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Introduction

Seul quotidien francophone des provinces maritimes entre 1949 et 1982, L’Évangéline (d’abord hebdomadaire en 1887), a su gagner, dès les premières années de son existence, la confiance et l’appui de la majorité des Acadiens aptes à lire et à s’abonner à un journal. Même si d’autres journaux étaient en circulation (notamment des hebdomadaires et des mensuels), L’Évangéline jouissait d’une situation particulière. Puisque, tous les jours, il rejoignait une population francophone éparpillée dans le monde majoritairement anglophone des provinces du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard, il devint le moyen privilégié de communication entre les Acadiens de partout dans les Maritimes. Dès la publication de son premier numéro, le journal accordait une place privilégiée aux débats typiquement acadiens en délaissant une grande partie de l’actualité provenant des provinces maritimes (mais aussi du reste du Canada) qui ne touchait pas, d’une manière ou d’une autre, la population acadienne (Beaulieu 523-524). Dans le contexte où le journal a évolué, L’Évangéline devint rapidement un véritable instrument d’affirmation nationale.

En raison de son mandat (c’est-à-dire qu’il est successivement, selon son slogan, « Le journal national des Acadiens », « Le seul quotidien français des Maritimes » et « Le seul quotidien français en Acadie ») et de sa longue vie (en tout le journal aura existé presque 95 ans), L’Évangéline est le témoin des changements sociaux, politiques et économiques que vivent les Acadiens des provinces maritimes. Traversant une période relativement stable et caractérisée par un monolithisme idéologique depuis sa création en 1887, le journal se trouve dans une situation tout autre à partir des années 1960 et, plus particulièrement, au cours des années 1970 (Dairon 163-164), époque où il doit rapporter et commenter des événements qui remettent en question le nationalisme acadien de la fin des années 1800 et du début des années 1900. Ce nationalisme, auquel les dirigeants de L’Évangéline adhèrent et consacrent des efforts, repose sur la notion de la « bonne entente » entre les francophones et les anglophones. Le journal est donc témoin, à partir des années 1960, de l’avènement d’une nouvelle tendance nationaliste qui ne fait que prendre de l’ampleur au cours des années 1970 avec, notamment, l’avènement du Parti acadien; un parti qui décide, à la sortie d’un congrès d’orientation en 1977, de faire de la division de la province du Nouveau-Brunswick en deux entités son champ de bataille principal.

Comme tous les autres médias (tant anglophones que francophones), L’Évangéline n’a pu passer sous silence les événements des années 1960 et 1970 qui marquent nettement l’émergence d’un pluralisme idéologique en Acadie. Dans cette optique, nous nous posons la question de savoir comment L’Évangéline a vécu la période qui commence avec le congrès d’orientation du Parti acadien en 1977 et qui se termine après le dévoilement des résultats des élections provinciales de 1978. Quelle orientation prend le contenu des articles d’information portant sur le Parti acadien et sur son projet autonomiste? Quelles positions sont adoptées et défendues dans les éditoriaux? Finalement, comment s’opposent les deux visions de l’Acadie dans les pages de L’Évangéline?

Le développement d’une identité et d’une conscience collective

Afin de bien comprendre le nationalisme acadien, il est essentiel de rappeler quelques faits historiques. Rappelons que l’Acadie est fondée en 1604 par la France qui s’installe sur l’Île-Sainte-Croix. Au cours des années suivantes, les colons français se dispersent un peu partout sur le territoire de la Nouvelle-Écosse actuelle. Jusqu’en 1713, l’Acadie sert de monnaie d’échange entre la France et l’Angleterre lors de la résolution des conflits et des guerres qui les opposent. Cependant, à partir de 1713, l’Acadie reste définitivement sous la gouverne de l’Angleterre (Ouellette, Situation 83) et les Acadiens, au lieu de se ranger du côté de la France ou de l’Angleterre, décident de rester neutres afin de ne pas être obligés de se prononcer en faveur de l’une ou l’autre si de nouveaux conflits devaient éclater (Johnson, Les stratégies 39). Cette neutralité, toutefois, ne satisfait pas l’Angleterre qui demande aux Acadiens de signer des serments d’allégeance à la Couronne britannique. Face au refus de la majorité de se plier à cette demande, l’Angleterre ordonne la déportation des Acadiens dans les treize colonies américaines en 1755. Ainsi débute la période communément connue sous le nom de l’Enracinement dans le silence.

Plusieurs profitent de l’occasion en 1764, quand tous les territoires français d’Amérique passent officiellement et pour de bon aux mains de l’Angleterre (Ouellette, Situation 84), pour revenir en Acadie, préférant le Nouveau-Brunswick actuel à la Nouvelle-Écosse (Ouellette, Le Parti acadien : de la fondation à la disparition 15). Les Acadiens qui reviennent décident de vivre en marge de la communauté anglophone (Ouellette, Situation 84) et des institutions coloniales (Thériault 74). Toutefois, cet isolement ne relève pas d’un choix collectif; il est plutôt le résultat du sort que les autorités anglaises ont réservé aux Acadiens qui se sont installés au Nouveau-Brunswick. À vrai dire, les institutions politiques et administratives du Nouveau-Brunswick (une colonie créée comme refuge pour les Loyalistes des treize colonies américaines qui n’acceptent pas la conclusion de la Guerre de l’Indépendance américaine) ne sont pas créées en fonction des intérêts des Acadiens et ne font même pas état de leur présence sur le territoire (Ouellette, Le Parti acadien : de la fondation à la disparition 15). Par exemple, le droit de vote ainsi que le droit de se présenter comme candidat aux élections sont réservés aux protestants (plus spécifiquement aux non catholiques) (Doucet 307) et les Acadiens refusent de prêter serment à la Couronne britannique, la seule issue qui aurait pu, selon la période observée, leur permettre de participer à la vie politique (Ouellette, Le Parti acadien : de la fondation à la disparition 16).

