Abstracts
Résumé
Cet article discute des conséquences de la maternité sur la subjectivité de la femme en se focalisant sur Un enfant de ma porte de Ying Chen, publié d’abord par Boréal en 2008 et ensuite par Seuil en 2009. Bien que ce roman ne constitue pas la première tentative de la part de Ying Chen d’examiner le thème de la maternité dans son écriture, ce qui est intéressant dans le roman Un enfant à ma porte, c’est que l’auteure nous donne accès à la voix de la mère au lieu de faire narrer son histoire par le biais d’un autre personnage. Cet article considérera l’idée de l’ambiguïté maternelle ainsi que les obstacles auxquels la mère doit faire face dans la lutte pour préserver sa propre identité tout en s’occupant d’un autre.
Abstract
This article discusses the impact of motherhood on female subjectivity, as depicted in Ying Chen’s Un enfant à porte, published first by Boréal in 2008 and then by Seuil in 2009. Although this is not the first time that Ying Chen has examined the theme of motherhood in her writing, what is unique about Un enfant à ma porte is that it gives us direct access to the mother’s voice, as opposed to her story being narrated through another character. This article will look at the issue of maternal ambiguity and the difficulties enountered by the mother in her effort to maintain a sense of self while caring for another.
Article body
Il n’y a aucun doute que l’enfant soit un individu à part entière. Mais quand une femme devient mère, son individualité à elle est [...] compromise
Un enfant à maporte 59
Dans Narratives of Mothering (2009), Gill Rye, à la lumière de la théorie féministe, remarque l’émergence d’une nouvelle tendance dans l’écriture contemporaine des femmes en langue française où la mère devient de plus en plus fréquemment un sujet narratif au lieu d’être reléguée au statut d’objet, comme c’est souvent le cas dans la littérature, même dans celle écrite par les femmes. Rye reprend l’observation faite préalablement par Marianne Hirsch dans The Mother-Daughter Plot (1989) qui constate qu’il est rare que nous entendions la voix de la mère, même si le personnage de la mère est toujours présent dans l’écriture des femmes. Au contraire, jusqu’à l’heure actuelle, qu’elle soit glorifiée ou diabolisée, la mère dans la littérature a été, la plupart du temps, « l’objet des récits, des discours, des craintes et des fantaisies des autres – du fils, de la fille, du mari, de l’amant, du narrateur omniscient, ainsi que de la religion, de l’idéologie et de la politique » (Rye 15)[1]. Hirsch et Rye ne sont pas les seules critiques féministes à souligner cette pénurie de narrations maternelles dans la littérature. Lori Saint-Martin, dans Le nom de la mère (1999), texte qui examine le portrait de la mère dans la littérature québécoise, se plaint d’un refoulement du maternel et d’une oblitération de la subjectivité de la mère dans la société.
Le nom de la mère : d’emblée, le terme étonne, déroute, nous plonge dans une apparente impossibilité logique. Le nom du père, le Nom-du-Père, tout le monde connaît. Celui de la mère est inconnu, enfoui, perdu. De nom à elle, elle n’en a pas, n’en a jamais eu.
Saint-Martin 11
De façon similaire, Suzanne Juhasz, dans son article intitulé « Mother-Writing » (2003), constate que nous continuons de faire face à un manque important de récits maternels dans la littérature, même si à l’ère du XXIe siècle, l’on croirait que le mouvement féministe aurait suffisamment ouvert la voie aux femmes pour qu’elles puissent écrire et parler en tant que mères-sujets. Le fait que tel ne soit pas le cas sert à nous démontrer que, selon Juhasz, non seulement la subjectivité maternelle reste une identité élusive tandis qu’elle devrait pourtant être évidente, mais encore qu’elle est aussi une identité que nous avons beaucoup de difficulté à exprimer authentiquement, à comprendre et à affirmer (Juhasz 398). Étant donné cette tradition dans la littérature consistant à effacer le personnage de la mère, à la maintenir dans le silence, ou au mieux, à parler POUR elle, on doit donc se demander ce qui se produit quand la mère arrive à prendre la parole elle-même, ce qui est le cas dans Un enfant à ma porte de Ying Chen. Comment le texte narré par la mère diffère-t-il de celui où l’on parle pour elle? Est-ce qu’il nous permet de parvenir à une meilleure compréhension de ce que veut dire la maternité dans toute son ambiguïté, les mauvais moments ainsi que les bons, quand on passe la parole à la mère? Voici quelques-unes des questions qui seront abordées dans notre analyse d’Un enfant à ma porte.
