Abstracts
Résumé
Donner une place dans l’histoire à des personnages et à des groupes oubliés, c’est un peu le pain et le beurre du travail des historiens et des historiennes. Il y a des personnages qui ont cependant laissé si peu de traces qu’il faut parfois suppléer à l’absence de sources pour tracer leur portrait. Cet article se propose de questionner la quasi-absence de la mémoire collective et institutionnelle de soeur Catherine Demers et de mettre en lumière le rôle de fondatrice de cette couturière qui a consacré près d’un demi-siècle à la communauté des Soeurs de la Charité de l’Hôpital général de Montréal.
Abstract
Giving forgotten groups and individuals a place in history is in many ways the bread and butter of the historian’s work. But since some individuals have left so few traces, it becomes necessary to compensate for a lack of sources when drawing their portrait. This article will question the virtual absence of Sister Catherine Demers from the collective and institutional memory while shedding some light on the role played by this seamstress who spent almost half a century among the Sisters of Charity of the General Hospital of Montreal (the Grey Nuns).
Article body
C’est un lieu commun. La mémoire, qu’elle soit individuelle ou collective, tend à faire le tri dans ce qu’elle retient à long terme. Voilà la source du fameux dicton « la mémoire est une faculté qui oublie ». Donner une place dans l’histoire et dans la mémoire à des personnages et à des groupes oubliés, que l’on pense aux ouvriers, aux Afro-Américains ou aux femmes par exemple, c’est un peu le pain et le beurre du travail des historiens et des historiennes, professionnels ou non[2]. Il y a des personnages qui ont laissé si peu de traces qu’il faut parfois suppléer à l’absence de sources pour tracer leur portrait[3]. Que penser alors d’une discrétion historique qui serait, du moins en partie, auto-infligée ? Le Régime français montréalais offre un tel cas de figure : la vie ici-bas et posthume de Marie Catherine Demers Dessermon. Cet article se propose de questionner sa quasi-absence de la mémoire collective et institutionnelle et de mettre en lumière le rôle de fondatrice de cette femme qui a consacré près d’un demi-siècle à la communauté des Soeurs de la Charité de l’Hôpital général de Montréal (dites Soeurs Grises[4]).
Les biographies édifiantes de mère d’Youville, fondatrice attitrée, lui attribuent la responsabilité et le mérite de la fondation de la communauté et de la prise en charge de l’hôpital des Frères Charon. Pourtant, trois autres femmes collaborent à la mise sur pied de cette oeuvre charitable. Catherine Demers est l’une d’elles. Les deux autres sont Louise Thaumur de Lasource et Catherine Cusson[5]. Soeur Demers n’aurait jamais occupé de charge officielle, du moins il n’en reste aucune trace dans les archives que nous avons pu consulter à la communauté[6]. Elle a sans aucun doute joué un rôle indispensable. Elle fut une compagne des premières heures de l’aventure de Marguerite d’Youville, une couturière dont le travail a fait vivre la communauté naissante composée de quatre soeurs. Effacée de son vivant elle l’a aussi été, dans les deux sens du terme, depuis son décès. D’une part, elle n’a pas fait l’objet d’une nécrologie ni d’une biographie et son maigre dossier aux archives de la communauté lui attribuait des parents qui n’étaient pas les siens. D’autre part, l’historiographie en parle à peine.
Albina Fauteux, mémorialiste de la communauté, nous fournit une piste pour expliquer cette absence : « On ne voit en aucun endroit de nos mémoires, que cette vénérée doyenne [Catherine Demers] ait été appliquée à quelque charge importante de la maison. Les soins du ménage et l’économie domestique ont peut-être absorbé la plus grande partie de son temps. Mais à voir “l’esprit de foi qui animait toute sa conduite”, on peut se faire une idée de la perfection de ses moindres travaux. Dans les humbles fonctions, soeur Demers avait, tout à la fois, exercé et conservé l’activité de sa jeunesse[7]. » Ignorant qui étaient ses véritables parents, Albina Fauteux ne pouvait connaître le métier qu’avait exercé Catherine Demers. Elle croyait donc, comme on le suppose de toute fille célibataire, que s’étant occupée des tâches ménagères dans la maison de son père, elle faisait de même à l’Hôpital.
Notre projet de recherche à la maîtrise concernait les couturières à Montréal au xviiie siècle. C’est le hasard qui nous a conduite à nous intéresser à Marie Catherine Demers Dessermon, couturière présente dans les livres de comptes du marchand Lemoine dit Monière. Sa participation à la fondation des Soeurs Grises était inconnue des religieuses. Les difficultés rencontrées pour retracer sa contribution à la communauté nous ont amenée à nous questionner sur son absence. Puisqu’il y a plusieurs Catherine Demers à Montréal à cette époque, nous avons même douté un moment de l’identification de la couturière que nous retrouvions entre 1732 et 1746 dans les livres de comptes de Monière. Nous n’arrivions pas à comprendre comment une religieuse pouvait se retrouver dans la comptabilité du marchand sans être identifiée comme telle, puisque c’était le cas des Hospitalières de l’Hôtel-Dieu et des Filles de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal dans les mêmes cahiers. Il y a toutefois une seule Catherine Demers dite Dessermon à Montréal et les Soeurs Grises ne changent pas de nom en devenant religieuses. De plus, au cours de ces années, la communauté est contestée localement et elle n’est pas reconnue par l’administration coloniale. La couturière Demers disparaît des livres du marchand Monière au moment où les Soeurs Grises prennent charge de l’Hôpital général en 1747. Tous ces détails ont permis de confirmer l’identification de la soeur Demers[8].
Nous nous proposons de voir ici qui a eu le pouvoir d’effacer la contribution de Catherine Demers et quels pourraient être leurs motifs. Bien sûr, le curé Dufrost, fils de Marguerite d’Youville, admire sa mère, mais il y aurait une autre raison. Nous soupçonnons que cette tradition ignore soeur Demers en particulier parce qu’une de ses contributions importantes serait d’avoir mis sur pied et d’avoir supervisé la production de vêtements à l’extérieur de la communauté. Cette image va à l’encontre de celle de toutes les soeurs se consacrant à la couture, si centrale au récit des débuts héroïques de la communauté. Il y aurait deux effacements allant de pair : le souvenir de Catherine Demers et celui de son « entreprise » à l’intérieur de la communauté. Mais ces effacements sont peut-être l’oeuvre de Catherine Demers elle-même. Discrète, celle des quatre fondatrices qui a oeuvré le plus longtemps au sein de la communauté a eu le pouvoir d’influencer la rédaction de la première histoire manuscrite des Soeurs Grises par Charles Dufrost qu’elle a connu enfant. Elle a pu mettre de l’avant, en plus de mère d’Youville, la soeur Cusson et la soeur Lasource, ses compagnes des premières années et s’effacer de la mémoire collective. Ironie donc : ceux et celles qui façonnent la mémoire institutionnelle et collective ont peut-être leurs propres raisons de l’effacer, mais ce faisant, ils respectent sans doute les volontés de la principale concernée. Effacement donc qui étonne pour une cofondatrice de communauté.
C’est peut-être la biographie de Catherine Demers, religieuse mais aussi couturière, qui finalement livrera une clé importante de l’énigme de son effacement[9]. Ce qui revient à dire que, dans cet article, il nous faudra tenter de déjouer les mécanismes de l’oubli tout en les observant à l’oeuvre. Mais avant d’étoffer le récit de cette vie obscure, à partir de sources éparpillées, parfois familières mais souvent ignorées[10], il importe de saisir les quelques miettes qu’histoire et mémoire ont retenues du parcours de Catherine Demers. Miettes qui malgré tout la situent par rapport à la fondation des Soeurs Grises, objet d’un récit mythifié.
Les premiers récits et les mythes fondateurs
Les textes fondateurs pour l’histoire de la communauté sont des manuscrits du curé Charles Dufrost. Le premier récit devait servir à l’édification des soeurs et à la conservation de la mémoire de Marguerite d’Youville après sa mort en décembre 1771 et couvrait les années 1701 à 1753[11]. L’auteur s’attarde sur les qualités de la fondatrice[12] et sur les défis de gestion[13]. Claudette Lacelle admet que « le ton de la biographie est admiratif[14] », mais l’auteur pragmatique ne penche pas vers l’hagiographie. Les Mémoires pour servir à la vie de Mme d’Youville, tirés pour la plupart des dépositions des soeurs Despins, La Source, Rinville, de Mme Gamelin et d’une autre soeur couvrent les douze dernières années de mère d’Youville (soit 1759-1771). Ce texte, rédigé après l’installation de Charles Dufrost à Boucherville en 1774, a été retrouvé au début du xixe siècle dans les papiers d’un autre curé[15]. Nous croyons que la soeur anonyme est soeur Catherine Demers auprès de laquelle Charles Dufrost a vécu tout enfant en compagnie des autres qu’il nomme[16]. À la suite de l’utilisation de ces documents par les mémorialistes, l’histoire traditionnelle a retenu avec admiration, de l’époque héroïque des Soeurs de la Charité de Montréal, le travail de la fondatrice[17].
L’Hôpital général de Montréal, fondé par les Frères Hospitaliers de la Croix et de Saint Joseph sous la gouverne de François Charon de la Barre en 1692, se retrouve en difficulté à la mort du fondateur. Une tentative de passer l’oeuvre aux Frère des Écoles chrétiennes a échoué en 1737, l’année même où se forme à Montréal une petite congrégation de femmes qui souhaitent se dévouer aux soins des pauvres. Des gens importants, dont les beaux-frères de Marguerite d’Youville, s’opposent à l’intention qu’on prête aux Sulpiciens de remplacer les Frères Hospitaliers par les nouvelles associées à la direction de l’Hôpital général. On a parlé de toutes sortes de motifs pouvant justifier cette pétition de 1738. L’un des beaux-frères, Ignace Gamelin II, est l’époux de Louise Dufrost et le neveu du marchand Monière qui n’a pas signé cette pétition. Pierre Gamelin Maugras, époux de Clémence Dufrost, est un cousin d’Ignace II. Il faudrait vérifier si l’un des beaux-frères a été nommé subrogé tuteur des enfants mineurs au décès de Pierre You, la mère étant la tutrice. Cela pourrait expliquer leur geste, car ils auraient peut-être alors voulu protéger le patrimoine maternel des enfants, par exemple les concessions accordées à Marguerite d’Youville par sa mère en 1735[18].
Il faudrait aussi s’interroger sur d’autres rumeurs concernant les associées qui pouvaient courir. Catherine Demers vient d’avoir part à un procès intenté à son père pour faillite frauduleuse en 1737 dont nous reparlerons plus loin. La mère de Marguerite d’Youville vient d’obtenir une séparation de son deuxième époux, le violent Timothée Sullivan dit Sylvain[19]. Vise-t-on vraiment la nouvelle société ou s’oppose-t-on aux seigneurs de l’Île ? De toute manière, ce sont les soeurs qui sont victimes de quolibets et de calomnies, à qui les Récollets refusent la confession et qui ont des difficultés à trouver à se loger[20].
Après des années d’épreuves et un incendie, les associées se voient confier provisoirement la gestion de l’Hôpital en faillite en 1747[21]. L’autorité royale ne veut cependant pas accepter la création de nouvelles communautés dans la colonie et les autorités coloniales craignent que la mort de la fondatrice, sur qui tout semble reposer, n’entraîne la dissolution de la société et un second échec pour l’Hôpital général. L’intendant Bigot, le gouverneur La Jonquière et l’évêque ordonnent en 1750 la réunion de celui-ci avec l’Hôpital de Québec[22]. La population de Montréal s’émeut, des protestations s’élèvent, « les personnes les plus qualifiées de la ville[23] » envoient une pétition. L’intervention de M. Couturier, supérieur de la compagnie de Saint-Sulpice à Paris, auprès de la Cour semble avoir été déterminante pour que le roi accorde enfin des lettres patentes à la communauté. Les administratrices s’engagent en contrepartie à liquider les dettes évaluées à plusieurs milliers de livres et à faire bien gérer l’hôpital qui leur est confié à nouveau en 1753.