À partir des années 1860, les Acadiens commencent à sortir de cette période de l’Enracinement dans le silence. Peu à peu, ils posent des gestes concrets témoignant de la présence d’une identité propre et d’une conscience collective. Cette période est connue pour être celle de la Renaissance acadienne. Selon Philippe Doucet et Marc Johnson, le premier geste collectif posé par les Acadiens a été de s’opposer à la Confédération canadienne de 1867 (Doucet 311). Après cette date, les Acadiens se distancient de l’identité canadienne-française en refusant de participer au même projet collectif. C’est dans ce contexte que, lors de la première Convention nationale acadienne tenue à Memramcook au Nouveau-Brunswick en 1881, les délégués rejettent les symboles canadiens-français en faveur de symboles distincts, comme ils le font à nouveau en 1884 lors de la deuxième Convention nationale acadienne tenue à Miscouche à l’Île-du-Prince-Édouard (Ouellette, L’émergence 363-364). C’est au cours de ces deux grands rassemblements que les Acadiens se dotent d’une patronne nationale, d’une devise nationale, d’un drapeau national, d’un hymne national ainsi que d’une fête nationale.

En plus de ces actes de différentiation posés par les Acadiens à l’égard des autres francophones du Canada (voire des autres citoyens du Canada), Jean-Guy Finn prétend que les Acadiens se sont distingués des anglophones du Nouveau-Brunswick par leur façon de voter. Selon son analyse, il n’est pas impossible de parler d’un véritable vote ethnique avant l’élection néo-brunswickoise de 1917. Cependant, c’est à partir de ce moment que les Acadiens ont commencé à voter en bloc pour le Parti libéral. Le vote ethnique acadien s’explique par le fait que Peter Veniot, un Acadien, prend place sur la scène politique provinciale en devenant tour à tour simple député, ministre et finalement, premier ministre par intérim après le décès de Walter Edward Foster (Finn 219-220). La population acadienne voit en Veniot une personne capable de faire la promotion des intérêts collectifs et voit, pour la première fois, un parti politique dans lequel elle pourrait grandir et s’affirmer. Pour Jean-Guy Finn, trois choses font en sorte que ce vote ethnique s’est maintenu après cette date, et ce, pour un long moment, soit : un sentiment d’appartenance collectif (qui existait bien avant 1867, mais qui s’affirme plus clairement depuis ce moment), des structures socioéconomiques spécifiques (qui commencent à prendre forme à partir de la Convention nationale acadienne de 1881) et l’existence d’une classe moyenne, voire d’une élite capable d’influencer et de mobiliser la masse autour d’une vision de l’Acadie (Finn 217-218).

Le bouleversement idéologique des années 1960

C’est en réaction à l’idéologie que véhiculait l’élite traditionnelle que l’Acadie du Nouveau-Brunswick se trouve en crise au cours des années 1960 et 1970. Cette élite est constituée d’individus qui ont fait leurs études dans les collèges classiques administrés par l’Église catholique (Ouellette, L’émergence 363) et forme un groupe composé d’Acadiens que l’on considérait comme professionnels, c’est-à-dire les médecins, les avocats, les enseignants, les journalistes, les politiciens, les petits commerçants et les petits administrateurs (Johnson, Les stratégies 143). Ce groupe se trouve, dans la hiérarchie sociale, entre la masse acadienne et les structures institutionnelles néo-brunswickoises, ce qui lui permet de tirer profit des institutions néo-brunswickoises, mais aussi d’« assumer le maintien et le développement de la communauté d’en bas [c’est-à-dire la masse acadienne] mais [en restant] à l’intérieur de la configuration de domination qui assure le statu quo interethnique » (Johnson, Les stratégies 143). Ce statu quo interethnique permet, selon l’élite traditionnelle, le maintien de la culture acadienne par la valorisation du « passé [voire de l’histoire], [du] religieux et [de] la vie rurale, reflétant en cela les valeurs de la société de l’époque » (Ouellette, L’émergence 363). Cependant, ce nationalisme est difficilement compatible avec la réalité de l’après-Deuxième Guerre mondiale, puisque la société agricole et rurale laisse progressivement place à une société plutôt industrielle et urbaine (Ouellette, Situation 85). Les Acadiens peuvent donc difficilement continuer de vivre en marge de la société néo-brunswickoise comme ils le faisaient auparavant. La « bonne entente » entre les francophones et les anglophones dont l’élite vantait les mérites, c’est-à-dire la « bonne entente » qui lui permettait d’accéder et de profiter minimalement des institutions politiques, économiques et sociales gérées par les anglophones (Johnson, Les stratégies 143) était devenue désuète et en besoin de renouveau.

Conscients de la difficulté de marier l’idéologie de la « bonne entente » à la modernité, qui exige qu’un plus grand nombre d’Acadiens côtoient les anglophones de la province, les membres de l’élite traditionnelle, par l’entremise de la Société nationale de l’Acadie, organisent le Ralliement de la jeunesse acadienne en 1966. Cette activité a pour but de trouver des solutions capables d’assurer la continuité de ce nationalisme majoritairement accepté jusque-là, mais les jeunes profitent de l’occasion pour critiquer l’élite traditionnelle et son nationalisme qu’ils jugent comme archaïque (Ouellette, L’émergence 358-359). Les grèves étudiantes de 1968 et de 1969 à l’Université de Moncton servent aussi, en plus de critiquer l’augmentation des droits de scolarité de l’institution d’enseignement postsecondaire, à mobiliser les étudiants contre l’unilinguisme de la société néo-brunswickoise (notamment l’unilinguisme de la mairie de la Ville de Moncton) et contre l’establishment acadien qui permet la continuité de cette situation. L’élite traditionnelle tente, par plusieurs moyens, d’apaiser cette vague de protestation, notamment par la fermeture du Département de sociologie de l’Université de Moncton, vu comme la principale source de la crise, ainsi que par la mise à pied d’employés qui semblent sympathiser avec les protestataires au sein de l’Office national du film du Canada, de Radio-Canada et du journal L’Évangéline.

