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Le doctorant en histoire Benoit Marsan propose ici un bref regard sur le rôle des communistes dans la lutte des sans-emploi à Montréal pendant les années 1930 à 1935. Ne faisant pas mystère de son engagement politique (Marsan est animateur du Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi), il cherche à démontrer que, grâce à « un programme de lutte » et à « son organisation de proximité des sans-emploi », le Parti communiste canadien a effectué « une percée auprès des sans-travail du Canada français » (couverture arrière). Utilisant surtout des sources communistes, comme le journal The Worker publié à Toronto, Marsan ne cherche pas à analyser l’ensemble du mouvement des sans-emploi au Québec ; ainsi, la contribution des autres partis politiques et des organisations non communistes n’est-elle que très partiellement prise en compte dans son étude.
D’entrée de jeu, il convient de mentionner que le projet de l’auteur souffre de quelques imprécisions. Souhaitant comprendre « comment s’articulait le mouvement des sans-emploi », il ne précise pas ce qu’il entend par l’« articulation » ni par le « mouvement ». S’agit-il d’une analyse des rapports entre ses diverses composantes, entre sa direction et sa base, entre ses participants et la société ? Quelle est son approche théorique, comment le concept de mouvement est-il pertinent ici, reprend-il, par exemple, la conception d’Alain Touraine des Mouvements sociaux d’aujourd’hui (1982) ? Le lecteur restera sur sa faim sur ces points pourtant essentiels à la démarche de l’auteur.
En introduction, l’auteur critique les historiens (sans les nommer) qui ont évalué l’impact du Parti communiste à la lumière de ses résultats électoraux ou de la faiblesse de ses effectifs. Or, si un parti n’a obtenu aucun résultat électoral significatif au cours des années 1930 et si ses effectifs ont stagné sinon régressé, notamment parmi les ouvriers francophones du Québec qu’il n’a jamais réussi à rallier, c’est peut-être que son impact a été négligeable. Mais Marsan veut nous amener à considérer le rôle des communistes dans le mouvement des sans-emploi, où les statistiques sur le membership et les victoires électorales ne font pas beaucoup de sens.
Passons rapidement sur les inévitables chiffres sur les salaires, le chômage, l’activité économique et la misère pendant la Crise, présentés dans le premier chapitre. Ce qui intéresse Marsan, c’est de mesurer l’impact des communistes dans le mouvement syndical et dans le mouvement des sans-emploi. Bien entendu, la marginale Ligue d’unité ouvrière (LUO), fondée par des communistes au Canada en 1929, est vue comme la seule organisation progressiste. L’auteur semble ignorer que des syndicats industriels regroupent les ouvriers sur des bases différentes des vieux syndicats de métier de l’American Federation of Labor, proposant une alternative progressiste, justement, au syndicalisme d’affaires. Mais le plus troublant dans cette glorification de l’action des communistes réside dans le refus de prendre en compte l’action des autres composantes du mouvement social qui intervenaient dans le combat des sans-emploi pour de meilleures conditions de vie et pour des secours plus appropriés à leur sort. Comme le dit Marsan, « sans entrer dans les détails » (p. 27), il effleure le rôle de la Cooperative Commonwealth Federation, de l’Association humanitaire et de l’Université ouvrière, qu’il classe à gauche, et celui des 76 Clubs ouvriers de la province qui sont relégués au rôle d’organismes de droite, voire fascisants, et il ne mentionne pas le rôle du Conseil des métiers et du travail de Montréal, pourtant fort actif sur le front du chômage.
Au chapitre deux, l’auteur s’identifie clairement au parti communiste qui, dit-il « se sent bien armé sur le plan théorique lorsque la crise frappe » grâce à l’analyse que l’Internationale communiste propose de la situation mondiale en 1928. Cette adhésion aveugle aux objectifs et aux actions des acteurs n’ajoute rien à l’analyse et en occulte tout esprit critique. Ainsi, la LUO « joue un rôle de premier plan » parce qu’elle organise une rencontre de quarante « délégués » censés « représenter » des syndicats et des organisations sur le front du chômage. Or, l’information provient d’une seule source, un article du journal The Worker. Quelles sont les organisations présentes, comment a-t-on procédé pour déléguer des représentants ? On l’ignore. Enfin, la thèse de l’auteur repose sur l’existence d’un « front uni », mentionné dans un document communiste, qui regrouperait des comités de voisinage fédérés sur des bases municipales, provinciales et canadiennes. Marsan fait cependant un aveu candide à la fin du chapitre en admettant que les sources ne permettent pas « d’identifier précisément comment cette dynamique organisationnelle se matérialise à Montréal » (p. 45).
Le troisième chapitre ne nous apprend pas grand-chose sur le mouvement pour la simple raison que les communistes sont à peu près absents de la scène montréalaise de 1930 à 1932. Le chapitre quatre, le plus intéressant de l’ouvrage, traite de la « consolidation du mouvement » au cours des années 1932 à 1935. Utilisant des sources plus variées, notamment des procès-verbaux de la Commission consultative du chômage et des bulletins de la Gendarmerie royale du Canada qui observait de près les événements présentant un potentiel subversif, Marsan relie les actions de comités de chômeurs dans les refuges montréalais, à celles des militantes de Solidarité féminine, mise sur pied par le Parti, et à celles des comités sur le logement. La présentation des nombreuses assemblées et manifestations de chômeurs est ici bien documentée, de même que les réactions des autorités qui mobilisent des ressources considérables pour écraser toute velléité de faire naître un mouvement communiste dans la province.
Que le Parti ait été « un acteur incontournable du mouvement des sans-emploi » est bien mis en évidence dans l’ouvrage de Marsan, malgré les limites énoncées plus haut. La percée communiste chez les francophones qu’il décrit est cependant exagérée et l’analyse des structures du mouvement des sans-emploi gagnerait à être approfondie.