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Fille de la tradition légitimiste[1] et du bouillonnement nationaliste de l’affaire Dreyfus, l’Action française était à l’aube de la Grande Guerre le principal porte-étendard d’une restauration de la monarchie en France. Alors qu’un tel changement de régime politique semblait invraisemblable face à une Troisième République triomphante, il n’en reste pas moins que, grâce à l’habile rhétorique de ses principaux idéologues, les thèses réactionnaires défendues par ce mouvement « néoroyaliste », matinées d’un patriotisme exacerbé, trouvaient un certain écho dans l’agora intellectuel et politique français de la Belle Époque. De plus, le tapage des membres les plus décidés de son organisation faisait de l’Action française l’un des regroupements politiques les plus attentivement surveillés par les autorités républicaines.

Au déclenchement de la guerre en août 1914, l’Action française se rallia d’emblée à « l’Union sacrée » du monde politique français pour favoriser une victoire contre l’envahisseur allemand. Si ce compromis idéologique circonstanciel – son option royaliste fut mise en veilleuse tandis que son nationalisme prima – peut surprendre au premier abord, les conséquences pratiques du conflit eurent un impact tout aussi marquant sur l’organisation de l’Action française.

Dans la présentation qui suit – basée principalement sur l’étude de rapports de la Sûreté générale du ministère de l’Intérieur[2] –, nous allons jeter la lumière sur cette période trouble du mouvement néoroyaliste peu approfondie dans son historiographie[3]. Nous aborderons successivement l’évolution des activités entre 1914 et 1918 de la « Ligue d’Action française », du quotidien du mouvement, et des figures tutélaires du néoroyalisme. Comme nous allons le voir, pendant que la guerre donna un élan nouveau aux idées nationalistes de l’Action française, elle décima ses rangs et compromit ses chances – déjà extrêmement minimes – d’imposer son programme politique royaliste en France.

La Ligue d’Action française

Inspirée des ligues nationalistes de la fin du dix-neuvième siècle[4], la « Ligue d’Action française » coordonnait le militantisme et la propagande du mouvement néoroyaliste. Elle incarnait aussi son refus du jeu parlementaire en mettant de l’avant un activisme public fougueux et tapageur sous l’intendance de meneurs zélés. Elle était structurée en un essaim de sections communales ou d’arrondissements – au nombre d’environ deux cents dans toute la France –, chacune dotée d’une permanence et composée de quelques dizaines de membres, masculins et adultes tout au plus.

Mais la Ligue d’Acton française ne se résumait pas qu’à une organisation au militantisme mâle et majeur. En effet, elle chapeautait aussi des organisations féminines et de jeunesse dont l’étude séparée montre la variabilité des impacts du conflit mondial à l’intérieur même de la ligue.

La « Ligue » à proprement parler

À partir d’août 1914, la mobilisation générale ainsi que les enrôlements volontaires massifs – vivement encouragés par le militarisme patriotique du mouvement – dépouillèrent la Ligue d’Action française d’une bonne proportion de ses adhérents[5]. Cependant, la ligue ne publia jamais une liste exhaustive de ses membres, tandis que les évaluations de la police à cet égard dans l’avant-guerre sont relativement contradictoires[6]. Il n’est donc pas possible d’évaluer avec certitude la proportion de ligueurs néoroyalistes partis pour le front, mais l’impact qu’eut la mobilisation sur les activités de la ligue parle de lui-même.

En effet, l’exode vers les tranchées eut pour effet presque instantané de dissoudre la presque totalité des sections locales, faute de ligueurs, une situation qui perdura, dans la plupart des cas, au moins jusqu’en 1918[7]. Les dirigeants de la ligue maintinrent tout de même les activités de son bureau central à Paris et de quelques sections de la région francilienne, question de préparer le retour éventuel des militants, mais aussi de laisser croire que la vie suivait son cours à l’Action française[8].

Le ralliement unanime et constant des dirigeants de l’Action française à l’Union sacrée contribua aussi à l’éclipse de la ligue néoroyaliste entre 1914 et 1918. Effectivement, les figures tutélaires du mouvement appelèrent d’emblée leurs troupes à délaisser leurs activités publiques afin d’éviter de perpétuer les divisions politiques, maintenant perçues comme défavorables à la défense nationale. Durant toute la guerre, aucune manifestation à l’égal des tumultes de la Belle Époque ne fut ainsi enregistrée[9].