Dans l’ombre de cette « femme forte[24] » qu’est Marguerite d’Youville, les religieuses ordinaires sont campées dans le rôle de soignantes[25] et de couturières[26]. D’une certaine façon, l’historiographie plus récente sur les religieuses des autres communautés féminines a conservé cette vision dichotomique en s’intéressant, par exemple, aux réseaux et au pouvoir des supérieures tout en reléguant à des portraits globaux les besogneuses, les soeurs ordinaires[27]. Dans un article consacré à la féminisation des ouvrages de main, Nicole Pellegrin décrit comment la « spiritualité de l’aiguille » a vu le jour. D’une part, l’hagiographie laïque et dévote des temps modernes a donné un sens à la prolifération aux xvie et xviie siècles d’images qui montrent de nobles femmes tenant un ouvrage. « Ces récits décrivent des usages très particuliers du quotidien […]. On oublie trop souvent que la finalité de ces “peintures” est d’exalter des conduites encore rares et d’en inculquer le modèle au plus grand nombre[28]. » D’autre part, le travail manuel a été pour tous les fondateurs d’ordre religieux, un exercice de pénitence et d’humilité.
La littérature hagiographique de la Contre-Réforme et la correspondance des fondatrices avec leurs confesseurs semblent montrer le caractère d’exception de la pratique des travaux d’aiguille parmi l’ensemble des femmes. Parfois considérée comme une activité « noble » pour les jeunes filles de milieux privilégiés, elle est encore si peu commune au xviie siècle qu’elle devient un critère distinctif de sainteté[29].
Les travaux à l’aiguille auxquels on fait allusion dans ces textes sont la broderie et le petit point plutôt que la confection du linge. Il semble que les mémorialistes canadiennes du xixe siècle voient toujours dans les ouvrages de couture une activité sanctifiante pour les dames de qualité, comme le montrent les remarques sur le raccommodage pour les pauvres de l’Hôpital par madame d’Youville et par les pensionnaires payantes. Cette lecture de l’histoire a façonné la mémoire officielle de la communauté en insistant sur le travail de couturières des premières soeurs.
Marguerite d’Youville revêt les traits convenus de la femme noble mais pauvre, convaincue de sa mission, celle qui est prédestinée[30], forte devant l’adversité, devant l’autorité. Lorsqu’elles ont droit à leur tour à quelques coups de pinceau, deux de ses compagnes de la première heure semblent elles aussi s’insérer dans un tableau édifiant. Catherine Cusson est son antithèse, la fille fragile et pieuse, d’humble origine, emportée trop tôt. Même Louise Thaumur de Lasource qui a hésité avant de se laisser convaincre a son auréole[31]. Elle est l’amie de Marguerite d’Youville, sa dame de compagnie, son infirmière, son bras droit. Soeur Lasource est nommée assistante en 1755 « de l’assentiment de toutes [elles sont alors dix soeurs professes], et au grand consentement de Mme d’Youville qui appréciait plus que personne sa vertu, et en avait fait jusque là son intime conseillère[32] ». Quant à Catherine Demers, elle aussi a droit à quelques mentions, mais fragmentaires, non sans erreurs. Comme on ignore à peu près tout d’elle, elle ne peut pas s’enrober facilement de traits mythiques.
Soeur Demers dans l’historiographie
Les biographies de mère d’Youville et les histoires de l’Hôpital général parlent peu de soeur Catherine Demers. Il fut une époque où l’on reconnaissait toutefois que Catherine Demers avait participé à la fondation de la communauté. Charles Dufrost, fils et premier biographe de madame d’Youville qui a côtoyé Catherine Demers durant sa petite enfance, la mentionne comme étant associée de la congrégation de filles séculières lors de sa fondation[33]. Les supérieures des Soeurs Grises et les Sulpiciens qui, au xixe siècle, ont lentement préparé le dossier de béatification de Marguerite d’Youville[34] mentionnent que Catherine Demers a signé à partir de 1737 divers documents qui participent de la fondation de la communauté[35]. Dans sa biographie de mère d’Youville, Albertine Ferland-Angers écrit que lorsque Mgr Montgolfier présenta les nouvelles règles à la communauté en 1781, les soeurs « les acceptèrent formellement en apposant chacune sa signature avec la date de sa profession religieuse, à la suite du texte. Or, ceci se passait du vivant de l’une des fondatrices, la Soeur Demers-Dessermont et elle donna comme date de sa profession le 31 décembre 1737[36] ». Albina Fauteux précise que mère d’Youville ayant demandé à Mgr de Pontbriand de rédiger de nouveaux règlements en 1755, « il conseill[a] à la fondatrice d’initier au détail de l’administration ses trois plus anciennes coopératrices et d’en former son conseil[37] ». L’une d’elles est Catherine Demers. Soeur Estelle Tardif la mentionne une seule fois dans une synthèse biographique parue en 2001 qui regroupe des textes qui ont pu inspirer et guider mère d’Youville[38]. Pour sa part, soeur Estelle Mitchell, dans une biographie parsemée de dialogues inventés, avait donné un rôle plus actif à Catherine Demers en 1959[39]. Celui-ci ne correspond nullement à ce que nous avons pu découvrir dans les archives, incluant celles de la communauté. Soeur Mitchell a donné pour père à Catherine Demers son frère Charles Dessermon, tailleur d’habits. Il aurait employé dans son atelier une autre des fondatrices, Catherine Cusson, ce qui n’est pas prouvé. Elle imagine soeur Demers attrapant les crapauds nécessaires pour soulager les plaies de mère d’Youville. Elle la voit chargée du déménagement à l’Hôpital général ou demandant aux plus jeunes religieuses de se souvenir des petits faits concernant la fondatrice pour les transmettre à leur tour. L’auteure va jusqu’à décrire la stature physique de soeur Demers dont on ne sait rien.
Où se cache donc Catherine Demers ?
Faire la biographie de Catherine Demers n’est pas une mince affaire, tant les sources sont éparpillées, comme si la religieuse elle-même avait fait exprès. Il faut donc passer par les rapports financiers de la communauté, les archives civiles, notariales et judiciaires. Et même au terme de ces recherches, le raisonnement doit suppléer aux silences des documents. Le silence le plus flagrant est l’absence de nécrologie, peut-être attribuable à l’absence de poste officiel. Alors, qui est-elle ?
Les parents de Catherine Demers se sont mariés le 17 février 1689. La jeune mariée de 18 ans, Élisabeth/Isabelle Papin, est orpheline de mère depuis trois ans. Charles Demers Dessermon est un jeune boulanger de 22 ans[40]. Son père, André Demers, est le tuteur des enfants Papin, ce qui a peut-être facilité les rencontres. Les deux jeunes époux savent signer. La cinquième enfant du couple, Marie Catherine, est baptisée à Montréal le 10 avril 1698[41]. Elle a pour marraine la demoiselle Jeanne Mance. La famille Demers semble spirituellement liée aux pieux fondateurs de Montréal. Cela jouera-t-il dans le choix de Catherine Demers de devenir religieuse comme on dit que ce fut le cas pour le vénéré Pierre Boucher et sa petite-fille Marguerite d’Youville ? Le parrain Paul Le Moyne de Maricourt est le frère du célèbre d’Iberville et le fils de Charles Le Moyne, sieur de Longueuil (ce dernier étant le parrain de Charles Demers). Les parents de la petite Catherine n’évoluent cependant pas dans ce milieu d’hommes en passe de faire oublier leur anoblissement récent. Après dix-sept années de vie commune, Élisabeth meurt des suites de son dernier accouchement[42], laissant neuf orphelins âgés entre un mois et demi et quinze ans. Catherine, âgée de huit ans au décès de sa mère, grandit dans ce qu’on appelle aujourd’hui une famille recomposée, phénomène fréquent à l’époque mais résultant uniquement de la mort d’un des deux époux[43].
Son père se remarie deux fois. Il convole en 1707 avec Catherine Jetté, veuve de Guillaume Gournay, qui a déjà des enfants. Cette femme qui devient sa belle-mère est une tante par alliance de Catherine Demers[44], les familles Jetté et Demers étant liées par de nombreux mariages. De nouveau veuf, Charles Demers se remarie en 1719 avec la veuve d’Antoine Véron dit Montendre, Marie Madeleine Cauchon dont il aura trois enfants. Ce mariage est source de tensions. Madeleine demande une séparation de biens en 1720 alors qu’elle est enceinte[45]. Elle est poursuivie par une ancienne cliente qui s’en prend aussi au nouveau mari[46]. Enfin, en qualité de marchande publique, elle entraînera toute la famille Demers en 1737 dans un procès sur lequel nous reviendrons.
Nous n’avons retrouvé aucun contrat d’apprentissage pour Catherine Demers. Elle est cependant une couturière accomplie et reconnue pour telle. Ayant vécu toute sa vie à Montréal, il est possible que Catherine ait étudié chez les Filles de la Congrégation Notre-Dame, mais à cause des incendies, les religieuses n’ont plus de registre des élèves de cette période. Un autre indice pointe vers cette possibilité : la jeune femme songera un moment à joindre cette communauté enseignante. Quoiqu’il en soit, Catherine Demers sait signer, écrire et compter. Le marchand Monière la règle sur présentation d’un état de compte. On retrouve sa signature au bas de chacun des documents notariés et à la fin des états financiers annuels de la communauté des Soeurs Grises. Pour mieux saisir le niveau d’expertise de couturière de Catherine Demers, il faut savoir qu’il existe toute une hiérarchie de compétences dans les productions textile et vestimentaire. Nicole Pellegrin fait remarquer que, dans les usages de la Congrégation Notre-Dame de Châlons, l’énumération des ouvrages « honnêtes et utiles » que les soeurs devront enseigner aux fillettes est précise. L’hétérogénéité des possibilités surprend puisque ces ouvrages – coudre en linge, en tapisserie, tricoter, faire diverses sortes d’ouvrages à l’aiguille et au fuseau – ont des statuts très différents et qu’ils requièrent des talents fort divers[47]. Le filage, le tissage et le tricot relèvent des arts textiles, mais ils sont distincts de la confection des vêtements. La broderie et la dentelle, objets de luxe, sont des arts textiles décoratifs et d’agrément[48]. Les ouvrages de couture, réalisés entièrement à la main, se partagent au xviiie siècle en linge, de corps et de tête, et en habits dont la composition et les formes varient selon l’âge et le sexe de l’individu à vêtir.
Comme l’a démontré Marla Miller pour la Nouvelle-Angleterre, « the ability to cut and construct the many garments required by early Americans was by no means universal[49] ». Il en est de même dans la colonie canadienne. C’est l’assemblage du linge que la plupart des fillettes apprennent auprès des femmes de leur famille ou des religieuses. Ces vêtements sont construits en deux dimensions. Leur structure résulte d’un assemblage de rectangles qui sont ajustés l’un sur l’autre par une variété de techniques de fronces et de plissés. Il faut une certaine perception de la géométrie et du drapé des matières pour tailler des habits sans gaspiller de tissu. Pour apprendre la coupe de ces vêtements ajustés près du corps, il faut donc poursuivre sa formation avec une couturière, une tailleuse ou un tailleur d’expérience. Le frère Charles Demers Dessermon est tailleur d’habits pour hommes et son épouse, Thérèse Pouget, est fille et soeur de tailleurs. Ils ont pu jouer un rôle dans la formation de Catherine soit directement, soit en la mettant en contact avec un maître ou une maîtresse. L’absence de contrat d’apprentissage confirme que la formation des filles est souvent conclue verbalement et ne laisse aucune trace[50]. Selon les comptes du marchand montréalais Monière, la tailleuse Demers produit des vêtements pour femmes et pour enfants des deux sexes[51] (corps à baleines, habits de femmes, robes, compères, mantelets, casaquins, camisoles et capes[52]) qui sont complexes à réaliser. La future religieuse confectionne à l’occasion des vestes et des bougrines pour des hommes. Son habileté et son expertise de couturière et de tailleuse sont reconnues à Montréal[53]. À au moins une occasion, elle est appelée pour déterminer la valeur de la garde-robe d’une dame de qualité alors qu’un tailleur et des marchands sont réunis lors de la prise de l’inventaire[54].