Ce roman ne constitue pas la première tentative de la part de Ying Chen d’explorer le monde de la mère. Mémoire de l’eau (1992) examine la maternité en tant qu’institution patriarcale, c’est-à-dire définie et contrôlée par les hommes et tendant à opprimer la femme en lui imposant des critères de perfection inatteignables. Publié trois ans après, L’ingratitude (1995) reprend le personnage de la mère comme point de focalisation, mais uniquement du point de vue de la fille qui raconte leur relation problématique au sein d’une société « phallogocentrique » qui rend mère et fille ennemies l’une de l’autre. Ce qui est à noter dans ces deux textes, c’est que même si la mère se trouve au coeur de l’intrigue, elle n’a pas accès à la parole elle-même; elle reste l’objet du discours de la fille. C’est précisément ici qu’Un enfant à ma porte se différencie radicalement des efforts précédents de Ying Chen visant à examiner l’univers de la mère, car non seulement met-elle la mère au centre de son récit, elle lui accorde aussi, pour la première fois, le droit de parler et de prendre en main le déroulement de sa propre histoire, interrompant ainsi le dominant narratif de la maternité, celui dicté par le père.[2] Ce qui résulte de cette prise de parole de la part de la mère est un récit oppositionnel de la maternité, ou un « contre-narratif » pour reprendre la terminologie d’Andrea O’Reilly dans Feminist Mothering (2008), c’est-à-dire un discours innovateur sur la maternité qui réduit à néant celui de la société patriarcale et qui a la possibilité de rendre la femme-mère plus puissante au lieu d’effacer sa subjectivité. En anglais, à la différence du français, on peut employer les termes « motherhood » et « mothering » pour distinguer entre l’institution de la maternité et l’expérience réelle vécue par la mère (grâce à l’héritage de Of Woman Born, Adrienne Rich, 1976)[3]. En français, il semble que la seule option soit celle de parler de « maternité-institution » et de « maternité-expérience »[4]. De toute façon, ce qui importe, quelle que ce soit la paire de mots que l’on choisit (la version anglaise ou française), c’est de faire la distinction entre l’institution de la maternité et l’expérience de la maternité, car leur relation est profondément conflictuelle et rares sont les cas où la véritable expérience vécue de la maternité correspond à celle prônée par l’idéologie dominante, comme nous le verrons dans Un enfant à ma porte. Par conséquent, la femme se trouve tiraillée entre la mère qu’elle est et la mère qu’elle devrait être. Pour Naomi Wolf, auteure de Misconceptions (2001), texte qui essaie de dévoiler la vérité de l’expérience maternelle, cette immense collision entre ce que la société attend d’une mère et ce qu’elle peut réaliser en réalité aboutit à « une condition d’apatride », une liminalité où la mère, tirée entre deux pôles opposés, n’a aucun lieu pour exprimer ses sentiments d’ambiguïté envers la maternité. En analysant de près Un enfant à ma porte, nous essaierons de voir dans quelle mesure l’institution de la maternité continue à peser sur l’expérience réelle de la maternité, et examinerons les conséquences de la première sur la seconde.[5]
Un enfant à ma porte constitue une étude rétrospective de la maternité, narrée par un « Je » maternel qui suit la relation mère-enfant depuis le moment de leur première rencontre inattendue jusqu’au jour de leur séparation aussi abrupte, période de temps qui traverse un peu plus d’un an. Les circonstances entourant l’arrivée de l’enfant dans la vie de la narratrice sont, pour le moins, bizarres. Comme le suggère le titre du roman, l’enfant est bel et bien trouvé dans le jardin de la protagoniste pendant que celle-ci sort chercher le journal un matin. Il est suggéré que l’enfant, âgé d’environ cinq ans, pourrait être un orphelin rescapé d’un tremblement de terre récent dans un village avoisinant, mais cette explication n’est jamais confirmée dans le roman. Ce qui est certain, cependant, c’est la détermination absolue chez la narratrice-protagoniste de réclamer l’enfant pour elle-même, « d’en prendre possession » (Un enfant 16)[6] avant que quelqu’un d’autre n’arrive sur les lieux. Puisque la narratrice et son mari n’ont pas pu concevoir leur propre enfant malgré maintes tentatives, ils se réjouissent de cette découverte chanceuse et décident immédiatement d’accueillir l’enfant chez eux et de l’élever comme le leur. Après cette trouvaille invraisemblable, se déploie un compte-rendu tout à fait palpable de l’expérience d’être mère, telle que vécue par la narratrice. Nous la voyons se démener dans son nouveau rôle avec toutes ses responsabilités et les soins exigés par l’enfant, au point où sa vie est tellement changée qu’elle ne peut plus la reconnaître ni se définir selon les mêmes critères qu’auparavant. Un enfant à ma porte devient vite un récit maternel qui comprend toute une gamme d’émotions intenses et souvent contradictoires, la jeune mère se trouvant partagée entre des sentiments d’amour et de haine, de contentement et de vide, de plénitude et de fragmentation en ce qui concerne son fils. Le récit ne répugne pas à exposer les difficultés de la maternité, surtout quand il s’agit de devoir choisir entre son identité de femme et son identité de mère. Plusieurs questions courageuses sont posées au cours du texte : a-t-on le droit de se poser comme sujet quand on est mère et comment le faire au sein d’une culture qui valorise l’abnégation de soi dans la maternité? Pourquoi présume-t-on toujours que la mère aimera instinctivement et sans difficulté son enfant? La mère n’a-t-elle pas besoin de reconnaissance elle aussi? Comment exprimer des sentiments d’ambiguïté envers son enfant et le désir de se séparer de lui sans être écrasée par la honte? La mère dans Un enfant à ma porte doit sans cesse faire face à la pression sociale de se conformer à la définition que fournit l’idéologie dominante de ce qui constitue une « bonne mère »[7]. Il n’est point surprenant alors qu’elle se sente continuellement hantée par la crainte d’échouer, de devenir une « mauvaise mère », mais la réalité qui en résulte est que, contrairement à ce que nous ferait croire l’institution, la maternité, telle que vécue par la narratrice, est bien loin d’être une étape cohérente, aisée et unifiée dans la vie d’une femme. Il s’agit plutôt d’une période de constante négociation et de multiples prises de position[8].