L’avènement du Parti acadien et de son projet autonomiste

Au moment où, au Québec, l’élite traditionnelle défend les couleurs du fédéralisme, tandis qu’un autre groupe cherche, par une multitude de moyens et d’idées, à obtenir une plus grande autonomie, un groupe de jeunes intellectuels acadiens réfléchit à l’avenir de l’Acadie et s’inspire de ce qui se passe dans la province voisine (Ouellette, L’émergence 358). C’est dans cet esprit que naît, au Collège de Bathurst (donc loin de l’Université de Moncton où les premières grandes manifestations contre l’élite traditionnelle et son idée de « bonne entente » ont eu lieu), le Parti acadien en 1972 (Ouellette, L’émergence 359). Selon les fondateurs du parti politique, les partis traditionnels, c’est-à-dire le Parti libéral et le Parti conservateur, sont au service des anglophones et de l’establishment acadien (Gauvin et Jalbert 13), empêchant ainsi les Acadiens d’obtenir un véritable pouvoir politique étant donné qu’ils sont constamment à la merci des concessions que veulent bien leur accorder les anglophones.

En 1972, le Parti acadien ne se dit pas explicitement nationaliste; plutôt axé sur des préoccupations sociales (Ouellette, L’émergence 366), mais les choses changent progressivement puisqu’au « cours des années 1970 [quand] les intellectuels acadiens précisent le contenu de leur néonationalisme [,] ils dénoncent la politique de la bonne entente prônée par l’élite traditionnelle et parlent de territoire acadien, d’annexion au Québec [et] d’indépendance […] » (Ouellette, L’émergence 365). Quatre grandes raisons poussent le Parti acadien à opter pour un nationalisme autonomiste à la sortie d’un congrès d’orientation en 1977, soit : l’union possible et prochaine des provinces maritimes, la poursuite des revendications typiquement acadiennes, la promotion de la décentralisation gouvernementale au Nouveau-Brunswick (Ouellette, L’émergence 366-367) et la possibilité de voir la province du Québec devenir indépendante du Canada dans un avenir rapproché (Gauvin et Jalbert 15). Au fond, selon les militants du parti, « il y a bien un territoire acadien avec ses habitants et ses ressources, mais ce territoire n’est pas géré par les Acadiens; il ne jouit d’aucune reconnaissance juridique ou constitutionnelle » (Ouellette, L’émergence 367).

Dans les faits, toutefois, le Parti acadien ressemble davantage à un mouvement politique qu’à un parti politique à proprement parler. Il ne cherche pas à occuper le pouvoir au Nouveau-Brunswick, mais plutôt à l’influencer tout en éduquant et en politisant la population acadienne de la province (Ouellette, Le Parti acadien : de la fondation à la disparition 34). D’ailleurs, la constitution du parti confirme cette orientation. Les buts du Parti acadien sont clairement d’« affirmer le vouloir-vivre collectif des Acadiens », de « viser le mieux-être du peuple acadien » et de « politiser le peuple acadien » (Ouellette, Le Parti acadien et la communauté anglophone 139). Somme toute, pour les militants du parti, la « bonne entente » que prône l’élite traditionnelle ne fait que garder les Acadiens dans un carcan minoritaire et il est maintenant essentiel de repenser l’avenir collectif tout en cherchant à doter les Acadiens d’un réel pouvoir politique qui ne sera pas à la remorque de la volonté des anglophones (Thériault 159).

La fondation du Parti acadien et son projet autonomiste dans le journal L’Évangéline

Comme nous l’avons précisé antérieurement, les journalistes font partie, en Acadie, de l’élite traditionnelle et le contenu de L’Évangéline reflète surtout l’opinion de ce groupe. Cette situation a pour conséquence, à partir des années 1960, de susciter des conflits idéologiques au sein des pages du journal (Dairon 167-168). Puisque les dirigeants du journal avaient été à l’origine du renvoi de plusieurs journalistes sympathisants des mouvements de revendication des étudiants de l’Université de Moncton en 1968 et en 1969, il n’est pas surprenant que, dès la fondation du Parti acadien en 1972, le journal prenne clairement position contre son existence. En se positionnant contre le néonationalisme, « L’Évangéline raffermissait [en quelque sorte] son image de force réactionnaire et son rôle de bouc émissaire de la contestation » (Johnson, L’Évangéline 362-363). L’éditorial de Claude Bourque du 23 novembre 1972 démontre très bien l’attitude du journal à l’égard du nouveau parti politique. Celui-ci reproche aux fondateurs du parti de « rêver en couleur » et de ne pas fournir une alternative crédible au Parti libéral et au Parti conservateur (Ouellette, L’émergence 361).

De toute évidence, les propos de Claude Bourque démontrent jusqu’à quel point la fondation du Parti acadien avait dérangé l’élite traditionnelle. Elle croyait, cependant, que la tendance n’était que passagère, mais L’Évangéline doit encore une fois, le 2 mai 1977, faire face aux néonationalistes acadiens. À la sortie de son congrès d’orientation, le Parti acadien adopte une position allant complètement à l’encontre de ce que propose la « bonne entente », soit l’autonomie politique des Acadiens par la division de la province du Nouveau-Brunswick en deux entités permettant ainsi la création d’une province acadienne. Afin de bien comprendre la position du journal ainsi que l’image qu’il peint du Parti acadien et de son projet autonomiste, nous avons analysé tous les articles, c’est-à-dire les articles d’information, les textes d’analyse, les éditoriaux et les lettres d’opinion traitant, d’une manière ou d’une autre, du Parti acadien. La période que nous avons étudiée s’étend du 2 mai 1977 au 7 novembre 1978, ce qui nous permet de couvrir la période suivant l’adoption du projet autonomiste du Parti acadien ainsi que l’élection provinciale de 1978. La campagne électorale s’est déroulée du 18 septembre au 24 octobre 1978, mais nous avons choisi d’inclure, dans notre analyse, les journaux publiés jusqu’au 7 novembre 1978 afin de voir la réaction des journalistes et des lecteurs en ce qui a trait au déroulement et aux résultats des élections (il est aussi important de noter qu’au même moment, une grève chez Postes Canada a eu lieu, ce qui a considérablement ralenti la vitesse avec laquelle les lettres d’opinion étaient livrées au journal).