Ce qui restait de Ligue d’Action française canalisa rapidement une part de ses énergies restantes dans la mise sur pied de divers programmes d’entraide aux soldats et à leurs familles. On organisa, par exemple, l’envoi de paquets de vêtements et d’outils à l’intention des soldats servant au front et on constitua un programme pour aider les familles à retracer un proche disparu. Toute activité de cette nature était aussi accompagnée d’une certaine propagande par l’entremise de feuillets insérés dans les paquets ou de suggestions insidieuses des bénévoles[10].

Malgré le ralentissement apparent des activités néoroyalistes, les autorités républicaines surveillèrent de près la Ligue d’Action française durant la Grande Guerre. On sait qu’elles s’inquiétaient d’une potentielle recrudescence de la puissance néoroyaliste en cas de faiblesse du régime face à l’ennemi[11].

En fait, en dépit de leurs appels à la modération, les animateurs de l’Action française s’affairèrent dans l’ombre tout au long de la guerre à encourager les ligueurs restants, ou revenus du front, de maintenir ou de reformer leurs sections. Ils tentèrent aussi de rallier les nationalistes conservateurs pour tabler sur la notoriété patriotique acquise par l’organisation[12]. Cependant, on nota chez les autorités que si la ligue obtint effectivement quelques nouvelles adhésions ou des sympathies, « [il] s’agit en général de protestations […]. La [ligue] semble devenir, en attendant mieux, un refuge de mécontents[13] ». Les reformations de sections prirent un certain essor entre 1916 et 1918, mais on ne parle que d’une dizaine de cas tout au plus[14]. La grande majorité des reconstitutions de cellules ne se sont faites qu’après la fin du conflit mondial soit à partir de 1919 et parfois même seulement qu’en 1921 et 1922[15].

Les organisations de jeunesse

Pour assurer à la fois une diffusion plus large de ses idées et la pérennité de son organisation, l’Action française cultiva minutieusement son implantation dans la jeunesse dès ses premiers balbutiements en 1898[16]. En 1914, les jeunes néoroyalistes étaient réunis au sein de trois associations : les « Camelots du roi[17] », les « Étudiants d’Action française », ainsi que les « Lycéens et Collégiens d’Action française ». Leurs objectifs étaient à peu près identiques – soit tout aussi analogues à ceux de la ligue –, mais la nature de leurs activités ainsi que les origines socioprofessionnelles de leurs membres respectifs différaient sensiblement.

Les Camelots du roi, qui tiraient leurs origines de la distribution du quotidien du mouvement, rassemblaient des étudiants, mais aussi beaucoup de jeunes travailleurs et valorisaient un activisme politique radical ne lésinant pas sur la violence, autant verbale que physique. À l’aube de la guerre, ils étaient parmi les jeunes activistes subversifs les plus reconnus de France, aux côtés des anarchistes et des socialistes révolutionnaires[18].

Les Étudiants d’Action française, quant à eux, se recrutaient dans les universités ainsi que dans les grandes écoles. Leurs activités étaient plutôt d’ordre intellectuel, favorisant l’organisation de soirées de débats et de conférences. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’ils ne prenaient pas part aux chahuts néoroyalistes, particulièrement dans le Quartier Latin de Paris où ils étaient bien présents pendant l’avant-guerre[19]. En ce qui concerne les Lycéens et collégiens d’Action française, on ne sait que très peu de choses sur eux, sinon que leur jeune âge les gardait bien d’un activisme ligueur violent, leur association servant d’incubateur aux futurs « étudiants » et « camelots »[20].

À l’instar de la ligue, les jeunesses de l’Action française furent pour l’essentiel rayées de la carte dans les quelques mois suivants le déclenchement des hostilités[21]. Malgré une embellie initiale dans les adhésions, la situation se détériora à un point tel qu’il fut décidé en septembre 1915 d’interrompre les activités l’organisation centrale des Camelots du roi à Paris[22]. Les étudiants réussirent quant à eux à maintenir quelques activités tout au long de la guerre telles que des soirées de discussions et des conférences. Pour ce faire, ils durent inclure dans leurs rangs quelques lycéens et collégiens. Ce qui ne les renforçait pas, étant donné que le potentiel politique de ces nouvelles recrues âgées de 14 à 17 ans était forcément faible[23].