Marguerite d’Youville fait-elle partie de la clientèle de Catherine Demers, soit personnellement, soit pour son petit commerce ? Cela n’est pas à exclure, mais aucun cahier de comptes de Catherine Demers, dont on peut toutefois supposer l’existence, n’a survécu. Nous ne connaissons ses transactions commerciales avec le marchand ou les clients de celui-ci que par le biais des comptes de Monière.
Si ses clients et ses clientes peuvent ainsi se situer plus haut dans l’échelle sociale, cette couturière évolue chaque jour au milieu des artisans qualifiés. Son frère est tailleur, ces beaux-frères sont cordonniers[55], son père est boulanger. Dans la chaîne de production alimentaire, les gens de ce métier se situent au niveau de la transformation d’un produit semi-fini (les farines produites par le meunier) en produits de consommation courante (des pains de toutes sortes et du biscuit). Dans une ville en plein développement comme Montréal, les boulangers sont aussi nécessaires que les tonneliers et peuvent réussir à se tailler une belle place[56]. Ils ont comme clients des individus, mais aussi l’administration coloniale (pour nourrir les troupes) et les marchands de fourrures (pour les équipements de traite).
Canadiens de la première génération nés d’immigrants français, les parents de Catherine Demers sont d’origine modeste, mais ils ne sont pas pauvres. En plus de la maison située à l’angle des rues Chagouamigon et Outaouaise[57], l’inventaire de 1707 indique qu’ils possèdent une terre de 320 arpents, dont 40 à la charrue, à la côte Sainte Marie. C’est une exploitation de taille enviable, à l’époque. Ils possèdent aussi une autre petite terre dont l’exploitation est affermée[58]. L’année de son remariage en 1707, Charles Demers achète du Séminaire de Saint Sulpice une autre maison rue Saint-Paul[59]. En 1714, Catherine, alors âgée de 16 ans, et Ursule Demers louent pour trois ans avec leur soeur Madeleine et son époux Joseph Robert dit Watson une partie de cette maison pour 90 livres par an[60]. Cinq ans plus tard, assistés de leurs tuteur et subrogé tuteur, les enfants Demers vendent leurs parts d’héritage à leur beau-frère Robert dit Watson devenu veuf[61]. Catherine Demers désire recevoir tout de suite un acompte de 500 livres en monnaie du pays pour « parfaire la dot dont elle a besoin pour entrer à la Congrégation de Notre dame en cette ville suivant son désir[62] ». En 1725, devant notaire et témoins, elle reconnaît avoir reçu sa part de la vente, soit 936 livres 10 sols[63]. Par héritage et quelques transactions foncières, elle dispose donc alors de quelque bien.
A-t-elle renoncé à devenir religieuse ? A-t-elle été refusée ? On ne sait pas. Catherine Demers ne s’est cependant pas mariée. En 1726, cette couturière et fille majeure échange un emplacement qui lui appartient depuis déjà trois ans avec celui d’un couple de gens âgés arrivés lors de la Grande Recrue en 1653, Pierre Jousset et Catherine Goguet. Elle leur cède « un emplacement […] de la rüe St Vincent consistant en trente et un pied[s] de front sur quatre vingt seize pieds ou environ de profondeur avec une maison construitte sur iceluy de vingt pieds de front sur la rüe sur vingt cinq pieds de profondeur avec toutes ses circonstances et deppendances[64] » adossé aux jardins des héritiers Vaudreuil. Elle avait acquis cet emplacement voisin de celui de la veuve de Hertel de Rouville et de celui des héritiers Bizard lors d’une vente par adjudication pour la somme de 850 livres[65]. À compter de la Toussaint suivante, elle occupera un emplacement situé face au terrain de la Congrégation Notre-Dame sur la « rüe St Jean-Baptiste contenant trente-cinq pied de large sur soixante-huit pied de profondeur ensemble une maison construitte sur iceleluy en pieces sur pieces avec toutes ses circonstances et deppendances ». Selon une étude des lieux de résidence des artisans à Montréal en 1741, il existe « un regroupement géographique […] en partie tributaire du groupe socioprofessionnel auquel appartient le chef de ménage [mais] les nombreux liens familiaux à l’intérieur du groupe d’artisans interviennent aussi dans le choix [du lieu de résidence][66] ». Selon le contrat, dans cette petite rue située entre les rues Saint-Paul et Notre-Dame, elle aura pour voisins le sieur Jean Arnaud, marchand de fourrures, Charles Cabazier, qui a été voyageur et dont l’épouse Marguerite Renaud est couturière [ou leur locataire], et le chaudronnier Bertrand Tru[d]eau.
Le terrain est plus petit que celui qu’elle quitte, mais la maison est-elle mieux située ? C’est possible, mais Catherine Demers semble aussi se rapprocher de sa famille. Ses deux soeurs, Élisabeth et Ursule, habitent la même rue avec leur famille. Son frère Charles et sa femme Thérèse Pouget occupent deux lots situés à l’angle des rues Saint-Paul et Saint-Jean-Baptiste. Il habite en face de son beau-frère, Jean Baptiste Pouget, lui aussi tailleur. La maison que partagent Charles Demers père et le beau-frère remarié Robert dit Watson est à quelques minutes de marche à l’ouest de la Place du marché[67]. Catherine vit-elle seule ? On ne lui connaît aucune apprentie ni domestique, mais les arrangements peuvent avoir été conclus verbalement ou sous seing privé et n’avoir laissé aucune trace[68]. En 1730, son beau-frère Louis Ménard lui achètera un passage de quatre pieds sur quarante qui devra éventuellement être fermé par une porte sur la rue. Alors que Louis Ménard, Charles Demers et Jean Baptiste Pouget perdront leur maison dans l’incendie de 1734, celle de Catherine Demers sera préservée, peut-être par l’espace vide du passage entre les deux maisons de bois[69]. Pour le moment (en 1726) afin d’acquérir la propriété, la couturière doit verser 600 livres, en plus de céder son terrain. Elle donne sur-le-champ un louis d’or, deux écus blancs et « autre monnoye » valant 50 livres. Elle s’engage à donner 50 livres l’année suivante et à régler le solde en cinq versements annuels de 100 livres. Elle reçoit une quittance générale pour le solde trois ans plus tôt que prévu. Une partie de la somme a été acquittée en « fournitures et autres choses faites […] aux besoins et nécessités[70] » des deux vieillards.
Il ressort de toutes ces transactions que Catherine Demers ne semble pas manquer d’argent. Alors que le métier de couturière est aujourd’hui généralement considéré comme peu rentable, cette couturière montréalaise du xviiie siècle semble plutôt prospère. On peut donc supposer que le travail ne lui manque pas. On ne peut exclure non plus qu’elle fasse un peu de commerce puisque les cahiers de comptes de Monière révèlent que lui et des clients comme le sieur Lamadeleine de Musseaux la paient en marchandises. Elle semble de plus bien savoir gérer ses avoirs ayant acquis deux propriétés à son compte, la deuxième étant de valeur supérieure à la première. C’est une qualité essentielle pour une administratrice, ce qu’elle sera chez les Soeurs Grises.
Le 16 juillet 1731, âgée de trente-trois ans et peut-être malade, la demoiselle Demers fait rédiger son testament par le notaire Adhémar « voulant prévenir l’heure certaine de la mort et craignant D’en estre preveneu par lyncertitude dycelle sans avoir disposé du peu de biens qu’il a plû a Dieu luy donner et se voyant en un etat de le pouvoir faire[71] ». Le chirurgien Puibareau avec lequel elle a déjà parrainé un enfant est son témoin. Suit-elle les conseils de son confesseur qui est peut-être Antoine Déat[72] ? L’exécuteur testamentaire désigné est en effet le nouveau curé de la paroisse Notre-Dame de Montréal à la suite de la démission de M. de Lescoät[73]. Les dispositions du testament montrent que Catherine Demers est préoccupée par la mort comme beaucoup de gens de cette période. Peut-être l’est-elle encore plus puisqu’elle est célibataire et ne pourra pas compter sur ses enfants pour faire prier pour elle[74]. Elle souhaite être inhumée et enterrée dans le cimetière près de l’église avec un service solennel, huit cierges autour du corps, six à l’autel et deux aux Récollets. Elle désire qu’après son décès, 100 livres soient remises au curé de la paroisse pour faire prier pour le repos de son âme. Elle donne aussi 50 livres à la chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours. La valeur du reste de ses biens qui seront vendus « à la criée » (hardes, linges et autres meubles) devra être partagée en trois. Un tiers sera employé à faire prier pour le repos des âmes du purgatoire, un tiers pour faire prier pour la conversion des pécheurs, l’autre tiers sera distribué aux pauvres de la ville. Le lendemain de la signature, elle devient la marraine d’une petite orpheline prénommée Marie Gabrielle[75]. L’année suivante, elle se joint, en même temps que Louise Thaumur de Lasource et d’autres Montréalais, à la Confrérie de l’Adoration perpétuelle du Saint Sacrement et de la Bonne Mort lors de l’assemblée de fondation qui se tient le 1er novembre[76]. Fondée par le sulpicien Antoine Déat, cette confrérie est ouverte à tous, hommes et femmes, célibataires ou mariés. Dès sa fondation toutefois, la confrérie est majoritairement féminine[77]. Contrairement à une idée véhiculée depuis la mort de mère d’Youville, ce n’est peut-être pas uniquement celle-ci qui aurait incité ses compagnes à se joindre à la confrérie puisque Catherine Demers et Louise Lasource[78] sont présentes lors de l’assemblée de fondation en 1732. Marguerite d’Youville ne se joindra à la Bonne Mort et à la Sainte Famille que le 16 mars 1733[79]. Dans les registres 2 et 3 de la Confrérie, il est indiqué que Catherine Demers était soeur de la Charité.
L’année 1737 marque un tournant dans la vie de Catherine Demers. À l’occasion d’un procès où son père, sa belle-mère et toute la famille sont accusés de « banqueroute frauduleuse[80] », elle est interrogée à deux reprises en plus d’avoir à déposer un mémoire devant le Conseil supérieur. On la soupçonne d’avoir détourné des marchandises saisies par décret. Par un jugement du 5 juillet, Charles Demers est finalement déchargé de l’accusation et la réputation de toute la famille Demers est sauve[81]. Deux événements qui tout d’abord ne semblent pas liés ont lieu en septembre 1737. La demoiselle Demers vend sa maison de la rue Saint-Jean-Baptiste au négociant Louis Descomptes Labadie pour la somme de 2500 livres[82]. De son côté, Marguerite d’Youville signe un bail de trois ans pour la maison de la veuve LeVerrier trois jours plus tard[83]. Ces deux contrats notariés, et peut-être d’autres que nous n’avons pas repérés, sont les premières actions concrètes qui aboutiront à la fondation d’une oeuvre charitable qui perdure jusqu’à aujourd’hui : les Soeurs Grises.
Le 31 décembre de la même année, Catherine Demers, Catherine Cusson et Louise Thaumur, toutes trois filles majeures désirant se consacrer au service des pauvres, se réunissent en société avec Marguerite Dufrost, veuve d’Youville. Ces femmes prononcent en privé des voeux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance[84]. Rien ne permet de savoir ce qui a motivé la décision de Catherine Demers de se consacrer désormais aux pauvres. Souci de sauver son âme et générosité envers les plus démunis s’entremêlent probablement dans ce don de soi[85].
Catherine Demers, les Soeurs Grises et la couture
Le 30 octobre 1738, un an après l’avoir louée et y avoir probablement fait faire des aménagements, les Soeurs Grises s’installent avec leurs pauvres dans la maison de la veuve LeVerrier[86]. Elles subissent l’opprobre et des tracasseries. Le logement de tout ce beau monde cause bien des soucis et le groupe déménagera à plusieurs reprises au cours des années suivantes. Selon Étienne Faillon, celle que leur a offerte le négociant Fonblanche n’était pas assez spacieuse[87]. Celle que la société a louée ensuite pour trois ans est reprise pour son propre compte par le gouverneur de Montréal, Dubois Berthelot de Beaucours, qui juge qu’elle est trop belle pour les soeurs[88]. En février 1745, au surlendemain d’un incendie qui les jette à la rue avec leurs pauvres et leurs pensionnaires, les trois fondatrices (Catherine Cusson étant décédée) signent des engagements primitifs rédigés par le sulpicien Normant. On y retrouve en premier lieu le souci de s’assurer une bonne mort par une bonne vie. Le préambule se lit comme suit : « Nous, soussignées, à la plus grande gloire de Dieu, pour le salut de nos âmes et le soulagement des pauvres, désirant sincèrement quitter le monde et renoncer à tout ce que nous possédons, pour nous consacrer au service des pauvres ; nous nous sommes unies par le seul lien de la pure charité – sans vouloir de nous mêmes former une nouvelle communauté – pour vivre et mourir ensemble[89]… » Elles mettent en commun tout ce qu’elles possèdent et tout ce qu’elles posséderont par la suite à l’exception des biens-fonds dont elles pourront disposer à leur guise.