Tableau 1

Le nombre d’articles traitant du Parti acadien dans L’Évangéline (selon le type d’article)

Le nombre d’articles traitant du Parti acadien dans L’Évangéline (selon le type d’article)

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Comme le démontre le tableau 1, notre corpus est constitué de 110 articles, soit 58 articles d’information, 3 textes d’analyse, 21 éditoriaux et 28 lettres d’opinion publiées dans la section de L’opinion du lecteur. La prochaine partie de cette étude, que nous avons divisée en trois périodes, soit la période préélectorale, la période électorale et la période postélectorale (comme en fait état le tableau 2), fera l’analyse du contenu et de l’orientation de tous les types d’article, sauf les textes d’analyse que nous avons choisi de négliger puisque nous n’en avons répertorié que trois. Parmi eux, deux ne proviennent pas de journalistes, mais plutôt d’universitaires faisant leurs propres analyses de la situation du Parti acadien et de son projet de création d’une province acadienne. L’autre texte d’analyse n’est qu’une simple analyse détaillée des résultats des élections publiée au lendemain du scrutin.

Tableau 2

Le nombre d’articles traitant du Parti acadien dans L’Évangéline selon le type d’article et selon la période observée (préélectorale, électorale et postélectorale)

Le nombre d’articles traitant du Parti acadien dans L’Évangéline selon le type d’article et selon la période observée (préélectorale, électorale et postélectorale)

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La période préélectorale

Au lendemain de la clôture du congrès d’orientation du Parti acadien, le 2 mai 1977, L’Évangéline réserve à cette nouvelle un petit encadré en bas de la page couverture où il est possible de lire « Le PA propose la création d’une province acadienne autonome ». Il s’agit, en fait, du titre de l’article qui se trouve à l’intérieur du journal. Le journaliste qui est chargé de rapporter la nouvelle précise les détails du congrès ainsi que les principales positions adoptées par le parti au cours de cette rencontre. Globalement, l’article d’information met l’accent sur le fait que le congrès s’est déroulé à l’Université de Moncton en compagnie de seulement 50 militants qui étaient, pour la plupart, universitaires (« Le PA propose la création d’une province acadienne autonome », article d’information de Nelson Landry dans L’Évangéline du 2 mai 1977, 5). Le lendemain, le journal publie, en deuxième page, un article portant sur la position et la réaction du premier ministre Richard Hatfield à l’égard de la nouvelle orientation du Parti acadien. Cette réaction est, de toute évidence, défavorable. Le premier ministre de l’époque prétend que l’exécution d’un tel projet aurait des conséquences désastreuses comme le démontre très bien le titre de l’article en question : « Hatfield : l’application de l’idée du P.A. serait un désastre » (article d’information de la Presse canadienne dans L’Évangéline du 3 mai 1977, 2). En général, toutefois, les articles d’information portant sur le Parti acadien et sur son projet autonomiste, au cours de cette période, s’intéressent surtout aux réunions et aux colloques qu’organisent le parti, souvent en prenant la peine de préciser la profession et le statut social des membres présents ainsi que le nombre de participants, parfois avec un fond d’humour comme le démontre la couverture réservée au conseil provincial du parti tenu au début du mois de juin 1977. Le journaliste qui fait la couverture de cette nouvelle parle d’une « réunion positive et sérieuse des quelque 20 personnes présentes […] » (« Le PA va définir ses objectifs », article d’information de Paul-Arthur Landry dans L’Évangéline du 6 juin 1977, 7).

Tableau 3

L’opinion à l’égard du Parti acadien dans les éditoriaux et dans les lettres d’opinion de L’Évangéline avant les élections de 1978 (du 2 mai 1977 au 17 septembre 1978)

L’opinion à l’égard du Parti acadien dans les éditoriaux et dans les lettres d’opinion de L’Évangéline avant les élections de 1978 (du 2 mai 1977 au 17 septembre 1978)

