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Dans Barbarossa : 1941. La guerre absolue, les historiens Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri brossent un tableau complet de l’opération Barbarossa, qui désigne les six premiers mois de l’invasion allemande de l’Union soviétique au cours de la Seconde Guerre mondiale, soit de juin à décembre 1941. Ces deux historiens participent depuis 2011 à la rédaction de la revue d’histoire militaire Guerres & histoire ; tous deux sont spécialistes du front de l’Est, sujet sur lequel ils ont déjà écrit quelques ouvrages dont deux en collaboration[1].

L’étude est divisée en cinq parties; les deux premières, soit environ le tiers du livre, sont consacrées aux années précédant l’invasion. En effet, la première se concentre sur les conceptions partagées par Hitler et certains groupes proches du courant pangermaniste concernant l’URSS et son espace. Leur idée selon laquelle les territoires à l’est de l’Allemagne devaient être « germanisés » et le mythe nazi qui considérait l’URSS comme étant un État contrôlé par les Juifs nous permettent de comprendre la nature exterminatrice de l’invasion allemande de 1941. La deuxième partie traite quant à elle des préparatifs des deux camps ainsi que de leurs relations diplomatiques tout au long des années 1930. Cette longue mise en contexte s’avère très pertinente, car elle nous permet de comprendre les échecs et les réussites que les deux camps ont connus au fil de l’opération. Par exemple, on voit que le haut commandement allemand a fortement négligé la logistique pourtant essentielle à une opération d’une telle envergure ; erreur qui s’est fait lourdement sentir dans la seconde moitié de l’invasion.

Les trois dernières parties de l’ouvrage décrivent le déroulement de l’opération. D’abord, la troisième section nous expose les premiers combats au cours desquels les Soviétiques ont perdu une quantité phénoménale d’hommes et de matériel. Elle retrace la progression des trois groupes d’armées allemands, au nord, au centre et au sud de l’URSS. Après l’euphorie déclenchée par leurs succès au cours du mois de juillet, on voit que dès le mois d’août, des doutes ont commencé à poindre chez les Allemands. Ensuite, la quatrième partie du livre aborde les importants succès allemands du mois d’octobre, comme la prise de Kiev, tout en mettant l’accent sur l’intensification des massacres commis par l’occupant dont les premières victimes ont été les Juifs. Finalement, la cinquième et dernière partie de l’ouvrage a pour sujet l’échec allemand devant Moscou et la courte contre-offensive soviétique qui l’a suivi. Les deux historiens concluent en résumant les principaux facteurs qui ont fait de l’opération Barbarossa un échec pour les Allemands.

L’une des forces de l’ouvrage réside dans le fait qu’il fournit une démonstration très complète de l’opération Barbarossa; la description des mouvements effectués par les différentes unités est presque toujours accompagnée de cartes, ce qui les rend assez faciles à suivre même si l’on n’a pas l’habitude de lire ce genre de livre. Aussi, les deux historiens parviennent bien à nous faire comprendre la particularité de ce conflit en revenant dans chacune des parties sur les massacres commis par l’occupant allemand à l’encontre des civils soviétiques. Ils réussissent donc à nous démontrer l’imbrication qu’il y a entre cette opération et la Shoah. De plus, tout au long du livre, les auteurs prennent position dans certains débats historiographiques et questionnent pertinemment quelques-uns des nombreux mythes associés à l’opération Barbarossa. Par exemple, ils contestent habilement l’idée selon laquelle la principale cause de l’échec allemand devant Moscou aurait été les mauvaises conditions météorologiques. Ils arguent que cette version des faits répandue en Occident a d’abord été fortement influencée par les généraux allemands qui ont cherché à masquer leur imprévoyance, leur irréalisme, leurs erreurs de commandement ainsi que l’étonnante capacité de l’Armée rouge à résister[2]. Pour expliquer leur échec, les deux historiens mettent l’accent sur les importantes erreurs commises par le haut-commandement allemand dans la planification et dans le déroulement de Barbarossa. Par exemple, Lopez et Otkhmezuri démontrent que les généraux allemands ont fait preuve de négligence quant à la logistique et qu’ils n’ont jamais cessé de sous-estimer grandement leur adversaire. L’hiver et la boue n’ont fait qu’accentuer ces erreurs. L’utilisation équilibrée de documents russes, allemands et occidentaux par les deux historiens leur permet d’avoir un point de vue global sur le sujet et d’émettre des opinions pertinentes sur les débats historiographiques, ce qui constitue l’une des forces de leur travail.

En terminant, ce livre comporte aussi une faiblesse en ce qui concerne sa méthodologie. En effet, les notes en bas de page réfèrent presqu’exclusivement à des sources primaires. Cela, combiné au fait que les documents consultés sont regroupés au sein d’une seule bibliographie, fait en sorte qu’il est difficile de savoir d’où provient une information en particulier. À cet égard, il aurait été pertinent de donner une brève bibliographie pour chacun des chapitres ou d’inclure davantage de sources secondaires dans les notes en bas de page, afin que l’on puisse retracer plus aisément la provenance des informations.