En 1914, les jeunesses de l’Action française comptaient ensemble moins de cinq mille membres[24]. En septembre 1915, leurs animateurs évaluaient qu’environ trois mille cinq cents militants étaient déjà tombés au champ d’honneur, insistant sur le « tribut de sang » payé par le mouvement néoroyaliste pour la France[25]. Mais le chiffre de deux mille cinq cents camelots et étudiants morts dans l’ensemble de la guerre, tout de même élevé, avancé par l’historien du mouvement Eugen Weber paraît plus près de la réalité[26]. Dépossédées d’une génération presque complète, les sections de jeunesse prirent donc jusqu’à cinq ans pour se reformer et elles furent obligées de recruter plus précocement[27].

Les branches féminines

Avec le départ des hommes au front, le rôle des femmes n’est pas à sous-estimer dans le maintien des activités de la Ligue d’Action française durant la Grande Guerre. Réunies dans deux associations selon leur âge – soit les adolescentes chez les « Jeunes Filles Royalistes » et les femmes dans les « Dames d’Action française[28] » –, les femmes néoroyalistes étaient la plupart du temps les épouses et les filles des ligueurs et la nature de leurs activités n’avaient toutefois à peu près rien à voir avec celles de ces derniers[29]. Elles jouaient un rôle de courroie de transmission familiale et elles adaptaient le discours néoroyaliste au « coeur féminin », soit par l’organisation de banquets, de fêtes et d’oeuvres de bienfaisance, sans nécessairement lésiner sur la distribution de propagande[30].

À l’évidence, les rangs féminins de l’Action française furent loin d’être autant fauchés que ceux des hommes et ils bénéficièrent du concours d’une bonne part de leurs membres durant la guerre, malgré le délitement de la structure de la ligue. Les femmes jouèrent ainsi un rôle non négligeable dans les campagnes de secours à l’égard des soldats et de leurs familles[31]. Les animateurs de l’Action française avaient cependant d’abord appelé les femmes à joindre l’effort de guerre par les moyens qui s’offraient à elles, et ainsi quelques-unes d’entre-elles servirent au front comme infirmières[32].

L’Action Française quotidienne

Le quotidien L’Action Française était en 1914 l’instrument principal de propagande de la Ligue d’Action française. S’il était géré directement par cette dernière, il convient toutefois de l’aborder séparément compte tenu de la nature évidemment différente de ses activités.

L’« organe du nationalisme intégral » offrait des analyses et des opinions tranchées – contenues dans les oeillères du catéchisme néoroyaliste – sur la vie politique française, les relations internationales ainsi que sur des questions religieuses, sociales, économiques et littéraires. Il était fondé sur un groupe restreint de rédacteurs à la plume militante et combative, ce qui lui valut de temps à autre des poursuites en diffamation ainsi que les foudres de la censure à quelques reprises pendant la guerre.

À partir du 3 août 1914, le quotidien perdit évidemment une partie de son équipe pour le front. Mais sa publication fut maintenue presque tout au long de la guerre avec une équipe réduite de quatre à cinq rédacteurs[33], interrompue par deux épisodes de suspension par la censure en juin et en octobre 1917. La guerre désorganisa aussi ses réseaux de distribution – intimement liés aux sections la ligue –, mais ses directeurs réussirent à les remettre sur pied et à les maintenir tout au long du conflit[34].

Malgré ces limitations, L’Action Française connut une prospérité inespérée pendant la Grande Guerre. Devenu l’objet principal des efforts des animateurs néoroyalistes restés à « l’arrière front », le journal se posa dès le début de la guerre comme l’organe du nationalisme rallié à l’Union sacrée, ce qui à moyen terme lui permit d’accroître son lectorat. Il passa ainsi d’un tirage de quinze à vingt mille copies dans l’avant-guerre[35], à près de cent mille dans le dernier trimestre de 1917[36]. C’était certes bien loin du million de lecteurs des principaux journaux de masse de l’époque, mais cette évolution reste remarquable pour l’organe d’un mouvement politique marginal, tandis que de plus l’ère de la presse d’opinion était révolue en France depuis déjà quelque temps[37].

Le quotidien contribua donc pour une grande part au maintien de la présence du mouvement néoroyaliste dans l’univers sociopolitique français durant la guerre, et il mit certainement la table pour sa relance générale dans l’après-guerre. Ses pages permirent à l’Action française de continuer d’intéresser et de mobiliser ses militants restants, tout en maintenant une tribune spécifique pour ses principaux animateurs.