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L’apparence de neutralité que semblent donner les articles d’information est toutefois compensée par une prise de position claire et précise dans la plupart des éditoriaux portant sur le Parti acadien publiés par le journal au cours de cette période préélectorale, comme le précise le tableau 3. Contrairement à ce qu’annonce la première page du journal le 2 mai 1977, l’éditorialiste préfère ne pas commenter le congrès d’orientation du Parti acadien pour reporter ses commentaires au lendemain. Selon lui, il y a deux activités d’envergure qui se sont déroulées au cours de la même fin de semaine et il préfère traiter de la réunion de la Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick que du changement de cap du Parti acadien (« Un bon départ », éditorial de Paul-Émile Richard dans L’Évangéline du 2 mai 1977, 6). Le lendemain, Paul-Émile Richard ridiculise le petit nombre de militants présents au congrès d’orientation et raille le projet de province acadienne adopté par la majorité des militants qui s’étaient réunis à l’Université de Moncton. Il qualifie les membres du groupe de jeunes universitaires, d’idéalistes en manque de sérieux et d’appui. Selon lui, « Il est vrai […] que le pouvoir politique n’est pas entre les mains des Acadiens, mais pendant qu’un petit groupe d’intellectuels se [donne] comme mission de créer une province acadienne avec un territoire défini, le peuple acadien ne les suit pas. Il ignore trop souvent, même [,] son identité. Le travail de base n’est pas fait ». Il conclut en affirmant : « Moi aussi j’aime beaucoup rêver, mais lorsqu’on se réveille, il ne faudrait pas mettre la charrue en avant des boeufs » (« Le PA est-il réorienté? », éditorial de Paul-Émile Richard dans L’Évangéline du 3 mai 1977, 6). L’éditorialiste fera aussi, plus tard, un appel à la tolérance des diverses visions politiques présentes en Acadie en dénonçant l’intolérance des militants du Parti acadien à l’égard de l’opinion politique de l’élite traditionnelle. Selon lui, les tenants du « bon-ententisme » s’efforcent de s’adapter à la nouvelle réalité acadienne qui est axée sur le pluralisme idéologique (« La SANB après le congrès », éditorial de Paul-Émile Richard dans L’Évangéline du 29 mai 1978, 6). Pourtant, le journal semble oublier son plaidoyer pour la tolérance en invitant, le jour de la fête nationale de l’Acadie, tous les Acadiens à se faire une place au sein du Nouveau-Brunswick et de ses institutions pour ainsi assurer la survie du groupe (« C’est notre fête! », éditorial de Paul-Émile Richard dans L’Évangéline du 15 août 1977, 6) (ce qui reflète clairement l’opinion de l’élite traditionnelle). Finalement, Paul-Émile Richard, dans un éditorial qui traite du phénomène de l’assimilation des jeunes Acadiens, dénonce le fait que le Parti acadien ne s’attarde pas aux problèmes de portée nationale, c’est-à-dire qu’il ne contribue pas, par des mesures concrètes et réalisables, à la préservation de la culture acadienne. Selon lui, les membres du Parti acadien « font abstraction de ces problèmes d’assimilation […] afin de ne pas déranger leur beau rêve d’une province acadienne », préférant « discourir sur les grandes théories et préparer le découpage de la carte acadienne », ce qui n’a pas de sens selon lui puisqu’il a le sentiment que « l’Acadie, [est] un pays sans frontières ». Il termine en affirmant que : « L’Acadie, c’est moi, c’est toi, c’est nous autres. Sans exclusion. C’est un peuple éparpillé. Sans frontières » (« L’Acadie éparpillée », éditorial de Paul-Émile Richard dans L’Évangéline du 31 janvier 1978, 6). À tout cela s’ajoute aussi une caricature publiée le 13 octobre 1978 (à la page 6) qui compare la division de la province du Nouveau-Brunswick en deux entités aux ravages que pourrait causer la tordeuse (une maladie qui s’attaque aux arbres) dans les forêts de la province.

Les lettres des lecteurs publiées dans la section de L’opinion du lecteur critiquent quant à elles largement les éditoriaux publiés contre le Parti acadien et son projet de province acadienne, comme le précise le tableau 3. En fait, sur huit lettres d’opinion, une seule possède une opinion défavorable au Parti acadien et une seule n’a pas d’opinion claire. Dans un texte favorable au Parti acadien, un lecteur prétend que le projet de province acadienne peut bien faire rire, mais que tout son sérieux se trouve dans le fait que si les provinces maritimes finissent par s’unir, les Acadiens du Nouveau-Brunswick seront les grands perdants puisqu’au lieu de constituer une minorité non négligeable d’un peu plus de 30 % de la population totale du Nouveau-Brunswick, ils ne formeront plus qu’un maigre 10 % de la population totale au sein de l’entité politique proposée (« Vers un pouvoir politique acadien », lettre d’opinion de Luc Desjardins dans L’Évangéline du 16 mai 1977, 6). Un autre lecteur, quant à lui, ne se gêne pas pour tutoyer l’éditorialiste. Il prétend qu’en publiant des éditoriaux qui attaquent le Parti acadien et ses convictions, le journal favorise l’existence « d’esprits colonisés », référant ainsi à l’élite traditionnelle et aux Acadiens qui adhèrent à ses idées. Ce lecteur termine avec une attaque féroce à laquelle l’éditorialiste va même jusqu’à ajouter une petite note afin de clarifier les propos qu’il a émis antérieurement ainsi que pour discréditer la validité de l’opinion exprimée par le lecteur en question :

Tu dis que le PA n’a pas encore réussi à se mériter (sic.) la confiance collective des Acadiens. Quelle organisation l’a méritée? Même notre grand quotidien Acadien est loin de s’être mérité (sic.) la confiance collective des Acadiens puisqu’au N.-B. sur une population acadienne d’à peu près 250 000, il n’y a qu’à peu près 15 000 exemplaires de vendus quotidiennement.

« Contre une mentalité de colonisé », lettre d’opinion de Paul-Émile Mourant dans L’Évangéline du 17 mai 1977, 6

Finalement, il importe de mentionner le contenu de la lettre d’opinion qui est défavorable au Parti acadien. En fait, le lecteur n’est pas nécessairement contre le projet politique du parti, mais il prétend que la création d’une province acadienne n’est pas réalisable dans la mesure où les anglophones du Nouveau-Brunswick n’accepteraient pas de diviser leur province en deux entités. Il invite plutôt les Acadiens à faire comme lui, soit s’exiler au Québec et participer au projet indépendantiste en cours dans cette province (« L’utopie d’une province acadienne », lettre d’opinion d’Yvon Daigle dans L’Évangéline du 28 février 1978, 6).

