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On sent bien à la lecture de Sept jours que c’est d’abord la volonté sincère et légitime de raconter l’histoire des débuts de la Révolution française qui est à l’origine du projet d’Emmanuel de Waresquiel. Il est décevant cependant que son emphase sur la mise en récit des événements ait réduit la dimension analytique de son ouvrage à des interprétations historiques souvent simplistes et convenues, quoique sporadiquement incisives et nuancées.
La première partie du livre est consacrée à la contextualisation de ces sept jours, du 17 au 23 juin 1789, qui font l’objet de la recherche de l’historien. L’auteur identifie les facteurs ayant conduit à la convocation des états généraux et décrit les préparatifs nécessaires à leur mise en place. Il décrit également le processus de l’élection des députés et esquisse une prosopographie des représentants du troisième ordre. Waresquiel conclut cette première partie sur le serment de service et de fidélité à la nation prêté le 17 juin, alors que les députés du tiers état s’érigent en Assemblée nationale. La deuxième partie du livre se concentre sur les réactions suscitées par ce serment dans l’entourage royal en examinant comment celui-ci a contribué à exacerber les tensions entre le roi, les membres de sa famille et ses ministres et elle se conclut sur le serment du Jeu de paume du 20 juin. La troisième partie analyse les dynamiques de pouvoir entre les trois ordres et l’administration royale en inscrivant les affrontements entre ces groupes dans le contexte de l’atmosphère tendue qui régnait alors aussi bien à Versailles qu’à Paris. Cette troisième partie se conclut sur la séance royale du 23 juin et l’acte ultime de défiance de l’autorité royale par les députés du tiers état.
La recherche de Waresquiel s’appuie principalement sur la correspondance et les mémoires des députés des trois ordres (surtout ceux de Talleyrand, Dreux-Brézé et Mirabeau, qui sont les plus fréquemment cités) ainsi que ceux d’autres témoins des événements, comme l’Américain Gouverneur Morris, l’Anglais Arthur Young et le libraire Nicolas Ruault. En complément à ces sources plus conventionnelles, Waresquiel s’appuie également sur des journaux de l’époque ainsi que sur plusieurs fonds d’archives nationales, municipales et privées.
L’approche de l’auteur s’inscrit pleinement dans le courant de l’histoire politique traditionnelle. Focalisé sur les « grands hommes » et les « grands événements » des débuts de la Révolution française, l’historien priorise l’attribution de causes précises aux événements et aux phénomènes qu’il étudie plutôt que l’analyse des dynamiques sociales et culturelles que ces événements et ces phénomènes permettent de mettre en lumière. D’ailleurs, Waresquiel insiste toujours davantage sur les causes immédiates et conjoncturelles que sur les causes lointaines et structurelles des mutations sociales, culturelles et politiques qui se précipitent en France à la fin du XVIIIe siècle.
Le chapitre 9 de la première partie, consacré aux émeutes de la faim qui éclatent au moment de l’élection des députés, est exemplaire de la façon dont l’historien construit ses arguments. Waresquiel attribue à ces émeutes plusieurs causes : des causes environnementales (la petite ère glaciaire de la fin du XVIIIe siècle qui entraine de mauvaises récoltes), des causes démographiques (l’accroissement de la population), des causes économiques (le contrôle des terres par les grands propriétaires qui rend difficile l’accès à la terre) et des causes politiques (la libéralisation du commerce du grain engendré par les politiques économiques de Turgot et de Calonne). Cependant, l’auteur démontre peu d’intérêt à examiner les motivations et les aspirations des émeutiers, ou encore à inscrire ces soulèvements dans l’histoire plus ancienne et plus complexe de la contestation populaire en France au cours de l’époque moderne.
Ce n’est pas que l’auteur soit systématiquement réducteur dans ses démonstrations, au contraire. Il développe, dans le premier chapitre de la troisième partie, une analyse fine et nuancée des divisions internes parmi les députés du deuxième ordre en évitant de présenter la noblesse comme un bloc monolithique attaché à ses privilèges et à la structure hiérarchique de la société française d’Ancien Régime. L’auteur prend soin d’examiner les sympathies de certains d’entre eux pour les revendications du tiers état et de souligner la préférence d’une autre frange, plus modérée, de la noblesse pour le bicaméralisme à l’anglaise, en considérant comment ces divisions internes au sein du deuxième ordre ont contribué au renversement du rapport de force entre nobles et roturiers à l’aube de la révolution.
Cependant, l’aspect le plus décevant de l’ouvrage est la propension de l’auteur à multiplier les affirmations hyperboliques sans les appuyer sur une démonstration qui saurait nous convaincre des arguments qu’il avance. La thèse centrale de Waresquiel repose sur sa conviction que toute la révolution—de sa phase libérale à la Restauration en passant par la Terreur—serait contenue dans ces sept journées de juin au coeur de son étude[1]. Toutefois, sa démonstration s’appuie sur l’analyse des actions d’une part infime de la société française et demeure assez peu représentative de la révolution lorsqu’on la considère dans son ensemble.
Néanmoins, on pourrait difficilement critiquer la narration des événements par l’auteur, qui est limpide et accessible en plus d’être fondée sur une recherche solide, enrichie d’une excellente maîtrise des archives. L’ouvrage saura certainement satisfaire la curiosité du grand public et stimuler son intérêt pour la Révolution française, bien que les spécialistes risquent d’être déçus de l’analyse historique, qui demeure, somme toute, assez superficielle.
Appendices
Note
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[1]
Emmanuel de Waresquiel, Sept jours. 17-23 juin 1789. La France entre en révolution. (Paris : Tallandier, 2020) : 15.