Pour revenir à la question posée dans le titre, « Comment peut-on être moi quand on est mère », la réponse la plus évidente que propose Un enfant à ma porte est négative et contraignante, c’est-à-dire que l’on ne peut nullement être sujet et mère à la fois. Les sentiments de joie ressentis à la découverte initiale de l’enfant sont de courte durée et dès que les responsabilités quotidiennes d’être mère à plein temps s’installent, la narratrice se trouve dans un état d’épuisement mental et physique sans issue, n’ayant pas un seul moment pour s’occuper de ses besoins à elle. La narratrice observe à propos de sa journée que « les petites tâches quotidiennes m’incombaient » (Un enfant 31) et que « cela me prenait le double ou même le triple de temps pour effectuer une tâche ordinaire, sans cesse interrompue, sans cesse remise à plus tard » (Un enfant 30). Ce n’est pas seulement sa routine quotidienne qui est envahie par la présence de l’enfant, mais son corps aussi. Avant l’arrivée de l’enfant, la narratrice avait été d’une « jeunesse intarissable », cependant, tout comme les femmes qui accouchent, elle note avec peine que l’arrivée d’un enfant a provoqué des changements qui semblent maintenant irréversibles dans son apparence physique. Elle a pris du poids qu’elle n’arrive pas à perdre, ses cheveux ne luisent plus comme avant et sa peau a l’air moins fraîche. Accepter ces changements s’avère difficile pour la narratrice, car elle ne se reconnaît plus dans la glace et considère son corps de mère moins favorablement que celui dont elle était dotée avant la maternité. Elle n’aime pas sa nouvelle apparence, « corpulente, maladroite et lasse, d’une allure de poule » (Un enfant 33) avec « Mes hanches épaisses, mes seins bizarrement écroulés et pendants » (Un enfant 39). Elle regrette la perte de « sa forme passée, ses muscles fermes, sa peau luisante, peut-être la détérioration serait-elle définitive? » (Un enfant 30), et se sent frustrée avec son nouveau corps de mère qu’elle décrit en tant qu’échec: « Ma nouvelle laideur [...] mon incapacité à me rétablir physiquement depuis l’arrivée de l’enfant » (Un enfant 40). Vu son dégoût devant ce qu’elle considère comme une mutation aberrante de son corps, il n’est pas étonnant que la protagoniste réagisse avec cynisme (mais un cynisme qu’elle n’ose pas révéler à voix haute) devant ceux autour d’elle qui essaient de la convaincre qu’elle est « radieuse à côté de son enfant » (Un enfant 40). Le roman dépeint une sorte de colonisation de l’espace et aussi du corps de la mère par l’enfant. Par conséquent, ce qui avait été envisagé d’abord comme occasion de s’accomplir comme femme en devenant mère devient vite « le temps de ma servitude » (Un enfant 64). C’est l’enfant qui a « tous les droits » (Un enfant 64), agissant comme un petit tyran dans la vie de la mère. Pour citer Elisabeth Badinter (Le Conflit : La Femme et La Mère, 2010), nous faisons face à un véritable « impérium du bébé » : « c’est au moment où les femmes occidentales parviennent enfin à se débarrasser du patriarcat qu’elles retrouvent un nouveau maître à la maison [...] c’est l’innocent bébé – bien malgré lui – qui est devenu le meilleur allié de la domination masculine » (Badinter 145-146)[9].
Parallèlement à la perte de l’identité de la femme quand elle devient mère se déroule une amalgamation de l’identité de la mère et de l’enfant. Cette fusion est sans doute liée au fait que, bien que la narratrice soit mariée, s’occuper de l’enfant ne relève pas d’une tâche commune, partagée entre femme et mari, mais d’un devoir qui revient principalement à la mère. La paternité dans Un enfant à ma porte ne consiste qu’à passer cinq minutes en compagnie de l’enfant à la fin d’une journée de travail à l’extérieur de la maison (souvent l’enfant est déjà endormi à l’heure du retour du père de sorte que celui-ci se voit libéré de son obligation) ou, autrement, à donner des conseils à sa femme sur la garde de leur enfant. C’est donc la mère qui répond sans cesse aux besoins de l’enfant, le père n’intervenant qu’au gré de son humeur : « il ne voulait que de bons moments, il devait choisir le moment où il verrait son enfant » (Un enfant 31). La mère, par contre, ne jouit pas d’une telle liberté : elle ne peut pas choisir quand et comment passer du temps avec l’enfant; c’est plutôt lui qui décide. « J’étais l’unique cible de l’enfant. Il déployait toutes les ruses dont sa petite cervelle était capable pour me retenir jour et nuit, jusqu’à l’épuisement » (Un enfant 51) et « J’avais l’impression que cet enfant m’épiait dans le noir » (Un enfant 52) déplore-t-elle. La mère et son fils passent tant de temps ensemble, loin des autres, qu’ils semblent devenir un seul être, dans une sorte de fusion corporelle : « Il était si souvent dans mes bras ou sur mon dos qu’on aurait dit que nous formions un seul corps » (Un enfant 52) et « De l’enfant et moi se dégageait presque la même odeur » (Un enfant 52), remarque la narratrice. L’expérience de la maternité est décrite comme « un marécage » dans lequel la mère et le fils doivent se battre afin de se séparer et se distinguer l’un de l’autre. Cette fusion totale entre mère et enfant se situe autant sur le plan émotif que sur le plan physique lorsque la narratrice réalise que ce qu’elle ressent pour l’enfant se mélange de plus en plus avec ses sentiments à l’égard du soi : « Je commençais à chérir cet enfant non pas avec l’amour que je lui aurais donné, mais avec mon amour-propre, et aussi à le détester parfois autant que je me détestais moi-même » (Un enfant 135). Plus leurs identités physique et émotionnelle sont fusionnées, plus la mère considère l’enfant non comme un être à part, mais comme une extension du soi, la vie de l’enfant se posant comme une possibilité de renaissance pour la mère.