Les auteurs consultés affirment que celles-ci mettent tout en commun. Le premier règlement semblable à celui qui régit les biens propres des Sulpiciens a peut-être changé plus tard, mais nous ignorons à quel moment. Elles s’engagent à recevoir, nourrir et entretenir autant de pauvres qu’elles le pourront avec les revenus tirés de leur travail et des aumônes. Chacune devra apporter tout ce qu’elle a de « linge, habits, meubles et argent » et devra verser à la communauté les revenus annuels tirés de ses biens-fonds. Catherine Demers le fera aussi régulièrement que le marchand Labadie paiera la rente de sa propriété. On ignore ce que chacune a apporté bien que Charles Dufrost évalue le « fond du trésor [à] cent pistoles », soit 1000 livres. Marguerite d’Youville, Louise Lasource et Catherine Dessermon ont signé ce document privé. C’est au trio et pas seulement à madame d’Youville que Marguerite Damien, veuve de Guillaume Lefebvre, avait cédé en 1741 la moitié d’un emplacement situé dans la ville de Québec[90]. Les trois femmes ne l’ont jamais occupé. L’ont-elles loué pour en tirer des revenus ? On ne peut l’affirmer, mais au moment de la vente de l’emplacement en 1747, elles reçoivent 1100 livres en ordonnances[91]. La même année, la gestion de l’Hôpital général est confiée à la nouvelle communauté[92].
Nous arrivons enfin au financement de l’institution qui reposerait en grande partie, selon la tradition de la communauté, sur les ouvrages de couture. Albina Fauteux écrit : « C’était au bout de leur aiguille, dont les produits se mettaient en commun, qu’elles gagnaient leur subsistance et celle de leurs protégés[93]… » Mentionnons que les travaux à l’aiguille comprennent le raccommodage qui semble être du ressort de Marguerite d’Youville elle-même dans les débuts. C’est en effet pour du raccommodage de bas [et jamais pour des ouvrages de couture plus complexes] que Monière paie la veuve d’Youville. C’est aussi ce que les histoires racontent : elle faisait du raccommodage pour les pauvres de l’Hôpital général. Est-ce par humilité, ce travail est moins valorisant que la confection, manque-t-elle de temps, compte tenu de ses responsabilités ou de son état de santé, ou est-ce simplement parce qu’elle ne sait pas faire autre chose ?
Retournant à la période fondatrice, Albina Fauteux précise qu’« issue de cette classe d’ouvriers honnêtes et laborieux qui savent suffire à leur existence, Catherine Cusson avait vécu dans le monde du produit de ses travaux d’aiguille[94] », ce qui n’est pas impossible, son beau-frère Huppé dit Picard étant tailleur d’habits. Cusson est décédée après seulement quatre années dans la société, soit six ans avant que la gestion de l’Hôpital des frères Charron ne soit confiée à la veuve d’Youville et à ses deux compagnes. La tradition orale l’a-t-elle confondue avec Catherine Demers, couturière de métier, qui n’a pas été fauchée dans la fleur de l’âge et qui n’a occupé aucun poste important au cours des quarante-huit années qu’elle a consacrées à la communauté ? La deuxième supérieure, Thérèse Lemoine Despins, a connu Catherine Demers comme couturière de la famille de son oncle et tuteur, Alexis Lemoine dit Monière. Elle a aussi vécu avec les trois fondatrices à compter de 1739[95], mais elle est décédée avant l’enquête de M. Sattin. Est-ce pour respecter les volontés de la vieille religieuse que personne ne parle d’elle en 1828 ? Ou la transmission orale a-t-elle eu des ratés ?
Le produit du travail de Catherine Demers a été utilisé au moins jusqu’en 1746, année où elle disparaît des cahiers de Monière, pour faire vivre les soeurs et leurs pauvres. On ignore la contribution de Catherine Cusson et de Louise Thaumur. Nous soupçonnons que Catherine Demers a pu agir à titre de dépositaire sans être désignée ainsi, la société composée de trois soeurs n’étant pas encore structurée. C’est à elle que sont facturés les tissus livrés pour Thérèse Lemoine Despins lors de son entrée comme première pensionnaire payante chez les Soeurs Grises en juillet 1739. La société accueille en 1741, année de la mort de Catherine Cusson, deux jeunes filles qui ne paient aucune pension : Antoinette Harel de Longueuil et Marie Josèphe Bourjoly de Boucherville. Sont-elles connues de Thérèse Lemoine ? Ont-elles été à l’école des Filles de la Congrégation de Boucherville avec elle[96] ? Albina Fauteux, constatant qu’elles deviennent religieuses en 1749 et prennent l’habit en 1755, les considère après coup comme des « recrues[97] ». Marie Josèphe est orpheline depuis le décès de son père en 1736 et de sa mère en 1739. Sa cousine est la belle-soeur de Catherine Demers. Quant à Antoinette Harel, un frère et une soeur ont épousé des enfants d’André Demers II et de Marie Anne Jetté. Comme personne à cette époque n’est logé et nourri gratuitement même à l’intérieur des familles élargies, pouvons-nous supposer que ces jeunes filles aident Catherine Demers à la couture en remplacement de Catherine Cusson ou qu’elles la déchargent d’autres tâches lui permettant de se consacrer entièrement à son métier ? Les cahiers de comptes de Monière sont muets à ce sujet et rien ne survit de cette période que quelques lettres de mère d’Youville. Catherine Demers pourrait avoir agi à titre officieux avant que la communauté ne se structure, ce qui ne laisse aucune trace aujourd’hui. Cela pourrait expliquer en partie son absence de la mémoire de la communauté.
À compter de la prise en charge de l’Hôpital en 1747, les trois fondatrices et associées doivent trouver comment financer l’institution après avoir déboursé plusieurs milliers de livres pour éponger les dettes des frères Charon et retaper les lieux. L’Hôpital accueille désormais, en plus des pauvres hommes, une clientèle féminine : jeunes orphelines, incurables, insensées et, à la demande du curé Déat, les filles de mauvaise vie[98]. Selon la tradition, en plus de la charité de quelques particuliers et du revenu des quêtes,
les travaux à l’aiguille étaient la ressource par excellence de nos mères. Délicats ou grossiers, tous étaient acceptés, dès qu’ils étaient licites et promettaient d’améliorer la condition de leurs protégés. Cette indifférence était reconnue, et, voyait-on quelque personne embarrassée par un travail pénible ou répugnant, on ne manquait pas de lui dire : allez chez les soeurs Grises, elles ne refusent jamais rien[99].
Cet extrait laisse entendre que les religieuses font acte d’humilité en exécutant elles-mêmes ces travaux.
Bien que des auteurs aient affirmé que les religieuses cousent des tentes et des uniformes, les états de compte annuels ne précisent pas le type d’ouvrages que fournit la communauté[100]. De plus, nous avons vu que tous les types de vêtements ne peuvent être exécutés par n’importe qui. En France, les marchands drapiers qui prennent les contrats de fourniture de l’armée partagent la confection entre les tailleurs de leur entourage. Ceux-ci coupent les culottes, vestes et justaucorps commandés dans les tissus fournis par le marchand et les font coudre par de nombreux ouvriers et couturières[101]. Si on accepte l’idée non prouvée que les soeurs produisent des uniformes, on peut supposer qu’elles ont procédé de la même façon, sous-traitant la coupe ou la couture, à moins que quelqu’un à l’intérieur de la communauté ne possède l’expertise nécessaire pour la coupe d’uniformes et la supervision d’une équipe de couturières[102]. L’infirmier tailleur anglais est décédé en 1751 et Catherine Demers sait couper des vestes d’hommes, mais rien n’indique qu’elle puisse tailler des justaucorps. On ne trouve aucune trace de fournitures de pièces d’uniformes prêtes à assembler.
Les états de compte révèlent toutefois autre chose : que les religieuses agissent à titre de contracteurs dans de nombreux domaines, y compris la couture. Un exemple parmi des dizaines : en juin 1755, les ouvrages effectués pour le compte du roi se chiffrent à 6815 livres 3 sols. Les chemises et les draps, qui ont été fournis aux « anglois et aux vénériens » que l’Hôpital a accueillis, se montent à 525 livres. En novembre 1756, le montant de la dépense pour « payer les personnes qui ont travaillé aux ouvrages pour le roy » se monte à 1446 livres 1 sol 2 deniers. Les religieuses paient donc des ouvrières pour exécuter une partie du travail de couture. Ce sont vraisemblablement des filles et des femmes pauvres qui sont hébergées à l’Hôpital ou des servantes et des engagées qui doivent être occupées en tout temps. En plus de les loger et de les nourrir, on les paie pour ce travail et cet argent leur sera utile lorsqu’elles quitteront l’institution. Peut-être (aussi ?) des femmes anonymes qui vivent en ville, des soeurs moins habiles à d’autres tâches et des pensionnaires voulant se sanctifier peuvent contribuer dans la mesure de leurs talents. Si aucune source ne le dit de façon explicite, il est logique de voir cette production supervisée par Catherine Demers, compte tenu de son expertise, unique parmi les soeurs à cette époque.
Dans quelle proportion les religieuses font-elles exécuter la couture par d’autres ? Les chiffres n’existent pas. Mais la quantité et la nature des travaux réalisés indiquent que cette proportion a pu être assez importante. Loin de nous l’idée de diminuer le travail des soeurs mais il faut être réaliste, et c’est une couturière professionnelle qui parle[103]. Les Soeurs Grises sont pendant longtemps seulement cinq ou six. Selon le règlement de vie du 1er janvier 1738, les religieuses doivent consacrer sept heures et demie par jour aux travaux et un certain temps aux prières collectives et individuelles[104]. Comment chacune pourrait-elle consacrer de nombreuses heures à la couture alors qu’il y a des pauvres malades ou infirmes qui réclament des soins en dehors de l’heure des repas ? Il est possible de coudre en priant, mais les soins demandent de la concentration. De plus, à la recommandation de mère d’Youville, plusieurs religieuses sont membres de confréries et elles ont chacune des heures d’adoration hebdomadaires. Même si les religieuses sont assistées par des domestiques et des engagés qui demeurent généralement anonymes, elles ont de nombreuses responsabilités et font des visites à domicile. Où trouver le temps de coudre autant et de rencontrer les échéances du gouvernement ou des marchands pour la traite ?
D’autres indices semblent confirmer notre impression. Toutes les Soeurs Grises ne sont même pas de bonnes couturières. Durant de nombreuses années, dans les états financiers annuels de l’Hôpital, des paiements apparaissent pour des commandes personnelles de la soeur Lasource qui ne coud pas elle-même. Bref, de la même façon qu’elles font travailler des hommes sur leurs terres, à la brasserie de bière d’épinette, aux moulins ou aux métiers, les religieuses fournissent un débouché au travail féminin. De plus, en date du 14 septembre 1748, on trouve un paiement de 225 livres (somme non négligeable) « pour les ouvrages de l’infirmier tailleur d’habits », un ancien prisonnier anglais[105]. Les deux premières supérieures de la communauté sont des gestionnaires issues du monde du commerce où elles ont des relations : Marguerite d’Youville et Thérèse Lemoine Despins, la nièce de Monière. La troisième, soeur Coutlée, a été formée comme économe par mère d’Youville elle-même, probablement de la même manière qu’un marchand forme ses commis. Catherine Demers a elle aussi été « femme d’affaires ». Tiennent-elles un Petit livre, un Brouillard et un Journal qui sert à rédiger l’état des comptes annuel qui est signé par les administratrices et doit être présenté au supérieur du séminaire pour approbation ? S’ils ont existé ces cahiers ont disparu, mais Catherine Demers avait les connaissances pour les tenir à jour puisqu’elle devait le faire auparavant pour pouvoir présenter ses propres comptes à ses clients.
