accessibles pour ceux qui ne conduisent pas de voiture ou n’y ayant pas accès comme passager.

« Ben, c’est vraiment le transport. Parce que, même tout ce qui est les grosses superficies de magasins sont bien desservies, mais les petits magasins, il faut que tu ailles en auto. Ils sont surtout sur Charleroi [une artère commerciale locale], parce qu’il n’y a pas d’autobus qui passe sur Charleroi. Mais c’est là qu’on va trouver plus de petits, de petits commerces familiaux. » (Participant de Montréal-Nord).

Les configurations spatiales de Montréal-Nord et de Brossard et les enjeux de mobilité posent des défis aux organismes communautaires et aux institutions publiques en matière d’offre de services et d’activités. Compte tenu des obstacles à la mobilité, différentes stratégies sont adoptées. À Montréal-Nord, les organismes et institutions publiques localisent leurs activités à la proximité des résidences pour aînés (RPA), tandis qu’à Brossard ils se localisent proches des grandes voies commerciales, voire à même des locaux commerciaux vacants. Ces stratégies leur permettent de joindre un public plus large tout en étant accessibles et visibles. On reconnaît cependant que cette approche se fait au détriment des aînés qui habitent des secteurs plus éloignés, lesquels, dans le cas de Brossard, sont directement transportés par les organismes – ce qui n’est pas le cas à Montréal-Nord, où les actions sont fragmentées entre organismes et secteurs, et à Parc-Extension, où le support est proche et ancré dans l’histoire et les institutions du territoire.

5.2.4 Logements et arrangements résidentiels, entre les défis de vivre seul ou avec la famille

Les participants des trois territoires affirment que les aînés immigrants bénéficient d’un important soutien familial. Mais on mentionne aussi les visites et appels fréquents à ceux qui vivent seuls à Parc-Extension. Les modèles de soutien qui optent pour la cohabitation sont éroitement associés aux communautés sud-asiatiques de Parc-Extension et aux communautés haïtiennes, maghrébines et asiatiques de Montréal-Nord. Cette observation est également présente à Brossard, mais dans une moindre mesure. En banlieue, on vit également proche, mais chacun chez soi. Les participants indiquent que le soutien de familles immigrantes se différencie du soutien des familles natives du Canada. « Donc là, les aînés sont avec leur famille, souvent donc pris en charge par le milieu familial. Puis ça, ça c’est quand même une force des populations immigrantes au niveau des aînés. » (Participant de Montréal-Nord)

Peut-être en conséquence, les participants indiquent que les personnes âgées immigrantes sont très peu présentes dans les RPA, et même dans les logements sociaux ou communautaires pour personnes âgées. Ces préférences en matière de logement impliquent des conséquences particulières en matière d’accès aux biens et services, d’isolement et de vulnérabilité à la maltraitance. En ce sens, de nombreux services offerts aux personnes âgées s’organisent dans ou autour des RPA. L’existence d’un public cible concentré et la disponibilité de ressources humaines et matérielles facilitent l’offre de services, motive et justifie cette approche.

« On a dit les résidences, c’est une clientèle captive. Ils sont là, sont nombreux […]. Nous, on a l’impression de faire œuvre utile parce qu’on rejoint plusieurs personnes d’un même coup et il y en a qui sont oubliés. » (Participant de Montréal-Nord)

Les participants reconnaissent que ce choix implique inévitablement une exclusion de ceux qui ne sont pas installés dans les RPA, c’est-à-dire de ceux qui vivent seuls ou en cohabitation avec la famille, et donc souvent ceux avec des situations résidentielles fréquemment adoptées par les aînés immigrants. En fait, les aînés immigrants vivant seuls ou avec la famille sont peu présents sur la scène publique, ayant leurs relations sociales concentrées au sein de la famille ou dans la communauté, lorsque la structure communautaire le permet. Souvent limitées dans leurs relations sociales et dépendantes de leurs enfants adultes, ces aînés seraient susceptibles de se retrouver en situation d’isolement, même si elles ne vivent pas seules. La famille possède un rôle important dans le soutien dans la vie quotidienne, mais ne semble pas toujours contribuer positivement ou de façon significative à la participation sociale de ce groupe. « Comment faire pour amener la personne âgée ? Parce que l’homme travaille, la femme s’occupe des enfants. Fait qu’ils les gardent plus à l’intérieur de la maison. » (Participant de Montréal-Nord) Cette situation paradoxale est observée dans les trois territoires.