Je voulais tout cela pour lui, tout ce que je n’avais pas. Je projetais sur lui mes insatisfactions, je voulais que mon enfant incarne mon propre orgueil blessé, mon ambition déchue.
Un enfant 114
Je voulais le modeler dès son jeune âge. Je cherchais à me réaliser à travers lui. Mon attention n’a jamais vraiment porté sur l’enfant lui-même.
Un enfant 115
Cependant, de façon paradoxale, cette sensation de pouvoir se recréer par le biais de l’enfant est teintée de la peur de substitution, voire de l’effacement total de la mère.
Pourtant, de me croire renaître déjà, avant même de mourir, de me sentir remplacée de mon vivant par un être semblable, et de pouvoir favoriser volontairement ce processus [...], c’était pour moi une expérience troublante [...].
Un enfant 115
Les images de servitude (où la mère est soumise à l’enfant-maître) et de fusion (où l’identité de la mère est absorbée par l’enfant), dessinent un portrait de la maternité-expérience comme longue agonie. Le fait d’être mère est semblable à celui d’être atteinte d’une « maladie sans remède » (Un enfant 45) et le désir de devenir mère est décrit comme si l’on portait un « gène suicidaire » (Un enfant 47), ou plus tard, comme « un instinct suicidaire » (Un enfant 83). Ici, loin de représenter une renaissance possible pour la mère, l’enfant devient son bourreau : « Il avait la mission de m’enfoncer dans la terre. Il était venu me réclamer la vie » (Un enfant 69). Quand elle se rappelle le jour où l’enfant est survenu chez elle, la narratrice songe qu’au moment exact où elle l’a pris dans ses bras, « je sentais une indicible peine, plus ou moins aiguë, suivie d’une très douce pesanteur. J’ai eu la sensation d’être atteinte par une balle mortelle » (Un enfant 104). Cependant, c’est lors de leur visite en famille au musée des sciences naturelles que cette image de l’arrivée de l’enfant déclenchant la déchéance de la mère en tant que sujet devient vraiment apparente. Dans la salle d’exposition sur l’élevage des vers à soie, la narratrice est fascinée par ces créatures gavées de nourriture en vue d’une production optimale de soie. Tout de suite, il est possible d’établir un parallèle entre ce que la narratrice observe chez les vers à soie et ce qu’elle raconte sur sa vie comme mère. En comparaison avec ces vers d’élevage qui ne peuvent plus vivre dans la nature, qui perdent la capacité à voler et dont la vie entière est vouée à la création de soie, à la fin de laquelle on les tue lorsqu’ils ne peuvent plus rien produire, la narratrice, à cause de ses devoirs maternels, est presque prisonnière de la maison familiale et privée de toute possibilité de s’épanouir et de s’échapper. Il est intéressant de noter, parallèlement à ces vers lourds de nourriture qui ne peuvent pas voler, que la narratrice décrit sa vie comme mère sous l’angle de la « pesanteur » (Un enfant 49), tandis que sa vie comme non-mère avait plutôt été « flottante » (Un enfant 9). L’analogie entre la vie d’une mère, selon la narratrice, et celle d’un ver à soie, s’étend plus loin que cette première observation. Elle raconte que l’on ne tue pas tous les vers après la récolte de leur substance; quelques-uns sont retenus pour la reproduction de nouveaux vers. Ainsi commence-t-elle à s’identifier au ver mère dont la survie lui paraît humiliante, car on ne lui permet pas de vivre, mais seulement d’exister comme « appareil de reproduction », de travailler « jusqu’à son dernier souffle [...] sans espoir de récompense » (Un enfant 44) : « Je fixais le ver mère au point que je me trouvais à l’intérieur de la boîte, que je me mettais à sa place et la sentais en moi. Je voyais nos corps déchirés et détériorés se confondre peu à peu » (Un enfant 47). En réfléchissant sur la trajectoire du ver mère, la narratrice se rend compte soudainement de ce qu’elle considère comme son seul destin possible maintenant qu’elle est mère : « J’ai compris que ma mort venait de commencer » (Un enfant 43). C’est une prise de conscience qu’elle n’oubliera pas, car plus tard dans le roman elle remarquera de façon similaire :
J’étais convaincue que la naissance d’un enfant devait, tout comme dans le monde des vers à soie, coïncider avec la mort ou la déclencher, sinon accélérer l’anéantissement d’un adulte. L’enfant ferait travailler de plus belle cet adulte, lui prendrait son énergie, sa patience, sa tendresse, sa fortune, lui arracherait tout ce qu’il lui permettrait de vivre. Il écraserait tout [...].
Un enfant 103
Non seulement l’arrivée d’un enfant peut-elle changer dramatiquement la vie d’une femme, elle peut même l’effacer complètement.
