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Il était prévisible que le cinquantenaire de la visite du général de Gaulle au Québec, dont le point d’orgue fut la retentissante petite phrase lancée du balcon de l’Hôtel de Ville de Montréal, soit l’occasion de rappels et de publications. Ont bien été au rendez-vous en 2017 des auteurs tels Olivier Courteaux, André Duchesne et Christophe Tardieu, lesquels ont des devanciers en Dale Thomson et Marine Lefèvre. Hormis l’essai de Tardieu, leurs ouvrages constituent des monographies fouillées faisant appel aux archives. Tous ont la facture d’un livre, de la cohérence interne à la longueur.
On ne saurait en dire autant du fascicule de Frédéric Seager, texte inclassable. Dès l’abord, sa minceur le différencie des publications précédentes. Autre détail : la photo sur la page couverture est identique à celle qui a été employée auparavant pour la couverture du livre de Courteaux. Passées les premières impressions, on demeure dubitatif devant le contenu. Outre la proximité chronologique entre la guerre de juin 1967 au Moyen-Orient et la visite du Général au Québec le mois suivant, l’association d’Israël et du Québec ne s’impose pas d’elle-même. Qu’y a-t-il de commun entre le conflit au Moyen-Orient et les tiraillements canado-québécois ?
Le lecteur se rend vite compte que le propos de l’auteur concerne moins le séjour laurentien du Général qu’un jugement sur sa carrière. Selon ce récit, de Gaulle aurait mérité de son pays durant la Seconde Guerre mondiale et depuis la fondation de la Ve République, mais seulement jusqu’en 1967. Il aurait alors gâché un bilan honorable en commettant deux fautes : critiquer Israël et prendre parti en faveur de l’indépendance du Québec. Aux yeux de l’auteur, il aurait dilapidé son capital politique dans le premier cas et fait de sa personne la risée du monde dans le second. Preuve en est, pour l’auteur, qu’Israël a gagné la guerre en 1967 et que le Québec n’est pas souverain.
Ainsi, le Général aurait doublement échoué, ses incursions verbales n’ayant été que des coups d’épée dans l’eau. Invoquant Bismarck, l’auteur considère la politique comme l’art du possible. On doit conclure que les convictions, les positions qui se démarquent des conceptions dominantes et les remises en question de l’ordre établi sont ipso facto futiles. Si ce raisonnement était transposé à 1940, de Gaulle n’aurait droit qu’à une condamnation mâtinée de condescendance pour son pari apparemment insensé de refuser une défaite pourtant si indiscutable. Juge-t-on de la valeur d’une position à la seule aune du cours des événements (et sur quel laps de temps ?) ou en prenant aussi en compte son contenu intrinsèque ? À côté du pragmatisme, y a-t-il des principes ? Est-il interdit de se dissocier des idées et des intérêts dominants de son époque ? Une réponse positive conduirait à désapprouver toute la carrière de De Gaulle, de ses démêlés avec le haut-commandement militaire durant les années 1930 à sa démission en 1969.
La publication réunit cinq chapitres allant de huit à quatorze pages, et un épilogue de dix pages. Son point de départ est l’année 1960. Le premier chapitre aborde la visite de De Gaulle à Ottawa, Québec, Montréal et Toronto en avril 1960. Puis il présente un aperçu de l’« alliance tacite » entre la France et Israël depuis 1950, les deux ayant pour ennemi commun le monde arabe. La France arme Israël et lui transfère la technologie nucléaire. Cependant les accords d’Évian de mars 1962 mettent fin à la guerre d’Algérie, sortent la France d’une logique anti-arabe et la distancient d’Israël.
Suit un chapitre d’observations diverses sur la colonisation et la décolonisation, avec une idée sous-jacente : le Canada ne permettra pas au Québec d’accéder à la souveraineté et Israël ne fera pas de concessions aux Palestiniens. On y lit : « si le colonialisme a connu tant de succès, c’est parce que les peuples colonisés l’ont accepté. Or l’inverse est valide tout autant. Si les colonies finissent par s’émanciper, c’est parce que les colonisateurs le veulent bien. » (p. 23-24). Tandis que la première phrase coupe le souffle, tellement elle ignore les révoltes anticoloniales, la seconde traduit une conception de l’histoire faite d’en haut. Les indépendances de l’Afrique subsaharienne et de l’Algérie seraient dues à la France. On comprend par anticipation que leur refus au Moyen-Orient et au Québec tient lieu de confirmation de la vanité des initiatives de De Gaulle.
Le chapitre suivant est consacré à la guerre de juin 1967, dont de Gaulle tient Israël responsable. Cette guerre est précédée d’une tension politico-médiatique pendant laquelle Israël se peint comme menacé dans son existence. De Gaulle, qui sait qu’il n’en est rien et qu’Israël est le plus fort sur le plan militaire, annonce que la France condamnera la partie qui tirera en premier. Le 5 juin, Israël déclenche les hostilités. La position française se distingue de celle, favorable à Israël, des autres pays occidentaux. L’auteur met l’accent sur la réaction pro-israélienne des Français de confession juive et soutient que de Gaulle n’avait pas l’appui majoritaire des Français. Le Général ayant développé sa critique d’Israël dans sa conférence de presse du 27 novembre 1967, l’auteur lui attribue la naissance du communautarisme en France.
On passe ensuite au séjour au Québec, chapitre narratif où il est écrit que la raison de lancer « Vive le Québec libre » résiderait dans la volonté de De Gaulle de provoquer une réaction à Ottawa afin de ne pas s’y rendre. Une répugnance gaullienne envers la capitale du Canada exigeait-elle un stratagème alors qu’une opportune indisposition diplomatique aurait suffi ? Toujours est-il qu’une nouvelle hypothèse s’ajoute au florilège entourant le fameux énoncé. Pour l’auteur, de Gaulle, en hérissant les Anglo-Canadiens, a joué le rôle de catalyseur de la politique anti-québécoise de Trudeau, couronnée par la Crise d’octobre 1970. D’après lui, une éventuelle indépendance du Québec pourrait donner lieu à une guerre civile. L’envoi de l’armée au Québec en octobre 1970 « n’aura été qu’un avant-goût de la répression qui risque de s’abattre sur la province si jamais elle a la témérité de proclamer sa souveraineté » (p. 68). À s’y tromper, le pronostic semble un brin comminatoire.
La toute dernière phrase du fascicule laisse songeur : « Globalement, la population de la France ne diminue pas, puisque le départ des juifs est compensé plus qu’adéquatement par l’arrivée des musulmans. Est-ce bien cela que de Gaulle voulait ? » (p. 74). Sachons gré à l’auteur de ne pas avoir, du début à la fin de ce singulier texte, dissimulé ses opinions sur de Gaulle, le Moyen-Orient et le Québec.