Les « maîtres » de l’Action française

Mouvement politique à l’influence limitée et dotée d’un quotidien au tirage modeste, l’Action française devait son minimum de notoriété au travail acharné et enthousiaste d’un petit groupe d’intellectuels et d’activistes qui s’en partageaient la direction. La division de ce groupe en deux typologies, entre les idéologues et les animateurs, jette un éclairage intéressant sur la variabilité des impacts de la mobilisation expliquant, au moins en partie, la différence des évolutions de la Ligue d’Action française et du quotidien entre 1914 et 1918.

L’école intellectuelle

Trois hommes peuvent être qualifiés d’emblée de « maîtres » de « l’école intellectuelle » de l’Action française à l’aube de la Grande Guerre : Charles Maurras, Léon Daudet et Jacques Bainville. Ces derniers se préoccupaient d’abord et avant tout de nourrir de leurs réflexions et de leurs analyses le corpus idéologique néoroyaliste. S’ils faisaient souvent acte de présence dans les activités du mouvement, ils ne prenaient pas part directement aux tumultes qu’ils inspiraient, y préférant la quiétude des bureaux du quotidien et de la ligue.

Entre 1914 et 1918, Maurras, Daudet et Bainville eurent des parcours pratiquement identiques : réformés, ils ne furent pas appelés au front et ils purent ainsi continuer à inspirer le mouvement. Ils jouèrent ainsi un rôle décisif dans la sauvegarde minimale de ses activités, en particulier celles de L’Action Française quotidienne, qui, comme on le sait, prirent un essor inédit durant cette période.

En tant qu’initiateur de la doctrine de « nationalisme intégral », Charles Maurras exerçait un magistère intellectuel pratiquement total sur le mouvement[38]. Hyperactif, il signait presque tous les jours de la semaine la rubrique « La vie politique » dans L’Action Française et publiait chaque année quelques ouvrages de réflexion et de littérature. Incisif, Maurras était un analyste minutieux du politique, capable de nuances malgré la fermeté de la doctrine qu’il avait développée et le ton parfois violent de ses écrits[39]. C’est sous son intendance que les militants néoroyalistes furent appelés dès le début de la guerre à appuyer sans condition l’Union sacrée. Il s’imposa dès lors comme une figure incontournable du nationalisme intransigeant, et sa pensée fut reprise et commentée largement tout au long de la période[40].

Quant à Léon Daudet et Jacques Bainville, s’ils n’avaient pas le prestige d’un Maurras, il ne faut pas pour autant minorer leur apport au mouvement néoroyaliste durant la guerre. Rédacteur en chef du quotidien, habile conférencier et romancier, Daudet fit sienne la croisade contre l’espionnage et le pacifisme proallemands – supposés ou réels –, au moyen d’une rhétorique mordante et brutale, sans égal dans le mouvement[41]. Prenant sa campagne très au sérieux, il s’attribua le surnom de « procureur du roi », collabora quelque peu avec les autorités républicaines et se retrouva au centre des événements entourant la déchéance du ministre de l’Intérieur, Louis-Jean Malvy, et la démission du ministère de Paul Painlevé dans la seconde moitié de 1917[42].

Quant à Jacques Bainville, historien, conférencier à ses heures et chroniqueur au quotidien, il fut moins central dans les campagnes patriotiques néoroyalistes de 1914-1918, mais il contribua amplement au maintien des activités du quotidien, où il se fit un nom avec ses fines analyses de la situation internationale[43]. Son ouvrage majeur d’après-guerre, Les conséquences politiques de la paix, témoigne de l’importance de Bainville au sein de l’Action française durant cette période.

Enfin, on peut aussi citer le cas de Louis Dimier, qui joua un rôle plus effacé (mais à ne pas sous-évaluer) dans le maintien des activités néoroyalistes entre 1914 et 1918. D’abord historien de l’art et chroniqueur littéraire, il avait fait sa marque dans l’avant-guerre chez les néoroyalistes, en tant que pédagogue ainsi que comme défenseur infatigable de l’Église. Non mobilisé lui aussi, il joua un rôle d’appoint dans les campagnes journalistiques de Daudet, y apportant un complément religieux et il fut appelé à maintenir les activités de la Ligue et de quelques-unes de ses branches à partir de 1916[44].