Dans un contexte de cohabitation élevée, les participants de Parc-Extension déplorent le manque d’appartements assez grands pour loger des familles nombreuses, ainsi que le manque de logements adéquats en matière d’accessibilité pouvant loger les personnes à mobilité réduite. Cette observation n’est pas ressortie à Brossard et Montréal-Nord avec des typologies de logements plus grandes. Les loyers sont cependant disproportionnellement élevés par rapport aux revenus des aînés immigrants dans les trois territoires. Il existe également des divergences quant à la capacité des personnes âgées à demeurer dans leur milieu de vie, compte tenu des dynamiques de gentrification à Parc-Extension, ou de rénovation et de requalification à Brossard. La vulnérabilité des aînés immigrants face à la pression de leurs propriétaires de logement, qui veulent récupérer leurs immeubles pour les rénover et les relouer par la suite à des prix beaucoup plus élevés, seraient pour les participants protégées par leur ancrage dans leurs communautés et, par conséquent, profiteraient des ressources partagées face aux menaces d’éviction. Les membres de communautés plus récemment établies, et donc moins bien ancrées, seraient plus sensibles aux pressions des propriétaires, même si ces pressions sont illégales.

5.2.5 La communauté d’appartenance comme déterminant de la participation sociale

La méconnaissance de la langue locale restreint les activités auxquelles les aînés immigrants peuvent participer et, conjuguée à la mobilité, compromet l’accès aux activités les plus éloignées du lieu de résidence. Dans le contexte institutionnel municipal, il semble y avoir une incompatibilité entre les compétences, besoins et intérêts des personnes âgées immigrantes et les services qui leur sont dédiés. Outre les limites linguistiques et la nature des activités proposées s’inscrit surtout dans la culture locale.

« Moi, la majorité de mes participants sont Québécois ou Canadiens. Il y a quelques personnes d’autres origines, mais c’est plutôt une minorité. Je pense que les gens qui viennent aux activités, c’est comme les générations avant d’une autre époque de Montréal-Nord. » (Participant à Montréal-Nord)

La même observation peut être faite à Brossard, où les participants ont mentionné être à la recherche d’activités susceptibles d’intéresser les différentes communautés en place sans vraiment les connaître. Les limites financières imposeraient aussi des barrières à la participation sociale des aînés immigrants, notamment à Montréal-Nord et à Brossard.

Compte tenu des contraintes liées à la participation des aînés immigrants aux activités offertes par les services municipaux, les occasions de rencontrer des personnes et de s’engager dans des activités à l’extérieur du domicile se concentrent principalement dans le milieu communautaire. En plus d’être au courant des besoins spécifiques de leurs communautés, le milieu communautaire compte une structure organisationnelle souple qui leur permet d’adapter leurs activités et leurs services aux besoins spécifiques des personnes âgées immigrantes.

Les participants évoquent toutefois des limites à la prestation des services. Les contraintes budgétaires sont mentionnées à plusieurs reprises. On signale l’insuffisance de ressources pour le développement d’activités ainsi que de la difficulté de recruter du personnel et l’inadéquation des programmes et des financements destinés aux aînés immigrants. Cette dernière inadéquation serait attribuée à la méconnaissance par les décideurs. La diversité ethnique au sein des territoires est finalement indiquée comme un défi supplémentaire à l’offre d’activités. L’intégration des aînés ayant des cultures et des langues différentes dans une même activité est une tâche complexe. Sans compter que dans certaines cultures il existe une distinction marquée entre les intérêts des hommes et ceux des femmes, pour ne prendre que cet exemple.

Face à la diversité des cultures et des intérêts, le milieu communautaire ethnospécifique opère comme un déterminant central de la participation sociale des aînés immigrants. Ainsi, des communautés plus ancrées disposant d’institutions solides qui offrent, sur une base continue, des services présents sur le territoire et spécialement destinés à ses aînés détermineront l’existence d’occasions de socialisation et seront des facteurs clés pour éviter l’isolement et l’exclusion. La communauté grecque à Parc-Extension illustre l’importance du rôle d’une structure communautaire ethnospécifique bien sédimenté localement pour l’inclusion des aînés immigrants. En plus de favoriser l’accès aux biens et services, en offrant du soutien aux activités quotidiennes et résidentielles, et à des démarches administratives, comme les demandes de pension. Les aînés de la communauté grecque comptent aussi sur l’offre d’activités sociales offertes à une fréquence régulière et dans des centres de jours ouverts sept jours sur sept – qui deviennent des lieux de rencontre. Selon un participant, les organismes de la communauté servent aussi comme un facteur de protection face aux pertes de repères causées par la gentrification du quartier.

