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Dans Fighters in the Shadows, Robert Gildea propose de rendre sa diversité à la Résistance française. Le professeur à l’Université d’Oxford et éminent spécialiste du vingtième siècle français annonce une nouvelle histoire de la Résistance sous la forme d’une synthèse qui croise d’une part, une approche « par le haut » diachronique, et d’autre part, une approche « par le bas » qui laisse place à des voix nombreuses et diverses. La première partie du titre apparaît alors particulièrement judicieuse : avec une histoire construite autour des individus, Gildea tend l’oreille à ces « combattant(e)s » de l’ombre qui se trouvent, en outre, « dans l’ombre » des récits mainstream de la Résistance métropolitaine. Sa méthode, héritière d’une historiographie récemment renouvelée, offre un récit dont les sources primaires sont exclusivement des témoignages oraux et écrits, témoignages qui sont considérablement réinvestis depuis les années 1990 suite à la publication phare de Rod Kedward, In Search of the Maquis (1993) après avoir été dédaignés par certains représentants d’une génération de résistants devenus historiens. La trame principale de l’ouvrage, articulée autour des négligés de l’historiographie traditionnelle, s’inspire également des récentes tendances, comme le montre la place de choix des résistantes dans ce même ouvrage précurseur de Kedward.
La démarche de Gildea se fonde sur le postulat que plusieurs formes de réappropriations mémorielles de la Résistance se sont chevauchées et succédé depuis la Libération, et qu’il est particulièrement nécessaire de questionner ces interprétations puisque la Résistance est un constituant central de l’identité française. Bien que les discours identitaires depuis les mythes gaullistes et communistes jusqu’à l’interprétation d’une Résistance humaniste et universelle d’aujourd’hui rendent d’importants services politiques, ils n’ont jamais exercé une hégémonie sur l’esprit des Français. Gildea croit que les témoignages sont les meilleures traces de la subjectivité individuelle de l’expérience résistante, tout comme de la signification que les acteurs ont donnée à leur vécu après coup, et qu’ils divergent ainsi des interprétations identitaires dominantes.
Les six premiers chapitres explorent les motivations de l’entrée en résistance. Certains, tels les chapitres 1 (Awakening) et 2 (Il faut faire quelque chose) dressent une série de portraits certes captivants, mais qui ajoutent peu à notre compréhension des motifs d’engagement ou des fondations des premières organisations. D’autres chapitres s’avèrent, en revanche, particulièrement pertinents et légitiment à eux seuls l’approche « par le bas » de l’ouvrage. À travers plus d’une vingtaine de témoignages, le chapitre 5 (Une affaire de femmes) montre que les conventions sociales liées au genre confinent généralement celles qui désirent entrer en résistance à des rôles « féminins » et à être exclues de l’action militaire. Malgré la différenciation genrée, les femmes sont cruciales à la Résistance, tant par leur nombre que par leurs rôles souvent bien plus importants que ce qui était attendu d’elles. Les chapitres 7 (God’s Underground) et 8 (The blood of others), qui soulignent respectivement l’importance de la résistance religieuse (catholique, protestante et juive) et l’engagement d’étrangers dans la Résistance française, brillent aussi par leur pertinence. En raison de l’apport significatif d’Espagnols, d’Italiens, de Polonais et d’immigrés de nombreux pays du centre et de l’est de l’Europe, Gildea conclut que « it may be more accurate to talk less about the French Resistance than about resistance in France » (p. 239). Cette proposition mériterait d’être développée davantage avant d’être adoptée, puisque le terme « Résistance française » conserve à notre avis sa légitimité lorsqu’il indique une résistance pour la France.
Les chapitres 9 à 15 reprennent un cadre plutôt classique et couvrent chronologiquement une période qui commence au moment du débarquement allié en Afrique du Nord et qui se termine dans l’immédiat après-guerre avec les premières divergences post-Libération. Le chapitre 13 (D-Day) se distingue ici par son récit de la courte période du débarquement en sol français depuis la perspective des maquisards.
Le mandat de Gildea est accompli : par l’usage du témoignage, il met bien en valeur la diversité des résistants, de leur mémoire et de leur expérience. Les combattant(e)s de l’ombre à qui il donne une voix font effectivement contrepoids aux réappropriations mémorielles à tendance hégémonique, tel qu’il l’exprime en conclusion. Une certaine inégalité se ressent toutefois dans le récit. Certains chapitres semblent dédiés à montrer ceux qui ont trop souvent été dans l’ombre, alors que d’autres sont plus classiques, tant pour le cadre et la forme que pour le contenu. Nous regrettons également la quasi-absence de la résistance au sein de l’Empire, qui aurait pourtant eu sa place parmi les négligés de la mémoire et de l’historiographie. Enfin, s’il ajoute une certaine profondeur à notre compréhension de la Résistance, l’ouvrage de Gildea ne la redéfinit pas. Sa valeur se trouve surtout dans la synthèse d’une historiographie qui intègre le témoignage comme vecteur et voix de la diversité depuis plus d’une vingtaine d’années.