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Cet ouvrage collectif est le fruit d’un colloque tenu au printemps 2008 dans le cadre du congrès annuel de l’Association francophone pour l’avancement du savoir (ACFAS) : Culture, histoire, identité : le Québec et l’Irlande, d’hier à aujourd’hui. L’événement a fait histoire, car c’était alors le premier colloque portant sur les études irlando-québécoises tenu en langue française. Cette belle idée avait d’abord germé dans l’esprit de l’anthropologue Isabelle Matte (Université Laval et d’Ottawa), qui s’est adjoint la collaboration de l’historien Simon Jolivet (Université d’Ottawa), dont les travaux sur les Irlandais au Québec sont bien connus. L’expérience a fait école, puisque l’année suivante la politologue Linda Cardinal (Université d’Ottawa) a repris le flambeau et organisé le second colloque dans la langue de Molière traitant des études irlando-québécoises. Depuis, cette rencontre savante annuelle représente une quasi-tradition chez les spécialistes du domaine.
Le titre de l’ouvrage collectif traduit bien son contenu. En effet, les directeurs de la publication poursuivent un double objectif : d’abord insérer la dimension québécoise dans le corpus savant traitant des Irlandais au Canada, mais surtout Cardinal, Jolivet et Matte chérissent l’idée de revenir aux thèmes proposés par le poète Gaston Miron au milieu des années 1980, à savoir « identité, autonomie et différence » qui semblent unir de manière continue le Québec et l’Irlande. Enfin, la religion et la langue en tant que marqueurs culturels et identitaires au Québec comme en Irlande traverseront tous les textes du recueil.
L’ouvrage, auquel onze chercheurs (issus de six disciplines) ont contribué, se découpe en deux parties et recouvre dix chapitres. En première partie : « Les crises et les accommodements », on aborde les thèmes des relations de travail à la fin du XIXe siècle, du catholicisme, de la langue, du nationalisme et des mouvements contestataires des années 1960. C’est notamment l’occasion de relever les points de jonction (et de disjonction) entre les communautés canadienne-française (comprendre québécoise) et irlando-québécoise catholique. Certains textes exposent également l’état des rapports sociaux et politiques à l’intérieur même de la communauté irlandaise canadienne, prenant ainsi l’occasion d’étudier la qualité des relations entre Irlando-Canadiens et Canadiens francophones (au et hors Québec) du milieu du XIXe au tournant du XXe siècle. L’approche historique domine ces quatre premiers chapitres. La seconde partie : « Imaginaires et représentations », propose des analyses comparatives d’oeuvres littéraires, cinématographies et musicales. Les auteurs s’appliquent surtout à illustrer « l’irlandicité du Québec ». Les arts, mais également le discours populaire relaté dans les journaux bas-canadiens francophones (1822-1837), serviront à apprécier la prégnance de ce concept dans la société québécoise depuis près de deux siècles. Ce sera notamment l’occasion de revisiter James Joyce, Hubert Aquin et Jacques Ferron, mais également Gilles Carle, André Forcier et Neil Jordan. L’on retrouvera ou découvrira Ti-Jean Carignan, violonneux de son état, et Martin « Junior » Crehan, compositeur et folkloriste irlandais, résistant au cours des années 1920 et 1930 au diktat de l’Église catholique en matière de musique et de danse.
L’ouvrage s’ouvre avec l’historien Peter C. Bischoff (Université d’Ottawa) qui, dans son chapitre « Les Irlandais et les Chevaliers du travail à Montréal, 1882-1890 », fait état du rôle de la 3e génération d’ouvriers irlandais (1880-1890) installés au Québec dans la création, le développement et l’expansion de l’Ordre des Chevaliers du travail d’abord à Montréal, puis à travers le territoire québécois. Grâce à une étude minutieuse de sources jusqu’ici encore inexploitées – quatre annuaires d’organisations syndicales montréalaises, et de publications officielles des Chevaliers, notamment – Bischoff propose un portrait extrêmement dynamique du militantisme syndical irlandais au Québec au cours de la décennie 1880. On y découvre qu’au moment où une dynamique d’opposition de type patronat/syndicats s’installe à la fin des années 1870, deux Irlandais, William Keys et John F. Redmond, veilleront à unifier les travailleurs, au-delà des appartenances linguistiques ou de métiers, dans le but de résister à l’oppression, qu’elle soit d’origine patronale ou ecclésiastique. Parmi les éléments constitutifs de la thèse de Bischoff, on retrouve le rôle primordial joué par les Irlandais dans l’enracinement durable de l’Ordre au coeur de l’économie québécoise, de même que leur implication bénéfique à titre d’intermédiaires auprès des autorités ecclésiastiques catholiques.