Les communautés ethniques ont des trajectoires d’immigration distinctes et une base culturelle qui peut être plus ou moins similaire à celle de la société d’accueil. Ces caractéristiques influenceront la disponibilité des services et des activités offerts aux aînés immigrants. Tout d’abord, les groupes qui ne sont pas des groupes institutionnellement organisés auront plus de difficultés à accéder au soutien des instances municipales. Par exemple, on relate que plusieurs groupes d’origine italienne utilisent les chalets de parcs de l’arrondissement Montréal-Nord. En revanche, les femmes maghrébines habitant l’arrondissement n’y ont pas accès, car elles ne sont pas rattachées à un organisme enregistré. La même problématique est observée à Brossard, pour les communautés afghanes ou sud-américaines. En cohérence avec la présence de points d’intérêt commerciaux ou la disponibilité de lieux de socialisation à proximité, l’ancienneté des communautés et la construction d’un capital politique sont ainsi significatives.

Finalement, les différences culturelles plus ou moins importantes entre la société d’origine et la société d’accueil influenceraient la manière dont la communauté s’organise dans le pays d’accueil, se reflétant sur les niveaux de soutien des institutions publiques. Des participants de Montréal-Nord et de Brossard constatent que le fait que certaines communautés se structurent autour d’organisations religieuses représente un obstacle au soutien des institutions publiques. Par exemple, la Ville de Brossard ne soutient aucune activité religieuse ni aucune activité, ou même annonce d’activité, en lien ou dans un lieu de culte. Même présents sur le territoire, même à proximité, les lieux de culte peuvent être en déconnexion avec les ressources municipales ou celles en lien avec ces dernières. Cette situation peut contribuer à augmenter les écarts entre les niveaux de soutien que les différentes communautés ethniques seraient en mesure d’offrir à leurs aînés.

06. Discussion conclusive

Les facteurs d’exclusion et d’inclusion identifiés auprès des intervenants des milieux communautaire et institutionnel des territoires de Parc-Extension, Montréal-Nord et Brossard reflètent les constats de la littérature. Ces observations soutiennent nos hypothèses à l’effet que ces facteurs se configurent et sont modérés selon les caractéristiques de l’environnement physique propre à chaque territoire et, face à cette analyse, il est possible de formuler certaines recommandations.

6.1 Tomber dans une brèche, entre l’immigration et le vieillissement

Les services offerts par les institutions publiques, qu’elles soient municipales ou provinciales, semblent inadéquats pour répondre aux besoins des aînés immigrants en situation d’exclusion ou de risque de marginalisation. Des incongruences s’observent, notamment, dans les décalages linguistiques ou dans le manque d’information des activités de socialisation proposées. Dans le domaine de l’immigration et de l’intégration, les services visent surtout des publics plus jeunes et des familles. Les aînés immigrants se situent dans un flou, voire tombent dans une brèche, entre les politiques et les programmes en place concernant le vieillissement et l’immigration.

La méconnaissance des particularités du vieillissement des immigrants pourrait être désignée comme l’une des causes de cette inadéquation. Bien que la politique sur le vieillissement mise en place en 2012 par le Gouvernement du Québec, et renouvelée en 2018, prévoit des recherches dans le but de connaître « la réalité des personnes aînées immigrantes » (Gouvernement du Québec, 2012), ces actions ne sont pas visibles par les groupes de défense de droits sur le terrain. Ces organismes s’efforcent de mieux s’approprier cette problématique et établissent eux-mêmes les priorités qui guident leurs actions. En ce sens, ils ne laissent pas tomber les aînés immigrants, mais peinent à trouver les moyens et outils disponibles. Le plan d’action 2018-2023 (Gouvernement du Québec, 2018), qui constitue la mise à jour de la politique québécoise pour les personnes âgées, se dirige vers des actions concrètes en proposant l’adaptation des services de francisation aux besoins des personnes âgées immigrantes. Cette mesure rejoint les demandes exprimées par les participants rencontrés, mais sa mise en place semble encore défaillante compte tenu des obstacles rencontrés face aux caractéristiques physiques et fonctionnelles des territoires que nous avons observés. Comment mieux intégrer ces approches aux politiques locales ? Un meilleur arrimage avec les besoins et les contraintes locales nous apparaît ici fondamental et non une perspective « mur à mur ».