Bien qu’on ignore toujours les tâches dont elle était chargée, une partie de la contribution financière de soeur Demers a été retracée dans les comptes. Elle donne 100 livres en juillet 1754 et encore 50 livres en 1755. Le marchand Labadie n’a pas dû payer régulièrement car en 1756, Catherine transfère la rente au sieur Héry, ancien associé de son frère Charles. Le marchand paiera 2500 livres et 300 livres pour les rentes qui sont dues. Déposé chez un notaire, tout le document est de la main de Catherine Demers[106]. On retrouve dans les comptes de l’hôpital, en 1757, un versement de 2690 livres 16 sols par le marchand Héry pour l’achat de la maison de la demoiselle Dessermon[107]. Selon les Engagements primitifs, Catherine n’était pas obligée de verser le produit de la vente d’un bien foncier à la communauté. Mais en 1757, on est en pleine guerre, mère d’Youville est malade au point de rédiger son testament, l’argent se fait rare et l’inflation commence.
Nous imaginons une autre contribution de la couturière. Pendant plusieurs années, les soeurs n’ont pas de costume. Leur habit est semblable à celui des veuves de qualité, une robe très simple, sans aucun ornement à l’exception d’une ceinture distinctive. En 1755, Mgr Pontbriand approuve l’habit qui lui a été présenté lors de sa visite. C’est selon sa description ecclésiastique et toute masculine « une robe grise avec deux ou trois plis[108], un tablier de coton rayé, un mouchoir noir, une espèce de frison de baptiste ou de mousseline et par-dessus, une espèce de bagnoles de gaze noire. Nous consentons que suivant l’usage de plusieurs Dames, vous portiez un petit crucifix d’argent[109]. »
Qui a réalisé ce premier prototype d’habit ? Nous aimons croire que c’est la tailleuse Catherine Demers qui avait l’expertise nécessaire pour créer de nouveaux styles de robe et de couverture de tête ayant adapté sa pratique pour suivre les modes au cours de sa carrière[110]. Elle a aussi pu se charger durant des années de confectionner, ou du moins de tailler, les habits des autres religieuses comme ceux de Louise Thaumur qui ne coud pas ou si peu. Au chapitre des dépenses, on retrouve quelques frais pour des souliers ou des bas achetés pour soeur Catherine vers la toute fin de sa vie[111]. Comme aux autres religieuses, on a dû lui fournir les toiles et les tissus pour son linge et ses habits. Finalement, à son décès en 1785, la communauté paie 12 livres pour faire chanter dix messes à son intention. Rien de bien extraordinaire si on se souvient que Catherine Demers avait réservé 100 livres pour des messes dans son testament.
En conclusion
Il existe une longue et étroite association entre couture et oeuvres de charité. Catherine Demers est une couturière de métier hautement qualifiée, au contraire de Catherine Cusson qui, selon la tradition, aurait touché à l’aiguille pour joindre les deux bouts. Elle gère vraisemblablement la production de vêtements que la communauté des Soeurs Grises donne en sous-traitance. Cela la placerait en quelque sorte en porte-à-faux par rapport au mythe fondateur voulant que toutes les Soeurs Grises cousent, mais aussi face à la notion plus générale de la noblesse des travaux d’aiguille lorsqu’ils sont effectués par de pieuses dames de qualité.
Pour d’autres femmes moins fortunées de toutes les époques, les ouvrages de couture représentent plutôt un gagne-pain. Alors où place-t-on une fondatrice qui est déjà couturière d’expérience comme Catherine Demers et qui, selon toute vraisemblance, gère une entreprise de sous-traitance[112] ? Ces activités l’empêchent de devenir plus humble à travers le travail manuel, tout en suggérant que la communauté ne vivait pas uniquement du travail de ses consoeurs, occupées à d’autres activités. On peut supposer que quelques-unes des couturières ayant appris à tirer l’aiguille auprès de soeur Demers ont pu réussir à survivre économiquement à leur sortie de l’hôpital. Si elle a pu marquer un certain temps la vie des personnes qui l’ont côtoyée – parents, amis, consoeurs, pauvres – quelles sont les raisons de l’effacement de Catherine Demers de la mémoire collective ? Elles sont peut-être liées à ses origines sociales, à son activité économique, peut-être aussi (surtout ?) à sa propre volonté de s’effacer.
La tradition insiste parfois sur la « noblesse » réelle ou supposée des premières religieuses[113]. Catherine Demers vient d’une famille d’anciens habitants[114], d’artisans et de commerçants. Elle ne peut prétendre à aucune noblesse. Sa contribution principale semble se situer au niveau temporel et, bien que l’argent soit nécessaire à l’oeuvre, le rapport des religieux aux biens terrestres est parfois ambigu. On fait grand cas de la contribution financière des laïques qui contribuent à l’oeuvre en prêtant ou en louant une maison, en donnant des contrats ou en versant des aumônes. Leurs noms parsèment les différentes histoires. Puisqu’elle a volontairement tout abandonné pour les pauvres, la contribution de Catherine Demers n’est pas (re)connue. Même le versement du produit de la vente de sa maison est mis au compte du sieur Héry, qui se retrouve sur la liste des donateurs.
Les humbles origines de soeur Demers, qui n’est pas décédée dans la fleur de l’âge, n’ont pas aidé son souvenir, ni la possible association qu’on a fait entre elle et le travail sous-contracté allant à l’encontre de l’image de toutes les soeurs l’aiguille à la main. Mais a-t-on vraiment fait cette association ? Il est certain que le prêtre Dufrost a exploité au maximum son pouvoir de premier biographe pour faire de sa mère la fondatrice, même si celle-ci n’aurait rien demandé. Mais Catherine Demers ne serait-elle pas aussi l’architecte de son propre effacement ? Charles Dufrost n’avait que huit ans au moment de la formation de la société en 1737. Lorsqu’il rédige une vie de sa mère à l’intention des religieuses, il se tourne vers les plus anciennes soeurs pour compléter ses souvenirs[115]. Il connaît bien soeur Demers et soeur Lasource, les compagnes des tout premiers jours. Lors de sa formation au Séminaire, il les a revues chaque année au moment des vacances et lorsqu’il est malade[116]. Il connaît peut-être un peu moins soeur Despins, première pensionnaire payante en 1739, et soeur Rainville, pensionnaire gratuite en 1741.
Bien sûr, certains événements ont frappé le jeune garçon : l’installation avec les pauvres en 1738, l’arrivée de Thérèse Lemoine Despins en 1739, la mort de la jeune Catherine Cusson en 1741. Il est ensuite envoyé au séminaire de Québec en 1742 où il rejoint son frère François, futur curé de Saint-Ours[117]. À compter de son ordination en 1752 et de la prise en charge de la cure de la Pointe Lévy en 1754, Charles Dufrost ne peut être aussi régulièrement en contact avec ses soeurs, comme il les appelle. À compter de 1774, trois ans après le décès de mère d’Youville, il revient à Boucherville[118]. C’est alors qu’il décide de compléter La Vie de sa mère par des Mémoires recueillis auprès des survivantes qu’il connaît le mieux. La soeur anonyme est probablement Catherine Demers, la doyenne d’entre elles. C’est donc probablement elle qui raconte les menus faits et gestes de ses compagnes et qui fournit des détails sur les qualités morales de celles-ci. Elle ne parle pas d’elle. Si nous ne pouvons connaître le détail des conseils des confesseurs de Catherine Demers, avant et après son entrée en religion, nous savons que les prêtres de Saint-Sulpice avaient pour mot d’ordre « servir Dieu sans faire de bruit[119] ». Cette idée correspond à la mentalité catholique post-tridentine qui est encore présente chez plusieurs à Montréal au xviiie siècle. Les valeurs apprises auprès d’Antoine Déat, des autres Sulpiciens et de Marguerite d’Youville – vie chrétienne, oubli de soi et humilité – ont probablement amené Catherine Demers à s’effacer devant le souvenir de sa Mère et de ses amies.
Lors de l’enquête d’Antoine Sattin, 43 ans après son décès, presque toutes les religieuses qui ont côtoyé soeur Demers sont décédées. La réputation des Soeurs Grises comme couturières pourrait s’appuyer dans les faits sur l’expertise de l’une des fondatrices qui, avec une discrétion qu’on pourrait qualifier de sulpicienne, a eu le pouvoir de s’effacer de la mémoire de sa communauté.
Nous espérons avoir réussi à répondre dans cet article, du moins en partie, à Albina Fauteux qui n’avait qu’un regret après avoir terminé son ouvrage sur l’Hôpital général.
Que l’on n’ait pas songé à recueillir les traits qui ont constitué la physionomie morale de nos aînées. Les fragments de notes que nous venons de reproduire nous ont sans doute permis d’admirer la générosité de leurs débuts et la constance de leur dévouement. Mais ce ne sont là que des traits généraux. Que de traits personnels, que de pensées, que d’actes, restés enfouis, eussent répandu une douce lumière sur leurs vertus[120].
Comme l’a fait Donna Merwick auprès du très discret notaire du xviie siècle Adriaen Janse, devrions-nous maintenant nous excuser auprès de Marie Catherine Demers Dessermon pour avoir raconté notre version de son histoire, alors qu’elle-même semble avoir choisi de s’effacer[121] ?
Appendices
Note biographique
Suzanne Gousse a déposé, à l’automne 2009, son mémoire de maîtrise en histoire de la Nouvelle-France dirigé par Thomas Wien et John A. Dickinson de l’Université de Montréal. Pour tracer le portrait socio-économique des couturières oeuvrant à Montréal au xviiie siècle, elle s’est penchée à la fois sur l’apprentissage et la pratique du métier, sur les réseaux et les actions de ces femmes. En septembre 2009, elle a entrepris un doctorat en histoire à l’Université de Montréal, codirigé par Thomas Wien et Sylvie Dépatie de l’Université du Québec à Montréal. La thèse aborde la société de Montréal au xviiie siècle à travers le(s) monde(s) du marchand Jean Alexis Lemoine dit Monière.
Notes
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[1]
Une première version de ce texte, largement modifié depuis, a été présentée à l’occasion du Colloque Femmes, culture et pouvoir. Relectures de l’histoire au féminin qui s’est tenu à Sherbrooke en juin 2009 en l’honneur de l’historienne Micheline Dumont. Je tiens à remercier Benoît Grenier, Thomas Wien et Dominique Deslandres ainsi que les évaluateurs de la Revue d’histoire de l’Amérique française pour leurs précieux commentaires.
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[2]
Voir Jean-Clément Martin, « Histoire, mémoire et oubli. Pour un autre régime d’historicité », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 47,4 (2000) : 783-804. Jerzy Topolski, « Structure des mythes historiques, historiographie, conscience historique, mémoire », dans H. Moniot, M. Serwanski, dir., L’Histoire en partage (Paris, Nathan, 1994), 1 : 71-82. H. Moniot, « L’histoire historienne analysée par la mémoire », dans Élise Marienstras et Marie-Jeanne Rossignol, dir., Mémoire privée, mémoire collective dans l’Amérique pré-industrielle (Paris, Berg, 1994), 225-239.
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[3]
Des exemples de telles enquêtes : Alain Corbin, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d’un inconnu, 1798-1876 (Paris, Flammarion, 1998). Carlo Ginzburg, Le Fromage et les Vers. L’univers d’un meunier du xvie siècle (Paris, Flammarion, 1980). Donna Merwick, Death of a Notary. Conquest & Change in Colonial New York (Ithaca, NY, Cornell University Press, 1999).
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[4]
Les Soeurs de la Charité en France sont connues comme des Soeurs grises à cause de la couleur de leur habit, gris comme celui des pauvres plutôt que noir comme celui des veuves et de certaines communautés féminines. Lucien Bély, article « Séculières », Dictionnaire de l’Ancien Régime (Paris, Presses universitaires de France, 1996), 1149. À leurs débuts, les Soeurs grises de Montréal ont été la cible du mépris de gens qui voulaient leur disparition, les accusant de s’enivrer et de distribuer de l’eau-de-vie aux Amérindiens. Elles auraient choisi de conserver cet épithète en signe d’humilité. « La Vie de Madame Youville », Rapport de l’archiviste de la Province Québec [RAPQ], 1924-1925, 366. Voir aussi Claudette Lacelle, « Dufrost de Lajemmerais, Marie Marie Marguerite (Youville) », Dictionnaire biographique canadien (désormais DBC), IV : 254.