La période électorale

Afin d’avoir une vue d’ensemble, en plus des textes qui portent exclusivement sur le Parti acadien, nous avons observé aléatoirement, dans la période qui s’étend du 18 septembre au 24 octobre 1978, dix autres articles d’information[1] portant sur l’un des trois autres partis politiques ayant des candidats aux élections néo-brunswickoises de 1978, soit le Parti libéral, le Parti conservateur et le Nouveau Parti démocratique. Cet ajout nous a permis de bien saisir la dynamique adoptée par les journalistes de L’Évangéline dans la couverture des activités électorales du Parti acadien. Le premier constat que nous faisons est que la couverture des partis traditionnels (le Parti libéral et le Parti conservateur) est bien différente de la couverture des tiers partis (le Parti acadien et le Nouveau Parti démocratique). Les articles portant sur les partis traditionnels sont cadrés comme s’il s’agissait d’une course, voire comme si l’on assistait à une lutte entre le chef du Parti libéral, Joseph Daigle, et le chef du Parti conservateur, Richard Hatfield. Le Parti conservateur reproche au Parti libéral de vouloir salir la réputation et l’image de Richard Hatfield, de critiquer les programmes qu’ils ont eux-mêmes contribué à mettre en place, de proposer la création de programmes qui existent déjà et de promettre des compressions budgétaires qui sont irréalisables dans le contexte économique de l’époque, et ce, à condition de réduire l’offre de services[2]. Le Parti libéral, quant à lui, critique le Parti conservateur pour la mauvaise gestion de la province, il voit un lien entre le premier ministre Richard Hatfield et une enquête policière qui est en cours tout comme il l’accuse de financer secrètement des candidats indépendants qui disent appartenir au courant libéral, mais qui n’ont pas adhéré au parti qui porte le même nom; le financement de tels candidats, selon le Parti libéral, affaiblirait son influence au profit du Parti conservateur[3]. Les tiers partis, quant à eux, jouissent d’une couverture axée sur les idées (surtout le Parti acadien puisque les articles qui traitent du Nouveau Parti démocratique n’apparaissent que très rarement dans les pages du journal, comme le précise le tableau 4).

Tableau 4

La couverture des partis politiques lors des élections de 1978 (du 18 septembre au 24 octobre 1978) dans les articles d’information de L’Évangéline

La couverture des partis politiques lors des élections de 1978 (du 18 septembre au 24 octobre 1978) dans les articles d’information de L’Évangéline

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Comme le démontre le tableau 4, la couverture est surtout axée sur les partis politiques traditionnels. Toutefois, les chiffres présentés n’incluent pas les éditoriaux, les lettres d’opinion ainsi que les petites chroniques quotidiennes, sous forme de « points », qui traitent des rencontres prochaines des partis politiques (ces chroniques quotidiennes portaient le nom d’Électonotes et ne faisaient que quelques lignes). Malgré la présence de plusieurs textes portant sur la campagne électorale, il faut préciser que la page couverture du journal ne reflète pas son contenu. En fait, les pages couvertures des 26 journaux publiés pendant la campagne électorale ne traitent que très rarement des élections provinciales en cours et, lorsque c’est le cas, il ne s’agit trop souvent que d’un petit encadré en bas de la page.

Pendant la campagne électorale, les articles d’information qui traitent uniquement du Parti acadien portent principalement sur les congrès de mise en candidature. Les journalistes mettent l’accent sur la profession et l’âge des candidats; chose qu’ils ne font pas lorsqu’ils traitent des mises en candidature du Parti libéral et du Parti conservateur. De plus, ils insistent sur le nombre de militants présents à chaque congrès; ce qu’ils ne font que très rarement pour les partis traditionnels. Il est intéressant de constater que les organisateurs du Parti acadien, à chaque congrès de mise en candidature, profitent de l’occasion pour faire parler des conférenciers au sujet des grandes orientations du parti, notamment du projet de la création d’une province acadienne (ce qui honore le but du parti d’éduquer la population). En quelque sorte, sans nécessairement le vouloir, L’Évangéline, en décidant de couvrir la plupart des congrès de mise en candidature, s’adonne pleinement au jeu du parti, c’est-à-dire que le journal propage les idées du Parti acadien à ses lecteurs et aide, en quelque sorte, le parti à faire entendre son message. En plus des articles portant sur les candidats, il faut noter la présence, à la fin de la campagne, de deux textes provenant de la Presse canadienne qui traitent de la possibilité que le Parti acadien fasse une percée au détriment du Parti libéral (« Le vote acadien, enjeu principal des élections provinciales du 23 octobre », article d’information de Dennis Harper de la Presse canadienne dans L’Évangéline du 19 octobre 1978, 5) et de la possibilité que le candidat Armand Plourde devienne le premier député du parti politique (« Le père Plourde, premier député du PA? », article d’information d’Edison Stewart de la Presse canadienne dans L’Évangéline du 20 octobre 1978, 8).

Tableau 5

L’opinion à l’égard du Parti acadien et des partis politiques traditionnels dans les éditoriaux et dans les lettres d’opinion de L’Évangéline au cours de la campagne électorale de 1978 (du 18 septembre au 23 octobre 1978)

L’opinion à l’égard du Parti acadien et des partis politiques traditionnels dans les éditoriaux et dans les lettres d’opinion de L’Évangéline au cours de la campagne électorale de 1978 (du 18 septembre au 23 octobre 1978)

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Sur les 14 éditoriaux recensés pendant la campagne électorale, seulement 4 traitent exclusivement du Parti acadien. L’opinion qui est dégagée, à chacune des 14 occasions, est carrément négative. La plus grande opposition au Parti acadien arrive après la publication de son programme électoral. Selon Paul-Émile Richard, le Parti acadien est honnête, mais aussi naïf de ne pas imiter le Parti québécois (au Québec) puisqu’il se lance dans une campagne électorale avec un programme ouvertement autonomiste. Il reproche aussi au programme d’être vague sur tous les points, sauf celui qui traite de la création d’une province acadienne :

Les autres points du programme électoral du PA sont généralement intéressants, mais très vagues. Le lecteur doit lire le programme électoral, puis aller vérifier qu’est-ce que (sic.) ces voeux pieux veulent dire dans le programme détaillé, mais très mal rédigé, de mai 1977, puis il doit biffer quelques lignes, en ajouter quelques autres et finalement découvrir le plan du PA. Est-ce un manque de budget ou un manque d’organisation?

