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Avec The American Crucible, l’historien et activiste Robin Blackburn récidive. Comme les louangés The Overthrow of Colonial Slavery (1988) et The Making of New World Slavery (1997), ce nouvel opus s’impose comme une synthèse magistrale. Blackburn y retrace le cycle complet de l’implantation, l’apogée et l’essoufflement des systèmes esclavagistes du Nouveau Monde entre les xvie et xixe siècles. Plutôt que de se limiter au monde anglo-américain, privilégié dans l’historiographie, il étend son étude aux îles françaises, au Brésil et à Cuba. Cette approche résolument atlantique confère son originalité à The American Crucible. Elle permet à Blackburn de poser un regard nouveau sur la Révolution haïtienne et d’inscrire l’émancipation des esclaves dans la grande histoire des droits humains. À plusieurs égards, l’ouvrage de Blackburn est en continuité avec les travaux à saveur postcoloniale de C.L.R. James (The Black Jacobins, 1938) et d’Eric Williams (Capitalism and Slavery, 1944). Comme ces derniers, Blackburn insiste sur la centralité de l’esclavage dans la construction de l’Occident. Élément essentiel du développement industriel et du capitalisme, l’esclavage du Nouveau Monde contribue également à la formation des identités métropolitaines et impériales. Inversement, et peut-être ironiquement, les conflits provoqués par les bouleversements de l’industrialisation sous-tendent l’activité abolitionniste.
Blackburn construit son argumentation en quatre temps. La première partie du livre permet à l’auteur de retracer le développement des sociétés de plantation et d’identifier les caractéristiques vraiment « américaines » de l’esclavage du Nouveau Monde, tout en soulignant les particularités des contextes locaux et régionaux. Dans la deuxième partie, il s’attarde aux conséquences de l’essor de l’esclavage sur l’économie et la société européennes. L’esclavage du Nouveau Monde secoue les systèmes mercantilistes et favorise l’émergence d’une conception du commerce libérée de ses contraintes traditionnelles. L’avènement de l’ère des Révolutions à partir de 1776 secoue à son tour l’édifice des systèmes esclavagistes. C’est vraiment la Révolution haïtienne, toutefois, qui consolide la brèche. Blackburn voue la troisième partie de son livre à ce conflit, longtemps marginalisé dans l’historiographie, mais de plus en plus reconnu comme moment charnière dans l’histoire de l’émancipation. La proclamation de la République d’Haïti en 1804 cristallise les idées de liberté et d’égalité et donne l’impulsion nécessaire à la traduction du discours abolitionniste en actions concrètes. Ce n’est donc qu’en considérant la Révolution haïtienne que l’on peut vraiment comprendre l’abolition britannique de la traite en 1807. La paix de 1815 est un autre moment charnière. Après les guerres napoléoniennes, l’esclavage du Nouveau Monde connait un second souffle. Les innovations technologiques et la vitalité des économies européennes font du xixe siècle l’âge d’or des plantations du Brésil, de Cuba et des États-Unis. Dans sa quatrième partie, Blackburn observe le système de plantations du xixe siècle et les obstacles auxquels ils font face, à commencer par la guerre civile américaine. Il clôt son argumentation par un survol des effets à court et moyen termes de l’émancipation, vraiment consacrée avec l’abolition de l’esclavage au Brésil en 1888. À travers cette étude globale des systèmes esclavagistes du Nouveau Monde, Blackburn retrace l’émergence et le déclin du colonialisme, ainsi que l’émergence du capitalisme et de la société de consommation. Le « crucible » du titre prend tout son sens à la lumière de ces développements. Ce terme se réfère à la fois au creuset américain, lieu de rencontre des cultures et des expériences humaines, et à l’épreuve de l’esclavage. C’est de ce creuset et de cette épreuve qu’est née l’Amérique.
Dans son ensemble, The American Crucible ne réinvente pas la roue. Robin Blackburn appuie son récit sur ses recherches préalables et sur un corpus de sources déjà exploitées. Il avance les mêmes thèses que dans ses ouvrages précédents. Son originalité réside surtout dans son approche vraiment atlantique, qui lui permet de mettre en lumière tout un réseau de connexions intercoloniales et transatlantiques. La principale contribution de Blackburn à l’historiographie est peut-être son traitement de la Révolution haïtienne. Comme Laurent Dubois (Avengers of the New World, 2004) et Jeremy Popkin (You Are All Free, 2010), Blackburn interprète les événements d’Haïti comme un moment charnière dans l’histoire du colonialisme et dans celle de l’esclavage. Il suggère ainsi une pléthore de pistes de réflexion sur l’espace atlantique, sur la relation entre l’esclavage et les identités coloniales et métropolitaines, et sur l’agentivité des marginaux au sein des empires. Seule l’Afrique échappe à l’étude de Blackburn. C’est peut-être de ce côté de l’Atlantique que l’historien se tournera dans les prochaines années.