Le chapitre 2, « Les relations des Irlandais et des Canadiens français à l’aune des archives vaticanes », rédigé par Matteo Sanfilippo (Università di Viterbo), est riche en sources primaires et secondaires. Il nous informe notamment sur le fait que pour la période allant de 1608-1939, les archives vaticanes sont généreuses en renseignements sur l’Amérique du Nord. L’étude de Sanfilippo couvre une centaine d’années (1830-1935) des moments marquants de l’histoire des relations entre catholiques irlandais et canadiens-français, et de leur compréhension par le Saint-Siège. Précisons que l’appellation Canadiens français réfère ici aux francophones du Canada, voire aux catholiques « canadiens-français en Amérique du Nord ». Il semble que le fait d’être coreligionnaires n’a pas rapproché les deux communautés, au contraire. Chez Sanfilippo, tout comme à la lecture du chapitre 3 de Linda Cardinal et Simon Jolivet, « Nationalisme, langue et éducation : les relations entre Irlandais catholiques et Canadiens français du Québec et de l’Ontario », on saisit que la volonté de l’élite irlandaise de s’insérer de manière significative dans la communauté politique canadienne (nationalisme canadien-anglais) mènera à des conflits entre les Canadiens francophones et les Irlandais catholiques, rendant impossible une union authentique et durable entre les deux entités que constituaient les Irlandais et les catholiques. Le politique et l’identitaire, l’influence des rapports minoritaires/majoritaires constituaient des enjeux trop importants pour toutes les parties en cause, tant au Canada, qu’au Québec.
Pour sa part, André Poulin (Université de Sherbrooke) dans le chapitre 4, « L’Irlande du Nord et le Québec dans les années 1960 : deux sociétés à la croisée des chemins », fait l’analyse historiographique de trois ouvrages qui proposent des études comparatives de l’Irlande du Nord et du Québec au moment des conflits de cette décennie. Les travaux des trois auteurs que sont Katherine O’Sullivan See (1986), Wayne G. Reilly (1994, 1995) et Garth Stevenson (2006) posent les questions suivantes : pourquoi la violence et « la force d’inertie triomphent-elles en Irlande du Nord », alors « qu’au Québec le changement fait consensus » ? L’exposé de Poulin se termine sur le constat que les principales communautés des deux nations étaient divisées sur les plans politique, économique, social et culturel, héritage de la Conquête britannique.
Dans la seconde partie de l’ouvrage collectif, il est question de la présence marquée et marquante de l’Irlande dans l’imaginaire québécois. Ce deuxième temps de l’Oeuvre débute avec l’analyse inédite d’Isabelle Matte du film Je me souviens (2009), réalisé par le cinéaste iconoclaste André Forcier (chapitre 5). Matte analyse en détail le récit filmique de Forcier afin de faire ressortir les liens réels et imaginés entre le Québec et l’Irlande. Ces liens sont ici de l’ordre de l’intime. C’est l’occasion pour Forcier d’illustrer la réalité des Irlandais immigrés au Québec et qui sont demeurés en milieux canadiens-français, et de proposer une alliance volontaire entre Québécois et Irlandais (alliance qui leur donnera respectivement accès à la liberté et qui ouvre de nouvelles possibilités identitaires). Cette évocation d’un passé historique bien réel, mais parfois oublié, est également l’occasion pour l’anthropologue de souligner que l’intégration des Irlandais à la culture québécoise francophone n’a pas oblitéré leur héritage culturel « qui attend toujours d’être mieux compris dans l’histoire du Québec ».
À propos du partage de l’intime, Kester Dyer (Université Concordia) porte son regard sur deux oeuvres cinématographiques qui ont utilisé la référence au miraculeux afin de montrer la place prépondérante du catholicisme dans la formation des consciences tant au Québec qu’en Irlande. Dyer décrit notamment, par une analyse comparative savante de Carle (1972) et de Jordan (1997), le transfert de la fonction du miraculeux de la religion au virtuel (télévisuel). Ainsi, La vraie nature de Bernadette et The Butcher Boy participeraient à la fin de la tradition catholique dominante dans des sociétés en plein processus de modernisation.
Le legs culturel irlandais s’exprime également de manière ostensible dans les analyses fines de l’interculturalité en matière de musique et de langue dans les textes de Gearóid Ó hAllmhuráin (Université Concordia), « Démons violoneux contre prêtres vociférants : espace musical et hégémonie morale dans les campagnes irlandaises et québécoises » (chapitre 7) et de Marc Chevrier (Université du Québec à Montréal), « Victor-Lévy Beaulieu, James Joyce, les langues et le Québec hibernien » (chapitre 8).
Pour leur part, les deux chapitres de clôture rappellent la contribution de l’inspiration irlandaise dans les luttes politiques bas-canadiennes/québécoises. Que ce soit lorsque Mary Haslam (Université de New York), dans « La période pré-rébellion : l’imaginaire irlandais au Québec, 1822-1837 » (chapitre 10), s’attarde au discours populaire réformiste au début du XIXe siècle, ou dans un possible rapprochement entre les mouvements des Fenians, du Sinn Féin et du FLQ, dont fait état Jerry White (Université Dalhousie) dans son chapitre, « Sauver le Québec, sauver l’Irlande : Jacques Ferron et l’effelquois atlantique ».