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[5]
Louise Thaumur est la fille de Dominique, maître chirurgien, et de Jeanne Prudhomme. Catherine Cusson est la fille de Jean, habitant impliqué quelques années dans la traite des fourrures, et de Marguerite Aubuchon. Son parrain est le fils du notaire Adhémar et sa marraine, la fille du notaire Lepailleur.
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[6]
Les archivistes nous ont permis de consulter le dossier de soeur Demers ainsi que les originaux du Registre des pensionnaires et les Comptes annuels de l’Hôpital général de Montréal. Les Annales de l’Hôpital général ne nous ayant pas été proposées, nous ne pouvons que conclure qu’elles ne contenaient rien sur Catherine Demers.
-
[7]
Albina Fauteux, L’Hôpital général des Soeurs de la Charité (Soeurs Grises) depuis sa fondation à nos jours (Montréal, 1915), I : 474.
-
[8]
Pour connaître le processus de confirmation de l’identité des 47 couturières de Montréal que nous avons étudiées, voir Suzanne Gousse, « La démarche de repérage », Les couturières en Nouvelle-France. Leur contribution socio-économique dans une société coloniale d’Ancien Régime, mémoire de maîtrise (histoire), Université de Montréal, 2009, 9-12. Celles que nous avons éliminées ont toutes été mariées : Catherine Demers (1687-1765), fille de Michel et d’Élisabeth Jetté, épouse Pierre Payet Saint Amour ; Catherine Demers (1692-1769), fille d’André et d’Anne Jetté, épouse Pierre Hubert Lacroix ; Catherine Demers (1693-1731), fille d’Eustache et de Catherine Perras, épouse Jean Laroche et remariée avec Baptiste Soucy ; Marie Catherine Demers (1698-1759), fille de Robert et de Madeleine Jetté, épouse Joseph Poirier. C’est la cousine avec laquelle on l’a quelquefois confondue. La marraine de cette dernière est Élisabeth Papin, la mère de Marie Catherine Demers Dessermon.
-
[9]
Ce faisant, nous verrons une option offerte aux célibataires de Montréal au xviiie siècle.
-
[10]
Les cahiers de compte du marchand Alexis Lemoine dit Monière rédigés entre 1712 et 1753 sont la source principale pour les transactions commerciales de Catherine Demers avant 1746. L’information généalogique est tirée du Répertoire de la population du Québec ancien (RPQA) mis sur pied par le Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l’Université de Montréal et de René Jetté, Dictionnaire généalogique des familles du Québec (Presses de l’Université de Montréal, 1983). La base de données notariales Parchemin et la base Pistard des archives judiciaires ont été utiles pour retrouver les actes notariés et les procès.
-
[11]
« La Vie de Madame Youville », RAPQ, 1924-1925, 360-374. L’original est aux archives de l’Hôpital général. Selon l’éditeur, puisque le curé Dufrost a vécu avec sa mère « on peut dire que ces pages sont le récit d’un témoin oculaire, au moins pour la plupart des événements et des faits qui y sont rapportés ». Charles avait huit ans au moment de la fondation de la communauté en 1737. Nous soulignons qu’à compter de 1742, Charles est envoyé au collège à Québec et qu’il est ordonné en 1752.
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[12]
Ces qualités sont la grandeur d’âme, la charité universelle, la confiance en Dieu, une rare industrie, l’intrépidité, le courage et la patience chrétienne. Elle n’était cependant ni dévote ni d’un génie rare et brillant. Elle était dotée d’un esprit mâle, d’un jugement solide et parlait peu. C’est peut-être le petit garçon qui parle lorsqu’il ajoute : douce, sévère et juste, qui sait se faire craindre et aimer, « La Vie… », 361-362.
-
[13]
Ce récit comporte un grand nombre de remarques sur les aspects économiques. Par exemple, Dufrost s’étonne de l’idée de la fusion de deux communautés masculines – l’une enseignante, l’autre soignante – avec des buts et des moyens si différents. Il insiste ensuite sur le « sage résultat » observé en France lorsque la gestion des oeuvres charitables est confiée à des communautés séculières féminines. C. Dufrost, « La Vie… », 372.
-
[14]
Claudette Lacelle, op. cit., 847. Dufrost ne met pas de l’avant la sainteté de sa mère, bien qu’il mentionne sa grande piété. Nous laissons à d’autres le soin d’analyser la Vie sous l’angle de l’hagiographie.
-
[15]
« Les Mémoires… », RAPQ, 1924-1925, 374-376. Pour connaître le contexte de rédaction de ces premiers textes, voir « L’auteur de la vie de Madame Youville », RAPQ, 1924-1925, 360. Madame Gamelin est la tante de Charles, Louise Dufrost. Thérèse Lemoine Despins a été la première pensionnaire, puis la supérieure au décès de mère d’Youville. À la suite d’une expertise paléographique, les Mémoires ont été attribués à Charles Dufrost, décédé en 1790. Voir Estelle Mitchell, Le Curé Charles Youville-Dufrost et sa Mère. 1729-1790 (Montréal, Le Méridien, 1991), 69.
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[16]
Soeur Lasource est décédée en 1778, soeur Rainville en 1783 et la tante Louise Dufrost veuve Gamelin en 1789.
-
[17]
Le premier texte publié : Étienne-Michel Faillon, Vie de Mme d’Youville, fondatrice des Soeurs de la Charité de Ville-Marie, dans L’Île de Montréal, en Canada (Montréal, Hôpital des Soeurs Grises, 1852). Il existe un autre texte resté longtemps à l’état de manuscrit dont s’est servi Faillon : Antoine Sattin, Vie de Madame d’Youville, fondatrice et première supérieure des soeurs de la Charité, « Soeurs Grises ». Il a été édité en février-juillet 1912 par l’Hôpital général de Montréal. Faillon avait attribué les Mémoires au curé de Saint-Ours, Joseph François Youville.
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[18]
Greffe du notaire J. B. Adhémar dit St-Martin, 31 mars 1735. Nommé curé de Saint-Ours, Joseph François Youville, exigera sa part d’héritage afin de pourvoir à la reconstruction de son église.
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[19]
Procès entre Marie-Renée Gauthier, demanderesse, et son époux Timothée Sullivan dit Sylvain, défendeur, pour séparation de biens. 20 janvier 1738 – 25 février 1738. BAnQ, Centre de Montréal, TL4,S1,D4510.
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[20]
Dufrost, qui semble préoccupé par les détails d’administration temporelle, précise le nom des personnes qui louent les maisons où il a habité lui aussi. Ce que ne feront les mémorialistes que dans le cas de ceux qui les prêtent. La maison de Madeleine Just veuve You de la Découverte (grand-mère paternelle de Charles) rue Saint-Paul est celle que Marguerite occupait à la suite d’un bail judiciaire et où elle a accueilli sa première pauvre. Selon la base de données Adhémar du Centre canadien d’architecture, Madeleine Just possédait les lots #35 et #36 (de l’ancien terrier) au coin de la rue Saint-Pierre. La maison de la veuve LeVerrier se situait sur Saint-Paul au coin de Saint-François-Xavier. Nous n’avons pu situer exactement les maisons de Janson dit Lapalme et de M. de Cuisy. Dufrost mentionne que celle-ci est « proche de l’église paroissiale ». « La Vie… », 369.
-
[21]
Il faut souligner qu’après le décès de Beauharnois, le poste de gouverneur général est occupé en intérim par Roland Michel Barrin de La Galissonnière.
-
[22]
La supérieure de l’Hôpital général de Québec est alors Marie Josèphe Juchereau Duchesnay qui le restera jusqu’en 1753. Marie Charlotte de Ramezay est la dépositaire. Elle sera supérieure entre 1756 et 1759. Avec Marie Joseph Juchereau, elle s’était opposée en 1730 à la nomination d’une supérieure par le doyen du chapitre sans respect pour les constitutions de la communauté. DBC, III : 342-343 et 588-589. Nous ignorons le rôle qu’elles ont pu jouer à cette occasion.
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[23]
C. Dufrost, « La Vie… », op. cit., 373.
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[24]
C’est son fils qui, le premier, a utilisé cette expression « la femme forte dont parle le sage » pour la décrire. Faillon l’a reprise en précisant qu’il considérait Marguerite d’Youville comme une « sainte femme » mais qu’il ne se risquerait pas à la déclarer « sainte », cela revenant aux autorités compétentes. C. Dufrost, « La Vie… », op. cit., 361-362. É. Faillon, Vie de…, préface, op. cit.
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[25]
Fauteux donne le rôle de chacune selon les archives sans préciser de dates [peut-être en 1755 ?] : madame d’Youville, directrice et « mère » ; soeur Thaumur Lasource, assistante ; soeur Despins, au noviciat ; soeur Rainville, première hospitalière des vieillards ; soeur Bénard Bourjoly, soin des femmes et enseignement du chant sacré aux jeunes soeurs ; soeur Dussaut veille sur les anges de la crèche ; soeur Coutlée (future économe) administre le temporel ; soeur Gosselin, est chargée de la cuisine. Elle ajoute que les autres emplois sont moins bien définis. A. Fauteux, L’Hôpital général…, op. cit., 337. Que fait soeur Demers ?
-
[26]
A. Fauteux, L’Hôpital général…, op. cit., 194 et 197.
-
[27]
Mentionnons entre autres Jan Noel, « Caste and Clientage in an Eighteenth-Century Quebec Convent », Canadian Historical Review, 82,3 (septembre 2001) : 465-490 et Colleen Gray, Congrégation de Notre-Dame, Superiors and the Paradox of Power. 1693-1796 (Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2007).
-
[28]
N. Pellegrin, « Les vertus de “l’ouvrage”. Recherches sur la féminisation des travaux d’aiguille (xvie-xviiie siècle) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 46,4 (1999) : 753.
-
[29]
Ibid., 755.
-
[30]
C’est du moins ce qu’écrit Faillon. M. de Lescoät aurait dit à Madame d’Youville « qu’elle est appelée à établir les Filles de la Charité, et à relever l’Hôpital général ». Vie de…, op. cit., 18. Dufrost écrivait plutôt après avoir consulté les soeurs : « nous ignorons si ce fut ce Mr [Normant] qui suggéra à cette Dame de se consacrer au service des pauvres, croyant que Dieu demandait d’elle ce sacrifice, ou si ce fut elle-même qui, inspirée de Dieu, témoigna à son confesseur le dessein qu’elle avait d’établir une communauté de filles pour le service des pauvres ». « La Vie… », op. cit., 365.
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[31]
Dufrost mentionne l’hésitation assez longue de soeur Lasource. « La Vie… », op. cit., 365 et 366.
-
[32]
A. Fauteux, L’Hôpital général…, op. cit., 182.
-
[33]
Dufrost avait huit ans au moment de la fondation de la communauté. Il semble admirer la force de caractère de soeur Demers, reflet de celle de sa mère. À l’occasion d’une prière que prononce sa mère lors de leur installation en 1738, « la soeur Thaumur et la soeur Cusson accompagnèrent cette prière de l’abondance de leurs larmes, mais la soeur Demers imita la fermeté de sa Supérieure ». « La Vie… », op. cit., 366.
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[34]
Le décret introduisant la cause de sa béatification, et lui permettant d’être appelée Vénérable, fut signé le 28 avril 1890. Le pape Jean XXIII béatifia Marguerite d’Youville le 3 mai 1959. Jean-Paul II la canonisa le 9 décembre 1990. « Marguerite d’Youville » et « Soeurs de la Charité de Montréal » dans Wikipedia.
-
[35]
A. Sattin, Vie de…, op. cit. ; É. Faillon, Vie de…, op. cit.
-
[36]
Albertine Ferland-Angers, Mère d’Youville. Vénérable Marie-Marguerite du Frost de Lajemmerais veuve d’Youville. 1701-1771. Fondatrice des Soeurs de la Charité de Montréal dites Soeurs Grises (Montréal, Beauchemin, 1945), 76.