Le grand paradoxe de ce roman réside en ce que, bien qu’il semble impossible d’être soi quand on est mère, il est aussi difficile, sinon plus encore de s’établir comme « une vraie femme » (Un enfant 17) aux yeux de la société quand on n’est pas mère. Une femme qui n’a pas eu d’enfant est désignée en termes médicaux comme « nullipare ». Si on réfléchit aux sous-entendus de ce terme, comme l’a fait Jane Sautière dans son livre du même titre (Nullipare 2008), on entend d’abord « nulle » – une femme d’aucune valeur –, mais il y a aussi « part » – une femme de nulle part et qui ne va nulle part dans la vie : « vacuité des lieux et viduité de la promeneuse » (Nullipare 13). Soulignons que ce terme, nullipare, ne réfère qu’à une femme qui n’a pas eu d’enfant : « Je me demande s’il existe un mot semblable qui désignerait un homme qui n’aurait pas d’enfant. Je comprendrais qu’il n’y ait rien » (Nullipare 13).
Dans Un enfant à ma porte, c’est la narratrice plutôt que son mari qui ressent la pression de produire un héritier. Nous apprenons que depuis leur mariage ils avaient essayé en vain de concevoir un enfant, au point où faire l’amour devint pour la narratrice un acte mécanique orienté vers un but précis, ce qui montre que même la seule poursuite de la maternité peut brimer une partie importante de la subjectivité de la femme, c’est à dire sa jouissance (Un enfant 19). D’ailleurs, à cause de son incapacité à tomber enceinte (la possibilité que le problème se trouve chez son mari ne se présente jamais), la narratrice se considère comme « inutile » en tant que femme : elle parle à plusieurs reprises de sa « vie stérile et dégénérée » (Un enfant 19) et de son corps inadéquat qui « n’est sans doute pas assez humain, pas assez animal, en tout cas pas assez vivant pour concevoir » (Un enfant 16). Curieusement, la même métaphore de malaise physique employée pour décrire l’expérience de la maternité est associée à la condition de non-maternité quand la narratrice fait référence à « l’aspect incurable de mon état » (Un enfant 16) et, plus spécifiquement, « ma maladie » (Un enfant 20). Par suite, avoir tout d’un coup l’occasion inattendue d’élever un enfant rend sa vie plus appréciable, surtout aux yeux de la société la « qualifiant enfin de palpitante de vraie vie, d’une vie remplie de tâches domestiques, sans temps et sans rêve [...] me trouvant enfin normale » (Un enfant 33). Parce que tant d’importance est attachée à la maternité dans la vie d’une femme, comme si cela devait être sa seule aspiration, il n’est pas surprenant qu’à la fin du roman, après la disparition de l’enfant, la narratrice, désormais privée de son statut de mère, se sente « moins justifiée dans cette maison, dans cette rue, dans cette ville, dans ce monde » (Un enfant 11). De plus, les descriptions de son corps comme squelettique alors qu’elle n’est plus mère pourraient signifier un effacement de son identité dès lors qu’elle n’a plus de rôle valorisé dans la société (Un enfant 9). L’idée que l’on doive être mère si l’on veut être considérée comme une « vraie femme » est encore renforcée par le portrait négatif de la femme qui a choisi exprès de ne pas avoir d’enfant. Lors d’une soirée chez la narratrice et son mari, ce personnage explique de façon controversée, mais quand même bien argumentée, les raisons pour lesquelles elle n’a pas voulu devenir mère :
Devenir mère, c’est un piège qu’elles se tendent à elles-mêmes, ou plus justement, c’est un piège que la nature pose sur leur chemin pour une raison et un but qui les dépassent, qui ne les regardent pas. Elles auraient dû éviter de franchir ce pas ingrat et puéril. Ce pas qui va les appauvrir considérablement, les démunir bien avant la vieillesse, les rendre faibles et dépendantes quand elles sont encore jeunes et dans la force de leur âge. Ce pas qui les affolerait ou les abrutirait, car elles devraient désormais dialoguer sans arrêt avec un mineur, pendant dix-huit années et plus. Ce pas qui les rendrait trop lourdes pour les joies légères et les conduirait aux disputes, au divorce, à la solitude. Ce pas presque fatal [...].
Un enfant 38
Même si la narratrice semble admirer le courage de cette femme ainsi que son air de liberté, les autres invités (femmes y comprises) la fixent « avec inquiétude » (Un enfant 38). On lui enlève son verre de vin rouge, car elle n’est manifestement « guère équilibrée » (Un enfant 37) si elle est capable de prononcer « des propos si peu féminins, pour ne pas dire inhumains » (Un enfant 38).
Suivant ces considérations, il semblerait qu’il n’y ait pas de réponse nette à la question posée dans le titre de cet article, car si on ne peut pas être « moi » quand on est « mère », on ne peut non plus être femme si on n’est pas mère[10]. Les sacrifices et les dévouements attendus de la femme qui veut être une « bonne mère » fait de la maternité « ce désespérant sommet » (Un enfant 58), tandis que la femme qui refuse la maternité est traitée comme une anomalie. À cause de la situation paradoxale à laquelle fait face la femme, il n’est pas étonnant que l’expérience de la maternité qui s’ensuit dans Un enfant à ma porte soit elle-même essentiellement ambiguë, où la narratrice se trouve déchirée entre l’amour et la haine pour son enfant. Elle est à la fois étouffée par la présence de son enfant et hantée par la peur de le perdre. Si elle attend avec impatience son départ chez la nourrice le matin, ironiquement, elle passe tout son temps libre à préparer la maison pour son retour, et quand il tarde à revenir un soir, elle panique.