6.2 Accéder à des ressources inégales selon le territoire et la communauté d’appartenance

Dans un contexte de brèche institutionnelle, entre immigration et vieillissement, les services communautaires agissent pour combler, au moins en partie, les besoins non satisfaits. La structure organisationnelle du milieu communautaire, comparativement à celle du milieu institutionnel, offre plus de possibilités et de flexibilité aux demandes qui émergent du terrain et permet aux organismes communautaires d’offrir des réponses rapides avant même que les demandes soient connues et reconnues institutionnellement.

Cependant, il semble exister une différence marquée entre les trois territoires étudiés quant au profil de l’environnement communautaire concernant les personnes âgées en général. Cette hypothèse émerge face aux difficultés rencontrées lors du recrutement des participants et est soutenue par des participants qui, en ayant des expériences professionnelles dans plusieurs territoires, suggèrent que l’articulation communautaire autour du vieillissement et de l’immigration serait plus active et consolidée dans des territoires d’immigration historique comme Parc-Extension. À Montréal-Nord et à Brossard, les actions communautaires concernant le vieillissement seraient davantage axées sur l’offre d’activités visant à « occuper », voire à « connaître », les aînés, et moins à développer leur agentivité. À Parc-Extension, la présence d’organismes communautaires qui se consacrent exclusivement à la défense des droits des aînés et des tables de partenaires variés qui participent à différents paliers de concertation finit par influencer l’environnement communautaire du quartier dans son ensemble. Ainsi, les organismes communautaires locaux, dont les missions principales ne concernent pas directement les personnes âgées, comme ceux voués à l’accueil des nouveaux arrivants, à l’aide aux femmes, ou pour l’alimentation, entre autres, participent à la concertation sur le vieillissement et finissent par adapter ou élargir leurs services en fonction des besoins des personnes âgées en général et des personnes âgées immigrantes en particulier.

L’offre d’activités qui favorisent la partition sociale des personnes âgées immigrantes est un grand défi, compte tenu de la diversité des cultures, des langues et des trajectoires d’immigration qui se présentent dans les territoires étudiés. Il semble donc approprié que le milieu communautaire soit en première ligne de cette fonction, compte tenu de sa capacité à s’adapter aux besoins du milieu et de son indépendance politique. Ainsi, il serait pertinent que la continuité de ces services soit plus accompagnée et soutenue par les programmes et politiques publiques, en particulier dans le contexte des communautés ethniques plus défavorisées qui peuvent avoir de la difficulté à financer leurs propres institutions. La construction d’un contexte plus favorable, pour que les organismes communautaires offrent des services et des activités de façon continue, éviterait les efforts successifs de mobilisation et de démobilisation et contribuerait à la consolidation de repères. Cela semble être particulièrement difficile à mettre en place pour des territoires étalés avec des services dispersés, comme Montréal-Nord et Brossard, alors qu’à Parc-Extension la difficulté provient davantage des réactions et des capacités d’adaptation des institutions face aux changements urbains rapides.

Il semble aussi pertinent de favoriser la création de centres communautaires ou d’espaces de socialisation à caractère ethnique, dont l’importance a été identifiée dans la littérature. Il est pertinent que les services publics qui favorisent la participation sociale des personnes âgées s’adaptent afin d’élargir leur utilisation par les personnes âgées immigrantes. À ce titre, les bibliothèques municipales, qui semblent être très appréciées des personnes âgées en général, mais également des populations immigrantes, pourraient profiter de la relation qui existe déjà avec les organismes communautaires dans un contexte d’accueil aux nouveaux arrivants. Ces lieux neutres, et souvent dispersés et localisés à des endroits stratégiques sur les territoires, pourraient offrir des services adaptés. Il faut alors résister à la tentation de plusieurs municipalités de centraliser leurs activités dans un grand centre de services plutôt que de soutenir la présence en des points de services multiples.