Les animateurs de l’activisme

En 1914, une majorité des « maîtres » de l’Action française étaient des propagandistes et des meneurs d’hommes aguerris à la remorque des constructions idéologiques et de la rhétorique des Maurras et Daudet. Les plus importants d’entre eux étaient Henri Vaugeois, Maurice Pujo, Léon de Montesquiou, Maxime Réal del Sarte et Marius Plateau. Sur ces cinq hommes, quatre servirent au front, tandis que deux d’entre eux n’étaient plus au rendez-vous à la signature de l’armistice en novembre 1918. La mise hors jeu d’un tel nombre d’animateurs ne fut certainement pas sans impact sur des organisations néoroyalistes déjà fortement affaiblies par le départ au front de plusieurs de leurs militants.

Cofondateur du mouvement – avec Pujo –, Vaugeois était le directeur du quotidien ainsi qu’un conférencier et un organisateur dynamique. Le seul du groupe à ne pas avoir servi au front, il parcourra la France pour tenter de maintenir les activités de la ligue et d’assurer la diffusion du quotidien, avant de mourir subitement d’une embolie le 11 avril 1916[45]. Quant à Pujo, inspirateur des Camelots du roi et agitateur reconnu par les forces de l’ordre[46], il fut mobilisé en 1915 et servit au front jusqu’à la fin de la guerre.

Montesquiou, président de la Ligue d’Action française au déclenchement des hostilités, fut appelé aux armes dès le début de la guerre et mourut des suites de blessures subies au combat. Réal del Sarte et Plateau servirent aussi tous deux dans les tranchées et en revinrent mutilés. Le premier, animateur de la jeunesse, tenta ensuite d’encourager la reformation de sections dans le sud-ouest de la France où il pansait ses blessures, mais sans trop de succès[47]. De son côté, Plateau, blessé et réformé dès septembre 1914, ne réussit pas à maintenir à flot les activités des Camelots du roi, tel que l’on le lui avait demandé, mais il dirigea ensuite un service de renseignements interne, récoltant les appuis potentiels aux néoroyalistes[48].

On se souviendra que c’est en grande partie grâce aux femmes que l’Action française organisa des activités de charité en faveur des soldats et de leurs familles. C’est aussi une femme qui en permit la bonne conduite : la marquise de Mac-Mahon, née Marthe de Voguë. Déjà bailleuse de fonds importante ainsi qu’énergique présidente des organisations féminines dans l’avant-guerre, elle joua un rôle prépondérant – et sous-estimé dans l’historiographie classique du mouvement – au sein de l’Action française entre 1914 et 1918. Conférencière et propagandiste reconnue, elle parcourra aussi le pays durant la guerre pour tenter de relancer les sections locales et encourager la propagande[49].

À l’aube de la dernière année de la Grande Guerre, Maurras décrivait en ces mots l’évolution du mouvement d’Action française depuis août 1914 :

« Mais quelque vaste qu’ait été notre proportion de sacrifices, ni le fond n’a été épuisé, ni le recrutement n’a été arrêté, et bien au contraire. La guerre a mis en valeur nos idées. Il n’y a pas de comparaison entre le petit bataillon sacré que nous formions en 1914 et notre multitude de 1917[50] ».

Il se gardait donc bien – certainement par fierté et pour des raisons stratégiques – de faire l’aveu des ravages incommensurables des départs au front dans ses rangs. Il n’en reste pas moins que les idées de l’Action française avaient atteint en 1918 une notoriété inédite que l’historien Pierre Nora a bien soulignée[51], comme en témoigne concrètement l’augmentation constante du tirage du quotidien. Le patriotisme exacerbé, le culte de l’armée et la revendication d’un chef chez les Maurras ; Daudet et Bainville étaient bien en vue dans un contexte de défense du territoire national.

D’anciens membres déçus de la modération favorisée par les maîtres du mouvement durant la période, dont Louis Dimier, ont souligné après coup que la Grande Guerre aurait en fait « normalisé » l’Action française, l’ayant rendue moins subversive et plus conservatrice[52]. Il n’en reste pas moins que la « question du régime » devait certainement être bien loin des préoccupations premières des Français au lendemain d’une guerre dévastatrice et traumatisante, et qui signait en quelque sorte une victoire de la République. Convaincre la population du contraire était trop demander pour une organisation dont la structure était à reconstruire et dont les membres à rassembler voire à remplacer.

La concordance presque évidente des idées néoroyalistes avec l’atmosphère d’une guerre a mené les historiens à passer rapidement sur cette période de l’histoire de l’Action française. Mais comme nous venons de le voir, la Grande Guerre ne fut pas pour autant évidente pour ce mouvement.