Mon esprit se mettait en route dans l’obscurité, à la recherche de mon enfant parmi les ombres qui peuplaient ma tête. Je découvrirais combien au fond j’étais attachée à mes soirées désenchantées, à quel point je ne croyais pas qu’il existait des enfants plus agréables que le mien [...]. Combien, malgré mes protestations, je m’étais secrètement pliée devant la nécessité du labeur, de la douleur.
Un enfant 67
Un peu plus loin, la narratrice avoue, de façon similaire, que « même si vivre avec lui était une lutte constante, il me semblait que je ne pouvais plus vivre sans lui, sans cette lutte, sans cette peine » (Un enfant 77). Ce déchirement continuel entre des émotions totalement opposées pour l’enfant fait honte à la narratrice, mais selon Rozsika Parker, auteure de Torn in Two (1995), il est tout à fait naturel d’éprouver de l’ambivalence maternelle. Cependant, exprimer cette ambivalence à voix haute reste un tabou dans une société qui n’hésite pas à étiqueter comme « mauvaise mère » toute femme qui ne correspond pas au modèle reçu et approuvé de la maternité, c’est-à-dire la femme qui aime son enfant « instinctivement », entièrement et sans condition. Tandis que toute mère a le droit de s’extasier devant son enfant, « une mère qui se plaint [...]. Cela ne se fait pas. Comme si la maternité n’était pas son plus grand devoir, la source de son plus grand bonheur, l’occasion la plus signifiante où devaient se manifester ou s’éprouver sa bonne nature et son humanité » (Un enfant 59). Pourtant, selon Parker (1995), si on ne permet pas aux femmes d’articuler leur ambivalence maternelle, elles ne pourront jamais la maîtriser de façon convenable, ce qui est le cas dans Un enfant à ma porte[11]. Puisque la narratrice n’a pas l’occasion de discuter ouvertement de ses émotions confuses à l’égard de son enfant, son sentiment d’ambivalence maternelle explose et aboutit à l’emprisonnement de l’enfant chez elle. Né de cette ambivalence maternelle et motivé par un mélange de sentiments positifs et négatifs (le désir de rester proche de l’enfant tout en se libérant de lui), cet abus prend une forme essentiellement ambiguë là encore, comprenant une attention excessive accordée à l’enfant (par le biais de la suralimentation) et une négligence effrayante (l’enfant vit dans la saleté totale)[12]. Il faut noter que cet abus peut passer inaperçu à cause de deux raisons principales : l’absence presque permanente du père (qui voyage souvent pour son travail), et le fait que la narratrice se trouve coupée du monde public et reléguée au domaine privé, surchargée par ses responsabilités maternelles. Avant que l’abus de l’enfant ne commence, il y a quand même quelques tentatives de la part de la narratrice en vue de maîtriser son ambivalence maternelle, d’abord en essayant d’inscrire l’enfant à une crèche ou une école (mais toutes les portes lui sont fermées pour diverses raisons), et ensuite, en embauchant une nourrice qui s’occupera de l’enfant pendant une partie de la journée, une décision pour laquelle elle risque de se voir accusée de décadence (Un enfant 76). Toutefois, la crainte d’être remplacée par cette nourrice dans les affections de son fils fait que la narratrice met fin à leur arrangement et réclame l’enfant exclusivement pour elle (Un enfant 75). Mentionnons qu’au moment où elle décide de ramener l’enfant chez elle et de l’emprisonner, la narratrice se contredit, d’abord en avouant au lecteur que :
me sentant davantage frustrée par l’enfant qui était devenu pour moi une inépuisable source de soucis[13], j’ai tout à coup décidé de le traiter plus sévèrement encore, de me montrer incorruptible à ses yeux et devant les autres.
Un enfant 125
Mais seulement une page plus loin, dans des termes presque identiques, elle essaie de convaincre autrement le lecteur du bien-fondé de ses actions :
Il faut que je me réadapte. Mon enfant est mon meilleur interlocuteur, mon maître, c’est une source inépuisable d’inspiration[14], une richesse spirituelle que je ne donnerai pas à n’importe qui, un trésor que je ne veux plus confier à une autre femme.
Un enfant 126
Il s’agit là d’un exemple parfait de l’ambivalence maternelle telle que vécue par la narratrice tout au long du roman et qui, ne pouvant pas vraiment être exprimée (ce qui explique peut-être son autocorrection dans la deuxième citation ci-dessus), aboutit à l’effondrement total de la relation mère-enfant.
En guise de conclusion, même si une analyse de la représentation de la maternité dans Un enfant à ma porte convoque bien d’autres points de discussion, on peut suggérer que ce roman, dans toute son ambiguïté quant au portrait de la mère, contribue au développement, pour citer Andrea O’Reilly (2008), d’une maternité féministe, c’est-à-dire :
un discours oppositionnel de la maternité, construit en tant que négation de la maternité patriarcale [...] et qui cherche à interrompre le narratif dominant de la maternité afin d’imaginer et d’encourager une vision de la maternité qui donne le pouvoir aux femmes. [...]. La maternité féministe se réfère à toute pratique maternelle qui cherche à critiquer et à transformer les aspects de la maternité patriarcale qui rendent l’expérience d’être mère limitante et opprimante à la femme.
