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L’histoire de Montréal est d’une richesse incroyable. Relater cette histoire de façon originale est le défi que relèvent l’historien P.-A Linteau, le sénateur S. Joyal et M. Robert, chef de la Section des archives à la Ville de Montréal. Indexée dans un genre dominé par des livres grand format couverts de photographies en noir et blanc d’une couverture rigide à l’autre, cette publication se démarque immédiatement par l’explosion de couleurs sur sa première de couverture. À la joie mal dissimulée de ce lecteur-spectateur, cette tendance à fuir le traditionnel achromatisme du genre est maintenue dans l’ensemble du corps du livre. Publié par les éditions du Boréal, ce livre comprend plus de 170 illustrations de types variés—plans, dessins, affiches, peintures, gravures, cartes postales, photographies—dont la grande majorité en couleur. L’originalité de cette publication apparait également dans son titre qui semble dévier de la norme implicitement associée au genre en repoussant l’objet traité—Montréal—en arrière-plan au profit de l’approche adoptée dans le traitement de cet objet : les « traces » du passé qui le définissent tel qu’il se présente à nous aujourd’hui.
Les motivations qui ont poussé les auteurs à créer cette oeuvre, notamment le désir de raconter l’exceptionnel destin de leur ville natale en présentant son histoire par les traces « visibles dans l’espace urbain et dans la mémoire collective », sont explicitées dans une « présentation » du projet. Celle-ci est suivie du corps de la publication divisé en cinq chapitres dans lesquels est présentée chronologiquement et divisée en époques l’histoire de la ville. Chaque chapitre est composé d’un texte relativement court—une synthèse des aspects sociohistoriques particuliers définissant l’époque présentée—ainsi que d’une série d’illustrations chacune accompagnée d’une légende. Les cinq chapitres sont suivis d’une section « Orientations bibliographiques » suggérant des « outils indispensables » à la recherche sur l’histoire de Montréal, ainsi que, dans le même but, d’une liste d’ « ouvrages de base ». Les sources des illustrations du livre sont ensuite présentées sous la forme d’une liste exhaustive les regroupant par chapitre. Une liste des partenaires ayant appuyé le projet et des remerciements personnels bouclent enfin cette publication.
Le premier chapitre intitulé « L’émergence de la ville française » relate la période 1624–1760 de l’histoire de Montréal. Le deuxième chapitre porte sur cette ville en tant que « pôle commercial » britannique (1760–1850). Les plans, cartes, gravures et peintures prédominent dans ces deux chapitres, mais des photographies (anachronisme voulu) sont également employées pour présenter les traces laissées par les époques couvertes. Peintures, gravures et photographies (dont certaines des cartes postales colorées) se partagent à parts égales l’illustration du troisième chapitre portant sur l’époque de la « Métropole canadienne » (1850–1914). Les photographies et les peintures dominent dans le quatrième chapitre intitulé « Des accents américains et modernistes » (1914–1967) où apparaissent également des affiches (notamment publicitaires), alors que les vues aériennes y remplacent les plans des chapitres précédents. La période 1967–2017 est représentée exclusivement par des photographies (surtout en couleur) dans le cinquième et dernier chapitre intitulé « Métropole québécoise et ville internationale ».
Le modèle qu’on peut observer dans l’emploi des différents types d’illustrations à travers des chapitres n’est pas dû au hasard. Il découle du choix conscient des auteurs d’illustrer chaque époque par ses « médias favoris ». Malgré quelques illustrations de « phénomènes anciens par des traces contemporaines », ce choix renforce la trame chronologique tant du récit visuel que de celui textuel. Plutôt que d’en être atténuée, la prégnance de l’intuition chronologique semble confirmée par la sélection explicite des médias selon leur lien technologique avec l’époque qu’ils représentent. Ce choix ne fait que renforcer l’impression de suivre une visite guidée plutôt que de participer à la reconstitution d’une « trame » à partir de traces historiques. Une organisation davantage thématique du contenu, axée sur les traces présentées plutôt que sur des époques historiques, aurait peut-être mieux servi l’objectif des auteurs de présenter des traces historiques, et non pas d’illustrer une chronologie. Une telle organisation, regroupant thématiquement des illustrations aux médias anachroniques sans respecter, ni imposer un ordre chronologique quelconque, aurait probablement renforcé l’aspect de palimpseste historique que semblent vouloir accorder les auteurs à la ville de Montréal. N’empêche, tel qu’il apparait, ce livre réussit à transmettre au lecteur-spectateur le sentiment d’une reconstitution de trames historiques, notamment par le dynamisme véhiculé par bon nombre des images choisies très judicieusement. Cette oeuvre laisse enfin au lecteur-spectateur l’impression d’avoir contribué à créer un aperçu vivant de l’histoire de Montréal, ne serait-ce que par son rapport affectif avec les faits et les lieux illustrés.