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Dans son récent ouvrage Red Skin White Masks, Glen Sean Coulthard, Déné de Yellowknife et assistant professeur au sein du Programme d’Études sur les Premières Nations de l’Université de Colombie-Britannique, revisite sous un angle incisif les paradigmes de reconnaissance et de réconciliation qui sont au coeur des politiques du gouvernement canadien en matière d’affaires autochtones depuis une quarantaine d’années.
Pour l’auteur, à la suite de la résistance autochtone au Livre blanc du gouvernement libéral de Pierre-Elliott Trudeau en 1969, le gouvernement fédéral se serait vu contraint de modifier sa politique autochtone. Délaissant les politiques d’assimilation et d’exclusion, le gouvernement aurait opté pour une nouvelle approche de compromis, d’accommodation et de reconnaissance. Selon l’auteur, malgré cette réorientation, les politiques gouvernementales auraient toujours pour fonctions le maintien des structures hiérarchiques coloniales canadiennes et la dépossession des territoires autochtones. Pour Glen Coulthard, les discours de reconnaissance et de réconciliation ne doivent donc pas être perçus comme des véhicules de décolonisation, mais comme des outils de dépossession et de sécurisation de l’État-nation colonial canadien.
L’ouvrage devient plus polémique lorsqu’il critique la manière dont les luttes d’autodétermination et de décolonisation des quarante dernières années auraient ironiquement renforcé et légitimé les structures coloniales en place. Pour Coulthard, les processus de revendications territoriales, les recours au système de justice ou les négociations avec les gouvernements fédéraux et provinciaux, loin d’avoir permis une autonomie gouvernementale, se seraient plutôt arrimés et adaptés aux exigences politiques, légales et juridiques de l’État canadien.
En ce sens, Glen Coulthard entre explicitement en communication avec la thèse de Dale Turner émise dans l’ouvrage This is not a peace pipe: Towards a critical indigenous philosophy. Dale Turner y stipule qu’il est nécessaire pour les populations et les organisations autochtones, dans un contexte où l’État détient le monopole du pouvoir, de contribuer à énoncer et négocier les droits autochtones à l’intérieur même des espaces conceptuels où ces droits sont définis et attestés[1]. En d’autres mots, dans un contexte où les droits sont majoritairement délimités au sein des structures de l’État, les processus d’autodétermination et de décolonisation doivent s’effectuer au sein des structures politiques et légales canadiennes, et ce par une approche légaliste reconnue par l’État-nation.
Si Glen Sean Coulthard ne discrédite pas totalement cette manière de négocier et de formuler les droits autochtones, il considère cependant qu’elle prend à tort une place hégémonique au sein des politiques autochtones. Pour l’auteur, la reconnaissance est devenue le maître mot des organisations politiques autochtones et configure à elle seule le vocabulaire de décolonisation des nations autochtones au Canada. Dans ce contexte, cette approche n’aurait aucun potentiel transformatif des structures coloniales, mais réaffirmerait et légitimerait au contraire les relations de pouvoirs en place. On assisterait alors à une mise en réconciliation des ambitions politiques, culturelles et légales autochtones à la structure de l’État-nation canadien (p. 151).
Dans son ouvrage incontournable, Glen Coulthard formule donc une remise en question essentielle des concepts de colonisation, de décolonisation et de réconciliation tel qu’entendu dans les sphères politiques, médiatiques et juridiques au Canada. Pour lui, loin d’être un événement passé et transitif, la colonisation demeure un processus continu qui est camouflé et légitimé par les discours de reconnaissance et de réconciliation.
Glen Coulthard propose aussi une série de pistes de solutions aux enjeux actuels. S’inspirant des auteurs Gerald Taiaiake Alfred et Leanne Betasamosake Simpson, Coulthard propose une approche qualifiée d’Indigenous resurgence. Selon cette approche, les identités, les droits et les politiques des différentes nations autochtones doivent se formuler et s’exercer, moins en fonction des exigences et de la reconnaissance hégémonique de l’État, mais en relation directe avec les communautés et les traditions autochtones. Pour Coulthard, il s’agit de trouver des alternatives à la colonisation qui seraient ancrées dans les réalités culturelles des différentes communautés et dans la revitalisation les traditions légales, politiques et culturelles des différentes nations.
Tout au long de son ouvrage, l’auteur intègre en fluidité nombreux arguments et contre-arguments à sa thèse. Il dialogue ainsi avec plusieurs auteurs influents au sein des chaires d’Études Autochtones et expose de manière complexe et détaillée un large éventail de théories, d’opinions et de solutions concernant les enjeux actuels au Canada. L’auteur distingue aussi son ouvrage de par les concepts et la méthodologie qu’il utilise. En adaptant les travaux de Karl Marx, de Franz Fanon et de Jean-Paul Sartre au contexte colonial canadien, Coulthard en arrive à joindre un ensemble de réflexions anticoloniales et anticapitalistes complexes qui ne furent pratiquement jamais mis en relation dans les études récentes.
Appendices
Note
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[1]
Dale A. Turner, This is not a peace pipe: towards a critical indigenous philosophy. Toronto, University of Toronto Press, 2006, p. 31.