O’Reilly 4
Malgré le fait que le roman se termine sur l’échec de la relation mère-enfant (car, à la fin, la mère perd l’enfant comme elle l’avait craint), il faut se rappeler que c’est la pression sur la narratrice de correspondre à un modèle de maternité trop restreint et inatteignable, et qui ne permettait aucune défaillance de la part de la mère qui conduit à cette triste conclusion. C’est cette interdiction dans la société de l’expression de toute la gamme des émotions contradictoires de la mère envers son enfant (de ses moments de désespoir ainsi que ses périodes de joie), qui rend l’espace textuel si important dans la représentation authentique de l’expérience-maternité. Le texte devient le seul endroit viable où la mère peut réclamer de la place pour elle, parler dans sa voix à elle, s’affirmer comme sujet et articuler ses propres besoins et désirs. C’est le texte lui-même qui facilite cette nouvelle formulation d’un contre-narratif de la maternité.
Même si l’on ne peut que difficilement qualifier la narratrice d’Un enfant à ma porte de mère habilitée, ce qui importe, c’est qu’elle cherche à s’habiliter. En fait, même sa décision d’emprisonner l’enfant et l’abus qui s’ensuit – sans pour autant qu’on ne tolère ces actions – pourraient être interprétés comme des tentatives, quoique désespérées, de prendre le pouvoir dans leur relation, car elle planifie tout et sait ce qu’elle fait. De plus, à un certain moment, la narratrice semble vouloir livrer une sorte de manifeste pour une nouvelle forme de maternité, une maternité féministe où la mère serait reconnue comme sujet. On a le droit de croire que si ce manifeste avait déjà été mis en place, l’ambivalence maternelle de la narratrice n’aurait pas été poussée à ses limites. Les idées suivantes sont proposées dans ledit « manifeste » :
A. [son mari] aurait dû nous tendre la main plus souvent. Les voisins auraient pu nous donner du soutien plutôt que de nous lancer des regards de soupçon [...]. Tout le monde aurait dû venir à notre secours. (Un enfant 149) N’était-ce pas un travail [la maternité] qui faisait blanchir les cheveux et qui méritait non pas un dérisoire avantage fiscal et une ridicule somme allouée par la ville, bonne pour l’achat du lait seulement, mais un vrai salaire, non pas de l’apitoiement gratuit, mais une réelle compensation, matérielle et morale, avec une pension de vieillesse en plus.
Un enfant 150
Par ailleurs, le roman se termine sur l’angoisse de la narratrice qui, ayant perdu son enfant, ne pourra jamais, semble-t-il, s’en remettre, ce qui va à l’encontre de l’interprétation du texte comme habilitant pour les mères. Cependant, de cette angoisse émerge une prise de conscience pour la narratrice; être mère est devenu partie intégrale de son identité de femme, on ne peut plus les séparer : « Car désormais le moi individuel et le moi mère étaient confondus. Ce nouveau moi, qu’il soit heureux ou souffrant, épanoui ou réprimé, avec ou sans amour, je ne pouvais plus le diviser » (Un enfant 154). Il n’est alors peut-être pas juste de dire que l’on ne peut pas être « moi » et « mère » à la fois, si l’on ne peut pas diviser l’un de l’autre, comme nous le suggère la citation ci-dessus. Peut-être vaudrait-il mieux dire que l’on ne peut être « moi » quand on est obligé d’être « Mère », avec un « M » majuscule, celui-ci renvoyant à l’archétype de la bonne mère, la mater dolorosa, la mère telle que définie par l’idéologie patriarcale, et non l’expérience de la maternité telle que vécue, justement, par les femmes. Selon Andrea O’Reilly, quand nous serons arrivés à l’époque d’une véritable maternité féministe, les femmes ne devront plus choisir entre leur identité de mère et leur position comme sujet. Au contraire, elles pourront exister en tant que mères ainsi qu’individus à part, car l’un n’empêchera plus l’autre, « la maternité sera faisable pour le féminisme, et le féminisme possible dans la maternité » (O’Reilly 4).
Appendices
Notes
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[1]
Toutes les traductions de l’anglais au français dans cet article sont les nôtres.
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[2]
Il semble que Ying Chen ait annoncé ce désir d’écrire la voix de la mère dans son recueil d’essais, Quatre mille marches (2004), dans lequel, en puisant dans ses propres expériences de la maternité, elle parle des inquiétudes ainsi que des joies d’être mère et, plus signifiant encore, de la capacité d’un enfant à transformer la vie à tout jamais, de manière à la fois positive et problématique (voir « Lettre d’Umbertide », Quatre mille marches, 83-90).
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[3]
Adrienne Rich précise la distinction entre ces deux termes en déclarant que « mothering » constitue le potentiel que présente une relation entre une mère et son enfant alors que « motherhood » désigne l’institution patriarcale qui vise à freiner ce potentiel (Rich 1976, 13).
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[4]
En français, existent les termes « maternité » et « maternage », mais leurs définitions ne correspondent pas aux mots anglais « motherhood » et « mothering ». Selon le dictionnaire Larousse, la maternité comprend la grossesse et l’accouchement ainsi que l’état d’être mère tandis que le maternage indique les soins prodigués par une mère à son nourrisson, le fait de surprotéger une autre personne et la technique de la psychothérapie visant à recréer entre le thérapeute et le patient la relation d’une bonne mère avec son jeune enfant.
