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L’historien John T. Saywell, véritable modèle du scholar anglo-canadien de la deuxième moitié du XXe siècle, s’est beaucoup investi dans la revue d’affaires publiques Canadian Annual Review, a aussi contribué pour une part considérable à l’organisation facultaire de York University, tout en étant reconnu pour ses travaux novateurs sur le fédéralisme canadien. Ceux-ci laissent toutefois filtrer un nationalisme subtil où État fédéral et État national se confondent. Les textes réunis ici doivent faire honneur à ces travaux, tout en les prolongeant.
Plusieurs textes traitent de points de friction entre les deux niveaux de gouvernement à différentes périodes, et sur des sujets variés. Tantôt, en prenant le point de vue d’une province, soulignant par exemple la cohérence de la position du Premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Angus Macdonald, en matière de redistribution des richesses, qui tente pendant près de dix ans, sans succès, de donner vie aux recommandations du rapport Rowell-Sirois (Henderson). Ou en cherchant les premières ébauches de l’idée de péréquation, que Penny Bryden trouve dans les positions de l’Ontario des années 1950 où s’exprime une vision, alternative à celle du gouvernement fédéral, du problème de l’inégalité économique des provinces.
Tantôt, on expose comment les deux niveaux de gouvernement ont bataillé pour rejeter sur l’autre la responsabilité du bien-être d’une population. Une bande d’Autochtones, des Anishinabes du lac Nipigon, est ainsi laissée en plan parce que le gouvernement Hepburn, profitant d’ambiguïtés constitutionnelles, préfère le pied de nez au fédéral, en favorisant un exploitant forestier, plutôt que d’autoriser l’extension de la réserve aux terres de la Couronne adjacentes (Mark Kuhlberg). Dans les années 1930, les gouvernements King et Bennett, au fédéral, et le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique ont échoué à mettre sur pied de véritables politiques d’intervention sociale, se contentant de soutenir chichement et temporairement les chômeurs de la province. Mais ici, Richard Rajala ne voit pas que c’est moins la division constitutionnelle des pouvoirs, comme chez Kuhlberg, qui sert de prétexte à l’inaction gouvernementale, que la profonde adhésion à la doctrine du laissez-faire économique des hommes politiques, tous gouvernements confondus.
Les frictions entre le gouvernement fédéral et les provinces s’observent également dans le champ économique. Bien qu’Ottawa consulte les provinces pouvant être affectées par ses ententes commerciales internationales, les délégations fédérales refusent de considérer comme des égaux les représentants que les provinces dépêchent aux tables de négociation. Les frustrations provinciales atteindront un sommet en 1980 avec l’adoption du Programme énergétique national de Pierre Elliot Trudeau, pour s’adoucir ensuite considérablement pendant les négociations menant au libre-échange américain de l’ère Mulroney. Pour Bruce Muirhead ici, comme pour les autres contributeurs, le principe de la préséance fédérale sur les provinces apparaît toujours comme la solution aux difficultés d’harmoniser les relations entre les deux niveaux de gouvernement, ou comme l’évolution inévitable et souhaitable du fédéralisme canadien.
Selon Michael Behiels, autre exemple de cette vision, il a fallu attendre la sagacité politique de P. E. Trudeau pour que s’implante une culture politique fondée sur les droits humains, et que la réelle souveraineté du pays repose enfin dans son peuple, plutôt que dans ses parlements, pour que soit résolue l’embarrassante paralysie du gouvernement fédéral qui n’arrivait pas à imposer aux provinces, dans leurs domaines de juridiction, les conséquences des engagements internationaux du Canada en matière de droits de l’Homme. Dans le domaine de l’éducation postsecondaire, il y aurait aussi lieu de se réjouir, selon Paul Axelrod, des intrusions du pouvoir fédéral de dépenser : grâce à elles, les programmes de financement ont été nombreux à favoriser la croissance économique. Cette économie du savoir, par laquelle les universités produiront supposément une révolution économique, laisse cependant en plan les sciences sociales, lesquelles attirent pourtant la majorité de la « clientèle » universitaire.
Deux contributions touchent le système judiciaire. Black Brown déconstruit l’argumentation de la Cour suprême dans son jugement sur la « sécession du Québec » : les juges ont magnifié les facteurs historiques corroborant leur propre vision de la Confédération, à savoir que celle-ci fut un moyen de protéger les minorités, se gardant d’évoquer ceux qui la contredisaient, un George Brown, par exemple, qui y voyait au contraire le moyen de libérer le Canada-Ouest de l’influence encombrante des francophones. La Cour souligne la valeur des institutions démocratiques à l’origine de la Confédération, mais sans mentionner les pressions excessives exercées par Londres sur les colonies, ni l’élection d’un gouvernement sécessionniste en Nouvelle-Écosse au lendemain de son adhésion forcée, ni que Terre-Neuve et l’Île-du-Prince-Édouard ont maintenu leur refus d’adhérer en dépit des mêmes pressions formidables (Brown). Quant à Peter Russell, il voudrait voir réformer notre système judiciaire, de telle sorte que chaque province fusionne ses cours « inférieures » dans ses cours supérieures, et que tous les juges, pas seulement ceux de la Cour suprême, soient nommés par Ottawa.
En somme, les contributions de cet ouvrage semblent partager une même conception du fédéralisme canadien : cette idée, peu fédérative, que la division des pouvoirs en deux niveaux de gouvernement est source de problèmes, ou en tout cas de complications, et qu’elle appelle en contrepartie la préséance du gouvernement central dans tous les domaines de compétence. Les contributeurs oublient donc qu’au coeur des discussions des Pères de la Confédération, les provinces maritimes, comme plus tard la Colombie-Britannique, étaient jalouses de leur autonomie et de leur individualité politique. La présente conviction des contributeurs que le centralisme fédéral s’impose « naturellement », et depuis le début, est certainement le point aveugle de cette réflexion sur le fédéralisme qui procède de ce qui « va de soi » au lieu de l’interroger, et qu’on reçoit comme le regret inavouable de ne pas avoir un État canadien unitaire, plutôt qu’une fédération multinationale. En cela, peut-être plus qu’en autre chose, les contributeurs s’inscrivent-ils effectivement dans le sillage des travaux de John T. Saywell.