6.3 Intervenir dans plusieurs formes urbaines

Les constats sur les obstacles à l’accès aux biens et services que l’environnement physique de Montréal-Nord et de Brossard impose aux aînés sont largement étayés par les entretiens et les ateliers. Cela soutient l’hypothèse selon laquelle la morphologie de la banlieue associée à la méconnaissance linguistique, et les difficultés de mobilité qui en découlent, placent les personnes âgées immigrantes dans une position particulièrement vulnérable pour accéder aux ressources (sub)urbaines. Ces caractéristiques physiques ressortent également comme un déterminant de l’exclusion aux activités offertes par les milieux communautaire et institutionnel. De même, le développement d’activités dans les RPA s’avère un pôle d’attraction intéressant, qu’elles soient situées dans les résidences elles-mêmes ou à leur proximité. Si cette logique d’efficacité vise à atteindre un public plus nombreux (Negron-Poblete et al., 2018), elle finit par laisser de côté les individus susceptibles d’être plus en besoin, c’est-à-dire ceux qui vivent seuls ou en cohabitation ou moins mobiles. Cette même logique s’applique aux services de transport dédiés aux personnes âgées qui se concentrent autour des RPA en négligeant ceux qui vivent ailleurs plus loin.

Il semble alors opportun qu’en banlieue les activités offertes par les institutions et les organismes communautaires soient réparties de façon plus équilibrée pour mieux desservir les personnes âgées qui ne résident pas en RPA. La gratuité du transport en commun, qui n’est pas présente partout, peut soutenir les personnes âgées qui ne conduisent pas à accéder aux biens et services essentiels et à participer aux activités sociales. Il semble également que les propositions portant sur l’amélioration de l’offre de transport en commun, avec le SRB et l’allongement de la ligne bleue du métro à Montréal-Nord, ou la réorganisation avec le REM à Brossard, pourraient accroître la mobilité des personnes âgées non motorisées et plus vulnérables au niveau socio-économique. Dans ce contexte, les services à adapter ou à développer et à articuler dans la trame urbaine devraient tenir compte de la localisation des destinations, des ressources et des points d’intérêt des populations en place tout comme celle qui continue d’arriver.

L’amélioration de l’accessibilité tendrait à limiter les déplacements involontaires ou forcés des populations les moins favorisées vers des zones encore plus périphériques et encore moins desservies en matière de transports en commun et de commerces et de services. L’appauvrissement de certains secteurs de l’arrondissement de Rivière-des-Prairies ou de Laval, de l’autre côté de la Rivière des Prairies, juste en face de Montréal-Nord, ou de Greenfield-Park et Saint-Hubert à Brossard, sont des exemples de cette dynamique métropolitaine qui pousse les ménages les plus défavorisés vers les territoires des anciennes périphéries pavillonnaires (Rose et al., 2013). En ce sens, l’élargissement de l’offre de logements qui ne s’avèrent pas un fardeau financier pour les familles plus défavorisées, y compris les personnes âgées immigrantes, pourrait contribuer à réduire les impacts négatifs de ces interventions urbaines.

À Parc-Extension, l’accessibilité des personnes âgées aux commerces et services émerge de manière positive chez les participants. Le sujet de l’accessibilité des aînés aux commerces et services ne semble pas être vu comme un problème et pas non plus être un point positif. Malgré une dévalorisation du quartier, l’offre de commerce et de services est assez diversifiée. De nombreux facteurs peuvent se cumuler pour expliquer ce dynamisme : la densité importante, la taille réduite du territoire, la présence du métro, les quartiers environnants plus aisés, les emplois dans le domaine institutionnel ainsi que son rôle comme quartier de référence pour la communauté immigrante à l’échelle métropolitaine. À la lumière de ce constat plutôt favorable, il semble rester beaucoup d’actions à accomplir dans des secteurs plus étalés pour limiter les risques d’exclusion et de marginalisation, mais aussi certaines interventions innovantes à imaginer en fonction de milieux de vie difficiles à densifier comme les secteurs plus centraux de l’agglomération.

Pour conclure, d’autres analyses et recherches sont nécessaires pour mener des interventions dans les territoires étudiés pour donner une place et reconnaître la présence des aînés issus de l’immigration. En outre, nous n’avons pas développé, dans le cadre de cet article, des analyses des caractéristiques socio-démographiques et socio-économiques des territoires étudiés, et en particulier sur la réalité des immigrants au regard de différentes inégalités socio-économiques. Le logement, les revenus, les familles monoparentales, etc. sont des dimensions incontournables. De même, notre objectif n’était pas non plus de distinguer la situation des immigrants récents et celle des immigrants de longue date, ou encore ce qui distingue les problèmes des personnes âgées immigrantes des autres personnes âgées. Cela ouvre autant de perspectives de recherche et d’intervention sur lesquelles d’autres de nos travaux se pencheront.

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MacCallum, D, Babb, C, Curtis, C (2019) Doing research in urban and regional planning: Lessons in practical methods (1re éd.). Routledge.