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[5]
Douglas et Michaels (2004) ont créé le terme « New Momism » pour désigner toute la gamme de pressions sociétales de nos jours sur les mères qui exige non seulement qu’elles soient de « bonnes mères », mais des « mères parfaites ».
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[6]
Dans cet article, nous citerons le texte de cette manière : Un enfant.
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[7]
Dans L’Amour en plus (1980), Elisabeth Badinter essaie de prouver à quel point l’idée de la « bonne mère », telle que décrite dans les théories influentielles de Donald Winnicott et Hélène Deutsch, est nuisible. Être « bonne mère » se définit d’abord par une capacité d’être préoccupée par son enfant à l’exclusion de tout autre intérêt. Si la mère ne parvient pas à se dévouer entièrement à son enfant, elle risque d’interrompre le bon développement de celui-ci. En bref, il n’y a pas de place pour le « moi » de la mère en dehors de son enfant (Badinter 1980, 369-375). Badinter revient sur ce manque de légitimité du « moi » de la mère dans son plus récent livre (2010) en disant que dans la civilisation du XXIe siècle où le « moi d’abord » est érigé en principe, la maternité (qui exige que le souci de soi cède la place à l’oubli de soi) devient plus que jamais un défi, voire une contradiction (Badinter 2010, 24).
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[8]
Ou, pour citer Lisa Baraitser, l’état d’être mère est une série perpétuelle d’interruptions : « Le sujet maternel est un sujet d’interruption : celui qui est à la fois soumis sans cesse à l’interruption et celui qui est énoncé par l’interruption elle-même. [...]. En fait, il est quasiment impossible de concevoir du sujet maternel en dehors de l’interruption » (Baraitser 67).
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[9]
Badinter constate que cette tyrannie des devoirs maternels n’est pas nouvelle, mais qu’elle s’est considérablement accentuée de nos jours avec le retour en force du naturalisme, ce qui semble avoir donné lieu à une régression consentie (au nom de l’amour porté à l’enfant) de la condition des femmes (2010, 146).
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[10]
Une femme (et à un moindre degré un homme) ou un couple sans enfant paraissent toujours une anomalie qui appellent le questionnement. Quelle drôle d’idée de ne pas faire d’enfant et d’échapper à la norme! Ceux-là sont constamment sommés de s’expliquer alors qu’il ne viendrait à l’idée de personne de demander à une mère pourquoi elle l’est devenue (et d’exiger d’elle des raisons valables), fût-elle la plus infantile et irresponsables des femmes. En revanche, celle qui reste volontairement inféconde a peu de chances d’échapper aux soupirs des ses parents (auxquels elle interdit d’être grand-parents), à l’incompréhension de ses amis (qui aiment qu’elles fassent comme elles), et à l’hostilité de la société [...]. Il faut donc une volonté à toute épreuve et un sacré caractère pour se jouer de toutes ces pressions, voire d’une certaine stigmatisation
Badinter 2010, 23 -
[11]
Parker explique que c’est notre ambivalence culturelle envers l’ambivalence maternelle qui empêche l’articulation de celle-ci et qui donc pousse au désespoir les femmes qui n’arrivent pas à satisfaire les critères souvent contradictoires de « de la bonne mère » (34).
-
[12]
Nous faisons face ici, selon la terminologie de Françoise Couchard (1991), à l’« emprise maternelle », c’est-à-dire à la domination ou à la mainmise de la mère sur l’enfant, l’emprisonnement du faible par celle qui est plus forte, le versant négatif de l’amour maternel qui demeure un tabou dans notre culture. C’est justement ce reniement culturel des sentiments maternels négatifs qui fait éclater la relation mère-enfant (4).
-
[13]
Nous soulignons.
-
[14]
Nous soulignons.
Bibliographie
- Badinter, Elisabeth. L’Amour en plus. Paris : Flammarion, 1980.
- Badinter, Elisabeth. Le Conflit : la femme et la mère. Paris : Flammarion, 2010.
- Baraitser, Lisa. Maternal Encounters. London : Routledge, 2009.
- Chen, Ying. Mémoire de l’eau. Montréal : Leméac, 1992.
- Chen, Ying. L’Ingratitude. Montréal : Leméac, 1995.
- Chen, Ying. Quatre mille marches. Paris : Seuil, 2004.
- Chen, Ying. Un enfant à ma porte. Paris : Seuil, 2009.
- Couchard, Françoise. Emprise et violence maternelles. Paris : Dunod, 1991.
- Douglas, Susan and Meredith Michaels. The Mommy Myth. New York: Free Press, 2004.
- Hirsh, Marianne. The Mother-Daughter Plot. Bloomington: Indiana Press, 1989.
- Juhasz, Suzanne. “Mother-Writing and the Narrative of Maternal Subjectivity” Studiesin Gender and Sexuality 4 (2003): 395-425.
- O’Reilly, Andrea. Feminist Mothering, New York: New York University Press, 2008.
- Parker, Rozsika. Torn in Two. London: Virago, 1995.
- Rich, Adrienne. Of Woman Born: Motherhood as Experience and Institution. New York: Norton, 1976.
- Rye, Gill. Narratives of Mothering. Newark: Delaware University Press, 2009.
- Saint-Martin, Lori. Le nom de la mère. Québec : Nota bene, 1999.
- Sautière, Jane. Nullipare. Paris : Gallimard, 2008.
- Wolf, Naomi. Misconceptions. London: Vintage, 2002.