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[37]
A. Fauteux, L’Hôpital général…, op. cit., 181.
-
[38]
Estelle Tardif, Marguerite d’Youville. Le cri des pauvres (Montréal, Bellarmin, 2001).
-
[39]
Estelle Mitchell, Elle a beaucoup aimé… Vie de la bienheureuse Marguerite d’Youville, fondatrice des Soeurs de la Charité, « Soeurs Grises », 1701-1771 (Montréal, Fides, 1971) (1959).
-
[40]
Les Demers : les frères André (grand-père de Catherine) et Jean Demers, originaires de la paroisse Saint Jacques de Dieppe, évêché de Rouen arrivés vers 1644 dans la colonie, se marient à Montréal en 1654 avec des Françaises. André avec Marie Chefdeville (arrivée en 1651) et Jean avec Jeanne Voidy (de la Grande Recrue de 1653). Ils ont eu chacun une nombreuse descendance. Jean déménage sa famille à Sillery entre 1661 et 1663. Étienne Demers, probablement un cousin car il vient de la même paroisse, s’est établi dans la région de Québec et s’est marié en 1648. Les Papin : Pierre Papin I a épousé Anne Pelletier dit Passavant en 1665 à Montréal. Tous les deux faisaient partie de la Grande Recrue. Ils s’établissent à Pointe-aux-Trembles. Pierre Papin fils, frère d’Élisabeth établi à Boucherville, sera le tuteur des enfants issus de ce mariage.
-
[41]
Selon le PRDH, la marraine se nomme Marie Anne Demers, mais l’identifier est impossible car il y a quatre homonymes à ce moment-là à Montréal. Nous penchions pour la cousine qui devient Fille de la Congrégation Notre-Dame sous le nom de soeur Sainte Catherine. Ce qui aurait pu expliquer l’attrait de Catherine Demers pour cette communauté et peut-être l’achat d’une maison à proximité de leur couvent. Toutefois, la marraine a signé le registre et, comme le précise une vente de droits successifs, cette dernière ne sait pas écrire. Greffe du notaire J. B. Adhémar dit Saint-Martin, 20 février 1734. Le mystère reste entier pour l’instant.
-
[42]
Les démographes considèrent le décès de la mère à moins de soixante jours d’une naissance comme résultat de couches difficiles.
-
[43]
Micheline Baulant, « La famille en miettes », Meaux et ses campagnes - Vivre et survivre dans le monde rural sous l’Ancien Régime (Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007), 181-190. L’article fut d’abord publié dans les Annales, 1972.
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[44]
Les liens familiaux semblent très importants chez les Demers. Le cordonnier Ménard, veuf de la fille de Catherine Jetté, épouse l’aînée des Demers, Ursule. En 1739, le tailleur Charles Demers entre en société avec Pierre Gournay dit Latour, voyageur, fils de la même Catherine. Le veuf remarié de Madeleine Demers occupe la moitié de la maison de son ancien beau-père avec sa famille et son commerce. Charles Demers II sera tuteur des enfants de son cousin François dit Montfort dont la veuve s’enfuie dans les colonies anglaises en 1744 avec un récollet apostat. L’analyse des remariages, des parrainages et des marrainages renforce encore ce constat.
-
[45]
Procès entre Madeleine Cauchon dit Laverdière, demanderesse, et son époux Charles Demers dit Dessermons, défendeur, pour une séparation de biens. 22 novembre 1719 – 23 janvier 1720. BAnQ, Centre de Montréal, TL4,S1,D2440. Voir aussi Sylvie Savoie, « Les couples séparés : les demandes de séparation aux 17e et 18e siècles », dans André Lachance, dir., Les marginaux, les exclus et l’Autre au Canada (Montréal, Fides, 1996), 245-282.
-
[46]
Procès entre Madeleine Pezard, veuve de Jordy, demanderesse, et Madeleine Cauchon dit Laverdière, veuve de Montendre, épouse de Charles Demers dit Dessermons, défenderesse, pour la restitution d’articles consignés. 29 janvier 1720. BAnQ, Centre de Montréal, TL4,S1,D245. Madeleine Pézard avait été appelée comme témoin lors du procès en séparation.
-
[47]
Nicole Pellegrin, « Les vertus de “l’ouvrage”… », op. cit., 761.
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[48]
Abondamment utilisées sur les vêtements liturgiques et laïques des deux sexes aux xviie et xviiie siècles, ces garnitures seront graduellement abandonnées au xixe siècle sur les vêtements civils pour ne plus apparaître que sur les ornements d’église au xxe siècle. Il faudrait peut-être excepter ici les dentelles des dessous féminins et les broderies élaborées des robes de soirée.
-
[49]
Voir Marla R. Miller, « Gender, Artisanry, and Craft Tradition in Early New England : The View Through the Eye of a Needle », William & Mary Quarterly, LX,4 (october 2003) : 743-776. Troisième série.
-
[50]
Nicole Pellegrin, « L’apprentissage ou l’écriture de l’oralité. Quelques remarques introductives », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 40,3 (juillet-septembre 1993) : 360.
-
[51]
Source : Livres de comptes de Monière. Nombreuses autres entrées au nom de Catherine Decermon ou Ducermon [sic] entre 1732 et 1746 dans plusieurs cahiers dont le Troisième petit livre et livre des dépences de la maison.
-
[52]
Pour une définition de tous ces termes reliés aux vêtements, voir Suzanne Gousse et André Gousse, Lexique illustré du costume en Nouvelle-France. 1740-1760 (Chambly, La Fleur de Lyse, 1995).
-
[53]
Pour en savoir plus sur les divers termes décrivant le métier, sur les travaux de couture et la formation nécessaire, voir Clare Haru Crowston, Fabricating Women. The Seamstresses of Old Regime France : 1675-1791 (Durham/Londres, Duke University Press, 2001), 2-3 et le chapitre « From Mending to Modes : Trade Hierarchies and the Labor Market », 74-112 ; Marla R. Miller, « Needle Trades in New England, 1760-1810 », The Needle’s Eye. Women and Work in the Age of Revolution (Amherst & Boston, University of Massachussets Press, 2006), 56-86 ; et Suzanne Gousse, « L’éducation et l’instruction », Les couturières en Nouvelle-France…, op. cit., 15-18.
-
[54]
Inventaire de Pierre Derivon de Budemont et de Marie Godé, veuve de Charles de Couagne. Greffe du notaire J. B. Adhémar dit Saint-Martin, 15 décembre 1731. Le huissier Nicolas Marchand qui la fait convoquer est lui-même tailleur d’habits.
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[55]
Nous remarquons que ces trois métiers, couturière, tailleur et cordonnier, ont en commun l’utilisation de l’aiguille.
-
[56]
Boulanger et maître boulanger devenu « marchand bourgeois », Charles Demers décède en janvier 1749 à l’âge de quatre-vingt-deux ans à l’Hôpital général de Montréal. Il y avait été admis le 30 mai 1748 et payait 15 livres de pension mensuelle. Sa veuve y sera admise en janvier 1757 et décèdera en septembre 1758. Le montant de la pension n’est pas mentionné. Registre des pensionnaires, Archives de l’Hôpital général de Montréal.
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[57]
Greffe du notaire Pierre Raimbault, 6 mai 1705.
-
[58]
Greffe du notaire Pierre Raimbault, 10 avril 1707.
-
[59]
Greffe du notaire A. Adhémar dit Saint Martin, 9 juillet 1707.
-
[60]
Greffe du notaire Michel Lepailleur de LaFerté, 24 novembre 1714. Le père se réserve une chambre à feu au deuxième étage avec un petit magasin à côté, deux petites chambres hautes et une petite cour, la moitié de la cave et du grenier.
-
[61]
Greffe du notaire Pierre Raimbault, 15 juin 1719. Il s’agit de la moitié de la maison de la rue Saint-Paul décrite précédemment et de la moitié de la terre située à la côte Sainte-Marie.
-
[62]
Selon le contrat, cette somme correspond à cette date à 187 livres 10 sols de France.
-
[63]
Greffe du notaire Pierre Raimbault, ajout à la transaction du 15 juin 1719.
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[64]
Greffe du notaire J. David, 26 février 1726. L’acte mentionne que le couple avait acheté du sieur Eustache Prévost et de Marie Brazeau – qui l’avaient acquis du sieur Charles Cabazier – le lot qu’il cède.
-
[65]
Licitation d’un emplacement, situé sur la rue Saint-Vincent, appartenant à la succession de Pierre Mallet, époux de Marie-Anne Hardy. 11 mai 1723 – 10 décembre 1723. BAnQ, Centre de Montréal, TL4,S1,D2893. L’information sur les voisins est tirée de la base de données Adhémar du Centre canadien d’architecture. Ressource électronique <www.cca.qc.cca/adhemar/donnees.stm> consultée le 21 juillet 2009.
-
[66]
François Groulx et Jean Richard Gauthier, « Résidence et liens de parenté des artisans de Montréal en 1741 », Scientia Canadensis, XXVI,52 (2000) : 7-25.
-
[67]
La nouvelle épouse se nomme Marie Angélique Bénard Bourjoly. Elle est la cousine de Marie Josèphe qui sera placée chez les Soeurs Grises en 1741.
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[68]
En 1738, les soeurs ont une domestique prénommée Blanche qu’on ne retrace nulle part ailleurs que dans les cahiers de Monière. Blanche prend livraison de molleton pour Catherine Demers. Troisième petit livre, 24 may 1738, folio 15. A-t-elle suivi sa maîtresse (et laquelle des fondatrices est-ce ?), est-elle une pauvre valide qui a changé de statut ? Aucun indice ne permet de répondre actuellement.
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[69]
Au sujet des pertes subies par les Montréalais au cours de cet incendie, voir Denyse Beaugrand-Champagne, Le procès de Marie Josèphe Angélique (Montréal, Libre Expression, 2004), 37-46.
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[70]
Greffe du notaire J. B. Adhémar dit Saint Martin, 28 août 1729.
-
[71]
Greffe du notaire J. B. Adhémar dit Saint Martin, 16 juillet 1731.
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[72]
Antonio Dansereau, « Déat, Antoine », DBC, III : 181.
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[73]
Id.
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[74]
À ce sujet, voir Brigitte Caulier, « Frères et soeurs dans la mort : la sociabilité funéraire à Montréal sous le Régime français », dans Hubert Watelet, dir., De France en Nouvelle-France. Société fondatrice et société nouvelle (Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 1994), 149-175.
-
[75]
Auparavant, Catherine Demers avait été marraine à quatre reprises. Avec le chirurgien Puibareau en 1722, pour Marie Thérèse Desery (Charles et Françoise Lorain). Avec le tailleur Paul Pouget en 1723, pour sa nièce Marie Catherine (Louis Ménard et Ursule Demers). Elle est ensuite marraine de sa demi-soeur Marie Madeleine (Charles Demers et Madeleine Laverdière) en 1724 avec son frère Charles. En 1725, elle est marraine à deux reprises. Tout d’abord de Claude Demers (André et Élisabeth Caron) avec Claude Caron, marchand bourgeois. Puis avec René Drouillard, elle est marraine de son neveu René Charles Drouillard Laprise (Charles et Élisabeth Demers).
-
[76]
Catherine Demers a payé la cotisation annuelle jusqu’au 24 octobre 1744. Elle avait choisi comme heures d’adoration le 10 avril de chaque année (deux heures) et le vendredi de chaque semaine, deux heures également. Notons que le 10 avril est sa date de naissance. Ces détails ainsi que ceux sur Louise Thaumur et Marguerite Dufrost nous ont été fournis par Brigitte Caulier que nous remercions infiniment de nous avoir fait parvenir ces données tirées de sa thèse de doctorat non publiée. Communication personnelle du 7 avril 2008.
-
[77]
Brigitte Caulier, Les confréries de dévotion à Montréal xviiexixe siècle, thèse de Ph.D. (histoire), Université de Montréal, 1987, 53.
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[78]
Il est possible qu’elles se connaissaient auparavant. Le père de Louise, le chirurgien Dominique Thaumur dit Lasource, était l’un des témoins à l’inventaire d’octobre 1707. Il est aussi possible que Catherine Demers connaissait Marguerite d’Youville. Son oncle et tuteur, le marchand Gilles Papin, est parrain d’une enfant de Boucherville en 1718 avec Marie Renée Gauthier de Varennes, la mère de Marguerite.