« Il joue pour gagner », éditorial de Paul-Émile Richard dans L’Évangéline du 12 octobre 1978, 6

Bien que les autres points du programme soient intéressants, l’éditorialiste affirme qu’ils manquent de sérieux en étant trop idéalistes et irréalistes sur le plan social et économique : « Mais qui pourrait s’opposer à ces belles théories? Je suis aussi en faveur de la paix mondiale » (« Il joue pour gagner », éditorial de Paul-Émile Richard dans L’Évangéline du 12 octobre 1978, 6). Notons par ailleurs que L’Évangéline dénonce, au début de la campagne électorale, la décision du président de la Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick, Donatien Gaudet, de quitter son poste afin de se présenter aux élections sous la bannière du Parti acadien. Selon le journal, cette décision est venue salir l’image de cet organisme de la société civile acadienne qui se devait de rester apolitique (« L’action politique », éditorial de Paul-Émile Richard dans L’Évangéline du 29 septembre 1978, 6), surtout que l’éditorialiste avait lui-même fait l’effort, à maintes reprises, de s’assurer que la population ne confonde pas les deux organisations (« Un bon départ », éditorial de Paul-Émile Richard dans L’Évangéline du 2 mai 1977, 6 et « La SANB après le congrès », éditorial de Paul-Émile Richard dans L’Évangéline du 29 mai 1978, 6).

Les lecteurs, quant à eux, sont nombreux à vanter les mérites du Parti acadien et à critiquer les positions du journal L’Évangéline, comme le fait remarquer le tableau 5. Pour la plupart, le Parti acadien est le seul parti capable de représenter les intérêts des Acadiens et ils en profitent pour inviter tous les Acadiens à poser un geste pour l’avenir de l’Acadie en accordant leur vote au parti. Une lectrice se dit outrée des actions récentes du Parti libéral. Elle est convaincue que le Parti acadien est le seul parti dans lequel elle peut se retrouver (et se sentir à l’aise). Enfin, elle dénonce le fait que le Parti libéral n’a pas pensé aux Acadiens quand ses dirigeants ont tenu une rencontre en anglais, dans une région acadienne de la province, dans laquelle on avait chanté le God Save the Queen (« Si grand-mère vivait aujourd’hui… », lettre d’opinion de Lise Hébert dans L’Évangéline du 20 octobre 1978, 18). Un autre lecteur traite l’éditorialiste de New Brunswicker tout en lui demandant d’arrêter de répandre des fausses rumeurs au sujet du Parti acadien : « cessez donc d’insinuer dans vos articles monsieur Richard que le Parti acadien s’est donné comme mission secrète de tromper la population acadienne, de lui tendre des pièges, de noyauter ses organismes » (« Un éditorial amusant et choquant », lettre d’opinion de Jules Boudreau dans L’Évangéline du 19 octobre 1978, 6). Pour un autre lecteur, le Parti libéral et le Parti conservateur tirent constamment profit des Acadiens et il est grandement temps que les choses changent :

Bien sûr, Richard Hatfield et ses semblables n’ont qu’éloges pour les Acadiens folklorisés et bon-ententistes. Et, malheureusement, ils trouveront chez nous nombre de petits chiens de cirque qui sont ravis d’agiter la queue pour amuser leur maître. Mais ils y trouveront également, et de plus en plus, des Acadiens et des Acadiennes décidés à se sauver malgré les appels à la fausse unité et à la fausse charité, à prendre en main leur destin malgré le chant séducteur des sirènes du statu quo et à se tenir debout face aux colporteurs de l’assimilation.

« Les Acadiens ne sont pas à vendre », lettre d’opinion de Daniel-J. Deveau dans L’Évangéline du 17 octobre 1978, 6

Finalement, une seule lettre parue dans l’opinion du lecteur pendant la campagne électorale sert d’avertissement aux citoyens tentés de voter pour le Parti acadien. Selon ce lecteur, le fait de voter pour ce parti assure la victoire au Parti conservateur et non au Parti libéral dans lequel, selon lui, les Acadiens peuvent véritablement participer au pouvoir : « Voter pour le Parti acadien ne peut être que défavorable à la cause francophone car les votes sont partagés et ainsi ils enlèvent des chances au seul chef acadien, Jos Daigle » (« Un vote qui divise la province », lettre d’opinion de Raymond Robichaud dans L’Évangéline du 3 octobre 1978, 6).

La période postélectorale

Après les élections, un seul article d’information est publié exclusivement sur le Parti acadien. Cet article traite notamment de la déception du parti de ne pas avoir réussi à faire élire un seul député, mais aussi de la satisfaction de son chef, Jean-Pierre Lanteigne, d’avoir réussi à augmenter considérablement le pourcentage du vote populaire obtenu (« J.-P. Lanteigne satisfait des résultats du PA », article d’information de William Thériault dans L’Évangéline du 24 octobre 1978, 3), tout comme le précise d’ailleurs l’éditorial du journal du 24 octobre 1978. Bien que l’éditorialiste ne profite pas de l’occasion pour critiquer le Parti acadien comme les éditorialistes le faisaient dans tous les éditoriaux qui traitaient du parti au cours de la période préélectorale et de la période électorale (sauf pour les éditoriaux dans lesquels aucune opinion claire n’était émise), il rapporte le pourcentage de votes par rapport à la population totale de la province et non par rapport aux seules 23 circonscriptions où le parti avait présenté des candidats (c’est-à-dire dans le territoire sur lequel le parti comptait fonder la onzième province canadienne). Le fait de rapporter les résultats de la sorte n’est pas nécessairement neutre puisqu’il ne fait que marginaliser les petites victoires du parti (« Élu de justesse », éditorial de Paul-Émile Richard dans L’Évangéline du 24 octobre 1978, 6).

