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Il ne faut pas s’étonner que Robert Gagnon ait eu l’idée de rédiger la biographie d’Urgel-Eugène Archambault (1834-1904), enseignant, principal de l’Académie du Plateau et directeur des études à la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM) de même que fondateur de l’École polytechnique. Le personnage n’avait plus de secret pour lui puisqu’il a déjà écrit l’histoire de ces deux institutions dans lesquelles U.-E. Archambault s’est illustré sur plusieurs plans. Cet ouvrage nous fait connaître un éducateur qui a bénéficié de l’appui d’« hommes de pouvoir » qui croyaient en l’instruction publique. C’est d’ailleurs ce que l’auteur démontre tout au long de cet ouvrage. La riche correspondance d’Archambault a permis de mieux saisir la nature de l’homme et de jeter un nouveau regard sur ses projets.
En premier lieu, l’auteur tient à préciser le contexte politique et social de la première moitié du XIXe siècle : la législation scolaire, l’importance du rôle de l’Église dans le champ de l’éducation et l’état des mentalités à cette époque. C’est la teneur du premier chapitre. Les trois autres s’enchaînent en abordant les différents rôles joués par l’administrateur, le promoteur de l’ingénierie en français et le défenseur de multiples causes en lien avec ses responsabilités et ses idéaux. Finalement, derrière l’homme public, il y a la vie privée et ses aléas.
En 1851, il obtient son premier poste d’instituteur rural. Six ans plus tard, il s’inscrit à l’École normale Jacques-Cartier et obtient le diplôme modèle d’enseignement. En 1859, il est engagé par le Bureau des commissaires de Montréal. Commence alors sa carrière dans une ville en pleine expansion en ce début d’industrialisation. À l’arrivée d’Archambault, la CECM gère neuf écoles dont sept dirigées par des laïques. Il existe d’autres établissements d’enseignement privés, pour la plupart, sous la direction de communautés religieuses. Une loi votée en 1868 accorde aux commissaires urbains le droit de percevoir une taxe scolaire. L’expansion des écoles montréalaises peut vraiment commencer avec la construction de plusieurs édifices. En 1873, devant l’ampleur de la tâche, les commissaires ajoutent aux fonctions du directeur de l’Académie celle de surintendant des écoles afin d’uniformiser l’enseignement et, entre autres choses, établir un programme d’études.
Cet homme ambitieux ne rate aucune occasion de s’enrichir intellectuellement. Un voyage d’études aux États-Unis, en 1870, lui permet de consolider ses idéaux en matière d’instruction publique. Il y puise de nombreuses idées (instruction obligatoire, étude des sciences pour les jeunes gens, meilleures conditions de travail des enseignants) qui alimenteront ses projets futurs. Si les collèges classiques forment des médecins, avocats et notaires, il faut, selon lui, des établissements pour former des géologues, chimistes, ingénieurs, ouvriers spécialisés, commis et hommes d’affaires. C’est ce qui le motive en proposant la création d’une école polytechnique en 1873. Sans l’acharnement et la créativité d’Archambault pour trouver une assise universitaire à son école, l’enseignement polytechnique en français ne serait pas né au XIXe siècle.
Cette biographie met également en lumière les efforts d’un homme pour briser les chasses gardées : la puissance des ultramontains qui veulent concentrer l’instruction des catholiques aux seules congrégations religieuses, celle de la commission scolaire protestante toujours mécontente du partage des revenus de la taxe scolaire ou des professeurs de McGill jaloux de leur enseignement en ingénierie. Son témoignage de cinq jours en 1883 à la première Commission royale d’enquête sur l’administration des écoles de Montréal révèle la puissance de ces enjeux. À l’automne 1882, il avait dû contrer les attaques d’appartenance à la franc-maçonnerie et de laïcisme à la fois auprès de Mgr Laflèche et de Mgr Langevin, membres d’office du Conseil de l’instruction publique.
Robert Gagnon a bien fait ressortir les traits de son personnage isolé dans son fief montréalais, voire unique dans le paysage de l’instruction publique. Exception faite des attaques personnelles fort bien documentées, l’auteur aurait pu élargir la question de l’enseignement commercial aux jeunes garçons par des laïques qui rivalisait avec celui des frères éducateurs offert dans plusieurs de leurs établissements au Québec et qui débordait le cadre de la CECM. L’audace du directeur de l’Académie aurait été davantage mise de l’avant. De même son intérêt pour la formation des maîtres et leurs conditions de travail trouve écho dans les rapports des surintendants et ceux des inspecteurs d’écoles qui reviennent annuellement sur ces questions. Archambault devait probablement s’inspirer de leurs discours.
S’il peut compter sur des appuis soit au département de l’Instruction publique ou encore à la CECM, il y a une exception pourtant. Le projet de loi qu’il prépare pour le surintendant concernant le fonds de pension des instituteurs rencontre un adversaire de taille, le président de sa propre corporation scolaire, l’abbé Victor Rousselot, un ultramontain. Ce dernier exige, avec succès, que des amendements favorisant davantage les institutrices y soient apportés. Après tant d’efforts consacrés à ses diverses entreprises, l’administrateur doit s’arrêter. Il planifie un voyage de repos, en 1883, grâce à une bourse de 1200 $ versée par des amis, car il « a su gagner l’estime d’une bonne partie de l’élite politique conservatrice de même que de l’intelligentsia canadienne-française et nationaliste » (p. 235).
L’auteur considère qu’Archambault « est bien de son temps ». L’analyse du personnage par thèmes s’avère efficace malgré les redites inévitables. En introduction, Robert Gagnon craint qu’écrire une biographie ne soit d’un genre mineur. S’insinue alors un doute dans l’esprit du lecteur, doute qui s’estompera au fur et à mesure de sa lecture. Est-ce vraiment nécessaire de reprendre cette discussion d’il y a quelques années ? Une étude quelle qu’elle soit se juge à ses résultats. Or, cet ouvrage démontre bien qu’Archambault mène sa carrière comme il n’aurait pu la mener en milieu rural et les institutions qu’il met sur pied sont pérennes. Il est vrai qu’il fait la promotion des instituteurs sans vraiment faire celle des institutrices, mais elles y arriveront avec Laure Gaudreau.
Il était temps de rencontrer un tel homme et de partager ses combats. Urgel-Eugène Archambault est un personnage qui a su mener à terme ses projets dans le contexte sociopolitique montréalais. Nous avons apprécié le ton plus intimiste du dernier chapitre, tout en nuances étant donné les événements racontés. Robert Gagnon y aborde une autre facette de cet homme préoccupé par sa carrière et la construction d’un réseau social, mais un peu moins attentif à sa famille. Ce volet plus personnel ajoute à la connaissance du personnage. Nul doute que cet ouvrage comble un vide. Voilà un nouveau portrait dans la galerie des personnalités qui ont façonné notre histoire de l’éducation qui intéressera un grand nombre de lecteurs.