-
[79]
Marie-Louise Lasource a payé sa cotisation à la Confrérie de la Bonne Mort jusqu’au 26 octobre 1743 alors que Marguerite Dufrost Youville a payé jusqu’en 1767. Source : Communication personnelle du 7 avril 2008 de Brigitte Caulier.
-
[80]
Pierre-Georges Roy, Inventaire des jugements et délibérations du Conseil Supérieur de la Nouvelle-France de 1717 à 1760 (Beauceville, L’Éclaireur, 1933), 3 : 185. Pour les détails, voir aussi BAnQ, Centre de Montréal : Procès. 3 janvier 1737 – 15 avril 1737, TL4,S1,D4391. BAnQ, Centre de Québec : Ordonnance de Honoré Michel de Villebois de la Rouvilière, 26 janvier 1737, E1,S1,P2902. Procès. 5 janvier 1737 – 28 février 1737, TL5,D1132. Arrêt. 1er avril 1737, TP1,S28,P18462. Arrêt. 20 mai 1737, TP1,S28,P18487.
-
[81]
Appel mis à néant […]. Le Conseil a déchargé Charles Demers Dessermons père de l’accusation de banqueroute frauduleuse […]. 5 juillet 1737, TP1,S28,P18512. Mémoire des dépens à payer. 12 juillet 1737 – 24 juillet 1737, TP1,S30,D176.
-
[82]
Greffe du notaire J. C. Raimbault de Piedmont, 26 septembre 1737. Puisqu’il ne peut payer comptant, la rente annuelle sera de 125 livres. Le passage cédé auparavant à Louis Ménard est à ce moment cause d’un litige entre ce dernier et le marchand Labadie qui souhaite agrandir la maison. Le tout se règle devant notaire, Labadie obtenant la permission de construire « au-dessus du passage ». Catherine Demers est témoin. Greffe du notaire J. B. Adhémar dit Saint Martin, 25 novembre 1737.
-
[83]
Il nous est impossible de dire si c’est Ignace Gamelin père ou fils qui est procureur de la veuve Leverrier et qui signe le bail de la maison. Greffe des notaire F. Lepailleur de LaFerté, 29 septembre 1737. Pour le deuxième bail, il s’agit du fils car le père est décédé en 1739. L. C. Danré de Blanzy, 29 août 1743.
-
[84]
Claudette Lacelle, « Dufrost de la Jemmerais, Marguerite », DBC, IV : 253-257.
-
[85]
Dufrost mentionne simplement que Catherine Demers « faisai[t] profession de mener une vie vraiment dévote » avant cette date. « La Vie… », op. cit., 365.
-
[86]
Il s’agit de Jeanne Charlotte Fleury Deschambault, future épouse du dernier gouverneur de la Nouvelle-France, Pierre Rigaud de Vaudreuil de Cavagnial.
-
[87]
S’agirait-il de la maison de Charles Demers située rue Saint-Paul qui fut saisie et vendue en justice pour arrérages de taxes et dont Jacques Quenel dit Fonblanche s’est porté acquéreur en 1743 ? « Sentence d’adjudication à Jacques Quesnel dit Fonblanche pour 3000 livres », Procès entre les seigneurs de Montréal, demandeurs, et Charles Demers dit Dessermons et son épouse Madeleine Cauchon dit Laverdière, défendeurs, pour arrérages de cens et rentes. 25 avril 1740 – 6 mars 1743. BAnQ, Centre de Montréal, TL4,S1,D4700.
-
[88]
É. Faillon, Vie de…, op. cit., 52-53.
-
[89]
A. Fauteux, L’Hôpital général…, op. cit., 127.
-
[90]
Greffe du notaire L.-C. Danré de Blanzy, 30 août 1741.
-
[91]
Greffe du notaire C.-H. Dulaurent, 13 mai 1747.
-
[92]
La gestion leur sera retirée par l’administration coloniale en 1750. Des pressions auprès du gouvernement et de la Cour leur feront accorder des lettres patentes et l’administration de l’Hôpital général en 1753.
-
[93]
A. Fauteux, L’Hôpital général…, op. cit., 112.
-
[94]
Ibid., 118.
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[95]
Dufrost précise que la vocation de la demoiselle Despins, deuxième supérieure, s’est fait attendre : « après avoir été très ennuyée dans les premiers temps de vivre avec nos soeurs, les prit enfin en affection et fut cependant plusieurs années sans vouloir entrer dans leur société ».
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[96]
Selon ses cahiers, Monière envoie des colinettes à la demoiselle Despins qui est chez les soeurs de la Congrégation Notre Dame à Boucherville après le décès de sa mère en 1736. Elle loge ensuite chez son oncle.
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[97]
A. Fauteux, L’Hôpital général…, op. cit., 121 et 184.
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[98]
L’année 1755, officiellement la première de la guerre de Sept Ans, est la dernière année où ces filles seront mentionnées. C’est aussi la première année que le gouvernement paie pour y faire admettre les soldats malades. Les militaires sont beaucoup plus nombreux depuis l’envoi des Troupes de terre pour la défense de la colonie et les Hôtel-Dieu de Québec et de Montréal et celui des Ursulines de Trois-Rivières ne suffisent plus à la tâche. Auparavant, selon les états de compte de l’Hôpital, seuls les soldats invalides y étaient admis. Le commissaire leur fournissait habit, vestes, chemises, culottes, bas et souliers comme à tous les militaires en état de servir. A-t-on voulu éviter la promiscuité filles-soldats ou remplacer les revenus perdus par cette décision de ne plus y enfermer les filles ? La réponse se trouve peut-être dans la correspondance officielle du gouvernement.
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[99]
A. Fauteux, L’Hôpital général…, op. cit., 194.
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[100]
La réponse se trouve peut-être dans les comptes des magasins du roi. Les Compte général de la recette et dépences de l’hopital général de Montréal par madame Youville commencent en 1747 (soit dix ans après la formation de la société). Nous les avons lus jusqu’en 1785, année de la mort de soeur Demers. Ce rapport financier annuel est généralement un document très propre, sans aucune rature mentionnant la consommation globale d’un mois ou même de l’année. Chaque état de compte est signé par les administratrices et doit être présenté à la fin de chaque année au supérieur du séminaire pour approbation. En femmes d’affaires d’expérience, Mère d’Youville, soeur Lasource et/ou soeur Demers devaient tenir un Journal, un Brouillard ou un Livre de comptes afin de pouvoir réclamer leur dû auprès des clients, dont le gouvernement. Contrairement aux états de compte annuels qui témoignent de la bonne gestion des religieuses et dont les autorités peuvent exiger un nouvel examen, ces cahiers n’auraient pas été conservés. À moins qu’ils aient brûlés lors de l’incendie de 1745 ou celui de 1765, à la suite duquel « monsieur Lemoine » leur offre sa maison.
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[101]
Pour un exemple des contrats accordés par les commandants de l’armée française aux marchands drapiers de Lorraine, voir Gilberte Vrignaud, Vêture et parure en France au dix-huitième siècle (Paris, Éditions Messene, 1995), 49-55.
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[102]
Les comptes mentionnent la livraison d’uniformes pour les invalides plutôt que la sortie et le paiement d’uniformes produits par les Soeurs Grises. Après le décès d’un soldat, les religieuses vendent son uniforme et les autres biens restés à l’Hôpital pour l’argent que cela peut rapporter aux pauvres.
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[103]
Notre formation première est le dessin de mode et la haute couture. Nous avons réalisé des reproductions de vêtements du xviiie siècle pour des institutions muséales avant d’entreprendre nos études universitaires.
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[104]
Nous avons fait le calcul à partir de E. Tardif, Marguerite d’Youville…, op. cit., 60-62. Le temps imparti aux prières et aux dévotions est plus difficile à estimer.
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[105]
Un autre paiement de 248 livres est fait au même infirmier en août 1749.
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[106]
Greffe du notaire L.-C. Danré de Blanzy,16 février 1756.
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[107]
Charles Héry fait saisir la maison pour la revendre, ce qui donne lieu à une poursuite en justice de Labadie. Procès entre Charles Héry, négociant, demandeur, et Pierre Descomps dit Labadie, défendeur, pour une saisie sur dettes. 30 juin 1757 – 18 juillet 1757. BAnQ, Centre de Montréal, TL4,S1,D6173. Le Séminaire réclame les arriérés des rentes seigneuriales qui s’élèvent à plus de 216 livres. Héry reçoit 2762 livres 2 sols 10 deniers.
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[108]
Ce détail s’avérerait très utile pour reproduire le modèle de robe à la française décrit ici.
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[109]
A. Fauteux, L’Hôpital général…, op. cit., 183.
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[110]
Dans sa biographie romancée, E. Mitchell a attribué la paternité – maternité ? – de cet uniforme à la soeur Bénard Bourjoly, responsable de la salle des femmes. E. Mitchell, Elle a beaucoup aimé…, op. cit., 236.
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[111]
Une paire de souliers valant 5 livres est fournie en août 1773, une autre en mai 1775, encore une en 1779. On lui fournit une paire de bas valant 6 livres aux frais de la communauté en décembre 1780.
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[112]
Les histoires racontent aussi que les religieuses faisaient elles-mêmes la lessive or, il y a des paiements pour des lessives données à l’extérieur. Par exemple, dans le Compte général de la recette et depences… [année 1748] ; entrées pour des lessives en date du 11 et 20 avril, 28 juin, 7 et 14 août, 2 octobre et le 20 août « pour laver les couvertes des pauvres ».
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[113]
Marguerite Dufrost de la Jemmerais, épouse de François You dit Youville est devenue veuve Youville puis madame Youville et enfin Mère d’Youville. Pour sa part, Mlle de Rainville serait noble [ce qui n’est pas le cas, elle est la fille de Charles et de Suzanne Cabassier] et l’on fait remonter les origines de la famille de Thérèse Lemoine Despins [fille, nièce, cousine et soeur de marchands prospères et deuxième supérieure des Soeurs grises] aux croisades. Un de ses frères s’est enrichi au moment de la Guerre de Sept Ans et a été accusé dans l’Affaire du Canada.
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[114]
Pour une dissertation sur ce vocable, voir Louise Dechêne, Habitants et marchands de Montréal au xviie siècle (Montréal, Boréal Compact, 1988 [1974]), 403-404.
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[115]
La Vie raconte l’histoire de Marguerite d’Youville de sa naissance à 1753. Les Mémoires résument l’histoire de 1759 à sa mort en 1771. Il y a un « trou » entre 1753 et 1759.
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[116]
Dans son testament de 1757, Marguerite Youville cédait la totalité de ses biens personnels à ses compagnes « comme compensation des soins qu’elles ont pris d’elle au cours de son mal de genou [entre 1738 et 1744] et pour les attentions infinies qu’elles ont manifestées à l’égard de ses enfants dont elles n’ont exigé aucune pension durant les premières années et au cours des maladies qu’ils ont essuyées ». Cité par E. Mitchell, Le Curé…,op. cit., 23-24. Cette clause n’a pas été reprise dans le testament de 1771.
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[117]
Les problèmes légaux et financiers que sa mère a eus avec l’aîné sont vaguement évoqués par Dufrost qui, par convention, parle de tous et chacun à la troisième personne du singulier tout au long son texte. « Elle [Marguerite d’Youville] a eu bien des croix […]. Elle en a eu d’une personne qui lui était très prochainement unie par les liens du sang ». C. Dufrost, « Mémoires… », op. cit., 376.
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[118]
Décédé en 1790, il aura vu mourir soeur Lasource, soeur Rainville, soeur Demers et sa tante Louise Dufrost.
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[119]
Dominique Deslandres, « Histoire et mémoire de soi », Les Sulpiciens de Montréal. Une histoire de pouvoir et de discrétion, 1657-2007 (Montréal, Fides, 2007), 85.
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[120]
A. Fauteux, L’Hôpital général…, op. cit., 475.
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[121]
Donna Merwick, Death of a Notary…, xvi. « How he would otherwise tell a different story of himself than the one I tell, I do not know. I do know that, like me, he would pull it from fragments. »