Tableau 6

L’opinion à l’égard du Parti acadien et des partis politiques traditionnels dans les éditoriaux et dans les lettres d’opinion de L’Évangéline après les élections de 1978 (du 24 octobre au 7 novembre 1978)

L’opinion à l’égard du Parti acadien et des partis politiques traditionnels dans les éditoriaux et dans les lettres d’opinion de L’Évangéline après les élections de 1978 (du 24 octobre au 7 novembre 1978)

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Finalement, plusieurs lettres sont publiées après les élections, mais un grand nombre de celles-ci n’ont pas une opinion claire sur le Parti acadien (comme le fait voir le tableau 6, d’ailleurs). Certaines lettres, toutefois, traitent de la déception que certains Acadiens ont pu ressentir le lendemain des élections : « Combien de francophones ont regretté le 24 octobre après ce même engrenage dans cette même vieille routine de n’avoir pas suivi la voie de leur coeur, mais furent influencés par cette fameuse peur du changement » (« Une idée qui fait son chemin », lettre d’opinion de Conrad McGraw dans L’Évangéline du 1er novembre 1978, 6). Plusieurs autres lettres, la plupart écrites par des militants du Parti acadien, dénoncent l’unilinguisme des employés de plusieurs bureaux de scrutin ainsi que les nombreuses irrégularités remarquées lors des élections en regard du traitement reçu par les candidats du Parti acadien comparativement aux candidats des autres partis politiques, dans un certain nombre de bureaux de scrutin de la province. Une seule lettre est défavorable au Parti acadien, mais elle l’est aussi à l’égard des autres partis politiques. Selon la lectrice, le parti a délaissé, depuis le congrès d’orientation de 1977, sa lutte contre les bourgeois anglophones et acadiens. Selon elle, le parti se retrouve aujourd’hui dans la même catégorie que les autres partis politiques de la province (« À la défense des exploités », lettre d’opinion d’Hélène Duguay dans L’Évangéline du 3 novembre 1978, 6).

Conclusion

Somme toute, le journal L’Évangéline semble avoir eu de la difficulté à rendre compte du pluralisme idéologique qui s’est installé au sein de la société acadienne du Nouveau-Brunswick au cours des années 1960 et 1970. Comme le journal et le Parti acadien avaient, en partie du moins, un même but, soit d’éduquer et de convaincre les Acadiens du bien-fondé de leurs positions, les deux entités se sont constamment opposées l’une à l’autre. Dans les pages de L’Évangéline, il est clair que par l’entremise des éditoriaux, le journal adopte, dès le début même, une opinion défavorable au Parti acadien et à son projet de création d’une province acadienne. Cependant, les lecteurs du journal qui prennent le temps d’écrire des lettres d’opinion affrontent vigoureusement les positions politiques du journal. On peut ainsi conclure que l’élite traditionnelle a tiré profit au maximum de la visibilité que lui offraient les pages du journal pour transmettre ses idées à la population, tandis que le Parti acadien et ses militants utilisaient tous les moyens dont ils disposaient afin de faire passer leur message dans les pages du journal; que ce soit grâce à la tribune qu’offre L’opinion du lecteur ou par le simple fait d’inviter des conférenciers aux congrès de mise en candidature, obligeant ainsi le journal à rendre compte des principales positions du parti. En somme, il est clair que le journal a cherché à faire la promotion de sa vision de l’Acadie qui est basée sur la « bonne entente » avec les anglophones et sur l’idée qu’il vaut mieux, comme Acadien, faire confiance à un parti politique traditionnel, et plus particulièrement au Parti libéral. Militer et voter pour le Parti libéral était, selon cette vision, le seul moyen d’assurer la présence des Acadiens dans l’exercice du pouvoir. Le Parti acadien, avec le peu de moyens qu’il avait à sa disposition, chercha à contrer, dans les pages mêmes du journal qui appartenait à son rival, la vision « bonne ententiste » de l’Acadie, cela en tentant de se former une base électorale à même une masse d’Acadiens largement influencée par l’élite traditionnelle et qui votait encore pour le Parti libéral.

Après avoir analysé 110 articles et, plus spécifiquement, 21 éditoriaux, nous constatons que l’image qu’a peinte le journal L’Évangéline du Parti acadien et de son projet autonomiste, entre le 2 mai 1977 et le 7 novembre 1978, n’est pas très flatteuse. En fait, les militants du parti sont perçus comme marginaux, radicaux, rêveurs, idéalistes, jeunes intellectuels, individus en manque de sérieux, naïfs; individus qui s’intéressent plus à des projets irréalisables qu’à la survie du peuple acadien. Il est intéressant de noter, toutefois, que malgré la panoplie de critiques et de moqueries auxquelles font face les militants du Parti acadien en lisant leur journal, plusieurs continuent à l’appuyer. Par exemple, tout au long de sa campagne électorale, Armand Plourde (qui est presque devenu le premier député du parti aux élections néo-brunswickoises de 1978), n’a pas cessé de rappeler aux militants de son parti que même si L’Évangéline avait de la difficulté à faire preuve d’ouverture, il fallait continuer à appuyer le seul quotidien francophone des provinces maritimes, sans pourtant se gêner de le critiquer pour tous ses faux pas (Godin).

À la sortie des élections de 1978, on a pu se demander si le journal L’Évangéline avait joué un rôle important dans la défaite du Parti acadien. Considérant la présence d’un vote ethnique, comme l’a rappelé Jean-Guy Finn, il est difficile de juger de l’influence des positions défendues par L’Évangéline sur ses lecteurs. En fait, cette question mériterait une plus grande réflexion et une étude plus fouillée. Quoi qu’il en soit, dans cette lutte entre le Parti acadien et L’Évangéline, ni l’un ni l’autre n’a réellement réussi à gagner son pari. L’ironie du sort a voulu que le Parti acadien ne se relève pas de sa défaite aux élections néo-brunswickoises de 1982, et que L’Évangéline ne réussisse pas à gérer une crise interne qui provoqua sa fermeture la même année.